Les reptiles et amphibiens
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Les reptiles et amphibiens
Thierry Kinet en couverture en couverture État de la biodiversité : les amphibiens et les reptiles Ces deux classes animales sont parmi les plus menacées à l’échelle planétaire. Chez nous, leur Thierry Kinet, Herpétologue chez Natagora Suivi des populations d’amphibiens (GT Raînne / Région wallonne) situation n’est guère à envier non plus. Que peut-on faire ? Charles H. Smith C’est un fait maintenant bien établi, la situation des amphibiens et des reptiles dans le monde est particulièrement inquiétante. Il faut dire que ces petites bêtes cumulent les handicaps dans notre monde moderne : discrètes – parfois jusqu’à l’extrême, comme ces serpents fouisseurs qui passent l’entièreté de leur existence sous terre – et souvent malaimées, leurs populations disparaissent souvent dans l’indifférence générale. De plus, elles disposent de faibles capacités de dispersion et sont souvent liées à des habitats très particuliers qui, pour les amphibiens, doivent aussi répondre aux impératifs de leur « double vie ». Le crapaud doré du Costa Rica est emblématique du déclin global des amphibiens. Encore abondant dans les années 1980, ses populations se sont effondrées en quelques années. Le dernier individu a été observé en 1989. 10 natagora numéro 36 mars-avril 2010 Les sept plaies d’Égypte La liste des menaces pesant au-dessus de leurs petites têtes est malheureusement longue comme un jour sans pain. Les pertes et fragmentations d’habitats (des comblements de zones humides aux destructions des forêts tropicales en passant par les reboisements de pelouses calcaires, les comblements de carrières désaffectées ou la confiscation des plages où pondent les tortues marines pour satisfaire des hordes de touristes en tongs) représentent la majorité des cas documentés de disparitions, ainsi que les plus visibles. Mais elles subissent à l’échelle planétaire des agressions multiples, dont certaines particulièrement insidieuses : pollutions en tous genres, introductions d’espèces invasives – qui entrent en compétition, deviennent des prédateurs voire même s’hybrident avec les espèces indigènes –, prélèvements excessifs pour la consommation, la terrariophilie ou la fabrication de médicaments, apparitions récentes de pathogènes virulents (voir encart), acidification des pluies, La rainette verte a disparu de Wallonie dans les années 1990. Aux Pays-Bas et en Flandre, son déclin a été stoppé et sa situation s’est nettement améliorée. augmentation de la fréquence des incendies de forêts, on en passe et des plus joyeuses… La plupart de ces causes agissent le plus souvent de concert, leurs effets s’additionnant. Il est aussi largement reconnu que ces processus s’accélèrent, apparemment plus vite encore que pour les autres espèces. À cela s’ajoutent évidemment les plus vives inquiétudes sur les effets du réchauffement climatique : si certaines espèces d’oiseaux pourront peut-être migrer vers de possibles terres promises, le sort de nombreux amphibiens et reptiles semble scellé. Des chiffres révélateurs Les dernières versions des Listes Rouges de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) font froid dans le dos. Jugez plutôt : 30 % des espèces connues d’amphibiens et de reptiles (les chiffres étant remarquablement semblables pour ces deux classes animales) sont directement menacées d’extinction, soit près d’une espèce sur trois, en prenant en compte celles considérées comme « vulnérables », « en danger » et « en danger critique ». Les experts de cet organe de l’ONU, qui ne peuvent objectivement pas être pris pour des farfelus, estiment aussi que près de 160 espèces d’amphibiens (sur un peu plus de 6000 décrites) ont peutêtre d’ores et déjà disparu de la surface du globe, soit une espèce sur 40, et à peine moins pour les reptiles (près de 9000 espèces connues) puisque 22 espèces sur un échantillon représentatif de 1300 suffisamment suivies semblent manquer définitivement à l’appel. Une nouvelle arme de destruction massive ? Batrachochytrium dendrobatidis, champignon microscopique provoquant la chytridiomycose, une maladie qui attaque de nombreuses espèces d’amphibiens à travers le monde, a été décrit en 1998 seulement. Un peu plus de 10 ans plus tard, il a été déclaré coupable d’avoir éradiqué à lui seul plusieurs espèces du globe ! Tous les continents sont touchés, y compris la plupart des pays d’Europe. Une véritable pandémie à prendre très au sérieux ! Si le continent européen abrite à peine 151 reptiles et 85 amphibiens, notre natagora 11 en couverture clandestinement dans quelques jardins) ont tiré leur révérence. Faut-il baisser les bras ? Que nenni ! Les amphibiens par exemple répondent favorablement à des projets de restauration bien menés. En effet, au cours des dernières décennies, les herpétologues n’ont pas ménagé leurs efforts, et leurs études ont conduit à cerner des éléments clés, qui souvent supposent un peu plus que la création de quelques mares isolées pour permettre de maintenir ou de restaurer des populations viables. Citons par exemple l’alyte de Majorque, petit crapaud endémique de cette île des Baléares, considéré jusqu’il y a peu comme une des espèces les plus menacées d’Europe, à cause de l’urbanisation mais aussi de l’introduction de couleuvres vipérines, et qui, grâce à une politique énergique incluant la création de réserves, une réduction des concurrents-prédateurs introduits et un renforcement des populations grâce à l’élevage, a vu ses populations se reconstituer au point que les experts de l’UICN ont fait, en quelques années, passer son statut de « en danger critique » à « en danger » puis à « vulnérable ». Aux Pays-Bas et en Flandre, la rainette verte, dont l’avenir semblait bien sombre il y a 10 ans à peine, a bénéficié du savoir-faire des naturalistes qui ont réussi à recréer le réseau écologique indispensable à sa survie. Et les résultats ne se sont pas fait attendre : aux Pays-Bas, le nombre de chanteurs recensés, en constante augmentation, a été multiplié par six en douze ans à peine, sur plus de 400 plans d’eau. Tout profit également pour le triton crêté qui colonise volontiers ces mares ! Chez nous, plusieurs plans d’action, à l’initiative de la Région wallonne et de Raînne-Natagora entre autres, ont été récemment lancés pour tenter d’améliorer le sort du sonneur, du lézard des souches, du crapaud calamite et de la vipère péliade. S’il est encore trop tôt pour crier victoire, les premiers résultats tangibles sont déjà notés. La plupart des programmes LIFE actuellement en cours ou en projet prennent aussi largement en compte les amphibiens et les reptiles : même si les zones où les projets ont été menés Les quelques populations européennes du caméléon commun, situées dans l’extrême sud de l’Espagne, sont très menacées et complètement isolées du reste de son aire s’étendant de la Méditerranée à l’Inde. Arnaud Laudelout responsabilité n’en est pas moins importante puisque, respectivement, la moitié et les trois quarts sont endémiques, c’est-à-dire qu’on ne les retrouve nulle part ailleurs dans le monde. Sur notre Vieux Continent, une espèce sur quatre est menacée, amphibiens et reptiles confondus, même si l’espoir peut subsister puisqu’aucune espèce n’est éteinte. En Wallonie, l’enquête atlas menée entre 1985 et 2003 n’a pu qu’enregistrer la disparition de la rainette verte et du pélobate brun, tous deux heureusement encore présents en Flandre, ainsi que la situation extrêmement critique du sonneur à ventre jaune, le crapaud calamite et le triton crêté étant dans une situation à peine plus enviable. Côté reptiles, le lézard des souches et la vipère péliade sont également en situation très préoccupante. Au total, 40 % de l’herpétofaune wallonne, déjà peu abondante puisque composée d’à peine 21 espèces indigènes, est ainsi menacée. À Bruxelles, on se bat pour sauvegarder des espèces comme l’orvet, le lézard vivipare ou la salamandre, encore bien représentés en Wallonie, tandis que la grenouille verte et l’alyte (bien que réintroduit Jean Delacre Le cératophrys cornu tire son nom des petites cornes présentes au-dessus des yeux. La taille de son énorme bouche équivaut à 1,6 fois la longueur du corps. Cette grenouille sud-américaine est très vorace et peut consommer des invertébrés, des amphibiens, des reptiles ou des petits mammifères, ce qui lui vaut le surnom anglais de pac-man frog. accueillent principalement des espèces moins menacées, ce sont des milliers de mares qui ont été créées ces dernières années en Wallonie, notamment via plusieurs projets menés par Natagora ! Chacun peut participer Et chacun peut participer à ce redressement ! Posséder un jardin avec une mare « naturelle », des zones de hautes herbes, des abris (tas de bois ou de pierres…) et une tondeuse dont la lame est toujours réglée sur la position « haute » est évidemment le nec plus ultra de l’ami des orvets et des tritons. Lever le pied, surtout pendant les périodes humides du printemps à l’automne, est de ces gestes qui ne sauvent pas que des vies de crapauds débonnaires. Nos comportements ont aussi un impact en dehors de nos frontières. Fautil parler des « nouveaux animaux de compagnie », dont certains font l’objet de tous les trafics qui enrichissent les organisateurs de braconnages clandestins ? Rappelons aussi que les cuisses de grenouilles de nos grandes surfaces (sans parler du braconnage encore présent localement en Wallonie), dont on sait évidemment qu’elles sont arrachées à vif, proviennent principalement d’Asie. Capturées dans la nature, induisant une prolifération de moustiques combattus à grands renforts de produits interdits en Europe et qui posent de graves problèmes de santé, notamment chez les enfants travaillant dans les rizières. « Laissez-nous nos pattes », le slogan est plus que jamais d’actualité ! Le réseau de réserves naturelles géré par notre association comprend de nombreux sites particulièrement appréciés par les amphibiens et reptiles. Les argilières de Romedenne (Philippeville) peuvent par exemple s’enorgueillir de la présence de 14 des 21 espèces que l’on rencontre chez nous ! Nos quatre espèces de tritons y sont bien représentées de même que d’autres espèces pour lesquelles le site constitue un important réservoir d’individus (alyte, grenouilles verte et de Lessona…). L’orvet, la couleuvre à collier et la vipère péliade y trouvent tous les milieux indispensables aux différentes étapes de leur cycle annuel (sites secs d’hivernage et de maturation des femelles, zones humides en mosaïque et lisières pour la chasse, micro-habitats de ponte). Afin de développer le réseau de milieux favorables aux alentours et reconnecter les noyaux de populations, une cinquantaine de mares, de formes et dimensions variées, ont été récemment créées dans les réserves proches de la Vallée de l’Hermeton et d’Al Florée. Pour en savoir plus : www.natagora.be/36 Amphibiens et reptiles de Wallonie – Jacob et al. (2007) – AvesRaînne et CRNFB – 25 € Threatened Amphibians of the World – Stuart et al. (2008) – Lynx Edicions – 96,80 € Ces ouvrages sont disponibles à la Boutique verte de Natagora (voir couverture arrière). Thierry Kinet natagora 13