Avec ou sans voix, accroître la qualité de vie!

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Avec ou sans voix, accroître la qualité de vie!
Avec ou sans voix, accroître la qualité de vie!
Brigitte Soucy, B. Éd., agente de développement, Le Pavois, et Myreille St-Onge,
Ph. D., psychologue et professeure, École de service social, Université Laval
Présentation du programme « Mieux vivre avec
les voix »
Depuis quelques années, par l’entremise du programme
« Mieux vivre avec les voix », Le Pavois donne un soutien
individuel et de groupe aux personnes qui entendent
des voix. Ce programme a pour objectif d’appuyer ces
personnes dans une reprise du pouvoir par rapport à leurs
voix, mais également par rapport à leur qualité de vie.
Nous avons, dans ce service, la particularité d’accueillir la
personne dans son unicité, c’est-à-dire en acceptant, sans
jugement, l’ensemble de ses expériences de vie, incluant
ses perceptions extrasensorielles, qu’elles soient auditives,
visuelles, tactiles, gustatives ou olfactives. Ce programme,
orienté vers l’espoir, l’action et l’actualisation de soi, vise
à créer un climat d’ouverture, de respect et d’empathie
parmi les participants. Les postulats à la base de cette
intervention préconisent que la personne s’appuie sur ses
propres valeurs et croyances pour conquérir un pouvoir
personnel sur ses voix et sa vie. Le volet d’intervention de
groupe axé sur les voix s’inspire particulièrement des écrits
de précurseurs dans le domaine : Coleman et Smith (1997),
Baker (2000), Romme et Escher (1993), Deegan (1995). Quant
au suivi individuel basé sur les forces et le rétablissement,
le programme découle des travaux de Ridgway et coll.
(2009), de Soucy et Bourque (2008) et de Rapp et Goscha
(2006). C’est en alliant les forces de ces deux approches que
nous nous distinguons des autres types de groupes existant
à l’intérieur du réseau international des entendeurs de
voix réunissant des organisations de plus de 20 pays (voir
www.intervoiceonline.org).
Le partage de stratégies d’adaptation par rapport
aux voix
Au fil des semaines, les rencontres en groupe permettent
aux personnes de se libérer du tabou relié entre autres au
regard négatif que porte la société sur cette expérience.
Elles contribuent également à libérer des émotions
négatives associées au fait de cacher cette expérience, mais
aussi celles générées par le contenu et l’intonation des
voix, comme la peur, la colère, l’anxiété. Les participants
découvrent des stratégies d’adaptation facilitant la gestion
des voix afin qu’elles n’interfèrent pas négativement avec
leurs activités. Voici quelques stratégies partagées dans
le groupe : écouter de la musique avec des écouteurs,
lire à voix haute, se concentrer sur les voix positives,
encadrer dans le temps l’expression de ses voix, entrer
en communication avec elles. L’entraide, les témoignages
et l’appui que s’échangent les participants en parlant de
leur vécu, de leurs trucs, de leurs succès leur font réaliser
qu’ils ne sont pas seuls à vivre ce phénomène. Cela est
également une source d’espoir et d’action vers leur mieuxêtre qui dépend de leur potentiel d’épanouissement, avec
ou sans voix.
Le travail de l’agente de rétablissement
Parallèlement au groupe, une agente de rétablissement,
dans l’esprit du modèle des forces, accompagne chaque
personne dans l’actualisation d’un projet de vie et dans
la recherche de moyens pour mieux vivre avec les voix.
Bien souvent, la personne vit une détresse importante
liée au caractère malveillant de ses voix (voix négatives,
autoritaires, injurieuses, menaçantes) (Chadwick et
coll. 2000). Si nous insistions uniquement sur les voix,
les participants pourraient s’enliser facilement dans
l’impuissance, l’inaction et la souffrance, particulièrement
s’ils ne jouissent pas de liens sociaux et affectifs significatifs
et qu’ils ne participent pas à des activités épanouissantes.
Nous accordons une grande valeur au soutien personnalisé
axé sur les forces puisqu’il insuffle de l’espoir en faisant
émerger des aspirations personnelles à travers l’exploration
et la mise en œuvre de projets selon différentes sphères
de la vie : résidence et milieu de vie, relations affectives
et sociales, loisirs, travail, spiritualité, santé, éducation.
L’agente de rétablissement assume ainsi le rôle de
cocréation du mieux-être de la personne.
La transformation de l’expérience
Avec un appui de groupe et individuel, certaines personnes
arrivent à donner un sens à leurs voix en les intégrant, sur les
plans psychologique, spirituel, parapsychologique ou autres,
à l’intérieur de leur continuum de vie. Le soutien offert par
le groupe et l’agente de rétablissement ouvre de nouvelles
voies qui aident la personne à transcender cette difficulté.
D’une situation orientée vers la maladie, elle trouve un autre
sens pour et par elle-même. Pour certains, il s’agira de voix
conseillères et aimantes qui les stimulent à vivre pleinement
leur vie, ou d’une source d’inspiration et de créativité; pour
d’autres, ce sera une meilleure connaissance de soi et de
respect de soi, ou l’émergence d’une vie spirituelle plus
ancrée dans leur propre existence.
Les possibilités d’un tel parcours de rétablissement
dépendent non seulement de l’engagement des personnes,
mais aussi de nos propres capacités et compétences, en
tant qu’intervenants, à explorer avec confiance ces avenues
conduisant à une déstigmatisation d’une expérience porteuse
de sens.
Le fait d’entendre des voix est un phénomène humain. En
effet, contrairement à ce que l’on croit, de 4 à 25 % de la
population entendrait des voix (Beck et Rector 2003). Ce
phénomène serait présent dans diverses situations : veuvage,
déprivation sensorielle et isolement, déficiences sensorielles,
et aussi lors du début et de la fin du sommeil (Watkins
2008). Mais avec l’avènement de la psychiatrie biologique,
entendre des voix est quasi exclusivement vu sous l’angle
de la symptomatologie, limitant ainsi le pouvoir d’agir
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de la personne. Dans cette perspective, l’option fortement
recommandée, et parfois imposée à la personne, est de
supprimer les voix (considérées comme des hallucinations
reliées à une maladie) par la prise d’une médication
neuroleptique. Bien que cette dernière est d’un précieux
secours pour une bonne partie des gens, pour d’autres, elle
n’a aucun effet sur les voix; on rapporte que c’est le cas
pour 25 à 50 % des personnes (Newton et coll. 2005). Pour
certaines, les effets secondaires indésirables les empêchent
d’avoir une pleine conscience de ce qui leur arrive et
renforcent ainsi la croyance que les voix sont incontrôlables
et puissantes. D’autres, parce qu’elles entendent des voix,
sont convaincues d’être gravement malades et tardent
ainsi à prendre des actions pouvant améliorer leur qualité
de vie. Tout ceci concourt à ce que la personne subisse ses
voix, expérimente de la détresse, de l’incompréhension et
de l’isolement. Il en est de même pour ses proches qui trop
souvent, en raison d’un manque d’appui et d’information,
vivent eux aussi de l’impuissance, de la honte, de la tristesse,
de la colère, etc.
Différents témoignages d’entendeurs de voix qui se sont
rétablis nous montrent la nécessité d’agir sur ces deux
aspects : la gestion des voix et le rétablissement. En effet,
nous avons été témoins de l’amélioration de la qualité de
vie de participants qui, à la suite d’un engagement dans un
projet significatif, ont vu leurs voix négatives s’atténuer ou
sont parvenus à ce que leurs voix positives se soient accrues.
Ceci stimule les participants à exercer un pouvoir sur les
voix et, par ricochet, sur leur vie.
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Que les voix soient positives ou non, les participants sont
conduits à valider, à invalider ou à remettre en question les
suggestions, les conseils, les ordres, les menaces ou autres
commentaires que les voix leur dictent. Nous considérons
avant tout que la personne sait (ou doit découvrir à son
propre rythme) ce qui est bon, juste et sain pour elle. Il est
essentiel que ce soit elle qui prenne position pour et par
elle-même par rapport au contenu de ses voix. C’est en
observant les conséquences de ses propres choix qu’elle peut
poursuivre une vie remplie de sens. Nous croyons en effet
que cette voie, où la personne découvre et affirme sa propre
valeur et ses choix, est la plus prometteuse pour acquérir
une confiance en soi solide et entreprendre une réelle reprise
de pouvoir.
Pour en arriver à cette étape, l’ensemble des interventions
– l’appui du groupe, le témoignage de personnes ayant
expérimenté ce processus, le soutien individualisé de
l’agente de rétablissement – s’avère primordial. D’un côté,
la personne commence graduellement à désapprouver ou à
approuver le contenu des voix, à délimiter dans le temps les
échanges avec celles-ci selon ses propres choix. D’un autre
côté, elle explore et choisit un ou des projets de vie, agit
pour les réaliser avec l’agente de rétablissement qui l’aide à
trouver une « niche habilitante » (Rapp et Goscha 2006) pour
potentialiser ses aspirations et ses compétences. Ces deux
éléments se renforcent, se complètent et s’influencent pour
l’amélioration de sa qualité de vie.
Pour reprendre l’expression de Coleman et Smith (1997) :
« From victim to victor », d’une expérience difficile où
la personne subissait ses voix, elle agit graduellement
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pour devenir plus active et découvrir son potentiel de
« conquérant » jusqu’à celui de « vainqueur ».
Pour mieux aider et accompagner ces personnes, nous
devons nous interroger quant aux perceptions que nous
avons des entendeurs de voix. Quelles sont les émotions
qui nous habitent? Quelles sont nos croyances vis-à-vis de
ce phénomène? Croyons-nous qu’il s’agit uniquement d’une
expérience pathologique? Sommes-nous convaincus que ces
personnes peuvent s’épanouir et contribuer activement à
notre société? Avons-nous peur de ces personnes? Pour Rapp
et Goscha (2006), cette peur que nous avons de l’expérience
extraordinaire de certains membres de la collectivité est
l’un des aspects qu’ils qualifient de « mur de Berlin »
du rétablissement. Le slogan « la peur paralyse, l’action
délivre », utilisé par des militantes féministes au début des
années 1980, reflète l’importance de transcender cette peur
nous-mêmes si l’on veut aider ces personnes à entreprendre
leur propre chemin vers le rétablissement.
Osons accueillir cette expérience sous l’angle humain et
osons croire au potentiel de ces personnes! Ces dernières
peuvent se rétablir, s’épanouir, s’actualiser et contribuer
activement au mieux-être de notre société comme l’illustrent
les témoignages qui suivent. Quant à nous, nous y croyons
fermement et nous vous invitons à oser explorer ces
nouvelles avenues chargées de sens.
des témoignages
Je participe au programme « Mieux vivre avec les voix »
depuis presque un an. Lorsque j’ai commencé, je ne faisais
pas grand chose de ma vie. Je ne voyais pas souvent ma
fille et je n’avais pas de travail, peu de loisirs et mes voix
étaient négatives et dénigrantes. Maintenant, je vois ma
fille à chaque semaine et je peux lui téléphoner quand j’en
ai le goût. Ma relation avec elle est bonne. Je réalise un
stage de couture, une passion qui remonte à mon enfance.
Mon employeur et formateur respecte mon rythme
d’apprentissage. Autant je doutais de mes capacités au
début, autant présentement, je suis fière de mes capacités
et de mes réalisations. Avant d’entreprendre toutes ces
actions, je ne me sentais pas bien lors des réceptions
familiales. Je me sentais en retrait de tout le monde et
pas très bien acceptée, mal dans ma peau. Maintenant, je
prends ma place et je me sens respectée même si je n’ai
pas de conjoint comme les autres.
Je suis plus heureuse depuis que mes voix négatives
sont parties. Au début, elles m’interdisaient de faire des
activités que j’avais le goût de faire, par exemple : faire
une marche, faire de la couture. Elles me disaient : « Fais
pas ça, tu y arriveras pas, t’es bonne à rien ». Lorsque
j’avançais dans mon projet, elles disaient : « Tu vas être
renvoyée… ». Avec l’appui d’Évelyne et du groupe, j’ai
choisi de persévérer dans mes choix. Graduellement,
j’ai été surprise d’entendre une voix positive venir
m’encourager. Maintenant, quand j’ai une baisse de
moral, les voix négatives n’ont plus d’emprise sur moi et
je suis réceptive à la voix positive. Le groupe m’encourage
à persévérer dans mon stage et les méthodes, pour que
les voix négatives ne reprennent pas le dessus, m’aident
encore aujourd’hui. Le groupe m’aide aussi à me sentir
normale, car avec le temps, on se rend compte qu’entendre
des voix, c’est normal.
J’ai même connu une période où je n’avais plus aucune
voix et lors de cette période, je me sentais essoufflée par
tout ce que j’avais fait. Je devais ralentir, ce que j’ai fait. En
cette période plus sombre et vulnérable, la voix positive
est revenue pour m’encourager puisqu’elle savait que j’en
avais besoin.
Isabelle
Depuis que je suis dans le groupe d’entendeurs de voix,
j’entends moins de voix. Avant, lorsque je travaillais
comme cuisinier, j’entendais des voix presque cinq fois
par semaine. Maintenant, je fais du travail de bureau.
Les voix ne sont maintenant présentes que deux fois par
semaine. Le groupe m’aide à trouver des solutions et ça
me permet de partager mon expérience.
Jacques
Le groupe m’apporte une meilleure confiance en moi
et me permet de créer des liens d’amitié avec quelques
personnes.
Nadia
L’atelier sur les entendeurs de voix m’a aidée à me voir
comme une personne unique et entière. Il m’a permis de
prendre conscience de mes forces et de mes qualités. À
chaque semaine, nous avons comme objectif de prendre
un moment pour se faire plaisir. L’appréciation de soi
est essentielle pour une personne qui veut se rétablir.
Cet atelier m’a permis aussi de comprendre que pour
donner un sens à ma vie, il faut que j’aie des buts, des
rêves précis que je divise par petits objectifs pour que
cela soit plus facile à atteindre. J’ai appris aussi à vivre le
moment présent en organisant et en séparant chaque jour
en périodes : le côté social, les loisirs, le travail, l’hygiène
personnelle, le sommeil, etc. J’ai réalisé le rêve de vivre
avec mes deux enfants qui sont comme des rayons de
soleil dans ma vie, un amour inconditionnel réciproque.
Je prends le temps de m’émerveiller devant la beauté de
la nature. J’ai maintenant un projet de travail. Le groupe
d’entendeurs de voix me permet d’être moi-même. Je
peux avoir l’écoute dont j’ai besoin. Il me permet aussi
de trouver le soutien nécessaire pour exprimer ce que je
vis et l’appui dont j’ai besoin pour réaliser mes projets.
Cet atelier représente pour moi l’espoir et l’exploration
de mieux vivre avec soi et avec les autres. La richesse
«
de tout le groupe m’apporte plein de joie de vivre. Je
considère cette option GAGNANTE pour réussir mon
rétablissement.
Brigitte
BIBLIOGRAPHIE
Baker, P. (2000). Entendre des voix, Guide pratique, traduit de
l’anglais par le Mouvement les Sans-Voix, Genève.
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Chadwick, P., S. Lees et M. Birchwood. (2000). « The Revised
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Ridgway, P. et coll. (2009). L’itinéraire du rétablissement. Guide
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Soucy, B. et M. Bourque. (2008). Vivre son rétablissement, Québec,
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The international community for hearing voices. [En ligne].
[www.intervoiceonline.org].
Watkins, J. (2008). Hearing voices. A common human experience.
South Yarra, Australia, Michelle Anderson Publishing.
Moi, ce qui me fait du bien,
c’est…
· faire une activité physique que j’aime, de préférence
dehors; ce peut être seule et c’est encore mieux
quand je peux la faire avec des gens que j’aime
· dans le même ordre d’idées, un jeu ou un loisir
· la lecture, les films
· la méditation
· prendre le temps de profiter de ce que je vis…
France Desjardins,
éducatrice physique
(auteure texte p. 30)
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