En quête des communs urbains : la gestion disputée du gisement de
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En quête des communs urbains : la gestion disputée du gisement de
Enquêtedescommunsurbains:la gestiondisputéedugisementde déchets Jérémie CAVE – Titulaire d’un doctorat en urbanisme de l’université Paris Est, il est consultantchercheur indépendant en écologie urbaine. Ses recherches portent en particulier sur l’empreinte environnementaledesvillesetlefonctionnementsocio-écologiquedesservicesurbainsdanslespays duSud.180impassePuyRedon84210PerneslesFontaines.urbanalyse@gmail.com,0677485260 NousproposonsicidenousintéresseràlaquestiondesdéchetsurbainsdanslespaysduSud,sur labasederecherchesempiriquesmenéesàCoimbatore(Inde)etàVitória(Brésil). Dans ces deux agglomérations, plusieurs types d’acteurs gèrent ou récupèrent les détritus: le service municipal, des prestataires privés, les récupérateurs et marchands du secteur informel, de grands groupes industriels, etc. Si leurs divers dispositifs coexistaient jusque-là, la situation tend à devenir conflictuelle. Du fait de l’introduction de programmes de collecte sélective d’une part et du renchérissement des matières premières d’autre part, la récupération des matériaux «valorisables» contenusdanslegisementd’orduresurbainesdevientuneactivitélocalementdisputée. Nousavonsconsacréquatreannéesderecherchedoctoraleàanalysercesconflitsd’appropriation desdéchets,aumoyendeplusdecent-trenteentretiensindividuelsqualitatifs,detypesemi-directifet d’observationsin-situ(Cavé2015).Ilenressortquecesconflitsd’appropriationseproduisentdufait du statut particulier du déchet: par définition chose rejetée, le déchet est un objet qui n’appartient plusàpersonne.Dèslors,quiestlepluslégitimepours’emparerdecetteresderelicta? Afin de sortir des oppositions binaires stériles, qui renvoient in fine à une opposition entre bien privé (le déchet-ressource) et ‘mal’ public (le déchet-ordure), il s’est révélé fécond de raisonner en termes de bien public impur et, plus précisément, de bassin commun de ressources (Ostrom 1990). Quelqueschercheursavaientdéjàessayéd’analyserlaproblématiquedesdéchetsurbainsàtraversce prisme(Bose&Blore1993,Ruet2002,Chaturvedi&Gidwani2010,Lane2011).Cesdifférentsarticles derecherchenoussontnéanmoinsapparusbiaisésparuneapprochepartielle,consistantàconsidérer l’ensemble du gisement de déchets comme une ressource. Or, les récupérateurs ne considèrent qu’unepartieseulementdugisementdedéchetscommedesressourcespotentielles.Aussiimportait-il deplongerplusprofondémentdanslesanalysesostromiennesetd’appréhenderlegisementcomme unensemblehétérogène,composéàlafoisdestocketdeflux. Deretoursurleterrain,lapriseencomptedesenjeuxéconomiquesdecesconflitsd’appropriation nousapermisdeconfirmerlecaractèrerivaldesdéchetsdanslesdeuxvilles.Procédantàuneanalyse spatiale,nousavonsdécouvertquelesinégalitéssocio-économiques,lamorphologieurbaine,ainsiles ruptures de charge propres à ce service municipal rendent toute exclusion impraticable. Par conséquent,legisementdedéchetsétaitbienassimilableàunbiencommun.Desurcroît,leprocessus 1 derégulationàl’œuvreàVitóriarejoignaitladimensioninstitutionnellequiestinséparable,dansles travauxd’Ostrom,delaqualificationmêmed’uneressourcecommecommune. Auneépoqueoùlanotionde‘public’tend,danslesvillesduSud,versunecaptureauprofitdes élites urbaines, la notion de biens communs pourrait permettre de réhabiliter le «droit à la ville» (Lefebvre1968).Eneffet,delamêmefaçonquelespaysansprussiensdelamoitiéduXIXèmesiècle furent soudainement accusés d’être des «voleurs de bois», alors qu’ils ramassaient de plus en plus celui-ci non pas pour le consommer mais pour le revendre (Lascoumes & Zander 1984), les récupérateursinformels,parcequ’ilssontdésormaisimbriquésdanslaglobalisationindustrielle,sont désormaistaxésd’archaïsmeetd’illégalité. Et pour cause: le secteur de la gestion des déchets – et plus particulièrement l’industrie du recyclage – est en train de muter. L’impact des cours mondiaux des matières premières, allié à un discours de responsabilité sociale des entreprises aboutit ainsi à la formation d’un véritable marché mondiald’extractiondematières«secondaires»urbaines.Autrementdit,lesacteurséconomiqueset industriels tentent de s’arroger des droits de propriété privée sur la res derelicta. Et les cinquante millionsdedéshéritésurbainsquinejouissaientjusque-làquedel’accèslibreauxdéchetspourvivre, s’entrouventdirectementmenacés. Ainsi l’idée des déchets comme bien commun pourrait-elle nous amener à ré-imaginer les politiques urbaines au-delà de la dichotomie Etat/Marché qui se révèle, dans de nombreux pays aujourd’hui,unaxestructureldedynamiquesd’expropriation.Ellepourraitenoutrefournirdescadres de gouvernance idoines pour orchestrer la nécessaire transition d’une économie linéaire vers une économiecirculaire. Références BOSE,A.BLORE,I.(1993)«Publicwasteandprivateproperty.Anenquiryintotheeconomicsofsolid wasteinCalcutta»,inPublicAdministrationandDevelopment,13(1),pp.1-15. CAVÉJ.(2015)Laruéeversl’ordure:Conflitsdanslesminesurbainesdedéchets,PressesUniversitaires deRennes,250p. CHATURVEDI,B.,&GIDWANI,V.(2010)«TheRighttoWaste:InformalSectorRecyclersandStruggles forSocialJusticeinPost-ReformUrbanIndia»,InIndia’sneweconomicpolicy:acriticalanalysis,vol 15,pp.125-153. LANE,R.(2011)«TheWasteCommonsinanEmergingResourceRecoveryWasteRegime:Contesting Property and Value in Melbourne’s Hard Rubbish Collections», in Geographical Research, 49(4), pp. 395-407. LASCOUMES, P. & ZANDER, H. (1984) Marx: du «vol de bois» à la critique du droit, Presses UniversitairesdeFrance,Paris. LEFEBVRE,H.(1968)LeDroitàlaville,Economica,3eéditionParis. OSTROM, E. (1990) Governing the commons. The evolution of institutions for collective action, CambridgeUniversityPress,Cambridge. RUET, J. 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