La liberté et l`indépendance dans une équipe féminine
Transcription
La liberté et l`indépendance dans une équipe féminine
Portrait cabinet du mois Dr BRIGITTE DORVILLE grenoble, France cabinet du mois Portrait Dr Brigitte DORVILLE, Grenoble La liberté et l’indépendance dans une équipe féminine Installée depuis 1997 dans le centre-ville de Grenoble, Brigitte Dorville s’est inspirée d’une méthode américaine pour l’organisation générale de son cabinet. Cette praticienne dynamique s’est aussi entourée d’une équipe de choc 100 % féminine, qui travaille dans la bonne humeur et tend vers une seule valeur : l’excellence. Par Mathilde Fradin - Photos : Sandrine Rivière D ans la salle d’attente, toute l’équipe s’active pour la séance photo. Le Dr Brigitte Dorville se fait remaquiller par Céline, son assistante au fauteuil depuis 13 ans. Une belle complicité règne dans ce cabinet, y compris avec Rose qui a été recrutée le mois dernier. Rencontre dans un cabinet chaleureux. Brigitte Bardot & Co « À Paris, j’allais voir un dentiste qui soignait des stars. J’aimais bien ce praticien, son métier, son cabinet. Un jour, en allant le voir, j’ai croisé Brigitte Bardot qui sortait du cabinet. Je crois que ça a contribué à ma décision ! » Étudiante à Paris, Brigitte Dorville effectue une thèse sur l’identification médico-légale : « À l’époque, c’était quelque chose qui m’intéressait beaucoup. Il y a quelque temps encore, on a retrouvé l’identité d’un homme qui s’était tué en montagne grâce aux soins que j’avais effectués. Je trouve cela assez fantastique d’identifier des disparus grâce à leurs dents, cela m’a toujours fascinée. » Elle poursuit : « Quand j’ai terminé mes études en 1982, toutes mes copines étaient mariées et avaient des enfants. Moi, je m’étais dit que si je ne trouvais pas de travail, je partirais faire le tour du monde. » Mais le Dr Dorville est embauchée dans un cabinet à Melun, en 1982 : diplômée de la faculté de Montrouge 28 indépendentaire 112 I Novembre 2013 1989-1991 : diplôme de l’école d’homéopathie hahnemanienne 1997 : création libérale en solo à Grenoble centre banlieue parisienne, dans lequel elle collabore pendant deux ans. Dès le début de sa carrière, la praticienne a senti qu’elle serait épanouie dans son activité en mettant en place des techniques d’organisation et de management. « Je me suis tout de suite rendu compte que c’était dur, je travaillais 50 heures par semaine et l’organisation ne me convenait pas. Nous avions chacun notre fauteuil et notre patientèle, mais les plages horaires de consultation étaient trop courtes, il y avait trop de patients. Aujourd’hui encore, ça me stresse quand je vois plus de deux patients dans ma salle d’attente ! Ce n’est pas ma façon de travailler. » En 1984, Brigitte Dorville rencontre son mari qui lui propose de le suivre à Grenoble. « J’avais envie de quitter la banlieue parisienne, j’adore la montagne, faire du ski. Je lui ai dit d’accord, mais qu’il devait me trouver du travail avant mon arrivée. Ce qu’il a fait grâce au bouche-à-oreille. J’ai donc intégré un cabinet en plein centre-ville, dans lequel je suis restée 13 ans. » 13 années d’association à Grenoble « C’était un cabinet avec deux praticiens qui avait un potentiel de patientèle pour accueillir un nouveau membre dans l’équipe. J’ai été collaboratrice pendant un an, puis associée les douze années suivantes. Au début, j’étais livrée à moi-même, 1999 : formation en paro avec le Dr Bori 2001 : post graduate à NYU 2003 : formation en paro avec le Dr Genon et le Dr Romagna 2011 : formation Académie du sourire indépendentaire 112 I Novembre 2013 29 Portrait cabinet du mois La praticienne, entourée de Céline (en fuschia) et de Rose à sa droite. banques pour me remettre dans le droit chemin. J’ai envoyé des courriers à mes anciens patients pour leur dire que j’étais revenue. Au bout d’une bonne année, j’ai remonté la pente. Mon mari s’est également mis à travailler à mi-temps. La famille était beaucoup plus sereine. » Dans l’ensemble, le Dr Dorville regrette qu’il n’y ait pas un réseau d’entraide de femmes-praticiennes : « Ce serait très utile, les anciennes pourraient rencontrer et aider les jeunes, trouver des remplaçantes, échanger autour de leurs expériences. Ce système de solidarité manque encore aujourd’hui. » En 1997, la praticienne souhaite donner un nouvel élan à sa carrière : « J’avais soif de liberté et d’indépendance, je voulais créer mon entreprise. » Installation en solo en 1997 “Mon cœur de métier, c’est soigner les patients dans leur bouche” je récupérais les urgences dont ils ne voulaient pas s’occuper, je faisais les remplacements d’été, je n’avais pas de patients… en un mot ça se passait plutôt mal. J’étais persuadée que j’allais être parrainée, mais ça n’a pas été le cas. J’ai interrompu mon activité un mois et je suis partie au Népal. À mon retour, je me suis dit qu’il fallait que je prenne les choses en main. J’ai racheté à l’un des deux praticiens une partie de sa patientèle, qui était plutôt jeune, issue du secteur tertiaire. À partir de là, mes conditions de travail se sont sensiblement améliorées. Au bout d’un an, je me suis associée et je suis alors restée dans ce cabinet pendant treize ans. Entre-temps, j’ai eu mes deux enfants, Maxime et Claire. » Concilier maternité et pratique libérale Pour le Dr Dorville comme pour beaucoup de praticiennes, concilier la volonté d’être mère de famille avec celle de travailler en libéral a été loin d’être évident. « Pour Maxime, je me suis arrêtée une semaine avant d’accoucher, et quand j’ai repris, il avait deux mois. J’allais le chercher chez la nounou à 18 heures. Ça n’était pas évident, et puis un jour il m’a dit qu’il aimerait bien que j’aille le chercher à l’école. Je me suis rendu compte qu’il pâtissait de la situation. » Pour sa deuxième grossesse en 1992, la praticienne doit prendre une remplaçante pendant 8 mois. Quand elle reprend, c’est un désastre financier. « Je ne m’explique toujours pas ce qui s’est passé, mais je n’avais presque plus de patients. Ma remplaçante avait terminé des plans de traitements sans en commencer d’autres, il n’y avait plus de nouveaux patients. Quand j’ai repris, j’avais les charges de l’année d’avant à payer, j’étais très endettée alors que j’avais pris la décision de travailler à mi-temps. J’ai pu compter sur le soutien des 30 indépendentaire 112 I Novembre 2013 Au bout de chaque rue une montagne... Grenoble est une ville de 150 000 habitants où la nature compte beaucoup… « Depuis 1996, j’allais régulièrement à la faculté de New York et dans les cabinets dentaires avec un groupe de dentistes français, sous la houlette du Dr Philippe Tardieu, qui était à l’époque installé à Grenoble. Je l’avais découvert à cette époque lorsque je cherchais un bon implantologue vers lequel envoyer mes patients. Il avait un système d’organisation pensé et réfléchi. Je me suis moi-même passionnée pour ce modèle américain, où le patient est au cœur du cabinet, toujours guidé, écouté. Les Américains étaient beaucoup plus en avance que nous sur l’organisation. Ils avaient plusieurs fauteuils et plein d’assistantes. Leur pratique aussi était différente. Ils prenaient beaucoup de photos et ils travaillaient avec des aides optiques. Quand j’ai découvert cela, je me suis moi-même mise aux loupes binoculaires et me suis rendu compte que sans, on n’était vraiment pas précis. » Largement inspirée par ce modèle américain, le Dr Dorville a conçu elle-même les plans de son cabinet, qu’elle a installé dans le centre-ville de Grenoble. « Je voulais deux salles de soins pour pouvoir passer de l’une à l’autre. J’avais aussi envie que le secrétariat soit un espace mi-clos, à la fois ouvert au public mais assez intime. » En effet, dans l’entrée sur la gauche, le secrétariat est un espace vitré qui est à la fois un lieu d’accueil et de confidentialité. Brigitte Dorville avait envie d’un lieu moderne, informatisé : « Je voulais de l’informatique partout, j’ai changé mon système de communication, ai informatisé l’agenda et les dossiers patients. » Portrait cabinet du mois cabinet du mois Portrait Rose, l’assistante conseil explique son plan de traitement à une patiente. Elle est également en charge de l’agenda et de tout l’administratif du cabinet. à gauche, la salle d’attente, ouverte et confortable : c’est le Dr Dorville qui a fait les plans de circulation de son cabinet. Une semaine après son premier rendez-vous au cabinet, le patient se voit remettre son plan de traitement, qui sera découpé en longues séances. Tous ses dossiers sont également accessibles depuis son domicile, ce qui lui permet de travailler chez elle si besoin. Enfin, un système de vidéoprotection a également été installé : « Il y a toujours eu une caméra dans les cabinets où j’ai travaillé. Cela m’a semblé normal de faire la même chose dans mes locaux. Ce n’est pas tant pour surveiller les gens que pour être en contact avec la salle d’attente. Savoir qui arrive, qui repart. Je me sentirais coupée du monde si je n’avais pas cette vidéo. Très utile aussi le jour où j’ai trouvé une patiente qui fouillait dans mon sac… » L’achat du local de cet appartement de 100 m2 et les travaux ont représenté un investissement de 250 000 euros, mais c’était le prix à payer pour que le Dr Dorville accède à la vie professionnelle dont elle rêvait. Depuis 16 ans, elle s’épanouit dans une équipe féminine, qu’elle manage dans une ambiance professionnelle et chaleureuse. L’organisation au cabinet Ayant toujours travaillé à quatre mains, cela fait treize ans que la praticienne exerce avec son assistante Céline, recrutée par le biais de l’école des assistantes dentaires. Entre elles règnent à la fois une excellente entente et une coordination exemplaire : « Nous nous connaissons par cœur. Les gens nous disent parfois que lorsqu’on travaille ensemble, c’est comme un ballet ! » explique la praticienne, dont l’assistante-fauteuil a déjà été élue meilleure assistante de 32 indépendentaire 112 I Novembre 2013 complexe qui peut prendre du temps, elle bascule le secrétariat sur une plateforme extérieure. « J’ai œuvré pour que le patient soit au cœur du cabinet. » conclut la praticienne. Le patient au cœur du cabinet Le Dr Dorville a fait de l’excellence le maître mot de sa pratique quotidienne. Pour chaque nouveau patient, la première consultation dure une heure durant laquelle elle fait un bilan complet : il faut compter 20-30 minutes au fauteuil, 20 minutes dans son bureau, sans compter la radio panoramique et la prise de photographies, auxquelles tient particulièrement le Dr Dorville : « Cela permet aux patients de mieux comprendre d’où vient leur problème et quels sont les soins que je vais effectuer. » Une semaine après cette consultation, la praticienne met en place un plan de traitement qu’elle soumet au patient. « J’expose plusieurs solutions, mais je ne remets qu’un seul plan de traitement, qui représente la meilleure solution à mes yeux. » L’assistante conseil peut également répondre aux questions « plus poussées » des patients. Le plan de traitement n’est logiquement accompagné que d’un seul devis. Un troisième rendez-vous est proposé trois semaines plus tard, le patient revient alors pour faire part de sa décision. La praticienne remporte un taux d’acceptation entre 60 et 80 %. Le patient peut avoir rendez-vous avec la praticienne ou l’assistante-conseil. Lorsque le plan de traitement est engagé, la praticienne n’hésite pas à donner des rendez-vous de deux, trois, voire quatre heures. Elle fait une pause de dix minutes toutes les heures. « Je suis beaucoup moins stressée avec de longs rendez-vous. Nous recevons en moyenne entre 6 et 8 patients par jour. » La praticienne consacre également un créneau quotidien de dix minutes variables pour les urgences de ses patients. « J’essaye également de recevoir en urgence les nouveaux patients, mais alors je suis moins souple sur le créneau, c’est moi qui le fixe en fonction de mon emploi du temps. » Le “Il manque en France un réseau d’entraide de femmes-praticiennes” France. « Elle ne fait que du fauteuil et assure la gestion des stocks. Les deux salles de soins communiquent par un étroit couloir qui regroupe la stérilisation et le système des bacs et cassettes. À la fin des soins, Céline prépare toujours dans une des deux salles la consultation pour le patient suivant pendant les quelques minutes où je suis derrière mon ordinateur, entre chaque patient. De cette façon, il y a un roulement entre les deux salles et toujours une salle propre et prête à accueillir un patient. » Le Dr Dorville travaille quatre jours par semaine, lundi, jeudi et vendredi de 8 heures à 15 h 30 avec une pause déjeuner de 20 minutes et mardi de 8 heures à 12 heures et de 14 heures à 18 heures Elle passe 31 heures au fauteuil, uniquement à quatre mains. « Avant, je pratiquais le mercredi, mais Céline m’a demandé d’arrêter pour des raisons familiales. C’est quelque chose que j’ai pu très bien comprendre, j’ai donc moi-même calé mon emploi du temps sur le sien et j’ai arrêté de travailler ce jour-là. » Elle vient également de recruter une assistante-conseil, la précédente ayant d’autres projets professionnels. Son rôle : l’accueil des patients, la gestion de l’agenda, l’explication détaillée des plans de traitement, l’entente financière et les règlements. Lorsque Rose explique un plan de traitement Céline accompagne la patiente pour sa pano… indépendentaire 111 I Octobre 2013 33 Portrait cabinet du mois “Quand j’ai passé un post-graduate à New York en 2000, j’étais la seule femme, et j’ai eu l’impression de devoir montrer que j’étais meilleure qu’eux.” plus sensibles à l’esthétique. Et puis un patient-homme n’aura pas besoin de montrer sa virilité avec une praticienne. Il pourra plus dire qu’il est anxieux, il sera plus à l’aise. » Selon elle, la féminisation de la profession a engendré quelques mutations : « Les cabinets dentaires sont plus accueillants, décorés. Les femmes ont apporté la couleur, la douceur. La contrepartie, c’est qu’une femme travaille moins qu’un homme alors que dans l’imaginaire collectif, le dentiste est à son poste toute la journée ! Cela ne m’empêche pas de recevoir des fleurs de la part de patients régulièrement ! » Malgré la féminisation croissante, le Dr Dorville considère que les femmes doivent toujours faire la preuve de leur crédibilité : « Quand j’ai passé un post-graduate à New York en 2000, j’étais la seule femme, et j’ai eu l’impression de devoir montrer que j’étais meilleure qu’eux. » temps d’attente avant un rendez-vous est d’environ une semaine à 15 jours. Le rendez-vous est rappelé la veille par SMS. Brigitte Dorville reçoit environ 150 nouveaux patients par an, et parmi sa patientèle majoritairement active, 3 % de patients CMU. Elle oriente tous ses cas implanto vers un confrère grenoblois, le Dr Hervé Bouchet, implanto exclusif. Elle-même a fait le choix de ne pas faire d’implantologie : « J’ai toujours considéré qu’un implanto devait être exclusif, pour être excellent dans ce domaine. En suivant cette logique, j’ai préféré ne pas en faire pour rester omnipraticienne. » Depuis une vingtaine d’années, elle travaille avec trois prothésistes à Lyon et Grenoble, avec lesquels elle entretient de bonnes relations. EN CHIFFRES Couronne céramométallique : 620 € sur du semi-précieux Chiffre d’affaires 2012 : 430 000 € Sa vision du métier Le Dr Dorville a souhaité faire au cours de sa carrière une formation d’homéopathe, une discipline qui lui tient particulièrement à cœur. « J’ai abandonné le nickel il y a 15 ans et j’utilise essentiellement l’or, les métaux semi-précieux et la céramique pure. J’essaye toujours d’avoir dans la bouche une unité et d’être le plus bio-compatible possible. » Une discipline qu’elle a associée à l’approche globale du patient. Elle suit des formations continues régulièrement : « Je fais beaucoup de formation continue, parce que ce sont des journées de rencontres, qui permettent de tester mes connaissances. » La féminisation de la profession Brigitte Dorville a fait le choix de travailler avec une équipe féminine, mais elle n’exclut pas de trouver un collaborateur, masculin de surcroît ! « J’ai dû être remplacée il y a quelques années par un homme pendant quatre mois et ça s’était bien passé ! » Elle comprend néanmoins les patients qui la choisissent parce qu’elle est une femme : « Notre approche est différente selon moi. On fait en général preuve de plus de douceur, d’écoute. Les femmes sont peut-être aussi 34 indépendentaire 112 I Novembre 2013 En haut : Binôme parfaitement rodé, Céline et Brigitte travaillent ensemble depuis 13 ans. Ci-contre : inspiré d’un modèle qu’elle a observé aux États-Unis, le Dr Dorville est organisée avec deux salles de soin. Céline prépare les fauteuils entre deux patients. Ses projets d’avenir « J’ai 57 ans, je prévois de travailler encore une dizaine d’années. J’aimerais trouver un collaborateur, je commence à y songer sérieusement. J’aurais aimé former une unité, un binôme ou travailler dans un grand cabinet avec plein de praticiens. J’ai regretté cela. J’ai embauché il y a quelques années pendant un an une collaboratrice pour tout ce qui était prophylactique. Nous ne nous sommes bien entendues mais elle est partie pour travailler dans une mutuelle et cela m’a rendue un peu frileuse vis-à-vis de la collaboration. J’ai aussi des échos d’associés qui se séparent en mauvais termes… Mais je suis de nouveau prête à tenter le coup ! J’embaucherais plutôt une jeune praticienne, cela me permettra aussi de prendre plus de temps pour assouvir ma passion des voyages. » En effet, le Dr Dorville est passionnée de langues étrangères, qu’elle apprend pour voyager. Dernière en date, l’espagnol, qu’elle aimerait améliorer en faisant de l’humanitaire dans un pays hispanique. Affaire à suivre ! COUV