Etranger et immigré - Revue des sciences sociales

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Etranger et immigré - Revue des sciences sociales
BRIGITTE FICHET
Etranger et immigré
Deux termes problématiques
Par les portes d'Orkenise
Veut entrer un charretier.
Par les portes d'Orkenise
Veut sortir un va-nu-pieds.
Et les gardes de la ville
Courant sus au va-nu-pieds:
«Qu'emportes-tu de la ville?»
«J'y laisse mon cœur entier.»
Et les gardes de la ville
Courant sus au charretier:
«Qu'apportes-tu dans la ville?»
«Mon cœur pour me marier. »
Que de cœurs dans Orkenise!
Les gardes riaient, riaient.
Va-nu-pieds la route est grise,
L'amour grise, ô charretier.
Les beaux gardes de la ville,
Tricotaient superbement;
Puis les portes de la ville
Se fermèrent lentement.
Apollinaire
Faculté des Sciences sociales
Laboratoire de sociologie
de la culture européenne
Centre d'études des migrations
et des relations inter-culturelles (CEMRIC)
L
' ancien thème de la rupture épistémologique qui fonde une disci­
pline ou une école de pensée dans
sa spécificité a été revisité dans la logique
utilitariste. Dans cette perspective, le cher­
cheur peut être suspecté de ne chercher que
son intérêt corporatiste sous couvert de la lé­
gitimité scientifique dont il pare son para­
digme... Dans la logique élitiste, le cher­
cheur est soupçonné d'asseoir son autorité à
travers un discours ésotérique et une pensée
qui se doit de construire des concepts éloi­
gnés du sens commun.
La logique scientifique bénéficie d'une
certaine autonomie dans le choix de ses
concepts, mais elle n'est pas à l'abri d'une
mise en question à partir de critères qui ne
sont pas les siens.
La rupture fondatrice, paradigme de la
sociologie, devient à certains égards rupture
honteuse. Cependant elle ne constitue nul­
lement un dogme, ni une recette qui s'im­
pose en toute occasion. Mais quand elle se
propose, elle peut se heurter à des résis­
tances tant sociales que scientifiques'".
L'examen de ces résistances constitue un
excellent terrain d'investigation, à la croisée
de la sociologie et de la pensée sociale.
Un modèle est bon s'il est adapté à la fi­
nalité qu'il est censé servir et plus ou moins
puissant selon l'importance des phéno­
mènes dont il est capable de rendre compte.
Dans le domaine des sciences sociales, le
débat public porte souvent sur les implica­
tions du modèle, qui peut apparaître inuti­
lement compliqué (i.e. éloigné du sens
commun), parce que la finalité scientifique
n'en est pas perçue et que les effets so­
Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, 1993
112
ciaux, réels ou supposés, en semblent in­
certains ou menaçants.
Le domaine des migrations offre à cet
égard un terrain d'observation privilégié. Il
connaît ces derniers temps une multiplica­
tion des écrits retraçant les contours des no­
tions techniques ou usuelles d'étranger et
d'immigré, dénonçant leur confusion ou
proposant de nouvelles définitions'2'.
Cette contribution montre que l'explora­
tion des représentations pratiques de l'im­
migré révèle des signifiés éloignés de toute
dimension de migration. Cependant, l'in­
adéquation de la représentation à son objet
n'entame pas l'usage social, qui suit d'autres
finalités. Poursuivant des fins au moins des­
criptives, les sciences sociales ont à restau­
rer la migration comme comportement, le
migrant comme l'acteur d'une performance,
l'immigré comme l'«ayant migré» et non
comme un état ou le substrat d'une essence
particulière.
Immigré: en quel sens?
L'immigré, dans les représentations pra­
tiques, est sujet aux variations conjonctu­
relles des perceptions.
Dans le courant des années 70, il était en­
core le «travailleur migrant» (quand il
s'agissait du pays d'origine?) ou le «tra­
vailleur immigré » : le travail semblait devoir
justifier sa venue puis son séjour en France
et, implicitement voire explicitement dans
certains discours, le chômage nécessiter son
retour. L'objet de la pensée sociale n'était
pas l'«immigré» travailleur mais bien le
Zuzana Jaczova, Zinc sur contreplaqué, élastomère, 1991
«travailleur», inséré dans un contexte qui
était encore celui de la lutte des classes. La
locution de « travailleur immigré » a proba­
blement connu une vogue plus tardive que
l'usage du seul substantif de «travailleur».
Actuellement, alors même que l'immi­
gration régulière de travailleurs étrangers
s'est poursuivie (à un rythme réduit), l'ap­
pellation courante ne retient plus que le
terme d'immigré. Il est vrai que le regrou­
pement familial a permis l'arrivée d'«inactifs ». Cependant, contrairement aux idées
reçues, l'immigration des familles a connu
sa plus forte intensité avant le coup d'arrêt
de l'immigration en 1974. Les chiffres de
l'OMI montrent comment l'introduction des
membres des familles diminue à partir de
cette date. Si l'immigration familiale est ap­
113
parue considérable à cette époque, au mo­
ment même où elle ralentissait, c'est proba­
blement parce qu'elle devenait, pour la pre­
mière fois depuis la seconde guerre
mondiale, plus importante que l'immigra­
tion de travailleurs qui a connu, elle, une
chute radicale.
Par ailleurs, il est difficile de savoir dans
quelle mesure les familles ont participé aux
mouvements de migrations temporaires tant
décrits à propos des actifs. La méconnais­
sance des retours des travailleurs ou des fa­
milles doit inspirer ici une grande prudence.
Mais, sans nul doute, ces dernières ont ac­
compagné la stabilisation de l'immigration
en France, en s'y installant progressivement
et en diversifiant peu à peu les sphères de
leur vie sociale.
Travailleur ou non, l'immigré est perçu,
à première vue, comme l'étranger venu s'ins­
taller en France. Mais les représentations
courantes ne retiennent pas toutes les natio­
nalités au même titre: un Anglais ou un
Japonais ont moins de chances de passer
pour un immigré qu'un Tunisien ... ou un
Martiniquais ! Même les Français des dépar­
tements d'outre-mer peuvent ainsi être per­
çus comme des étrangers venus d'ailleurs...
La nationalité ne constitue donc pas un
bon critère de définition de l'immigré.
Par ses connotations, le terme d'«im­
migré» évoque une personne originaire
d'une ancienne colonie ou d'un pays peu
développé, et encore une personne peu
qualifiée. Dans cette perception, le mineur
marocain ne manquera pas d'apparaître
comme un immigré et l'ingénieur algérien
risque de laisser perplexes un certain
nombre de ses interlocuteurs.
Le sens commun se livre ainsi à des
pondérations subtiles entre les différents
critères mentionnés : le balayeur sénégalais
sera beaucoup plus sûrement classé
comme «immigré» que le «technicien de
surface» allemand qui lui-même n'est
guère plus un «immigré» que le chef d'or­
chestre américain.
Les représentations courantes vont en­
core plus loin: «l'immigré» désigne aussi
un individu qui n'a jamais lui-même immi­
gré en France. Le terme, et la représentation
qu'il véhicule, peuvent donc être totalement
détachés de la réalité de l'expérience de la
migration.
Est-il possible de rendre compte de cet
écart?
Comme objet social particulier, la repré­
sentation de l'immigré revêt un caractère
concret. De ce fait, il apparaît très normale­
ment construit «de bric et de broc », débor­
dant inconsidérément les classifications qui
tenteraient d'en rendre raison.
Cette situation est loin d'être anormale
pour un objet concret. Elle n'est pas irra­
tionnelle non plus : c'est l'un des mérites re­
connu à l'heure actuelle aux méthodes de
classification automatique que de permettre
d'isoler des ensembles les plus homogènes
possibles, les plus différents les uns des
autres, à partir de critères qui n'ont pas le
même impact sur chaque ensemble. Mais,
dans ce cas, l'analyse rend compte du poids
relatif- ou de l'absence de poids - d'un cri­
tère dans la constitution d'un ensemble.
Ce qui échappe ici, c'est la logique de la
pondération des critères dans l'image de
l'« immigré», d'où la tentation de dire qu'il
n'y en a pas et de justifier trop rapidement
la nécessité d'une rupture avec le sens com­
mun. Il peut être utile d'essayer de faire
émerger une possible rationalité de cette
construction. Michel Crozier et Erhard
Friedberg(3) ont montré l'aspect heuristique
du postulat de la rationalité prêtée a priori
aux acteurs dont on peut ne pas comprendre
les comportements: c'est ainsi qu'en la re­
cherchant, on se donne les moyens de dé­
tecter éventuellement une rationalité peu
apparente, alors que l'attitude inverse en dé­
tourne l'attention.
Dans cette perspective, nous avions déjà
tenté de rendre compte de cette représenta­
tion sociale du «travailleur immigré»(4). La
cohérence des éléments de définition pa­
raissait soumise à une logique de discrimi­
nation reflétant le processus de reproduction
partielle(5) de la force de travail sur le mar­
ché capitaliste. Cette interprétation présen­
tait l'avantage d'un affranchissement de la
définition politique des frontières au profit
d'une définition théorisée sur le plan éco­
nomique. Si elle convenait aux migrations
tournantes (migrations jugées temporaires
de travailleurs isolés), elle ne peut être éten­
due telle quelle à l'immigration actuelle.
Cependant la logique de la discrimination
n'est pas caduque. Elle ouvre alors d'autres
horizons à l'interprétation du terme et de la
représentation de l'immigré.
En effet, la fonction la plus courante du
terme n'est pas celle de la description mais
celle de la désignation. Il fonctionne tel un
pronom démonstratif (celui-ci, celui-là...)
qui, avec une extrême économie de langage,
parvient à faire comprendre à tous, dans un
contexte donné, de qui il s'agit. Si le terme
d'immigré n'est pas employé de façon des­
criptive, alors le signifiant «immigré» ne
renvoie pas au signifié, au sens de «qui a ac­
compli une immigration dans notre espace »
mais à un référent différent : «celui qui n'est
pas des nôtres ».
114
La fonction de désignation se prolonge
dans les effets complémentaires de distinc­
tion du ou des «nous» qui, en l'occurrence,
apparaissent moins «non-migrants» que
«membres du groupe» et de stigmatisation
des « autres » qui ne le seraient pas.
Cet usage du vocabulaire pourra encore
avoir un effet performatif, ou de prédiction
créatrice : celui de contribuer à une ségréga­
tion sur le plan social et d'estomper les dé­
finitions sur le plan de la communication. La
figure de l' « immigré » peut alors être impo­
sée à quiconque est indésirable. L'extranéité
peut être inventée ou héritée de générations
en générations. Elle se lit comme la projec­
tion d'un refus refoulé d'intégration de
l'autre.
Ces fonctions sont autant de variantes qui
sont associées à une conception sociale nor­
mative de l'immigré. Cela peut expliquer
pourquoi le terme est si souvent confondu
avec celui d'étranger, puisqu'ils renvoient
tous deux à un «extérieur» incertain.
L'étranger au village est «venu d'ailleurs»
même s'il n'est pas d'une autre nationalité'6'.
Quelles sont les incidences de cette si­
tuation sur les définitions utilisées dans les
travaux descriptifs?
Nous avons déjà souligné le besoin ré­
current qui se manifeste à l'heure actuelle de
distinguer les concepts trop souvent confon­
dus d'étranger et d'immigré. Il s'accom­
pagne parfois du souci d'éclairer le grand
public, comme le montre la publication d'un
article dans «Le Monde» en septembre
1991(7).
La clarification commence par le
concept d'étranger, dont il est proposé une
définition opérationnelle puisqu'il s'agira
de dénombrement: «sont "étrangères" les
personnes qui ont leur résidence perma­
nente en France à l'époque du recensement
et qui déclarent n'avoir pas la nationalité
française». La définition technique de la
nationalité, qui est d'ordre juridique, fait
place à une information d'ordre déclaratif,
ce qui est le cas général des informations
recueillies par le recensement. Cette trans­
position n'est pas sans quelque biais, mais
là n'est pas le point le plus important.
En ce qui concerne l'immigré, l'article
propose une définition retenant «les per­
sonnes nées hors de France étrangères ou
françaises par acquisition».
Le but recherché par les auteurs vient de
leur échapper, i.e. l'occasion de séparer ra-
dicalement la problématique juridique ou
identitaire de la nationalité et la probléma­
tique socio-démographique de la migration
comme passage d'un espace à un autre.
Pourquoi ne donner qu'une définition de
l'immigré étranger quand il s'agit de l'im­
migré ? A priori, l'immigration se définit in­
dépendamment de la nationalité, même si
rien ensuite n'interdit de considérer l'immi­
gration des étrangers, comme celle des re­
traités ou celle des vacanciers selon les
centres d'intérêt.
Dans une réponse passée trop inaperçue,
Jacques Vallin(8) tente de restituer sa place à
la notion d'immigration en rappelant que si
le critère de migration est bien celui de la
naissance hors de France, tous les Français
de naissance nés à l'étranger et venus rési­
der en France relèvent de cette définition de
l'immigré. Et, en effet, si l'article initial pré­
cise qu'«il existe, faut-il y insister, des
étrangers, nés en France, qui ne sont pas des
immigrés », il propose une définition qui ex­
clut l'immigration des Français de nais­
sance.
Autorité des auteurs du premier article,
prégnance de la forme du graphique qui
l'illustre, prévalence du sens commun?
Quelles qu'en soient les raisons, ces notions
que l'on croit clarifiées sont actuellement
largement diffusées et créditées d'objectivité(9). Quelques textes échappent à ces
confusions, mais ils sont rares(10).
Les représentations pratiques se révèlent
donc, une fois de plus, comme des faits so­
ciaux, conceptions sociales qui s'imposent
aux chercheurs, en font un outil de travail
avant d'en avoir fait un objet de travail.
L'immigré pour lui-même
L'étude des mouvements migratoires, on
le voit, a du mal à se constituer en champ au­
tonome, à s'affranchir des représentations
courantes.
L'analyse des mouvements migratoires
suppose que l'on définisse quatre critères:
un espace, un temps, une population et au
moins un critère de déplacement.
- Un espace dont le franchissement des
frontières détermine le fait de la migra­
tion.
L'espace le plus fréquemment employé
est l'espace national, privilégié aussi en
ce qu'il fonde le grand clivage classique
entre migrations internes et migrations
externes... (le non-dit des adjectifs pris
dans leur sens «absolu» s'impose ici
sans ambiguïté: il s'agit de l'espace na­
tional).
Cependant, tout autre espace clairement
délimité peut être utilisé. L'INSEE pu­
blie de nombreux articles et tableaux
statistiques sur des migrations de toutes
sortes, inter-régionales, interurbaines...
(A l'inverse, les migrations de travail ser­
vent même à dessiner les espaces spéci­
fiques que sont les bassins d'emploi.)
- Un temps : la migration s'observe sur une
durée plus ou moins longue, annuelle ou
intercensitaire... le plus souvent la même
pour tous les individus, mais ce n'est pas
toujours le cas. La référence au lieu de
naissance implique une date potentielle­
ment différente pour chaque observa­
tion.
- Une population : les individus qui la
composent sont définis par un ou des cri­
tères communs: les cigognes, les hu­
mains, les retraités et leurs conjoints, les
nationaux et/ou les étrangers...
- Un critère de déplacement : le critère le
plus classique est le changement de rési­
dence, mais on peut considérer les mi­
grations par rapport au lieu de naissance,
entre les lieux de résidence et de travail,
les migrations saisonnières de vacances
d'été ou d'hiver...
Les mouvements migratoires les plus
divers peuvent ainsi être décrits par une
combinaison heuristique de ces critères, en
fonction de la problématique choisie.
Il apparaît clairement qu'il s'agit d'un
champ d'intérêt spécifique, sans lien intrin­
sèque avec la nationalité des migrants. Mais
si la dimension nationale s'avère pertinente,
elle peut être introduite explicitement dans
les critères de définition de la population, du
territoire, ou des deux à la fois.
L'interaction des deux dimensions de la
migration et de la nationalité pourrait se for­
maliser par un très classique tableau logique.
Il fournit une sorte de tableau de Mendeleïev
qui permettrait d'organiser l'exploration des
différents cas observables.
Nous examinerons ici, à titre d'illustra­
tion, la répartition de la population, française
et étrangère, résidente en France métropoli­
taine. Le critère de migration retenu est le
lieu de naissance.
Le premier tableau permet d'identifier la
population étrangère, la population immigrée
115
en France métropolitaine, et, à l'intersection,
la population immigrée étrangère. Cette der­
nière ne constitue donc qu'une partie de l'im­
migration en métropole: s'y ajoutent les
Français nés dans les départements et terri­
toires d'outre-mer, dans les anciennes colo­
nies et les protectorats ou encore à l'étranger
et venus s'installer en métropole. Dans une
autre hypothèse, si l'espace retenu est celui
de la France légale (i.e. y compris les DOMTOM), alors les migrations des Réunionnais
ou des Guadeloupéens en métropole de­
viennent des migrations intérieures, au
même titre que celles des Alsaciens installés
en Bretagne. Il reste l'immigration des
Français nés à l'étranger. (tableau I bis).
Le tableau II illustre la lecture de
quelques autres notions courantes, relatives
aux origines.
- La population d'origine étrangère devenue française - se visualise par la
ligne des Français par acquisition. Si, au
lieu de l'origine personnelle, l'on sou­
haite considérer l'origine familiale
(l'effet inter-générationnel de la nationa­
lité), on retiendra une frange des Français
de naissance, ceux qui sont nés d'un ou
deux parent(s) étranger(s), bénéficiant
dans ce dernier cas de l'effet du double
droit du sol.
- La population immigrée d'origine étran­
gère est le sous-ensemble de la popula­
tion précédente, formé des personnes
nées hors métropole.
- La population issue de l'immigration*1"
comprend les personnes nées en métro­
pole dont un parent au moins a immigré
en métropole. On peut examiner l'effet
inter-générationnel de la migration sur
des familles, quelle que soit leur natio­
nalité.
Si chacune de ces populations devait
être estimée quantitativement, les défini­
tions proposées seraient à compléter par des
précisions les rendant plus opérationnelles,
en fonction de la source statistique dispo­
nible. Le recensement de la population, par
exemple, donne la population immigrée
avec la nationalité qu'elle a au jour de l'ob­
servation et non au jour de l'immigration. Le
temps intervient différemment sur les deux
dimensions. Le critère de déplacement par le
lieu de naissance est par définition inva­
riable, mais la situation serait différente si le
changement de résidence était retenu.
Les définitions ainsi formulées ont
l'avantage de séparer radicalement le fait de
Tableau I. La population résidente en France métropolitaine, répartie selon la nationalité et la
situation migratoire
Population étrangère
Population immigrée
Population étrangère immigrée
Tableau I bis. La population résidente en France légale, selon la nationalité et la situation
migratoire
Population étrangère
Population immigrée
Population étrangère immigrée
Hll
Tableau II. La population résidente en France métropolitaine selon son origine
Population française d'origine étrangère
origine personnelle
origine familiale
Population immigrée d'origine étrangère
Population issue de l'immigration
I
I
VÙk\
116
la migration et la condition d'étranger, tout
en autorisant une grande clarté dans Tinterrelation des deux dimensions(12).
L'immigration ne pourra être étudiée
pour elle-même que si elle est pensée pour
elle-même, c'est-à-dire notamment sans être
subrepticement «informée» par la prégnance de la dimension nationale. Trop
rares sont les recherches qui entreprennent
systématiquement une comparaison des ef­
fets de la migration et de ceux de l'apparte­
nance nationale03'.
La migration s'approche comme une
forme de mobilité spatiale et sociale sur un
terrain lui-même mouvant. Elle constitue
une expérience propre, elle implique un tra­
vail social original de la part des acteurs,
travail de reconnaissance des réseaux so­
ciaux, de (ré)insertion, la création de nou­
veaux espaces sociaux, l'ajustement de nou­
veaux modes d'interactions, etc. Le refus de
la réification de l'immigré - de l'«ayantmigré» - passe bien par la restitution de
l'histoire et des rapports sociaux masqués
par cette réification.
6
7
8
9
Notes
1
2
3
4
5
En ce qui concerne les sciences «dures», voir
Thomas S. Kuhn, «The Structure of Scientific
Révolutions», Chicago and London, University
of Chicago Press, 1962, pp. 64 et suivantes.
Simone Bonnafous, «L'immigration prise aux
mots. Les immigrés dans la presse au tournant
des années 80», Paris, Editions KIME
(Collection Argumentation et sciences du lan­
gage), 1991, pp. 18-21.
Albano Cordeiro, «Les immigrés ne sont pas
tous des étrangers », in : Hommes et migrations :
Le poids des mots, n° 1154, pp. 10-12.
Michèle Tribalat, «Cent ans d'immigration,
étrangers d'hier, Français d'aujourd'hui».
« Apport démographique, dynamique familiale et
économique de l'immigration étrangère», Paris,
PUF/INED (Collection Travaux et documents,
n° 131), 1991, p. 6, et l'excellente préface de
Michel Louis Levy.
Michel Crozier et Erhard Friedberg, «L'acteur et
le système. Les contraintes de l'action collec­
tive», Paris, Editions du Seuil (Collection
Sociologie politique), p. 395.
Brigitte Fichet, «Les travailleurs immigrés. La
reproduction de la force de travail », in : Cahiers
de l'Institut d'urbanisme et d'aménagement régional, n° 2, Strasbourg, 1980, p. 190.
La reproduction de la force de travail sur le mar­
ché recouvre l'entretien au jour le jour du tra­
vailleur dans sa période active (reconstitution),
son entretien en période inactive (invalidité.
10
11
12
chômage, retraite...) et celui de ses enfants avant
qu'ils n'entrent en activité (renouvellement). La
reproduction partielle sur le marché suppose
une coupure géographique et économique entre
la reconstitution d'une part, l'entretien et le re­
nouvellement de l'autre.
On oublie parfois que le fameux texte de
G. Simmel, « Digressions sur l'étranger», cite la
nationalité comme point de similitude éven­
tuelle entre «nous et lui ». La prégnance de la di­
mension nationale sur les mentalités est chose
variable. Georg Simmel, «Digressions sur
l'étranger», traduction de Ph. Fritsch et I. Joseph
in : Yves Grafmeyer et Isaac Joseph, « L'école de
Chicago. Naissance de l'écologie urbaine»,
Paris, Aubier-Montaigne (Collection Champ
urbain), p. 57.
Gérard Calot, Marceau Long, Claude Milleron,
« Une mise au point commune des dirigeants de
1TNED, de 1TNSEE et du Haut Conseil à l'inté­
gration», in: Le Monde, 26 septembre 1991.
Jacques Vallin, «Deux millions d"'immigrés"
oubliés », in : Le Monde, 3 octobre 1991.
Le pré-rapport du Haut Conseil à l'intégration
(février 1991) diffuse une définition très ambi­
guë de l'immigré. D'abord exacte («... mieux
vaut définir rigoureusement l'immigré comme
quelqu'un qui est né à l'étranger, qui est entré en
France et qui y vit en général définitive­
ment ...»), elle est inexplicablement réduite
quelques lignes plus bas : «En réalité il y a des
immigrés qui sont restés étrangers et des immi­
grés qui sont devenus français ».
Le dernier rapport s'aligne sur cette réduction.
«Immigré : personne née étrangère, à l'étranger,
qui s'est installée en France. L'immigré a pu, au
cours de sa vie, acquérir la nationalité fran­
çaise». (Haut Conseil à l'intégration, «La
connaissance de l'immigration et de l'intégra­
tion», novembre 1991, Rapport au Premier mi­
nistre, Paris, La Documentation française
(Collection des rapports officiels), 1992, p. 14.
Michèle Tribalat, dans ses clarifications concep­
tuelles, donne d'abord une définition exacte de
l'immigré, avant d'annoncer son intérêt particu­
lier pour l'immigration étrangère. On comprend
alors que, dans la suite du texte, le terme d'im­
migré puisse être restreint au seul immigré étran­
ger (op. cit. (note 2), p. 6). Mais cela ne va pas
sans dire...
La population issue de l'immigration est définie
ici comme la population des personnes nées d'au
moins un parent qui a immigré (mais n'ayant pas
personnellement immigré). Autrement, la défi­
nition susciterait une redondance partielle avec
celle de la population immigrée. Rien n'empêche
de retenir simultanément les deux ensembles des
immigrés et de leurs enfants nés en métropole.
Ce n'est malheureusement pas le cas d'autres
tentatives de clarification : l'article du Monde et
les rapports du Haut Conseil à l'intégration
(cités supra, notes 8 et 9) définissent la personne
d'origine étrangère comme une «personne née
en France d'un parent ou d'un grand-parent
ayant immigré (sic) en France». On ne saurait
mieux confondre... De plus, quelle est la réalité
« assez aisément perceptible » de cette catégorie ?
117
13
Peu citée est l'étude comparative de Dominique
Schnapper, «Tradition culturelle et appartenance
sociale: émigrés italiens et migrants français
dans la région parisienne », in : Revue française
de sociologie, XVII, 1976, pp. 485-498.