Mes aMis ? Bernard staMM, thoMas Coville, FranCk

Transcription

Mes aMis ? Bernard staMM, thoMas Coville, FranCk
Interview
Propos recueillis par Frédéric Pelatan
Photos de Dmitri Sharomov (pour Mike Horn)
MIKE HORN
« Il reste de l’espoir »
Dénonçant les discours qu’il juge trop alarmistes, Mike Horn assure que l’humain
est encore capable de préserver la planète. L’aventurier partage actuellement ses
aventures avec de jeunes adultes, à qui il transmet son savoir grâce à son projet
Pangaea, illustré par une exposition lors du Nautic 2009.
Mike Horn
Quelle est la vocation profonde de votre
projet Pangaea ?
Ses expéditions majeures :
1997 : expédition Amazone,
traversée ouest-est de l’Amérique
du Sud en solitaire, de la source de
l’Amazone à son embouchure.
1999-2000 : Latitude Zéro, tour de
la Terre sur la ligne de l’équateur
en solitaire et sans moteur.
2002-2004 : expédition Arktos, le
tour du cercle polaire arctique
(2 ans et 3 mois).
2006 : joint le pôle Nord de nuit,
avec Borge Ousland.
2007 : expédition Himalaya,
ascension du Gasherbrum I
(8068 m) et Gasherbrum II
(8035 m) dans l’Himalaya
2008-2011 : expédition Pangaea
Pangaea a plusieurs volets : montrer la beauté de la
planète aux jeunes adultes qui ont entre 15 et 20 ans ; avec
les scientifiques, montrer comment on peut conserver cette
beauté, et éduquer ces jeunes sur la manière dont on peut
réparer l’empreinte de l’homme sur la nature. Et, enfin, faire
une œuvre concrète pour protéger la planète, ses océans
sa jungle, ses surfaces polaires, ses déserts…
Se côtoient donc une part d’aventure et une
part de transmission...
Il y a pas mal d’aventure, parce qu’on va toujours explorer
des zones pas bien connues, grimper des montagnes pas
encore conquises, on va loin des chemins des touristes.
Mais il faut aller tellement loin pour montrer la beauté de la
Terre aux jeunes que ça reste de l’aventure.
Aventurier et chef d’entreprise
Mike Horn a eu également le talent d’avoir su
s’entourer des grandes entreprises, qui l’aident
à faire aboutir ses projets. Le charismatique
aventurier est entouré de Nespresso, qui organise
son exposition au Nautic, mais aussi du
constructeur automobile Mercedes-Benz, fièrement
affiché dans les voiles de Pangaea, des montres
Officine Panerai et de Gébérit.
Quel regard portez-vous sur l’état de la
planète ?
Je suis très positif. La nature est encore splendide. Il reste
à voir des choses incroyables, vierges. Notre génération a
pas mal détruit, mais la génération à venir ne va pas faire
comme nous. Nous sommes des consommateurs et nous
continuons à l’être. Mais si on arrive à apprendre aux jeunes
à vivre de manière durable, cela sera plus facile de changer
leurs besoins, plutôt que les nôtres : nous avons pris trop de
mauvaises habitudes.
Vous êtes très optimiste sur la nature
humaine !
« Mes amis ? Bernard Stamm,
Thomas Coville,
Franck Cammas, Stève Ravussin,
Laurent Bourgnon... »
En rentrant de l’expédition autour du cercle polaire, j’ai vu
le film d’Al Gore (Une vérité qui dérange, ndlr), qui m’a déçu :
c’était tellement négatif ! Le message était presque : « La
terre est foutue ». J’ai passé deux ans et demi autour du
cercle arctique. J’y ai vu l’état de la glace, le comportement
des animaux qui, c’est sûr, change actuellement. Mais il y
a beaucoup plus dans la nature… je ne veux pas faire peur
aux gens, parce qu’il ne faut pas perdre espoir.
Vous trouvez les messages écologiques trop
alarmistes ?
Je pense que les écolos qui restent toute leur vie dans un
bureau ont une vision un peu faussée de la réalité. J’ai
un doute sur le réchauffement de la planète. Je crois qu’il
y a avant tout un changement de climat, on ne peut pas
vraiment dire que l’homme est à 100% responsable du fait
que la planète se réchauffe. Je ne suis pas un scientifique,
attention ! J’ai surtout constaté qu’on est en train de couper
les arbres ; une grande île au nord du Japon est recouverte
de sacs et de bouteilles en plastique, et pleine d’autres
merdes ; on pêche n’importe comment, il n’y a presque plus
de poissons dans la mer… C’est cela qui m’inquiète.
Des milliers d’espèces vivantes disparaissent
chaque année. L’avez-vous constaté ?
C’est ce qui m’inquiète le plus. On a travaillé sur des coraux,
pendant un mois et demi, à Bornéo. Aujourd’hui, les gens
des Philippines descendent vers Bornéo avec les bateaux
de pêche, ils lancent de la dynamite, ravagent les bancs
de poissons et les coraux… On a constaté les dégâts des
filets de pêche de huit kilomètres de long (!) dans lesquels
les tortues et les requins se prennent… On a tellement la
capacité à détruire tout, on s’en fout, on n’utilise pas tout.
On coupe seulement les ailerons des requins… On abuse,
vraiment.
Vous pensez l’homme capable de changer ?
On est une génération de consommation. Les jeunes veulent
procéder différemment. Mes enfants voudront continuer à
vivre et je sais qu’ils sont concernés. C’est pourquoi il faut
les éduquer.
Comment réagissent les jeunes que vous
embarquez à bord de Pangaea ?
On forme les ambassadeurs de la planète, qui auront
pour mission d’éduquer les autres jeunes, qui sont moins
concernés. On choisit différents talents, différents univers,
pour que le message transite dans tous les milieux. Ça sera à
eux de parler dans les écoles, avec les industries, avec leurs
voisins… Je n’écoutais pas trop les profs quand j’étais à
l’école, j’écoutais surtout mes copains. C’est notre stratégie
dans ce projet Pangaea. Si tu emmènes quelqu’un au pôle
Sud, il constate que la banquise fond pour de bon. Ce n’est
pas dans un bouquin, c’est face à eux et, intellectuellement
et émotionnellement, ils seront prêts à devenir d’excellents
ambassadeurs puisqu’ils auront vécu une expérience qui va
changer leur vie.
Né le 16 juillet 1966 à
Johannesburg (Afrique du Sud)
Marié à Cathy, deux filles (Annika
et Jessica).
Filmographie :
Latitude Zéro - Le voyage
intérieur de Mike Horn - Four
Eight Thousands
Biographie :
Latitude zéro : 40.000 km pour
partir à la rencontre du monde,
XO Éditions (2001)
Conquérant de l’impossible,
Pocket (2006)
A l’école du Grand Nord,
Pocket (2006)
Objectif, Pôle Nord de nuit, XO
Éditions (2007), Pocket (2008)
Vous êtes l’invité du Nautic 2009. Parlons
bateau. Et du monde de la course au large,
qui a conscience de polluer, avec le carbone
notamment…
C’est clair ! Moi, j’ai fait mon bateau en aluminium, parce
que c’est totalement recyclable. L’aluminium se trouve
en masse sur la planète et l’empreinte carbone pour sa
transformation est très faible. On se heurte à un vrai
problème de recyclage aujourd’hui, avec la fibre, la résine,
le carbone, la chimie. Je ne pense pas qu’il faille arrêter de
vivre, mais on doit vivre correctement. Polluer pour gagner
deux nœuds ? Je ne sais pas s’il y a un sens à tout cela.
décembre 2009
Journal du Nautisme
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Interview
« Chaque personne qui va
au bout d’elle-même est une
référence pour les autres »
Pourtant, vous aimez la course ! Est-ce que cela reste de
l’aventure pour vous ?
Oh oui, je suis tout ça avec passion. Je suis déçu quand un bateau comme
Groupama 3 casse, parce que ce sont des gars qui bossent tellement dur,
qui méritent de faire ce tour de la planète… Je ressens leur peine au fond
de moi, les gars doivent être tellement déçus… On bosse jour et nuit pour
ça. Pour eux, le prix d’un nœud ou deux de plus est lourd : ils ne sont pas
arrivés au bout de leur rêve.
Vous avez vécu des aventures inégalables ; ça vous
botterait, un projet comme ça ?
Je pense qu’un projet comme le Vendée Globe, en solitaire autour de la
planète, c’est plus mon style. Aujourd’hui, si j’ai une occasion d’aller sur un
grand cata ou un grand trimaran, pour faire un tour de la planète : je ne
peux pas me changer, je suis un aventurier, je ne pourrai pas résister. C’est
l’aventure qui donne un sens à ma vie. Et je suis sûr que ces mecs vivent des
choses intimes extrêmement fortes.
Vous avez quelques amitiés solides dans ce milieu…
Stève Ravussin, Bernard Stamm, Laurent Bourgnon, Franck Cammas : j’ai
navigué avec tous ces gars. Heureusement qu’il y a des mecs comme ça qui
font avancer l’histoire de la navigation et du trimaran… Bernard, c’est un
très grand ami. Il m’a aidé à mener mes bateaux dans des coins impossibles,
comme certaines portes de la Russie, pour y entrer légalement, sans trop
de paperasse… Ce sont aussi des aventuriers incroyables. A chaque fois, je
me moque d’eux en disant qu’ils sont des flemmards, qu’ils sont assis sur
leur bateau pendant des semaines et que c’est lui qui avance pour eux. Ils
peuvent s’endormir, le bateau continue à avancer. Mais je rigole, bien sûr.
Qu’allez-vous chercher lors de vos expéditions ?
On ne peut pas devenir un aventurier, on naît comme ça. Alors on se retrouve
dans les émotions et les sensations de ce qu’on vit. Quand j’ai fait le tour du
pôle Nord de nuit, l’important pour moi n’était pas de planter mon drapeau.
Ce furent quelques secondes de plaisir. Un aventurier cherche à emmagasiner
plus de connaissances, il nourrit son expérience, ces choses qui vont lui
permettre de repousser ses limites pour aller plus loin dans l’exploration…
Puis il va faire des choses réputées impossibles. Je pense qu’on cherche à aller
au bout de soi et à apprendre ces choses qui peuvent servir dans la vie. C’est
comme quelqu’un qui se drogue – enfin, je ne sais pas, je n’ai même pas fumé
un pétard dans ma vie – tu deviens accro à ces sensations, la découverte, au
départ. Imaginez marcher pendant deux ans et quelques mois et, chaque
matin, à chaque réveil, découvrir quelque chose que vous ne connaissiez
pas… Voir de nouvelles choses tous les jours… ne pas être sûr d’arriver à
bon port tous les jours. Ce n’est pas quelque chose qu’on développe. On naît
comme ça.
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Journal du Nautisme
décembre 2009
Qu’avez-vous appris sur vous ?
On n’apprend pas sur nos atouts ou nos talents. On apprend surtout sur
nos faiblesses et on apprend qu’on a pas mal de défauts. Une chose apprise
aussi, dans cette vie d’aventurier : tout ce qu’on entreprend, on le fait en
conscience et avec la nécessité de remplir ses objectifs. C’est quelque chose
de très intime et cela tient au regard qu’on porte sur soi. En résumé : être
aventurier, c’est d’abord un voyage à l’intérieur de soi.
Quel est votre gros défaut ?
Je ne suis pas un homme très patient, je n’aime pas trop parler ; et je
n’aime pas les gens qui « perdent leur parole ». Alors, j’ai appris à être
tolérant. Parfois, je sais que je suis dur, parce que je n’aime pas les gens qui
parlent juste pour faire du bruit, sans respect de leur parole. Moi, en tant
qu’aventurier, si je dis que je vais au pôle Nord, j’ai l’obligation d’y aller. Si je
dis que je veux faire quatre 8000, il faut que je les fasse, ou que je tente de
les faire. Je ne peux pas dire que je vais m’arrêter au camp de base à cause
de la météo, et bla bla bla... Ce manque de respect de la parole donnée,
ça, ça m’énerve.
Comment gérez-vous le danger ?
Je n’aime pas vraiment le danger. Je n’aime pas non plus avoir peur. Mais
le challenge qui m’excite, c’est celui de survivre à ce danger. La première
fois que j’ai eu l’idée de descendre l’Amazone à la nage, j’ai eu peur,
honnêtement. Pour moi, c’était l’inconnu. Tout ce qui est inconnu fait peur.
Mais la peur a du bon : elle nous protège. Elle ne nous protège pas des
erreurs, parce que si un aventurier accumule les erreurs, son espérance
de vie se réduit sérieusement. Quand je commence à rentrer dans la
préparation de l’expédition, que je prends des informations, ces peurs se
transforment en curiosité. Ce changement est ma source de motivation
profonde. Mais, c’est clair : à chaque fois, tu as peur de ne pas rentrer.
Il y a des choses qui vous font reculer ?
Il y a toujours des choses pour lesquelles je n’ai pas les connaissances. Peut-être
que, grâce à Pangaea et ses quatre ans de projets, je me sentirai de nouvelles
capacités pour affronter une expédition, qui sera peut-être la dernière. J’ai 43
ans, je suis encore jeune, mais je n’ai plus la force de mes 35 ans, c’est clair et
net. Mais j’ai l’expérience. Avant, je tapais fort sur les clous pour les enfoncer.
Aujourd’hui, je tape un peu moins fort parce que je sais faire.
Vous avez dit, un jour : « Avant de partir faire le tour
du monde par l’équateur, je n’étais pas sûr d’avoir les
connaissances pour le faire. En rentrant, j’étais sûr de ne
pas assez en savoir pour recommencer ». Expliquez-nous…
Les connaissances, tu ne les acquières réellement qu’en vivant le projet. Une
fois que tu y es, tu te dis : « Mais, mon pauvre ami, si tu avais su tout ça dès
le départ, tu ne serais jamais parti ! » En réalité, on part pour vivre, animé de
la certitude qu’on rentrera vivant. Mais après-coup, on constate qu’on n’avait
pas forcément le bagage pour affirmer à 100% qu’on rentrerait vivant.
Dans votre tour du monde par l’équateur, vous vous êtes
retrouvé seul sur un trimaran sans savoir comment ça
marchait…
C’était ma première en solitaire, mais je ne suis pas plus con que les autres…
J’aime être seul sur un bateau : je ne me fais pas engueuler quand je fais une
connerie. Et j’en fais beaucoup ! Ce n’est pas pareil quand je suis sur des bateaux
de grands prix, des 60 pieds, des trimarans, où je suis invité pour wincher. On
n’apprend rien en winchant. Je pense que la meilleure façon d’apprendre, c’est
de se lancer seul. Etre seul en bateau, ça double le nombre de milles effectués.
Tu es responsable de tout, tu vois tout, tu prends et assumes tes décisions.
Tes sens se développent beaucoup plus vite.
Comment qualifieriez-vous ces sensations ?
J’ai trouvé les mêmes sensations qu’en traversant la jungle. On a les
mêmes ressentis, les mêmes peurs, même si on va plus vite. Pour moi, cette
transatlantique fut comme une phase de récupération : je pouvais m’offrir du
repos après avoir traversé l’Amazonie à pied. Sur un bateau, tu peux t’endormir
et te réveiller pas mal de milles plus tard. On ne parle que des tempêtes en mer,
parce que c’est sensationnel, mais il y en a finalement assez peu. Il y a surtout
beaucoup de bon temps.
Vous partez pour de très longs raids. On a du mal à imaginer
ce rythme de vie alors même que vous êtes marié, que vous
avez deux filles…
Ma femme n’a pas besoin de moi, c’est sûr maintenant. Elle sait vivre toute
seule comme elle l’a fait pendant 20 ans. Mon amour pour ma femme et mes
enfants, c’est mon joker : je veux rentrer vivant, j’ai une responsabilité de
père. Pour moi, un père, c’est quelqu’un qui donne des limites et qui montre
une direction. La fierté de père, c’est quand tes enfants te montrent du doigt
et disent : « Ca, c’est mon papa ». C’est ainsi que je me veux père et mari. Mes
enfants sont venus au pôle Sud, au pôle Nord, ils ont fait quelques expéditions,
ils ont passé trois mois sur le bateau, ils ont remonté la Micronésie, ils ont
plongé pour repérer des épaves japonaises, ils ont cherché du corail. J’essaie
de leur donner quelques clés de la vie bien utiles. Mais je ne veux pas qu’ils
rentrent dans la carrière de l’aventure. Ce n’est pas tout rose, c’est un chemin
très difficile à arpenter.
Qu’aimeriez-vous faire que vous n’avez jamais fait ?
Rester un peu à la maison, je suis sûr que c’est sympathique ! La lune, l’espace,
sont toujours en option. Je fais la découverte de la mer, par dessous, parce que
je passe pas mal de temps sous l’eau, maintenant. C’est un monde qui s’ouvre
devant moi actuellement. Après, ça sera l’espace. Enfant, j’étais fasciné par
les étoiles. Je verrai plus tard comment je peux faire ça…
Quels sont les terrains vierges dont vous parlez ?
La mer est encore un peu vierge, surtout en dessous. Quelques montagnes,
aussi, le sont, autour de l’Himalaya, près du Pakistan, où très peu de monde
vit. Il y a encore dans l’Antarctique, quelques endroits où l’humain n’a jamais
posé le pied. Mais c’est loin et il va falloir marcher pour y aller… Il faudrait
presque laisser ces endroits vierges…
Donnez-nous vos bonnes adresses !
L’Amazone est mon coin préféré. C’est là que tu es le plus vite dans la merde
et où, aussi, tu prends le plus de plaisir. Mon premier amour, c’est la jungle.
L’Amazone, c’est bien pour les touristes, c’est facile d’y aller. La Micronésie
est fabuleuse. Et aussi la Nouvelle-Zélande, sorte de paradis, avec ses fjords
faciles d’accès en bateau. Ce sont des coins où il y a tellement peu de gens...
La Sibérie est fantastique… Autour de la planète, il y a tellement de coins
fabuleux que les gens ne visitent pas parce qu’ils veulent rester dans leur zone
de confort… L’Homme a peur de perdre. Or, c’est quand l’envie de gagner est
plus forte que la peur de perdre s’oublie.
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Journal du Nautisme
décembre 2009