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N°42
La Gazette
de la SOciété Française d’Orthopédie Pédiatrique
octobre - novembre 2014 - Commission paritaire en cours - N° ISSN en cours
Bureau de la SOFOP
Président : C. Karger - 1er Vice-Président : P. Lascombes- 2e Vice Président : C. Glorion - Futur 2e Vice Président : J. Cottalorda
Ancien Président : J. Lechevallier - Secrétaire Général : P. Wicart - Trésorier : F. Accadbled - Représentant SOFCOT : J. N. Ligier
Membres du Bureau : T. Haumont, F. chotel, R. Gouron, F. Launay, PL. Docquier
Avec Christian Morin nous
vous proposons de consacrer un numéro de la
Gazette à la pathologie chirurgicale du sport de
l’enfant et de l’adolescent.
Pourquoi ce choix ? Les raisons en sont multiples.
Une mutation globale de la traumatologie en
2014
La traumatologie de la voie publique a occupé
notre activité pendant 3 décennies. Désormais
c’est la pathologie traumatique sportive qui
prend le relais. C’est incontestablement la pathologie du futur de notre spécialité. Des lésions
osseuses et surtout ligamentaires jusque là inconnues apparaissent (rachis cervical, sacrum,
cheville, poly-fractures, fractures étagées).
Une nécessaire adaptation
de nos techniques chirurgicales
Citons la miniaturisation de l’ostéosynthèse,
l’adaptation des techniques d’arthroscopie,
l’ECMS, l’ostéosynthèse percutanée...
Sommaire
Une évolution de la société
Le sport occupe maintenant une place centrale
dans la vie de l’enfant. Dans les lésions aigues
et chroniques, la reprise de l’activité après un
traumatisme est au centre des préoccupations
de l’enfant, de la famille, des entraineurs et des
médecins du sport.
Editorial SO.F.O.P.
L’article de Christian MULLER attire notre attention sur les tendinopathies de l’enfant et de
l’adolescent, pathologie méconnue.
Les traiter
Prendre une décision opératoire n’est pas touUn nouveau choix des priorités des examens jours simple pour une lésion souvent grave alors
que la cause en est le jeu ! Franck ACCABLED a
d’imagerie
La radiographie initiale demeure non négo- réussi ce pari de la clarté à travers le chapitre
ciable (dépistage premier des tumeurs os- « les indications opératoires incontournables en
pathologie du genou ».
seuses) encore faut-il bien la centrer.
L’échographie bien indiquée, bien réalisée voit Inclure ces lésions dans une perspective hunaître véritablement les lésions à la jonction os- maine et éthique
tendon. Moins onéreuse montrant les lésions On ne saurait terminer cette réflexion sans une
d’interface, de surface et intra musculaire, elle approche éthique du problème, poursuite, arrêt,
occupera rapidement une place centrale au sein ralentissement de la pratique sportive, gestion
des explorations complémentaires précédent par le praticien des pressions subies de la part
ou se substituant à l’IRM, tomodensitométrie, et de l’entourage et de ses confrères.
scintigraphie.
L’orthopédiste pédiatre dont le seul but doit
Le fil rouge de ce numéro est le suivant :
être la préservation du corps de l’enfant devient
Comprendre les lésions
alors le MEDIATEUR par excellence. C’est Michel
C’est le but des articles de Bruno DOHIN et Caillol, riche de sa formation de chirurgien orRobert ELBAUM portant sur l’anatomopatholo- thopédiste et de philosophe qui évoque pour
gie et sur la question fondamentale : quel sport nous le problème.
pour quel enfant ? Le morphotype et l’âge, le
Nous vous souhaitons une bonne lecture.
sport pratiqué conditionnent les lésions.
Ce qui nous oblige à une réflexion sur la gestion
du circuit court de traitement : un traitement
raccourci certes mais efficace et légitime ! Ce qui
pose à la fois un double problème de logistique
et d’éthique du soin.
Les reconnaître :
Le chapitre de Philippe ISCAIN sur l’échographie
vous montrera des lésions en train de naître. Pierre CHRESTIAN et Christian MORIN
Extraordinaire !
Génèse des lésions « microtraumatiques » chez l’enfant
et l’adolescent
par B. Dohin............................................................................................. 2
Indications opératoires incontournables
en pathologie sportive du genou chez l’enfant
par F. Accadbled.................................................................................. 12
Quel sport pour quel enfant ?
Réunion à venir....................................................................................15
par R. Elbaum..........................................................................................4
Les tendinopathies du pied revisitées
en orthopédie pédiatrique
par CR. Muller , P. Chrestian............................................................ 16
Plaidoyer échographique en pathologie ostéoarticulaire
traumatique et sportive de l’enfant et l’adolescent
par Ph. Iscain ..........................................................................................9
Fondateur
J.C. POULIQUEN †
Editorialiste
H. Carlioz (Paris)
Rédacteur en chef
C. MORIN (Berck)
Membres
J CATON (Lyon)
P CHRESTIAN (Marseille
G FINIDORI (Paris)
J L JOUVE (Marseille
Le sport chez l’enfant : entre suractivité et traumatologie,
quel risque ? Un éclairage éthique
par M. Caillol......................................................................................... 19
R KOHLER (Lyon)
P LASCOMBES (Nancy)
G F PENNEÇOT (Paris)
M RONGIERES (Toulouse)
J SALES DE GAUZY (Toulouse)
R VIALLE (Paris)
et le GROUPE OMBREDANE”
Correspondants étrangers
M BEN GHACHEM (Tunis)
R JAWISH (Beyrouth)
I. GHANEM (Beyrouth)
Editeur
SAURAMPS MEDICAL
S.a.r.l. D. TORREILLES
11, boulevard Henri IV
CS 79525
34960 MONTPELLIER Cedex 2
Tél. : 04 67 63 68 80
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Génèse des lésions «microtraumatiques»
chez l’enfant et l’adolescent
par B. Dohin
L’étiologie des lésions apophysaires ou épiphysaires dites
« de surcharge » a été peu étudiée en dehors des observations histologiques. L’évidence clinique du principal facteur
de survenue a probablement diminué l’intérêt de la compréhension des mécanismes intimes de cette pathologie
bénigne. Mais l’augmentation de la fréquence de ce type
de pathologie pourrait redonner une légitimité à explorer la
physiopathologie des ostéochondroses et ostéochondrites
de l’enfant et adolescent.
L’évolution des techniques d’imagerie associée à l’augmentation de la demande en matière de lésions secondaires au
sport a permis le développement d’une « nouvelle » sémiologie échographique ou IRM. Cependant, la plupart du temps,
le tableau clinique initial ou les examens d’imagerie simples
suffisent encore au diagnostic positif. Œdème, épaississement, fragmentation constatés avec ces imageries ne font
souvent que confirmer (s’il en était besoin) que la douleur
est bien en rapport avec une lésion tissulaire chronique et
bénigne.
La lésion tissulaire la plus connue est celle de l’ostéochondrite disséquante. L’ischémie osseuse est confirmée histologiquement dans un grand nombre de cas, parfois c’est
un aspect de fracture sous chondrale. Cependant, encore
récemment, il était impossible de conclure à un mécanisme physiopathologique clair et rien ne semble tranché
entre microtraumatismes répétés et ischémie. L’ostéonécrose serait elle primitive ou secondaire ? Il a été confirmé
par ailleurs qu’il existe un phénomène de séquestration
osseuse qui, chez le jeune enfant, conduit à une revascularisation du fragment à travers une cicatrice (interface)
cartilagineuse ; celle-ci peut-soit subir une ossification et
un remodelage aboutissant à la réintégration du fragment,
-soit, à l’approche de la maturité, évoluer vers une interface
fibreuse comparable à une pseudarthrose compromettant
ainsi la vitalité du fragment. L’imagerie par IRM a contribué
à cette interprétation. L’ostéochondrite primitive de hanche,
de même que les ostéochondrites juvéniles diverses, déjà
décrites par des auteurs anciens (Köhler-Mouchet, Freiberg,
etc), semble relever d’une même histologie. Quant à l’étiologie, celle-ci reste encore inconnue.
Le mécanisme physiopathologique des ostéochondroses
est lui aussi mal connu, mais une découverte récente ouvre
une porte à la compréhension du phénomène, toujours rattaché à la répétition de traumatismes minimes, mais répétés, dont les conséquences s’additionnent jusqu’à dépasser
les processus physiologiques de réparation.
Le siège de survenue des ostéochondroses est la jonction
entre un tendon et une apophyse. Chez l’enfant cette jonction est constituée de cartilage hyalin qui est une matrice
formée d’eau, de protéoglycanes (principalement chondroïtine sulfate et kératan sulfate) liées à de l’acide hyaluronique
(également une glucoaminoglycane), de glycoprotéines et
de collagène de type II en faible quantité. Ce cartilage est
destiné à être le siège d’une ossification enchondrale au
niveau du noyau d’ossification secondaire et d’une ossification membraneuse en surface.
2
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Les tendons, eux, sont essentiellement constitués de fibres
de collagène type I et comportent aussi du collagène de
type III dont la présence augmente en cas de lésion tissulaire ou de vieillissement, et enfin, d’un peu de myosine et
d’actine ; ils sont peu cellulaires. Les tendons sont parfois
considérés comme du tissu périosté modifié.
La jonction entre le tendon et l’os (ou chez l’enfant l’apophyse
encore cartilagineuse) est donc une zone de transition. Dans
celle-ci on trouve du fibrocartilage qui est le témoin de la
nécessité pour le tissu, de répondre à des contraintes mécaniques importantes. Sa structure associe celle du cartilage
hyalin et celle du tissu conjonctif dense riche en fibres collagènes. Son implication dans l’ostéochondrose semble avoir
été confirmée chez l’homme par l’observation d’altérations
de cette structure tissulaire et d’un processus de réparation
localisé en particulier à la limite du noyau d’ossification.
C’est donc la zone de fragilité.
Ce qui peut apparaître comme prometteur, c’est la découverte de ces dernières années, lorsque des études fondamentales ont mis en avant le caractère ubiquitaire des fibres
de Sharpey initialement identifiées au niveau du ligament
alvéolo-dentaire et dont le rôle dans la cohésion entre périoste, muscle, tendon et os semble essentiel. Ces fibres sont
constituées principalement de collagène de types III et VI
associées à de l’élastine. Elles ont la propriété de ne pas se
calcifier au cours de leur traversée de l’os compact vers l’os
trabéculaire en profondeur. Elles gardent ainsi des propriétés élastiques essentielles à leur rôle de transmission mécanique.
Fig. 1 : Identification des fibres de Sharpey au niveau de la jonction muscle
-périoste – os.
M : muscle ; P : périoste ; Os : Os cortical ; Sh : fibres de Sharpey. L’image montre
la pénétration des fibres de Sharpey à partir du périoste vers l’os cortical et ses
expansions terminales. (Université d’Aberdeen)
Deux types de fibres de Sharpey ont été décrites : tangentielles et verticales, impliquées dans les échanges biomécaniques entre muscle, tendon ou périoste et os. Chez l’enfant
au squelette immature, ce sont des fibres obliques, dont le
rôle est identique, qui ont été identifiées.
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Génèse des lésions «microtraumatiques»
chez l’enfant et l’adolescent
par B. Dohin
Si certaines des fibres s’interrompent brutalement en pénétrant dans le tissu osseux, d’autres se prolongent dans l’os
trabéculaire pour y créer une connexion intime en s’étalant
en éventail afin d’augmenter la surface de contact.
L’implication de ces fibres de Sharpey dans la physiopathologie de l’ostéochondrose pourrait être très probable en raison de certaines de leurs propriétés physiologiques : issues
du périoste, elles sont présentes chez l’embryon et ont déjà
un rôle dans la transmission des contraintes mécaniques
externes (muscles, tendons) au tissu osseux ainsi que dans
le remodelage de celui-ci, ce phénomène se poursuivant au
cours de la croissance. Elles sont sensibles à l’activité musculaire : soumises à une activité musculaire, leur présence augmente chez le rat jusqu’à un seuil d’activité au-delà duquel il
n’y a plus d’augmentation de leur nombre. Simultanément,
et en réponse à une augmentation concomitante des fibres
de collagène de type III, l’os cortical sous jacent augmente
sa teneur en ostéopontine et sa vascularisation.
Ces zones d’ancrage tendon-os sont particulièrement sensibles à la survenue de microfissures dites « de fatigue », c’està-dire secondaire à une sollicitation excessive.
Ces microfissures ont été identifiées dans l’environnement
immédiat des fibres de Sharpey et c’est là que leurs propriétés interviendraient dans la pathologie : la résistance des
fibres à la calcification pourrait empêcher la réparation des
microfissures. Les conséquences en seraient : d’une part l’accumulation et l’absence de réparation de ces microfissures
conduisant à des fractures, et d’autre part la libération d’enzymes hydrolytiques déclenchant un processus d’autolyse.
Ces hypothèses méritent d’être confirmées évidemment,
mais elles paraissent très plausibles.
Références :
Falciglia F. & al. Osgood Schlatter lesion : histologic features of slipped
anterior tibial tubercle. Int J Immunopathol Pharmacol, 2011. 24(1 Suppl 2):
p. 25-8.
Aaron J. Periosteal Sharpey’s fibers : a novel bone matrix regulatory system ? Bone Research, 2012. 3(August 2012): p. Article 98, 1-10.
Shea KG. & al. Osteochondritis dissecans knee histology studies have
variable findings and theories of etiology. Clin Orthop Relat Res. 2013
Apr;471(4):1127-36.
Principles and management
of pediatric foot and ankle
deformities
and malformations
V. S. Mosca
Isbn : 978 145113 045 4
août 2014
Lippincott
NOUVEAU
196 €
The most complex fields are often the most challenging to teach : thankfully, Principles and Management of Pediatric Foot and Ankle Deformities and Malformations was written by the most renowned teacher in
pediatric foot and ankle surgery, offering orthopedists, foot and ankle
surgeons and podiatrists an invaluable and comprehensive guide to
the assessment and treatment of children’s feet. This text was designed
to be practical, accessible, and immediately applicable - focusing on
principles of treatment rather than reductive «cookbook» approaches
that privilege piecemeal techniques over holistic understanding. Don’t fall behind in the evolving field of child foot deformities and malformations. Stay current and informed through key principles of assessment and management, conveyed by an
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Quel sport pour quel enfant ?
par R. Elbaum
Introduction
Le sport a considérablement évolué parmi nos jeunes ces
vingt dernières, non seulement en quantité mais également
en intensité.
Cependant, faire du sport n’est pas sans conséquence. Et
dans certains cas, l’enfant ou l’adolescent en paiera le prix
fort. Sa maquette ostéo-cartilagineuse n’est pas toujours
apte à subir des contraintes mécaniques aussi importantes
que celles subies par un adulte normalement constitué.
Lors de nos consultations, nous sommes confrontés, depuis
un certain nombre d’années, à un accroissement inquiétant
de pathologies liées à une pratique sportive de plus en plus
intensive chez nos jeunes patients. Un grand nombre de ces
lésions sont liées à des contraintes mécaniques répétées sur
un squelette en croissance. Ces lésions appelées « pathologie de surcharge » peuvent survenir chez des patients de plus
en plus jeunes et touchent actuellement indifféremment les
garçons que les filles.
Les localisations sont multiples, mais le genou représente
une des articulations la plus fréquemment touchée. Ainsi,
les ostéochondroses et tendinopathies d’insertion (maladie
d’Osgood-Schlatter, maladie de Sinding-Larsen, tendinite
de la patte d’oie …), les chondropathies fémoro-patellaires,
les ostéochondrites représentent une cause de consultation
très fréquente et de motifs d’incapacité. Par ailleurs, les lésions méniscales ou ligamentaires chez le sujet jeune sont
également de plus en plus fréquentes. Elles sont probablement liées à leur diagnostic plus précoce grâce à l’imagerie
par résonnance magnétique mais aussi et surtout à l’intensité de la pratique sportive que nous ne connaissions pas il y
a plus d’une vingtaine d’années.
Cependant, comme l’a reconnu l’OMS [1], l’activité physique,
et donc le sport en particulier, représente un moyen de se
défendre contre un grand nombre de maladies, notamment
les pathologies cardio-vasculaires, l’obésité voire même la
dépression, et la pratique du sport chez le sujet jeune lui
permet de développer ses capacités physiques, mentales et
stimule son autonomie.
Alors pourquoi ne pas commencer tôt ! Dès lors, comment
déterminer si tel ou tel sport sera plus adapté à un enfant ou
si telle ou telle morphologie est nécessaire à la pratique d’un
sport en particulier.
• La petite enfance comprenant également la première année de vie.
• l’enfance qui s’étend jusqu’à la période de la préadolescence.
• L’adolescence avec sa dernière poussée de croissance
et la maturation sexuelle qui la caractérise.
Au cours de la petite enfance, une forte poussée de croissance va permettre le développement de différents systèmes et fonctions de l’organisme (Fig. 1).
Fig. 1 : Les 5 premières années sont représentées
par une forte poussée de croissance
Au cours de cette période, on verra apparaître une maturation progressive du système nerveux, avec un contrôle musculaire de plus en plus élaboré. Ce phénomène permettra
d’affiner la coordination ainsi que la psychomotricité. Ces
modifications passant d’abord par la verticalisation progressive et une adaptation de la posture du corps à la marche et
aux mouvements. Ce n’est qu’à partir de l’âge de +/- sept ans
que le mode de fonctionnement structural et fonctionnel va
s’installer de façon plus définitive [2]. Par ailleurs, l’harmonisation entre les muscles agonistes et antagonistes responsables des mouvements ne se réalise que vers l’âge de neuf
ou dix ans.
La préadolescence sera le siège d’un deuxième pic de croissance, le pic de Sempé (Fig. 2).
La croissance du système ostéoarticulaire de l’enfant
Le système locomoteur est caractérise par ses composants élémentaires (os, muscles tendons) et par son système
de jonction (articulations).
La croissance de ces différents éléments devra être harmonieuse et équilibrée au cours des différentes poussées de
croissance.
Si un de ces éléments est altéré, c’est l’ensemble du système
ostéoarticulaire qui est compromis.
La croissance peut être divisée en trois ou quatre périodes
et il faudra mettre à profit cette période croissance pour permettre à l’enfant d’acquérir ses compétences :
Fig 2 : Courbe de croissance et pic pubertaire de Sempé
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Quel sport pour quel enfant ?
par R. Elbaum
A la puberté, la croissance s’accélère au-delà de 6 cm par an,
avec une prise de taille de 25cm chez le garçon et 18 cm
chez la fille en moyenne.
Toutes ces étapes vont déterminer une adaptation du système musculo-squelettique à la charpente ostéo-articulaire.
Cependant, ces poussées de croissance ont comme corollaire un déséquilibre entre la croissance osseuse et la croissance musculo-tendineuse. En effet de nombreuses études
ont démontré une différence entre la vitesse de croissance
de l’os par rapport à celle du couple muscle-tendon [3,4].
Ce déséquilibre aura comme conséquences chez le jeune
enfant, des manifestations douloureuses reprisent sous
le terme « douleur de croissance » mais surtout chez le plus
grand et le sportif en particulier une série de pathologies de
surcharges et de technopathies.
Sport et somatotypes
Nous sommes tous égaux mais tellement différents...
Dès la première mitose, le déterminisme génétique va nous
attribuer nos premières caractéristiques.
C’est au cours de la deuxième enfance et surtout de la
préadolescence que les caractéristiques morphologiques
commenceront à se définir. Enfant longiligne, petit trapu,
marche en rotation externe associant des pieds plats valgus
ou en rotation interne, enfant en surcharge pondérale, présence ou non d’un trouble de la statique rachidienne (hyperlordose, hypercyphose, scoliose). Toutes ces caractéristiques
orienteront en partie vers tel ou tel sport où bien les contrindiqueront.
Quelle sera la répercussion de ces déformations sur la morphologie à plus long terme ?
Prenons l’exemple des troubles rotationnels des membres
inférieurs. L’antéversion exagérée aura-t-elle une influence
sur les performances d’une jeune danseuse ? Une torsion tibiale excessive améliore-t-elle le démarrage du jeune sprinter ? Très peu d’études en parlent.
Staheli [5] évoquait déjà cette notion de morphologie en
étudiant les performances de certains sportifs qui présentaient une antéversion exagérée du col fémoral. Cette morphologie semblait leur apporter un atout pour certains et
leur permettait d’exceller dans leur discipline grâce à une
biomécanique adaptée.
Ces différences morphologiques sont à intégrer dans la notion de somatotypie. C’est-à-dire les différents types fondamentaux de corps humains (Fig. 3) :
• L’endomorphe présente un centre de gravité bas associant un bon équilibre et une bonne puissance musculaire au niveau des membres inférieurs.
C’est dans cette catégorie que l’on retrouvera les lutteurs,
les judokas, les skieurs, les rugbymen…
Leur point faible sera le genou (rupture méniscale, lésion
du pivot central, arthrose compartimentale médiale
• L’ectomorphe est plutôt longiligne avec un centre de
gravité plus élevé. Il est caractérisé par ses propriétés
d’endurance et d’élasticité.
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Ce morphotype se retrouvera plutôt dans les sports
comme le basket, l’escalade, le cyclisme, la course à
pied…
Il sera plus fréquemment affecté par des lésions du rachis,
voire même d’autres articulations.
• Le mésomorphe correspond au type intermédiaire. Il
sera impliqué dans tout type de sport en fonction de
sa taille. Les petits gabarits se retrouveront plutôt dans
la gymnastique ou les sports acrobatiques, les moyens
dans la nage ou le sprint et enfin les grandes tailles dans
tous les sports sauf les sports acrobatiques.
La technique de somatotypie de Heath et Carter (1967) permet de mettre en évidence le développement relatif des
composantes morphologiques en calculant la formule typologique et de répertorier ainsi les caractéristiques des différents sportifs (Fig. 3).
Fig 3 : Les différents somatotypes et la représentation
de la somatotypie selon Heath et Carter
Il faut également tenir compte d’autres critères, tels que
les rapports anthropométriques concernant le tronc et les
membres qui doivent être surveillés pendant la période de
croissance, notamment au moment de la poussée pubertaire.
Ainsi dans certaines disciplines sportives, une proportion
déterminée peu constituer un atout ou un inconvénient. Un
exemple typique est celui du nageur ou les rapports entre
ses épaules (distance bi-acromial) et son bassin (distance bicrête) ainsi que le diamètre transverse et antéropostérieur
du thorax sont souvent évalués.
Cependant, les caractères morphologiques ne sont pas le
seul déterminant dans le choix d’un sport.
Le facteur ethnique est également un élément à considérer. Il suffit de voir les performances sportives des coureurs
de fonds éthiopiens ou de sprint jamaïcains lors des Jeux
Olympiques. De nombreuses études ont démontré que les
critères de vélocité et de puissance étaient particulièrement
marqués chez des sportifs de race noire. Le basket en est un
exemple avec une majorité de joueurs noirs au sein de la
NBA. Par contre, en natation, ce sont des athlètes blancs qui
sont omniprésents.
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Quel sport pour quel enfant ?
par R. Elbaum
La psychologie de l’enfant a également toute son importance. Ainsi, l’esprit de groupe ou d’entraide sera favorisé
par la pratique de sports d’équipe (football et rugby), les
capacités de concentration et tactiques par des sports plus
individuels (tennis et arts martiaux) et également la volonté
de réussite ou le goût de l’effort par des sports beaucoup
plus physiques tels que le cyclisme. Un enfant agressif ou
hyperkinétique pourra être mieux canalisé par des sports
intensifs ou d’équipe.
L’encadrement familial et le rôle des parents n’est pas étranger à ce choix. Leur questionnement est d’ailleurs à considérer.
Faut-il ou non obliger son enfant à faire du sport ? Est-il capable de le pratiquer ? Quels sont les risques qu’il encoure à
court et à long terme ?
L’aspect social et géographique a également son importance
dans ce choix. Grandir à Marseille ou à Rio va naturellement
orienter de nombreux jeunes vers le football. On pratiquera
plus fréquemment le golf si on habite le 16ème que la SeineSaint Denis. Vivre au bord de l’océan Atlantique incitera aux
sport nautiques (planche à voile, kite surf…)
Les sports et leurs conséquences chez l’enfant
Il existe une pathologie spécifique de l’enfant liée à la pratique sportive. Parmi l’éventail de sports proposés au sein
de nos écoles, de nos fédérations et autres clubs sportifs, le
choix est difficile. Sans être exhaustif, voici quelques-uns des
plus populaires ainsi que leurs répercussions sur le squelette
de l’enfant en croissance :
• Le football
C’est probablement un des sports les plus pratiqués
parmi les jeunes. Il s’agit d’un sport d’équipe par excellence mais où l’individualisme n’est pas rare.
Le somatotype est plutôt mésomorphe de taille
moyenne.
L’âge idéal pour débuter ce type de sport se situe vers
cinq/six ans en sachant que, pendant cette période,
il doit rester ludique et éviter tout contact brutal qui
risquerait de créer des lésions traumatiques avec des
conséquences fâcheuses sur la croissance résiduelle
(fracture du coude , du poignet, du tibia, fracture atteignant les cartilages de croissance avec risque d’épiphysiodèse, …). Cependant, c’est surtout à partir de l’âge
de neuf ou dix ans que le petit footballeur va commencer à s’affirmer sur le terrain.
Les pathologies de surcharge les plus fréquemment
rencontrées sont diverses et affectent principalement le
genou mais également la hanche.
L’ostéochondrose de la pointe de la rotule, maladie de
Sinding-Larsen, qui touche les tout jeunes adolescents
et la maladie d’Osgood-Schlatter qui affecte les adolescents plus âgés. Ces deux affections dont la pathogénie est similaire ont fort heureusement une évolution
bénigne mais, dans certains cas, un passage à la chronicité avec calcification intra-tendineuse voire même une
avulsion de la tubérosité tibiale ont été décrites, pour la
maladie d’Osgood-Schlatter.
Les tendinites d’insertion ou les avulsions de l’épine
iliaque antéro-supérieure sont surtout causées par le
shoot régulier ou contre résistance. Des erreurs d’entraînement, une musculature peu échauffée ainsi qu’une
rétraction des chaînes musculaires postérieures sont
souvent à l’origine de ce type d’affection. Viennent ensuite les fractures de stress ou autres périostites similaires à celles décrites chez les adultes. Les tendinites
d’insertion du droit antérieur sont également fréquemment décrites chez nos jeunes footballeurs. Les traumatismes aigus ainsi que les entorses de genou associant
des lésions ligamentaires ou méniscales représentent
une part également importante de nouvelles pathologies et lié au mécanisme de pivot fréquent dans ce
sport.
• Le basket
C’est également un sport d’équipe mais où l’esprit tactique sera beaucoup plus sollicité.
Dans ce type de sport, la morphologie jouera évidemment un rôle. Une grande taille sera bien sûr un atout.
On retrouvera plutôt un somatotype ectomorphe.
Cependant, grand nombre d’équipes nationales ou
internationales dont celles de NBA possèdent au sein
de leur « team » des joueurs de taille moyenne, parfois
plus agiles et plus rapides que leurs coéquipiers de plus
grande taille.
C’est dans ce type de sport de détente que les
contraintes mécaniques peuvent entraîner des avulsions traumatiques ou des lésions de surcharge notamment par des mécanismes de traction sur les apophyses
(Fig. 4). Aucune partie du squelette ne sera épargnée,
aussi bien le membre supérieur avec ses pathologies
de l’épaule, le rachis avec le risque accru de spondylolyse ainsi que l’ensemble des pathologies de surcharge
du membre inférieur. Des fractures de stress sont fréquentes et responsables d’un nombre croissant également d’incapacités sportives.
Fig 4 : Avulsion simultanée bilatérale de la tubérosité tibiale antérieure
chez un jeune sportif
• Le rugby
Le rugby représente la quintessence même du sport de
contact. Ce sport est très apprécié car c’est un sport collectif où l’esprit d’équipe est très fort.
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Quel sport pour quel enfant ?
par R. Elbaum
Tous les gabarits sont acceptés et les facteurs anthropométriques (poids, taille, masse corporelle) sont plutôt utilisés dans le choix de la position du jeune sportif
sur le terrain. Les plus légers ou rapides se retrouveront,
soit comme demi de mêlée, soit dans les lignes arrière.
Les plus lourds joueront avec les avants et pourront être
piliers.
Malheureusement, ce sport, par son intensité et ses
contacts, sera également responsable d’un grand
nombre de lésions traumatiques parfois graves (entorse
du genou avec rupture du pivot central, traumatisme
du rachis cervical, fracture du membre supérieur ou du
massif facial). Ce sport sera donc contre-indiqué chez
un certain nombre d’enfants, notamment ceux qui présentent des pathologies rachidiennes ou une fragilité
osseuse constitutionnelle. Cependant, le rugby a le mérite d’être une excellente école de vie, surtout chez des
jeunes enfants pour lesquels un besoin d’encadrement
est nécessaire.
• Le hockey
Le hockey sur gazon est devenu ces dernières années
un sport très populaire en Europe et en particulier dans
notre pays, la Belgique. Il a l’avantage d’attirer aussi bien
les garçons que les filles.
Des critères physiques particuliers ne sont pas nécessaires à la pratique de ce sport. Cependant, l’endurance
comme dans beaucoup d’autres sports est fondamentale.
Le hockey, comme l’ensemble des sports de contact,
est pourvoyeur d’un grand nombre de lésions, qu’elles
soient de surcharge ou de lésions aiguës. La posture
permanente en flexion du tronc dans ce sport en avant
n’est pas recommandée au patient souffrant de pathologies rachidiennes (dystrophie vertébrale de croissance).
• La natation
La natation reste probablement le sport par excellence.
Cependant, sa popularité n’égalise pas celle du football
et son attrait est bien moins grand. Ses vertus ne sont
plus à démontrer mais ce sport nécessite une réelle
motivation pour persévérer. Pour les jeunes nageurs, il
est vivement conseillé d’alterner les différents types de
nage.
La pratique des quatre nages (crawl, brasse, papillon,
dos crawlé) nécessite cependant chacune une morphologie particulière. L’ectomorphe pour la brasse ou le
dos, le mésomorphe de grande taille pour le crawl ou
le papillon.
Il ne faut pas oublier non plus les sous disciplines telles
que la natation synchronisée, la nage avec palmes, la
plongée sous-marine…
Ce sport est idéal pour les jeunes présentant notamment des troubles de la statique rachidienne (scoliose,
cyphose) et représente un bon complément chez des
adolescents qui se plaignent régulièrement de lombalgies d’origine indéterminée.
Par ailleurs, la natation sera vivement recommandée
chez des enfants atteints de pathologies orthopédiques
chroniques (maladie de Legg-Calvé-Perthes, IMOC,…)
ou lors d’une revalidation postopératoire (arthrodèse
vertébrale, ligamentoplastie, …).
Cependant ce sport, malgré l’ensemble de ses qualités,
peut dans certaines situations être pourvoyeur de pathologies voire même être contre-indiqué.
Ainsi la brasse ou le plongeon sera contre-indiqué en
cas de spondylolyse. La brasse sera également moins
recommandée en cas de pathologie fémoro-patellaire.
Le crawl par ses mouvements de circumduction de
l’épaule peut entrainer des lésions de surcharge notamment au niveau de la coiffe des rotateurs. Il sera également contre-indiqué en cas d’instabilité chronique
(luxation récidivante) ou constitutionnelle de l’épaule
(Ehler-Denlos)
• Les arts martiaux
Les arts martiaux peuvent être également proposés à
des enfants qui nécessitent bien souvent de canaliser
leur énergie ou un certain encadrement. Aucune disposition morphologique particulière n’est requise. Les
enfants sont de toute façon répartis en fonction de leur
poids et de leur catégorie.
Certains sports, comme le judo, pourront cependant
être contre-indiqués en cas de problème rachidien
notamment. En dehors d’une fragilité osseuse constitutionnelle, il n’y a pas d’autre contre-indication à la pratique de ce type de sport.
• La danse classique
La danse classique représente une sport admirable par
sa grâce mais à risque par les contraintes et les déformations qu’elle entraîne. Ce qui fait que ses exigences au
fur et à mesure de la croissance rendent ce sport moins
attrayant voire même ingrat. Beaucoup de jeunes préadolescentes l’abandonnent alors qu’elles sont en plein
progrès.
Il est vrai que la danse classique, de par sa rigueur, ses
gestes précis et ses contraintes mécaniques, entraîne
une série de pathologies chroniques ou de lésions de
surcharge qui découragent nombre de futurs petits
rats. Ainsi, les ostéochondroses du pied (Maladie d’Iselin, maladie de Sever, maladie de Freiberg) et autres
sésamoïdites sont légion. Des périostites du tibia et les
hanches à ressaut ne sont pas rares non plus.
• La gymnastique sportive
La gymnastique sportive représente, quant à elle, une
spécialité où les critères morphologiques auront probablement leur importance. En effet, il suffit de voir les
jeunes gymnastes lors des Jeux Olympiques pour comprendre qu’une constitution physique avec une taille
pas trop grande et une musculature bien développée
est nécessaire pour la bonne pratique de cette activité.
Rappelons cependant que certaines affections orthopédiques peuvent être favorisées par la pratique de ce
sport (spondylolyse, maladie de Panner, Madelung-like).
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Quel sport pour quel enfant ?
par R. Elbaum
• Le ski alpin et ses variantes (surf, snowboard…)
Le ski est devenu de plus en plus populaire et s’est fort
démocratisé ces vingt dernières années. Dès son plus
jeune âge, l’enfant est déjà sur les planches.
Il n’y a pas de morphologie particulière pour la pratique
de ce sport cependant le type mésomorphe grâce à un
centre de gravité plus bas et une bonne musculature
des membres inférieurs aura plus de facilité à dévaler
les pistes.
Ce sport est cependant grevé d’un très haut pourcentage de traumatisme avec notamment les fractures spiroides du tibia.
Garrick [6] décrit un taux de 10 traumatismes pour 1000
skieurs par jour. La tranche d’âge la plus touchée se situe entre 12 et 15 ans.
D’autres auteurs ont également démontré que malgré
l’amélioration des fixations et des bottines de ski ainsi
que des mesures de sécurité sur piste, cela n’a pas diminué le nombre de traumatismes chez les jeunes. Près de
30 % des fractures spiroïdes du tibia se produisent chez
les moins de 10 ans. Le genou et la cheville sont une
des principales localisations. Des études ont montré
que la fille était plus fréquemment lésée que le garçon.
Les lésions ligamentaires du genou dont les ruptures
du LCA sont également devenues très fréquentes et notamment chez les surfeurs en raison du verrouillage de
la cheville sur la planche avec un mécanisme de « pivot
shift » lors de certaines chutes. Le poignet est également fréquemment touché avec des décollements épiphysaires Salter 2 nécessitant bien souvent une réduction. En effet l’enfant ou l’adolescent lors de sa chute
se réceptionnera sur les mains, l’utilisation des bâtons
de ski étant actuellement de plus en plus « ringarde ».
Enfin, un des derniers risques de ce sport de glisse, est
représenté par la collision entre un skieur adulte non
confirmé qui descend une piste à vive allure et percute
violemment un tout jeune skieur qu’il ne peut éviter.
Peuvent en résulter, des lésions multiples aussi bien
ostéoarticulaires que des organes internes (thoracique,
splénique, rénal …). La gravité de ces lésions sera liée
à l’importance de la vitesse et des masses corporelles
lors de la collision. Les traumatismes crâniens, surtout
en cas de hors pistes ou lors du slalom entre les sapins,
lorsque l’enfant ne porte pas de casque de protection
sont également fréquemment décrits.
Conclusion : Quel sport pour quel enfant ?
Le sport présente un rôle bénéfique pour l’enfant grâce à
différents paramètres :
üDéveloppement de la musculature
üDéveloppement de la trophicité osseuse
üAmélioration des postures souvent hypotoniques
üAmélioration cardio-respiratoire
üBien-être physique et psychologique
Cependant si la pratique du sport chez le sujet jeune doit
rester avant tout un loisir et lui permettre de se construire
au fur et à mesure de sa croissance, une pratique excessive
peut progressivement avoir l’effet inverse, avec des lésions
ostéocartilagineuses dont les conséquences à long terme
risquent de compromettre son avenir fonctionnel.
Une répercussion sur la croissance staturale avec décalage
du pic est également une des conséquences néfastes des
entrainements intensifs.
En contrepartie, il ne faut pas perdre de vue que pour certains, il représente un véritable défi et une raison d’être.
Pour d’autres encore le sport représente leur avenir et ils
décideront d’en faire leur métier.
C’est surtout à cette dernière catégorie de jeune que la prévention s’adresse car leur performance sportive aura un
impact sur leur squelette en croissance.
L’activité sportive chez l’enfant et l’adolescent doit respecter
un cahier des charges :
Chez le jeune au cours de la période pré pubertaire, le sport
doit avoir un caractère polymorphe permettant une amélioration de la coordination et une maturation des gestes.
Une activité intensive sera contre-indiquée et l’entraînement nécessitera une éducation musculaire qualitative au
détriment d’une musculation excessive.
Par contre, chez l’adolescent, les entraînements seront plus
spécialisés avec comme finalité de s’impliquer d’avantage
dans la compétition et lorsque l’ensemble des critères sont
réunis (morphotype, somatotype…) ils pourront, s’ils le désirent, passer du sport amateur au sport compétition.
Enfin, le choix d’un sport chez l’enfant ne sera pas uniquement lié à des caractéristiques physiques mais également à
des caractéristiques psychologiques (besoin de s’exprimer
ou d’éliminer une part d’agressivité), à l’entourage familial
(parents omniprésents ou qui se surinvestissent), éducatif,
aux conditions socio- culturelles (le football représente une
échappatoire pour les enfants des banlieues ou des favelas)
Mais quel que soit leur tropisme initial, la pratique du sport
devra malgré tout rester, pour la plupart de ces enfants, un
moyen de s’exprimer, de se défouler, de se dépenser et de
se socialiser.
Références
1. Recommandations mondiales en matière d’activité physique pour la
santé, OMS 2010
2. Boisacq-Schepens N, Fayt C . Le contrôle nerveux du mouvement et
sa maturation chezl’enfant. l’Enfant et le Sport. De Boeck Université 1998.
3. Ziv I. & al. Muscle growth in normal and spastic mice in Developemental
Medicine & child neurology Vol 26,issue1,February 1984.
4 .Longis B, Marcheix P-S, Charissoux J-L. Le tendon d’Achille chez le
nouveau-né et l’adolescent. Rev Chir Orthop vol 99 Issue 4,supplément, juin
2013.
5. Staheli & al. Femoral Anteversion and Physical Performance in Adolescent and Adult Life. Clinical Orthopaedics & Related Research. 129():213-216,
1977.
6. Garrick J.G, Requa RH. Injury patterns in children and adolescent skiers, Am.J.Sports.Med.7:245 1979.
Communications orales : Chrestian P. Quel Sport pour quel enfant ?:
Somatotypes et risques traumatiques. Rouen, avril 2009
de Billy B., LanglaisJ., Chrestian P. Epidémiologie des accidents sportifs de l’enfant, Entretiens de Bichat sept 2004
Chrestian P., Maximin MC. L’enfant et le football
Livres recommandés : Micheli LJ. Pediatric and adolescent Sport Medicine.
Little,Brown and Company 1984
Micheli LJ. Pediatric and Adolescents Sport Injuries Clinics in Sports Medicine Vol 9 October 2000
Thiebauld CM, Sprumont P. L’Enfant et le Sport De Boeck Université
1998
Karantanas A H. Sport injuries in Children and Adolescent. Medical Radiology Springer-Verlag 2011
Chrestian P., de Billy B. Guide illustré des fractures des membres de l’enfant
Sauramps Medical
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Plaidoyer échographique en pathologie ostéoarticulaire
traumatique et sportive de l’enfant et de l’adolescent
par Ph. Iscain
L’échographie est bien sûr un moyen complémentaire
d’exploration indissociable des techniques d’imagerie radiographiques, scintigraphiques, TDM et IRM mais elle souffre
d’un défaut de confiance et de reconnaissance dans les
pathologies courantes notamment en traumatologie quotidienne ou sportive de l’enfant et de l’adolescent.
Celles-ci pourraient néanmoins bénéficier de son apport
pour améliorer leur prise en charge initiale.
Se pose le problème non pas de la disponibilité du « temps
machine » comme pour l’IRM mais de celle du « temps médecin ». La possibilité d’obtenir un examen à court terme dans
les services d’accueil d’urgence hospitaliers et non hospitaliers étant limitée, il apparaît nécessaire d’étendre et de
démocratiser l’expertise échographique du squelette de
l’enfant.
Tout en rappelant l’étape fondamentale première de l’examen clinique, notons enfin que l’échographie est le seul examen d’imagerie - en raison de son mode de réalisation –qui
correspond de fait à une « consultation » échographique,
aidant la pertinence diagnostique par corrélation clinique
(« validation » digitale sous la sonde du point douloureux
suspecté, temps de l’exploration couplé à l’interrogatoire).
La force de l’échographie - et non pas sa faiblesse - est son
caractère « opérateur-dépendant », la quête diagnostique
étant « au bout de la main », parfois déconcertante de facilité
au poser de la sonde, la médecine restant bien sûr « médecin-dépendante ».
Domaines d’application courants de l’imagerie échographique en traumatologie pédiatrique
Bien sûr il n’est plus nécessaire de rappeler l’intérêt de
l’échographie dans le domaine de la radio protection indissociable du principe ALARA.
Cependant, pour nombre de traumatismes du squelette
appendiculaire mais également du tronc, l’échographie
devrait être plus souvent une alternative à la multiplication
des incidences radiographiques complémentaires (obliques
/ tangentielles …) ou comparatives.
L’étude circonférentielle d’une pièce squelettique appendiculaire sur la totalité de sa périphérie accessible complète
souvent de manière suffisante l’analyse des projections des
2 voire 3 incidences de base d’un bilan radiographique.
En cas de doute radiographique concernant un épanchement articulaire sur clichés de qualité moyenne, l’échographie devrait être préférée à la répétition des clichés si accessible rapidement : l’hémarthrose voire la lipohémarthrose
sont de diagnostic aisé, différenciables, au stade précoce, de
l’hydarthrose.
Les traumatismes de la cheville de l’enfant sont, comme chez
l’adulte, d’une fréquence extrême. Le filtre clinique pour juger de la gravité d’une entorse reste la première étape.
La sous-estimation de certaines entorses collatérales latérales graves de cheville avec désinsertion complète du ligament fibulotalien antérieur (LFTA) et bilan radiographique
initial normal est une réalité conduisant à des chevilles
pédiatriques puis adultes instables (Fig. 1) voire à d’autres
complications (ostéochondrite, arthrose post-traumatique).
Fig. 1 : Fille 10 ans, instabilité et notion « d’hyperlaxité ».
Petite ossification fibulaire.
Ossicule fibulaire sur lequel s’insère le ligament fibulotalien antérieur
(LFTA). La preuve de sa mobilité est apportée par le varus (flèche ouverte)
objectivant l’écart entre fibula et ossicule (flèche double).
Comment limiter leur incidence ?
Le point fondamental à comprendre est que seule la
coque cartilagineuse recouvrant l’extrémité de la malléole
fibulaire de l’enfant peut être avulsée par le ligament fibulotalien antérieur +/-fibulocalcanéen.
La structure avulsée est, soit strictement radio transparente,
soit accompagnée d’une fine lamelle calcifiée arrachée au
noyau épiphysaire, donc non ou peu visible sur les incidences radiographiques du fait de sa faible minéralisation
(ou de la superposition sur l’os sous-jacent).
La visualisation directe de cet arrachement avec ou sans
lamelle calcifiée est par contre d’individualisation aisée en
échographie (Fig. 2).
Fig. 2 : Fille 6 ans, entorse en varus, RX normale et douleur malléolaire modérée.
Echographie non demandée lors de la prise en charge initiale. Etude à J+2.
Interface linéaire (flèches) de la coque cartilagineuse avulsée (au sein des pointillés) par le ligament fibulotalien antérieur : apparition d’un « gap » liquidien
(étoile) prouvant la mobilité du fragment lors d’une manœuvre dynamique
douce (flèche ouverte).
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Plaidoyer échographique en pathologie ostéoarticulaire
traumatique et sportive de l’enfant et de l’adolescent
par Ph. Iscain
Fig. 3 : Garçon 12 ans, traumatisme cheville football, œdème et douleur du cou
de pied à l’appui. Bilan RX normal aux urgences. Echographie différée : hématome extra articulaire (étoiles) fusant en avant de la physe tibiale avec « clivage
linéaire » physaire (flèches). Décollement épiphysaire Salter 1.
Fig. 4 : Garçon 10 ans, trauma du pied et de la cheville avec œdème du médiopied , douleur à l’appui et RX normales. Fractures marginales dorsales de la
base du 2e méta et du 3e cunéiforme, épaississement capsulaire cuboïdométatarsien, sans lésion échographique du versant dorsal de l’interligne C2-M2.
Entorse médiotarsienne latérale.
Un temps dynamique « doux » en inversion prouve la mobilité du fragment et permet de proposer pour l’enfant une
stratégie d’immobilisation ou de fixation adéquate.
Ainsi, le principe de « décalottage » cartilagineux par traction
ligamentaire s’avère un équivalent épiphyso-ligamentaire
de la sleeve-fracture apophyso-tendineuse patellaire.
des massifs apophysaires non matures soumis à contraintes
sportives répétitives mais à révélation souvent « subaiguë »
ou « aiguë ».
Ainsi, la présence d’une petite image linéaire sur le versant
profond des apophyses, que l’on pourrait appeler « signe de
la ligne », semble présent dans bon nombre de cas de suspicion clinique de lésion apophysaire de traction. La question
se pose d’un « signe direct » possible d’avulsion microtraumatique à un stade initial (Fig. 5).
Pathologie de masse, les traumatismes du pied et de la cheville à bilan radiographique normal devraient pouvoir bénéficier d’une exploration échographique précoce dans les
premiers jours en cas de discordance radioclinique.
A terme, un consensus sur « quand et à qui prescrire » une
échographie complémentaire précoce dès la prise en charge
en service d’accueil traumatologique dans un but de « dépistage » des lésions occultes pourrait résulter d’une réflexion
de la communauté orthopédique pédiatrique.
Ce premier exemple d’imagerie épiphysaire affirme l’importance de l’échographie dans l’imagerie directe du « cartilage
dans tous ses états » du squelette de l’enfant.
En effet le cartilage physaire possède aussi sa sémiologie
propre malgré un abord étroit permettant d’affirmer bon
nombre de décollements épiphysaires [Salter 1] non diagnostiqués en radiographie (Fig. 3). S’en rapprochent les
fractures-avulsions marginales non dégagées par les incidences classiques (Fig. 4).
Marquons l’intérêt majeur de l’échographie dans la pathologie macro ou micro traumatique apophysaire.
Elle permet une nouvelle approche des lésions traumatiques aiguës, subaiguës et chroniques des apophyses en
cours d’ossification en lançant une réflexion sur un continuum physiopathologique entre ces différentes entités.
Une nouvelle sémiologie échographique se dégage, « fine »,
à l’identique de ses « lignes » en limite de visibilité au sein
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Fig. 5 : Garçon 13 ans,douleur antérieure de hanche,
course et accélération (football).
Image linéaire (flèche) sur le versant profond de l’épine iliaque antéro inférieure gauche faisant évoquer une fissure apophysaire.
L’IRM n’est pas en mesure jusqu’à présent d’imager directement la solution de continuité non déplacée intra chondrale.
Dans la foulée, une nouvelle réflexion peut être menée sur la
terminologie d’« apophysite » retrouvée en IRM chez l’enfant
sportif.
Bien évidemment à la suite de ce plaidoyer en faveur du
couple écho-cartilagineux, se place le champ d’exploration,
immense, des lésions ligamentaires, rétinaculaires, aponévrotiques, musculaires, tendineuses et corticopériostées
accessibles en échographie.
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Plaidoyer échographique en pathologie ostéoarticulaire
traumatique et sportive de l’enfant et de l’adolescent
par Ph. Iscain
Je rappellerai seulement l’intérêt fondamental connu de
tous de la dimension écho-dynamique que ce soit concernant l’étude :
• des fragments ou ossicules post traumatiques instables
apophysaires ou épiphysaires,
• des lésions ligamentaires non consolidées ou cicatricielles incompétentes,
•
•
•
•
•
des lésions rétinaculaires et luxations tendineuses (fibulaires, tibial postérieur, extenseur ulnaire du carpe…
des ressauts tendinobursaux ou musculaires (doigts,
psoas, tractus iliotibial à la hanche et au genou…),
des conflits sur matériel d’ostéosynthèse,
des syndromes canalaires dynamiques,
des phénomènes adhérentiels post traumatiques ou
post opératoires (attraction et incarcération nerveuse
dans du tissu cicatriciel).
Au final, rappelons que la force de cette technique réside
dans ses principes physiques de construction de l’image :
c’est une imagerie de révélation d’INTERFACES logiquement
destinée à bon nombre de lésions traumatiques, au premier
rang desquelles les solutions de continuité !
Elle s’allie aux autres techniques mais est la plus simple
d’accès pour montrer la solution de continuité « intra »
chondrale, l’interface ostéochondrale, ligamentopériostée
ou périostochondrale.
Elle est supérieure en cela à l’IRM avec une meilleure résolution.
Développons de nouveaux réflexes : « moins on voit d’os en
radio, plus on voit de cartilage en écho » pour en déduire une
logique de prescription.
L’échographie se veut un examen intermédiaire riche d’enseignements dans l’arbre décisionnel vers l’indication ou
non d’une imagerie plus lourde (scintigraphie/TDM/IRM)
(Fig. 6).
Fig. 6 : Fille 15 ans, douleurs persistantes du genou droit une semaine après
mécanisme de « torsion » et RX normales. Epanchement articulaire modéré
et « plage hypoéchogène » au sein de l’échancrure intercondylienne contre le
condyle latéral (étoile) : suspicion de lésion du LCA et demande d’étude IRM
(confirmation).
Pour conclure, il existe un triple intérêt potentiel de l’échographie :
• sa dimension d’examen de dépistage,
• celui d’exploration diagnostique suffisante pour de
nombreuses pathologies courantes,
• son coût raisonnable, le moins onéreux de l’offre
échographique, malgré la nécessité d’une expertise
obligeant à une passion anatomique permanente.
Si nous avions à la résumer, l’échographie pourrait se définir
comme une « imagerie clinique à faible coût, tridimensionnelle
et d’interfaces, en temps réel, non irradiante… et disponible » !
Références :
SANS N, BAKOUCHE S, PONSOT A, FARUCH M, LAPEGUE F. Faut-il réaliser
une échographie de la cheville en/aux urgences dans les entorses aiguës
de la cheville ? in Actualités en échographie de l’appareil locomoteur sous
la Direction de BrasseurJL, MercyG, Massein A,Absi P, Grenier P, Sauramps
Médical, Montpellier, 2013, 85-93.
RAVEY JN, DUBOIS C, GHELFI J, CHAUSSARD C, CRACOWSKI JL, GONNET N,
HODAJ E, BANIHACHEMI JJ. Place de l’échographie dans les entorses aiguës
de cheville : A propos d’une étude pronostique comparative randomisée
écho-télos sur 388 patients, in Actualités en échographie de l’appareil locomoteur sous la Direction de BrasseurJL, MercyG, Massein A, Absi P, Grenier P,
Sauramps Médical, Montpellier, 2013, 65-83.
JOUVE JL, JACOPIN S, BLONDEL B, LAUNAY F, VIEHWEGER E, BOLLINI G. Pratiques intensives du sport chez l’adolescent : retentissement musculosquelettique, in « L’imagerie en traumatologie du sport » sous la direction de Sans
N, Lhoste-Trouillaud A, Cohen M, Guerini H, Coudreuse JM, Catonné Y, SIMS
opus XXXVII, Sauramps Médical, Montpellier, 2010, 67-79.
CHRESTIAN P, SARRAT P, COHEN M. Entorses de la cheville de l’enfant et de
l’adolescent. Encyclopie Médico-chirurgicale 27-050-A-80, Podologie, Elsevier Masson, 2004.
MAXIMIN MC, ISCAIN P, COHEN M, ROCHE N, CHRESTIAN P. Prise en charge
des laxités chroniques post traumatiques de la cheville de l’enfant et de
l’adolescent, in « Maîtrise Orthopédique » N°208, Novembre 2011 mensuel,
1 ; 8-12.
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Indications opératoires incontournables
en pathologie sportive du genou de l’enfant
par F. Accadbled
Epidémiologie [1]
Les enfants pratiquent de plus en plus en plus tôt et de
manière intensive des sports à risque pour leurs genoux,
c’est-à-dire en « pivot-contact », très souvent sans préparation adaptée. Les traumatismes occasionnés lors de la
pratique du football et du rugby ont été comparés en Nouvelle-Zélande : le rugby occasionne plus de blessures mais
de sévérité moindre, le football touche plus le membre
pelvien [2]. Selon McIntosh et al. la prévalence des blessures augmente avec l’âge et le niveau [3]. Le plaquage est
la phase la plus pourvoyeuse de blessures. La fréquence et
la sévérité des blessures restent inférieures à celles de la
population adulte [4]. Les attelles avec composants rigides
du genou sont interdites, les attelles souples ont tendance
à augmenter le risque et les strappings sont inefficaces
au bout de cinq minutes à l’exception du strapping patellaire [5]. Les chaussures n’ont que peu ou pas d’incidence sur
les blessures [6]. Par contre, une évaluation médicale avant
la saison, s’appuyant sur les antécédents traumatiques et
une formation des entraîneurs sur la prévention et la prise
en charge initiale des blessures ont un effet positif [7, 8]. En
Australie, un parent sur quatre empêcherait la pratique d’un
sport à son enfant par peur des blessures. Les sports incriminés sont dans l’ordre le rugby à treize, le rugby à quinze
puis le football australien pour les garçons et le roller et le
football pour les filles.
Macrotraumatismes
• Fractures
Fractures-décollement épiphysaires
Les fractures décollement épiphysaires déplacées du
fémur distal et du tibia proximal nécessitent une réduction.
Celle-ci peut se faire par manœuvres externes pour les types
I et II de Salter et Harris. Ces fractures autour du genou étant
la plupart du temps instables, leur stabilisation requiert souvent une ostéosynthèse par broches ou vis percutanées. Les
lésions de type III et IV représentent une indication chirurgicale dès lors qu’elles sont déplacées, ce qui est au mieux
évalué par une imagerie en coupes. La réduction doit être
parfaite et systématiquement contrôlée par arthrotomie ou
arthroscopie. La stabilisation requiert une ostéosynthèse
par broches ou vis percutanées. Le risque d’épiphysiodèse
postraumatique existe dès le stade I de Salter et Harris. Il
est proportionnel au déplacement initial et à l’énergie du
traumatisme. Les conséquences cliniques d’une épiphysiodèse autour du genou sont importantes étant donné le
caractère très fertile de ces physes.
Fractures avulsion apophysaires
Les avulsions de la tubérosité tibiale surviennent généralement lors d’une violente contraction contrariée du quadriceps. L’extension active du genou est impossible et on note
sur les radiographies une rotule anormalement haute.
Selon Ogden, le type I correspond à une fracture d’un segment de la « trompe de tapir », le type II est une fracture soulevant la trompe en totalité et enfin le type III marque une
irradiation à la surface articulaire du tibia. Ce dernier type
nécessite une exploration articulaire, par arthroscopie ou arthrotomie. Le traitement est quasi-exclusivement chirurgical
avec réduction et ostéosynthèse par broches ou vis (Fig.1).
Fig. 1 : Fracture-avulsion apophysaire de la TTA ostéosynthésée par broche
Le risque de genu recurvatum par épiphysiodèse est
faible, ces fractures survenant habituellement en fin de
croissance [9]. L’avulsion du ligament patellaire peut également survenir au pôle distal de la patella, réalisant un
dégantage de celle-ci ou « sleeve fracture ». Le fragment
peut être exclusivement chondro-périosté, la sémiologie
radiographique se limite alors à une image de rotule haute et
pivotée. Le traitement consiste en une suture directe aidée
par des ancres ou des broches, protégée éventuellement
par un cerclage.
Fracture de l’éminence intercondylienne du tibia
Il s’agit de l’avulsion par le ligament croisé antérieur (LCA)
d’un pavé plus ou moins volumineux au niveau de son insertion tibiale. Meyers et McKeever classent en trois stades ces
fractures selon le déplacement du fragment sur l’incidence
de profil [10]. Avant l’âge de 8ans, on recherche un aspect
de « chips » lié à une avulsion presque uniquement cartilagineuse de l’insertion du LCA (Fig. 2).
Fig. 2 Aspect de « chips » lié à une avulsion presque uniquement cartilagineuse
de l’insertion du LCA
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Indications opératoires incontournables
en pathologie sportive du genou de l’enfant
par F. Accadbled
Parfois, la lésion n’est objectivée que sur l’IRM [11]. Le traitement chirurgical, au mieux par arthroscopie, est recommandé dès le type II, c’est-à-dire pour toute fracture déplacée. Il
permet de libérer une fréquente interposition du segment
antérieur du ménisque médial ou du ligament interméniscal
et d’effectuer un bilan articulaire à la recherche de lésions
associées. Il existe de manière constante des lésions intra
ligamentaires sans rupture. McLennan et al. ont proposé
une remise en tension du LCA en abaissant artificiellement
son insertion par creusement de la logette tibiale et fixation
dans cette position [12]. Cet artifice pourrait théoriquement
éviter une laxité résiduelle. Les procédés de fixation sont
nombreux : laçage résorbable ou au fil métallique, brochage
simple ou multiple, vissage résorbable ou non.
•
Lésions ménisco ligamentaires
Ligament croisé antérieur (LCA)
L’indication chirurgicale est posée devant la présence d’une
instabilité et/ou d’une lésion méniscale. L’instabilité précède
les lésions méniscales secondaires et représente par conséquent le virage dangereux de cette pathologie. Cette instabilité n’est cependant pas toujours clairement exprimée.
L’enfant décrit plutôt une difficulté à réaliser ses gestes
sportifs ainsi que des épisodes étiquetés « entorses » à répétition. La sensation au cours de la manœuvre du ressaut
rotatoire est parfois reconnue par le patient comme proche
de ses symptômes. La reconstruction intra articulaire du
LCA adaptée au squelette en croissance a été bien décrite
avec plusieurs variantes techniques dont aucune n’a fait la
preuve de sa supériorité [13]. Les résultats chez l’enfant sont
satisfaisants [14]. Les complications liées à la croissance du
genou sont le plus souvent liées à des erreurs techniques,
c’est pourquoi il est recommandé de réserver cette chirurgie
à des mains entrainées [15]. En l’absence d’instabilité, après
prise en charge en kinésithérapie adaptée chez un patient
ayant repris ses activités sportives, nous proposons un traitement conservateur avec surveillance régulière. Cette situation concerne environ un tiers des patients qui nous sont adressés. La survenue de symptômes d’instabilité ou de lésion
méniscale secondaire représente un argument formel en faveur d’une reconstruction du LCA. Les impératifs du sportif
de haut niveau amènent parfois à répondre à la demande
de reconstruction rapide du LCA sans avoir mis le genou à
l’épreuve et dans le but de remettre le sportif au plus vite
dans le circuit de la compétition.
Ligament croisé postérieur (LCP)
Ces lésions sont rares et le plus souvent consécutives à
un choc direct sur la face antérieure du tibia, genou fléchi.
Elles sont essentiellement représentées par des avulsions
osseuses. En cas de déplacement, la réduction et l’ostéosynthèse s’imposent. Les ruptures intra ligamentaires pures
sont exceptionnelles. L’instabilité postérieure chronique se
manifeste par des douleurs antérieures du genou et une
limitation fonctionnelle. Il est important de rechercher une
composante de laxité postéro-latérale associée. Des techniques fiables de reconstruction du LCP existent en cas
d’instabilité postérieure [16].
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Lésions méniscales
Les lésions méniscales traumatiques peuvent être isolées
ou bien associées à une instabilité antérieure du genou.
Elles se manifestent le plus souvent par des douleurs et des
blocages [17]. L’examen complémentaire de référence est
l’IRM. Un hypersignal méniscal de grade III représente une
indication chirurgicale. Il faut cependant prendre garde à un
hypersignal d’origine vasculaire chez un patient asymptomatique [18]. La réparation est conduite sous arthroscopie.
Conserver le capital méniscal est une priorité. Une lésion inférieure à 10mm et stable au crochet peut être simplement
avivée à la râpe arthroscopique. Il faut savoir manier les trois
types de suture qui ont chacun leurs indications (all-inside :
segments postérieur et moyen, inside-out : segments postérieur et moyen et outside-in : segments antérieur et moyen).
Les « anses de seau » luxées ne sont pas rares. La qualité et
l’intégrité du tissu méniscal sont des critères de conservation plus importants que la zone lésionnelle ou l’ancienneté
de la lésion [19].
• Pathologie fémoro patellaire
Elle est riche et complexe, y compris en traumatologie du
sport [20]. Il est fondamental d’analyser les différents paramètres tels que le morphotype du membre inférieur, la laxité
ligamentaire, la présence d’une dysplasie trochléenne et/ou
rotulienne, d’une rotule haute, etc… Un paramètre négligé
peut causer l’échec d’un traitement chirurgical.
Instabilité
En présence d’un échec du traitement orthopédique bien
conduit comprenant : éviction des activités en pivot, renforcement musculaire, proprioception et port d’une genouillère souple à évidement rotulien lors de la pratique sportive,
le traitement chirurgical s’impose. La présence d’une chondropathie est un argument supplémentaire pour proposer
une stabilisation chirurgicale. Si le principe de la chirurgie
« à la carte » reste d’actualité, la reconstruction du ligament
fémoro patellaire médial au tendon gracilis est actuellement
la plastie médiale de choix avec de bons résultats [21]. Du
fait de la proximité entre insertion fémorale du ligament et
cartilage de croissance, une fixation extra osseuse est prudente [22]. Le traitement chirurgical d’un premier épisode
de luxation fémoro patellaire n’a pas fait la preuve de sa
supériorité par rapport au traitement orthopédique, en l’absence bien sûr de fracture ostéochondrale associée [21, 23].
Fractures ostéochondrales
Ces « lésions de passage » sont fréquentes après un épisode
de luxation fémoro patellaire, et doivent être systématiquement recherchées [24]. Les luxations spontanément réduites
ne sont pas rares, ainsi il faut évoquer ce diagnostic devant
toute hémarthrose inexpliquée. La radiographie standard
peut être prise en défaut car la composante osseuse du fragment peut être mineure voire absente. Ainsi, la réalisation
systématique d’une IRM nous semble une bonne pratique
après toute luxation fémoro patellaire. Le fragment provient
le plus souvent du condyle fémoral latéral en zone portante,
le traumatisme se produisant en flexion du genou.
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Indications opératoires incontournables
en pathologie sportive du genou de l’enfant
par F. Accadbled
L’arthroscopie est au mieux réalisée dans les 3 semaines suivant le traumatisme. En fonction de la taille du fragment et
de la localisation du défect, on procède à une ablation simple
ou à un vissage. En cas de fracture ancienne, le fragment est
souvent arrondi et augmenté de volume et doit ainsi être
« retaillé » au bistouri pour une congruence optimale avec
la zone receveuse. La cicatrisation est possible même si la
composante osseuse est minime voire absente [25].
Microtraumatismes
• Ostéochondrite disséquante des condyles fémoraux
Le Symposium SOFCOT de 2005 a précisé les indications
chez l’enfant et l’adolescent [26]. La chirurgie est indiquée
le plus souvent après l’âge de 12 ans, en l’absence d’amélioration des symptômes par le repos sportif et de reconstruction radiographique. La présence seule de signes « d’instabilité » du fragment à l’IRM n’a que peu de valeur chez
l’enfant [27]. L’arthroscopie permet le bilan visuel et palpatoire des lésions, mais aussi d’apprécier la stabilité du cartilage surfacique. Le traitement consiste en des micro perforations transcartilagineuses du fond de la niche à l’aide
d’une broche de 15 /10èmes de mm si le cartilage est jugé
stable. L’objectif est de stimuler la revascularisation de l’os
sous chondral. La zone est repérée par la couleur terne ou
le ramollissement du cartilage puis 5 à 10 perforations sont
réalisées au moteur. Si le fragment est instable, il est fixé par
vis voire plot ostéochondral [28]. L’arthroscopie permet également l’ablation d’un fragment libre plus ou moins associée
à une mosaïcplastie si le défect doit être greffé. Le vissage et
la mosaïcplastie peuvent être combinés, 2 plots ostéochondraux renforçant le montage.
•
Ostéochondroses
Elles sont représentées par les maladies d’Osgood Schlatter pour la tubérosité tibiale et de Sinding Larsen Johansson
pour la pointe de la rotule. Ces pathologies ne représentent
pas d’indication chirurgicale et la guérison spontanée est
la règle. Cependant, après la fermeture des cartilages de
croissance, un ossicule intra tendineux peut être à l’origine
de douleurs persistantes (Fig. 3). En cas de résistance au
traitement médical, l’exérèse arthroscopique représente un
traitement de choix par rapport à l’exérèse par voie transtendineuse conventionnelle, évitant ainsi une cicatrice antérieure souvent douloureuse en particulier dans la position
à genoux [29].
Fig. 3 : Ossicule
intra tendineux séquellaire d’une « maladie »
d’Osgood Schlatter
Conclusion
Les indications chirurgicales dans la traumatologie sportive du genou de l’enfant ont évolué parallèlement au progrès de l’imagerie mais également des techniques chirurgicales et à l’amélioration de leurs résultats. N’oublions cependant pas que Le meilleur résultat est obtenu en évitant la
blessure. Des efforts sont nécessaires vers la prévention primaire et secondaire, sur le modèle des scandinaves [30]. S’il
est important de permettre à nos jeunes patients de s’épanouir à travers leur activité sportive préférée, il est dans certains cas raisonnable de les inciter à en diminuer l’intensité
voire de changer de discipline.
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Indications opératoires incontournables
en pathologie sportive du genou de l’enfant
par F. Accadbled
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Réunions à venir
13-14 mars 2015
Paris
Réunion annuelle du GES
15-18 avril 2015
Marseille
EPOS réunion annuelle
25-27 mars 2015
Ecole Nationale des Arts
Paris
Journées de la SOFOP
Maladies neuro-musculaires
29 avril - 2 mai 2015
Atlanta
POSNA Annual Meeting
30 septembre - 4 octobre 2015
Minneapolis
SRS Meeting
PARU CHEZ SAURAMPS MEDICAL
THE YOUNG
ARTHRITIC KNEE
LE GENOU
DE L'ENFANT
M. Bonnin, S. Lustig,
A. Pinaroli, E. Servien,
J-M. Fayard, R. Badet,
G. Demey, T. Aït Si Selmi,
F. Trouillet
C. Karger, L. Schneider,
P. Gicquel, J.-M. Clavert
Isbn : 978 284023 876 8
238 pages
mars 2013
Isbn : 978 284023 969 7
242 pages
octobre 2014
42 €
40 €
NOUVEAU
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Les tendinopathies du pied revisitées
en Orthopédie Pédiatrique
par CR. Muller* et P. Chrestian
Véritables « pathologies oubliées » de la littérature scientifique pédiatrique, les tendinopathies n’ont guère droit de
cité dans les traités spécialisés d’orthopédie pédiatrique,
autant anglophones que francophones.
Paradoxalement, le diagnostic « passe-partout » de « tendinite », tout comme celui de « douleurs de croissance », reste
trop souvent posé, par facilité et sans véritable démarche
décisionnelle systématisée, par nombre de médecins, peu
ou pas spécialisés dans le domaine de l’orthopédie pédiatrique, lorsqu’un enfant consulte pour une douleur non
traumatique de l’appareil locomoteur.
Citons d’emblée la « doctrine » ostéopathique : considérant,
comme l’a formulé AT Still, que « le muscle est la vitrine de l’articulation », l’ostéopathe voit plutôt dans la souffrance tendineuse, en dehors de tout contexte de maladie inflammatoire, l’expression d’une dysfonction articulaire sous-jacente
au trajet de l’unité myotendineuse impliquée, manifestation qui disparaîtra une fois le dérangement articulaire corrigé.Pour rendre cette confusion d’idées intelligible, il nous
parait donc opportun d’opérer une « mise à jour » d’autant
qu’un nouveau paradigme de médecine fonctionnelle s’installe progressivement, éclairant d’une lumière différente
certaines idées reçues.
Nosologiquement d’abord, les termes « tendinite » & « tendinose » ont été abandonnés au profit du vocable de « tendinopathie », corporéale ou enthésale selon sa localisation au
niveau du corps ou de l’insertion, que l’on qualifiera ensuite
en fonction de l’étiologie. Le terme de « péritendinopathie »
n’a, quant à lui, pas véritablement détrôné celui de « ténosynovite ». Les notions de « tendinodynie » ou « tendinalgie »
décrivent globalement une douleur imputée à un tendon.
Il est indéniable que de multiples problèmes peuvent affecter les tendons chez l’enfant mais qu’ils s’y manifestent
bien plus rarement que chez l’adulte : tendinopathie calcanéenne, aponévrosite plantaire, tendinopathie du flexor
hallucis longus, de l’extensor digitorum longus, de l’extensor
hallucis longus du tibialis posterior (ou plus souvent ténosynovite), ténosynovite des fibulaires (peroneus longus - brevis), sésamoïdite (flexor hallucis longus) …
Pour rappel, la littérature parle de tendon de type 1, lorsqu’il
possède une gaine synoviale (couche viscérale et pariétale)
et un trajet courbe, tels les EDL, FDL, TA, TP …, et de type 2
face à un trajet direct et l’absence de gaine ténosynoviale,
comme dans l’exemple du tendon calcanéen. La structure
microscopique de base est commune aux 2 types, formée
de fibres de collagène, essentiellement de type 1, assemblées en faisceaux denses.
Le maillon faible de la poutre composite myoténosquelettique varie en fonction de l’âge (Fig. 1). Alors que chez
l’adulte la zone fragile inclut en général la jonction myotendineuse et le corps du tendon, chez l’enfant il se situe plutôt au niveau de l’insertion du tendon (enthèse) sur le cartilage apophysaire non ossifié. Il en résulte une prédilection,
surtout chez l’enfant et le jeune sportif immature, pour les
atteintes de la jonction tendino-ostéo-cartilagineuse, alors
que les lésions dégénératives et les ruptures tendineuses
restent exceptionnelles.
* CHU Liège et CHBAH Seraing-Belgique)
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Fig. 1 : La résistance des ligaments est classiquement plus grande par rapport
à l’os chez les enfants. En outre, aux moments des poussées de croissance en
pré-adolescence et adolescence, la fragilité s’accroîtau niveau du cartilage de
conjugaison.(Pediatric musculoskeletal disease with an emphasis on ultrasound, Wilson D, Springer –Verlag 2005)
Fig. 2 : Le modèle biomécanique de Hill chez l’enfant montre essentiellement
une prépondérance de la composante élastique en parallèle (CEP). Il en résulte une prévalence accrue des pathologies neuro-fonctionnelles (perte de
glissement) : tableaux fréquents au tennis, « restriction de mobilité globale »
et souvent ténosynovite satellite ; par exemple, nerf sural et ténosynovite des
extenseurs du pied, ou nerf tibial antérieur et ténosynovite du peroneus longus
(communication personnelle et schémas du Dr M. Joris, médecin référent de la
ligue francophone belge de tennis).
Cette notion de « maillon faible » de l’unité myo-tendineuse
explique la forte prépondérance des ostéochondroses par
rapport aux tendinopathies chez l’enfant, mais n’exclut en
rien la possibilité d’une lésion isolée ou associée du tendon.
La biomécanique de l’os et du muscle explique certaines
particularités du sujet en croissance, évoluant par ailleurs
dans le temps. Le modèle de AV Hill montre ainsi des différences significatives, chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte,
entre les composantes contractiles (CC) et élastiques, en
série (CES) comme en parallèle (CEP) (Fig. 2).
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en Orthopédie Pédiatrique
par CR. Muller et P. Chrestian
Schématiquement et très grossièrement la CC correspond au corps musculaire, la CEP à l’aponévrose et la CES
au tendon. Ces notions biomécaniques, souvent méconnues, expliquent les diverses prises en charge, notamment
kinésithérapiques, à appliquer en fonction des différentes
tranches d’âge touchées.
Les lésions dégénératives des tendons restent donc rares
chez l’enfant et résultent en général de contraintes mécaniques sur des pieds déformés, tels que le pied bot varus
équin ou le pied plat valgus sévère). En cas d’IRC traitée par
hémodialyse, des dépôts amyloïdes peuvent être identifiés
aussi bien dans les tissus para-articulaires que dans les corps
tendineux.
L’aspect hyperhémié des tendons et gaines synoviales est
plutôt l’apanage des atteintes inflammatoires, typiques des
formes juvéniles d’arthrite rhumatoïde et de spondylarthropathie. En cas d’atteinte isolée d’une gaine ténosynoviale, il
faut, ben sûr, toujours exclure une étiologie infectieuse, en
particulier si l’anamnèse peut révéler une histoire de piqure
ou autre traumatisme pénétrant.
Notre propos se limitera à préciser l’approche spécifique
aux tendinodynies, venant compléter l’interrogatoire et
l’examen clinique classiques décrits dans tous les traités
d’orthopédiatrie. Ce faisant, rappelons-nous l’aphorisme
de P. RIGAULT « On n’examine pas le pied d’un enfant mais un
enfant et ses pieds ! »
Outre de préciser les facteurs de risque d’ « overuse » bien décrits par LJ Michelli, l’anamnèse visera essentiellement le distinguo entre douleur nociceptive versus neuropathique ou
mixte, en se référant notamment au questionnaire « DN4 ».
Les douleurs neuropathiques nous permettront ainsi d’éliminer les problématiques de douleurs projetées c.à.d. métamériques (notion de segment médullaire facilité de Korr
et sommation spatio-temporelle des influx afférents) et de
douleurs rapportées, souvent d’origine viscérale (notion de
convergence médullaire).
L’examen clinique étudiera plus particulièrement la triade
douloureuse apparaissant à l’étirement (course externe), à la
contraction contrariée contre résistance (isométrique en variant la course de l’unité myotendineuse) et à la palpation directe. Une auscultation au stéthoscope (instrument « oublié »
de l’orthopédiste !) peut compléter cet examen analytique.
Dans la mesure où « ne fait pas une tendinopathie qui veut », il y
a toujours un contexte global à préciser soit morphologique
(surpoids ou obésité, typologie musculaire, asynchronisme
de croissance, déséquilibre agonistes – antagonistes, hyperlaxité constitutionnelle ou raideur globale), soit suractivité
sportive avec pratique de sports inadaptés à la morphologie (danse) avec possible sur-programmation de chaîne(s)
musculaire(s), soit défaut de matériel adapté au terrain ou
au jeu (football, jeu avec crampons au lieu de barrette sur
terrain stabilisé). La notion de « terrain » pourra encore être
affinée : à côté des terrains biomécanique (myotype, axes
anatomiques) et neurophysiologique (axes posturaux), le
médecin pourra également rechercher les terrains « acide »
ou « oxydé » ou « intoxiné » ou « inflammatoire chronique de
bas grade » en s’aidant des recommandations en médecine
nutritionnelle et fonctionnelle (carence en vitamine D,
acidose métabolique fruste, déséquilibre du rapport Acide
Arachidonique/Acide Eicosapentaénoïque idéalement égal
à 1, dysbiose, « leaky gut syndrome », surcharge des mécanismes de détoxination hépatique …).
La tendinopathie ayant très peu de traduction car souvent
intra-tendineuse, l’imagerie médicale permet ensuite de
séparer les tendinopathies soit en lésionnelles, soit en fonctionnelles selon la présence ou de l’absence d’anomalie objectivée par l’examen para-clinique.
L’échographie et l’échodoppler couleur sont les examens
de choix et suffisent pour compléter le diagnostic. Toutefois
pour limiter le risque d’ignorer un diagnostic différentiel
important, il peut être utile de recourir soit à la radiographie
standard en vue d’exclure un ossicule accessoire, une ostéchondrose ou –ite, une tumeur aussi bien bénigne que maligne, soit à la scintigraphie pour ne pas ignorer une fracture
de fatigue, soit à la TDM pour documenter une coalition.
Pour l’heure, l’IRM a peu de place mais nous a permis de
déjouer le piège d’un muscle accessoire chez un teenager .
La méfiance est de rigueur vis-à-vis des pseudo-tendinopathies qui sont la primo-manifestation d’un rhumatisme juvénile chronique, le sport n’étant qu’un élément révélateur.
D’où l’importance d’une biologie à la recherche d’un syndrome inflammatoire et à, là aussi, l’éventuelle scintigraphie
qui est l’examen le plus précoce.
Au terme de cette démarche diagnostique, clinique et paraclinique, le lien de causalité physique ou contextuel ainsi établi, le traitement se focalisera logiquement sur l’étiopathogénie du problème et ne se contentera pas d’être, comme
encore trop souvent, simplement « symptomatique ». Parmi
l’arsenal thérapeutique moderne à notre disposition, la
kinésithérapie d’assouplissement global occupe une place
de choix, à condition qu’elle respecte les modèles biomécaniques propres aux différentes tranches d’âge (la tendinopathie n’est qu’un signe de la « raideur »). Les ondes de choc
restent très discutées chez l’enfant. La gestion des facteurs
de risques et l’approche métabolique nutritionnelle (pour
éviter « l’illégalité physiologique » du sportif de haut niveau)
sont devenues des paramètres incontournables. Parfois une
immobilisation, absolue par plâtre ou relative par orthèse,
peut être indiquée. Les sports chaussés pourront être escortés du port de semelles biomécaniques thermo-moulées
pour optimaliser la répartition baropodométrique. Enfin,
une chirurgie de débridement (tibialis posterior) ou d’aponévrotomie (gastrocnémien court) pourra parfois trouver
une place dans les cas rebelles aux traitements conservateurs.
Face à l’émergence de problématiques nouvelles, le
message se cristallise donc sur une invitation à désormais
prendre en compte, outre les problèmes lésionnels
bien documentés par l’imagerie médicale, la pathologie
fonctionnelle, type dérangement articulaire, liée au sport
et à son environnement, ainsi que la pathologie somaticoémotionnelle à expression locomotrice. Il faut (ré)apprendre
à dire : « Je ne sais pas pour l’instant » ; à passer la main (« le
regard neuf ») ; à résister à la pression parentale une fois
qu’on a éliminé les affections graves et mortelles (pas de
« Fukushima radiologique »).
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par CR. Muller et P. Chrestian
En guise de conclusion, ce thème des tendinopathies pédiatriques reste peu reconnu car peu connu. Pourtant on voit
fleurir des problèmes d’aponévrosite plantaire, de pathologie du tendon d’achille, de pathologie du tibialis posterior et
de pathologie de l’extenseur du 1, pour ne citer que les plus
fréquemment rencontrées en pratique Mais ceux-ci n’apparaissant que sur certains « terreaux » particulièrement fertiles : type, intensité et quantité de sport pratiqué, terrains
biomécaniques et / ou biochimiques perturbés. Le message de la prévention, souvent porté en dérision, apparaît
ici particulièrement fondamental. A la génétique du sujet
vient s’ajouter celle de l’environnement (épigénétique), à la
biomécanique de l’enfant celle du sport pratiqué (biotechnologie), à la biologie du patient celle de son alimentation
(nutrigénomique) … Ce nouveau paradigme revisité plonge
le chirurgien orthopédiatre au cœur de la « médecine intégrée » du 21ème siècle !
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Rockwood and Wilkins’
Fractures in Children 8th edition
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Le sport chez l’enfant : entre suractivité et traumatologie,
quel risque ? Un éclairage éthique
par M. Caillol*
Lorsque l’on questionne sur l’activité sportive de l’enfant
dans notre société, avant même de prendre le point de vue
du chirurgien orthopédiste infantile, il convient de clarifier
deux notions. La première est celle de la finalité de l’activité
sportive. La seconde est celle de l’existence ou non de limites
à cette activité. Avant ces clarifications, aucune réflexion sur
la mission précise assignée au chirurgien d’enfant ne pourra
avoir de sens, puisque la particularité d’un enfant, en outre,
est d’être vulnérable.Précisons qu’un éclairage éthique sur
ce sujet ne saurait, à aucun moment, être moralisateur.
Quelle est la finalité de l’activité sportive ?
On conviendra que, fondamentalement cela consiste en
une recherche d’épanouissement. En luttant contre une certaine passivité qui laisserait son corps se dégrader plus vite
que de nature et en l’entraînant à donner le maximum de
ses possibilités, l’homme recherche une certaine harmonie
(mens sana in corpore sano). Cela se traduit le plus souvent en compétition. Mais compétition, comme concours,
cela consiste à courir avec autrui, à se mesurer certes, mais
avec ce respect qui valorise plus le mérite que le résultat.
Peu nous importerait dans le fond que, grâce à des artifices
techniques de plus en plus sophistiqués – voire chirurgicaux –, un cycliste parvienne à grimper le col du Galibier à
120 km/h. Ce qui séduit au contraire, c’est l’effort du sportif
pour vaincre, par ses seuls moyens.
Or force est de reconnaître que notre société, celle dans laquelle nous vivons et que nous façonnons, aspire plus à la
performance qu’à une saine compétition. Le résultat compte
alors plus que l’effort pour parvenir à un but.
Cela est particulièrement délétère chez l’enfant qui cherche
à trouver sa place dans le monde et qui ne peut s’épanouir
qu’en présence de l’autre. Tant qu’autrui lui permet de se
comparer et de s’améliorer, tout va bien. Mais dès lors que
ce n’est plus l’autre, mais le temps, la longueur, ou les points
qui deviennent objets de référence, l’enfant risque bien de
perdre tout repère et d’être sans cesse frustré de se mesurer
avec de l’inaccessible.
Il est donc de la conscience éthique de tout chirurgien orthopédiste infantile de rester sans cesse vigilant quant à la
finalité que recherche l’enfant sportif. Plus que d’écouter
seulement l’entraîneur, le club, voir la famille, il doit s’attacher à repérer aussi chez l’enfant ses réelles motivations.
Il pourra alors lui permettre de concourir sainement, mais
certainement pas de l’aider chirurgicalement à améliorer
ses performances. Nous pourrions parler ici de dopage et le
médecin complice ne ferait plus de la médecine.
Existe-t-il des limites à l’activité sportive ?
Repousser ses limites tant physiques qu’intellectuelles a
été une quête incessante de l’être humain. Freud évoquait
cette blessure narcissique qui nous pousserait à devenir
mieux que ce que nous a fait la nature (Hilflosichkeit) et les
transhumanistes aujourd’hui n’aspirent à rien de moins que
de parvenir à un au-delà de l’homme, enfin débarrassé de
ses misères.
Tout naturellement il existe de même dans le sport une tendance à battre sans cesse tous les records.
Docteur en médecine et en philosophie
*
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Et comment mieux le faire qu’en façonnant l’homme dès
le début, c’est-à-dire dans son enfance, voire sa petite enfance ? Ce désir pousse familles et entraîneurs à développer
le plus tôt possible, les capacités physiques de l’enfant. Mais,
en dehors du fait qu’il s’agit toujours du désir d’un autre,
comme tout désir il est souvent sans limite. Or un développement sportif sans limite – une suractivité – vise presque à
une transformation : créer par exemple le nageur idéal, ou le
tennisman hors normes, etc.
Mais, osons le dire, des limites naturelles existent qu’il serait dangereux de chercher à dépasser. La résistance d’un
enfant, tant sur le plan physique que moral, reste fragile et
si l’activité sportive comme épanouissement est tout à fait
souhaitable, l’acharnement focalisé vers une performance
toujours plus lointaine devient délétère.
Tous les médecins connaissent parfaitement les limites naturelles d’un corps humain, en particulier de celui d’un enfant.
Si l’on sait par exemple, qu’au-delà du doublement de la fréquence cardiaque on accentue le risque de fibrillation, il faut
aussi se rappeler que os, muscles et articulations ne peuvent
pas tout supporter. Le développement de la fréquence des
traumatismes sportifs infantiles en est sans doute la preuve.
Il semble donc essentiel que le chirurgien orthopédiste infantile précise chaque fois les limites qu’il deviendrait immoral d’imposer à un enfant, d’autant qu’en tant que tel, il est
particulièrement vulnérable.
L’enfant comme un être vulnérable
Faut-il rappeler que le fondement de toute médecine
– donc de la chirurgie – consiste à prendre soin d’une personne humaine souffrante ? Toute souffrance crée de la vulnérabilité et l’éthique du soignant précisément est d’être
sans cesse en tension entre l’appel devant cette vulnérabilité et le respect de l’autonomie de tout être humain.
Certes l’enfant, en tant que personne, est autonome, mais
son autonomie n’est pas totalement affirmée (ni légalement,
ni moralement). D’autre part, parmi les hommes, l’enfant a
une vulnérabilité plus grande puisque, étant en devenir, il
n’est pas encore actualisé. A l’instar d’une personne en situation de handicap, ou d’une personne âgée dépendance, la
vulnérabilité essentielle – ontologique – de l’enfant, rend
la responsabilité du chirurgien beaucoup plus morale que
strictement juridique.
Les risques traumatologiques induits par un excès d’activité
sportive sont d’autant plus grands chez l’enfant que ses cartilages de croissance par exemple ne sont pas soudés ; que
toute plastie ligamentaire chez lui est plus hasardeuse ; que
des lésions articulaires, méniscales par exemple, auront des
conséquences majeures. S’il existe inéluctablement dans
toute action chirurgicale une certaine dimension sacrificielle
(les premiers opérés d’une technique donnée, par exemple),
il convient d’en protéger le plus possible l’enfant qui grandit.
Le regard éthique
Sans tomber dans le piège grossier de la moralisation qui
voudrait interdire à tout enfant la pratique d’aucun sport, il
importe donc de garder toujours un regard éthique.
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Le sport chez l’enfant : entre suractivité et traumatologie,
quel risque ? Un éclairage éthique
par M. Caillol
Ce regard qui permet au chirurgien,dont la mission est
de prendre soin d’enfants que l’on dit sportifs, de prendre
conscience d’une part que la finalité du sport n’est pas de gagner à tout prix, mais de concourir et d’autre part qu’il existe
d’évidentes limites à ce que peut accomplir un être humain.
Ce regard qui,par ailleurs, lui rappelle que sa mission, plus
que de réaliser l’acte technique d’intervenir chirurgicalement, consiste à prendre soin d’une personne humaine. Ce
regard qui l’interpelle devant la particulière vulnérabilité de
l’enfant, cet être en puissance, faisant fi des injonctions du
club, de l’entraîneur, de la famille peut-être, pour préserver
la personne qu’est cet enfant.
Levinas a sans doute raison d’insister ici sur la responsabilité morale, celle qui oblige sans réciprocité. Sans ce regard,
et devant l’insistance de notre société à idolâtrer la performance, la chirurgie ortho-pédiatrique pourrait se perdre.
A chacun de l’éviter.
COMMENT NOUS SOMMES DEVENUS BIPÈDES
LE MYTHE DES ENFANTS-LOUPS
La marche bipède est-elle inscrite dans nos gènes ?
Que nous apprennent les fossiles laissés par nos ancêtres ?
Quels changements se sont produits au cours de notre évolution qui ont adapté notre morphologie à la bipédie ?
Comment un tout-petit se redresse-t-il, comment apprend-il
à marcher ? Comment son squelette doit-il s’adapter pour
composer avec la gravité et les lois de l’équilibre ? Et pourquoi, parfois, cet apprentissage ne se fait-il pas ou bien se
fait-il mal ?
Fruit de la sélection naturelle, la bipédie nous est devenue si familière qu’on en oublierait presque le défi
qu’elle constitue. Enfants loups, enfants sauvages, familles quadrupèdes en Turquie ou en Irak sont là pour
nous rappeler combien cet équilibre ne va pas de soi…
CHRISTINE TARDIEU
Christine Tardieu est biologiste de l’évolution, paléontologue,
spécialiste de morphologie fonctionnelle et biomécanicienne.
Directrice de recherche au CNRS, elle travaille au laboratoire
d’anatomie comparée du Muséum national d’histoire naturelle
de Paris.
Isbn : 978 273812 859 1
224 pages
octobre 2012
Odile Jacob 23,90€
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