Les programmes de transfert du portefeuille-clients sont

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Les programmes de transfert du portefeuille-clients sont
Passer le flam
Les programmes de transfert du portefeuille-clients sont devenus un impér
d’une institution à l’autre, mais la différence se manifeste surtout en matière
qu’une transmission harmonieuse, plutôt qu’une vente à l’aveuglette, permet
GÉRARD BÉRUBÉ
PHOTO : FRANÇOIS BONNEAU
PHOTOMONTAGE : JAMES WAGNER
O
n s’entend, d’entrée de jeu, pour dire que l’alternative, le compte orphelin, n’est pas souhaitable.
«Il peut être difficile de traiter les comptes orphelins. De tels comptes vont être redistribués aux
autres conseillers, en fonction de leur personnalité et de
leur territoire. Mais ces difficultés sont reliées à des questions d’affinité», soutient Richard Giroux. Le conseiller en
placement à Valeurs mobilières Partenaires Cartier se
réjouit de faire partie d’un réseau disposant d’un programme ou d’un mécanisme de transfert des comptesclients. «Tous les cabinets, toutes les institutions s’assurent
d’avoir un tel programme. C’est devenu un must».
Chez Partenaires Cartier, la clientèle du conseiller lui
appartient. Son transfert est soumis à des modalités renfermant des mécanismes d’évaluation, de suivi et, au
besoin, de financement. Lorsque le représentant prévoit
prendre sa retraite, ce transfert peut être planifié et la
transmission se faire graduellement, la transition devenant ainsi plus harmonieuse.
À l’opposé, chez Investors, la clientèle du conseiller
appartient, ultimement, à l’institution. «Lorsqu’un conseiller
prend sa retraite, nous agissons alors comme banquier.
Nous achetons sa clientèle pour ensuite la revendre», précise François Morin, vice-président, Les Services Investors.
Le programme de valeur assurée s’articule autour d’un
contrat garanti, d’une valeur calculée à l’avance. «Ainsi, il
n’y a pas de surenchère et le tout se fait à la juste valeur
marchande de la clientèle. On associe une valeur à la clientèle, reliée aux commissions versées, et cette valeur appartient au conseiller. C’est un droit acquis.»
Dans le cadre d’un retrait ou d’un abandon graduel, le
conseiller conserve certains privilèges au cours du proOBJECTIF CONSEILLER
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beau . . .
atif. Les modalités et mécanismes peuvent varier d’un cabinet ou
de reconnaissance de la propriété ultime des comptes. Et il ressort
d’obtenir un plus grand taux de fidélisation de la clientèle.
une étape
délicate
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Les programmes de transfert des portefeuilles-clients
Transition harmonieuse
Sylvain de Champlain, président de De Champlain, Services
financiers (un cabinet associé à Partenaires Cartier), a procédé à deux
achats de portefeuilles-clients au cours des deux dernières années. «Ça
se vit bien», assure-t-il.La première transaction a porté sur un actif sous
gestion de 39 millions de dollars réparti entre 550 clients.Des personnes
préretraitées et retraitées pour l’essentiel.La deuxième transaction impliquait un actif sous gestion de 14,5 millions de dollars.
Le prix d’achat? «Une norme semble
s’installer dans l’industrie autour du
1,5 fois l’actif sous gestion. Ça peut
aller à 1,7 ou à 1,9 fois, selon la qualité du portefeuille.» Le planificateur
financier a eu recours au mécanisme
de transmission mis en place par
Partenaires Cartier. Quant au financement, «la Banque de Montréal a
développé une expertise pour ce
type de transaction. L’institution
finance jusqu’à 70 % de la transaction,sur une période de cinq ou sept
ans. Elle peut aller jusqu’à 10 ans,
selon la taille du portefeuille.» Partenaires Cartier apporte un certain
cautionnement en s’engageant
auprès de l’institution bancaire à
retenir les commissions afin de couvrir les engagements financiers de
l’acquéreur.
«Selon les tendances qui se des-
cessus de transition. La vente progressive de la clientèle
permet un transfert plus harmonieux et la possibilité de
capitaliser sur l’expertise du conseiller cédant.
Dans ces dossiers, l’institution agit en tant qu’intermédiaire et, le cas échéant, en tant que médiateur. Car,
pour des questions d’affinité, ce transfert peut être l’objet d’une négociation entre conseillers, sous le regard du
directeur général du bureau, seul maître à bord. L’approche d’Investors reconnaît également la formule de
représentant-associé. «Avec 30 ou 35 millions de dollars
d’actif sous gestion, cela devient une PME. Le représentant principal peut alors engager un associé, qui devient
très souvent sa relève. On peut voir, par exemple, le père
ou la mère prendre un enfant comme représentantassocié», ajoute François Morin.
Daniel Laflamme, conseiller financier chez Partenaires Cartier, à Québec, apprécie son statut de travailleur
autonome et défend jalousement la paternité de son
portefeuille-clients. «J’ai été approché à plusieurs reprises
par d’importantes institutions financières. Je n’aimais pas
leur concept de fidélisation. La concurrence est de plus
en plus vive entre les institutions financières. Il est intéressant, pour elles, d’acquérir rapidement de gros blocs
d’affaires. Nos portefeuilles vont prendre passablement
sinent, l’industrie s’en va vers une
réduction des commissions de
départ et vers plus d’accent sur les
commissions de maintien. Cela
implique qu’il faut travailler sur la
qualité de la clientèle, à accroître
son volume d’actif sous gestion»,
observe Sylvain de Champlain.
Le risque inhérent à l’achat de
portefeuilles est lié au taux de fidélisation de la clientèle. «Au départ,
nous avions fixé le taux de départ
potentiel à 10 ou 15 %.Nous n’avons
finalement perdu que 4,4 % de la
clientèle après un an,même si je n’ai
pas bénéficié d’une conjoncture de
marché favorable. J’estime que,
entre 5 et 10 %, c’est très bon. Mais
un taux de fidélité de seulement
65 %, cela m’apparaît un peu exa-
de valeur.» Et cela peut expliquer les forts taux de roulement observés dans les institutions fonctionnant selon
une clientèle captive, croit-il.
Daniel Laflamme a l’expérience des transactions de
comptes-clients. En 1992, il a proposé à deux de ses collègues en assurances de s’occuper du secteur placement
auprès de leur clientèle. Mais il a préféré l’achat de la clientèle au partage des commissions. Puis, ne disposant pas du
temps nécessaire, il a conclu la revente d’une partie de sa
clientèle à une collègue devenue associée. Dans le premier
cas, le taux de fidélité a été tout près de 100 %. Dans le
second, environ 10 % des 400 comptes visés par la transaction n’ont pas survécu au transfert. «Cela demeure marginal. Les affinités avec sa clientèle, les atomes crochus, cela
se développe avec le temps. Si tu achètes d’un inconnu, je
dirais, par expérience, que le taux de fidélité se situerait
autour de 60 à 65 %. Sans compter que tu ignores la qualité
du service offert antérieurement. Tu risques alors d’hériter
des conséquences de ce service inadéquat.»
Daniel Laflamme voit la relève en sa fille, qui poursuit des études universitaires en finance. «Il y aura une
forme de transition.» Mais, en l’absence d’une telle
relève, il s’en remettrait aux autres conseillers de son
cabinet, au bouche à oreille ou au réseau de Partenaires
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Les programmes de transfert des portefeuilles-clients
géré»,commente-t-il,en faisant référence à l’expérience relatée par son
collègue Daniel Laflamme. À son
avis, un tel taux découlerait d’une
mauvaise communication, d’une
mauvaise relation. Il évalue qu’au
pire la perte de clientèle ne devrait
pas dépasser les 15 ou 20 %.
«En fait, le taux de fidélisation va
dépendre de la façon dont l’acheteur abordera sa nouvelle clientèle
et sera en fonction de ce qu’il a à
proposer par rapport aux services
offerts antérieurement. Le tout va
dépendre également de l’habileté
de l’acheteur à développer rapidement une relation de confiance avec
ses nouveaux clients.»
Dans son évaluation préalable,
Sylvain de Champlain a demandé la
liste-clients du conseiller vendeur et
le relevé de placement de chacun.
«Selon les résultats des portefeuilles,
je suis en mesure de jauger le degré
de satisfaction du client.» Le trans-
fert s’est fait selon une procédure
prévoyant l’envoi, par le vendeur,
d’une lettre à chaque client.
Ces clients ont reçu ensuite un
dépliant et l’information relative à la
nouvelle équipe, puis un appel personnel de Sylvain de Champlain les
invitant à une rencontre. «J’ai également engagé l’adjointe principale
des deux vendeurs afin d’assurer un
trait d’union. En définitive, la transition harmonieuse repose essentiellement sur ton habileté à
développer rapidement une relation
de confiance avec le nouveau client.
En ce sens, la première rencontre, la
première impression peut devenir
un élément majeur.» Il considère que
le risque de perte de la clientèle
appartient à l’acheteur, et non au
vendeur. «J’ai eu vent de cas où
l’achat d’un portefeuille est devenu
un cauchemar pour l’acquéreur. Ce
dernier offrait alors aux clients un
service et une formation moindres.
Cartier. En clair, mieux vaut ne pas défaire une relation
de confiance, bâtie de longue date, en faisant de la
publicité dans les médias.
Ce sentiment d’appartenance et de propriété fait son
chemin dans les grandes institutions. Ici, on pointe
souvent en direction de la Great-West, compagnie
d’assurance-vie, et de sa méthode, susceptible de faire
école. La Great-West a déjà bouleversé les façons de faire
au début des années 90 en introduisant son «Contrat Clé
d’Or», articulé autour de l’indépendance des conseillers
et des compensations nivelées, qui accordent la priorité
autant à la vente de produits qu’au service après-vente, au
suivi et au maintien de l’actif.
«Les agents captifs, c’est de l’histoire ancienne. Nos
conseillers sont indépendants. Nous partons du principe
que nous devons mériter leur confiance, que nous devons
gagner le droit de faire affaire avec eux», résume Leander
Dueck, vice-président exécutif, Distribution aux particuliers, à la Great-West. Cette façon de faire lui a valu de
connaître l’un des plus forts taux de croissance dans l’industrie en 2001 et d’afficher un taux de fidélité des
conseillers parmi les plus élevés.
La Great-West n’intervient pas dans les transferts de
portefeuilles. «Nous ne voulons pas être impliqués dans
Le client ressentait qu’il baissait alors
d’une coche.» À ses yeux,«le client va
donner la chance au coureur.»
Sylvain de Champlain a acheté
deux clientèles bien desservies par
ses prédécesseurs. Advenant le cas
contraire, «il aurait été, alors, plus
facile de les impressionner.Les clients
auparavant mal servis se seraient
alors vu offrir de meilleurs services.»
l’évaluation. Nous ne voulons pas nous embourber dans
des modèles complexes comprenant des facteurs subjectifs
tels la qualité de la clientèle, l’achalandage ou la diversification des affaires. Nous pensons qu’il revient au marché
de déterminer la valeur des portefeuilles. Et que c’est le
conseiller qui connaît le mieux ses clients. Tout au plus
allons-nous fournir les paramètres requis pouvant aider les
intervenants à procéder à l’évaluation et à la vérification
diligente. C’est un contrat accordant l’entière liberté aux
conseillers», insiste-t-il. Mais l’acquéreur du portefeuille
devra satisfaire aux exigences de la franchise «Gold Key
Contract» de la Great-West. «Le concept doit être valable
puisque j’ai vu des franchises se vendre à plus de 500 000 $,
certaines à plus de un million», a lancé M. Dueck.
Certes, il y a risque de perte de clientèle. «Mais nous
pensons que le conseiller vendeur ne voudrait pas
remettre à n’importe qui une clientèle qu’il a bâtie depuis
longtemps, composée très souvent d’amis et avec laquelle
il a développé une certaine chimie. Il va préférer choisir
la continuité et une transition en douceur. Nous misons
également sur le fait que le conseiller acquéreur voudra
tabler sur les acquis et qu’il a acheté le bloc d’affaires pour
le faire croître. C’est une situation de gagnant-gagnant»,
souligne Leander Dueck.
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