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L’Aristoloche 1 Journal instructif et satirique paraissant quand il veut n° Rédacteur : Pierre de Laubier – Abonnement : pierredelaubier.e-monsite.com 28 janvier 2015 « J’ai longtemps cherché le moyen de me faire haïr de mes contemporains. » — LEON BLOY. La république et son fondement n a présenté l’assassinat des caricaturistes de Charlie Hebdo comme une atteinte aux « valeurs fondamentales de la république ». C’est l’occasion rêvée de chercher à définir au juste quelles sont ces valeurs et, en particulier, de chercher dans quelle mesure ce crime en particulier et le crime en général sont compatibles, ou non, avec lesdites valeurs. O a liberté d’expression ne se conçoit qu’à l’égard de l’opposition : le droit d’encenser le pouvoir en place n’est que rarement réprimé. En république comme ailleurs, le fondement de cette liberté est donc le droit de contester le régime lui-même, dans ses principes généraux comme dans sa forme particulière. Or les journalistes assassinés étaient, selon toute apparence, républicains. Il en ressort que les valeurs de la république n’ont pas été touchées en leur point « fondamental ». En toute logique, elles ne sauraient l’être quand on s’attaque à ses amis, mais au contraire quand ce sont ses ennemis qui sont visés. Or il y a lieu de croire que, si les victimes avaient été des journaux comme Minute, Rivarol ou Présent, ou certaines personnalités politiques auxquelles on refuse d’ordinaire, à tort ou à raison, le qualificatif de « républicain », nul n’aurait songé à imposer une minute de silence à la population tout entière ; force est donc de conclure que la liberté d’expression n’est pas une des « valeurs fondamentales » de la république. Dans ce cas, laquelle de ces valeur a bien pu souffrir d’une atteinte qui justifie l’ampleur de l’émotion ? Peut-être le respect méticuleux de toute vie humaine et l’horreur de la moindre goutte de sang versé. Mais cette hypothèse L 1 cadre mal avec les circonstances qui ont vu naître les diverses républiques. La première a pris naissance à l’ombre de la guillotine, qui en tant que telle a fait 17 0000 morts (hommes, femmes et enfants), auxquels il faut ajouter au moins 80 000 personnes massacrées de diverses autres manières. La répression des journées de juin 1848, premier haut fait de la seconde république, a fait 4 000 morts et entraîné 4 000 déportations, à la suite de quoi Cavaignac, héros du jour, fut nommé chef du gouvernement (la résistance des troupes royales à l’insurrection de février n’avait fait que 350 morts). La troisième république a été fondée au lendemain de la « semaine sanglante » de 1871, dont le bilan est de 7 000 morts et 4 500 déportés. La quatrième s’est épanouie au soleil de l’épuration, responsable d’au moins 10 000 morts. La cinquième république enfin n’auraitelle eu pour baptême du sang que la fusillade de la rue d’Isly : 60 morts seulement ? Cette misérable flaque de sang n’aurait pas étanché la soif de grandeur du général de Gaulle, si elle n’avait été précédée par les morts de la guerre d’Algérie (300 000 au bas mot) et suivie par le massacre des harkis (60 000 morts), désarmés au préalable par les soins du gouvernement. chacun (tout en se hâtant de la restreindre aussitôt). Mais, même sans franchir les bornes que la loi lui impose, chacun admet que, dès lors qu’on traite par exemple sa belle-mère de vieille toupie et son patron de peau de vache, ce que la loi n’interdit pas, on a lieu de s’attendre à recevoir en échange autre chose que des sourires. Les limites de la liberté d’expression sont la pudeur, la décence, le tact, la délicatesse, la discrétion, la prudence, autant de vertus que, vu les circonstances, on ne peut décidément pas ranger parmi les valeurs de la république. Charlie Hebdo ne se contentait pas d’user de sa liberté d’expression : il exigeait d’être affranchi de ses exigences et de ses conséquences, se parant fièrement du sous-titre de « journal irresponsable ». Or le vrai fondement de la liberté d’expression, qui a justifié son inscription dans les constitutions, est le droit de critiquer le gouvernement, et non celui de jouir, de la part de celui-ci, du privilège d’être mis à l’abri des conséquences du tort que nos propos font à autrui. Il y a donc quelque chose de pervers dans l’opération gouvernementale à laquelle nous avons assisté. Mais nous voici à présent en mesure de nommer une des valeurs de la république : l’irresponsabilité. La république a soif Pipi, caca, boudin Dans ces conditions, on voit mal comment dix-sept morts, même célèbres pour certains d’entre eux, pourraient ébranler la république : un bain de sang, et de sang français, est au contraire une condition de son installation. C’est donc encore ailleurs qu’il faut chercher les valeurs fondamentales de la république. Un fait ne doit pas échapper à notre enquête : le cœur de cette attaque qu’on qualifie de terroriste n’était pas un attentat aveugle. Les dessinateurs de Charlie Hebdo étaient les cibles désignées d’une vengeance. La « valeur fondamentale » de la république qui a été atteinte en l’occurrence est donc, sans aucun doute, liée à la nature même du journal Charlie Hebdo. Cet opuscule en faillite représentait-il un courant d’opinion dont la disparition aurait porté atteinte au pluralisme ? Si oui, il n’aurait pas été en faillite. Etait-il menacé par le gouvernement d’une censure ostensible ou détournée ? Non. Charlie Hebdo jouissait de la liberté d’expression que la constitution garantit à tout un Charlie Hebdo ne revendique pas le droit de porter à la connaissance du public des faits utiles qui, sans lui, resteraient inconnus, mais de dire de manière ordurière des choses que tout le monde sait déjà, et d’être affranchi des conséquences de ses actes. Il y a là quelque chose de profondément puéril. Un esprit potache, mais poussé jusqu’à la scatologie, la pornographie et le blasphème. Force est donc de déduire que ces vertus font, elles aussi, partie des valeurs fondamentales de la république. Ne font-elles pas excellent ménage avec l’irresponsabilité ? Il ne suffit pas de critiquer : il faut proposer. C’est pourquoi je suggère de remplacer la devise actuelle de la république par celle-ci : « Pipi, caca, boudin. » Une telle devise ne manquerait pas d’être adoptée d’enthousiasme par tous les citoyens dès leur plus jeune âge, ce qui répondrait aux vœux du ministre de l’éducation, et ce d’autant plus que, dans sa simplicité, elle est tout à fait compatible avec l’orthographe des écoliers des zones les plus « sensibles ». 2