l`envers romanesque dans les anti
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l`envers romanesque dans les anti
The Journal of Academic Social Science Studies International Journal of Social Science Doi number:http://dx.doi.org/10.9761/JASSS3281 Number: 42 , p. 37-49, Winter III 2016 Yayın Süreci Yayın Geliş Tarihi Yayınlanma Tarihi 19.01.2016 29.02.2016 L’ENVERS ROMANESQUE DANS LES ANTI-ROMANS DE SAMUEL BECKETT SAMUEL BECKETT’İN KARŞI ROMANLARINDA ROMANESK KARŞITLIĞI Doç. Dr. Fuat BOYACIOĞLU Selçuk Üniversitesi Edebiyat Fakültesi Fransız Dili ve Edebiyatı Bölümü Abstract In the XXth century, the reaction is seen against the forms and conventions of the past in all literary fields. Thus, a new literary turning is seen in the field of literature as in the fields of other branches of science after two great world wars which have caused anxiety, anguish and distress in the human tired of living under the difficult conditions to bear. These reactions are appeared in the novels and theatral works. The anti-novel and the anti-theater are the productions of these reactions againts the past. Some novelists, theater players, dramaturges and poets seek to shake the readers or spectators by putting them directly in front of unusual situations and different writting forms. In this respect, there is a relative or a common intention between the anti-novel and anti-theater who aim to disturb the public, to get him out of his lazy habits and make him think. Samuel Beckett wrote both anti- novels and anti- theaters. His Waiting for Godot written both in french and in english is one of the most beautiful examples of the absurd theater or anti-theater. This theater piece is both absurd theater and a theater of derision. In this study we tried to expose how Samuel Beckett puts in problematic the traditional novel and its classique elements such as story, character, time and space by giving examples of his novels anti romaneques. Keywords: Beckett, Antinovel, Antitheater, Story, Character, Time and Space Öz XX. yüzyılda bütün edebiyat alanlarında geçmişin bütün biçimlerine ve kurallarına karşı bir tepki görülür. Böylece, dayanılması zor şartlar altında yaşamaktan yorulmuş insanlarda tasaya, iç sıkıntısına ve strese neden olan iki büyük dünya savaşından sonra bilimin diğer alanlarında olduğu gibi edebiyat alanında da yeni bir dönemeç kendini gösterir. Bu tepkiler, bütün edebi eserlerde özellikle romanlarda ve tiyatro eserlerinde görülür. Anti-roman (Karşı roman) ve Anti-Tiyatro (Absürd Tiyatro: Uyumsuzluk Tiyatrosu) geçmişe karşı duyulan tepkilerin ürünleridir. Bazı romancılar, tiyatro yazarları ve şairler eskinin kabullenilmiş yazım ve anlatım tekniklerine alışmış 38 Fuat BOYACIOĞLU olan okuyucuları ve seyircileri bu alışılmadık yazınsal ve sanatsal durumlarla karşı karşıya bırakarak onları sarsmaya çalışırlar. Bu açıdan okuyucu kitlesinin rahatını bozmayı ve onu tembel alışkanlıklarının içinden çıkarmayı, geçmişin kökünü kazıyarak onları düşündürmeyi amaçlayan anti roman ve anti tiyatro arasında bir yakınlık ve ortak niyet söz konusudur. Samuel Beckett, hem anti roman hem de anti tiyatro eserleri kaleme almıştır. Onun iki dilde (Fransızca ve İngilizce) yazdığı Godot’yu Beklerken eseri absürd tiyatro türünün en güzel örneklerinden biridir. Bu çalışmada Samuel Beckett’in geleneksel roman ve onun hikâye, kahraman, zaman ve mekân gibi klasik unsurlarını nasıl sorunsal hale getirmeye çalıştığını sergilemeyi amaçladık. Anahtar Kelimeler: Beckett, Antiroman, Antitiyatro, Hikaye, Kahraman, Zaman ve Mekan Introduction Samuel Beckett (1906-1989) d’origine irlandais est connu par son théâtre, surtout son œuvre très connue En Attendant Godot dans le monde tout entier. Après avoir parcouru un long chemin dans le domaine littéraire, il s’est trouvé juste au beau milieu des débats menés sur la nouvelle conception romanesque et théâtrale. Ici, nous avons pour but d’étudier la conception du roman qui s’est fondée sur le refus des conventions littéraires du passé. Jacques Brenner exprime sommairement ses idées concernant cette résolution en question en ces termes : “Au début des années 50 apparurent sur la scène française trois auteurs d’origine étrangère qui proposent des œuvres théâtrales d’une originalité éblouissante: Eugène Ionesco, Arthur Adamov et Samuel Beckett (Brenner, 1978: 368) qui se dressent contre le théâtre traditionnel, ses conventions et ses normes dramatiques. En 1989, le monde littéraire a perdu Samuel Beckett né en 1906 à Foxrock près de Dublin d’une famille de bonne bourgeoisie protestante. Eloigné de toute publicité Beckett était un écrivain qui n'aimait pas parler sur ses œuvres et qui menait une vie misanthropique. Comme il aimait mener une vie tranquille et seule, on ne connait pas suffisamment tous les détails sur sa vie privée. Or, l’œuvre littéraire de cet homme discret attire non seulement l'attention et l'intérêt des hommes de lettres mais aussi ceux des psychologues et des philosophes. C’est pourquoi, il prend place parmi les écrivains sur qui on a écrit une suite d'articles et de livres (Yüksel, 1993: 5). Inspiré de certains auteurs tels que Tzara, Joyce, Proust et Dante, Beckett est considéré comme “le dernier des modernistes” et “le premier postmoderniste”(Hassan, 1975: 44) par certains critiques ou “le moderniste postmodern”( Abbott, 1990: 74) par d'autres. D'après Maurice Nadeau, Samuel Beckett est considéré comme “l'un des écrivains français qui comptent le plus, pour beaucoup le plus grand ”(Bruézière,1975: 309) malgré les résistances que suscite son œuvre. Samuel Beckett fait ses premières études dans une école protestante Earlsford House dirigée par un Français, M. Lapelon; c'est là peut-être qu'il prit, très jeune, cet intérêt à la langue française qui devait marquer toute sa vie (Melese, 1966: 7). Elevé dans une atmosphère puritaine, il prend une discipline stricte à la manière anglaise qui suscita peut-être qu'il fut un homme révolté contre les traditions. Sa mission à Paris devint un point tournant important dans sa vie. Quand Beckett a été envoyé comme lecteur d'anglais à l'Ecole Normale Supérieure où il était resté deux ans, ce séjour lui a permis non seulement de perfectionner sa conna- L’envers Romanesque Dans Les Antı-Romans De Samuel Beckett issance déjà remarquable de la langue et de la littérature françaises, mais aussi de se familiariser avec le milieu libéral de l'Ecole Normale Supérieure. Ce milieu libéral était différent du conformisme et de la contrainte de son pays natal. C'est à ce moment qu'il fit la connaissance de James Joyce dont il devint le disciple et l'ami (Melese, 1966: 8). James Joyce considéré comme l'un des précurseurs du Nouveau Roman a également exercé une grande influence sur la formation littéraire de Samuel Beckett. Pendant son séjour à L'Ecole Normale, il se fait une réputation de poète par un long poème Whoroscope mi-sérieux, miplaisant où Descartes médite sur le temps. De retour en 1931 à Dublin, Beckett, après un bref séjour de deux termes comme professeur de français au Campbell Collège à Belfast, a été nommé comme assistant du professeur Dudmore Brown au Trinity Collège. Pendant qu'il était académicien dans ce collège, il a publié un remarquable essaie sur Proust. C'est ainsi que Beckett est destiné à une carrière universitaire et littéraire. Mais, incapable de supporter la routine quotidienne et les obligations sociales et désireux d'échapper au climat de contrainte qui pèse sur la vie irlandaise -théocratie, censure morale et littéraireil a démissionné au bout d'un an. De retour à Paris en 1937, il a décidé de s'y installer définitivement. C'est à ce moment qu'il lui arrive une aventure tragique qui l'a bien influencé sous l'angle de sa vision philosophique: un soir, il est poignardé par un clochard; sorti quelque temps après de l'hôpital, il est allé voir son agresseur en prison et lui demanda pourquoi il l'avait attaqué. L’agresseur lui a répondu: “je ne sais pas”. Dans cette réponse, Beckett voit peut-être le type même de l'action absurde, maîtresse de la condition humaine (Melese, 1966: 9). Cet agresseur ressemble à Mersault de l'Etranger de Camus, qui a poignardé un arabe par l'acte gratuit et à Lafcadio des Caves 39 du Vatican de Gide, qui a jeté un certain Fleurissoire par la portière du train par le même acte gratuit. Dans son En attendant Godot, Samuel Beckett qui puise l'action absurde dans cet acte gratuit met en question l'essence de l'existence humaine par l'application de la nouvelle méthode de théâtre de l’absurde. L’originalité de l’oeuvre de Samuel Beckett Certains critiques voient chez Beckett la philosophie de l'absurdité. Mais sa vision d'absurde est bien différente que celle de Camus et de Sartre. Beckett le plus commenté parmi les auteurs du théâtre de l’absurde est fondée sur un malentendu. Le théâtre de l'absurde se fonde sur la vision pessimiste de la condition humaine soutenue par la philosophie existentielle alors que le théâtre de Beckett rejette les attitudes et les positions de l’existentialisme comme l’engagement politique de Sartre ou l’humanisme de Camus. L'expression “théâtre de l'absurde”, souvent contestée pour cette raison, fait désormais partie de l'histoire littéraire. Elle a été inventée pour la première fois par le critique Martin Esslin en 1962 pour caractériser la formation de jeunes auteurs de la même génération : Samuel Beckett, Eugène Ionesco et Arthur Adamov dans les années 50. D’autres auteurs sont à rapprocher de ce trio tout en développant une esthétique personnelle : Boris Vian (farces satiriques), Jean Genet (travaillant pour un théâtre rituel, cruel et source de scandale), Fernando Arrabal (fasciné par la perversion cruelle, il remet en cause la dictature espagnole avec violence), Roland Dubillard (théâtre du malentendu, de la communication confuse) (David, 1966: 5556). Beckett dépasse les limites de ce genre qu'illustre parfaitement Ionesco. Son œuvre étant très mince par son volume ne repose nullement sur une thèse philosophique. La densité tragique qui se dégage des clowneries est une sorte d'appréhension 40 Fuat BOYACIOĞLU concrète du néant, de la dissolution du moi (Favrod, 1976: 66). Quand on prête l’oreille aux appréciations de Gaëton Picon au sujet de la philosophie nihiliste de Beckett, on peut voir la même chose: “Sa singularité et sa grandeur résident en ceci qu'il parvient à nourrir une création dont la spontanéité et l'abondance s'insèrent dans ce qui reste d'essentiel à la forme dramatique, de l'incitation au silence et de l'usure de la fiction; il ne se passe rien, et pourtant une tension existe, s'exaspère, et même une sorte d'espoir plane parfois ; si Godot arrivait, si la mort reculait, si les beaux jours revenaient, tout serait changé - et cette attente vaine nourrit la durée du récit et de faction scénique, parvient à nous tenir en halein jusqu'au bout” (Picon, 1978, p. 1365). Les récits de Beckett (Molloy, Malone Meurt, l'Innommable) constituent un monologue intérieur par lequel une conscience condamnée à parler toujours en vaine est rassasiée, parce qu'elle ne parvient pas à trouver le dernier mot. Ce dernier mot que la conscience humaine recherche est devenu la disparition de tout objet: le néant qui se manifeste dans le théâtre de l'absurde de Beckett. Gaeton Picon parle du théâtre de Beckett : “Le théâtre qui a gagné un plus large public, a donné paradoxalement une animation et une incarnation efficace à cette parole impersonnelle, sans sujet, ni lieu, et si proche du silence (...). Le langage chez Beckett est nu, pauvre, sans image et -malgré l'influence de Joyce- sans jeu, sans luxe verbale” (Picon, 1978: 1366). Ennemi de toute publicité, Beckett mène une vie très solitaire avec sa femme française. Timide, se défiant de lui-même, il se révolte contre toute interrogation. Il est très rare que les interviews soient faites avec lui. Quand on lui attribue le Prix de Nobel, il a été invité à le prendre au Suède. Mais, volant à la direction inverse, il a sauté les journalistes qui l'attendaient. Ce comportement de Beckett était bien conforme à sa nature. Il est impossible de s'imaginer que Beckett donnerait un discours sur son œuvre devant les auditeurs qui le savent : que diraitil Beckett qui a choisi la solitude toute sa vie? Qu'est-ce qu'il dirait sur son œuvre en continuant d'interroger la vie et la condition humaine, de plus alors qu'il ne sait pas les réponses à ses interrogations? Pourquoi écouterait-il les éloges alors que son œuvre est encore en train de se former et que sa mission n'est pas encore achevée. Cet homme naturel s'identifiait par une telle attitude à son œuvre basée sur le rien (Anamur, 1994: 5). Le roman traditionel et ses éléments classiques Le roman traditionnel expose une histoire émouvante, passionnante, attachante et intéressante autour de laquelle tournent de nombreux personnages dont les actes, les caractères et les sentiments sont profondément analysés. Pour comprendre En attendant Godot il faut jeter un bref coup d'œil à ses œuvres antérieures de Beckett. Si nous parlons grosso modo sur certaines définitions du roman, on comprend mieux la conception générale du roman qui se fonde sur les formes romanesques. La définition du roman des dictionnaires présente une approche traditionnelle du roman. Au cours des siècles, le roman traditionnel a formé une conception générale et définie chez ses lecteurs. C'est pour cette raison qu'il a construit un public qui lui est convenable. Non seulement il a reflété les goûts du public, mais aussi il les a créés. Il a joué et continue de jouer à cet égard la même fonction qu'aujourd’hui le cinéma (Bourneuf ve Ouellet, 1972: 7). C'est ainsi que le romancier traditionnel a totalement ou partiellement une culture romanesque chez son public. Certains lecteurs croyaient s'identifiaient aux personnages créés par le romancier dans son imagination. "Le lecteur et le romancier se berceront mutuellement dans L’envers Romanesque Dans Les Antı-Romans De Samuel Beckett l'illusion"( Bourneuf ve Ouellet, 1972: 39). Le romancier créait des types de personnage immuables considérés comme réels par son lecteur. Ainsi celui-ci était hypnotisé par celui-là. Par exemple, le personnage féminin Emma Bovary de Flaubert et le personnage masculin Don Quichotte de Cervantes étaient des lecteurs typiques des romans romantiques et chevaleresques qui leur promenaient dans le monde romanesque que le romancier a créé dans son imagination. C'est ainsi qu' "une convention tacite s'établit entre le lecteur et l'auteur: celui-ci fera semblant de croire à ce qu'il raconte, celui-là oubliera que tout est inventé"(Robbe Grillet, 1963: 29). Certains personnages sont si établis chez le public qu'une riche communauté s'est constituée. Donc le romancier traditionnel créait des types immuables et universels mieux symbolisés par les personnages balzaciens. André Gide les accusent d'être topiques et trop conséquents avec eux-mêmes (Gide, 1923: 169). A cause de l'opposition contre les formes romanesques du roman traditionnel, on a commencé à composer des romans antiromanesques, c'est à dire des anti-romans. Jean-Paul Sartre fait la définition de l'antiroman comme ainsi : "Un des traits les plus singuliers de notre époque littéraire*<+ l’apparition, ça et là, d’œuvres vivaces et toutes négatives qu’on pourrait nommer des anti-romans (qui) conservent l’apparence et les contours du roman; ce sont des ouvrages d’imagination qui nous présentent des personnages fictifs et nous racontent leur histoire. Mais c’est pour mieux décevoir : il s’agit de contester le roman par luimême, de le détruire sous nos yeux dans le temps qu’on semble l’édifier, d'écrire le roman d'un ro- 41 man qui ne se fait pas, qui ne peut pas se faire" (Sartre, 1964: 9.). Selon Michel Raimond "l'antiroman s'installe sur les débris ou les échafaudages des romans possibles (Raimond, 1976: 111). Dans l'anti-roman le romancier fait la critique du romanesque en contestant les conventions traditionnelles et les formes romanesques du roman traditionnel ou classique. Depuis 1955 environ, les problèmes de langage occupent une place importante dans le domaine de la littérature, aussi bien que dans les autres sciences sociales. Le langage est non seulement un instrument d'expression mais un objet à être soigneusement et patiemment traité. Il devient quand même un objet qui change la conception littéraire classique. Selon Roland Barthes qui met l'accent sur l'importance du langage, la littérature n'est pas autre chose que le langage, c'est-à- dire le système de signes qui fait l'expression de ce qu'elle transmet (Göker, 1982: 120). Le romancier s’utilisant de ce système de signes afin de transmettre son message à son lecteur prendra désormais pour sujet central les problèmes du langage à l’intérieur du roman lui-même. Pour cette raison, le roman changera de forme et de contenu avec les anti-romans des Nouveaux Romanciers. On appelle “Le Nouveau Roman” le roman qui donne une grande importance au langage” (Göker, 1982: 120). Les problèmes de l'écriture remplacent les éléments romanesques. Comme l'a bien dit Jean Ricardou “le roman n'est plus l'écriture d'une aventure, mais l'aventure d'une écriture ”(Ricardou, 1967: 111). Chez Beckett aussi ce ne sont pas les thèmes qui définissent son œuvre mais ce sont le langage et l’écriture employés pour les exprimer et pour les mettre en scène. C’est ainsi qu’un nouveau tournant littéraire se manifeste dans le domaine de la 42 Fuat BOYACIOĞLU littérature comme dans les domaines des autres branches de la science après les deux guerres mondiales qui ont causé l'inquiétude, l'angoisse et la détresse chez les hommes fatigués de vivre sous les conditions difficiles à supporter. Edmonde Richer définit ce climat : “rejetant encore plus systématiquement que leurs prédécesseurs immédiats non seulement les thèmes, mais aussi les genres et les moyens d'expression dits classiques, de jeunes écrivains tentent de créer un roman, le Nouveau Roman appelé aussi anti-roman, et qui se constitue avec l'anti-théâtre et des recherches révolutionnaires en poésie ce que Claude Mauriac a appelé l’alittérature contemporaine”(Richer, 1978: 239). La conception anti romanesque de Beckett Ici, il faut se demander pourquoi Samuel Beckett mérite d’être considéré comme un romancier ou dramaturge contemporain. Il suffirait, à notre avis, de voir ce que dit Jean Claude Berton à ce sujet : “L’univers de Beckett est très déconcertant: il s’intéresse à des personnages minables, vagabonds ou clochards dont la psychologie est très élémentaire, et qui sont voués, la plupart du temps, à une existence larvaire, à une déchéance mortelle”(Berton, 2002: 140). Les œuvres “théâtrales” et “romanesques” de Beckett ont l’objectif commun: atteindre une nudité de langage, ou plus exactement de parole, qui est l’instrument d’exprimer la condition humaine. C'est cette visée qui donne à la fois leur vérité universelle et un dépouillement presque abstrait à ses œuvres (Berton, 2002: 74). La simplicité et la nudité d’exprimer la condition humaine par des expressions simples du langage mais de profonds sens philosophiques, donnent une valeur universelle et une réputation mondiale à ses œuvres. A peu près dans toutes les œuvres de Beckett, les thèmes exposés sont les mêmes: le temps humain, l'attente, la quotidienneté, la solitude, l'aliénation, la mort, l'errance, la non-communication, la déchéance, et aussi plus rarement l'espoir, le souvenir, le désir. Toutes ces particularités humaines sont celles de l’homme du XXe siècle, lassé et angoissé de deux guerres mondiales. L’originalité de l’œuvre beckettienne, ce n’est pas d’exposer ces thèmes connus mais c’est la forme de les exposer par un langage simple. La nudité du langage simplifie ces thèmes philosophiques pour que le public de lecteurs ou celui de spectateurs les comprenne facilement. Les personnages beckettiens se posent des questions sur leur existence, leur identité et leur vie future. Leur seule consolation est l’acte de parler toujours afin de se libérer de cette situation infernale de la vie. Cela leur donne la sensation d’exister et d’oublier leur misère et leur solitude dans le monde. L’oeuvre de Beckett nous présente en particulier une galerie de clochards, de vagabonds, de vieillards, de clowns, de moribonds ou de malades que nous rencontrons dans la vie quotidienne. Ces personnages ordinaires peuvent s’adresser à l’homme de la rue. Celui-ci pourrait trouver un aspect familier ou une réflexion de sa personnalité chez eux. “Mais ces personnages n'ont pas de psychologie, pas d'individualité au sens classique: ce sont des ombres, des figures, des incarnations d'une certaine condition humaine, et surtout, ce sont des voix ” (Castex, Surer et Becker: 918). C’est pour cette raison que le lecteur ou le spectateur ne pourrait pas s’identifier à ces personnages désincarnés de leur réalité humaine et isolés de toute appartenance sociale. A l’opposé des personnages beckettiens, les personnages traditionnels peuvent remplir de diverses fonctions dans l’univers fictif créé par l’auteur. Ils peuvent être décoratifs, agents de l’action, porte-paroles de leur créateur, êtres humains fictifs avec leur façon d’exister, de sentir, de percevoir les autres et le monde (Bourneuf ve Ouellet, 1972: 159). Ils sont présentés comme des êtres immuab- L’envers Romanesque Dans Les Antı-Romans De Samuel Beckett les et conséquents avec eux-mêmes alors qu’ils sont des types fictivement créés par son auteur dans son imagination. Le romancier traditionnel adoptait la réalité en état de changement dans un rapport logique et cohérent. Selon Paul Adam, “chaque personnage traditionnel (était) un total de vices et de vertus, d’héroïsmes et de platitudes” (Raimond, 1985: 206). La considération d’un personnage par le romancier traditionnel comme un condensé de vices ou de vertus est contraire à la réalité subjective. En revanche, le romancier moderne considère la réalité comme subjective et ainsi veut parvenir à la réalité changeante en faisant la multiplication des points de vue des différents personnages. Beckett considère la réalité comme subjective. Ses personnages sont devenus anti-héros désincarnés et opposés aux héros traditionnels “(...) en qui se résument les caractères d’une classe sociale, d’une profession, d’une forte passion”(Bourneuf ve Ouellet, 1972: 159). Désincarnés et libérés de leurs corps, les personnages beckettiens parlent seulement et prononcent des voix. Toute l’œuvre de Beckett est l’émergence des voix des personnages qui ne cessent pas de parler sur une certaine scène et dans un certain espace. Ces personnages ne rompent pas le silence universel qui les entoure et ils sont seulement là. Ils ne disent rien, ne proposent rien, ne racontent rien: ils parlent comme les bouches qui s’ouvrent et se ferment. Ainsi la voix de L'Innommable parle: “Il faut donc continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu'il y en a, il faut les dire, jusqu'à ce qu'ils me trouvent, jusqu'à ce qu'ils me disent, étrange peine. Il y a complète désintégration. Pas de Je, pas de Avoir, pas de Etre, pas de nominatif, pas d'accusatif, pas de verbe. Il n'y a pas moyen de continuer...A la fin de mon œuvre, il n'y a rien que de poussière: le nommable”( 43 http://www.acstrasbourg.fr/pedago/lettres/lectur) Beckett veut faire allusion à la condition humaine dans le monde. C’est sur le néant qu’il veut baser l’existence de l’être humain qui est né, qui a vécu et qui est mort dans un espace et dans un temps déterminé. Et dans Textes pour rien : “C'est avec mon sang que je pense... C'est avec mon souffle que je pense... Les mots aussi, lents, le sujet meurt avant d'atteindre le verbe, les mots s'arrêtent aussi. Mais je parle plus bas, chaque année un peu plus bas . Peut-être plus lentement aussi, chaque année un peu plus lentement” (http://www.acstrasbourg.fr/pedago/lettres/lectur e ). Ce qui est important pour Beckett, c’est la puissance des voix ainsi que l’exprime un proverbe turque : “C’est une voix agréable qui survit dans la voûte céleste”. Ces voix qui sont sorties des bouches des personnages désincarnés de leurs corps paraissent de plus en plus sur le point de se taire, de s'éteindre, de s'engloutir dans le silence, c'est-à-dire dans le néant (http://www.acstrasbourg.fr/pedago/lettres/lectur e). Dans l'œuvre de Beckett, ce qui nous parle, ce n'est pas un certain Samuel Beckett, né à Dublin, etc., mais une voix qui est celle de l’être humain ou de toute l’humanité: “J'ai à parler, écrit Beckett, dans L'Innommable, n'ayant rien à dire, rien que les paroles des autres ”(http://www.acstrasbourg.fr/pedago/lettres/l ecture). Le fait que Beckett a su écrire les paroles des autres, de n'importe quel pays en n'importe quel autre, dans nulle part de l'existence souffrante et profonde, telle est la grandeur de l’œuvre beckettienne. On a cherché dans les livres et les pièces de Beckett une “métaphysique de la condition humaine”. Bien qu'il y ait chez lui, certes, une véritable intensité métaphysique existentielle, il faut la chercher là où elle se trouve, c'est-à-dire au niveau du langage. Dans Têtes mortes, Beckett fait cet aveu surp- 44 Fuat BOYACIOĞLU renant: “J'ai l'amour du mot, les mots ont été mes seuls amours, quelques-uns ” (http://www.acstrasbourg.fr/pedago/lettres/lectur e). Du moment que les personnages beckettiens s’affaiblissent et deviennent désincarnés, l’action ou l’histoire s’amaigrit parallèlement aux personnages. On voit l’appauvrissement de l’histoire chez Beckett. James Joyce, le lointain maître de Beckett, écrivait dans Ulysse: “L'histoire est un cauchemar dont je souhaite m'échapper” (http://www.acstrasbourg.fr/pedago/lettres/lectur e). Dans son œuvre, Beckett échappe à l'histoire: tout ce qui se passe dans ses textes se réduit aux dimensions d'un être insituable et insitué au-delà de l'histoire. Peut-être a-t-il été aidé en cela par le passage de l'anglais au français, phénomène sans doute rare dans la littérature mondiale. Le français de Beckett paraît sans lien avec le français des œuvres littéraires de ce siècle. On ne croirait pas que son œuvre prenne place dans l'histoire de la littérature moderne française : comme la voix qu'elle laisse parler, comme ses personnages égarés ou agonisants, elle est sans lieu. La philosophie existentialiste de Beckett est appréciée et commentée parallèlement à celles des philosophes comme Descartes, Heidegger, Nietzsche et Sartre (Yüksel, 1993: 6). Mais Beckett se dresse contre la fixation de ses œuvres dans un certain courant. Bien qu'elles appartiennent au XXIème siècle, toutes les œuvres de Beckett ont un caractère qui embrasse tous les temps et tous les espaces de l'être humain sur la Terre. C’est En attendant Godot qui reflète la meilleure conception littéraire et philosophique de Beckett. La réflexion de la conception antiromanesque de Beckett dans ses antiromans Murphy, l’anti-roman de Beckett d'abord écrit en anglais (1938), a été traduit en français par Beckett en 1947. C'est le roman de la dérision humaine. Le personnage Murphy est un héros dont la plus grande joie est de rester assis, nu et de goûter de se trouver dans Hyde Park. Il n'exerce aucun métier. Il a pour maitresse une prostituée, Celia. Il finit par être engagé comme infirmier à la M.M.M.M. (Maison Madeleine de La Miséricorde Mentale) qui est une sorte d'asile de fous. Un jour, il se suicide et son dernier désir est qu'après incinération, les cendres de son corps soient jetés dans les privés d'un théâtre de Dublin et que la chasse d'eau soit triée sur eux, de péférence pendant le spectacle, le tout à exécuter sans cérémonie, ni montre de chagrin. En fait, son voeu ne sera pas accompli, car les cendres répandues sur le sol d'un café, seront finalement balayées avec la sciure, la bière, les mégots, la casse, les allumettes, les crachats, les vomissures. Ce personnage pitoyable qualifie ce monde de fiasco. S'il refuse de participer à ses semblables conformistes, c'est qu'il mène une vie anticonformiste. Murphy est entourée d'une série de grotesques: Kelly, le grandpère paralysé qui joue au cerf-volant; Mlle Carridge, la logeuse qui sent si mauvais; le directeur de la M.M.M.M., le docteur Angus Killiecranckie; le poète Ticklepenny tendrement uni à Bim, l'infirmier-chef. Tous ces personnages grotesques décrits avec dérision illustrent le rien et le néant. Ils sont l’antithèse des héros traditionnels. Grâce à l'extériorité grotesque et étrange que Murphy établit entre le lecteur et les personnages grotesquement exposés, Beckett vise à échapper à la double absorption du romancier en son personnage, du lecteur dans le héros qui menace tout romancier. C'est ainsi que le lecteur ne pourrait pas s'identifier avec eux parce qu'ils sont marionnettes qui ne sont pas digne d’être imités. “Un lecteur habitué aux solides jalons réalistes et aux fortes peintures saturées, d'attendus du roman post-balzacien, peut se sentir désarçonné, voire mystifié ”( Chartier, 1991: 11). Le lecteur du roman traditionnel considérait comme réel la fiction construite L’envers Romanesque Dans Les Antı-Romans De Samuel Beckett par le romancier traditionnel dans son imagination. Il prenait conscience de son identification avec le narrateur qui le menait dans le monde fictif du roman. Il possédait une vision romanesque que lui fournissait le romancier traditionnel. Selon Claude-Alain Chevalier, le romanesque est de voir “la réalité à travers le prisme déformant des romans”( Chevalier: 1993, 115). Beckett ne vise pas à constituer des états sentimentaux sur ses lecteurs en créant des personnages romanesques. C’est pourquoi, il s’efforce de créer des caractères antiromanesques que son lecteur ne pourrait pas considérer comme personnes en os et en chair dans la vie réelle. Jean Hytier définit le romanesque contre lequel se dresse Beckett: “l'art du roman vise à créer chez le lecteur des états sentimentaux qui le font toucher à la poésie. C'est même là ce qu'on appelle le romanesque ”( Hytier:1946, 143). Samuel Beckett cherche à se moquer avec ironie du personnage traditionnel en créant des types grotesques et étranges et en les tournant en ridicule. Son but est d'empêcher que son lecteur s'identifie à ces personnages ridiculisés. Le second roman de Beckett, c'est Watt publié en anglais en 1953, traduit en français en 1968. La guerre éclate en Europe pendant que Beckett visite sa mère. Beckett préfère quitter sa terre natale en paix pour combattre l'ennemi nazi dans la résistance française. En août 1942, il doit toutefois s'enfuir en zone libre, parce qu'on le recherche. Il trouve un travail comme ouvrier agricole dans une ferme de Roussillon en Vaucluse. Malgré le travail difficile, Beckett trouve le temps d'écrire son deuxième roman, Watt. Ce roman marque une date dans l'évolution des personnages créés par le romancier. Le protagoniste du roman se distingue par son costume ridicule; physiquement il porte le chapeau “melon” et les deux sacs propres aux héros beckettiens; socialement il est un vagabond entré au service d'un certain 45 M. Knott; psychologiquement il est un hésitant: la pensée de quitter la ville lui était douloureuse mais celle d'y rester était également douloureuse. Il se dirige vers la gare en souhaitant manquer son train. Intellectuellement, il veut à tout prix prendre le sens des choses. Dans ce roman il s’agit de la clownerie, du vagabondage et de l’hésitation du personnage principal. Ce roman vise évidemment à étaler une contestation générale et une révolte immanente et intrinsèque contre la vie conformiste et accommodante. Son roman Mercier et Camier traduit et publié en français en 1970, raconte l'histoire de deux hommes qui n'ont pas de domicile. Ils représentent les maladroits, les damnés, les faibles et les infortunés dans la vie réelle. Leur aspect misérable est encore accentué par leur dissemblance physique: l'un est un petit gros, rougeaud, un homme aux cheveux rares, aux multiples mentons, l'autre est un homme maigre et barbu, qui se tient à peine debout. Il s’agit du contraste entre ces deux personnages. Ils sont l'apparition moderne de Don Quichotte et de Sancho Pança de l'anti-roman Don Quichotte de Cervantes. Ils sont eux aussi en quête d'aventure. Son roman L'Expulsé est l'histoire d'un homme qui a été chassé de son logis en cherchant en vain une chambre à s'abriter, qui a passé la nuit dans une remise et qui, à l'aube, repart en déclarant: “Je ne sais pas pourquoi j'ai raconté cette histoire. J'aurais pu tout aussi bien en raconter une autre. Peut-être qu'une autre fois je pourrai en raconter une autre. Ames vives, vous verrez que cela se ressemble ”( http://naik-feillet.over-blog.com/article24735218.html ). Il s'agit de la réfutation de l'histoire par cette phrase qui fait une douche froide sur le lecteur. Il serait utile de marquer qu'il y a une ressemblance entre l'Explusé de Beckett et le 46 Fuat BOYACIOĞLU Prométhée mal enchaîné de Gide au sujet de l’auto-création et de l’auto-destruction de l’œuvre. Dans Prométhée mal enchaîné, Prométhée ayant causé la mort de Damocles dit au lieu de pleurer: “A propos, une anecdote... Mettons que je n'ai rien dit ”(Gide: 1925,136). La phrase destructive “mettons que je n'ai rien dit” de Prométhée enlève toute la sérosité à l'œuvre, cause le rire et brise l'émotion du lecteur. Le protagoniste de l'Expulsé dit qu'il ne sait pas pourquoi il a raconté son histoire et il fait allusion à l'inutilité de raconter son histoire. S'il a dit cette parole destructive c'est parce qu'il réfute le roman et que le roman est dénué de tout sens et de tout fondement. La troisième nouvelle c'est la Fin. Cette nouvelle est la narration d'une errance qui conduit le héros à s'installer dans un canot et à y trouver physiquement et moralement son confort. Ce confort du protagoniste est incapable de guérir son mal profond. Ainsi s’achève la Fin: “Je songeai faiblement au récit que j'avais failli faire récit à l'image de ma vie, je veux dire sans le courage de finir ni la force de continuer ” (Marteau, http://pagesperso-orange). Le récit de Beckett, c'est celui de l'impuissance. Dans la plupart des œuvres de Beckett, il s'agit de l'expression du récit de l'échec. Chez Beckett on voit un protagoniste qui s'efforce de narrer sa propre histoire et qui vit une aventure tragique de sa vie. Au XXe siècle, chez certains écrivains on voit la description de cette impuissance d'écrire une œuvre bien établie et ménagée selon les conventions traditionnelles. C'est ainsi que le lecteur contemporain ne doit plus attendre de l'écrivain contemporain un livre qui expose une histoire émouvante, passionnante et attachante que tissent de nombreux personnages. Dans le roman contemporain, “on ne suit plus l'évolution d'un héros romanesque ou d'un groupe social”(Bourneuf ve Ouellet, 1972: 7) en qui se résument les caractères d'une classe sociale, d'une profession et d'une forte passion. Tous les éléments du récit sont mobilisés pour éclairer leur situation individuelle et sociale. Chez Beckett on ne voit plus l'histoire attachante et passionnante qui coupe l'haleine, l'évolution graduelle des personnages romanesques, l'omniscience, l'omnipotence, l’omniprésence du narrateur en tant qu’Auteur-Dieu et la structure traditionnelle de l'intrigue. Beckett expose le rien fondamental dans son Molloy et son Malone meurt. Son œuvre Molloy présente deux parties bien distinctes, centrées sur deux personnages différents Molloy et Moran. Molloy recherche sa mère, mais quand il est arrivé dans sa chambre, elle est morte; et Moran qui a reçu l'ordre mystérieux de retrouver Molloy, son père sans doute, parcourt en vain son pays et revient à domicile sans avoir pu mettre la main sur lui. Les personnages Molloy et Moran ont de nombreuses ressemblances: l'un et l'autre sont des vagabonds à demi infirmes qui traversent des lieux à peu près similaires et rencontrent, chemin faisant, des personnages de même nature. On peut les regarder comme deux symboles presque similaires d'une misère commune de l'être humain. C'est la misère de la condition humaine. C'est dans cette misère humaine que semble résider le sens de l'œuvre de Beckett. Malone meurt (1952) est l'histoire d'un homme qui attend de mourir. La mort sera le soulagement pour lui mais qu'est-ce qu'il fera pendant quelques mois ou semaines qui lui restent? Il décrira sa situation présente, imaginera des histoires et fera l'inventaire de ses possessions. Il vit impuissamment dans sa chambre, ne sachant plus son âge. Il vit couché sur un lit d'où il remue ses affaires entassées dans un coin pêle-mêle. Les histoires qu'il raconte concernent des personnages hautement ridicules: Louis le tueur de cochons, Macman, l'aliéné. Quant à ses possessions dont il a fait l'inventaire, elles ne lui satisfont guère. Dans cette œuvre, l'existence est réduite au nihilisme fondamental: naître, c'est mourir. Le bonheur et le malheur sont impos- L’envers Romanesque Dans Les Antı-Romans De Samuel Beckett sibles à distinguer. Avec l'Innommable (1953) la conception anti romanesque de Samuel Beckett est arrivée à son point culminant. Selon Maurice Bruézière, l'art de Beckett paraît être arrivé à ses limites. Le narrateur, plus privé encore que ne l'étaient “Les Murphy, Molloy et autres Malone” est un homme-pot: piqué à la manière d'une gerbe, dans une jarre profonde, dont les bords arrivent jusqu'à la bouche, au bord d'une rue peu passante aux repos enfin”(Bruezière, 1975: 405) . Les autres personnages veulent lui donner un nom, mais il s'appellera par de différents noms au cours du roman, tantôt Mahood (fabricant de capuchon en anglais ancien), tantôt Worm (le ver en anglais). C’est pour le changement du nom du héros que Robbe-Grillet dira dans Pour un Nouveau Roman: “ ...Beckett change le nom et la forme de son héros dans le cours d'un même récit”(Robbe-Grillet, 1963: 33). Dans le roman contemporain, le nom patronymique du héros s’anéantit et s’appauvrit au fur et à mesure qu’il soit dégagé de toute appartenance sociale et évacué de tout contenu psychologique. Le héros de l'Innommable dit: “II n'y a pas de nom pour moi, pas de prénom pour moi” (Bruezière, 1975: 405). Vivre pour lui, c'est seulement parler sans cesse pour passer le temps. Il dit: “Je ne me tairai jamais. Jamais” (Bruezière, 1975: 405) . Dans l'Innommable, il s'agit de la contestation du langage. Le langage est composé de mots. Ces mots sont les mots inventés par les autres hommes alors ils sont falsifiés et préproduits. C'est ainsi que la méfiance du héros envers les mots se métamorphose en contestation du langage. Le héros est sceptique envers le langage. A ce sujet, Maurice Nadeau dit: “La contestation du langage s'accompagne d'une contestation de l'œuvre. Condamnés à parler, les héros de Beckett s'occupent à nier ce qu'ils viennent d'affirmer, à dire en même temps oui ou non. S'il faut 47 parler, du moins que ce soit pour ne rien dire”(Cité par Melese, 1966:160). Beckett exige que toute son œuvre soit rongée de l’intérieur et porte en elle sa propre réfutation afin d’empêcher que l’illusion romanesque fascine l’esprit du lecteur et qu’il considère le fictif comme réel. L’œuvre beckettienne est rongée de l’intérieur au fur et à mesure qu’elle progresse. Au XXe siècle les problèmes du langage se placent à l'ordre dans la littérature. La linguistique joue un rôle important dans toutes les branches de la science parce qu’elle est “l'étude de la nature et du fonctionnement du langage appréhendé à travers la diversité et l'évolution des langues dans toutes leurs modalités ”(http://www.cnrs.fr/). Il s’agit d’une relation étroite entre la linguistique et la littérature. Bien que la littérature ne soit pas spécialement l’objet de la linguistique, elle est l’œuvre du langage. Cet instrument de communication devient le sujet de recherche de la littérature. L'augmentation des études linguistiques conduit l'écrivain à une méfiance envers le mot et sa signification (Azzi, 1990: 5 ve Göker, 1982: 120). Le langage n'est plus l'instrument de narration, mais il devient le sujet lui-même (Bourneuf ve Ouellet, 1972: 7). Sous cette atmosphère, Samuel Beckett comme beaucoup d’auteurs contemporains s’occupe des problèmes du langage et de la parole. Selon Nadeau “il ne restait plus, après cela, à l'auteur qu'une alternative: se taire ou se répéter. D'En attendant Godot à la Dernière Bande à Oh les Beaux jours, Beckett suit un mouvement parallèle. A la fin, il n’y a plus sur scène qu'un personnage qui parle. La réalité ultime demeure le mot, mais un mot qui ne veut rien dire et qui fait pouffer de rire par son inanité ” (Albérés, 1970: 120). Dans Comment c'est il s’agit d’un narrateur qui raconte au lecteur l'histoire de sa vie divisée en trois parties qui sont intimement liées à sa rencontre avec un de ses 48 Fuat BOYACIOĞLU semblables, qu'il appelle Pim : “comment c'était avant Pim”, “comment c'était avec Pim” et “comment c'est après Pim”. C'est d'abord une reptation solitaire dans la boue et le noir. Le narrateur traîne avec lui un sac dans lequel il transporte ses vivres. En avançant à tâtons dans la boue, il découvre ce Pim, avec qui il passe une longue période. Dans ce temps, il entreprend de communiquer avec lui, il le torture pour le faire parler. Puis se retrouvant à nouveau seul, à ramper dans la boue, il s'interroge sur son existence, sa vie, Pim, les autres, etc. Dans cette troisième période d'immobilité solitaire, il entend et il répète, c'est le texte que nous lisons une voix dans un style fragmenté. Comment c'est constitue le chef d'œuvre de Beckett dans le domaine du roman (http://fr.wikipedia.org/wiki/Comment c’est). Dans Comment c'est (1961) celui qui parle c'est une larve humaine. Tout le livre raconte la lamentation d'une larve qui vit à croupetons sous le soleil ou sous la pluie, sans rien comprendre son existence. Le voyage difficile de la larve symbolise le voyage et l'aventure humaine depuis sa naissance jusqu’à sa mort sur la terre. La transformation de l’être humain en une larve signifie le néant humain. CONCLUSION Au XXe siècle, on voit la réaction contre les formes et les conventions du passé dans tous les domaines littéraires. Ces réactions se forment dans le genre romanesque et le genre théâtral. L'anti-roman et l’anti-théâtre sont les productions de ces réactions. Ils cherchent à secouer le lecteur ou le spectateur en le mettant directement en face des situations inhabituelles. A cet égard, il y a une parenté ou une intention commune entre l'anti-roman et l'antithéâtre qui ont but de déranger le public, de le sortir de ses habitudes paresseuses et de lui faire penser en faisant table rase du passé. Samuel Beckett a rédigé à la fois des anti-romans et des anti-théâtres. Son En attendant Godot est l'un des exemples les plus beaux de l'anti-théâtre ou du théâtre de l’absurde. Cette pièce théâtrale est à la fois un théâtre absurde et un théâtre de dérision. Dans cette étude nous avons essayé d’exposer comment Samuel Beckett remet en problématique le roman traditionnel et ses éléments classiques comme l’histoire, le personnage, le temps et l’espace. Le roman beckettien est un antiroman qui conserve l’aspect général et le cadre du roman classique. Il vise à contester le roman traditionnel et ses éléments constitutifs pour mieux décevoir et déranger le lecteur habitué aux lois du roman traditionnel et aux fortes passions des personnages classiques. Dans le roman de Beckett, on ne voit plus l’évolution psychologique d’un personnage romanesque représentant une réalité sociale et une action bien dessinée autour de laquelle tournent un certain nombre de personnages dont les actes et les sentiments sont décrits en profondeur. OUVRAGES CITÉS Abbott, H.Porter (1990)."Late Modernisme: Samuel Beckett and the Art of Oeuvre" Around the Absurd, (Récueilli par Enoch Brater-Ruby Cohn) Ann Arbour, Editions de l'Université de Michigan. Anamur, Hasan (1994). Beckett'le Godot'yu Beklemek (Attendre Godot avec Beckett) in Samuel Beckett, Godot'yu Beklerken (En Attendant Godot) traduit en turc par Hasan Anamur, Istanbul, Editions de Can. Boros Azzi, Marie-Denise (1990). La Problématique de l'écriture dans les Faux-Monnayeurs d'André Gide, Paris, Ed. Lettres Modernes. Bourneuf, Roland ve Ouellet, Real (1978). L'Univers du Roman, Paris, PUF, 1972. L’envers Romanesque Dans Les Antı-Romans De Samuel Beckett Brenner, Jacques (1978). 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