Sociologie de l`action collective Cours de Bachelor
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Sociologie de l`action collective Cours de Bachelor
Sociologie de l’action collective Cours de Bachelor Bertrand Oberson Résumé du cours no 4 Les premières théories de l'action collective : les théories de la convergence Rejetant le paradigme épidémiologique qui ne tient pas compte des conditions et cadres sociaux de l'action collective (la contagion est par nature aveugle), les théories de la convergence recherchent les causes de la mobilisation dans les tensions nourries d'expériences et de situations identiques. On se dégage de l'explication " policière " du rôle déterminant du meneur pour rendre compte de l'entrée des individus dans l'action collective, par l'étude d'une situation pathogène. La notion de frustration relative est au cœur de ce courant d'analyse. Comment explique-t-on la prise de conscience de l'intérêt commun? Le fait d'être semblables ne signifie pas que l'on ait conscience de l'être. Cf. Karl Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, décalage entre la classe en soi et la classe pour soi, ex. des paysans français = patates dans un sac. " Les paysans parcellaires constituent une masse énorme dont les membres vivent tous dans la même situation, mais sans être unis les uns aux autres par des rapports variés. Leur mode de production les isole les uns des autres, au lieu de les amener à des relations réciproques. (…) C'est pourquoi ils sont incapables de défendre leurs intérêts de classe en leur propre nom."1 la thèse de la frustration relative: L'approche retenue est psychosociologique. La théorie de la privation relative peut guider l’analyse de la motivation des gens à participer à des mouvements de revendication ou à certains mouvements sociaux. Celle-ci se base sur trois 1 MARX K., Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Les Éditions sociales, Collection Classiques du marxisme, 1969 (1852), Traduction française à partir de la 3e édition allemande. Une édition numérique de Claude Ovtcharenko : BO / SA 2009, Sociologie de l’action collective 1 principes fondamentaux : un sentiment de mécontentement, d’injustice ou de frustration (1), des comparaisons sociales (2) qui prédisposent les individus à la révolte (3). Pour les tenants de cette théorie, les gens protestent et/ou se rebellent non pas parce qu’ils sont objectivement privés ou démunis, mais parce qu’ils se sentent privés ou démunis relativement à d’autres personnes, groupes ou situations avec lesquels ils se comparent. Ted Gurr2 part de la notion de frustration relative. Celle-ci désigne un état de tension, une satisfaction attendue et refusée, génératrice d'un potentiel de mécontentement et de violence. La frustration peut se définir comme un niveau de revenus, une position hiérarchique, mais aussi des éléments immatériels comme la reconnaissance ou le prestige –qu'un individu détient à un moment donné et celles qu'il se considère en droit d'attendre de sa condition et de sa société. Si elle se traduit par des affects de dépit, de colère, d'insatisfaction, la frustration est ici un fait social. Elle est relative parce que tributaire d'une logique de la comparaison. Trois scénarios de production de la frustration fort N i v e a u d e v a l e u r faible Frustration Niveau de satisfaction effective des attentes écoulement du temps http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/18_brumaine_louis_bonaparte/18_brumaine.html 2 GURR T., Why men Rebel, Pinceton, Princeton University Press, 1970. BO / SA 2009, Sociologie de l’action collective 2 Ce graphique emprunte à Ted Gurr la représentation du processus le plus aigu de production sociale d'un potentiel de frustration, celui de la frustration progressive. Les attentes en matière d'accès à la distribution des ressources sociales s'élèvent tandis que les valeurs disponibles baissent de façon sensible. Ce mouvement de ciseaux engendre aussi un grand potentiel de mobilisation. 2) la thèse de la fausse conscience Thèse à connotation marxiste. Le développement des forces productives amène à des contradictions structurelles: - Ce qui crée du profit, c'est l'exploitation de la main d'œuvre et pour augmenter encore les profits, on remplace la main d'œuvre par des machines. - Pour gagner en productivité, il faut exploiter toujours plus les ouvriers : regroupement de la main d'œuvre, augmentation des exigences en qualifications sans augmentation de salaire. Pourtant, selon Karl Marx, quoiqu'il y ait objectivement exploitation de l'ouvrier, il ne voit que son intérêt personnel et reste à disposition du patron. Il parle à ce sujet de fausse conscience. Pour Karl Marx, progressivement, cette fausse conscience se lève lorsque les contradictions structurelles deviennent trop fortes. Le développement structurel participe à créer des identités communes et faire prendre conscience aux ouvriers de leurs intérêts communs. Une classe en soi devient une classe pour soi : prise de conscience de ses intérêts. Pour Lénine, qui analyse la même situation, il faut un instrument pour faire émerger l'intérêt commun: l'intelligentsia. Application de la théorie de la frustration relative à la question de l’abus dans les politiques sociales contemporaines Ce qui semble intéressant avec la question de l’abus, c’est que les règlements ne seraient plus suffisants aujourd’hui pour opérer le tri entre les ayants-droit et les sans-droits. Au contraire même, certains règlements seraient trop « laxistes » en quelque sorte puisqu’ils abordent la question du risque à couvrir sans s’affronter à la difficile question du comportement qui pourrait expliquer la survenue du risque. Ce serait donc de plus en plus aux professionnels d’opérer des jugements face aux demandes quotidiennes en intégrant la question de la responsabilité individuelle. Il est question ici de montrer l’interpénétration croissante de l’État et des professions, alors que ces deux entités avaient souvent été dissociées au plan théorique en opposant un univers de l’élaboration des politiques publiques à un univers de la mise en BO / SA 2009, Sociologie de l’action collective 3 œuvre. Les agents de la fonction publique n’apparaissent plus confinés au domaine d’une production technique, dont les fins ultimes les dépasseraient, mais sont dépositaires d’enjeux politiques plus larges3. L’État social s’est construit autour d’une question très simple : « qui a droit à quoi ? » De tout temps, l’intervention étatique a dû être limitée, focalisée sur certaines populations, autour de certaines finalités. En fait, la question du tri entre les différentes demandes ou entre les bénéficiaires potentiels de l’intervention étatique a toujours été une préoccupation importante. La société a toujours eu un certain type d’attente à l’égard de ses pauvres, sur ce qu’ils sont et sur ce qu’ils doivent/devraient être, sur la manière dont ils se comportent et dont ils devraient se comporter. Dans le cas des pauvres, s’y fait jour, bien plus que pour d’autres catégories sociales, une dimension morale particulièrement forte4. En ce sens, la question de l’abus doit être entendue comme un tri à effectuer entre les ayants-droit et les autres. Ce tri entre les bons et les mauvais pauvres a marqué l’évolution du travail social et cette question s’est ravivée depuis quelques années. L’abus est l’expression d’une crainte collective, la rhétorique de l’abus est toujours abordée sur le mode comparatif5. Ainsi, il n’est pas nécessaire de transgresser la loi pour parler d’abus, loin s’en faut du reste. Ce qui ressort de l’idée d’abus, c’est toujours une sorte de comparaison avec sa situation personnelle. « Je travaille, j’exerce une activité professionnelle difficile, à la limite je me fais invectiver régulièrement par des non-travailleurs qui au final ne s’en sortent pas si mal », c’est ce genre de ressentiments qui sont à l’origine de la question de l’abus, cela n’a donc rien à voir avec une transgression de la loi6. Dans le champ de la médecine, la question de l’abus est également une évidence : les comportements de dépendance que ce soit face à la drogue, à l’alcool ou à la fumée peuvent engendrer de graves problèmes médicaux, les jugements envers ces personnes et l’envie de les discriminer, quelque peu du moins, sont relativement courant dans le langage des médecins. Cette logique de tri s’invite de plus en plus dans les assurances sociales : doit-on par exemple indemniser de la même manière un accidenté du travail et un parapentiste, autre exemple, l’État doit-il prendre un charge des appuis scolaires à un enfant en difficulté alors que les parents n’offrent pas le soutien attendu 3 LE BIANIC TH. & VION A., Action publique et légitimités professionnelles, Paris, Éditions LGDJ, Série politique, Collection Droit et Société, 2008, p. 20. 4 FASSIN D., « Charité bien ordonnée. Principes de justice et pratiques de jugement dans l'attribution des aides d'urgence » in Revue française de sociologie, no 42-3, juillet-septembre 2001, pp. 437-475. 5 LEDUC S., « Les ressorts du ressentiment. L’appel aux contrôles des usagers, entrer illégitimité d’un droit social et évolutions du travail » in LINHART D., Pourquoi travaillons-nous ? Une approche sociologique de la subjectivité au travail, Ramonville Saint-Agne, Éditions Erès, Collection Clinique du travail, 2008, p. 108. 6 BONJOUR P. & CROVAZIER F., Repères déontologiques pour les acteurs sociaux, Le livre des avis du Comité national des avis déontologiques, Ramonville Saint-Agne, Éditions Erès, collection Connaissances de la diversité, 2008. BO / SA 2009, Sociologie de l’action collective 4 ou encore auraient scolarisé volontairement leur enfant dans une autre langue… ? Les exemples pourraient être multipliés à l’infini tant la science permet de peaufiner les classes de risque. L’intérêt n’est pas tant de pointer l’existence du sentiment qu’il faut absolument trier les différents bénéficiaires de l’action sociale, mais de mettre en lumière les différents processus qui opèrent pour aboutir à ce tri. Aussi, nous souhaitons affirmer que le sociologue doit nécessairement se pencher sur les mécanismes par lesquels les individus en viennent à fabriquer des interprétations et des représentations du monde social7. Il s’agit d’expliciter la dimension omniprésente de la comparaison du travailleur et du non-travailleur dans le discours sur l’action sociale, de la question des pratiques à risques, des choix de vie pour faciliter le tri dans le champ de la médecine. Très clairement les individus doivent subir les conséquences de ce dont ils sont responsables. Si la rhétorique du soupçon, de l’abus, donc du tri à opérer dans l’action publique, semble aujourd’hui une évidence tant pour les professionnels que pour les citoyens reste en suspens la question du comment en est-on arrivé là ? La crainte de l’abus semble provenir du sentiment que certaines personnes pourraient faire le choix explicite du non-travail, il ne s’agirait donc plus d’un risque mais d’un choix pour une partie de la population du moins. Ce choix, plus qu’être simplement « immoral » remet en question la souffrance de ceux qui travaillent et de ceux qui cherchent à travailler. C’est en ce sens que ce choix ne semble pas tolérable. Aujourd’hui, ce qui choque n’est pas tant la souffrance (au travail par exemple ou pour être beau et en pleine santé), c’est le choix de ne pas souffrir. Comment on est-on arrivé à tout lire à travers la question du choix plutôt que celle du risque ? S’attaquer à cette question semble d’un intérêt majeur pour comprendre l’action sociale contemporaine. Par exemple, le droit est-il toujours un outil essentiel dans l’action publique contemporaine ? 7 LEDUC S., « Les ressorts du ressentiment. L’appel aux contrôles des usagers, entrer illégitimité d’un droit social et évolutions du travail » in LINHART D., Pourquoi travaillons-nous ? Une approche sociologique de la subjectivité au travail, Ramonville Saint-Agne, Éditions Erès, Collection Clinique du travail, 2008, pp. 126-127. BO / SA 2009, Sociologie de l’action collective 5