de toulouse à tombouctou : rencontre avec le peuple touareg

Transcription

de toulouse à tombouctou : rencontre avec le peuple touareg
internatiOnal
© École primaire de Baziège
De Toulouse à
Tombouctou : rencontre
avec le peuple touareg
L
e hasard fait parfois bien les
choses. Il fait se croiser des
personnes, des envies, des
projets. Récemment, il a conduit
Catherine Baron, professeur et
chercheur au laboratoire de recherches de Sciences-Po Toulouse
(Lereps), à rencontrer l’artiste Titouan Lamazou. Ancien navigateur, aujourd’hui peintre et écrivain, celui-ci lui présente alors
son projet de bateau-atelier sur
lequel il souhaite inviter des artistes en résidence, des chercheurs, des philosophes… ainsi
que des élèves, français et étrangers, grâce aux technologies de
l’information et de la communication (TIC) et à Internet, pour
qu’ils découvrent la vie sur le bateau et échangent entre eux. Enthousiaste, Catherine Baron met
rapidement l’idée sur le métier en
y associant quatre de ses étudiantes (Lola Boudreaux, Raphaëlle Dive, Maud Martinasso et
Laurine Maruszak) en master
« Développement économique et
coopération internationale ».
Après avoir étudié la faisabilité du
projet, identifié des enseignants
susceptibles d’y participer, leurs
besoins d’accompagnement, de
matériels, les personnes ressources… trois établissements
sont rapidement retenus : l’école
primaire de Baziège, le collège
Laurens d’Ayguesvives et pour le
lycée, la Maison familiale de Donneville. C’est notamment grâce à la
mobilisation et au carnet d’adresses
d’Hélène Bonnefond, anciennement chargée des Affaires sociales
à la mairie de Baziège, que ces établissements ont pu être rapidement impliqués. Pour avoir été
elle-même enseignante, dans une
structure spécialisée pour enfants
handicapés, et très engagée dans
des projets pédagogiques novateurs, elle se dit « rassurée de voir
qu’il existe encore ce type de rencontres pour ouvrir les enfants à
autre chose que les tablettes numé-
riques et les jeux vidéo ; qu’il est possible de faire vivre la pédagogie autrement qu’au travers des livres.
D’autre part, ce projet est d’autant
plus intéressant qu’il vient du milieu
universitaire. Un milieu réputé
pourtant assez fermé… ».
«
Quel que soit
le lieu, on s’aperçoit
que les enfants
partagent les mêmes
préoccupations. »
En outre, la dimension pédagogique du bateau-atelier doit
permettre aux enseignants la création de projets fondés sur l’échange
entre leurs élèves et ceux de classes
étrangères, mais aussi avec des artistes et des chercheurs. L’art sert
ici de vecteur à l’ouverture sur le
monde et à la diversité culturelle.
De ce fait, « nous n’avons pas jugé
utile de limiter le projet à une tranche
d’âge, précise Raphaëlle Dive, l’une
des quatre étudiantes chargées du
projet. Nous avons choisi de mettre
à disposition des outils pour les enseignants. À eux ensuite de se les
approprier pour créer un projet en
fonction de leurs élèves, de leurs besoins, de leurs niveaux aussi… ».
Un projet qui permet
d’aborder plusieurs
disciplines
Une « phase test » est lancée
en avril dernier, à l’occasion d’un
voyage de l’artiste au Mali, dans
le cadre de son travail sur le
peuple touareg qu’il mène avec
Jacqueline Dupuis, anthropologue. Ils envisagent de publier en
2015 un ouvrage intitulé Retour à
Tombouctou.
Parmi les trois établissements,
l’école primaire est celle qui s’est
davantage impliquée, grâce à l’engagement de Serge Arnaud, ensei-
gnant auprès d’élèves de CM2.
Historien de formation, ce passionné de voyages est un habitué
des projets de ce genre pour avoir
déjà mis en place des échanges ou
correspondances entre ses élèves
et des classes de Madagascar ou
du Sénégal. Souhaitant lui-même
découvrir la culture du peuple
touareg, il expose le projet au sein
de son école qui séduit une douzaine de volontaires, en grande
majorité des filles, qui y participent durant la pause méridienne. « Ce projet est complet : il
permet d’aborder des disciplines
comme la géographie, l’écriture,
l’éducation civique… le tout en utilisant les TIC », précise Serge Arnaud. Tous les supports sont bons
pour que l’enseignant « imprègne » ses élèves de la culture
touareg : littérature jeunesse,
contes, carnets de voyage de Titouan Lamazou que celui-ci leur
a transmis, films, reportages, musique, initiation à l’écriture et à
l’alphabet tamacheq. Les élèves
ont également reçu, en avril, la
visite de Jacqueline Dupuis,
venue avec des objets, dont le fameux foulard à l’origine du surnom « d’hommes bleus » que l’on
donne aux Touaregs (la couleur
déteint sur leur peau qui devient
bleutée). Les élèves ont aussi
échangé par mail avec Titouan Lamazou, et via Skype avec des enseignants et élèves touaregs de
l’école Mitiki à plusieurs reprises.
Pas une seule coupure de con­
nexion n’a été déplorée. Et Serge
Arnaud de se réjouir des questions
qu’ont pu se poser les enfants avec
ce constat : « Quels que soient le lieu
ou les conditions de vie, on s’aperçoit
que les enfants partagent les mêmes
préoccupations, sur les relations entre
les filles et les garçons par exemple.
D’autres sujets du quotidien, plus sensibles ceux-là, ont aussi été abordés.
Un petit Touareg a notamment demandé si en France il y avait des châtiments corporels… » Des échanges
Les idées en mouvement
© École primaire de Baziège
L’art comme prétexte à l’échange interculturel, c’est ce que sous-tend le volet
pédagogique du bateau-atelier. Son objectif est de permettre à des enfants
et des adolescents de découvrir la vie sur le navire, qu’ils s’ouvrent sur l’art,
mais aussi sur le monde, en allant à la rencontre – virtuelle – d’autres
cultures, à l’image de ces petits Toulousains qui ont découvert la culture
touareg lors d’un récent voyage de Titouan Lamazou au Mali.
Échanges entre des élèves de Tombouctou et de Toulouse
en compagnie de Titouan Lamazou en avril dernier.
décomplexés, sans préjugés et
pleins de curiosité que l’on peut
attribuer à leur jeune âge.
Outre Skype, d’autres outils
ont favorisé des échanges entre les
élèves grâce à la plate-forme numérique créée spécialement et accessible sur l’espace Moodle de
Sciences-Po. Celle-ci permet de
déposer des documents, des photos, des textes, ainsi qu’un calendrier, et propose un forum de discussion. « Manquant d’ergonomie,
cette plate-forme constitue un bon
outil mais reste à perfectionner et à
optimiser, car c’est la base de tous les
échanges », souligne Raphaëlle.
Un premier bilan
encourageant
Le bilan de cette phase test est
réjouissant même si de nombreux
points sont à améliorer, à commencer par l’implication des différents établissements. Si l’école
primaire a été « exemplaire », les
élèves de la Maison familiale ont
été plus spectateurs qu’acteurs du
fait de leur entrée tardive dans le
projet et de l’alternance entre école
et entreprise, qui rend plus difficile
un suivi régulier. Les étudiantes
déplorent également que le projet
ne soit pas assez coopératif en
constatant que ce sont essentiellement les élèves français qui en ont
le mensuel de la Ligue de l’enseignement
bénéficié et pas suffisamment
leurs camarades du Sud. « La rencontre a bien eu lieu, mais la participation des enfants du pays “escale”
a été moindre, se réduisant à des
conversations ponctuelles sur Skype.
Il est nécessaire de porter ce projet
éducatif avec autant d’implication au
Nord comme au Sud, en mobilisant
davantage les professeurs, français et
étrangers », constate Raphaëlle.
Tous les acteurs impliqués
nourrissent de grandes ambitions
pour la phase réelle de ce projet
prévue dans quelques années :
motiver les enseignants et les médiateurs, mais aussi d’autres artistes, inciter les enseignants à définir des projets concrets et à utiliser
au maximum les ressources à leur
disposition. Selon Christophe Marange, consultant formateur qui officie à Sciences-Po et porte le projet
aux côtés de Catherine Baron : « On
a réussi à modéliser un projet pédagogique basé sur l’échange interculturel
autour des TICE et qui peut fonctionner avec ou sans bateau. Finalement, ce volet peut être exploité pour
n’importe quel autre projet éducatif. » Avis aux amateurs…
●●Mélanie Gallard
n° 220
juin-juillet 2014 7.