Les perles de traite de la pointe à Callière

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Les perles de traite de la pointe à Callière
Les perles de traite de la pointe à Callière
Francis LAMOTHE
1.
INTRODUCTION
Les perles de traite de la pointe à Callière présentent des possibilités de recherche
intéressantes sur le commerce montréalais et des interactions qui ont impliqué à la fois les
colonisateurs européens et les groupes amérindiens avec qui ils commerçaient. Notre objectif
premier sera de donner un aperçu de nos connaissances actuelles, principalement en ce qui
concerne les interventions archéologiques qui ont mené à la mise au jour des perles des
collections à l’étude. A chacune de ces interventions, il est possible d’associer les perles à des
contextes, des activités et des événements particuliers. Ces différentes pistes seront à la base
de nos recherches à venir et devraient nous permettre de comprendre comment les perles
sont révélatrices de la dynamique des activités selon le contexte dans lequel elles s’insèrent.
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2.
LES PERLES ET LEUR CONTEXTE
2.1
Présentation générale des sites à l’étude
Si on additionne l’ensemble des perles des
collections des sites BjFj-3-22-47-73 et 101,
on obtient un total de 1224 perles
inégalement distribuées, ce qui est toutefois
un nombre beaucoup plus élevé que celui de
la Place-Royale à Québec qui s’élève à 562.
Si on prend en compte que l’arrondissement
de la Place-Royale a fait l’objet de fouilles
intensives et continues pendant plusieurs
années, on peut déjà penser que cette
disproportion d’une ville à l’autre est
Localisation des sites et distribution quantitative des perles a l’étude.
significative en soi. On sait que la fondation de Ville-Marie a en premier lieu été motivée par
le désir de favoriser la conversion des populations amérindiennes. Mais avec la construction
d’une ville bien à l’intérieur du territoire, son potentiel commercial a toujours été évident.
Montréal se caractérisera donc rapidement comme centre d’échanges et de traite, vocation
qui est à distinguer de Québec, capitale administrative de la colonie qui reste tournée vers
l’Europe. Par sa position, Montréal est intimement liée à la réalité américaine et la quantité
de perles qu’on y retrouve nous paraît un témoignage éloquent des activités économiques
axées sur le commerce avec les nations amérindiennes et dans lequel les perles constituent
jusqu’au début du XVIIIe siècle une monnaie d’échange importante dans la traite des
fourrures.
2.2
Sites BjFj-03 et 47 (place Royale)
Il faut noter que ces sites ne correspondent pas exactement au site de la place Royale, lieu de
marché public, mais aux édifices qui la ceinturaient sur la bordure sud. Plusieurs occupations
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se sont succédées à cet endroit mais il nous semble à première vue opportun de concentrer
notre attention sur la phase d’occupation correspondant à la période 1689-1721. C’est en
1689 que sera érigé le premier corps de garde et celui -ci sera transformé en magasin du roi en
1700. Cet entrepôt fut sous la gérance d’Étienne Rocbert de la Morandière qui occupera la
prestigieuse fonction de garde-magasin de 1692 à 1731. Les magasins du roi servent à
emmagasiner les équipements et les marchandises destinés aux garnisons des forts et au
personnel des postes de traite. C’est à cet endroit que transitent également les fourrures qui
seront ensuite expédiées en France. Bien que je
n’aie pas encore effectué un contrôle serré des
associations
stratigraphiques,
les
perles
retrouvées paraissent appartenir aux fournitures
entreposées dans le magasin et dédiées à la
traite. Suite au grand incendie de 1721 qui
détruira, entre autres, le magasin du roi, celui -ci
sera relocalisé sur la rue Saint-Paul, près de la
Perles fusionnées par la chaleur, fort probablement suite à
l’incendie de 1721 ayant dévasté Montréal. Site du magasin du
roi.
porte Québec.
Bien qu’un autre incendie
majeur ait dévasté cette partie de la ville en
1765, l’amoncellement de plus de 300 perles de
broderie fusionnées par la chaleur pourrait bien être un témoignage du grand incendie de
1721.
2.3
Site BjFj-22 (cimetière de Ville-Marie)
C’est sur le site BjFj-22 que la grande majorité des perles a été trouvée. Les premiers
résultats indiquent que les perles les plus anciennes devraient être associées à ce site car les
concentrations répertoriées augmentent significativement sur les lieux de fosses et de
sépultures du premier cimetière de Ville-Marie, daté de 1643 à 1654. En fait, si on s’en tient
aux perles de BjFj-22 trouvées là où les fosses ont été excavées, on dénombre plus de 519
perles qui représentent 42 % de la collection à l’étude. Ces résultats nous obligeront
probablement à relativiser les comparaisons entre Montréal et Québec. De plus, étant donné
que nous sommes en présence d’un contexte funéraire, on peut supposer qu’au moins une
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partie des perles retrouvées concerne des objets de parures complets ayant accompagné le
défunt lors de sa mise en terre.
Il est soutenu par Pauline Desjardins et Geneviève Duguay dans l’Aventure montréalaise1
qu’une certaine quantité des perles trouvées en contexte funéraire pourraient être d’origine
intrusive, surtout que suite à l’abandon du cimetière, le site de la pointe a été l’emplacement
de la grande foire aux fourrures,
entre
1667
et
1700.
Les
concentrations relevées sur les lieux
de
sépulture
se
démarquent
nettement de celles en périphérie,
même immédiate (ex : BjFj22 3f,
3H et 4E). Cette constatation nous
porte à penser que ces perles sont à
associer au contexte funéraire du
Distribution des perles sur le site BjFj-22, le cimetière de Ville-Marie.
cimetière, ou du moins à vérifier cette hypothèse de près. Donc, pour les 519 perles des
sous-opérations 3E, 3J et 3K, si l’association au cimetière s’avère fondée, nous obtenons
une date maximale de 1654.2 Lorsque l’analyse typologique sera assez avancée, il sera alors
intéressant de procéder à des comparaisons avec les perles plus récentes des sites
environnants.
2.4
Sites BjFj-73 et BjFj-101 : fort Ville-Marie et le château de Callière
Ces sites correspondent à l’emplacement du lieu de fondation de Montréal, Ville-Marie, ainsi
qu’à l’endroit où sera érigé le château de Callière en 1695. Les données recueillies indiquent
1
Pauline DESJARDINS et Geneviève DUGUAY, 1992. Pointe-à-Callière l’aventure montréalaise. Montréal, Septentrion
et la Société du Vieux-Port de Montréal, 135 pages. ISBN 2-921114-72-0
2 Depuis la rédaction de cette communication, Mme Desjardins a fort bien expliqué (communication
personnelle) les raisons de ses conclusions quant à l’origine intrusive des perles retrouvées sur les lieux du
cimetière de Ville-Marie. Lors des fouilles, des perturbations des sols archéologiques ont été remarquées, ce qui
a eu pour effet de modifier en partie la configuration originelle du site. De plus, à l’époque de Ville-Marie, la
tradition catholique proscrivait l’adjonction d’effets personnels lors de la mise en terre des défunts. Ces
observations modifieront donc la suite de mes recherches car il s’avère finalement que seules les perles
récupérées dans les couches archéologiques inférieures du site BjFj-101 peuvent être associées à l’époque de
Ville-Marie. Leur nombre étant à ce jour très réduit, la valeur comparative des perles pour cette période se
trouve donc fortement limité.
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que les perles correspondent à ces phases d’occupation, bien que dans le cas du site BjFj-101,
il est possible de les associer en partie à l’époque contemporaine à Maisonneuve. Les limites
du fort Ville-Marie sont inconnues et il est présentement difficile d’établir si nous sommes à
l’extérieur ou à l’intérieur des fortifications du fort. Dans le cas de la résidence de Callière,
on sait par contre que les fouilles de BjFj-101 sont situées tout juste à l’extérieur du bâtiment
alors que pour les interventions de 1993 sur BjFj-73, il a été possible de pénétrer à l’intérieur
de la résidence du gouverneur de Montréal.
Il sera donc intéressant d’observer s’il y a des distinctions à faire selon qu’on se
trouve à l’intérieur ou à l’extérieur du château.
Ces perles pourront également être
comparées avec celles des sites BjFj-03 et 47 car elles semblent leur être contemporaines. Il
en va de même avec les perles associées à l’époque du fort Ville-Marie qu’on pourra
comparer avec celles du cimetière datant de la même période. Comme les données actuelles
sur BjFj-101 ne sont que les résultats de la première campagne de fouilles, la collection de
perles augmentera sûrement au cours des prochaines interventions, ce qui devrait nous
permettre de brosser un tableau plus juste des caractéristiques de ce site.
3.
BRÈVE PRÉSENTATION DES PERLES DE LA POINTE À CALLIÈRE
Mes connaissances sur les perles sont encore à ce jour relativement limitées et le travail
d’identification typologique reste encore largement à faire. L’objectif consistera à voir si
d’un site à l’autre on peut reconnaître des tendances particulières selon les types de perles
retrouvées, soit en prenant en considération les dates associées aux contextes de découverte
où selon les activités spécifiques ayant caractérisé les sites d’un endroit à l’autre. Il serait par
ailleurs très intéressant de voir si une partie des perles était réservée à la consommation des
colons européens et, si tel était le cas, s’ils faisaient usage des mêmes perles que celles
distribuées aux Amérindiens.
Il faut savoir que les perles sont classées en premier lieu selon leur mode de fabrication. Les
deux plus fréquentes sont les perles de verre étiré et les perles de verre enroulé. On peut
également rencontrer à quelques occasions des perles moulées ou soufflées.
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Les perles de verre étiré sont obtenues en soufflant une bulle d’air dans une masse de verre
chaud qui sera ensuite allongé en un tube qui peut faire plusieurs dizaines de
mètres et dont la bulle d’air formera la perforation. Une fois le tube refroidi, il est
sectionné, ce qui donne une perle tubulaire, soit le type I selon la classification de
Kidd 3. Par chauffage, il est ensuite possible d’obtenir des perles arrondies ou
oblongues. Toutes les perles de broderie et celles de petite taille sont issues de ce
Perle de verre étiré
composite.
procédé. L’ajout de tiges de verre coloré permettra la création de perles aux motifs variés et
par meulage on pourra façonner des perles facettées. La multiplication des interventions
augmente la valeur unitaire des perles mais il reste à savoir si cela se
répercutait réellement dans les transactions avec les Amérindiens qui
avaient leurs préférences. La technique de la perle étirée permet la
fabrication en série et c’est le type de perle que l’on retrouve le plus
Perles facettées.
fréquemment.
Pour la collection de la Place-Royale à Québec, les
différents types de perles étirées constituent 68 % de l’assemblage, comparativement à 39 %
pour les perles enroulées. La fraction restante rassemble tous les autres types de fabrication
et les perles faites à partir de matériaux autres que le verre.
Les perles enroulées sont issues du chauffage de tiges de verre sur
des lampes à l’huile. Le verre chauffé est enroulé sur une tige de
métal qui sera ensuite retirée. Le travail est plus artisanal que pour
la technique de la perle de verre étiré et les formes et
motifs peuvent être très variables.
Ces perles sont
généralement de plus grande taille et, à moins qu’un
travail de finition attentif ait été effectué, on peut les
Atelier de fabrication de perles
enroulées. (NERI, Antonio, Art de la
verrerie, Paris, Durand, 1752.)
3
Perle enroulée.
reconnaître par les lignes spiralées laissées lors de l’enroulement
du verre sur la tige de métal.
Martha Ann KIDD and Kenneth E., ‘A classification System for Galss Beads for the Use of Field
Archaeologists’ in Canadian Historic Sites, Occasional Papers in Archeology and History No. 1, Ottawa,
1970, p. 45-89.
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On voit donc que, quantitativement, une tendance assez nette semble se dessiner et que le
nombre de perles retrouvées sur les lieux de fondation de Montréal paraît correspondre
assez bien avec le rôle de la ville comme centre de la traite en Nouvelle-France. Les sites
étudiés offrent quelques horizons distincts qui constitueront une base comparative
intéressante et permettront de mieux cerner dans quelle dynamique le commerce des perles
s’intègre. En observant de plus près les différents types présents dans les assemblages, on
pourra obtenir des informations supplémentaires tant sur les comportements culturels reliés
à l’utilisation des perles que sur les particularités de leur rôle économique.

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