La mort et la résurrection du Christ : le mystère pascal

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La mort et la résurrection du Christ : le mystère pascal
La mort et la résurrection du Christ : le mystère pascal
Mort et résurrection, mystère central de notre foi, dont le sacrement de l’Eucharistie est la
réactualisation au quotidien. Il s’agit en fait d’un même mystère qui comprend deux versants
distincts. Regardons-les successivement.
A. La passion et la mort du Christ
1. Les données historiques
C’est sans doute au sujet de la passion que les évangiles synoptiques convergent le plus dans leur
manière de raconter les événements. L’arrestation et la condamnation de Jésus ne sont une surprise
pour personne. De fait, dès le début de sa vie publique une hostilité envers le Christ se manifeste et
va grandissante. D’après Luc c’est dès son discours inaugural à Nazareth que l’on veut se débarrasser
de lui :
Entendant cela, tous dans la synagogue furent remplis de fureur. Et, se levant, ils le poussèrent hors de
la ville et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline sur laquelle la ville était bâtie pour l’en
précipiter. Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin (Lc 4, 28-30).
On retrouve cette hostilité après une guérison opérée le jour du sabbat (Lc 6, 11). Très vite on le
piège pour l’amener à prononcer une parole malheureuse (Lc 11, 53). Des indicateurs sont chargés
de le prendre en défaut (Lc 20, 20-26). Son arrestation vient donc comme l’aboutissement d’une
tension grandissante. Regardons successivement cette arrestation, puis la condamnation,
l’exécution, et enfin un dernier point sur la question de la responsabilité de cette mort.
a. L’arrestation
D’après Mc et Mt ceux qui viennent arrêter Jésus sont envoyés par les grands-prêtres et les anciens,
c’est-à-dire par le Sanhédrin, instance politique et religieuse suprême du judaïsme (cf. Mc 14, 43). Ils
reprochent à Jésus sa position à l’égard du Temple (cf. Mc 11, 15-19, épisode où Jésus chasse les
vendeurs du Temple), position qui va déclencher la décision de le faire mourir. Il faut ajouter sans
doute un autre motif : la prétention de Jésus de pardonner les péchés.
b. La condamnation
Pour sa condamnation deux motifs sont présentés au pouvoir romain : Jésus est un blasphémateur se
prétendant « Roi des Juifs » (Mc 15, 2) ; il est un agitateur politique pouvant menacer le pouvoir de
l’occupant. De fait le Sanhédrin ayant déclaré Jésus « passible de mort » (Mt 26, 66) en tant que
blasphémateur, mais ayant perdu le droit de mise à mort (cf. Jn 18, 31), livre Jésus aux Romains en
l’accusant de révolte politique (Lc 23, 2), ce qui mettra celui-ci en parallèle avec Barrabas accusé de
« sédition » (Lc 23, 19). Ce sont donc des motifs politiques que les grands prêtres exercent sur Pilate
pour qu’il condamne Jésus à mort (Jn 19, 12), et non des motifs religieux comme au départ.
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c. L’exécution
La flagellation est la première étape de l’exécution (elle n’est pas présente dans tous les évangiles
synoptiques). « Il s’agit d’inspirer la crainte publique et d’affaiblir le sujet » d’après Charles Perrot.
Quant à la crucifixion, supplice le plus cruel et le plus horrible d’après Cicéron, elle était assez
courante à l’époque (ex. lors du siège de Jérusalem par Titus, celui-ci fera crucifier 500 Juifs par
jour !). Cf. Youcat n° 101 :
Dieu n’aurait pas pu montrer son amour de manière plus impressionnante qu’en se laissant clouer
pour nous sur la croix, en la personne de son Fils. La croix était le moyen d’exécution le plus honteux
et le plus cruel de l’Antiquité. Quels que soient les crimes commis par des citoyens romains, on n’avait
pas le droit de les crucifier. Jésus est entré ainsi dans les souffrances les plus profondes de l’humanité.
Depuis lors, personne ne peut dire : « Dieu ne sait pas ce que je souffre ».
d. La responsabilité de cette mort
Jésus a donc été mis à mort sur l’instigation des prêtres du Temple d’obédience sadducéenne : ce ne
sont donc pas les Juifs en général qui sont en cause, mais les chefs religieux. D’ailleurs parmi les
autorités de Jérusalem non seulement il s’est trouvé le pharisien Nicodème ou le notable Joseph
d’Arimathie pour être en secret disciples de Jésus, mais il s’est produit pendant longtemps des
dissensions au sujet de Jésus (Jn 9, 16-17 ; 10, 19-21) au point qu’à la veille même de sa passion saint
Jean peut dire d’eux qu’ « un bon nombre crut en lui », quoique d’une manière imparfaite (Jn 12, 42).
Le CEC (§ 597-598) nous dit :
En tenant compte de la complexité historique du procès de Jésus manifestée dans les récits
évangéliques, et quel que puisse être le péché personnel des acteurs du procès (Judas, le Sanhédrin,
Pilate) que seul Dieu connaît, on ne peut en attribuer la responsabilité à l’ensemble des Juifs de
Jérusalem, malgré les cris d’une foule manipulée et les reproches globaux contenus dans les appels à
la conversion après la Pentecôte (Ac 2, 23, 36). Jésus lui-même en pardonnant sur la croix et Pierre à sa
suite ont fait droit à « l’ignorance » (Ac 3, 17) des Juifs de Jérusalem et même de leurs chefs. Encore
moins peut-on, à partir du cri du peuple : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants » (Mt 27, 25)
qui signifie une formule de ratification, étendre la responsabilité aux autres Juifs dans l’espace et le
temps. Aussi l’Eglise a-t-elle déclaré dans sa déclaration Nostra Aetate (n° 4) du concile Vatican II : « Ce
qui a été commis durant la passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors,
ni aux Juifs de notre temps. (…) Les Juifs ne doivent pas être présentés comme réprouvés par Dieu, ni
maudits comme si cela découlait de la Sainte Ecriture 1 ».
Si l’on va au fond des choses il faut se rappeler que l’Eglise a toujours tenu que c’est à cause des
péchés de tous les hommes et volontairement que le Christ dans son immense amour s’est soumis à
sa passion et à sa mort, pour que tous les hommes obtiennent le salut. Tous les pécheurs sont donc
auteurs de la passion du Christ.
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L’accusation de déicide a été l’une des causes de l’antisémitisme chrétien : soyons vigilants quand nous
abordons cette question.
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2. La signification théologique de cette mort
Quelle est la signification théologique de cette mort ? : une mort du juste (a), pour nos péchés (b),
qui réalise le dessein bien arrêté de Dieu (c).
a. La mort du « juste »
Cette mort du juste est mise en exergue tant dans les évangiles que dans la prédication primitive. Les
évangiles soulignent l’innocence de Jésus, en notant que le Sanhédrin ne trouva pas de faux
témoignage pour le faire condamner (Mt 26, 60 ; Mc 14, 55). Plus généralement, on peut dire qu’au
cours de sa passion Jésus en impose par son courage. Quant à la prédication primitive elle souligne
que c’est « le juste » qui a été condamné (Ac 3, 14 ; 7, 52). Dire cela c’est souligner le scandale de
cette mort. C’est aussi souligner que Jésus n’a aucune part à la violence qui se déchaîne autour de lui.
b. Une mort pour nos péchés
Le plus ancien Credo rapporté par Paul, qu’il dit avoir reçu, affirme que « le Christ est mort pour nos
péchés selon les écritures » (1 Co 15, 3). La mort rédemptrice de Jésus accomplit en particulier la
prophétie du serviteur souffrant qui « justifie les multitudes en s’accablant lui-même de leurs
fautes » (Is 53, 11). Jésus lui-même a présenté le sens de sa vie et de sa mort à la lumière du serviteur
souffrant : « C’est ainsi que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et
donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mt 20, 28). Après sa résurrection il a donné cette
interprétation des écritures aux disciples d’Emmaüs (Lc 24, 25-27), puis aux apôtres eux-mêmes :
Il leur dit : « Telles sont bien les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : il faut que
s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les prophètes et les psaumes ». Alors il
leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des écritures et il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait
et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et qu’en son Nom le repentir en vue de la
rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. De cela vous
êtes les témoins (Lc 24, 44-48).
Saint Pierre peut en conséquence énoncer cette foi apostolique : « Vous avez été affranchis de la
vaine conduite héritée de vos pères par un sang précieux, comme d’un agneau sans reproche et sans
tache, le Christ, discerné avant la fondation du monde et manifesté dans les derniers temps à cause
de vous » (1 P 1, 18-20). Les péchés des hommes consécutifs au péché originel, sont sanctionnés par
la mort. En envoyant son propre Fils dans la condition d’esclave, celle d’une humanité déchue et
vouée à la mort à cause du péché, « Dieu l’a fait péché pour nous, lui qui n’avait pas connu le péché,
afin qu’en lui nous devenions justice pour Dieu » (2 Co 5, 21).
c. L’accomplissement d’un dessein bien arrêté
La mort de Jésus n’a pas été le fruit du hasard dans un concours malheureux de circonstances. Elle
appartient au mystère du dessein de Dieu, comme saint Pierre l’explique aux Juifs de Jérusalem dès
son premier discours de Pentecôte : « Il avait été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de
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Dieu » (Ac 2, 23). Ce langage biblique ne signifie pas que ceux qui ont « livré Jésus » (Ac 3, 13) n’ont
été que les exécutants passifs d’un scenario écrit d’avance par Dieu. Dieu a permis les actes issus de
leur aveuglement en vue d’accomplir son dessein de salut.
Oui, vraiment, ils se sont rassemblés dans cette ville contre ton saint serviteur Jésus, que tu as oint,
Hérode et Ponce Pilate avec les nations païennes et les peuples d’Israël, de telle sort qu’ils ont
accompli tout ce que, dans ta puissance et ta sagesse, tu avais prédestiné (Ac 4, 27-28).
Dieu établit donc son dessein éternel de « prédestination » en y incluant la réponse libre de chaque
homme à sa grâce.
En livrant son Fils pour nos péchés, Dieu manifeste que son dessein sur nous est un dessein d’amour
bienveillant qui précède tout mérite de notre part : « En ceci consiste l’amour : ce n’est pas nous qui
avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation
pour nos péchés » (1 Jn 4, 10). Cet amour est sans exclusion. Jésus l’a rappelé en conclusion de la
parabole de la brebis perdue : « Ainsi on ne veut pas, chez votre Père qui est aux cieux, qu’un seul de
ses petits ne se perde » (Mt 18, 14). L’Eglise, à la suite des apôtres (2 Co 5, 15 ; 1 Jn 2, 2), enseigne
que le Christ est mort pour tous les hommes sans exception.
3. La mort du Christ dans les Symboles
a. Le Symbole des Apôtres
Il évoque la passion de façon concise : « a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été
enseveli ». Il ne s’attarde pas sur les responsabilités des uns et des autres (pouvoir romain, autorités
juives) à l’égard de la condamnation à mort de Jésus. Il affirme seulement que c’est « sous Ponce
Pilate » que cela s’est déroulé, une manière de situer l’événement d’un point de vue chronologique.
La discrétion du Credo au sujet des responsables de la mort de Jésus suggère que ceux qui ont
condamné le Christ ne sont pas d’abord à chercher d’un côté ou de l’autre, chez l’occupant ou chez
l’occupé, mais dans le refus des hommes, donc de nous tous, d’entrer en alliance avec Dieu. Et l’on
peut dire que Pilate est notre symbole à nous tous. Il est le symbole de nos compromissions, de nos
démissions. Il est celui qui a permis de nouer le refus de l’humanité dans un acte qui va conduire le
Christ à la mort !
Par ailleurs le Symbole des apôtres insiste lourdement sur la réalité de la passion et de la mort de
Jésus (crucifié, mort, enseveli), une manière selon les historiens de réagir contre une hérésie selon
laquelle le Verbe n’ayant revêtu qu’une apparence d’homme (le docétisme), il n’aurait pas
réellement souffert et n’aurait pas pu mourir.
Enfin le Symbole des apôtres traite de la descente aux enfers : que signifie-t-elle ? L’expression « les
enfers » fait référence à ce que les Hébreux appelaient le sheol : le séjour des morts, qui attendaient
depuis des siècles leur libération. Et nous lisons dans la première épître de Pierre :
Le Christ lui-même est mort une fois pour les péchés, juste pour les injustes, afin de nous mener à
Dieu. Mis à mort selon la chair, il a été vivifié selon l’Esprit. C’est en lui qu’il s’en alla même prêcher
aux esprits en prison… (1 P 3, 18-19).
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Cette mention d’une descente du Christ « aux enfers » a été retenue par le Symbole des apôtres pour
signifier que le Christ n’est pas seulement mort pour les vivants, mais aussi pour ceux qui, depuis des
siècles, étaient captifs de la mort. C’est donc l’expression d’une « bonne nouvelle » : l’offre
universelle de salut. Tout ne s’est pas arrêté avec la mort sur la croix. La descente aux enfers, c’est
déjà l’annonce d’un salut et d’une victoire sur la mort, avant même que le Christ n’apparaisse le
troisième jour.
b. Le Symbole de Nicée-Constantinople
Il professe que le Christ « fut mis au tombeau ». Cette mise au tombeau du Christ se fait grâce au
concours de deux saints laïcs, Nicodème et Joseph d’Arimathie. Ce dernier demande à Pilate le corps
de Jésus. Alors que les Romains abandonnaient aux vautours les corps des condamnés à la croix, les
Juifs tenaient à ce qu’ils soient ensevelis. Marc (15, 43) et Luc (23, 51) ajoutent que Joseph était un
homme qui « attendait lui aussi le royaume de Dieu », tandis que Jean (19, 38) dit de lui qu’il était
disciple de Jésus, mais en secret, disciple qui, par crainte des cercles juifs dominants, ne s’était pas
manifesté ouvertement comme tel jusqu’alors. Nicodème est ce savant docteur qui était venu voir
Jésus la nuit, en secret dans l’évangile de Jean (chap. 3). Ainsi, après le drame du procès et de la mort
de Jésus, des justes (en l’espèce de la classe cultivée d’Israël) se lèvent qui sont en attente, croient
aux promesses de Dieu et vont à la recherche de leur accomplissement.
Concernant la mise au tombeau elle-même soulignons quelques détails :
-
Joseph fait déposer le corps du Seigneur dans un tombeau neuf qui lui appartenait et dans
lequel personne encore n’avait été enseveli (Mt 27, 60 ; Lc 23, 53 ; Jn 19, 41). Cela manifeste
un profond respect pour ce défunt. Tout comme au dimanche des Rameaux il s’est servi d’un
âne sur lequel personne encore n’était monté (Mc 11, 2), voici qu’il est maintenant déposé
dans un sépulcre neuf.
-
L’évangéliste Jean nous raconte que Nicodème apporta un mélange de myrrhe et d’aloès
« d’environ cent livres ». Et il poursuit : « Ils prirent donc le corps de Jésus et le lièrent de
linges, avec les aromates, selon le mode de sépulture en usage chez les Juifs » (Jn 19, 39). La
quantité des aromates est extraordinaire et dépasse toute commune mesure : c’est une
sépulture royale. Au moment où tout semble fini Jésus est enseveli comme un roi et d’une
manière mystérieuse surgit sa gloire.
B. La résurrection du Christ
La résurrection est le mystère central de notre foi : « Si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est
notre message, vide aussi notre foi » (1 Co 15, 14). Mais elle fait difficulté pour nos contemporains
qui ne sont que 29% à y croire tout à fait (parmi les croyants 10% croient à la réincarnation).
Formulée progressivement dans l’Ancien Testament, l’idée est devenue le centre de la foi et
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l’espérance chrétiennes depuis que le Christ est lui-même revenu à la vie, en qualité de « premier-né
d’entre les morts ».
1. La résurrection dans l’Ancien Testament
En Israël la foi en la résurrection est tardive, d’abord collective puis individuelle.
a. Les morts sont bien morts
Selon le psaume 88 Dieu n’a plus le souvenir de ceux qui gisent dans la tombe : ils vont au shéol, lieu
souterrain où les morts mènent une existence diminuée. La mort a longtemps été considérée comme
la fin de tout : l’important est de connaître une vie « rassasiée de jours » (Gn 25, 8), après quoi on
rejoint ses pères dans la tombe (Gn 25, 8 ; 1 R 2, 10). Mais le croyant lance un appel à Dieu : « Tu ne
peux abandonner mon âme au shéol, tu ne peux laisser ton fidèle voir la fosse » (Ps 16, 10 ; l’apôtre
Pierre cite ce texte quand il proclame la résurrection de Jésus en Ac 2, 25-28). Voilà l’origine de la
croyance en la résurrection : l’intimité qui a existé entre Dieu et son fidèle ne peut pas tomber dans
le néant.
b. La résurrection du peuple de Dieu
Le psaume 16 exprimait une aspiration, mais pas encore une croyance. Celle-ci va émerger
progressivement. Dans une première série de textes, cette image de résurrection est employée pour
traduire l’espérance collective du peuple d’Israël. Frappé par les châtiments divins, celui-ci est
comparable à un malade que la mort guette (cf. Is 1, 5), voire un cadavre dont la mort a fait sa proie.
Mais s’il se convertit, le Seigneur ne le ramènera-t-il pas à la vie ? : « Venez, revenons à Yahvé !
Après deux jours il nous fera revivre. Le troisième jour il nous fera surgir, et nous vivrons devant lui »
(Os 6, 1).
Ce n’est pas là un simple souhait des hommes, car des promesses prophétiques attestent
expressément qu’il en sera ainsi. Après l’épreuve de l’exil Dieu ressuscitera son peuple comme on
ramène à la vie des ossements déjà secs (Ez 37, 1-14). Il réveillera Jérusalem et la fera lever de la
poussière où elle gisait comme morte (Is 51, 17 ; 60, 1). Il fera revivre les morts, surgir leurs cadavres,
se réveiller ceux qui sont couchés dans la poussière (Is 26, 19). Résurrection métaphorique sans
doute, mais déjà vraie délivrance de la puissance du shéol : « Où est ta peste, ô mort ? Shéol où est
ta contagion ? » (Os 13, 14). Dieu triomphe donc de la mort au bénéfice de son peuple.
c. La résurrection individuelle
La révélation fait un pas de plus au moment de la crise maccabéenne. La persécution d’Antiochus et
l’expérience du martyre posent alors de façon aigüe le problème de la rétribution individuelle. Qu’il
faille attendre le règne de Dieu et le triomphe final du peuple des saints du Très Haut, annoncés
depuis longtemps par les oracles prophétiques, c’est une certitude fondamentale (Dn 7, 13s.). Mais
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les saints morts pour la foi, qu’en sera-t-il d’eux ? L’apocalypse de Daniel répond : « Un grand
nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière se réveilleront ; ceux-là sont pour la vie
éternelle ; les autres pour l’opprobre, l’horreur éternelle » (Dn 12, 2). L’image de résurrection
employée par Daniel est donc à entendre de façon réaliste : Dieu fera remonter les morts du shéol
pour qu’ils participent au Royaume. Cependant, la vie nouvelle où ils entreront ne sera plus
semblable à la vie du monde présent : ce sera une vie transfigurée (Dn 12, 3). Telle est l’espérance
qui soutient les martyrs au milieu de leur épreuve : on peut leur arracher la vie corporelle ; le Dieu
qui crée est aussi celui qui ressuscite (2 M 7, 9.11.23 ; 14, 46) ; pour les méchants au contraire, il n’y
aura pas de résurrection à la vie (2 M 7, 14).
A partir de ce moment la doctrine de la résurrection devient un bien commun du judaïsme. Si la secte
sadducéenne, traditionaliste en matière doctrinale, refuse encore l’idée de résurrection parce qu’elle
n’est pas affirmée par la Torah, elle est professée par les pharisiens (cf. Ac 23, 6) 2.
2. La résurrection dans le Nouveau Testament
Annoncée explicitement par le Christ :
-
le Fils de l’homme doit mourir et ressusciter le troisième jour (Mc 8, 31 ; 9, 31 ; 10, 34)
le signe de Jonas : le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre (Mt
12, 40)
le signe du Temple : « Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai » (Jn 2, 19).
cette puissance de résurrection est aussi manifestée à travers des récits de réanimation que sont les
épisodes de la fille de Jaïre (Mc 5, 21-42), du fils de la veuve de Naïm (Lc 7, 11-17), de Lazare son ami
(Jn 11).
On rencontre deux types de récits concernant la résurrection : le tombeau vide, les apparitions du
ressuscité.
a. Le tombeau vide
Les évangiles racontent cette scène du tombeau vide découvert par les femmes (ex. Mc 16, 1-8).
Dans les trois synoptiques l’annonce de la résurrection est faite par un ou deux ange(s). Quelle est la
portée de ce récit ? En lui-même le tombeau vide ne prouve pas la résurrection ; le corps pourrait
avoir été emporté, comme le suggèrent les autorités (cf. Mt 28, 11-15). Ce signe est indirect. Il n’est
d’ailleurs jamais mentionné par Paul, mais il est important. En effet, selon un théologien « le
kérygme de la résurrection n’aurait pas pu tenir un jour ni une heure à Jérusalem, si le rôle du
tombeau n’avait été un fait bien assuré pour tous les intéressés ». A propos de ce tombeau vide
citons le CEC (n° 640) :
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Mais alors que certains courants du judaïsme l’interprètent de façon très matérialiste, d’autres en ont une
représentation très spiritualisée : lorsque l’âme de défunts aura surgi des enfers pour revenir à la vie, elle
entrera dans l’univers transformé que Dieu réserve pour le monde à venir. Telle est la conception que retiendra
Jésus : « A la résurrection on sera comme les anges dans le ciel » (Mt 22, 30).
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Dans le cadre des événements de Pâques, le premier élément que l’on rencontre est le sépulcre vide. Il
n’est pas en soi une preuve directe. L’absence du corps du Christ dans le tombeau pourrait s’expliquer
autrement. Malgré cela, le sépulcre vide a constitué pour tous un signe essentiel. Sa découverte par
les disciples a été le premier pas vers la reconnaissance du fait même de la résurrection. C’est le cas
des saintes femmes d’abord, puis de Pierre. « Le disciple que Jésus aimait » (Jn 20, 2) affirme qu’en
entrant dans le tombeau vide et en découvrant « les linges gisant » (Jn 20, 6) « il vit et il crut » (Jn 20,
8). Cela suppose qu’il ait constaté dans l’état du sépulcre vide que l’absence du corps de Jésus n’a pas
pu être une œuvre humaine et que Jésus n’était pas simplement revenu à une vie terrestre comme
cela avait été le cas de Lazare.
b. Les apparitions du ressuscité
On peut noter en premier lieu qu’il y a un ordre dans ces récits d’apparition. Les femmes sont les
premières messagères de la résurrection du Christ pour les apôtres eux-mêmes (Lc 24, 9-10). C’est à
eux que Jésus apparaît ensuite, d’abord à Pierre, puis aux douze. Pierre, appelé à confirmer la foi de
ses frères voit donc le ressuscité avant eux, et c’est sur son témoignage que la communauté s’écrie :
« C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon » (Lc 24, 34.36). Ces récits ont
habituellement une structure commune (cf. Lc 24, 36-52 ; Jn 20, 11-18) :
-
d’abord tout part d’une initiative du ressuscité. Jésus se tient au milieu des disciples sans
qu’ils s’y attendent (Lc 24, 36 ; Jn 20, 19 et 21, 4). Il établit avec eux des rapports directs à
travers le toucher et le partage du repas Cela montre le caractère non imaginaire des
apparitions ;
-
vient ensuite la reconnaissance par les disciples après un moment de doute, de trouble ou de
peur (Lc 24, 37-43 ; Jn 20, 15-16). Ce moment de reconnaissance a une double fonction :
celui qu’ils « voient » c’est bien Jésus de Nazareth qu’ils ont connu et qui a été crucifié : il
n’est pas un esprit, mais celui qui porte les traces de sa passion (Lc 24, 40 ; Jn 20, 20.27). En
même temps il faut le reconnaître, car il est différent de ce qu’il était durant sa vie terrestre.
Il n’est plus situé dans l’espace et le temps, mais peut se rendre présent à sa guise, où et
quand il veut, car son humanité ne peut plus être retenue sur terre et n’appartient plus
qu’au domaine du Père. Son corps authentique et réel possède en même temps les
propriétés nouvelles d’un corps glorieux. Autrement dit c’est un être réel, ce n’est pas un
fantôme, mais il ne partage plus notre condition. On pourrait dire : au temps de sa vie
publique Jésus était encore contenu dans le monde, c’est désormais le Christ qui contient le
monde. Le ressuscité n’abolit pas sa relation au monde mais la retourne : il n’est plus dans le
monde, le monde est en lui. Le ressuscité n’est plus localisé (il n’a pas à se déplacer pour
apparaître ; sa présence est devenue universelle dans le temps et l’espace) :
Tandis que, dans sa vie publique, le Christ était encore contenu dans un monde que domine la
mort, la résurrection de Jésus manifeste qu’en la puissance de l’Esprit, l’infortune humainement
insurmontable de la mortalité a été dans le Christ pleinement dépassée. Loin que le ressuscité soit
désormais contenu dans le monde et donc finalement assujetti par lui, il faut dire au contraire que
le monde et toute sa profondeur sont réellement contenus dans le Christ. 3
3
Gustave MARTELET, Résurrection, eucharistie et genèse de l’homme, Desclée, 1972, p. 91.
8
-
le message : les apparitions ne sont pas seulement des phénomènes visuels, Jésus parle. Il
délivre un message de consolation (« Femme, pourquoi pleures-tu, qui cherches-tu ? »), de
miséricorde (« Va vers mes frères ») et de paix (« La paix soit avec vous »). Il assure de sa
présence permanente, même si elle est désormais d’un autre ordre (Mt 28, 20). Il invite à
continuer son œuvre et envoie en mission (Mt 28, 19 ; Mc 16, 15-18 ; Lc 24, 48-49 ; Jn 20,
17). Les apparitions ouvrent sur le temps de l’Eglise.
Les apparitions ne sont qu’une manifestation filtrée du ressuscité, une manifestation proportionnée
à nos capacités de perception de sa situation nouvelle à partir de notre condition terrestre. Elles ne
manifestent pas sa gloire de ressuscité dans tout son éclat. Nous ne pouvons pas encore le voir.
3. Le sens théologique de la résurrection
a. La résurrection, une interprétation dans la foi
La résurrection n’est pas constatable scientifiquement comme les événements historiques. Quelque
chose de réel est arrivé au Christ, mais cela échappe à nos moyens d’observation. Si elle n’est pas de
l’ordre de la constatation, elle résulte d’une interprétation dans la foi de ce qui est arrivé à Jésus,
interprétation déclenchée par le signe indirect du tombeau vide et le signe direct des apparitions et
développée à l’aide des thèmes de l’Ecriture qui préparaient la réception de cette expérience, même
si celle-ci dépasse l’attente qu’on pouvait avoir à ce sujet (cf. Lc 24, 44-45). Sans ce cadre de
référence il était impossible d’accueillir l’événement et de lui donner sens, même si le cadre de
référence a craqué.
b. La résurrection, un acte de la puissance divine, une œuvre de la Trinité
Selon le CEC (n° 648-649) la résurrection du Christ est une intervention transcendante de Dieu luimême dans la création et dans l’histoire. En elle, les trois personnes divines à la fois agissent
ensemble et manifestent leur originalité propre. Elle s’est faite par la puissance du Père qui a
ressuscité le Christ, son Fils (cf. Rm 6, 4 ; Ac 2, 24 ; 3, 15 ; 4, 10 ; 5, 31 ; Rm 10, 9 ; Ph 2, 9 ; Ga 1, 1 ; Ep
1, 20 ; Co 2, 12), et a de cette façon introduit de manière parfaite son humanité – avec son corps –
dans la Trinité. Jésus est définitivement révélé « Fils de Dieu avec puissance selon l’Esprit, par sa
résurrection d’entre les morts » (Rm 1, 3-4). Saint Paul insiste sur la manifestation de la puissance de
Dieu par l’œuvre de l’Esprit qui a vivifié l’humanité morte de Jésus et l’a appelée à l’état glorieux de
Seigneur (1 Tm 3, 16).
Quant au Fils, il opère sa propre résurrection en vertu de sa puissance divine. Jésus annonce que le
Fils de l’homme devra beaucoup souffrir, mourir, et ensuite ressusciter (au sens actif du mot, cf. Mc
8, 31 ; 9, 9-31 ; 10, 34). Ailleurs il affirme explicitement : « Je donne ma vie pour la reprendre […] J’ai
pouvoir de la donner et pouvoir de la reprendre » (Jn 10, 17-18).
Autrement dit la résurrection est un acte trinitaire. La résurrection montre jusqu’où va la puissance
de Dieu : elle est plus forte que la mort. La foi en la résurrection va contre toute conception du
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monde enfermée sur lui-même, qui ne laisse aucune place aux possibilités recréatrices de Dieu (Dieu
a fait, l’homme a défait, Dieu a refait pour tout parfaire en son Fils Eternel).
c. La résurrection, une réhabilitation de Jésus
Jésus est le juste condamné à mort. Sa résurrection manifeste la fidélité du Père qui répond à celle
du Fils : la croix était le temps du silence et de l’abandon du Père ; la résurrection montre la fidélité
du Père puisqu’il ne l’a pas laissé connaître la corruption (Ac 2, 27). C’est ainsi que l’Ecriture
comprenait la résurrection : comme un acte de fidélité de Dieu à l’égard de son Fils. Par la
résurrection, Jésus passe dans la sphère de Dieu avec son humanité : c’est le sens des expressions
« Dieu l’a exalté », « Dieu l’a fait Seigneur et Christ » (Ac 2, 36). Cela veut dire d’abord qu’il demeure
l’un des nôtres ; la résurrection n’est pas la fin de l’incarnation. Mais elle l’établit dans une autre
situation : il passe de l’existence du serviteur (une existence humaine limitée) à celle du Seigneur
glorifié. Il y a à la fois continuité (c’est le même Jésus) et rupture (il est glorifié). Avant la résurrection
sa condition humaine est manifeste et sa condition divine est cachée. Après, sa condition divine est
manifeste et sa condition humaine est transformée.
d. La résurrection comme inauguration d’un monde nouveau
La résurrection inaugure les temps eschatologiques, elle annonce les nouveaux cieux et la nouvelle
terre. Elle a une portée universelle et cosmique. Du côté de l’homme ses effets sont multiples :
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par sa mort il nous libère du péché, par sa résurrection il nous ouvre l’accès à une vie
nouvelle. Celle-ci est d’abord la justification qui nous remet dans la grâce de Dieu « afin que,
comme le Christ est ressuscité des morts, nous vivions nous aussi une vie nouvelle » (Rm 6,
4). Elle consiste en la victoire sur la mort du péché et dans la nouvelle participation à la
grâce. Nous sommes à nouveau juste devant Dieu ;
elle accomplit l’adoption filiale car les hommes deviennent frères du Christ, comme Jésus luimême appelle ses disciples après la résurrection « Allez annoncer à mes frères » (Mt 28, 10 ;
Jn 20, 17). Frères non par nature, mais par don de la grâce, parce que cette filiation adoptive
procure une participation réelle à la vie du Fils unique, qui s’est pleinement révélée dans sa
résurrection ;
la résurrection est principe et source de notre résurrection future : « Le Christ est ressuscité
des morts, prémices de ceux qui se sont endormis […] de même que tous meurent en Adam,
tous aussi revivront dans le Christ » (1 Co 15, 20-22). Dans l’attente de cet accomplissement,
le Christ ressuscité vit dans le cœur de ses fidèles. En lui les chrétiens « goûtent aux forces du
monde à venir » (He 6, 5) et leur vie est entraînée par le Christ au sein de la vie divine « afin
qu’ils ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2
Co 5, 15).
4. La résurrection du Christ dans les Symboles
« Il ressuscita le troisième jour conformément aux Ecritures » : l’expression « il ressuscita le troisième
jour conformément aux Ecritures » renvoie à un chiffre symbolique désignant dans la Bible le jour de
l’action de Dieu, celui-ci ne laissant pas le juste plus de trois jours dans l’épreuve (Os 6, 2 ; Jon 2, 1
cité en Mt 12, 40). Jésus lui-même y a fait allusion à propos du signe du Temple (Jn 2, 19-21).
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Mgr Rouet fait remarquer que « le troisième jour n’est ni le lendemain (le deuxième jour), ni le
quatrième jour ». C’est seulement le surlendemain : entre la mort et la résurrection il y a une faille,
une discontinuité, un temps d’absence ; une faille qui dit que la résurrection ne découle pas
naturellement du jour précédent, puisqu’il y a un intervalle. Et ce temps de silence est aussi le jour
du sabbat, jour du repos créateur de Dieu et donc temps recréateur au cours duquel le Christ rejoint
le Père. Ce n’est pas le quatrième jour non plus, moment où commence la corruption du cadavre (cf.
Jn 11, 39). Dans son discours de Pentecôte Pierre dit précisément en citant le psaume 25 : « Tu ne
laisseras pas ton saint voir la corruption » (Ac 2, 27). Selon Mgr Rouet cela signifie que « le corps du
Christ ne porte pas sur lui-même que des plaies volontairement données et volontairement
assumées » alors que la décomposition échappe à la liberté.
Conclusion : citons le passage d’un livre du théologien Gerhard Lohfink :
Le christianisme n’aurait donc pas changé en mieux la face du monde ? La proclamation du sermon
sur la montagne n’aurait pas changé la face du monde ? Et ces communautés des premiers chrétiens
qui ont refusé de vénérer l’empereur romain comme s’il était Dieu, et qui, par leur refus,
dénoncèrent l’Etat, chaque fois qu’il avait l’outrecuidance de se prendre pour Dieu, elles n’auraient
pas changé la face du monde ? Et ces innombrables martyrs chrétiens, depuis le 1 er siècle jusqu’à nos
jours, qui ont préféré mourir plutôt que d’abjurer leur foi, en prouvant de cette façon que leur foi
était plus forte que la violence, ils n’auraient pas changé la face du monde ? Et tous ces saints,
inconnus au milieu de nous, de saint François d’Assise à sainte Thérèse d’Avila, joyeux de faire la
volonté de Dieu, ils n’auraient pas changé la face du monde ? Et tous ces monastères éparpillés dans
notre pays depuis le début du Moyen Âge comme les étoiles dans le ciel, avec leurs écoles, leurs
officines, leurs ateliers, leurs copistes, leur architecture et leur façon de travailler la terre, ils
n’auraient pas changé la face du monde ? Et toutes ces mères, qui soir après soir, assises au bord du
lit de leurs enfants, ont récité la prière du soir en passant en revue la journée écoulée à la lumière de
la foi, elles n’auraient pas changé la face du monde ? Et tous ces couples, qui ont résisté à l’aire du
temps, ont rejeté le divorce pour rester fidèles l’un à l’autre et se sont sans cesse réconciliés, ils
n’auraient pas changé la face du monde ? Et toutes ces religieuses, qui ont passé des nuits au chevet
des mourants, fait la toilette des grands malades, consolé les affligés, elles n’auraient pas changé la
face du monde ? Nous ne savons pas à quoi ressemblerait le monde aujourd’hui, s’il n’y avait pas la
foi chrétienne… S’il n’était pas ressuscité, le monde ne serait plus. Cette phrase, j’en suis convaincu,
est plus vraie que nous ne l’imaginons. Si Jésus n’était pas ressuscité d’entre les morts et si sa
résurrection n’avait pas déclenché une révolution silencieuse, mais permanente, le monde
d’aujourd’hui aurait un tout autre aspect, et peut-être qu’il aurait disparu depuis longtemps4.
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Gerhard LOHFINK, Le Peuple, objet de la convoitise de Dieu, « Défis bibliques », éd. Neue Stadt, Munich, 1998,
p. 83-85.
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