la république des lettres 56

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la république des lettres 56
LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES 56
NARRATIONS GENRÉES
ÉCRIVAINES DANS L’HISTOIRE
EUROPÉENNE JUSQU’AU DÉBUT
DU XXe SIÈCLE
Études éditées par
Lieselotte STEINBRÜGGE ET Suzan VAN DIJK
ÉDITIONS PEETERS
LOUVAIN - PARIS - WALPOLE, MA
2014
TABLE DES MATIÈRES
Suzan VAN DIJK, Lieselotte STEINBRÜGGE
Perspectives de femmes? Narrations genrées vues par-delà les
époques et les frontières linguistiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1
Vera NÜNNING
Gender, authority and female experience in novels from the
eighteenth to the nineteenth century: a narratological perspective
19
Carin FRANZÉN
Christine de Pizan’s appropriation of the courtly tradition . . . . . .
43
PARATEXTES MASCULINS ET FÉMININS
Madeleine JEAY
Le double discours de la dédicace aux dames dans les recueils de
nouvelles des XVe-XVIe siècles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
61
Henriette PARTZSCH
Manipulating genre and gender: the novella in early modern Spain
77
Isabel MORUJÃO
Présentation et représentations de la femme-auteur dans les paratextes des œuvres narratives féminines portugaises à l’âge moderne
95
Geneviève PATARD
La «défense des dames» dans les Mémoires de Madame de Murat
(1668?-1716) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
117
NARRATION FÉMININE ET FICTION
Esther Suzanne PABST
Une liaison dangereuse au Siècle des Lumières: le roman épistolaire du point de vue des études de genre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
131
Marianne CHARRIER-VOZEL
Du larmoyant à la comédie: à propos du roman sentimental et de
la femme auteur au XVIIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
149
344
TABLE DES MATIÈRES
Marianna D’EZIO
Eighteenth-century British women writers and the Arabian Nights’
Entertainments: Transmigration of a genre, creation of new literary paths . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
167
Valérie COSSY
Ces héroïnes qui ne lisent plus de romans: le topos de la lectrice
romanesque et la légitimité de la romancière au tournant du
XIXe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
185
Hendrik SCHLIEPER
Une cellule à soi. Dulce dueño (1911) d’Emilia Pardo Bazán et le
«lieu» de la femme auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
199
NARRER OU INFLUENCER LE RÉEL
Carme FONT PAZ
The cry of a virgin: gender and self-representation in Lady Eleanor Davies’ prophetic texts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
215
Véronique CHURCH-DUPLESSIS
Entre fiction et non-fiction: le roman anthropologique pour une
autre condition féminine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
227
Elisa MÜLLER-ADAMS
Gender and the city: urban narratives by German women travelling to London (19th century) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
245
Ursula JUNG
On the relationship between non-fiction and short stories in Emilia
Pardo Bazán’s œuvre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
263
RÉCEPTION ET ÉVALUATIONS
Kerstin WIEDEMANN
Le roman à l’épreuve des femmes: quelques réflexions sur la
différence des sexes et la poétique du roman en Allemagne
1830-1848 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
285
Katja MIHURKO PONIZ
Gender and narration in the writings of three 19th-century Slovene
women: Pavlina Pajk, Luiza Pesjak and Zofka Kveder . . . . . . . . .
301
TABLE DES MATIÈRES
Hanneke BOODE
Considerations of gender and genre: the reception of Margit
Kaffka . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
345
321
INDEX
Auteur-e-s étudié-e-s et mentionné-e-s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
337
CES HÉROÏNES QUI NE LISENT PLUS DE ROMANS:
LE TOPOS DE LA LECTRICE ROMANESQUE ET
LA LÉGITIMITÉ DE LA ROMANCIÈRE AU
TOURNANT DU XIXe SIÈCLE
Valérie COSSY
Université de Lausanne
Cet article se propose d’étudier le lien entre genre littéraire et genre
féminin-masculin au tournant du XIXe siècle à partir d’une mystérieuse
disparition: celle du personnage de la lectrice romanesque des romans de
Jane Austen (1775-1817) et Isabelle de Charrière (1740-1805). Cette
approche doit nous permettre de lire côte à côte deux œuvres de femmes
qui, tout en ayant beaucoup de points communs, ne sauraient être étudiées sous l’angle d’une influence réciproque directe1. Nous comptons
donc tester l’hypothèse – à travers cette lecture commune – d’une
ressemblance déterminée par le genre (gender), c’est-à-dire par leur positionnement de femme et leur choix de romancière dans le champ littéraire
en tant que celui-ci est marqué par les définitions et les hiérarchies du
féminin et du masculin de leur époque. Et, d’autre part, leurs œuvres nous
permettront également d’inscrire ce questionnement sur les effets du
genre (gender) dans une perspective comparative et de nous interroger
sur le sort contrasté de la «femme auteur» dans les champs de la littérature française et anglaise.
On relève en effet une évolution commune de la figure de la lectrice
romanesque dans les œuvres des deux romancières, de sa présence rayonnante et impertinente – mais aussi complexe – dans leurs premières
œuvres à sa marginalisation, voire à sa trivialisation ou à sa disparition
dans les œuvres de leur maturité. Dans Emma, par exemple, les seules
allusions à la lecture de romans sont placées dans la bouche de Harriet
Smith qui, à la manière des héroïnes ineptes de Love and Freindship
[sic], juge pertinent de relever que Robert Martin a lu le Vicar of Wakefield, alors qu’il ne connaît pas encore ses deux romans favoris: The
1
Isabelle de Charrière est morte six ans avant la publication de Sense and Sensibility
(1811), premier roman d’Austen à être publié, et il n’existe aucun indice à ce jour permettant de penser que Jane Austen a lu des œuvres d’Isabelle de Charrière.
186
VALÉRIE COSSY
Romance of the Forest (1791) d’Ann Radcliffe et The Children of the
Abbey (1798) de Regina Maria Roche, deux romans noirs que Catherine
Morland n’aurait pas désavoués2. Or, non seulement la qualité de lecteur
de Goldsmith laisse Emma de marbre, mais le goût des romans gothiques
ne sert ici qu’à souligner la naïveté et l’inculture de Harriet Smith, produit typique de la boarding-school de Mrs Goddard, où «girls might be
sent to be out of the way and scramble themselves into a little education,
without any danger of coming back prodigies»3. Chez Charrière on peut
invoquer Sainte Anne, ce personnage masculin amoureux de sa cousine
illettrée, pour qui la lecture de romans, synonyme d’ «amusement», est
soit néfaste soit inutile:
les romans, les drames en prose et en vers, qui sont la lecture la plus
ordinaire des jeunes personnes honnêtes des deux sexes, ne peuvent
servir de rien […]. Ce que dit Rousseau relativement aux spectacles
dans son admirable lettre à d’Alembert me paraît devoir s’étendre à la
lecture de toute pièce de théâtre, et en général à presque toutes les
lectures des femmes et des jeunes gens.4
De même dans la Suite des Trois femmes, Charrière fait dire à son narrateur, l’Abbé de la Tour, que les romans «gâtent» l’esprit des femmes,
raison pour laquelle Constance et Emilie ne sont pas des lectrices de
romans auxquels elles préfèrent les livres d’Histoire5.
Cette attitude pour le moins critique contraste avec la manière dont le
rapport des héroïnes au genre romanesque est abordé dans les premiers
textes de fiction. Charrière et Austen affichent alors à l’égard de la question une absence de complexe tout à fait roborative. Sans forcément cautionner les lectures de Julie d’Arnonville, le narrateur du Noble considère
comme une évidence plutôt rassurante le fait que celle-ci préfère les
romans aux «Traités de Blazon» que lui fait avaler son père. Cette préférence fonctionne même, dans le contexte du conte, comme le signe de
la «normalité» de Julie, de son bon cœur et de son bon sens6. De même,
2
Austen, Jane: Emma, Richard Cronin et Dorothy McMillan (éds.), The Cambridge
Edition of the Works of Jane Austen, Cambridge: Cambridge University Press 2005, p. 28.
3
Austen: Emma, p. 21. Dans leur introduction Richard Cronin et Dorothy McMillan
relèvent que ces deux romans mettent en scène des héroïnes qui, comme Harriet, ignorent
leurs origines et que, à ce titre, «they offer Harriet […] precisely the kind of wish-fulfilling fantasy that she might be expected to crave». (Austen: Emma, p. liii).
4
Charrière, Isabelle de: Sainte Anne [1799], in: id.: Œuvres complètes, 10 vol.,
Amsterdam: Oorschot 1979-1984, ici t. IX (1981), p. 271 et 276-77.
5
Charrière, Isabelle de: Suite des Trois femmes, in: id.: Œuvres complètes, t. IX,
p. 134.
6
Charrière, Isabelle de: Le Noble [1762], in: id.: Œuvres complètes, t. VIII, p. 21.
LE TOPOS DE LA LECTRICE ROMANESQUE
187
dans les Lettres de Mistriss Henley, ainsi que l’a montré Jean Mainil,
Mistriss Henley s’avère une lectrice attentive et critique du Mari sentimental de Samuel de Constant, le roman qui déclenche l’écriture des
lettres «à son amie». Loin de perdre la tête à cause d’un roman, Mistriss
Henley en devient plus lucide sur sa condition conjugale et découvre, à
l’occasion de cette lecture, la nécessité de trouver ses propres mots pour
la décrire. Et, comble de l’ironie, c’est son mari qui se trouve, lui, aveuglé sur les «différences» entre la réalité et la fiction7.
Quant à Catherine Morland, l’héroïne qui, dans Northanger Abbey,
dévore des romans noirs, elle est au service d’une réhabilitation et d’une
défense des «gothic novels» bien plus que de leur condamnation. Austen
détourne l’objet de la satire comme les attentes de l’establishment intellectuel – les «Reviewers» et les «thousand pens» qui encensent
the nine-hundredth abridger of the History of England, or […] the man
who collects and publishes in a volume some dozen lines of Milton,
Pope, and Prior, with a paper from the Spectator, and a chapter from
Sterne.8
Contrairement à eux, la narratrice de Northanger Abbey conserve une foi
absolue dans les qualités de cœur et d’esprit de son héroïne. Catherine a
en effet le bon goût de tomber spontanément amoureuse du seul type bien
du roman, Henry Tilney, sans jamais se laisser épater par les mondanités
ou les faux-semblants de Bath et sans se départir de son bon sens. Elle
est parfaitement capable de se faire une opinion, et d’aller, par exemple,
à l’encontre des avis de son frère James et de son amie Isabella sur les
qualités universellement séduisantes du frère de celle-ci: après moins
d’une heure passée en compagnie de John Thorpe, il lui paraît tout simplement indispensable «to resist such high authority»9. Sa seule erreur,
bien sûr, consiste à confondre le père de Henry, General Tilney, avec le
vilain d’un roman noir et à le soupçonner d’avoir assassiné sa femme.
Mais si elle se fait sérieusement sermonner par Henry à ce sujet10, cette
remontrance est loin de constituer le mot de la fin du roman, et l’ironie
7
Charrière, Isabelle de: Lettres de Mistriss Henley publiées par son amie [1784], in:
id.: Œuvres complètes, t. VIII, p. 101; cf. Mainil, Jean: Don Quichotte en jupons, ou des
effets surprenants de la lecture, Essai d’interprétation de la lectrice romanesque au
XVIIIe siècle, Paris: Kimé 2008, p. 125.
8
Austen, Jane: Northanger Abbey, Barbara M. Benedict et Deirdre Le Faye (éds.), The
Cambridge Edition of the Works of Jane Austen, Cambridge: Cambridge University Press
2006, p. 31
9
Id., p. 63.
10
Id., p. 203.
188
VALÉRIE COSSY
dramatique qui structure l’intrigue finit par donner partiellement raison à
Catherine. Au final elle est coupable, tout au plus, d’une erreur d’échelle:
en la renvoyant sans escorte et sans le moindre égard de chez lui sous
prétexte qu’elle n’est pas la riche héritière qu’il convoitait pour son fils,
le général Tilney apporte la preuve qu’il est, toute proportion gardée, et
relativement au cadre de l’Angleterre civilisée, un affreux personnage,
un vilain moderne. Catherine, pour sa part, «was guilty only of being less
rich than he had supposed her to be»11. Non seulement elle n’est pas
coupable, mais, comme le dit sa mère avec fierté: «she is not a poor
helpless creature, but can shift very well for herself»12. Ainsi que Jocelyn
Harris l’a montré à travers son analyse de l’intertexte, le personnage de
Catherine Morland est défini par l’optimisme lockéen qui voit dans le
bonheur la récompense du bon usage de l’entendement humain13.
Dans Northanger Abbey comme dans Le Noble, les imprudences dans
lesquelles les lectures romanesques entraînent les héroïnes sont sans
conséquence grave. En outre, le bonheur que Julie et Catherine trouvent
dans le sentiment amoureux, conformément aux modèles romanesques
dont elles se nourrissent, se décline chaque fois explicitement en terme
de «désobéissance» et d’une attaque directe de la loi du père14. Dans les
deux textes cette loi, qui s’oppose à celle du cœur, est joyeusement
piétinée et le patriarcat ridiculisé, chaque héroïne obtenant même des
patriarches déchus de leur piédestal la bénédiction de son mariage en
exploitant leurs vices: Julie profite d’un moment d’ivresse du baron
d’Arnonville pour rentrer en grâce15, et Catherine et Henry, grâce à un
«fit of good humour» dû à l’avarice du général, parviennent à lui extorquer son consentement16. Dans ces deux textes de jeunesse, la récupération de la lectrice romanesque est mise au service d’un féminisme impertinent et décomplexé de la part des romancières.
11
Id., p. 253.
Id., p. 246.
13
Harris, Jocelyn: Jane Austen’s Art of Memory, Cambridge: Cambridge University
Press 1989, p. 13.
14
Cf. la dernière phrase de Northanger Abbey: «I leave it to be settled by whomsoever
it may concern, whether the tendency of this work be altogether to recommend parental
tyranny, or reward filial disobedience», Austen: Northanger Abbey, p. 261; et, dans Le
Noble, l’épisode de la fuite avec les portraits des ancêtres jetés dans le fossé: «L’Amour
lui présente des motifs moins faibles [que ceux de son père], il la détermine, et Julie saute
lestement sur le visage d’un de ses ancêtres qui se rompt sous ses pieds», Charrière: Le
Noble, p. 33.
15
Charrière: Le Noble, p. 34.
16
Austen: Northanger Abbey, p. 260.
12
LE TOPOS DE LA LECTRICE ROMANESQUE
189
Comment donc Isabelle de Charrière et Jane Austen sont-elles passées
de ce traitement optimiste et provocateur du topos de la lectrice de roman,
qui participe même de leur défense et illustration du genre romanesque
et d’une attaque en règle du patriarcat, à l’abandon des figures de lectrices et à une attitude critique et pessimiste vis-à-vis des effets du roman
sur les femmes? On pourrait sans doute invoquer l’âge des romancières
qui, chacune, se serait assagie en vieillissant, certes. Mais cette explication ne suffit pas car, on peut le constater à de nombreuses occurrences,
le topos de la lectrice et le sort du genre romanesque continuent de les
intéresser profondément même si elles les abordent de manière détournée. Chacune envisage, par exemple, un renversement genré du topos:
Charrière avec Sir Walter Finch, qui est incapable de comprendre que les
femmes en chair et en os ne ressemblent pas à Julie d’Etange et Clarissa
Harlowe; Austen avec, dans le roman qu’elle était en train de rédiger au
moment de sa mort (Sanditon), un personnage masculin à qui les poètes
romantiques font tourner la tête, Sir Edward Denham qui se prend pour
un Lovelace romantique. L’abandon du topos de la lectrice est à comprendre plutôt comme l’indice d’un changement de stratégie de la part
des romancières à un moment particulier de la longue histoire de «women
and fiction», pour reprendre la formule de Virginia Woolf17, changement
de stratégie qui est à inscrire dans le contexte général de l’évolution des
concepts de genre (gender) et de genre littéraire entre la fin du
XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle18.
Ce que nous aimerions suggérer, mais qui exigerait des développements plus longs que ne l’autorise le cadre de cet article, c’est que, chez
les deux autrices, l’abandon de la figure de la lectrice participe d’un refus
des assignations de genre (gender) en littérature et témoigne de leur
17
Voir la toute première page de Woolf, Virginia: A Room of One’s Own, Londres:
Hogarth Press 1929.
18
Plusieurs travaux et recueils ont déjà été consacrés à la question, citons notamment
Ross, Marlon: The Contours of Masculine Desire: Romanticism and the Rise of Women’s
Poetry, New York/ Oxford: Oxford University Press 1989; De Bolla, Peter: The
Discourse of the Sublime: Readings in History, Aesthetics, and the Subject, Oxford: Basil
Blackwell 1989, p. 230-78; Mellor, Anne K.: Romanticism and Gender, New York: Routledge 1993; Mellor, Anne K. (éd.): Romanticism and Feminism, Bloomington/ Indianapolis: Indiana University Press 1988; Hofkosh, Sonia: Sexual Politics and the Romantic Author, Cambridge: Cambridge University Press 1998; Simpson, David: Romanticism,
Nationalism, and the Revolt Against Theory, Chicago: University of Chicago Press 1993,
chapitre 5. Cette évolution a lieu selon des chronologies distinctes d’une culture à l’autre;
Charrière elle-même se trouvant décalée par rapport à la chronologie du genre romanesque
français, où la transition abrupte entre genre sentimental et genre réaliste s’opère longtemps après sa mort.
190
VALÉRIE COSSY
lucidité sur les effets de genre (gender) qui affectent le champ littéraire
(ou artistique en général) à leur époque. En dépit de la différence d’âge
entre Charrière et Austen et d’un point de vue biographique, leurs œuvres
correspondent à un cheminement comparable: chacune évolue d’une
ambition revendiquée de s’insérer dans le champ littéraire en tant qu’auteur à part entière tout en marquant sa différence – notamment en se
moquant du défaut de légitimité qu’on impute aux femmes – à une renégociation «en coulisse» ou clandestine de sa légitimité dans un champ
littéraire qui n’admet plus, désormais, l’équation entre femme et (grand)
auteur. Revendiquer son statut de femme dans le champ littéraire les
expose – elles finissent par le comprendre – au risque de se faire définitivement cataloguer parmi les auteurs de deuxième catégorie. Charrière
et Austen réalisent que leur marge de manœuvre pour négocier leur légitimité dans le champ s’est considérablement réduite, c’est ce que signifie
la disparition de la figure de la lectrice. Avec Stendhal – et avec le même
aplomb qui fait dire à Virginia Woolf que les rapports sociaux de sexe et
la littérature changent «about the year 1910»19 – nous affirmons que tout
change en 1800:
Tout est changé du tout au tout en France. […] On trouvait [dans une
ville de province] trois ou quatre maisons ouvertes tous les soirs. Rien
de semblable aujourd’hui: tout est triste et guindé dans les villes de six
à huit mille âmes. L’étranger y est aussi embarrassé de sa soirée qu’en
Angleterre. Les hommes ont pris le goût de la chasse et de l’agriculture, et leurs pauvres moitiés, ne pouvant faire des romans, se consolent
en les lisant.
De là l’immense consommation de romans qui a lieu en France. Il n’est
guère de femme de province qui ne lise cinq ou six volumes par mois,
beaucoup en lisent quinze ou vingt; aussi l’on ne trouve pas de petite
ville qui n’ait deux ou trois cabinets de lecture. […]
Les petites bourgeoises de province ne demandent à l’auteur que des
scènes extraordinaires qui les mettent toutes en larmes; peu importent
les moyens qui les amènent.20
Ainsi à partir de 1800, selon Stendhal, on ne rigole plus, surtout lorsqu’on
est une femme, et la province française se mettrait même à ressembler à
l’Angleterre. C’est à cette situation nouvelle que font face Charrière et
Austen. Ni l’une ni l’autre ne croit à la fatalité d’une médiocrité intellectuelle pour les femmes. Mais leur défense du genre romanesque, de la
19
Woolf, Virginia: Character in Fiction, in: Bradshaw, David (éd.): Virginia Woolf:
Selected Essays, Oxford: Oxford World’s Classics 2008, p. 38.
20
Projet d’article de Stendhal sur Le Rouge et le Noir, repr. in: id.: Le Rouge et le
Noir, Paris: Folio 2005, p. 728-729.
LE TOPOS DE LA LECTRICE ROMANESQUE
191
romancière et de ses lectrices devra emprunter désormais d’autres voies
que l’allègre subversion du topos de la lectrice.
MASCULINISATION DU CHAMP DE LA CRÉATION (GENDER)
Charrière et Austen s’avèrent sensibles à la masculinisation de la création artistique «légitime» qui se profile à partir de la dernière décennie
du XVIIIe siècle. Dans une lettre adressée à Ludwig Ferdinand Huber le
26 janvier 1802, Charrière évoque, par exemple, la sœur de Therese Forster (qui vit à ses côtés), Claire, jeune femme de talent chez laquelle se
manifeste une vocation d’artiste:
[Thérèse et moi] désirons ardemment qu’elle devienne peintre, là tout
de bon peintre, Mahler plutôt que Mahlerin. De petits portraits en
miniature ne nous satisferaient pas […]. Dans le genre du paysage, une
femme ne rencontre pas plus d’obstacle qu’un homme, de petites
figures habillées suffisent, et l’on n’a nul besoin de salle de peinture,
de modèle nu, pour apprendre à très bien dessiner les animaux. Il me
semble que l’originalité du caractère et de la tournure d’esprit s’excuse
parfaitement quand elle est due à un talent extraordinaire, mais ne
s’excuse qu’alors. Il faut pouvoir considérer la personne originale
moins comme une amie, une mère, une maîtresse de maison étrange et
bizarre que comme un peintre, un sculpteur, un poète, avec qui il ne
sera point question de vivre, mais que l’on admire beaucoup et dont
les ouvrages célèbres et extrêmement loués ne manqueront pas d’être
payés fort chèrement. Voilà, en nous exaltant un peu, le sort que nous
faisons à Claire. Sa sœur est déjà toute disposée à l’admiration et nous
voyons dans un coin des plus jolis tableaux: Cl. Forster invenit.21
Le choix de substantifs masculins – Mahler, un peintre, un sculpteur, un
poète – témoigne de la conscience qu’a Charrière du caractère désormais
stigmatisant du féminin appliqué à l’activité artistique. Alors que ses
romans épistolaires d’avant la Révolution s’inscrivaient dans une production littéraire «féminine» et légitime en tant que telle, le féminin relève
désormais d’une position inférieure ou mineure dans la hiérarchie des
genres artistiques. Cette hiérarchie des genres est certes moins explicite
en littérature qu’en peinture, dont il est question ici, mais les productions
typiquement féminines y sont connotées de la même manière, c’est ce
qu’elle a bien compris. D’où la nécessité de faire passer au premier plan
du discours «un» artiste au genre masculin ou indéterminé et de faire
21
Charrière: Œuvres complètes, t. VI, p. 481.
192
VALÉRIE COSSY
oublier, si faire se peut, les identités féminines (amie, mère, maîtresse de
maison). Comme Austen le fait au chapitre 5 de Northanger Abbey dans
un passage souvent cité22, Charrière tient à rattacher les femmes aux
concepts romantiques de génie et d’originalité, hors des sentiers battus
des arts mineurs, arts d’agrément déterminés par les conventions et les
assignations de genre (gender), mais ce rattachement se joue désormais
sur le mode d’une neutralisation ou d’une minimisation du féminin dans
le discours.
Pour illustrer la réaction d’Austen à ce qu’elle perçoit comme une
monopolisation par les hommes de l’Art légitime, on peut citer sa réaction lorsque, en 1814, lui parvient la rumeur que Scott se serait mis à
écrire des romans et serait même l’auteur de Waverley:
Walter Scott has no business to write novels, especially good ones. – It
is not fair. – He has Fame & Profit enough as a Poet, and should not
be taking the bread out of other people’s mouths. – I do not like him,
& do not mean to like Waverley if I can help it – but I fear I must.23
Opéré sur le mode de la plaisanterie, le commentaire n’en décèle pas
moins une lucidité sur les enjeux de pouvoir à l’œuvre au sein du champ
littéraire. Walter Scott est traité en prédateur masculin pillant des ressources qu’Austen juge implicitement revenir de droit aux femmes,
qu’elle désigne ironiquement sur un mode universel («other people»).
L’objet du délit, ce n’est pas n’importe quel roman, mais le «bon» roman
(«especially good ones»), auquel Austen a consacré sa vie de créatrice
et qu’elle est parvenue à hisser, dans la hiérarchie des genres littéraires,
au niveau de la poésie en faisant publier les siens chez John Murray,
l’éditeur des œuvres poétiques de Scott et Byron24. Comme Charrière,
Austen relève aussi l’importance de la double reconnaissance symbolique
et matérielle. Toutes deux considèrent l’argent comme une nécessaire
confirmation de la reconnaissance symbolique: «fame and profit», ou,
22
Austen: Northanger Abbey, p. 30-31; voir notamment l’analyse qu’en fait Christine
Planté. Planté, Christine: La petite sœur de Balzac, Paris: Seuil 1989, p. 232.
23
Lettre à Anna Austen du 28 septembre 1814, in: Le Faye, Deirdre (éd.): Jane
Austen’s Letters, Oxford: Oxford University Press 1995, p. 277. Pour une analyse de
l’intervention de Scott dans le champ du roman en fonction du genre (gender), voir Ferris,
Ina: The Achievement of Literary Authority, Gender, History, and the Waverley Novels,
Ithaca: Cornell UP 1991, chapitre 3: «A Manly Intervention: Waverley, the Female Field,
and Male Romance», p. 79-104.
24
Voir Fergus, Jan: Jane Austen, A Literary Life, Londres: Macmillan 1992, chapitre
5; id.: The professional woman writer, in: Copeland, Edward et McMaster, Juliet (éds.):
The Cambridge Companion to Jane Austen, Cambridge: Cambridge University Press
1997, p. 12-31.
LE TOPOS DE LA LECTRICE ROMANESQUE
193
dans l’ordre, la gloire et le profit. L’intrusion de Scott, le poète célèbre,
dans le champ de la production romanesque est traitée par Austen comme
un cas de concurrence déloyale: Scott représentant un risque non négligeable d’annexion du champ en vertu des avantages concurrentiels que
lui confèrent ses statuts d’homme et de poète.
CRITIQUE D’UNE FÉMINISATION CARICATURALE DES ROMANCIÈRES (GENDER)
Leur conscience de la masculinisation de l’Art avec un grand «A» s’accompagne d’une critique du roman dit féminin et des nouvelles modalités
de féminisation de l’écriture romanesque. Cette féminisation ne s’opère
plus, comme elles pouvaient le croire à leur début, dans une relation de
liberté vis-à-vis du patriarcat. Charrière et Austen doutent désormais que
des femmes comme elles puissent directement et librement définir le
contenu d’un art qui serait d’emblée présenté comme «féminin». La
féminité et la littérature dite féminine sont devenus des enjeux idéologiques sur lesquels les créatrices individuelles ont une prise désormais
limitée25. Les romancières qui se réclament d’une créativité «féminine»
font dorénavant le jeu du conformisme et d’une adhésion au patriarcat.
L’ère de la désobéissance est révolue.
C’est dans ce sens, par exemple, que l’on peut lire les remarques
condescendantes et désabusées de Sir Walter Finch sur les activités littéraires de Lady C:
Milady fait actuellement des romans dont milord se moque. Voilà de
quoi subsiste la conversation à Thorn Hill. Le roman qui a paru n’est
pourtant pas absolument mauvais. Le langage en est assez pur, les
sentiments à l’abri du blâme, ainsi que les aventures. Si celles-ci
n’étaient un peu bizarres et accompagnées d’une foule d’événements
très imprévus, le livre tomberait des mains, on s’endormirait, bercé par
la trivialité de la morale et la monotone noblesse du style.26
Insipidité, manque de profondeur et intrigue peu plausible, voilà comment
Charrière, par la bouche de son personnage, résume les représentations
25
Voir, par exemple, le premier chapitre «The novel of crisis» dans le livre de Johnson, Claudia L.: Jane Austen, Women, Politics and the Novel, Chicago: University of
Chicago Press 1988, p. 1-27; voir aussi le chapitre 1 «Critical Tropes: The Republic of
Letters, Female Reading, and Feminine Writing» de l’ouvrage d’Ina Ferris: Achievement,
p. 19-59.
26
Charrière, Isabelle de: Sir Walter Finch et son fils William, in: id.: Œuvres complètes, t. IX, p. 550.
194
VALÉRIE COSSY
sociales de la romancière. Quant au succès de ce sous-genre romanesque,
il dépend, selon Sir Walter, non pas des qualités (inexistantes) de l’œuvre
mais de l’adhésion de la romancière aux représentations sociales de la
femme idéale:
Et cela se lit. Les auteurs des journaux, des annonces de livres admirent
qu’une femme remarquable par l’élégance de ses mœurs, de sa personne et de sa maison réunisse tant de talent avec tant de grâces et de
vertus.27
Ce qui intéresse les chroniqueurs, si l’on en croit Sir Walter, ce n’est pas
l’œuvre en soi, mais la conformité de la romancière avec une définition
conventionnelle de la féminité, dans une mise à plat des valeurs (mœurs,
personne, romans, maison seraient traités sur un même plan). On trouve
là une première critique du «double standard» qui caractérisera la critique littéraire au XIXe siècle, «double standard» dénoncé par George
Eliot en 1856 et analysé par Elaine Showalter dans A Literature of Their
Own (1977)28. L’ «élégance» serait le maître mot d’un discours critique
spécifique à cette production féminine. En outre, il s’agirait bien d’une
production et non d’une œuvre au sens artistique du terme:
Quand j’ai dit à son mari que ses ouvrages du moins étaient d’elle, et
d’elle seule… «Pardonnez-moi, m’a-t-il répondu, un ami fournit le
plan, les incidents sont imités de tous les romans du jour, et l’homme
qui corrige les épreuves revoit le style; mais je voudrais qu’elle n’y
mît du sien absolument que son nom, alors ils auraient quelque chance
d’être passables».29
Selon cette représentation sociale, la romancière se trouve donc aux antipodes du créateur. Loin d’être définie par l’originalité et le génie, son
œuvre relève du «savoir faire».
Se faire prendre pour une Lady C, c’est donc le risque auquel s’expose
la romancière qui compterait marquer de manière trop insistante sa
différence en tant que femme créatrice. Pour Isabelle de Charrière, l’insulte suprême consiste à recevoir des conseils «d’écrivain à écrivain» de
la part d’Isabelle de Montolieu qui, ainsi que l’a suggéré Maud Dubois,
a probablement servi de modèle à Lady C.:
27
Ibid.
Eliot, George: Silly Novels by Lady Novelists, in: Westminster Review, lxvi, October 1856, p. 442-461; Elaine, Showalter: A Literature of Their Own, British Women Novelists from Brontë to Lessing, Princeton: Princeton University Press 1977, chapitre 3.
29
Charrière: Sir Walter Finch, p. 550-551.
28
LE TOPOS DE LA LECTRICE ROMANESQUE
195
L’autre jour Mme de Montolieu ne voulait pas m’en croire quand je
lui disais comment j’étais traitée par les libraires et les imprimeurs.
Elle ne connaît point ces difficultés-là, elle dont on imprime et vend
et lit avec empressement les Tableaux de famille. Enfin, chacun a son
savoir faire. —Non, du savoir faire je n’en ai aucun.30
Ne pas avoir de savoir faire, c’est, selon la rhétorique de genre (gender)
désormais en vigueur, une façon de se situer dans le champ (plutôt masculin) de l’Art.
Rompant avec sa défense inconditionnelle du roman en tant que genre
féminin et avec celle tout aussi inconditionnelle des romancières et des
lectrices telles qu’on peut les lire dans Northanger Abbey, Austen devient
elle aussi de plus en plus critique vis-à-vis de la production «typiquement
féminine» de son époque et y relève les mêmes travers que ceux notés
par Sir Walter Finch. A propos du roman de Mary Brunton, par exemple,
elle observe:
I am looking over Self-Control again, and my opinion is confirmed of
its being an excellently meant, elegantly written work, without anything of nature or probability in it. I declare I do not know whether
Laura’s passage down the American river is not the most natural,
possible, every-day thing she ever does.31
Les qualités féminines du roman qu’elle louait sans équivoque dans
Northanger Abbey sont connotées très différemment dans ce passage: les
bonnes intentions et l’élégance censées définir le roman de Brunton
s’avèrent des qualités problématiques lorsqu’elles s’associent à ce que
Sir Walter appellerait la «bizarrerie» des aventures. Considérées
ensemble ces caractéristiques deviennent des qualités négatives typiques
du roman «féminin». Austen est tout aussi sévère à l’égard du roman de
Sarah Burney, Clarentine (1789):
We are reading Clarentine and are surprised to find how foolish it is.
I remember liking it much less on a second reading than at the first and
it does not bear a third at all. It is full of unnatural conduct and forced
difficulty without striking merit of any kind.32
Il faut relever que les remarques critiques d’Austen sur le roman féminin
contemporain interviennent dans le cadre d’une communauté de lectrices
30
A Benjamin Constant, 27 juin 1801, Charrière: Œuvres complètes, t. VI, p. 354. Cf.
Dubois, Maud: Le roman sentimental en Suisse romande (1780-1830), in: Annales Benjamin Constant, 25, 2001, p. 164.
31
Lettre à Cassandra Austen du 11-12 octobre 1813, in: Le Faye: Letters, p. 234.
32
Lettre à Cassandra Austen du 8-9 février 1807, in: Le Faye: Letters, p. 120.
196
VALÉRIE COSSY
de romans: dans des lettres adressées à sa sœur Cassandra et à ses nièces
qui elles-mêmes s’essaient à l’écriture romanesque, Anna Austen et
Fanny Knight. Cette communauté se distingue donc des contempteurs du
genre romanesque qui le rejettent au nom de la morale. Elle veut encore
croire, au contraire, à la possibilité pour les femmes de créer des romans
qui soient aussi des «œuvres» au sens artistique du terme. Les critiques
d’Austen sont emblématiques de la nécessité qu’elle perçoit de négocier
son statut de romancière dans le champ littéraire sans s’y faire assimiler
à ces romancières qu’elle critique et qui sont en train de devenir, dans les
représentations sociales, synonymes d’une médiocrité «naturelle» des
créatrices.
ENJEU DU TOPOS EN 1800 (LE GENRE DES GENRES)
C’est donc dans le cadre de cette renégociation de ce que devrait idéalement signifier être une créatrice qu’il faut comprendre les enjeux du
topos de la lectrice pour Charrière et Austen, renégociation qui passe pour
elles par son abandon ou sa mise à distance critique. Ce qui reste à faire,
c’est de considérer ces renégociations dans le cadre de l’histoire du roman
et des rapports sociaux de sexe (genre and gender), en particulier par
rapport à cette rupture – 1800 – qu’identifie Stendhal rétrospectivement.
Harriet Smith prenant la place de Catherine Morland dans le rôle de lectrice de romans noirs, les étagères de Fanny Price – dans Mansfield Park
– ostensiblement dénuées de romans, la baronne de Berghen passant commande à l’Abbé de la Tour d’un «récit» qui se distingue des romans du
jour ou le compte rendu comique par Mlle de Kerber de la lecture en
commun du «roman sublime» et pathétique dans Sainte Anne sont
quelques-uns des moyens mis en œuvre par Austen et Charrière pour
résister au présent – en 1800 «or thereabout» – aux assignations des lectrices et des romancières, c’est-à-dire au triste sort qui, dans une perspective téléologique, attendait les femmes au XIXe siècle mais qu’ellesmêmes, en tant que créatrices, avaient encore l’espoir d’infléchir dans leur
présent33. A l’esprit des femmes laissé en friche ou «dressé» par des plans
33
Austen, Jane: Mansfield Park, John Wiltshire (éd.), The Cambridge Edition of the
Works of Jane Austen, Cambridge: Cambridge University Press 2005, vol. I, chapitre 16;
Charrière, Isabelle de: Trois femmes, in: id. Œuvres complètes, t. IX, p. 41; id.: Sainte
Anne, in: id. Œuvres complètes, t. IX, p. 275.
LE TOPOS DE LA LECTRICE ROMANESQUE
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d’éducation ineptes, à l’ennui, à la non-mixité que déplore Stendhal, leurs
romans proposaient encore des alternatives dans l’esprit des Lumières.
Reste surtout à comprendre – la question n’est pas neuve – pourquoi
la porte, restée entrouverte en Angleterre, s’est refermée en France sur
les aspirations artistiques des romancières, notamment sur leur participation à l’aventure du roman réaliste. Lue aux côtés de celle d’Austen,
l’œuvre de Charrière – notamment le recueil de l’Abbé de la Tour et Sir
Walter Finch – suggère que les réponses sont à chercher non pas dans un
impensé ou une prédilection spontanée de la part des romancières pour
le genre sentimental mais du côté du «champ» littéraire: de ces «règles
de l’art» que Bourdieu a déclinées au masculin universel et qu’il nous
reste, immense travail, à décliner au féminin/ masculin.

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