Des grains de sable dans l`engrenage de la délinquance

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Des grains de sable dans l`engrenage de la délinquance
THÉMATIQUES ET TERRITOIRES
FORMATION/INSERTION
Des grains de sable
dans l’engrenage
de la délinquance
La récidive. Le mot provoque bien des polémiques. La prison est-elle capable
de réinsérer ? Est-ce son rôle ? L’établissement Léo Lagrange Préface joue en
prison la carte de la formation. Un support de dynamisation pour qu’émerge
un projet d’insertion.
léo
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D
ans l’appartement-école de la maison
d’arrêt de Grasse, une douzaine de stagiaires construisent un appartement de
65 m2, par petits morceaux, chacun montant son espace, après en avoir fait le plan.
Ils sont en pré qualification bâtiment pour 5 mois.
Tous ont un bas niveau de qualification, certains
sont illettrés, certains, s’ils lisent les chiffres, se
limitent à l’adition, certains ne maîtrisent pas la
langue.
« J’appartiens
à une communauté »
Annick Charles, formatrice, a conservé son exigence de perfection de compagnon du bâtiment. « Ici,
la perfection ne se traduit pas dans la technique
mais dans la qualité du cheminement du « gars »,
dans l’état d’esprit qu’il transférera sur un autre
métier. Une ligne est droite ou pas : ça c’est intangible. » A coups de fil à plomb, d’alignement, de
niveau, instaurant l’organisation, l’assiduité, la
propreté des outils et du chantier, elle leur transmet des compétences transversales, fondatrices.
La mission de PREFACE
L’établissement de formation Léo Lagrange PREFACE a une délégation de fonction de
l’administration pénitentiaire pour 6 prisons en région PACA. Ce marché de 8 ans lui
confie l’animation du dispositif global de formation : pôle accueil et information, pôle
orientation, évaluation professionnelle et élaboration de projet, pôle professionnalisant
(formations pré qualifiantes, qualifiantes, validation des acquis). Pour assurer cette
mission, PREFACE réunit une équipe de 40 salariés et 10 organismes de formation
partenaires sous-traitants, dont le Greta. En 2005, 4000 personnes détenues ont été
accueillies par ces équipes dont 1650 en bilan-évaluation-orientation et 1500 en
formation. Au sein du mouvement Léo Lagrange, PREFACE a un rôle de coordination
des formations en établissement pénitentiaire.
Contact
Dominique Satabin, Directeur de Préface
[email protected]
+ sur www.leolagrange.org
PREFACE, une entreprise d’économie sociale, partenaire d’entreprises du secteur
marchand.
Liste des établissements pénitentiaires dans lesquels PREFACE intervient.
Schéma du dispositif de formation
“
« Venez-voir, j’ai réussi ! »
A l’école de l’exigence du compagnon bâtisseur, ils
vont découvrir enfin l’instant de bonheur de la réussite. Par exemple, peindre un bord droit à main
Dominique
Satabin,
directeur
de préface
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levée, sans l’aide du « scotch », est très difficile. « Je
leur dis « tu dois y arriver ». Et quand j’entends crier
dans l’atelier « venez voir, j’ai réussi ! » ou bien
quand David, 24 ans, me dit au bout de 5 mois, au
cours de l’entretien individuel mensuel « je ne me
croyais pas capable de faire ça ! », je sais que
quelque chose a bougé. » Car ce dont David ne se
croyait pas capable, c’est de se mobiliser sur un
apprentissage. Depuis, David a été libéré, il est
entré en formation carrelage à l’AFPA. « A l’évaluation, il m’avait dit : le carrelage, ça m’a plu » se
souvient Annick.
Jean Delaforge, compagnon bâtisseur lui aussi,
anime un autre appartement école au centre de
détention de Salon : « Nos stagiaires sont habitués
à se dire « j’échoue, c’est normal », notre boulot
c’est le petit grain de sable qui va enrayer cette
mécanique ».
Dans ce système de formation individualisée, les
nouvelles arrivées en formation s’échelonnent au fil
des admissions. Un stagiaire qui a des acquis se
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« Nous voulons dynamiser une
réflexion de
la personne
détenue sur
son projet
d’insertion. »
Annie Peghon
chargée de l’unité de formation professionnelle
régionale à l’administration pénitentiaire
léo
« Ils ont tous un avenir professionnel à construire,
mais on sait bien qu’on n’en fera pas des maçons
ou des plâtriers, ce n’est pas le propos. Le travail
sur le comportement est fondamental. Il doit les
mettre en position de se dire " j’appartiens à une
communauté " ».
Carrelage, électricité, placo, peinture, ils expérimentent tous les métiers. A la différence des formations traditionnelles qui s’effectuent dans des boxes,
prolongeant la solitude de la cellule, l’appartement
école les met en situation de travailler en équipe,
comme dans un chantier en ville. Chacun pose son
carrelage dans son espace ; se raccorder demande
une coordination d’équipe : l’exigence technique
intègre l’individu dans le groupe. Cet appartement
est le leur. Annick travaille aussi sur les règles « si
j’accepte d’entretenir les outils communs, si j’accepte que l’autre se serve de la truelle que j’ai nettoyée,
je suis capable de transposer ce comportement.
Cela revient à accepter les règles ».
L’appartement école : 8 plateaux
avec un intérieur mobile. Chaque
stagiaire monte à son goût son petit
espace individuel.
L’insertion par
la formation est l’un
de nos axes
prioritaires, avec
l’enseignement.
On ne réforme pas
les esprits, mais pour
certains on est là au
bon moment. Car en
prison, on a la possibilité de redonner le
goût d’apprendre. »
Le partenariat avec l’Union nationale sportive Léo Lagrange
L’appui du réseau Léo Lagrange et la compétence de l’Union sportive ont permis à PREFACE
de développer des actions spécifiques autour du sport en prison, outil de travail sur la
règle et le respect de l’autre, ainsi que des formations à l’arbitrage et au brevet fédéral
d’animation sportive. Au sein du mouvement Léo Lagrange, l’UNSLL a un rôle de
coordination des actions sports en établissement pénitentiaire.
Ulysse, un dispositif spécifique pour un public en très grande difficulté.
L’action de l’Union nationale sportive Léo Lagrange en prison article paru dans le Magazine Sports infos N° 19.
Le dossier de l’Espace Ressources
- Programme Préface : Mémoire Technique
www.leolagrange.org
léo
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Placo, carrelage, électricité, peinture : les stagiaires apprennent l’exigence. La mosaïque, réalisée avec les chutes de carrelage, est une démarche artistique.
trouve en position de transmettre aux nouveaux : il
est devenu « leader » dans la formation, alors qu’il
ne l’était pas en détention.
Avant chaque exercice, placo, mosaïque, peinture,
etc. il faut lire la consigne, la comprendre, réfléchir
sur les cotes, savoir représenter sur le mur ce qui est
à plat sur le papier. Après chaque exercice, chacun
doit décrire sa méthode d’exécution : ce que j’ai
fait, avec quel matériel et quel matériau. Les fiches
s’écrivent phonétiquement, ce qui importe c’est de
réfléchir à ce que j’ai fait. Ahmed, lui, ne sait pas
écrire le français mais il a appris l’arabe : c’est en
arabe qu’il rédige sa fiche, son copain traduit.
Ahmed est devenu important car il est le seul à
savoir écrire l’arabe.
d’apprendre, j’accepte de renier mon passé de
délinquant : pendant des années j’ai suivi ce chemin volontairement et ce n’est pas seulement la faute
de la société ». Et le compagnon bâtisseur en conclut
« Le délinquant doit à un moment donné réfléchir sur
lui-même. Mon travail, c’est ça : le mettre en position de changer. S’il y en a un sur le groupe de 15
qui y parvient, je suis heureux ! ».
La dynamique du « pourquoi
j’apprends »
Une démarche de soutien parfois difficile à comprendre pour le personnel de surveillance de l’administration pénitentiaire, plus ouvert aux formations
diplômantes. Car, comme l’explique Dominique
Satabin, directeur de Préface « On ne demande pas
au « gars » d’apprécier le bâtiment mais de tester.
On lui permet de dire « ça ne me plaît pas » et on
le renvoie vers un pôle d’orientation qui travaille
avec lui sur ses motivations. Nous sommes un soutien
de redynamisation pour l’émergence d’un projet ».
Jean insiste sur la démarche individualisée du parcours. L’un de ses « gars » en 5 mois a simplement
appris à nommer les outils. « C’est l’évolution qui
importe. Leur handicap n’est pas dans le manque
de connaissance mais dans la difficulté à identifier
à quoi cela sert d’apprendre. Si on déclenche la
dynamique du pourquoi j’apprends, derrière viendra une autre dynamique, celle d’un autre monde
possible ». Jean observe là beaucoup de freins
inconscients « si j’accepte que je suis en capacité
Une fois par mois, un entretien avec le stagiaire permet de faire le point. Annick lui lit ce qu’elle a écrit
sur les fiches de suivi, les fiches de comportement.
« je suis honnête avec lui, je lui dis ce qui ne va
pas ». Une façon d’apprendre à communiquer avec
les autres, de transmettre des valeurs. Et elle conclut
« On ne connaît pas l’impact de notre travail sur ce
qu’ils deviendront une fois libérés. Il ne faut pas se
focaliser sur la réinsertion. On a juste mis des petits
grains de sable ».
Des activités socioculturelles en prison
Le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) a confié à
Léo Lagrange une mission d’opérateur culturel à Fleury Merogis (91) et
Villepinte (93) depuis janvier 2005. Ce travail de coordination passe
par la recherche des intervenants artistes, l’étude des projets, la mise
en place des actions et le bilan.
Il se fait en partenariat sur place avec l'éducation nationale, la santé, la
détention et l'association rattachée à l'établissement. Des partenaires
externes soutiennent l’action.
Musique, danse, théâtre, lecture, arts plastiques, audiovisuel : à Fleury,
plus de 160 séances sont prévues en 2006 - ateliers, spectacles ou
conférences - ainsi que des formations code de la route et secourisme.

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