REFLEXIONS AUTOUR DU JUDAÏSME ANCIEN

Transcription

REFLEXIONS AUTOUR DU JUDAÏSME ANCIEN
REFLEXIONS AUTOUR
DU JUDAÏSME ANCIEN
dans les nouveaux programmes de sixième
Daniel FAIVRE
Historien spécialiste du judaïsme ancien
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
Daniel FAIVRE
1 - INTRODUCTION
Cette étude se propose de réfléchir sur la manière dont le judaïsme ancien est abordé dans les
nouveaux manuels scolaires de Sixième, après la réforme des programmes, telle qu’elle est définie
par le Bulletin Officiel spécial n° 6 du 28 août 2008 et qui est entrée en vigueur en septembre 2009.
Six éditeurs sont concernés par cette enquête : Belin, Bordas, Hachette, Hatier, Magnard et
Nathan, publiés en 2009.
Naturellement, nous aurons également à cœur de réfléchir sur le bien-fondé de cette nouvelle
réforme, dont il est peut-être utile de rappeler les grands principes, énoncés en annexe du B.O.
déjà cité.
Consignes générales :
Des mondes anciens aux débuts du moyen âge
À l’école primaire, les élèves ont étudié les premières traces de la vie humaine sur lesquelles on ne
reviendra pas au collège. Ils y ont également abordé l’Antiquité à travers l’approche de la Gaule et de sa
romanisation.
En sixième, après un premier contact avec une civilisation de l’Orient, les élèves découvrent la Grèce et
Rome : l’étude porte sur la culture et les croyances, sur l’organisation politique et sociale.
La quatrième partie est dédiée à l’émergence du judaïsme et du christianisme, situés dans leur contexte
historique : les principaux éléments de croyance et les textes fondateurs sont mis en perspective avec le
cadre politique et culturel qui fut celui de leur élaboration.
La cinquième partie fait le lien entre l’Antiquité tardive et le Moyen Age en présentant les empires chrétiens
de l’Orient byzantin et de l’Occident carolingien.
La dernière partie ouvre le programme à une civilisation asiatique : Chine des Han ou Inde des Gupta.
La place de l’histoire des arts est importante dans chacune des parties du programme, dans la mesure
même où ce programme est orienté essentiellement vers l’étude de grandes civilisations entre le IIIe
millénaire av. J.-C. et le VIIIe siècle.
Au cours de cette première année de collège, les élèves découvrent des sources historiques simples
(archéologiques, iconographiques, extraits de textes…) qu’ils apprennent à interroger et à mettre en relation
avec un contexte. Ils s’entraînent à exposer leurs connaissances en construisant de courts récits (on tiendra
compte des progressions prévues en français pour l’expression écrite et l’expression orale). Ces deux
capacités (analyse de documents et maîtrise de l'expression écrite et orale) concernent toutes les
parties du programme.
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
2
Daniel FAIVRE
Consignes concernant l’enseignement du judaïsme :
Thème 1 - LES DÉBUTS DU JUDAÏSME
1.1 CONNAISSANCES
Menacés dans leur existence par de puissants empires aux VIIIe et Vie siècles av. J.-C., les Hébreux du
royaume de Juda mettent par écrit leurs traditions (premiers livres de la Bible).
Quelques uns des grands récits de la Bible sont étudiés comme fondements du judaïsme.
La destruction du second Temple par les Romains (70) précipite la diaspora et entraîne l’organisation du
judaïsme rabbinique.
1.2 DÉMARCHES
L’étude commence par la contextualisation de l’écriture de la Bible, (l’impérialisme des empires
mésopotamiens, le roi Josias, l’exil à Babylone).
Extraits de la Bible au choix : le récit de la création, Abraham et sa descendance, Moïse, le royaume
unifié de David et Salomon…
L’étude débouche sur une carte de la diaspora.
1.3 CAPACITÉS
Connaître et utiliser les repères suivants
- La Palestine, Jérusalem sur une carte de l’empire romain
- Début de l’écriture de la Bible : VIIIe siècle av. J.-C.
- Destruction du second Temple : 70
Raconter et expliquer
- Quelques uns des grands récits de la Bible significatifs des croyances
Décrire et expliquer la diaspora
Réaliser la lecture critique d’un chapitre de manuel scolaire, par définition nécessairement
vulgarisateur, quand on est soi-même spécialiste de la question traitée, c’est assez facile et cela
peut être teinté d’une certaine forme de perversité. C’est en effet prendre le risque d’endosser
l’uniforme du censeur, en stigmatisant toutes les lacunes et en les mettant bout à bout pour en
faire un gigantesque bêtisier. À l’autre pôle de la démarche, cela pourrait aboutir à réaliser un
genre de hit-parade des manuels, du plus fidèle vis-à-vis des exigences historiques au plus
"catéchiste".
Nous tenterons d’éviter ce double écueil, en rappelant d’abord que les auteurs des manuels ne font
que répondre à des consignes ministérielles exigeantes et qui nous semblent aborder la question
d’une manière un peu biaisée. En outre, nous connaissons toute la difficulté, aujourd’hui autant
qu’hier, à parler avec sérénité d’histoire des religions. Cependant, ces réticences ne sauraient
nous contraindre à renoncer à l’analyse critique. Car en effet, dès lors qu’on s’autorise à publier
des textes destinés à servir de support à un enseignement dans le cadre de l’école de la
République, on est redevable devant la nation d’une vérité historique et d’une rigueur scientifique
et laïque exemplaires.
Le rapport Debray, qui date déjà de 2002, avait souligné l’importance de rétablir l’étude du fait
religieux dans les programmes d’enseignement. Depuis, cette expression est tombée entre toutes
les mains, sans que l’on ne sache plus très bien à quoi elle se rattache. Le fait religieux désigne-t-il
tout acte qui, glissant du domaine spirituel vers le politique ou l’économique, en modifie la nature ?
A-t-il la même valeur à toutes les époques et en tous lieux ? S’applique-t-il aux religions
institutionnalisées comme aux religions disparues… ?
Aussi, pour clarifier notre propos, ne parlerons-nous pas ici de "fait religieux" mais plus
prosaïquement d’histoire des religions. L’expression a au moins pour elle le mérite de la clarté.
Parler d’histoire des religions, c’est d’abord affirmer que les religions ont une histoire. Simple
litote ? Peut-être, mais la source principale de l’histoire du monothéisme primitif n’est pas anodine :
il s’agit d’un texte "sacré",
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
3
Daniel FAIVRE
C’est-à-dire d’un texte qui, pour une large part de l’humanité, en dit plus que ce qui est écrit. Aussi,
la césure entre "histoire religieuse" et "histoire de la religion" n’est-elle pas aussi nette que
lorsqu’on spécule sur les panthéons assyro-babyloniens, égyptiens ou grecs.
En outre, alors que les anciens programmes prévoyaient l’étude du monothéisme depuis les
origines, les nouvelles instructions font commencer l’histoire du judaïsme à l’époque du roi Josias
(641-611 av. J.-C.), soit à une époque où le culte de YHWH commence à devenir hégémonique
dans le royaume de Juda, même s’il ne s’agit pas encore d’un véritable monothéisme. Ainsi, on
occulte tout le passé protohistorique d’Israël en présentant le judaïsme comme une religion sans
histoire. On laisse le champ libre au texte biblique qui repousse l’horizon monothéiste à l’humanité
adamique, laissant ainsi la place à une religion révélée à l’humanité au moment même de sa
création.
Certes, c’est bien l’image qu’en donnent les trois obédiences, juive, chrétienne et musulmane !
Mais est-ce pour autant celle qui doit figurer dans les manuels de l’école laïque ? Nous pouvons en
douter. La classe de Sixième n’est bien sûr pas le lieu pour évoquer en profondeur le retour d’un
religieux radical, dont aucun des trois monothéismes n’a le monopole. Mais en raison précisément
de cette résurgence, il paraît essentiel d’en comprendre l’origine et d’inscrire chaque religion dans
son histoire, avec le plus grand discernement possible. Et comme le programme de Seconde ne
s’intéresse guère qu’au christianisme, c’est sur les manuels de Sixième que va se focaliser l’enjeu
de cette genèse.
Dans une étude thématique des différents manuels, nous tenterons donc de répondre à trois
questions simples concernant les "débuts du judaïsme", selon la programmation officielle : de qui
parle-t-on ? De quoi parle-t-on ? Comment en parle-t-on ?
1 - DE QUI PARLE-T-ON ?
Lorsque les historiens le désignent par un terme gentilice, le peuple de la Bible reçoit
généralement quatre appellations différentes : hébreu, israélite, judéen et juif. Historiquement, ces
termes ne sont pas interchangeables et chacun d’eux reflète une histoire, une sociologie et une
spiritualité particulières. Ce n’est donc pas sans surprise que nous découvrons, dans le
programme officiel et en caractères gras, la mention des "Hébreux du royaume de Juda". Espérant
que les auteurs des manuels auront eu le bon goût de passer outre cette grossière erreur de
chronologie, nous découvrons au contraire, au fil des pages, que seuls deux termes subsistent :
Hébreux et Juifs. Les deux autres ont disparu, hormis le nom s’Israélites, qui surnage par moment.
En fait, les auteurs se font l’écho des programmes officiels : les mots "hébreu" et "juif" sont
devenus interchangeables et, de ce fait, parfaitement synonymes. Dans les manuels, les Hébreux
sont de toutes les époques bibliques, des plus anciennes, ce qui est normal, aux plus récentes, ce
qui l’est moins. Florilège :
Les Hébreux supportent mal la domination étrangère. Ils espèrent la venue d’un Messie qui doit
les délivrer des Romains.
(Hachette, p. 144)
Les Hébreux se révoltent contre les Romains. En 70, l’empereur Titus s’empare de Jérusalem et
détruit le Temple.
(Nathan, p. 124)
Situer les Hébreux au Ier siècle de notre ère est aussi saugrenu que de faire de Philippe le Bel le roi
des Gaulois ou d’affirmer que les Vikings de Norvège ont refusé, par référendum, d’adhérer au
Marché Commun. Rappelons en effet que le terme hébreu ‘ivrî est essentiellement utilisé, dans la
Bible, avant la période royale. Les Hébreux semblent donc devoir être rattachés au mouvement
des Habiru/Apirû de la seconde moitié du II° millénaire avant notre ère1 qui nomadisaient le long du
1
. Voir simplement André LEMAIRE, Histoire du peuple hébreu, Collection Que sais-je ?, Presses
Universitaires de France, Paris, 1981.
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
4
Daniel FAIVRE
Croissant Fertile, entre Égypte et Mésopotamie. Ils constituent bien sûr une partie de l’origine du
peuple de la Bible, une partie sans doute très active, mais une partie seulement.
D’ailleurs, les auteurs de certains manuels éprouvent le besoin, fort légitime, de définir ce terme.
Certains y arrivent avec plus ou moins de bonheur :
Hébreux : peuple du Moyen Orient qui s’installe en Canaan vers 1200 av. J.-C.
(Hachette, p. 141)
Il eût été bon de préciser que, déjà à l’époque, le pays de Canaan n’était pas "une terre sans
peuple pour un peuple sans terre", selon l’image forgée au XIX° siècle et reprise par le mouvement
sioniste.
Dommage également pour l’histoire que les auteurs poursuivent ainsi, sur la même page :
Juifs : nom donné aux Hébreux chassés du royaume de Juda ainsi qu’à leurs descendants.
Ainsi, tous les auteurs sont unanimes à parler des Hébreux comme d’un peuple immuable, des
origines jusqu’à l’Exil, et même au-delà, pendant l’occupation romaine de la Palestine. Jusqu’à ce
qu’on commence à les appeler "Juifs" : le peuple de la Révélation. Cette volonté d’uniformisation
permet naturellement de simplifier le message. Rappelons que l’âge du public auquel s’adressent
les manuels –onze à douze ans– n’est pas à proprement parler l’âge des grandes spéculations
intellectuelles. Ce qui est plus gênant, c’est que cette "simplification" passe aussi par une
falsification, et ce avec la même unanimité de la part des auteurs.
D’une manière presque systématique, on remplace, dans les extraits bibliques, l’expression "fils
d’Israël" (= Israélites) par Hébreux. Dans le passage de la mer Rouge, en Exode XIV (et pas XV
comme l’affirme un peu imprudemment Hachette), le remplacement est systématique dans tous les
manuels qui ont choisi de le rapporter, tout comme pour la remise des tables de la Loi à Moïse ou
l’entrée en Canaan. À ce sujet d’ailleurs, ne boudons pas notre plaisir de relire une citation biblique
inédite :
Après avoir guidé les Hébreux dans le désert, Moïse les conduit au seuil de la Terre promise, où
il n’entre pas. C’est Josué, un juge, qui les y fait pénétrer (Deutéronome XXXII, 48, 49, 50, 52).
(Magnard, p. 124)
Il doit sans doute s’agir d’une forme originale de "Tritonome", sans doute d’inspiration plus tardive,
car ces deux phrases n’apparaissent dans aucune version biblique connue du Deutéronome. À
moins que les auteurs, dans un accès de démiurgie aiguë, n’aient été tentés de réécrire la Torah.
En outre, la qualité de "juge" accordée à Josué, pour discutable qu’elle soit, n’est nullement
explicitée. Et elle n’a surtout pas le sens que de nombreux élèves lui prêtent aujourd’hui.
Cependant, on sent confusément, chez certains auteurs, une indéniable réticence à suivre à la
lettre les incitations langagières du ministère. Ils s’efforcent en effet, pour la plupart, à donner des
Hébreux la définition la plus précise possible, sans doute pour en justifier l’usage. Ainsi, Belin les
présente de cette manière :
Hébreux : membres de la tribu d’Abraham et descendants. (p. 120)
Le problème, c’est que les auteurs de ce manuel ajoutent, page suivante, que l’existence
d’Abraham n’est pas historiquement attestée. Ils ont absolument raison de le préciser. En
revanche, comment un élève –ou même un professeur– peuvent-ils appréhender la nature d’un
peuple descendant d’un ancêtre qui n’existe probablement pas ?
Nous avons souligné que, dans de nombreux extraits bibliques tirés des manuels scolaires, le mot
"Hébreux" se substituait au mot "Israélites". Certains cependant mentionnent ce terme, soit sous
sa forme biblique "fils d’Israël", soit sous sa forme francisée, "Israélites". Ils en donnent chacun une
définition un peu différente :
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
5
Daniel FAIVRE
Fils d’Israël : petits-fils d’Abraham, puis nom donné aux Hébreux.
(Nathan, p. 123)
Israélites : nom porté par les Hébreux au temps des royaumes d’Israël et de Juda.
(Belin, p. 116)
On peut dire que, chacune à leur manière, ces définitions sont incorrectes. Certes, Israël est censé
être le petit-fils d’Abraham : c’est le nom que prend Jacob à la suite d’une lutte contre une
mystérieuse entité au gué de la rivière Yaboq2. Mais les Israélites constituent plus probablement un
clan particulier et ne sauraient incarner la totalité des Hébreux.
Quant à la seconde proposition, elle est vraie historiquement : les Israélites étaient bien les
habitants du royaume d’Israël, capitale Samarie. Mais ce n’étaient plus exclusivement des
Hébreux. À la décharge des auteurs de ce manuel, il convient de signaler qu’ils citent, de façon fort
judicieuse d’ailleurs, un texte de l’archéologue israélien Israel Finkelstein, parlant imprudemment
des Israélites pour évoquer les Judéens (p. 116). Quand l’exemple vient d’en haut ! Cependant, il
convient de signaler qu’ils retrouvent le juste emploi du terme, dans le même dossier, pour
présenter un bas-relief du palais de Sennachérib montrant la conquête du royaume du Nord par les
Assyriens.
Cette question nous amène au dernier terme gentilice, celui qui a totalement disparu des manuels :
celui de "Judéen". Car, hormis ce passage ponctuel par d’hypothétiques Israélites, l’appellation du
peuple de la Bible passe sans transition d’Hébreux à Juifs. Relisons, à ce propos, quelques
définitions :
Juifs : nom donné aux habitants du royaume de Juda ainsi qu’à leurs descendants.
(Hachette, p. 141)
Les Juifs (de Juda, le royaume conquis par les Babyloniens) : le nom donné aux Hébreux ou à
leurs descendants après la conquête babylonienne. Le mot juif écrit avec une minuscule
désigne les pratiquants du judaïsme.
(Hatier, p. 126)
Juifs : à l’origine, nom donné aux habitants du royaume de Juda. Désigne aujourd’hui les
personnes de religion et de culture juive.
(Magnard, p. 123)
Comme on le voit, il est à deux reprises question du royaume de Juda dans ces définitions et ce
n’est certes pas pour rien. Les mots "juif" et "judéen" proviennent du même radical hébreu yehoûdî
qui, en passant par le grec et le latin, a connu quelques variantes de traduction, la première étant
nettement plus ancienne que la seconde. Mais ces deux traductions portent une réalité historique
et géographique différente. Les Judéens se définissent à la fois par rapport à un territoire, le
royaume de Juda, et à une époque : depuis la fin de la monarchie unifiée (930) jusqu’à la prise de
Jérusalem (587). On parle de Juifs dès lors qu’ils ont perdu leur territoire, leur État et leur Temple,
à partir de l’Exil à Babylone. Il s’agit sans doute là d’une pure convention, mais qui est porteuse de
sens. Cependant, les auteurs des manuels ont réglé cette question d’un coup de plume : on
occulte le terme de judéen et on insiste sur l’unité ethnique entre Hébreux et Juifs. Le peuple de la
Bible change ainsi de nom, sans qu’on en connaisse les raisons, mais il reste le même.
Comment comprendre cette extension de l’hébraïcité supposée du peuple de la Bible, qui va à
l’encontre de toutes les réflexions historiques contemporaines ? Est-ce simplement la volonté de
rendre accessible aux élèves une histoire qui ne l’est guère ? Nous pouvons en douter.
L’une des raisons est peut-être à chercher dans la permanence de l’hébreu, comme langue
véhiculaire de la religion juive. On ne parle d’ailleurs jamais de la "Bible juive" mais bien de la
"Bible hébraïque". Le Juif deviendrait alors celui qui est à même de lire et de comprendre l’hébreu
biblique, même s’il en a perdu progressivement l’usage courant à partir de l’époque hellénistique.
Et l’habitude prise par les médias actuels de parler de "l’État hébreu" à propos de l’Israël
2
. Genèse XXXII, 29.
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
6
Daniel FAIVRE
contemporain ne fait rien pour éclaircir les choses. À ce sujet, il aurait peut-être été précieux, dans
un chapitre où l’on emploie si souvent les mots juif et hébreu, de rappeler la différence entre les
termes israélite et israélien, puisque l’on voit des juifs (israélites) en prière qui peuvent être des
Israéliens comme n’en être pas.
Mais ces explications laissent un sentiment d’inachevé.
Elles insultent d’ailleurs les qualités d’historiens dont font preuve, en général, les auteurs de
manuels. Aussi les vraies raisons sont-elles peut-être à chercher du côté de l’idéologie. Toute la
logique biblique repose sur le même message simpliste mais universellement admis : Dieu a choisi
Abraham pour qu’il porte sa parole. Dés lors, le patronyme par lequel on va nommer ses
descendants n’a plus qu’une importance relative, puisque c’est exactement le même peuple qui se
perpétue. Qu’importe le vrai nom, pourvu qu’on ait l’adresse !
D’ailleurs, dans des éditions précédentes, lorsque les programmes imposaient aux auteurs de
s’appesantir sur la généalogie d’Israël, on ne s’embarrassait guère de principes. Dans un ouvrage
précédent3, nous avions conçu un rapide cadavre exquis à partir de quelques citations, que nous
reproduisons ici pour information :
Abraham, sa famille et son peuple sont appelés Hébreux, «ceux qui passent». Abraham a pour
fils Isaac et pour petit-fils Jacob.
(Istra, 6°, 1996, p. 37.)
Au début du II° millénaire avant J.-C., les Hébreux quittent la Mésopotamie, guidés par
Abraham.
(Magnard, 6°, 2000, p. 37.)
Sur l'ordre de Dieu, le patriarche Abraham part s'installer avec son peuple au pays de Canaan.
(Belin, 6°, 2000, p. 45.)
Abraham est d'abord un nomade venu de Mésopotamie. Ses descendants se donnent le nom
d'Israël et s'organisent en douze tribus
(Bordas, 6°, 2000, p. 47.)
Joseph, arrière-petit-fils d'Abraham, devenu ministre de Pharaon, obtient de son maître le droit
de faire venir ses frères en Égypte.
(Nathan, 6°, 2000, p. 42.)
Mais, plusieurs siècles après, ils sont persécutés par Pharaon.
(Belin, 6°, 1994, p. 44.)
Moïse, un Hébreu élevé par la fille de Pharaon, parvient à faire sortir son peuple d'Égypte en
franchissant à pied sec la mer Rouge.
(Nathan, 6°, 2000, p. 42.)
Vers 1000 av. J.-C., les Hébreux s'emparent du pays de Canaan par une guerre.
(Hachette, 6°, 2000, p. 43.)
Peu nombreux, divisés en douze tribus, ils sont plus faibles que leurs voisins. Ils s'unissent alors
sous la direction de chefs appelés juges, puis rois.
(Hatier, 6°, 2000, p. 48.)
Ce florilège, dont le choix n’est nullement tendancieux mais reflète une forme de consensus, nous
montre l’image d’une généalogie du peuple d’Israël pour le moins exemplaire : d’Abraham jusqu’à
la monarchie, c’est le même groupe humain qui est en œuvre et qui, d’Exil en diaspora, parvient
jusqu’à nous. Dès lors, peu importe qu’on l’appelle hébreu ou juif…
Mais c’est devenu un peuple introuvable.
3
. Daniel FAIVRE, Le judaïsme en collège, in COLL. La laïcité a-t-elle perdu la raison, Éditions Parole et
Silence, Paris, 2001, pp. 159-160.
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
7
Daniel FAIVRE
Et de fait, la question qui se joue ici autour de l’appellation du peuple de la Bible est tout à fait
contemporaine : qui est-il ? Qu’est-il ? Et surtout, qu’est-il aujourd’hui ? Il s’agit, sous une forme
heureusement moins dramatique, de la même interrogation que celle qui nait sous la plume d’un
Montandon4 au début de l’Occupation et que l’on retrouve dans l’exposition de Berlitz, qui cherche
à répondre à cette lancinante préoccupation des occupants nazis comme des collaborateurs
français : Apprenons à reconnaître le Juif !
Naturellement, le contexte est ici totalement différent, mais la question relève du même hiatus
existant entre une Chrétienté longtemps dominante et un "peuple juif" ghettoïsé et marginalisé par
l’histoire : comment qualifier l’autre ? En des termes religieux, culturels, ethniques, raciaux… ? Si
le dernier a fort heureusement disparu de la terminologie anthropologique, les auteurs des
manuels scolaires témoignent toujours de cette même indécision. S’ils soulignent la nature
ethnique du peuple hébreu/juif, ils hésitent à identifier de façon précise les Juifs dans le monde
contemporain. Nous avons relevé que Magnard parle de "culture juive", formulation reprise par
Nathan, dans une tentative de définition du judaïsme :
Judaïsme : mot désignant la religion, la culture et la manière de vivre des Juifs (p. 124).
Dreyfus fut-il persécuté pour sa religion juive, pour sa culture juive ou pour sa manière juive de
vivre ? Sans doute aucune des trois car il était, dans l’âme, infiniment plus français que juif. Dans
l’âme et dans son mode de vie. Mais nous héritons d’un mode de pensée issu du XIX° siècle
européen, qui concevait les groupes humains sous l’angle de la nation et de sa dérive xénophobe,
le nationalisme. Les perversions nées d’un darwinisme mal digéré ont fait le reste. Les Juifs
passent alors d’un enfermement religieux à un enfermement ethnique ; Dreyfus n’est pas coupable
pour des questions de religion ou de culture, il est coupable simplement d’être né d’une mère juive.
L’antisémitisme vient de remplacer –ou d’accomplir– l’antijudaïsme. Les Juifs sont dès lors pensés
comme une race par les antisémites, une race qui ne rêve que d’hégémonie mondiale. À l’autre
extrémité, certains d’entre eux se pensent comme un peuple, au sein d’un mouvement sioniste
inspiré par Theodor Herzl au plus fort de l’affaire Dreyfus.
Qu’en est-il un siècle plus tard ? Après la Shoah et la création de l’État d’Israël, comment penser le
judaïsme aujourd’hui ?
Une première évidence doit être rappelée : il n’appartient pas aux manuels de Sixième de trancher
sur une telle question. Ce n’est pas leur rôle. Leur fonction est d’enseigner l’histoire, rien que
l’histoire, mais aussi toute l’histoire. Or, en martelant l’image idéalisée d’un peuple unique, les
Hébreux –devenus juifs après l’Exil, tout en restant hébreux au moins jusqu’à l’époque romaine–
les auteurs ne contribuent-ils pas, au contraire, à falsifier l’histoire et, plus grave encore, à lui
donner un sens emblématique pour interpréter les événements contemporains ? Car si Israël est
bien ce peuple héritier de la terre de Canaan que montre la Bible et que reprennent implicitement
les manuels, son droit "naturel" sur la Palestine ne souffre aucune contestation.
Mais il faut rappeler cette vérité première : aucun peuple ne peut se prévaloir de pureté ethnique,
sinon dans des visions idéologiques et racistes qui ont, dans le siècle écoulé, ruiné à jamais
l’intégrité morale de l’humanité. Et comme tous les autres peuples, les porteurs du premier
monothéisme se sont constitués de bric et de broc, au hasard des rencontres, en amalgamant des
groupes humains différents. Certes, parmi ces groupes, certains ont exercé des fonctions plus
importantes que d’autres et les Hébreux ne furent pas les moindres. Mais avec eux ont fusionné
des clans cananéens, jébusites, ammonites, moabites, hivvites, benjaminites… et la liste n’est pas
close, pour n’évoquer que l’époque monarchique. Pasteurs nomades ou pillards du désert,
agriculteurs sédentarisés ou artisans urbanisés facteurs d’un surproduit, tous ont apporté leurs
modes de vie, leur sagesse et leur folie, leurs croyances et leurs mythologie pour un melting-pot
antique. Sommes-nous nous-mêmes, aujourd’hui, des Celtes, des Gaulois, des Romains, des
Francs, des Alamans, des Burgondes, des Vikings… ?
4
. George MONTANDON, Comment reconnaître le Juif ?, Nouvelles Éditions Françaises, 1940. Ami de
Louis-Ferdinand CELINE, qui s’est inspiré de ses travaux pour écrire Bagatelle pour un massacre, cet
ethnologue suisse, auteur d’une théorie « ethno-raciste", a contribué à la préparation de l’exposition
Le Juif et la France, qui se tint au Palais Berlitz à Paris du 5 septembre 1941 au 15 janvier 1942.
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
8
Daniel FAIVRE
Et pour en rester au peuple de la Bible, il convient de rappeler que le métissage primitif ne s’est
pas arrêté à l’Exil. Il s’est poursuivi, dans le cadre de la diaspora, entre les "Hébreux" dont parlent
les manuels et les peuples au sein desquels ils s’implantaient. L’identité du "peuple juif"
contemporain fait donc l’objet d’un questionnement complexe aujourd’hui, en particulier depuis la
parution du livre courageux de l’historien israélien Shlomo Sand5 qui montre, malgré toutes les
idées reçues, que les communautés juives, au long de leur histoire, n’ont pas méconnu le
prosélytisme. Leur filiation avec l’antique peuple de l’alliance devient alors des plus
problématiques.
En faisant circuler les biens et les personnes –et les premiers davantage que les secondes–, la
mondialisation a jeté un flou sur les frontières, ce qui n’est pas le pire de ses défauts. Mais au
moment où l’on fait rimer arabe et musulman, hindou et indien, au moment où l’on n’hésite pas à
instrumentaliser le religieux à des fins politiques, au moment encore où l’on cherche
désespérément à redéfinir une hypothétique identité nationale, ces questions de pureté ethnique
empoisonnent les consciences et faussent les jugements.
Pour conclure cette première partie en restant dans ce souci de relier les hommes plutôt que de les
opposer, nous pouvons signaler qu’un dernier mot manque pour qualifier de façon un peu plus
scientifique le peuple de la Bible. Il est d’ailleurs absent des manuels scolaires comme des
consignes ministérielles.
Il s’agit du mot "Sémites".
Car s’il est une référence ethnique indiscutable, c’est bien celle-là. Le grand peuple sémite du
Proche-Orient ancien est clairement attesté, de la Mésopotamie à la Péninsule arabique. La
proche parenté linguistique entre l’hébreu et l’arabe ne manque d’ailleurs jamais de surprendre les
élèves –en particulier, bien sûr, les élèves arabisants– lorsqu’on le leur fait remarquer.
Rappelons que ce terme est issu de la terminologie biblique. Il désigne métaphoriquement tous les
descendants de Sem, le fils aîné de Noé. Il est l’ancêtre éponyme de tous les peuples "sémites" du
Proche-Orient, parmi lesquels les Hébreux et les Arabes. Cette proximité ethnique est d’ailleurs
ravivée par le personnage d’Abraham –Ibrahim dans le Coran–, dixième descendant de Noé,
neuvième de Sem. Le patriarche symbolise le père fondateur de la nation et des croyances, dans
les deux livres sacrés. La filiation passe par Isaac dans la tradition judéo-chrétienne, elle se
transmet par Ismaël – Ismaïl – dans l’héritage coranique. Cette proximité a longtemps lié les
peuples issus de cette mouvance ethnique, comme l’évocation d’une identité historique et
culturelle commune cherche aujourd’hui à lier les Européens.
Les auteurs d’Hachette introduisent fort judicieusement cette leçon en rappelant que les récits
bibliques "mélangent des événements qui ont sûrement existé avec des légendes". Rappeler cette
origine commune des peuples du Proche-Orient aurait pu être l’une de ces vérités historiques, à un
moment de l’histoire où les descendants des anciens Sémites se sont scindés en nations souvent
irréconciliables.
2 - DE QUOI PARLE-T-ON ?
Levons rapidement tout effet de suspens : le cœur de ce chapitre est naturellement la naissance
du judaïsme… à moins qu’il ne s’agisse de celle du monothéisme. Mais comme le judaïsme est
défini comme le premier monothéisme, il y a rapidement identité –confusion ?– entre l’un et l’autre.
D’ailleurs, l’appellation officielle de cette partie du programme est claire : "Les débuts du
judaïsme".
5
. Shlomo SAND, Comment le peuple juif fut inventé, Éditions Fayard, Paris, 2008. On peut également
consulter une forme plus condensée de son livre dans un article de même titre, dans Le Monde
Diplomatique, août, 2008, qu’on peut retrouver sur http://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/.
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
9
Daniel FAIVRE
Attardons-nous un moment sur le monothéisme. Le terme est unanimement défini comme une
"croyance en un seul dieu", ce que nous ne saurions mettre en doute. Mais est-ce que cela suffit
pour l’identifier aussi rapidement au judaïsme, surtout qu’à aucun moment on ne parle de judaïsme
"ancien". Certes, cette identité entre les deux termes ne constitue pas véritablement une surprise,
mais elle ne va pas sans un certain nombre de questions, à commencer par celle qu’introduisent,
sans doute involontairement, les auteurs d’Hachette :
Josias veut faire de Yahvé l’unique dieu des Hébreux.
(Hachette, p. 140)
Le pendant de cette déclaration est claire : il ne s’agissait donc pas de monothéisme jusqu’à sa
réforme. Mais les auteurs ne font rien de ce qui est, somme toute, une vérité historique assez
banale pour les spécialistes. En fait, ils sont assez partagés : trois manuels affirment que les
Hébreux sont déjà monothéistes (Belin, Magnard, Nathan) ; deux pensent qu’ils le deviennent
(Hachette, Hatier) ; un dernier ne se prononce pas clairement (Bordas).
Mais les dés sont pipés.
En rabaissant le début de ce chapitre au règne de Josias, les instructions ministérielles ont clos le
débat en occultant l’essentiel de la gestation du monothéisme, telle qu’elle pouvait encore exister
dans les programmes précédents. On s’accorde en effet à penser que le roi de Juda, par sa
réforme en 622, fut l’un des fondateurs institutionnels du monothéisme. Cela dit sans vouloir
minimiser l’action déterminante des prophètes, ainsi que les nouvelles conjonctures religieuses
nées de l’Exil à Babylone. En outre, affirmer que le monothéisme est en place à partir du VII° siècle
est aussi un abus de langage. Si YHWH est bien le dieu national de Juda, la religion populaire
admet encore de nombreux cultes privés (tels celui des Teraphîm) et toute la sphère de la mort
relève encore d’une autre spiritualité et pour quelques siècles encore6. Mais il n’en est pas moins
vrai qu’en dépit de ces réserves, le règne de Josias marque effectivement un tournant important
dans la vie religieuse de Juda.
La forme de religion que l’on constate durant toute l’époque monarchique s’apparente davantage à
une forme de monolâtrie qu’à un monothéisme. Rappelons que, dans cette perspective, YHWH
n’est pas le dieu unique d’Israël, il en est seulement le saint patron. Les autres divinités, même
mineures, ne sont pas niées dans leur existence même, comme ce serait le cas dans un
monothéisme strict. Elles sont seulement jugées moins efficaces pour défendre le peuple que celle
qui siège dans le Temple.
Cependant, si l’on en croit les différents manuels, le monothéisme est solidement installé dans le
royaume et il est totalement identifié au judaïsme. Avant d’aller plus en avant, attardons-nous un
moment sur la personnalité de ce dieu "unique" et tout d’abord sur la façon de le nommer. Là
encore, nous rencontrons un large consensus. La formulation la plus fréquente est aussi la plus
simple : Dieu. C’est la traduction du mot Élohîm que l’on trouve dans le texte hébreu.
Mais un autre nom revient souvent pour évoquer le dieu de la Bible, un nom que les auteurs des
manuels retranscrivent unanimement sous la forme conventionnelle de "Yahvé". Sa définition est
souvent très générale ; seul Magnard tente une présentation un peu plus précise :
Yahvé : nom hébreu du dieu unique qui, d’après la Bible, fut révélé au prophète Moïse.
(Magnard, p. 123)
Louable intention mais qui pose autant de problèmes qu’elle n’en règle. Le nom de YHWH (nous
préférons conserver le Tétragramme sous sa forme strictement consonantique) est effectivement
lié aux événements du Sinaï et à la personne de Moïse. Mais son côté "hébreu" pose quelques
problèmes.
Rappelons succinctement les épisodes relatés par le livre de l’Exode ! Moïse est interpellé par une
voix qui lui ordonne de faire sortir Israël d’Égypte. Un curieux dialogue s’engage alors entre la voix
6
. Sur cette question, voir notre ouvrage : Daniel FAIVRE, Vivre et mourir dans l’ancien Israël, Éditions
L’Harmattan, Paris, 1998.
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
10
Daniel FAIVRE
et le prophète. La divinité se présente comme YHWH, le dieu d’Abraham et de ses successeurs, en
précisant que ceux-ci ne l’ont jamais connu sous ce nom-là. Comme Moïse reste indécis, la voix se
présente par une phrase énigmatique : "je suis qui je suis". En hébreu ‘ehyeh ‘asher ‘eyeh7. La
traduction laisse d’ailleurs le champ libre à une vaste spéculation car la conjugaison hébraïque ne
différencie pas le présent du futur, qu’elle mêle dans un temps appelé l’inaccompli. Cela ouvre le
champ à une vague d’interprétations grammaticalement recevables et théologiquement
différentes : "je serai ce que je suis" ; "je suis l’étant" ; "je deviendrai ce que je suis" ; "je suis celui
qui est de toute éternité"… C’est d’ailleurs cette dernière explication qui a donné le nom
d’ "Éternel", mentionné par les auteurs de Nathan (p. 118) et reprise très majoritairement dans la
tradition protestante.
Mais cette "étymologie" est probablement fictive. Elle fut créée plus tard pour donner un sens au
nom de YHWH, en jouant sur ses principales consonnes. En effet, pour que les Israélites puissent
s’approprier un nom, fût-ce celui de Dieu lui-même, il fallait avant tout que ce nom soit porteur d’un
sens. La phrase "je suis qui je suis" est sans doute l’hébraïsation tardive d’un théonyme d’origine
étrangère8.
En outre, la manière de transcrire son nom en Yahvé pose quelques problèmes. D’abord, elle n’est
pas assurée. Rappelons que l’hébreu biblique, comme l’arabe coranique, ne comportait au départ
que des consonnes. Les voyelles, sous la forme d’une ponctuation, n’apparurent que plus tard.
Concernant la Bible, cela ne commença qu’à la fin du II° siècle de notre ère, à une époque où
l’hébreu n’était plus, et depuis longtemps, une langue maternelle. La prononciation exacte du nom
divin s’étant perdue, les Massorètes, chargés de la vocalisation du texte, ont adjoint aux
consonnes de YHWH les voyelles du mot Adonaï, signifiant "Monseigneur", ce qui a d’ailleurs
donné la prononciation erronée de Jéhovah.
Mais le nom a ainsi été frappé d’un qeré (la lecture à voix haute est différente de la forme écrite) et,
lorsqu’un juif, encore aujourd’hui, rencontre dans une prière le mot YHWH, il doit le prononcer
Adonaï.
Cela pourrait d’ailleurs poser un problème dans le cadre du cours et un élève de confession juive
pourrait s’offusquer d’avoir à prononcer à haute voix un nom interdit, comme réagirait un
musulman qu’on forcerait à manger un jour de ramadan. Et puisque l’autre fonction de la laïcité est
de garantir la liberté des cultes, dès lors qu’on s’abstient de toute forme de prosélytisme, il eût été
peut-être utile de rappeler aux élèves l’imprononçabilité du nom du dieu de la Bible hébraïque,
comme l’ont d’ailleurs fait les auteurs de Hatier (p. 130).
Pour toutes ces raisons et tant que le nom de YHWH avait encore un sens, c’est-à-dire globalement
jusqu’à l’Exil au moins et encore au-delà, il semble préférable de parler de yahwisme que de
judaïsme. En effet, évoquer le judaïsme à propos de cette période pose un certain nombre de
problèmes, surtout si on veut établir un lien avec le judaïsme contemporain. Certes, la religion
dans le royaume de Juda s’appuie sur la croyance progressive en un dieu unique ; certes, elle se
réclame des mêmes traditions que le judaïsme plus tardif, mais est-ce suffisant pour parler
d’identité entre les deux formes de religiosité ?
Les auteurs des manuels martèlent l’idée que le judaïsme s’appuie sur la Bible. Or, tant que dure
la monarchie, le texte biblique est encore en gestation, il méconnaît en particulier toute l’œuvre
unificatrice des scribes de l’Exil à Babylone. Le "yahwisme judéen" est la religion du Temple et du
roi, le "judaïsme juif" –pardon pour ce pléonasme !– sera la religion du Livre et de la communauté.
Mais c’est seulement cette dernière relation que les auteurs soulignent, faisant preuve, d’ailleurs,
d’une belle unanimité pour qualifier la Bible de "livre sacré des Juifs" (ou des Hébreux). Une Bible
dont les auteurs présentent très souvent un sommaire simplifié : Torah, Prophètes, Écrits. Cette
7
. Exode III, 14.
. Pour davantage de détails, on peut se reporter à Daniel FAIVRE, L’idée de dieu chez les hébreux
nomades, Éditions L’harmattan, Paris, 1996, pp. 185-197. Ou, plus récemment, Gérard GERTOUX, Un
historique du nom divin, Éditions L’Harmattan, Paris, 1999.
8
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
11
Daniel FAIVRE
présentation reprend la formulation en vigueur dans le judaïsme, qui définit la Bible par le nom de
Tanak9.
Nathan apporte même une précision sur laquelle il convient de s’attarder :
La Bible raconte l’histoire du judaïsme.
(Nathan, p. 124)
C’est une affirmation un peu hâtive, qui laisserait entendre que le judaïsme pourrait remonter
jusqu’à… Adam et Ève. Mais ce n’est pas ça le plus déroutant. Quelque chose boite dans cette
définition de la Bible, quelque chose que l’on retrouve dans tous les manuels. Ou plutôt qu’on ne
retrouve pas. À aucun moment en effet, on n’évoque un lien entre Bible hébraïque et Ancien
Testament, même si on ne saurait les confondre complètement. De même la Torah n’est-elle
jamais mise en relation avec le Pentateuque, alors que les deux recueils sont absolument
identiques. Tous les auteurs s’accordent à donner au judaïsme une forme de monopole sur la
Bible. Pourquoi cette unanimité à taire que, sous sa forme d’Ancien Testament, elle est aussi un
livre sacré pour les chrétiens et même, de façon plus lointaine, pour les musulmans ? Ce n’est pas
trahir les uns que de montrer ce qui les unit aux autres ! Une fois de plus et probablement de façon
inconsciente, les manuels jouent sur l’opposition des trois monothéismes, alors qu’une étude
sérieuse de leur histoire devrait tendre, au contraire, à les rapprocher.
Enfin, faire de la Bible hébraïque le fondement du judaïsme, et en particulier du judaïsme
contemporain, c’est faire une impasse bien rapide sur le pharisianisme et sur son aboutissement
doctrinal : le Talmud. Car le judaïsme n’est pas la simple mise en pratique des rituels bibliques. À
bien des égards, le judaïsme rabbinique, le seul qui ait survécu, est presque aussi éloigné de la
Bible hébraïque que ne l’est le christianisme. Le yahwisme biblique reposait d’abord, comme nous
l’avons précisé, sur une pratique nationale centralisée autour du Temple de Jérusalem et
orchestrée par des sacrifices d’holocaustes.
Le judaïsme repose sur la synagogue, qui n’est pas la maison de Dieu mais celle de la
communauté, une communauté beaucoup plus restreinte puisque dix "hommes du Livre" suffisent
pour que se manifeste la Shekkinah, la présence de Dieu.
C’est donc après la disparition du Second Temple, en 70, qui engloutit sur lui la petite caste
sacerdotale des Sadducéens, que le judaïsme commence véritablement à se constituer. Dans
cette perspective, il n’aurait sans doute pas été inutile d’évoquer la formation du Midrash, cette
Torah orale qui va codifier la lecture de la Torah écrite, devenue la totalité de Tanak, pour aboutir à
la constitution du Talmud. On peut rétorquer qu’une telle précision ajoute un terme nouveau –
midrash– à un corpus historique qui n’en manque pas. Mais ce mot n’est pas plus compliqué que
Ctésiphon ou Oxyrhynchos que l’on trouve, par exemple, sur une carte dans l’édition Magnard
(page 127).
On pouvait certes faire l’impasse sur le Midrash, mais la mention du Talmud paraît autrement
essentielle, dans un propos ayant pour vocation d’éclairer les premiers temps du judaïsme. Or,
deux éditeurs seulement mentionnent ce livre : Belin et Bordas. Certes, les auteurs cherchent
unanimement à montrer que le judaïsme qui se constitue après 70 est bien un judaïsme de
diaspora, mais il n’est pas toujours bien nettement établi qu’il se pose davantage en rupture qu’en
continuité vis-à-vis de la religion nationale précédente. En d’autres termes et pour reprendre une
terminologie romaine de l’époque, c’est en passant du statut de religion à celui de superstition que
le judaïsme se fonde en… religion10.
9
. Il s’agit d’un acrostiche réalisé avec la première lettre des trois regroupements littéraires usités dans
la Bible hébraïque : TNK Torah (Loi), Nevi’im (Prophètes) et Ketouvim (Écrits).
10
. Les Romains ne distinguaient pas la religio de la supersitio selon des catégories religieuses mais
politiques. La première était une pratique religieuse civique, c'est-à-dire encadrée par un État, le
second terme pouvait désigner des croyances identiques, mais exercées par un peuple ayant perdu
sa souveraineté. Voir Maurice SACHOT, L’invention du Christ, Éditions Odile Jacob, Paris, pp. 167-183.
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
12
Daniel FAIVRE
3 – COMMENT EN PARLE-T-ON ?
Dans cette troisième partie, nous ne saurions dresser un tableau exhaustif sur la manière dont
chaque éditeur traite le judaïsme. Nous nous bornerons à mettre en exergue quelques cas qui
nous paraissent pertinents.
Notons d’abord que, par rapport aux éditions précédentes, on peut relever une volonté plus
affirmée de poser un discours historique sur la généalogie du judaïsme ! Cela commence par une
prudence doctrinale :
La Bible raconte que (Hachette, p. 143)… d’après la Bible (Bordas, p. 120, Nathan, p. 124)…
dans la Bible (Hatier, p. 130)… d’après l’Exode (Magnard, p. 124)… selon la Bible (Belin, p.
121)…
Mais cela ne permet pas toujours pour chasser l’incessant va et vient entre histoire et religion, que
nous avions déjà mentionné dans un ouvrage précédent11 et qui se poursuit encore ici. Pour s’en
convaincre, il suffit, par exemple, de comparer une série de définitions utilisées par les auteurs des
manuels pour évoquer la qualité de "prophète".
Personne choisie par Dieu pour parler en son nom.
(Bordas, p. 118)
Homme chargé par Dieu de transmettre ses paroles.
(Hatier, p. 130)
Homme qui est inspiré par Dieu et qui parle en son nom.
(Nathan, p. 126)
Homme chargé de transmettre les paroles de Dieu.
(Magnard, p. 124)
Personne qui affirme parler au nom de Dieu.
(Hachette, p. 140)
Pas de mention chez Belin.
Relevons tout d’abord qu’il semble difficile de justifier la présence de chacune des trois premières
définitions au sein d’un ouvrage destiné à l’enseignement dans un établissement laïque.
En effet, si l’on pose comme principe que le prophète est l’exact miroir de la parole de Dieu, ses
propos s’excluent catégoriquement de toute forme d’analyse critique. Nous sommes alors dans la
théologie, plus dans l’histoire et l’interprétation des prophéties relèvent d’une autre logique que
celle de la raison humaine.
La quatrième définition est plus recevable, même si elle laisse planer un doute : qui "charge" le
prophète de transmettre les paroles de Dieu ? Mais si c’est Dieu lui-même, nous retombons dans
la même catégorie que les précédentes définitions.
De fait, seule la cinquième définition est recevable dans un tel ouvrage. Et il aurait peut-être été
beaucoup plus simple et moins dispendieux pour la laïcité de s’en tenir à l’étymologie grecque, qui
ne fait aucune allusion à Dieu12. D’autant que, si on prend soin d’en définir le sens, on n’évoque
pratiquement pas le rôle pourtant essentiel joué par les prophètes non-institutionnels dans
l’émergence du monothéisme.
11
. La laïcité a-t-elle perdu la raison, op. cit, pp. 151-170.
. Prophêtês "qui dit d’avance", de pro "avant" et phêmi "je parle" : Dictionnaire étymologique
Larousse, Paris, 1971, p. 608. L’hébreu distingue, pour sa part, deux formes différentes de prophètes,
rendus par le même mot français : le ro’eh et le nâvi’. Le premier a le sens de "voyant", le second
désigne celui qui "proclame", sous-entendu, à la place de Dieu. Voir Daniel FAIVRE, Précis
d’anthropologie biblique, Éditions L’Harmattan, Paris, 2000, 239-242.
12
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
13
Daniel FAIVRE
Il ne suffit donc pas, en effet, de présenter un pieux avertissement en début de paragraphe pour
recevoir un label scientifique ad vitam aeternam, surtout quand on continue à développer une
forme d’histoire plus conforme aux canons bibliques qu’aux méthodes historico-critiques. Certes,
ici et là, les conditionnels peuvent subsister. Les Hébreux "auraient" fait ceci, "auraient" cru cela.
Mais faute de contre-exemples clairs et de trame historique cohérente, l’histoire sainte redevient
histoire tout court, dans une sorte de catéchisme laïcisé plutôt indigeste.
On fait même dire à la Bible des choses assez discutables :
Les Hébreux ont conquis militairement la Terre Promise sous la conduite de Josué.
(Magnard, p. 121)
C’est vrai si l’on s’en tient au seul livre de Josué, écrit très tardivement. C’est faux si l’on en croit le
livre des Juges, beaucoup plus ancien et sans doute beaucoup plus proche de ce que dut être la
réalité, qui évoque une occupation progressive, par un jeu complexe d’alliances et de conflits avec
les populations cananéennes sédentarisées. Il est curieux qu’entre deux versions bibliques
différentes, les auteurs du manuel aient choisi la plus improbable.
Mais ce n’est là qu’un détail. D’autres erreurs sont plus problématiques. La plupart des manuels
s’entendent pour dater l’époque supposée d’Abraham au début du II° millénaire avant notre ère.
Or, cette chronologie haute, qui s’appuyait sur un événement attesté par d’autres sources, la
grande migration d’Ur, est maintenant complètement abandonnée par les historiens. En outre, on
s’accorde souvent à compléter cette "information" par une expression fréquemment reprise : "selon
la Bible". Mais si la Genèse fait bien sortir Abram –et non Abraham comme on peut le lire
systématiquement– d’Ur, elle ne donne aucune précision chronologique. À moins que la mention
des Kasdîm "Chaldéens", les habitants d’Ur, en soit une ; mais ce peuple n’est attesté qu’à partir
du IX° siècle avant notre ère, ce qui placerait le patriarche dans une chronologie bien basse.
Supposer ainsi que la Bible nous donne, en même temps, l’événement et la date tend à la légitimer
comme livre d’Histoire que l’on ainsi peut prendre comme tel. Certes, elle raconte bien une
certaine forme d’histoire, mais il appartient aux historiens d’en faire l’exégèse.
Il est vrai que tout propos sur le judaïsme biblique se heurte rapidement à un problème de
sources : sur quels supports s’appuyer ? La Bible, l’archéologie, l’iconographie d’où qu’elle
vienne ? Le choix est vite fait, même si l’archéologie commence à confirmer les hypothèses
formulées depuis déjà longtemps par l’exégèse historico-critique. Certains manuels se sont
d’ailleurs engagés avec bonheur dans la brèche ouverte par l’archéologie israélienne. Il s’agit en
particulier de Magnard, citant l’extrait d’un ouvrage de Finkelstein et Silberman13 (p. 133) qui
minimise grandement la puissance du royaume davidique.
Mais pourquoi, diable, prend-on soin de préciser qu’il ne s’agit là que du "point de vue de
l’archéologue et de l’historien" ? Un manuel "scolaire" chargé de recueillir le programme d’histoire
d’une section peut-il refléter autre chose que "le point de vue de l’archéologue et de l’historien" !!!
À moins que par "scolaire", on entende "scolastique" !
Et enfin, pourquoi les auteurs ont-ils cru bon d’infirmer les propos des archéologues en montrant,
quelques pages plus tôt, une gravure monumentale du temple de Salomon datée du XVI° siècle et
reconstitué… "d’après la Bible", naturellement. Mais alors, qu’est-ce qui fait loi ? "D’après la Bible"
ou "selon les historiens" ?
Il est vrai que, rendus prudents, la plupart des auteurs de manuels préfèrent reproduire des
illustrations du temple d’Hérode plutôt que celui de Salomon. Mais là non plus, ils ne sont pas
exempts de reproches. En effet, certains n’hésitent pas à installer, dans le Saint des saints, l’Arche
d’alliance (Hatier, p. 131 ; Hachette, p. 145). On imagine qu’Indiana Jones aurait sans doute été
ravi d’apprendre cela car, "selon la Bible", pour reprendre cette formule chère aux auteurs, l’Arche,
construite mythologiquement au pied du Sinaï sous la direction de Moïse, disparaît une première
fois lors de la bataille d’Ében-ha-Ézer, prise par les Philistins14 pour réapparaître miraculeusement
13
. Israel FINKELSTEIN, Neil Asher SILBERMAN, Les rois sacrés de la Bible, Éditions Bayard, Paris, 2006.
. I Samuel IV, 11.
14
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
14
Daniel FAIVRE
entre les mains de David15. Déposée dans le temple de Salomon, elle y reste jusqu’à sa
destruction en 587 pour disparaître à jamais… sauf pour nos auteurs. On sait en effet, par Flavius
Josèphe, que le Sanctuaire du temple d’Hérode était complètement vide, "inaccessible, intangible,
invisible"16.
Ce questionnement autour des représentations du Temple nous amène à interroger les différentes
formes d’iconographies qui jonchent les manuels scolaires. C’est d’ailleurs une question aussi
politique que pédagogique, car les instructions ministérielles sont très claires : l’histoire de l’art doit
entrer en force dans les programmes, qu’il s’agisse du collège comme on le voit ici ou du lycée,
dans le cadre de la réforme qui s’annonce.
C’est devenu un lieu commun de déplorer le fond général d’anachronisme qui marque
l’iconographie des manuels scolaires sur ces questions d’antiquité biblique. À part quelques
documents contemporains, toujours bienvenus (rouleau de la mer Morte, bas-relief ninivite,
obélisque noir, stèle de Mesha…), près de 90% des représentations sont postérieures à ce qu’elles
veulent illustrer.
En outre, l’anachronisme n’est pas toujours là où on le cherche. Tous les manuels puisent
abondamment dans la précieuse documentation trouvée à Doura Europos en Syrie, dans la
synagogue reconstruite au milieu du III° siècle. Cela est bel et bon et nous sommes bien au cœur
de la période où s’est véritablement constitué le judaïsme. Mais cela ne donne aucune autorité aux
artistes de l’époque lorsqu’ils peignent, par exemple, une fresque représentant le passage de la
mer Rouge17. Un millénaire et demi sépare l’événement supposé de l’artiste qui entend le
représenter, ce qui donne à ce dernier la même légitimité historique qu’un Picasso peignant Clovis
à la bataille de Tolbiac.
Certes, une œuvre d’art recouvre toujours un caractère historique, en plus de ses qualités
esthétiques. Mais elle nous renseigne essentiellement sur l’époque de l’artiste. Ici, la fresque de
Doura Europos nous permet de comprendre la manière dont les Juifs du III° siècle considéraient
cet événement. Gageons que l’artiste l’a représenté… "selon la Bible".
Et l’on peut décliner ce thème ad libitum : le Jugement de Salomon de Poussin (Magnard, p. 130)
ou le plafond de la Chapelle Sixtine (Hatier. P. 134) doivent être étudiés dans le cadre d’un cours
sur la Renaissance, Moïse recevant les Tables de la Loi, de Chagall (Hachette p. 151), relève de
l’histoire contemporaine…
Mais, par cette volonté d’illustrer coûte que coûte, tous les personnages bibliques trouvent un
visage, rarement le même, y compris ceux dont l’existence est fortement remise en cause par les
historiens. Peu importe ! Nous sommes dans une société de l’image où l’anonymat est prohibé.
Un sommet est peut-être atteint dans Belin où un tableau comparatif présente quatre personnages
bibliques : Abraham, Moïse, David et Salomon (page 121). Leur visage est inséré en médaillon,
sans qu’on en connaisse l’époque de réalisation d’ailleurs, et, pour trois d’entre eux, on précise
avec justesse : "son existence historique n’est pas confirmée". Les hommes n’ont peut-être jamais
existé, mais ils ont au moins un visage. Il est vrai que, depuis Les dix Commandements de Cecil B.
DeMille, Moïse a, pour plusieurs générations, les traits, le regard hébété et la coiffure en bataille de
Charlton Heston.
Ainsi donc, l’erreur historique bat monnaie avec le catéchisme, au point que cela frise quelquefois
le ridicule. On ne s’étonne presque plus de voir les auteurs de Nathan qualifier d’étoile de David à
six branches un pentacle trouvé dans la synagogue de Capharnaüm. Ils ont dû scier la sixième
branche, celle sur laquelle ils étaient assis.
Un mot encore sur l’apparat photographique concernant le Mur des Lamentations, dans la
Jérusalem contemporaine. Sous une forme ou sous une autre, il apparaît dans cinq manuels sur
15
. II Samuel VI, 17.
. Flavius JOSEPHE, Guerre des Juifs, V, V, 5.
17
. Belin, p. 121 ; Bordas, p. 110 ; Hatier, p. 129 qui, au prix d’une acrobatie qu’on ne rencontre que
dans les régions sismiques, situe la synagogue dans le Sinaï.
16
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
15
Daniel FAIVRE
six et cette présence est parfaitement justifiée. Cependant, dans trois photos sur cinq, on voit, en
arrière-plan, la Coupole du Rocher. Mais les auteurs n’en disent absolument rien. Il eût été
pourtant judicieux de profiter de ce plan large pour montrer que la ville sainte du judaïsme en est
aussi une pour l’islam, même si l’étude de cette religion ne figure pas au programme de la classe
de Sixième. La laïcité eût pu y gagner.
Enfin, il paraît intéressant de terminer ce bref survol des mille et une manières d’enseigner le
judaïsme ancien par une étude comparative des exégèses proposées. Deux textes sont présents
dans les six manuels : le Décalogue et l’alliance abrahamique. Le récit de la création n’apparaît
que dans cinq manuels (Magnard a choisi de l’écarter, ce qui est son droit le plus absolu), mais
nous nous y attarderons quelques instants, surtout par la manière dont est présenté l’ensemble
documentaire dont il est tiré :
Les grands récits de la Bible.
(Bordas, p. 116)
Étudier et connaître un récit de la Bible.
(Hatier, p. 134)
La Bible des Hébreux.
(Hachette, p. 139)
La Bible, livre sacré des Hébreux.
(Nathan, p. 122)
Que racontent les grands récits fondateurs de la religion juive ?
(Belin, p. 118)
Nous avons choisi à dessein l’ordre de ces présentations. Les deux premières sont parfaitement
neutres et ne soulèvent aucune remarque particulière. Mais les deux seconds supposent
implicitement une forme de monopole du judaïsme sur les textes en question, le cinquième
amplifiant encore ce monopole.
Or, s’il est des textes sur lesquels les trois religions s’accordent, c’est bien sur la manière de
concevoir la création du monde. Certes, une fois de plus, nous sommes dans le cadre d’un cours
sur le judaïsme, mais est-ce une raison pour couper celui-ci de ses deux religions filiales, le
christianisme et l’islam ? Un doigt d’œcuménisme, mené dans un esprit laïque, ne peut que
bonifier les relations entre les élèves et développer un humanisme qui tend à se raréfier !
On pourrait dire des choses assez semblables sur le Décalogue, qui allie les règles élémentaires
de vie en communauté à un procédé mnémotechnique simple (les dix doigts d’une main) pour se
les rappeler. C’est donc l’alliance abrahamique qui fera l’objet d’une étude un tout petit peu plus
poussée. C’est elle en effet qui constitue le mythe le plus fondateur de la religion juive, même si les
deux autres monothéismes définissent également Abraham comme le père des croyants, seul
personnage de toute la Bible à recevoir le titre d’Ami de Dieu. D’ailleurs, la ville d’Hébron, où la
Bible localise son sanctuaire, s’appelle encore aujourd’hui, en arabe, Al-Khalîl, "L’Ami".
Il n’est sans doute pas inutile de rappeler dans leur intégralité les termes de cette alliance,
mentionnée au début de la Genèse, vu sa brièveté. Mais signalons d’abord que dans quatre
manuels sur six (Belin, Hachette, Magnard, Nathan) on y inclut un extrait de Genèse XVII. Dans
deux manuels, on met également cette alliance en relation avec l’alliance mosaïque d’Exode XIX
(Belin) ou de Deutéronome XXXII (Magnard).
YHWH dit à Abram : "va-t’en de ton pays, de la terre où tu es né, de la maison de ton père, vers
la terre que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation. Je bénirai et je grandirai ton nom.
Tu seras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te bénissent et maudirai ceux qui te maudissent.
En toi seront bénis tous les clans de la terre."
(Genèse XII, 1-3)
Dieu dit : "J’établirai mon alliance entre moi et toi et ta descendance après toi, suivant les
générations, en alliance perpétuelle afin que je devienne Dieu pour toi et pour ta descendance
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
16
Daniel FAIVRE
après toi. Je te donne, à toi et à ta descendance après toi, la terre de Canaan en propriété
perpétuelle et je deviendrai Dieu pour ceux de ta descendance."
(Genèse XVII, 7-8)
Avant tout commentaire, il est sans doute utile de rappeler les questions qui accompagnent cet
extrait :
Qui est Yahvé ? Que promet-il à Abraham ? Avec qui établit-il son alliance ? Quelles
conséquences cette alliance aura-t-elle ?
(Bordas, p. 115)
D’où sort Abraham ? Que lui promet Dieu ?
(Hatier, p. 129)
Que demande d’abord Yahvé à Abraham ? Que fait finalement Abraham ? Pourquoi ?
(Hachette, p. 139)
Qu’offre Yahvé à Abraham et à sa descendance ? En échange, que demande-t-il à Abraham et
à sa descendance ?
(Nathan, p. 126)
Qui parle à Abraham ? Que promet Yahvé à Abraham et à ses descendants ?
(Magnard, p. 125)
De quelle partie de la Bible est extrait chacun de ces textes ? En quoi consiste l’alliance entre
Dieu et Abraham ?
(Belin, p. 124)
L’historien "généraliste" s’étonnera, dans un premier temps, qu’aucune question ne porte sur la
mise en situation du document. Seul Belin s’y risque très timidement, mais la réponse à sa
question se lit dans le paratexte. L’historien spécialiste fera remarquer que le nom du patriarche,
au moins pour le texte commun, Genèse XII, est mal orthographié.
En fait, ces deux questions se recoupent et la fusion des deux chapitres est historiquement et
exégétiquement très problématique. En effet, en Genèse XII, nous sommes face à YHWH, qui parle
à Abram ; en Genèse XVII, c’est Dieu, sous sa forme hébraïque Élohim, qui s’adresse à Abraham.
Ce changement est plus qu’une simple anecdote et renvoie à des situations historiques,
religieuses et scripturaires différentes.
Ce n’est pas ici le lieu pour tenir une herméneutique serrée, mais nous pouvons quand même
donner un sens à ces différences d’appellation. D’abord, le passage de YHWH en Élohim indique
un changement de source de narration. Les deux récits n’ont donc pas été écrits à la même
époque et par les mêmes personnes : ils n’ont donc pas tout à fait les mêmes intentions politiques
et religieuses.
Ensuite, le changement de nom du patriarche révèle un changement de nature. Il faut rappeler en
effet que les noms bibliques n’ont pas, comme les prénoms d’aujourd’hui, pour seule ambition
d’être jolis. Ils sont porteurs de sens. Aucun patronyme ne peut être donné s’il ne signifie pas
quelque chose pour celui qui le porte. Souvenons-nous d’ailleurs des explications alambiquées des
auteurs de la Bible pour justifier le nom de YHWH ! Abram, dans sa première énonciation, a le sens
de "père élevé", le radical "père" étant pris ici comme un appellatif divin. Dans sa seconde
orthographe, Abraham signifie "père de multitude" ; le sens du nom est d’ailleurs donné par le
contexte, mais le mot "père" a changé de nature : il est devenu un père humain. Pour dire les
choses un peu rapidement, Abram fut probablement le nom d’un grand ancêtre divinisé, père
mythique du clan séjournant à Hébron.
C’est sans doute la raison pour laquelle il est le seul homme de la Bible à être présenté comme
"ami" de Dieu. Dans l’anthropologie sémitique, la qualité d’ami impliquait, sinon une équivalence,
du moins une proximité de conditions entre ses deux protagonistes, comme on peut le constater
dans les amitiés célèbres : David et Jonathan, ou Gilgamesh et Enki. Seules les divinités pouvaient
tisser des liens d’amitié entre elles. Les hommes, même les meilleurs, étaient là pour les servir. Et
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
17
Daniel FAIVRE
cette dimension "divine" du personnage d’Abram, le yahwisme officiel n’a pu l’éliminer. Il le
syncrétise donc en transformant le nom en Abraham, ce qui en fait un homme, gardien du
sanctuaire d’Hébron, mais qui devient inféodé à YHWH. Il faut en effet rappeler que le changement
de nom s’effectue à l’annonce de la naissance d’Isaac, après que YHWH a levé la stérilité de Saraï,
l’épouse d’Abram, qui devient Sarah quand son mari devient Abraham18.
Le changement de nom transforme symboliquement une divinité stérile en un homme fécond.
Il s’agit donc d’un grave contresens que de donner au personnage de Genèse XII le nom
d’Abraham. Naturellement, la complexité du personnage et l’incertitude de son existence rendent
difficile la mise en situation du texte. En outre, l’onomastique sémitique du Proche-Orient atteste
l’existence de patronymes sous la forme Abram, mais jamais sous celle d’Abraham. En d’autres
termes, si le personnage biblique a véritablement existé – ce que nous ne serons sans doute
jamais en mesure de prouver, ni d’infirmer – il a plus de chances de s’être appelé Abram
qu’Abraham.
En outre, le contresens lié au nom du patriarche se double d’un autre, beaucoup plus grave, celui
de faire remonter l’alliance à la plus haute antiquité possible. Or, et nous le savons depuis
longtemps, ce thème propre au judaïsme est beaucoup plus tardif et ne remonte certainement pas
en deçà de l’Exil du VI° siècle19. Le renforcer par l’alliance mosaïque relève de la même
supercherie. Certes, les auteurs de l’époque exilique et post-exilique enracinent le principe
d’élection dans les traditions les plus anciennes, jusqu’à Noé, même ! Mais la tâche de l’historien
est de rétablir, sinon la réalité absolue, du moins une forme de représentation passée au révélateur
de la méthode historico-critique.
On pourra une fois de plus rétorquer qu’il s’agit là de spéculations trop complexes pour des élèves
de Sixième. Sans doute, mais toutes les questions d’histoire ancienne le sont. Les programmes
officiels prévoient l’étude de l’Orient ancien, des fondements de la civilisation grecque et romaine,
de la Chine de Han et de l’Inde des Gupta… Sont-ce là des sujets faciles ? Le but des auteurs de
manuels –et reconnaissons que ce n’est pas une mince affaire– est de rendre accessible un
certain patrimoine historique et culturel à une classe d’âge déterminée. Ils doivent tenir compte de
l’état de la recherche et présenter d’une civilisation et d’une époque, un tableau accessible à
l’intelligence d’un élève mais conforme aux règles élémentaires de la laïcité et de la vérité
historique.
Vulgariser n’est pas trahir !
Aucun historien ne prend à la lettre les Mâhâbharata, l’Iliade ou l’Énéide et les manuels se font
l’écho des interprétations qui en sont tirées. Ici, toutes les questions aboutissent à une conclusion
unique : dès la plus haute antiquité, YHWH et Abraham ont conclu une alliance dont le prix, pour
l’un, est l’offrande de la terre de Canaan ; il est la fidélité à la Loi pour l’autre. Et comme le peuple
hébreu n’a pas varié, selon les manuels, depuis le patriarche, sa légitimité à posséder la Palestine
s’est transmise jusqu’à aujourd’hui. Nous sommes ici face à une conception pour le moins très
proche des thèses sionistes mentionnées précédemment.
Certes, ces différents extraits bibliques ne constituent pas des cours à proprement parler : ce sont
des documents qu’il s’agit d’étudier en cours. L’exercice critique peut s’y pratiquer librement, même
si les questions posées ne le permettent pas souvent. Cependant, tout enseignant sait que l’on
choisit un manuel non pour son contenu mais bien selon le choix des documents qu’il présente.
C’est davantage un outil didactique que formatif. C’est pour cela qu’on ne l’utilise que très peu pour
le cours proprement dit qu’il propose, surtout en classe de Sixième, mais essentiellement –pour ne
pas dire exclusivement– pour les documents qu’il présente, que l’on fait lire par les élèves et que
l’on cherche à expliquer. Le vrai contenu est du ressort de l’enseignant lui-même.
18
. Pour une analyse plus complète de ce changement de nom, voir Daniel FAIVRE, Mythes de la
Genèse, genèse des mythes, Éditions L’Harmattan, Paris, 2007, pp.208-224.
19
. Sur ces questions complexes, voir Albert DE PURY, Thomas RÖMER, Jean-Daniel MACCHI EDS. Israël
construit son histoire, Éditions Labor et Fides, Genève, 1996.
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
18
Daniel FAIVRE
Cela nous amène à une dernière question, qui n’a pas été posée en début d’article, mais dont la
réponse conditionne largement les trois autres. Afin d’être capable de dire de qui on parle, de quoi
on parle et comment on en parle, il faut s’interroger sur l’agent principal de la transmission du
savoir sur les débuts du judaïsme : qui parle ?
4 – QUI PARLE ?
La réponse à cette question tient en un seul mot : le professeur.
Dans le meilleur des cas, il est historien, au pire –concernant l’étude du judaïsme ancien,
naturellement– il est géographe. Dans tous les cas de figure, il est très probable qu’il souffre d’un
fort déficit de connaissances sur cette partie du programme. De formation universitaire, il a
abondamment étudié l’histoire grecque et romaine. S’il est chanceux, il a pu assister à quelques
cours d’égyptologie (qui se retire du programme sur la pointe des pieds) et… c’est probablement
tout pour l’Antiquité. Au mieux a-t-il pu glaner quelques informations sur le christianisme, dans le
cadre de la civilisation romaine, mais probablement rien sur le judaïsme ancien.
À cela la raison est ancienne.
La guerre menée par la III° République contre l’Église catholique pour imposer la laïcité à l’école a
provoqué un certain nombre d’effets pervers, comme celui de retirer l’histoire biblique de
l’Université dès 1885. Les savoirs se sont alors figés et l’historien français a abandonné le champ
de la recherche biblique au théologien, campant sur les bases établies par Ernest Renan20,
complètement battues en brèche aujourd’hui, mais fossilisées dans les manuels scolaires autant
que dans la conscience collective de la nation.
Aussi l’enseignant doit-il assurer seul sa formation et les manuels ne sont pas les moindres de ses
sources. Il peut également participer à des stages de formation, mais ceux-ci deviennent de plus
en plus rares. C’est d’ailleurs dans ces stages que nous pouvons mesurer l’indigence de la
formation des maîtres en ce domaine, ainsi que leur fréquent désarroi quand on leur montre que,
sans en avoir conscience, ils ont plus ou moins fondu l’histoire sainte du catéchisme en histoire
tout court. À leur décharge, il convient de rappeler qu’ils sont guidés dans cette voie par les
manuels scolaires qui martèlent le même message depuis des décennies. L’histoire catéchisée est
devenue une référence laïque. Elle a pour elle le mérite de la simplicité : un peuple, une loi, une
terre, le tout légitimé par le dogme de l’élection et de l’alliance.
Dans ce bloc doctrinal, les inserts historiques ne servent de rien car ils s’appuient sur du vide. Par
exemple, la critique textuelle a renoncé depuis bien longtemps à voir en Moïse l’auteur de la Torah
et l’époque de rédaction de la Bible est ramenée à des époques de plus en plus basses. Les
manuels s’en font avec justesse l’écho et tous évoquent le VIII° et le II° siècle avant notre ère
comme fourchette probable pour la rédaction de la Bible. Mais ils ne font rien de cette fourchette.
On traite en effet ces textes comme on le ferait pour des productions littéraires contemporaines : la
date de parution doit correspondre à celle de la création et il y a une paternité naturelle de l’auteur
sur le contenu, un contenu dont la mise par écrit fixe la forme définitive.
Or ici, rien de tel.
La rédaction ne correspond pas à la création des récits mais simplement à leur mise par écrit, car
ceux-ci sont le produit de traditions souvent très anciennes véhiculées par la transmission orale.
En d’autres termes, les scribes ne sont donc pas les auteurs des textes mais leurs compilateurs.
Certes, ils sont amenés à interpréter ces traditions, à les classer et éventuellement à en éliminer
certaines, ce qui fut sans doute assez rare, vu les doublons fréquemment rencontrés dans le texte
biblique (comme la double création de l’homme, par exemple). En plus, la mise par écrit n’a pas
figé le texte. Elle n’a pas interrompu davantage la permanence de l’oralité, qui agissait sur la
20
. Histoire des origines du christianisme, 7 volumes, 1863-1881 et Histoire du peuple d’Israël, 5
volumes, 1887-1893.
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
19
Daniel FAIVRE
rédaction comme une tour de contrôle. Le texte biblique continua donc à "vivre" jusqu’à la fixation
du Canon, à la fin du Ier Siècle, à Yavneh. C’est seulement à cette date que le texte biblique acquit
sa forme définitive, sur le plan consonantique au moins, car la vocalisation prendra encore
plusieurs siècles.
Cette longue vie fait donc de la Bible un véritable site archéologique. En effet, les copistes qui se
sont succédé de génération en génération ont fréquemment ajouté des gloses personnelles
destinées à rendre le texte explicite pour leurs contemporains. En plus, ils ont progressivement
"monothéisé" des traditions, des rituels, des cultes qui, au départ, ne l’étaient certainement pas.
Cela interdit donc toute lecture chronologique cohérente du texte, les récits des origines étant ceux
qui furent le plus longtemps et le plus tardivement retouchés. Et, naturellement, c’est dans le cadre
de cette révision permanente de l’héritage religieux qu’il faut comprendre les débuts du judaïsme
primitif. L’alliance, la circoncision, la synagogue ne deviennent constitutifs de la nouvelle religion
qu’à partir de l’Exil à Babylone.
Tout cela suppose une connaissance assez fine de cette période. Les ouvrages de référence
existent, mais ils sont souvent difficiles à trouver par les enseignants car peu ont un véritable label
universitaire. Cela nous incite donc à insister sur le rôle primordial que doivent jouer les manuels
scolaires. C’est d’abord par eux que la vérité historique devrait se transmettre. Ce sont eux qui
offrent à l’ensemble de la population les clés du patrimoine. Or, avec des parties "cours" qui
conservent le canevas biblique, malgré ici et là quelques réserves, ils entretiennent l’ignorance et
l’erreur. Les documents bibliques qu’ils proposent ne font que renforcer ce message. Certes, il ne
s’agit pas de censurer la Bible en excluant les textes mythologiques, mais il faut les expliquer
comme tels. Et la principale différence entre les combats d’Osiris contre Seth ou de Thésée face
au Minotaure et le passage de la mer Rouge, c’est qu’une majorité d’élèves risque de sortir du
cours en croyant à la seule véracité de cette dernière légende.
Alors, bien sûr, il faut mettre en avant la formation des enseignants, qui doivent guider les élèves
parmi ce dédale de documents. Mais vu l’ampleur de la tâche, le premier impératif semble être de
réformer les manuels pour qu’ils deviennent enfin des outils efficaces de la laïcité.
À défaut, le monothéisme deviendra une religion sans histoire et le "peuple juif" restera un éternel
errant au sein de l’humanité.
Symposium des 15 et 16 octobre 2009
Centre universitaire catholique de Dijon (CUCDB) Dijon
__________
_______________
Document issu du site  www.enseignement-et-religions.org – 2012
20