concours d`écriture les meilleurs textes

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concours d`écriture les meilleurs textes
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CONCOURS D’ÉCRITURE
organisé par l‘association Langres-Montréal-Québec,
les médiathèques de Langres et Nogent, ainsi que leurs partenaires
LES MEILLEURS TEXTES
Concours d’écriture Semaine de la Langue française et de la Francophonie 2014
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PREMIER PRIX
« Fardeau humain »
I.
Il n’y a plus d’oiseaux mais il me reste le silence. Moi, Rod Serling, j’écris ces quelques pensées avant que
la folie de la solitude ne vienne dévaster ma cervelle aussi sûrement que ne l’est la lande qui s’étend
devant moi…
Qu’ils étaient cyniques et dévorés par le sentiment de leur toute puissance… On le savait. Mais de là à
perdre toute raison…. De là à tout réduire à néant… Mon Dieu, qu’avons-nous fait ? Pourquoi les avonsnous laissés nous traîner ainsi dans la poussière et la cendre ? Pourquoi n’avoir pas résisté au chant de
ces sirènes vicieuses, mélopée de fariboles?
Comment en ai-je réchappé? Ma survie défie toute logique.
Il n’y a plus de lignes droites dans ce paysage devenu lunaire mais il me reste ces amoncellements
disparates de roches laminées par la déflagration. Tout est brisé. Tout est gris. La poussière, pesante et
délicate, danse dans les airs et dévore les couleurs.
Il n’y a plus de sensations : couleurs et sons, chaleur et odeurs ont été engloutis par le néant. Mais je
reste, moi, Rod Serling, fils de Franck Serling et de Maroussia Kafka. Seul survivant. Orphelin.
Suis-je encore vivant ? Je respire…mal, je pense…encore, je me souviens…c’est tout ce qui me reste. Je
sens qu’une tempête de souvenirs, de colères, d’espoirs brisés se lève en moi, m’aspire et se crie à
travers moi. Je hurle dans ce monde détruit, tohu-bohu devenu mon seul héritage à présent. « Rod
Sterling ! »
II.
Il n’y a plus de lendemains mais il me reste un jour de plus. Je n’ai pourtant plus la force… L’eau que je
bois est viciée ; l’air que je respire opaque. Mes pensées se désagrègent et s’éparpillent. Il me prend
parfois des crises de je-ne-sais-quoi qui m’agitent. Et alors je tape, je frappe, je cogne contre tout ce que
je trouve, la violence me prend par la main pour me maintenir en vie. Le monde ne veut plus de moi ?
Alors, je tape, je frappe, je cogne contre tout ce que je trouve pour lui prouver que je suis là. Si l’on me
voyait, c’est sûr, on me prendrait pour un hurluberlu. Non pas un de ces joyeux doux-dingues, non…
plutôt du genre sérieusement toqué, véritable timbré qui invite au détour, au regard furtif, du genre qui
inquiète.
Suis-je encore humain ? Si Dieu le pouvait, il me cracherait, moi, sa création dégénérée. Il s’efforce bien
de me cacher, en m’entourbillonnant de poussière et de cendres. Mais je résiste ; je me dresse face au
vent désespéré qui se déchaîne. Il me crie que Dieu a honte. Je tends le poing et je frappe, je cogne, je
cogne à tire-larigot. C’est ma seule réponse au charivari du vent.
Puis la violence finit par m’abandonner à son tour et mon corps, lourd, devient scaphandre.
« Rod Starling ! Fils de Franck Kafka. » Mais il n’y a plus personne pour me répondre ni m’appeler.
III.
Inouï, je ne suis plus seul ! Je hurle des flots de ‘’ouf’’ , sur tous les tons. Une fourmi me tourne autour !
Elle se méfie mais elle est là ! Nous voici deux survivants alors… Cette minuscule créature n’a pas idée de
l’intensité du bonheur que sa vue me procure.
La fourmi est repartie. Je ne savais pas comment la retenir.
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IV.
L’éclaireuse m’a retrouvé, accompagnée d’une myriade de survivantes. Je m’agenouille et bredouille :
« aidez Stirling». Les fourmis se dispersent et se déplacent autour de moi en minuscules zigzags.
« Stirling aidez pitié»… « pitez Striling aidié » …
Mais elles ne veulent pas comprendre ! Elles sont plusieurs dizaines à m’encercler, antennes dressées.
Quelques-unes se rapprochent et me grimpent sur les mains. Je suis tétanisé par l’angoisse de les
blesser, de les voir s’enfuir.
« Bon Dieu, c’est pas vrai ! Mordu ! Elles m’ont mordu ! » Quelques gouttes de sang coulent. Et elles s’en
repaissent. Horreur !
Mes poings se referment et, de toute ma puissance, j’écrase. Puis je détruis, piétine, anéantis toute
l’armée de ces ambassadrices. Je formicide. « Je suis Verdun ! »
Je m’ensolitude à nouveau, entouré d’une bouillie de minuscules squelettes.
V.
Ogre Sirdling
Mangé les froumis…
Me restent l’ennui et le néant. M’enlivrer, m’enivrer, m’en aller, mentir… Impossible… Plus aucune
solution pour oublier.
VI.
Ombre furtive d’un mouvement. Sournoiserie du vent qui agite une branche morte ou encore un espoir
de vie ? Le vent qui hurle sa cacophonie et ambiance le chaos aimerait me voir perdre la raison.
« Si ! Ça bouge… » Une queue !
Rat ! L’animal m’observe et me ressemble. Regards plantés dans l’âme tuméfiée de l’autre. Il comprend
pour les fourmis. Il se méfie. « Aide »
« Non ! » Rat parti. Pas su retenir.
Plante mes doigts dans ma cervelle comme des serpents.
VII.
rat revenu dizaines tourne autrou moi
supplie…« dingorstrel, daie » …
Mrodu !
Gaël VRAY,
Le Pailly
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DEUXIEME PRIX
« Le cimetière des livres et mots divers »
Pièce en un acte unique.
(Décor : devant l'entrée d'un drôle de cimetière.)
Le Gardien :
Bonjour Monsieur Rimbaud ! De retour en ces lieux pour vous enlivrer ?
Rimbaud :
Ma vieillerie poétique m’amène à vous, car j'ai fait de terribles cauchemars. Je viens vous demander
service. Je crois que j'ai enterré, dans une folle calembredaine, mettant pêle-mêle, en vrac, mille et un
mots que je gardais pour un poème qui me tient à cœur.
Le Gardien :
C'en est trop ! Vous m'avez déjà embobiné la semaine dernière avec « Aube ». J'ai vidé depuis : « au
front des palais », et bien d'autres charivaris monumentaux ont été brûlés, piétinés et laminés dans ma
grande usine. (Prenant un air de vendeur) Rimbaud, cette semaine n'est pas en devanture, même si des
anges jouent du tambours pour ambiancer mon cimetière.
Rimbaud :
Vous me racontez des fariboles. Faire un autodafé de mes mots. Mais vous n'êtes qu'un hurluberlu !
Le Gardien :
Chapeau pointu ! Attendez, depuis ce matin, j'ai eu la visite d'André Breton, un drôle de mecton, puis
Marcel Achard avec une ribambelle de jeunes premières émoustillées, sans compter sur l'olibrius de
Pierre Brasseur, fin ivre, qui venait chercher la bobine originale « des Enfants du Paradis ». Alors, je vous
dis tout de go : la coupe est pleine.
Rimbaud :
Je vous signale que je n'ai rien bu. Regardez plutôt, celui-ci a un régime de faveur. Il est sûr qu'il est
mieux coté que moi. Par mille germes d'ouragan, mais tournez la tête : Victor Hugo s'octroie un zigzag,
digne des plus belles bacchanales, entre les tombes de Flaubert et Stendhal. Enfin vous devez
l'apostropher !
Le Gardien :
Mais que peut-il encore chercher, le misérable ?
Rimbaud :
Et là tout près de nous : Chateaubriand sortant des feuilles griffonnées de « Paul et Virginie ».
Le Gardien :
Je n'en viendrai pas à bout en cette morne soirée. Il va rejoindre les deux rives du Meschacebé, et, avec
ce vent impétueux, m'inonder de lettres sur tout le bord occidental …
Rimbaud :(coupant la parole au Gardien)
Vous laissez faire, alors que vous m'interdisez l'entrée.
Le Gardien :
Ce cimetière devient un lieu de timbrés. Je vous l'assure, pour ma part, il est trop fréquenté et bruyant.
Rimbaud : (Montrant un imprimé)
Ouf ! Heureusement que j'ai pris mon billet à l'octroi, voyez, j'ai le numéro 08.
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Le Gardien : (s'adressant à la foule pressante)
Ne poussez pas, il y en aura pour tout le monde. (Puis se retournant vers Rimbaud) Mais quel tohu-bohu.
Nous avons encore beaucoup de mots en stock, ils sont souvent laissés par des auteurs inconnus. (A un
homme s'avançant) Allons Monsieur je vous prie, vous avez le numéro 25, ce n'est pas encore votre tour.
Rimbaud :
Vous le connaissez ?
Le Gardien :
Bien sûr, il s'agit de Marcel Aymé, il tient à la main son ouvrage « la Jument verte ». Hier, il était déjà là
avec Bourvil, et a enterré « le Passe-muraille ». Je ne vois pas Fernandel... ni Autant-Lara.
Rimbaud :
Et cette femme qui pleure, au coin, près des Archives du Nord, qui est-ce ?
Le Gardien :
Ah ! Il s'agit de … attendez, je vais vous le dire en essayant de ne fourcher sur aucun nom. (Prenant sa
respiration et d'un seul tenant.) Il s'agit de Marguerite Antoinette Jeanne Marie Ghislaine Cleenewerck
de Crayencour enfin bref (reprenant son souffle) Marguerite Yourcenar. Depuis ce matin, très tôt, elle
cherche un poème du recueil : « le Jardin des Chimères ». Entre nous, Monsieur Rimbaud, j'ai du
récemment le déchiqueter par inadvertance. Pensez donc, mon apprenti me passe à tire-larigot et à la
pelle des mots, des syllabes, des tournures de phrase, même des livres entiers que j'enfourne sans
toujours bien regarder. Alors ? L'irréparable peut se produire et tout un pan de la littérature peut
sombrer dans l'oubli du temps.
Rimbaud :
Ses pleurs ne feront pas revenir ses écrits. Enfin, Monsieur le Gardien, vous allez m'aider, n'est-ce pas ?
Le Gardien : (Regardant sa montre gousset)
Trop tard Monsieur Rimbaud ! Je vous prie d'aller voir ailleurs si j'y suis, et je crois que vous feriez mieux
de vous rendre dans les sacs à dos de nos lycéens du XXI e siècle, vous aurez peut-être une chance de
vous retrouver !!! Sur ce, comme j'aime à dire : « les mots ...à la folie …à en devenir dingue, ras le bol, le
repas m'attend ». (Criant à la cantonade) Le cimetière est fermé jusqu'à minuit.
RIDEAU
Pascal POINSENOT,
Bannes / Arcey (Doubs)
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TROISIEME PRIX
« Colocation »
Son iris azur me joue de la prunelle. Nul doute n'est permis, c'est moi que cette créature du diable
dévore ainsi des yeux. Il faut admettre, qu'outre un physique plutôt avantageux, je dispose d'une
personnalité unique. Cela suffit, je pense, à expliquer l'intérêt manifeste de cette femme à la svelte
silhouette ivoirine. Je sens sur moi son regard cerclé de boucles en écaille dont les verres magnifient
encore l'intensité de ce bleu scrutateur.
***
Les lunettes de ma succube me rappellent celles de l'étudiante en psychologie qu'Edouard avait
rencontrée dans un de ces lieux de perdition qui fleurissent en ville où, sous prétexte d'ambiancer les
soirées de citadins désœuvrés, l'alcool coule à flot et les corps se déhanchent de façon indécente dans
un charivari de musiques aussi vulgaires qu'obscènes. Attiré par la crinière de cette jeune fille à la félinité
suave, Edouard avait pris possession de la piste de danse, son squelette agité de soubresauts dont il a le
secret. Certes il y avait à redire sur l'esthétisme de la chorégraphie de l'hurluberlu, mais mon ami avait
d'autres desseins que celui de monter un ballet. Le coup d'œil amusé que ne manqua pas de lui jeter sa
proie, intriguée par ce style unique au monde, valida la tactique d'Edouard. La sirène était ferrée.
Je ne sais quelles fariboles mon ami a pu lui servir au cours des instants qui ont suivi pour qu'elle accepte
de lui dévoiler son home sweet home. Toujours est-il qu'après avoir éclusé de quoi assommer un
bûcheron russe dipsomane, notre couple sortait des caves de l'Enfer – Dieu que le nom de cet endroit
était bien trouvé ! – en vue de prolonger sa soirée par des activités lubriques dont la seule évocation
suffit à me donner la nausée.
Autant vous le dire tout de suite, je n'approuve pas les manœuvres d'Edouard et son goût pour la
débauche et la fornication. A dire vrai, et vous devez vous en douter, je les réprouve même. Profiter ainsi
à tire-larigot des charmes féminins va à l'encontre de tous mes principes. Mais mon colocataire et moi
nous connaissons depuis toujours. J'ai constamment veillé sur lui, ma moralité extrême pondérant bien
souvent ses nombreux excès. Quels que soient ses défauts, quels que soient ses actes, Edouard sait qu'il
pourra toujours compter sur ma présence et mon soutien. J'ai bien conscience que peu de personnes
peuvent comprendre ce lien qui nous unit. Mais après tout... peu me chaut.
Le deux-pièces mansardé que l'étudiante occupait dans le 13ème arrondissement n'était pas très éloigné
du night-club. Pourtant, le temps nécessaire à le rejoindre se trouva singulièrement dilaté par les zigzags
éthyliques de l'itinéraire et les nombreux arrêts sous les porte-cochère que le désir exalté du couple
imposait.
Vous décrire les jeux auxquels se livrèrent Edouard et la jeune fille me serait insupportable. Je me
contenterai donc de vous relater la suite des évènements, une fois passés ces instants de dépravation,
une fois consommés ces corps-à-corps et ces bouche-à-bouche, une fois reposées ces chairs du désir
assouvies.
Mon ami se releva lentement et s'assit au bord du clic-clac servant de couchage à sa furtive amante. Il
contempla longuement les courbes inertes de l'étudiante puis s'alluma mécaniquement une cigarette,
les yeux dans le vague. Son regard s'arrêta un instant sur les œuvres dont la jeune fille s'enlivrait. Elle lui
avait confié, avant que l'alcool et une irrépressible attirance physique ne leur montent à la tête, qu'elle
aimait classer ses livres dans l'ordre chronologique où elle les avait lus, sa bibliothèque apparaissant
ainsi comme un témoin de son parcours, des étapes de sa vie. Cette façon de faire n'avait pas manqué
d'interpeller mon camarade.
Les trois romans qui occupaient les dernières places du rayonnage attirèrent son attention : Le Horla de
Guy de Maupassant, Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde de Robert Louis Stevenson et Le Journal d’un
fou d'Irokawa Takehiro. Tandis que ses doigts effleuraient délicatement la tranche des livres, Edouard
réalisa que ces ouvrages marquaient dorénavant les dernier jalons du chemin de la demoiselle, qu'aucun
autre recueil ne serait appelé à prendre leur suite. Sortant peu à peu de son apathie, il massa
délicatement ses mains endolories, encore marquées par la tension des muscles inhérente à la sauvage
strangulation de l'infortunée.
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Sur le seuil, la paume posée sur la clenche de la porte, Edouard jeta un dernier et rapide coup d'œil au
corps sans vie de la jeune fille, avant de rejoindre l'anonymat des boulevards parisiens, à l'heure où
s'allument les lampes.
Mon colocataire arriva à l'appartement dans un état de confusion intense, le calme qui l'avait d'abord
habité s'étant évadé concomitamment à la prise de conscience de son acte. Il en était toujours ainsi de
ses petits meurtres.
Après lui avoir administré le sédatif que j'avais appris à employer dans ces cas là, et déposé sur la maie
de l'entrée la paire de lunettes écaillées que j'avais trouvée dans sa veste, je me glissai à mon tour sous
les couvertures, sombrant rapidement dans le sommeil. J'en fus extrait par un tohu-bohu infernal
mélangeant cris, tintements de sonnette et coups sourds donnés à la porte du logement. J'eus à peine le
temps de dire ouf que le chêne vola en éclats et je compris instantanément qu'il en était de même de la
liberté d'Edouard.
***
Oui, à présent que ma succube s'approche de moi, tentatrice en diable, je constate que mes yeux ne
m’ont pas trompé et que la monture de ses lunettes est identique à celle que portait l'étudiante. Bouche
bée, je ne peux empêcher mon regard de parcourir ce galbe, m'imaginant la poitrine menue qui se cache
derrière si peu de boutons tentateurs. Je sens grandir en moi un feu, ô combien condamnable, qui me
consume, attisé par la démarche souple de la créature.
Incapable d’esquisser le moindre geste, j’observe la démone se glisser doucement derrière moi, ses
mains délicates papillonnant sur ma veste en toile, détachant la lanière qui m’entrave afin de dégager
mon avant-bras, tandis que deux colosses aux vêtements immaculés me maintiennent immobile.
Paniqué, je m’enquiers alors : « Que faites-vous ? Et où est Edouard ? ».
D'une voix timbrée, qui résonne entre les murs carrelés de cette pièce aseptisée, l'objet de mon désir
coupable m'interpelle rudement :
« Henri... Edouard n'existe pas, vous le savez très bien. Et cessez de porter sur moi ce regard de
prédateur, plus aucune proie ne viendra compléter votre tableau de chasse. ».
Edouard, on nous maltraite, on nous martyrise… on nous isole ! On se penche sur nous, seringue à la
main, l'esprit du malin en blouse blanche. Mais quels que soient tes défauts, quels que soient tes actes,
tu sais que tu pourras toujours compter sur ma présence et mon soutien.
Même porteur de camisole, je serai là pour toi.
Gauthier NARJOLLET,
Langres
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QUATRIEME PRIX
« Un après-midi de fou »
Que la nature est belle au printemps…
Au dehors, le soleil brille. Je sens sa chaleur à travers les vitres du salon. Cette pièce si bien
rangée, avec ses meubles en chêne parfaitement cirés, ses napperons brodés correctement amidonnés
et sa bibliothèque à faire pâlir d’envie tout bibliophile, est un cocon de douceur.
Lucie est assise, comme à son habitude, dans son grand fauteuil et passe son après-midi à
s’enlivrer des textes truculents de son auteur préféré : Guy de Maupassant.
Et moi ? Moi, je m’ennuie ! Le calme qui m’entoure m’est insupportable. Et le tic-tac de l’horloge
me rappelle sans cesse le temps qui passe, pesant et monotone. Je tente alors de m’occuper en
regardant par la baie vitrée. Mais au jardin, rien ne bouge. Même les jeunes pousses sur les arbustes ne
sentent pas le moindre souffle de vent… Tout à coup, une mésange se pose sur une branche, puis saute
jusqu’au sol. Tout en agitant la tête, elle trace des zigzags sur la pelouse.
Que fait-elle ? Je m’approche davantage de la vitre et me réjouis. Mon regard est soudain attiré
vers les touffes de jonquilles et de tulipes en fleurs qui s’agitent. Je fronce les sourcils et observe
attentivement. C’est alors que j’aperçois Pilou, le chat du voisin, qui tente de s’y dissimuler. Il surveille,
attentif et curieux, les allées et venues de l’oiseau.
Non mais, qu’est-ce qu’il croit, cet hurluberlu, avec ses kilos en trop et son poil angora tout
emmêlé ? Regardez-moi ça, un derrière en motte de beurre, un ventre qui touche le sol et un double
menton… Il ne croit quand même pas que ce petit passereau se laissera attraper ? Quel naïf, ce
lourdaud ! Il faut qu’il arrête de se raconter des fariboles ! Il ferait mieux de retourner dans sa panière au
coin du feu !
Tiens, il lève la tête, courbe le dos… Chouette, ça va bouger ! Ouf, enfin quelque chose qui va ambiancer
mon après-midi !
Pilou rabat ses oreilles en arrière, prend appui sur ses pattes postérieures et s’élance
lourdement vers l’oiselet, qui d’un léger battement d’ailes, file se percher sur le noisetier tout proche.
Un sourire se dessine sur mes lèvres... Qu’est-ce-que j’avais dit, hein ?
Le félin, n’abandonnant pas pour autant, commence à grimper sur l’arbuste en plantant ses
griffes dans le bois. Mais son gros derrière le retient au sol. Il s’énerve, miaule, crache.
Il est complètement timbré, ce chat !
Et moi ? Moi derrière les carreaux, je m’amuse ! Mes oreilles se redressent, ma queue s’agite
dans tous les sens et je me mets à aboyer à tire-larigot. Mes pattes griffent la vitre, je tourne sur moimême, je saute sur la porte-fenêtre. Entendant mon tohu-bohu, le chat tourne la tête dans ma direction.
Il esquisse un pas en arrière, prêt à détaler. Son regard oscille alors entre la mésange et moi.
Qu’est-ce qu’il a l’air bête, ce gros plein de soupe ! Trouillard et même pas capable d’attraper une aussi
petite bestiole !
Je jappe de plus belle. Je m’amuse comme un fou ! Alertée par mon charivari, Lucie pose son
livre et se lève :
« Eh ben alors ? Mon Loustic, qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as envie de faire ta « pipisse » ? Oh, excusesmoi, je n’ai pas vu l’heure passer, je suis si bien dans mes livres ! »
Ma maîtresse ouvre alors la porte vitrée et me laisse sortir dans le jardin. En me voyant, Pilou oublie
aussitôt le beau volatile qui le nargue du haut de sa branche, prend ses pattes à son cou, soulève son
gros derrière... (Tiens, il y arrive quand il le veut vraiment !) et détale en direction de sa maison, à la
manière d’une courge qui roule. Il regagne tant bien que mal son territoire en se faufilant par un trou
dans la palissade. Démarrant sur les chapeaux de roues, je m’élance à sa poursuite, mais me retrouve
arrêté net, bloqué aux épaules. Alors que ma tête dépasse de la faille, le reste du corps ne peut pénétrer
chez le voisin. Je recule et prenant mon élan, tente une deuxième traversée. Mais non, rien n’y fait, je ne
passe pas ! Dégageant la partie supérieure de mon corps, je m’écrase lamentablement sur les fesses et
ne peux que constater : moi aussi… je suis trop gros…
Fort en colère et un peu vexé (c’est peu dire…), je fais volte-face et relève la tête, comme si de
rien n’était. Mon regard croise alors avec dédain celui du piaf, qui n’a pas bougé de son promontoire d’où
il était aux premières loges…
Je ne suis pas bien sûr, mais il me semble que cette sale petite bestiole se moquait de moi…
Rachel DECORSE, Millières
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« Le fauteur de trouble »
Aussi loin que remontaient ses souvenirs, on l’avait toujours considéré comme un garçon à part, un fêlé
qui ne s’exprimait pas comme les autres et dont on se moquait plus ou moins gentiment- plutôt moins
d’ailleurs. Cela avait commencé dès l’école élémentaire où il était devenu la risée de ses camarades
parce qu’il ne savait pas parler « comme il faut » : il était le timbré qui rajoutait des syllabes inutiles, le
toqué qui inventait des mots de ouf, le niais qui passait son temps dans un coin à en écrire des listes à
tire-larigot. A l’écart du charivari de ceux qui ambiançaient la cour de récréation avec force cris et
chahuts ou qui entamaient des courses folles dans tous les sens, en zigzag, lui, solitaire, vivait sa passion
pour les mots en se demandant qui étaient les plus insensés… Plus tard, au collège, ce fut à la cantine
que certains prirent plaisir à le déranger en orchestrant autour de lui un monstrueux tohu-bohu avec
leurs couverts et en lui lançant moult quolibets et insultes comme « marteau, cinglé, taré » … Leur
vocabulaire limité ne les fit cependant pas aller jusqu’à hurluberlu, qui au demeurant eût été moins
méprisant. Il se souvenait encore du jour où, sortant de ses gonds, les yeux exorbités, comme en proie à
une crise de véritable démence, il s’était mis à hurler en plein réfectoire :
« Çaaa suuu-ffiiit ! Je ne suis pas fououou ! ». L’effet de surprise fut tel qu’un lourd silence s’abattit soudain sur l’assemblée. Mais quand il ajouta : « J’en ai assez d’être ouffié, timbréifié, hurluberlufié ! Vous
n’êtes qu’une bande d’incompréhenseux et de jalousifs… », les rires fusèrent à nouveau de toutes parts.
Il se recroquevilla alors sur son cahier et son stylo, reprit son regard rêveur et marmonna pour luimême : « Rira bien qui rira le dernier… et ce n’est ni une faribole ni une fanfaronnade ! ». A la suite de
cet incident, il s’enferma davantage dans son mutisme et continua à aimer les mots à sa folie, jusqu’au
jour où…
Ce matin-là, une photo faisait la une dans toute la région : entouré des pontes académiques et de
l’équipe de direction de son établissement, fiers de leur « progéniture pédagogique », un jeune garçon
de seconde brandissait une sorte de diplôme. Le quotidien local commentait : « Hier, lors d’une
cérémonie aussi grandiose qu’émouvante, le Prix du Meilleur Néologisme Poétique et Littéraire de
l’année a été décerné au jeune Alexis Cal pour la création de « s’enlivrer ». Il définit lui-même le terme
comme « l’ivresse des mots et des livres ». Dans son interview, il a déclaré qu’il avait été victime de cette
« fantaisie des mots » depuis sa plus tendre enfance et qu’elle lui avait valu autant de souffrance que de
plaisir, à cause de l’intolérance de ceux qui ne voyaient en lui qu’un gosse stupide. La vie lui offre
désormais sa revanche en le réhabilitant auprès de toute la collectivité et en le transformant en vedette
du lycée Salvador Dali. Une belle histoire de fou ! »
Rose-Marie AGLIATA,
Chamarandes
Concours d’écriture Semaine de la Langue française et de la Francophonie 2014
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« Le dictionnaire en folie»
Pour ambiancer la prochaine édition d’un dictionnaire en folie, voici, soumises à vos esprits éclairés,
quelques propositions loufoques :
Charivari : a pour synonymes régionaux : calibari, chalibari, caribari, charabari, chanavari, charlabi,
tarrabali, chalivali… illustrant l’étymologie « mal de tête » s’ils sont dits très vite à la suite.
S’enlivrer :
1S’abonner au magazine « Cent livres »
2Porter la livrée.
Faribole : anagramme que « Flobaire » n’aurait pas reniée ?
Hurluberlu : individu farfelu en tutu et chapeau pointu turlututu !
Ouf : acronyme à saisir pour : Occasion Ultra Festive.
A tire-larigot : usez du patois langrois « à torlorigot » pour ambiancer la société.
Timbré : timbre fêlé ne donnant plus que le « ré ».
Tohu-bohu : cohue sonore.
Zigzag : drôle de zigue usant d’un zag*.
*zag : n.m. scie pour tailler le bois (Vendée)
Lucette BAILLY,
Le-Puits-des-Mèzes
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« LA FÊTE DES FOUS »
(histoire véridique)
La « fête des fous » d’origine moyenâgeuse a toujours été tolérée par l’Eglise. Elle se produisait
autrefois partout en France dans le cycle des douze jours après Noël, et à Langres précisément le jour de
la Circoncision (1° janvier).
Là, c’était en général les prêtres du bas clergé qui organisaient la fête, c’est-à-dire ceux qui
n’avaient pas encore reçu les ordres majeurs ; mais on pouvait aussi y voir des prêtres pieux ou des
bourgeois d’ordinaire très sérieux. En réalité, cette fête qui se voulait joyeuse et sans débordements,
était une fête d’inversion des valeurs dans une parodie de la Religion et de la société. La messe était
récitée à l’envers, par des hommes qui portaient des habits liturgiques, s’habillaient en femmes ou
mettaient plus simplement leurs habits à l’envers. Et comme la fête était populaire autant que
burlesque, arrivait à l’office des fous un grand concours de peuple déguisé et masqué, avec quelquefois à
leur tête un « Roi du Peu-de-Sens » ou un « Prince du Tout-y-manque ».
Cette grande fête du lâcher-prise, autrefois indispensable dans une société fortement encadrée,
loin de se moquer de l’ordre établi, tendait à vérifier que toute vérité doit connaître son contraire dans le
renouvellement nécessaire de la vitalité de tout un peuple, proposant ainsi un autre modèle au monde
qui peut toujours être différent. C’est en cela que ces fêtes irritant les pouvoirs séculiers autant que
religieux, ont fini par être interdites partout en France.
Aujourd’hui, c’est la « fête des fous » ! Nous nous rendons comme tous les Langrois dans la
cathédrale de Langres. Dans le chœur, un évêque des fous un peu timbré habillé d’habits sacerdotaux
retournés, préside une parodie de messe au maître autel en commençant par la fin, pour la réciter à
l’envers. Tout autour de lui, des clercs en costume féminin ou érotique et portant des masques
grimaçants, pratiquent une danse effrénée en zigzag en bas de l’autel, tout en chantant des chants
licencieux chargés d’ambiancer la fête. D’autres oufs également déguisés, jouent aux cartes ou aux dés
sur les degrés de l’autel ou sur l’autel même à côté de l’officiant, en mangeant bruyamment des gâteaux
noirs. Dans l’encensoir projeté à tout va, se consument de vieilles semelles brûlées et des détritus, dont
la combustion dégage une fumée âcre et nauséabonde sur le peuple en délire.
A la fin de cet office particulièrement débridé, quand l’évêque élu donne la bénédiction à la populace, le
charivari atteint son paroxysme. Tous les officiants, en de parfaits hurluberlus, se répandent à travers la
cathédrale en sautant et bondissant sans aucune licence, jusqu’à emmener le peuple assemblé à danser
à travers les rues de la cité.
Les uns sont menés dans des brouettes, ou s’entassent pêle-mêle dans des charrettes. D’autres, faisant
mille facéties, font le parcours monté à l’envers sur des baudets ! Tous les participants réalisent une
parodie de procession dans cette fête populaire avec de grands gestes particulièrement indécents,
accompagnés de chants et de fariboles des plus licencieux, bombardant parfois les spectateurs de
miettes de gâteaux noirs dans un joyeux tohu-bohu.
Cette fête qui durait une bonne partie de la journée à Langres, a duré jusqu’au XVè siècle sous cette
forme. A partir de là, le clergé s’étant abstenu de participer à ces folies, la « fête des fous » se prolongea
jusqu’aux dernières années du XVIè siècle, mais uniquement dans la rue, sous le nom de « mascarades
de la Mère folle ».
Alain CATHERINET,
Condes
Concours d’écriture Semaine de la Langue française et de la Francophonie 2014
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UNE VIEILLE COUTUME A LANGRES :
LA « FLAGELLATION DES ALLÉLUIA »
(histoire véridique)
PREAMBULE : Il existait à Langres au Moyen Âge, une coutume qui se célébrait à la cathédrale le
dimanche de Septuagésime (exactement le troisième dimanche précédant les 40 jours de carême, soit la
septième dizaine de jours avant Pâques, d’où son nom).
Pour bien comprendre l’enjeu de cette fête exceptionnelle, il faut savoir que ce cri de joie « Alléluia »
(c.a.d « louez Dieu » en hébreu) chanté au cours de chaque messe dans le monde chrétien, était banni
de la liturgie pendant la période du carême qui va de la Septuagésime au Samedi saint, pour bien
marquer la pénitence. Et pour faire sentir cette disparition auprès des fidèles et marquer l’événement,
fut instaurée dans plusieurs diocèses de France, une cérémonie de ouf toujours très joyeuse.
A Langres, lors des vêpres du dimanche de Septuagésime, ce sont les enfants de chœur, acteurs
principaux de la fête de la « Flagellation des Alléluia », qui sont chargés d’ambiancer la fête présidée par
les chanoines du Chapitre cathédral. Des clercs en chasubles qui, à ce que l’on prétend, ne s’enlivrent pas
seulement que de culture biblique …
Le jour de la fête, quand les enfants de chœur arrivent à la cathédrale pour les vêpres, ils ont chacun une
très grosse toupie en forme de Tau grec sous le bras (appelée « sabot »), sur laquelle est inscrit en
grosses lettres dorées, le mot « Alléluia ». Elles sont déposées devant l’autel.
Ils assistent ensemble à l’office des vêpres dans le chœur. Puis, lorsque les chanoines entonnent le
dernier psaume, les jeunes servants se regroupent, pour aller en procession avec la croix et la banière se
présenter devant les toupies. Là, s’aidant d’un fouet, ils commencent à faire tourner leurs toupies dans le
chœur, tantôt vite, tantôt lentement au gré de leur inspiration. Quand ces toupies allant en zigzag
remplissent toute la cathédrale, elles jettent en tournoyant des éclats d’or sur les murs, que rehaussent
encore les cierges allumés. L’instant est féerique, d’autant que les conducteurs des toupies savent les
dompter savamment, les faisant virevoltant tantôt vite en les flagellant à tire-larigot et tantôt très
lentement, tout en racontant aux assistants mille fariboles.
Petit à petit, pendant que l’office s’achève dans le chœur, toutes les toupies se trouvent rassemblées à
l’entrée de la cathédrale, suivies par la foule. La grande porte romane s’ouvre, pour laisser sortir cette
bande d’hurluberlus en surplis immaculés qui s’évertue toujours à grands coups de lanières à chasser les
toupies au dehors au son des cloches parfaitement timbrées, dans un grand tohu-bohu. C’est la manière
traditionnelle de congédier les « Alléluia » à Langres, en leur souhaitant bon voyage jusqu’à la Pâque
prochaine.
De mémoire d’homme, cette curieuse cérémonie qui s’est conservée dans l’église de Langres jusqu’au
XVIIIe siècle, a toujours été l’occasion d’un grand charivari sur le parvis de la cathédrale, donnant lieu à
des fêtes populaires dont le souvenir était encore présent il y a peu.
Alain CATHERINET,
Condes
Concours d’écriture Semaine de la Langue française et de la Francophonie 2014
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"Dix mots"
ou "Voyage antromotphage"
Dialogue pour deux "comodiens"
Mangemot :
Dis, mais dis moi dix mots, des mots pour une démo,
Des mots de ton dico, des mots laids, des mots beaux,
Les bons mots de Dimey, de Denis, de Diderot,
Les mots doux qui délassent, les mots tus qui disent trop,
Les mots tifs qui ondulent, les mots durs des marmots,
Les mots froids esquimaux, les mots chauds chalumeau...
J'aime les mots jumeaux, même les mots gémeaux...
Alors donnes moi dix mots, dis les à demi-mot...
Maître Mô:
Ambiancer, faribole, ouf et hurluberlu,
Tire larigot, timbré, zig-gaz, tohu-bohu,
Charivari et s'enlivrer sont mes élus.
Certes un peu farfelus, mais gras et bien joufflus,
De mon dico mafflu ils sont frais émoulus.
Si c'est de leur afflux que dépend ton salut,
Dame, les voilà tiens, mon questeur d'absolu.
Repais t'en, mon goulu, ils te sont dévolus.
Mangemot :
Oh, joie, la belle équipe, la fête va être épique,
Je vais me régaler de ce cocktail tonique !
Car enfin s'enlivrer, boire à cet alambic,
C'est se saouler de mots, mais sans être alcoolique,
C'est partir en zig-zag chercher la Jamaïque,
Conter des fariboles à une belle impudique,
Ambiancer le salon d'une fête onirique !
Ambiancer, quelle langue. Cela sent son Afrique...
Du fond de mon fauteuil, je vois le Mozambique,
Des Djembés, des Dununs*, des danses telluriques.
C'est un charivari, en avant la musique,
Un saxo bien timbré entraine toute la clique !
Dans un tohu-bohu de rires, de chants rythmiques,
Je fais l'hurluberlu, je deviens frénétique.
A tire -larigot je bois dans une barrique !
Me voilà ivre-mots, morbleu, je m'intoxique...
Maître Mô :
Mangemot :
Dis donc, je déambule dans un dédale de mots...
C'est étrange, ils me cernent, me bousculent, ils sont trop...
Je trébuche, je titube, je chavire, j'ai des maux...
J'aimerais retrouver des réflexes normaux.
Eh bien, ouvres les yeux, ce n'est qu'un placebo,
Reviens dans ton fauteuil, quittes ce fabliau.
J'ouvre enfin les quinquets, je quitte le tableau...
Ouf, tu avais raison, je rêvais, c'est ballot...
*: Prononcer « dounoun »
Sylvian CHARNOT, Champigny-les-Langres
Concours d’écriture Semaine de la Langue française et de la Francophonie 2014
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« L’histoire complètement ouf d’un homme nommé Jésus »
C’est l’histoire d’un mec de la zone ; déjà sa mère, enceinte et célibataire avait trouvé moyen de se faire
épouser par un vieux, qui avait une bonne place : charpentier. A son compte il n’avait pas le temps de
courir le guilledou et de trouver une femme, aussi il ne fut pas regardant quand les commères lui
présentèrent celle-ci. Il goba même leurs fariboles : « Marie était enceinte du Saint Esprit ».
Ah il ne se doutait pas du charivari qu’allait créer leur gamin ! Tout d’abord, tranquille toujours à s’enliver
dans son coin, il ne leur causa que du bonheur, fallait bien le stimuler un peu pour qu’il donna la main à
porter l’autre bout d’une poutre un peu lourde. « Bien m’en a pris » se dirait Joseph un peu plus tard. En
effet il aurait l’entraînement, ployant sous la croix, dessinant des zigzags sur le fameux chemin sous les
quolibets à tire-larigot de la foule déchaînée.
Oh çà pour ambiancer une foule il savait y faire le petit. Donnez lui un aveugle et un paralytique, en
véritable mentaliste, il les faisait grimacer de voir enfin la laideur du monde ou galoper comme des
lapins.
« Que vais-je en faire de cet hurluberlu ? » soupirait Joseph. Il ne comptait pas sur sa mère : toujours
partie avec sa cousine, la Zabeth, aussi timbrée que le fiston. Il se bouchait les oreilles devant le tohubohu qu’il déchaînait sur chaque place de village. Il se demandait quand cela finirait-il. Pour un peu il eut
soupiré « ouf » quand le bloc de pierre se fut refermé sur son corps recouvert d’un linceul en sang,
déchiré par les épines au niveau du crâne.
Il ne se doutait pas que l’histoire serait encore d’actualité 2000 ans plus tard. Vraiment dingue quand on
y pense. Depuis que le monde est monde, tous les peuples avaient eu leur croyance quant à leur
appartenance au monde, son origine, qui était aux manettes et le but. Et c’était la jolie fable du fils à Jo
qui perdurerait et qu’aimeraient à se répéter chaque dimanche matin des millions d’aficionados.
Ghislaine COLIN
Langres
Concours d’écriture Semaine de la Langue française et de la Francophonie 2014
14
« FOLIE D’ELECTRE »
Je m’appelle Electre.
Je marche dans la rue, mon sac sur le dos, une lettre à la main. Le trottoir est droit. Pourtant, je marche
en zigzag. Là, une grand-mère avance difficilement. Là, un hurluberlu essaye d’échapper à sa belle-mère.
Mais ce n’est pas tout. Si j’évite les personnes, j’évite aussi les excréments. Un vrai slalom.
Je me rends à la bibliothèque.
Psychopathe du livre, je ne suis pas, pour autant, une psychotique. Si mon voisin dit le contraire, je le
démens formellement. Je préfère m’enlivrer de belles pages, encrées dans ces bijoux solitaires, plutôt
que d’écouter des fariboles, salmigondis de banalités, à la télévision. Mes amis s’appellent livre, bouquin
à l’eau de rose, BD,…
Mais j’ai aussi cette lettre pour mon frère à déposer.
Je me sens comme emprisonnée. Cette lettre est ma geôle. Mes pas se bloquent. Je ne peux plus
avancer. Une vraie camisole ! Ça y est ! J’ai envie de feuilleter. Mon incurable toc ! Je vais devenir folle. Il
me faut mon remède Je suis si pressée d’atteindre ma bibliothèque. Heureusement, ma lettre est déjà
timbrée. Ouf ! Au détour d’un virage, j’aperçois une boîte jaune. Glissant ma lettre dans la fente, je ne
veux plus traîner.
Je cours. Mon paradis n’est plus très loin. Le voilà !
Dame Jeanne est assise confortablement sur son fauteuil en osier. Elle tape, silencieuse, sur son
ordinateur. Elle enregistre les livres, les uns après les autres, à tire-larigot. Elle ne paraît pas comme ça.
Elle cache, pourtant, un talent exceptionnel. Elle est connue pour être maîtresse dans l’art d’ambiancer
les soirées littéraires. Je la salue.
« Bonjour ! »
Soudain, devant moi, s’étalent ces rayons de livres. Je vois une étagère vide. La bibliothèque me paraît
tout de suite déséquilibrée. Là voilà ! La folie de l’imaginaire me gagne ! Je dévore tout d’avance. Voilà
Sylvain Meunier, Dominique Lavallée, mais aussi Bernard Dimey, Guy de Maupassant, Milo Urban,…, mes
amis. Difficile de choisir ma conversation avec tous ces auteurs féconds. Qu’à cela ne tienne ! Je les
prends tous. Je me décide aussi pour Zola. J’adore Emile Zola. L’Assommoir, je l’ai déjà lu. Je cherche un
classique. Le rêve ? La Bête Humaine. C’est hallucinant, mais je ne l’ai jamais lu. Il est là ! Je me jette sur
lui. Je choisirais bien encore un ou deux livres, mais le poids des mots, c’est un peu le choc pour mon
dos. Tant pis, je reviendrai demain.
Je m’installe à une table, y pose mon sac.
Discrètement, alors que je mange une bêtise, l’avide frénésie de parcourir les lignes de cette œuvre folle
me plonge, en quasi overdose, jusqu’à l’inconscience de mon être. Dans ma tête, règne, peu à peu, le
tohu-bohu. Je danse sur les mots comme une vierge folle. Je dévore chaque phrase vitesse grand V.
Soudain, au milieu du bruit de la machine Lison, un chuchotement trop bruyant, aux allures de charivari,
perturbe ma lecture. Je me retourne.
Deux fous amoureux, semblant croire être seuls, s’embrassement sauvagement. Je les regarde, énervée.
C’est ma sœur ! Quelle horreur ! Ma sœur et son zouave ! Cachés au fond d’une travée, ils roucoulent au
milieu de la culture. Je fulmine. Elle me reconnaît. Ils se taisent. Ils préfèrent disparaître sans mot dire.
L’heure tourne.
Tout le jour, je lis livres sur livres jusqu’à la fermeture. J’adore ma passion, ma folie : la littérature.
Dehors, il fait nuit noire. Dame Jeanne va bientôt éteindre son ordinateur. Je le sais. Je ne veux pas partir.
Et pourtant. Amenant mes livres à la bonne dame, elle les enregistre en me donnant rendez-vous dans
trois semaines. C’est drôle. Dans son regard, je perçois deux mots : à demain.
Je finirai mes livres, isolée dans ma chambre. Aucun souci d’être dérangée, mon téléphone est en
dérangement et je cherche un cœur ouvert…comme un livre.
JÉRÔME DECOURCELLES
Le Plessis Robinson (Hauts-de-Seine)
Concours d’écriture Semaine de la Langue française et de la Francophonie 2014
15
« BIBLIOTHEQUE EN VRAC »
Ma bibliothèque est en chantier !!
Parce que les livres en ont eu assez de me voir m’enlivrer dans leurs pages depuis tant d’années, ils ont
décidé de prendre leur revanche.
Quand bien même La Grammaire est une Chanson Douce*, tout a commencé lorsque Dom Juan*,
désireux d’entraîner sa verve, a voulu flirter avec Antigone*… Un Homme Trop Facile*, elle a eu raison
de se méfier, de ne pas croire aux fariboles de La Mécanique du Cœur* et de ne pas goûter aux Fleurs du
Mal*. Quelle chance avait-elle eu de recevoir au berceau l’Education d’une Fée*, fût-elle quelque peu
timbrée !
En tout cas, cette tentative de séduction a déchaîné les passions dans La Chambre* où se situe ma
bibliothèque :
Les 40èmes Délirants* ont commencé le tohu-bohu et puis… Le Parfum* a vidé son charivari d’effluves,
les hurluberlus ont chanté autour de La Table des Enfants*, La Liste de mes Envies* s’est allongée à tirelarigot, et même La Touche Etoile* a clignoté dans tous les sens pour ambiancer la fête, cherchant sans
doute à se parer de L’Elégance du Hérisson*.
Pour finir, La Première Gorgée de Bière* en a bu d’autres et marchait en zigzag, persuadée de suivre le
dessin du pelage du Zèbre*.
Quand je suis rentrée hier soir et que j’ai vu ce bazar, j’ai d’abord été émue de les voir liés d’amitié, de
réaliser qu’ils avaient pris le temps de faire connaissance. Ils ressemblaient presque à un joli Chaos
Calme*.
Et puis j’ai dû me mettre au travail pour tout ranger, et voilà… Ouf !
La Chair du Temps* m’a donné comme un Point de Côté*, mais je les ai bien remis tous Ensemble, C’est
Tout*.
Sophie GUERRE,
Chaumont
* Erik Orsenna, Molière, Jean Anouilh, Eric-Emmanuel Schmitt, Mathias Malzieu, Charles Baudelaire,
Didier Van Cauwelaert, Françoise Chandernagor, Raymond Devos, Patrick Süskind, Isabelle Hausser,
Grégoire Delacourt, Benoîte Groult, Muriel Barbery, Philippe Delerm, Alexandre Jardin, Sandro Veronesi,
Belinda Cannone, Josyane Savigneau, Anna Gavalda
Concours d’écriture Semaine de la Langue française et de la Francophonie 2014
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Monsieur le Président,
J’ai l’honneur et le grand plaisir de vous annoncer, Monsieur le Président, que nous avons
retrouvé le chien. De nom Zigzag, d’âge et de nationalité inconnue que vous avez délibérément décidé
d’adopter pour votre 142ème anniversaire.
Il était dans un quartier malfamé, Bazarine. Ne vous inquiétez pas, Monsieur le Président, nous avons
payé des témoins de cet étrange quartier : votre chien adoré n’est jamais parti avec l’une de ces
prostitués chiennes qui font la réputation du lieu et n’a jamais trainé de ce côté. Nous avons déjà publié
un communiqué aux agences de presse, leur demandant de cesser les avis de recherche et en affirmant
avoir retrouvé Zigzag caché au fond du jardin présidentiel. Il n’y a plus aucune crainte sur ce qui est de
l’affaire canine « Zigzag » ! Comme vous le savez, votre chien est stérilisé, incapable de se reproduire. Il
est en bonne santé et toujours aussi beau.
Vous trouverez sous pli timbré, envoyé à votre adresse personnelle, mon rapport complet sur cette
terrible affaire dont les véritables ressorts resteront confidentiels.
Veuillez agréer, Monsieur le Président Hurluberlu, mes sincères salutations.
Votre dévoué chargé des affaires (très) personnelles,
Bob.
Rapport confidentiel de l’affaire canine Zigzag :
13 mars, 19h31 :
Disparition de Zigzag après une partie de balle présidentielle.
Fouille du jardin du palais sans succès.
Agent Charles sur les traces du chien dans les faubourgs.
14 mars, 13h43 :
Chien échappe à surveillance de Charles quartier Bazarine.
Charles agressé par un cul de jatte ; agent hospitalisé Hôpital Bonne Foie.
Chien introuvable.
15 mars, 17h03:
- Tentative d’activer la puce électronique intégrée au chien depuis sept ans. Matériel vraisemblablement
en
panne.
- Continuons nos recherches.
– Avis de recherche dans tout le pays, alerte à tous les médias.
17 mars, 23h55 :
- (très) Nombreux interrogatoires, quelques informations parmi nombre de fariboles.
- Zigzag localisé dans les quartiers malfamés de la capitale. Paiement des témoins.
- Envoi à tire-larigot d’élites formées pour interventions très spéciales.
18 mars, 16h :
- Principal témoin : Joe Reinier. A bien décrit le chien Zigzag : chien à ressort, entre 40 cm et 1,40 m. « Ce
chien
ambiance, un truc de ouf m’sieur !! » « C’est l’plus beau charivari que j’ai vu de toute ma vie !! Un truc
de ouf,
j’vous dis ! » a mentionné le témoin.
- J.R. aurait nourri le chien et lui aurait servi de gîte et de love-hôtel pendant 4 jours.
- Chien s’enlivrerait tous les soirs avant de sortir et d’animer le quartier.
19mars, 05h05 :
- Toutes les équipes sur le coup. Quartier Bazarine bouclé.
- Agent d’élite, alerté par tohu-bohu dans le secteur, récupère le chien, milieu animaux mauvaise vie.
- Désinfection aux services sanitaires avant livraison jardin présidentiel. Communiqué de presse.
5h34 : Fin de l’affaire.
Annaïg Honnet,
Atelier d’écriture du Lycée Diderot, Langres
Concours d’écriture Semaine de la Langue française et de la Francophonie 2014
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« Les parfums d'un potager consyllatique. »
(Poème à lyre)
Venez donc dans mon potager humer senteurs
Et écarquiller vos grands yeux d'autres rondeurs.
Passez le bas portique fait de mots timbrés,
Empilés en zigzag, vous voilà bien entrés.
Laissez avant, sur le côté, sciatiques
Et autres grosses maladies endémiques,
Pour parcourir dans un tendre charivari
Les notes de musique alignées tel le riz.
Un si, un fa, un sol, un la, puis un soupir
Trônent majestueux et pimpants pour vous dire
Qu'enfin vous êtes accueilli sans faribole
Dans le potager au doux parfum « mi bémol ».
Là, tout est permis, perché haut, l'hurluberlu
Tâtonne, les yeux bandés, frais moulu, exclu
Des syllabes, en équilibre sur un I.
Enlivré, riant, rebondi sur un autr'I.
Les zanis tapissent le sol syllabique.
Ouf ! S'il tombe sur un H académique
Alors sera mêlé dans un tohu-bohu
Sans U ni O, mais ragaillardi et imbu.
Dans ce potager ambiancé, plein de vertu,
Tête à droite, à gauche, pas de pan-pan tutu,
Seulement à tire-larigot de la joie,
Du bonheur alimentant un cœur qui rougeoie.
Venez donc dans mon potager prendre bonheur
Et distiller, en esprit, toutes ces saveurs.
Tous ces chaleureux parfums « consyllatiques »
Vont vous amener dans un monde idyllique.
Pascal POINSENOT
Bannes/Arcey (Doubs)
NB: l'auteur d'un texte sélectionné n'a pas souhaité sa diffusion
Concours d’écriture Semaine de la Langue française et de la Francophonie 2014
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