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©www.pascale-fedinger.fr Pascale Fedinger -1- ©www.pascale-fedinger.fr Des chroniques et des hommes… Les chroniques du Yétibet sont nées de deux réflexions conjointes. Tout d’abord, celle que je mène autour de mon dico des mots valises, qui, de loin en loin, m’inspire de nouveaux termes. Ensuite le regard ahuri et chagrin que je pose sur les échanges souvent violents, les attaques ad hominem, que j’ai pu constater dans l’univers impitoyable de Médiapart. Au final, le Yétibet m’est devenu indispensable et je pense qu’il finira par s’enrichir. La chanson de geste du Yétibet a encore de beaux jours devant elle. Cela étant dit, parfois les textes sont totalement incompréhensibles si la lecture ne s’accompagne pas de celle du dico des mots valises. Il est là. -2- ©www.pascale-fedinger.fr Du Yétibet Le Yétibet était une région montagneuse, située dans l’Himalayack1, culminant à des altitudes où l’oxygène se raréfiait notablement. Alors qu’une nature logique l’aurait peuplé de petits êtres aux poumons atrophiés, voilà que ce royaume abritait des yétis, sorte de grands primates poilus, plutôt débonnaires et très occupés par leur vie sociale. La taille moyenne du yéti variait, en système métrique, entre 2,25 mètres et 3,88 mètres. En système yéti, on ne connaissait pas l’étalon, ce qui faisait écrire aux chroniqueurs locaux des descriptions curieuses : « il est grand comme l’arbre à salami abattu par la tempête de l’an 52 du règne de Yétibère », ou encore « la demoiselle peut effleurer le plafond de son yétivoli avec sa houppe nuptiale ». Ce pays, inconnu des hommes ou presque, comportait quatre régions : le Pourceaugnac, le Chevreaugnac, le Lapereaugnac et l’Arme-à-Gnac. Chacune de ces régions avait des caractéristiques sociologiques marquées. Le Pourceaugnac se consacrait essentiellement à l’élevage de zébulbes 2. La mission du Chevreaugnac consistait à ramasser les zébulots dans les rivières, à cultiver le brouissaioli3 et à fabriquer les farfeluths4. Le Lapereaugnac 1 Himalayack : Chaîne de montagnes pointues et pentues qui abrite le Yétibet. 2 Zébulbe : animal des montagnes, repéré pour la dernière fois au Yétibet. Ruminant laineux équipé d'une infinité d'excroissances rondes tout le long de l'échine. Se nourrit de tortulipes. Met préféré des Yétis et souvent sacrifié lors des grandes fêtes rituelles. 3 Broussaioli : Arbre à mayonnaise. Les morustiques préfèrent d'ailleurs les bottes de broussaioli aux bottes de foin. 4 Farfeluth : Instrument de musique atypique, à cordes et dont le nombre est compris entre 1 et 1253. La caisse de résonance est en bois, mais on connaît des farfeluths en zinc. On raconte que Stradivariusufruit mena des recherches avec des matériaux comme le coton ou le marbre. Il n'a pas laissé d'écrits sur ses découvertes éventuelles. Le farfeluth possède un manche au minimum. À partir de 8 manches, l'instrument devenant compliqué à jouer, on parle de farfeluths à plusieurs mains. Ce qui caractérise cet objet, c'est son inutilité dans un orchestre symphonique. En effet, quelle que soit la manière dont il est joué, -3- ©www.pascale-fedinger.fr s’occupait, quant à lui, de la construction en dur, yétipis5 et autres yétivolis6. L’Arme-à-Gnac était le siège du pouvoir, l’administration centrale, le bric-à-brac de l’état. D’un point de vue historique, le Yétibet était une vieille civilisation, aussi vieille que le plissement herniaire qui avait créé les reliefs. Il n’avait pas toujours été un empire. Dans les temps d’avant l’histoire, de nombreuses escarmouches avaient opposé les yétis blanc-banal aux yétis blanc-rare, pour des raisons ethniques aussi vaseuses qu’idiotes. Le conseil des sages de l’an 483 après Yéthimus et Yétumulus7 mit fin à ces querelles. Il institua l’empire héréditaire doté d’une constitution parlementaire. Mais le gouvernement restait compliqué, voire complexe. Chacune des régions avait sa propre assemblée, votait ses lois, négociait ses échanges avec ses voisines. Le bien commun n’était jamais à l’ordre du jour, seuls les intérêts particuliers, les népotismes calculateurs motivaient les élus. En cela, le Yétibet était exceptionnel. Chacun sait que, sur le reste de la planète, ces travers des démocraties n’ont plus cours. Le Yétibet, isolé, ignorait que d’autres types de gouvernances étaient possibles. on n’est jamais certain de la note qui voudra bien s'envoler. Ce qui pose problème avec des partitions classiques. 5 Yétipi : espace aménagé dédié à la consommation partagée d’arnicalumets. 6 Yétivoli : Grotte aménagée pour les yétis qui ne vivent pas dans une ferme, afin de célébrer leurs mariages. Les yétis libidineufs et libidineuves installent souvent un coin yétivoli dans leur grotte personnelle. 7 Yéthimus et Yétumulus (vers -225/-175 av. JC) : Jumeaux à qui la légende attribue la création du Yétibet. Ils auraient lancé chacun une boule de neige du haut d'un pic perchés, qui, prenant du volume, se seraient violemment entrechoquées au bout de quelques heures de roulade. Il en aurait résulté un gigantesque nuage de poudreuse qui, en retombant, aurait délimité les frontières du pays. On suppose que la Mairiche du Yétibet est située à l'exact emplacement du point d'impact. -4- ©www.pascale-fedinger.fr Un empereur représentait le lien de la nation, mais à chaque décade yétibétaine, le peuple élisait un gouvernement qui remettait le pouvoir à un Présidense8. Évidemment, comme c’est l’usage, le Présidense abandonnait son nom de baptême pour un pseudonyme politique, et s’entourait de sa clique de moutontons9. Ainsi, quand Yétyran avait, enfin, après ruses et cajoleries, promesses et engagements, revêtu la ridiculotte du pouvoir, il avait pris le doux nom de Nictoplasme Razratis. Son action ayant été catastrophique pour le Yétibet, il avait dû laisser la place, chaude et fumante, à Yétidem qui se choisit le pseudonyme d’Anchois Morflande. D’ailleurs, Anchois était récurrent dans la généalogie des Présidences. Déjà, Yétinox, à l’affût, envisageait de devenir Anchois Mignon. Il se prévalait de son expérience de moutonton de Nictoplasme Razratis. Pour l’heure, Yétibère avait porté un projet de confédération des nations yétis, organisé les échanges au sein des territoires, mis en circulation une monnaie unique, le yétique, formalisé les règles de droit, de l’impôt, de l’éducation qui étaient censées être communes. Mais la nature du Yéti étant versatile, chacune des régions revendiquait une exception culturelle, des passe-droits, des avantages, qu’elle déniait aux autres. Si les yétis avaient connu l’Homme, ils se seraient sans doute inspirés de la douce bienveillance et de la collaboration inébranlable qui reliaient les nations humaines entre elles. Mais ils ne le connaissaient pas. À peine l’imaginaient-ils. Ils avaient parfois aperçu des petites choses hurlantes et terrifiées, portant d’immenses plaques tressées aux pieds, et qui détalaient à leur rencontre. Ils n’avaient pas compris qu’ils partageaient la terre avec une espèce vaguement cousine qui devait cuire sous 8 Présidense: Homme ou femme de pouvoir omnipotent qui occupe le devant de la scène avec un certain poids. 9 Moutonton : Oncle qui ne contrarie jamais personne - sens figuré : certains collaborateurs des Présidenses de la république sont surnommés "Les moutontons du Présidense"... -5- ©www.pascale-fedinger.fr le soleil des plaines. Et celles ou ceux qui évoquaient cette possibilité se faisaient traiter d’icônnards ou d’icônasses10. Pour faire bref, on était sous le règne de Yétibère ; sous la Présidense d’Anchois Morflande, et la parole était monopolisée par la secte des bordélégués11. 10 Icônnard, Icônasse : Lorsqu’un individu atteint au sublime quant à l’expression d’un regard particulièrement vide et d’une parole particulièrement creuse, qu’il faudrait élever un piédestal à ce vide, peindre un portrait de l’impétrant, alors, on peut le traiter d’icônnard ou d’icônasse (genré). 11 Bordélégué : Grande gueule dans une multinationale. Le même terme peut être utilisé, certes de manière un tantinet abusive, quand le bordélégué est un yéti. En général, ce sont les réunions de yétivolis qui tiennent lieu de multinationale. -6- ©www.pascale-fedinger.fr Où l’on rencontre Yétrissotine Le Yétibet12 est un petit pays caché aux yeux des hommes. Il abrite cependant une civilisation érudite et raffinée. Vue de la vallée, la grande montagne n’est qu’un immense désert de neige qui se peuple, quand la pente se fait douce, d’une forêt de conifères. Le monde des hommes et celui des yétis s’ignorent depuis le début de l’histoire. Ils ne se voient pas. Sauf dans des occasions très exceptionnelles… C’était en l’an de grâce 156 du règne du grand Yétibère13… Yétrissotine était une jeune donzelle au poil fourni, dont le blanc appartenait aux nuances rares. Elle était au service de l’Empereur Yétibère depuis qu’elle avait atteint sa majorité. Elle venait de fêter ses 55 ans et regardait l’avenir avec ce sourire niais qu’ont les jeunes yéties quand elles ont rencontré un légendre14. Yétrissotine était cependant une célibataire militante. Elle préférait se consacrer à ses recherches. Elle était chargée de l’humeur de l’Empereur. Et ce n’était pas une mince affaire que de s’occuper des émois et moiteurs du Yéti suprême. Elle avait obtenu son doctorat de Pragmatique en Problématique et était une des rares personnes habilitée et habile à résoudre n’importe quel problème. Elle adorait son boulot, lui consacrant presque tout son temps. 12 Yétibet : Pays montagneux où vivent les yétis. 13 Yétibère (1710-1980) : Dernier empereur yéti dont l'action pour la libération de la femelle a été déterminante. C'est lui qui, entre autres mesures, a interdit la main aux fesses lors des congratulations du matin. 14 Légendre : Le légendre est au prince charmant, ce qu'une belle-mère discrète, compréhensive et généreuse est à un jeune couple, extrêmement rare. Toutes les femelles yétis rêvent de voir leur fille épouser un légendre. -7- ©www.pascale-fedinger.fr En dehors de son service, elle avait une autre passion : l’écriture. Elle passait de longues heures à rédiger la geste du Yétibet, piquant çà et là son récit de considérations personnelles. Et elle tenait un blog sur le Yétiweb15. Elle entretenait des relations agréables et conviviales avec nombre de ses congénères qui, comme elles, utilisaient l’outil de communication à des fins d’échanges. Mais elle avait eu le malheur, au cours de ses pérégrinations filaires, de se heurter à quelques importuns, des aristocrabes16 atrabilaires. Et ces goujats, plutôt que de lui laisser vivre ses petits délires bien inoffensifs, la poursuivaient de leur hargne pathologique. Parmi eux, il y avait… … Yétivan, le poète officiel de la cour, maudit, qui œuvrait sous un pseudonyme au FLY, le Front de Libération du Yétibet. Quasiment schizophrène, puisqu’il lui fallait, dans la même heure écrire un hymne au souverain, et torcher un pamphlet révolutionnaire. … Yétipote, un bougon reconverti, pas vraiment méchant, mais pas vraiment malin non plus. Yétipote appartenait à la secte des Antisceptiques17. … Yétarte, le « qui sait tout de service », mais qui, en fait, passait son temps à recopier les textes des autres, se donnant de la référence comme les vierges se donnent de la pudeur. … Yétilait, le bouffon de Yétibère, que l’obligation de faire rire le bonhomme avait fini par remplir d’amertume et d’aigreur. Il jouait admirablement du farfeluth18. 15 Yétiweb : réseau filaire qui permet aux yétis de communiquer en tout lieu du Yétibet. Il emploie de nombreux membres qui répètent dans un cornet acoustique toutes les nouvelles ou textes qui leur sont soumis. 16 Aristocrabe : Type d'individu appartenant à la vieille noblesse et qui longe les murs pour le faire oublier. 17 Antisceptique : Un antisceptique croit que ceux qui croient qu'il ne faut pas croire, ou croire en rien ni en personne, ne sont que des incroyants... -8- ©www.pascale-fedinger.fr … Et enfin, il y avait Yétipatique, le journaliste, pétri d’arrogance, bien que doté d’un immense talent. Il troussait ses articles comme on trousse la walkirigole 19. Il se piquait de pédagogie, alors qu’il donnait plutôt la « question », au sens médiéval. Et sa pédagogie, la plupart des yétis pensaient par devers eux, qu’il pouvait la traiter comme on traite un suppositoire. Au moment où commence cette histoire, Yétrissotine venait de vivre sa première querelle avec ses détracteurs. Elle n’était pas dupe, cette querelle n’était qu’une escarmouche ridicule, dans laquelle elle avait, aussi, une part de responsabilité. Mais comme c’était une yétie bien élevée, elle avait lâché, pensant que chacun aurait tout à gagner à vivre sa vie de yéti sans trop se préoccuper des autres. Quel était l’intérêt de se harceler alors que l’espace était suffisamment vaste pour une cohabitation pacifique ? Manifestement, le pléthoriquet20 ne voyait pas les choses ainsi. Le pléthoriquet souffrait de manque d’humour pathologique, ce qui le rendait souvent hargneux. Yétrissotine avait, de plus, la lourde charge de préparer le bain impérial. Il faut savoir que, chez les yétis, la température de l’eau est un drame. Ils ne savent se laver que dans la glace ou dans l’eau bouillante. L’eau tiède est un inaccompli, pour eux. 18 Farfeluth : Instrument de musique atypique, à cordes et dont le nombre est compris entre 1 et 1253. La caisse de résonance est en bois, mais on connaît des farfeluths en zinc. On raconte que Stradivariusufruit mena des recherches avec des matériaux comme le coton ou le marbre. Il n'a pas laissé d'écrits sur ses découvertes éventuelles. Le farfeluth possède un manche au minimum. A partir de 8 manches, l'instrument devenant compliqué à jouer, on parle de farfeluths à plusieurs mains. Ce qui caractérise cet objet, c'est son inutilité dans un orchestre symphonique. En effet, quelle que soit la manière dont il est joué, on n’est jamais certain de la note qui voudra bien s'envoler. Ce qui pose problème avec des partitions classiques. 19 Walkirigole : Personnage mythique de la chanson de geste yéti. La Walkirigole est une sorte de sorcière enrobée, qui condamne les époux infidèles à dépérire. 20 Pléthoriquet (à la houppe) : Groupe d'individus qui, bien qu'affichant sinon de la laideur, du moins un physique ingrat, n'en demeurent pas moins des princes. Certains sont roux. Gr. : attention, l'expression "un groupe de pléthoriquets" est un pléonasme. -9- ©www.pascale-fedinger.fr Alors qu’elle polémiquait avec Yétipote tout en s’affairant à sa tâche, le malotru lui lança, d’un air rogue : « Ma pauvre Yétrissotine, vous êtes incapable d’inventer l’eau chaude ». Il ignorait, le bougre, qu’elle se débattait avec la baignoire du palais. Au point que son pelage en faisait des tresses. Mais là où n’importe quel yéti se serait réfugié à la cervelatrine 21 la plus proche, Yétrissotine retint son souffle… elle avait trouvé. Grâce à l’aiguillon mesquin planté par Yétipote dans le flanc de la donzelle, elle imagina… le fil à couper le foie gras d’oie. Il faudrait attendre encore quelques décennies avant qu’elle ne pense à inventer le fil à couper le foie gras de canard. 21 Cervelatrine : Lieu d'aisance où se vider la tête. Certains yétis libidineufs s'enferment régulièrement dans les cervelatrines. -10- ©www.pascale-fedinger.fr Inauguration au Yétibet Yétoile était l’artiste, la commerçante, la touche à tout du Yétibet. Elle avait obtenu un doctorat es Expérimentation Économiques et Politiques. Elle souffrait d’armorsure22 chronique, et nul ne pouvait dire à quoi était due cette affection. D’aucuns affirmaient qu’elle ne savait pas se situer dans le paysage politique yétibétain, et que sa mine amertuméfiée23 était liée à ses doutes perpétuels. Le paysage yétibétain était assez particulier et plutôt singulier quant à son fonctionnement. Deux partis s’affrontaient, au-dessus desquels l’empereur arbitrait et trônait. Il y avait le parti des pisse-droit et le parti des pisse-gauche. Les noms gardaient trace de l’époque où la femelle était exclue des débats, du moins c’est ce que croyait le commun des yétis. La vulgate attribuait, à tort, à des particularités anatomiques ces appellations. En fait, mais on l’avait oublié, cela venait du moment lointain où ces partis s’étaient constitués par un choix d’allégeance à l’un des deux jumeaux, pères de la nation: Yéthimus et Yétumulus24. Ce choix faisait référence à la trajectoire empruntée par chacune des boules de neige fondatrices. Les pisse-droit siégeaient à gauche et les 22 Amorsure : Sentiment particulier qui laisse des traces profondes, et parfois, de douloureuses cicatrices. 23 Amertuméfié (e) - Amertuméfaction : Se dit d'un visage ou d'une expression si douloureuse, si triste, si pleine de désespoir et de déception que les yeux gonflent, les lèvres tremblotent, le front se plisse irrémédiablement, les joues s'affaissent et le menton se met à fuir. Nul ne sait les raisons qui font que certaines personnes déclenchent une crise d'amertuméfaction. Aux dires des scientifiques qui se penchent sur la question, le fait de vivre une ugnon pourrait accélérer l'apparition de la crise. Il paraît que Laurence d'Arabibine, sur la fin de sa vie, avait la mine amertuméfiée. Sans doute l'abus d'apéros gourgandinatoires. 24 Yéthimus et Yétumulus (vers -225/-175 av. JC) : Jumeaux à qui la légende attribue la création du Yétibet. Ils auraient lancé chacun une boule de neige du haut d'un pic perchés, qui, prenant du volume, se seraient violemment entrechoquées au bout de quelques heures de roulade. Il en aurait résulté un gigantesque nuage de poudreuse qui, en retombant, aurait délimité les frontières du pays. On suppose que la Mairiche du Yétibet est située à l'exact emplacement du point d'impact. -11- ©www.pascale-fedinger.fr pisse-gauche à droite de l’assemblée des pairs yétibétains. L’appartenance à l’un des deux partis ne devait rien à la raison, mais tout au hasard. En effet, quand un yéti atteignait l’âge de raison, très exactement le jour de son 42ème anniversaire, il devait passer au panier à deux boules. Et tirer celle qui déterminerait jusqu’à sa fin son appartenance politique. La boule bleue intimait l’ordre de rejoindre les pisse-gauche, la boule rouge celui de militer chez les pisse-droit. Bref, c’était complexe. Et Yétoile, n’y trouvant pas son compte, aurait préféré tirer une boule blanche qui l’aurait libérée d’une quelconque obédience. Sauf que la boule blanche n’existait pas. Le système aurait été vu comme contestable, côté planète des humains, mais il avait l’avantage de ne pas alimenter d’interminables débats sur la légitimité des votes. L’adoption des lois et autres évolutions de la société ne devait rien à la discussion, mais tout à la démographie et au tirage. Yétoile, partagée et insatisfaite, avait rejoint une société secrète : « Les adorateurs de la Bourrique Céleste », où elle était d’ailleurs la seule courtisane, puisqu’elle en était la créatrice. Et sa mission, auprès du grand Yétibère25, consistait à animer les activités artistiques, culturelles, mais non dépourvues de but mercantiles, du royaume. Et ce jour-là, Yétoile attendait, fébrile, l’heure de l’inauguration de son exposition baptisée « Indignations à rendre ou à casser : un concept, des produits ». Attentive au monde, elle savait, en humant l’air du temps, coller à l’actualité, créer ces objets qui distrairaient ou feraient réfléchir. Elle avait dressé un buffet coloré, où, onctueuses, les cinq crèmes26 de la gastronomie 25 Yétibère (1710-1980) : Dernier empereur yéti dont l'action pour la libération de la femelle a été déterminante. C'est lui qui, entre autres mesures, a interdit la main aux fesses lors des congratulations du matin. 26 Crèmasculée : Première des cinq sortes de crème qui sont confectionnées au Yétibet. Chacune des crèmes a des fonctions festives et conviviales très particulières. Toutes les préparations sont à base de lait de zébulbe. Il s’agit de fouetter la crème sans le moindre arrêt durant une bonne dizaine d’heures. Le yéti est solide et constant, mais quand même ! Souvent, quand sont lancées des cuisines de crèmes, les familles s’organisent afin de se relayer. Le seul yéti -12- ©www.pascale-fedinger.fr yétibétaine, voisinaient avec la liqueurdelion27. On était à une heure du discours de l’empereur, et, festondue28 de frais, elle pouvait enfin s’interroger sur sa nouvelle proposition, autant que visiter ses souvenirs. Certaines de ses créations avaient fait un flop, d’autres avaient été de réels succès. Et, parmi ses œuvres, au moins deux lui revenaient souvent en mémoire… … « Les petits crédits », qui ne rencontrèrent, à prix initial, qu’un succès d’estime. C’est quand elle les avait soldés qu’elle put vider son arrière-boutique pour faire de la place à de nouveaux produits. … « Les indulgences », qui elles, s’épuisèrent en quelques semaines. Elle avait ouï dire que les humains (encore que l’existence des humains était sujette à discussion) avaient récupéré le concept dans un temps pas si ancien que ça. Et à force d’entendre râler le peuple yéti, elle avait décidé de se pencher sur la question de l’indignation. Il y avait… connu qui bricolait dans son coin ses crèmes, sans demander de l’aide, était le Chef Yétilote. Mais le fait est contesté par les yétistoriens. La crémasculée est constituée de la préparation de base, agrémentée de férociboulette ou de tortulipe selon la saison. Son effet est assez curieux puisqu’elle transforme les ténors yétis en haute-contre pendant 24 heures, qui atteignent au sublime contre-ut. Certains chanteurs d’opérapiat mangent de la crémasculée pour tenir la note. (voir également : créméchée, crémincée, crémolliente et crémoustillée) 27 Liqueurdelion : Messieurs, si vous voulez que votre amoureuse vous prenne pour un preux chevalier, offrez-lui une petite liqueurdelion ! 28 Festondre : Façon de couper les poils, très à la mode chez les yétis, qui consiste, à l'aide d'une festondeuse, à cranter délicatement, en vagues ondulées, les différents niveaux de poils. L'art de la festonsure a vu son apogée sous Yétibère, lui-même prenant grand soin d'avoir toujours le pli fait et l'arrondi harmonieux -13- ©www.pascale-fedinger.fr … L’indignation révoltée qui s’agitait dès que paraissait une nouvelle, entrainant rumeurs et peurs, qui, quand on l’ouvrait, braillait jusqu’à ce qu’on la referme ce slogan bien curieux et souvent incompris : « No caravane »… … L’indignation larmoyante qui arrosait celui ou celle qui prendrait le risque d’ouvrir le cœur en sucre dans lequel elle était enclose. … L’indignation vertueuse, dont le paquetage affichait une vierge en majesté, adoratrice de la Bourrique céleste, et qui faisait de sa pureté la seule voie possible. Quand on l’ouvrait, on entendait une berceuse acidulée qui susurrait : « La jouiscivette29 est une brouette à mâles ! ». Pour sûr, les militantes de la cause femelle allaient s’irriter, ne saisissant pas la caricature ! Savoir si elles trouveraient, parmi toutes les propositions de Yétoile, de quoi nourrir leur ire… … Mais il y avait une indignation qui ne serait jamais vendue… Elle était mignonne pourtant, joliment emballée avec un ruban aux couleurs de l’arc-enciel. Elle s’appelait « Je découvre que je contribue à tout ce qui m’indigne ». 29 Jouiscivette : Certains yétis, les femelles plus exactement, seraient parfois, au moment de l'extase sexuelle, débordantes et dégoulinantes d'une substance particulièrement odorante. Les mâles les appellent alors des jouiscivettes. À noter que les parfumeurs paieraient une fortune pour capturer une jouiscivette et que l'empereur Yétibère était friand de ce type de femelles. Il faut croire que cette spectaculaire explosion de plaisir enivre les yétis mâles. -14- ©www.pascale-fedinger.fr Yétipote, chanteur d’opérapiat Yétpote était un membre de la secte des antisceptiques. Il militait pour l’arrêt de la célébration des grands ancêtres. Il fustigeait, notamment sur le yétiweb, toute sorte d’hommage ou de considération respectueuse. Il aurait voulu un Yétibet révolutionnaire, où il aurait été obligatoire de se teindre la toison en blanc banal afin de faire disparaître les marques discriminatoires liées à l’origine du pelage. Il œuvrait pour que la ridiculotte30 supplante la culottarie31. D’ailleurs, sa devise préférée était : « Oui à l’égalité ! Oui à la ridiculotte ! ». Il parsemait ledit crédo sur les façades des palimpsestaminets32 avec une obstination frisant l’obsession. Et ce jour-là, Yétipote faisait une crise de cocutanévrose33. Cette maladie étant d’origine psychosomatique et caractérisée par des plaques rosées qui parsèment la pilosité, Yétipote n’osait plus sortir de chez lui. Il avait à régler la névrose sous-jacente, dont il ignorait l’origine, mais qui selon ses camarades de secte, était probablement due à un investissement intempestif dans un honorable combat. 30 Ridiculotte : Sorte de pantalon bouffant que porte les yétis quand ils veulent parader ou encore quand ils sont pris d’accès de pudeur. Ce sont plutôt les mâles qui adoptent cet accoutrement. Le summum de l’élégance, pour un couple, c’est monsieur en ridiculotte et madame en culottarie. 31 Culottarie : dessous des femelles yétis particulièrement expansif, noir et glissant, voire visqueux pour les modèles de luxe. 32 Palimpsestaminet : Sorte de saharade qui est régulièrement tagué. Les tagueurs grattent les précédentes créations pour créer des surfaces vierges afin d’exprimer à nouveau leur créativité. Compte tenu des conditions climatiques du Yétibet, c’est sur son territoire qu’on repère le plus de palimsestaminets. 33 Cutanévrose : Trace matérielle de l'existence d'une névrose. En général, il s'agit d'éruptions rosâtres, urticantes, disséminées selon la nature de la névrose. Parfois, l'éruption est cocutanée. -15- ©www.pascale-fedinger.fr Chez les Yétis, tout le monde le sait, l’automédication est la règle. C’est pourquoi le garçon décida qu’il soignerait sa crise à la crèmasculée34. Il ignorait qu’il était devenu allergique au lait de zébulbe35, parce qu’il avait été victime d’une attaque d’arrimagie36 orchestrée par un congénère jaloux de sa crédibilité politique. Lequel congénère tenta de faire porter le chapeau à Yétrissotine. Il commanda un quintal de crèmasculée chez le pâtissier le plus proche de chez lui, et engloutit consciencieusement l’entremet. C’est au quatre-vingt-dixhuitième kilo que l’allergie se manifesta. Il se mit à chanter à tue-tête l’air le plus connu de l’opérapiat37 « Le Minuscule des Vieux » de Wargnerdeboeuf. Il fallait 34 Crèmasculée : Première des cinq sortes de crème qui sont confectionnées au Yétibet. Chacune des crèmes a des fonctions festives et conviviales très particulières. Toutes les préparations sont à base de lait de zébulbe. Il s’agit de fouetter la crème sans le moindre arrêt durant une bonne dizaine d’heures. Le yéti est solide et constant, mais quand même ! Souvent, quand sont lancées des cuisines de crèmes, les familles s’organisent afin de se relayer. Le seul yéti connu qui bricolait dans son coin ses crèmes, sans demander de l’aide, était le Chef Yétilote. Mais le fait est contesté par les yétistoriens. La crémasculée est constituée de la préparation de base, agrémentée de férociboulette ou de tortulipe selon la saison. Son effet est assez curieux puisqu’elle transforme les ténors yétis en haute-contre pendant 24 heures, qui atteignent au sublime contre-ut. Certains chanteurs d’opérapiat mangent de la crémasculée pour tenir la note. 35 Zébulbe : animal des montagnes, repéré pour la dernière fois au Yétibet. Ruminant laineux équipé d'une infinité d'excroissances rondes tout le long de l'échine. Se nourrit de tortulipes. Met préféré des Yétis et souvent sacrifié lors des grandes fêtes rituelles. 36 Arrimagie : Sort qui se colle à vous avec une hargne frisant l’agressivité. Ce type de sort est en général lancé à la demande d’un tiers qui a un compte à régler avec la victime. Seuls les harrimages sont compétents pour organiser leur mise en œuvre. L’orthographe atypique de « harrimage » est liée au fait qu’il existe un homophone (même prononciation) dans une langue latine, dont le sens est totalement différent… quoique. 37 Opérapiat : type de spectacle particulièrement ennuyeux. En effet, un seul chanteur est chargé de jouer tous les rôles, qu’ils soient féminins, masculins ou neutres. Du coup, la tessiture de l’artiste étant en général peu étendue, le public ne comprend pas l’histoire. D’autant qu’un opérapiat est souvent écrit dans une langue incompréhensible, sur la base d’un livret stupide. Wagnerdeboeuf s’est risqué à composer quelques opérapiats ayant pour thème les légendes que se racontent les yétis à la veillée. Sont particulièrement connus, mais rarement joués : « Distant et Les Soldes » ou encore « Le Minuscule des Vieux ». Tous -16- ©www.pascale-fedinger.fr une tessiture de soprano pour venir à bout de l’épreuve. Et Yétipote, qui n’avait jusque-là jamais pu sortir que quelques borborygmes vaguement mélodieux, s’entendit venir à bout de la partition avec une rare maîtrise, réussissant même à pousser le contre-ut qui occasionnait parfois aux artistes lyriques un pilosilence38. C’était l’allergie qui exaltait les effets de la crèmasculée. Jusquelà, Yétipote, même sous overdose de crèmasculée, arrivait à peine à massacrer un vieille berceuse traditionnelle : « Tiens, voilà du boudingue39 ! ». Yétipote crut que ses incantations secrètes à la constellation de la Bourrique Céleste avaient été entendues. En effet, jamais il n’aurait avoué à ses copains de secte qu’il priait au moment du coucher, afin d’être comblé d’un don d’artiste. Et ouiiiiii ! Yétipote aurait voulu être un artiiiiiiste ! Était-ce la raison de sa hargne sur le yétiweb ? Bravant sa crise de cocutanévrose et ses symptômes rosissant, il se piqua de défier Yétiporphyre en duel d’opérapiat. Il le darda, le chercha, le taquina jusqu’à ce qu’il le trouvât. Au Yétibet, il y avait des clans, des contre-clans, des anti-clans, des pro-clans, des sur-clans et des clans-peints. Un des clans était celui des « Gratte-moi le neurone », composé de Yétiporphyre, Yétibig et acolytes, sous l’œil bienveillant de la constellation de la Bourrique Céleste. Yétipote aurait tant voulu gagner leur amitié ainsi que leur approbation ! Mais il aurait mangé sa ridiculotte plutôt que de l’avouer. C’est pourquoi il défia Yétiporphyre en duel d’opérapiat dont ce les opérapiats ont en commun une mise en scène appauvrie, un orchestre réduit à sa plus simple expression, ils sont donc peu coûteux à mettre en œuvre. 38 Pilosilence : Attaque sourde et muette d'un cheveu sur la langue. 39 Boudingue : Préparation traditionnelle yétibétaine à base de sang de zébulbe. Souvent servi lors des commémorations rituelles, accompagné de blinibards. L’effet du boudingue sur les yétis est fulgurant : ils se lancent dans des carmagnôles effrénées. Le plat est si ancien qu’une des berceuses du royaume, souvent fredonnée par les mamans, s’appelle « Tiens, voilà du boudingue ! ». -17- ©www.pascale-fedinger.fr dernier était l’un des virtuoses du royaume. Ils se donnèrent rendez-vous au yétipi40 dit « du creux de la glotte ». Nul ne sut jamais ce qui se passa lors de ce duel, on entendit bien quelquesunes des répliques les plus connues de l’opérapiat… -« Cyrano de Verge en Vrac ! » -« Chiant comme une case à nova ! » -« Putride écervelé !» -« Pustule éclatée ! » -« Palimpseste effacé ! » -« Euh ! C’est quoi un palimpseste ? » -« Pamplemousse desséché » Mais une chose est certaine, jamais plus Yétipote ne s’automédicamenta avec l’une des cinq crèmes traditionnelles de la gastronomie yétibétaine. 40 Yétipi : espace aménagé dédié à la consommation partagée d’arnicalumets. -18- ©www.pascale-fedinger.fr Quand Yétyrolienne yodelastiquait « Clans et sectes sont les deux truelles de la démocratie yétibétaine » - Virtoc Hugoret41, La Légende des Bègues, 1862, Éditions du Yétibet Les clans et les sectes s’organisaient autour de causes importantes et primordiales pour la vie du grand empire. Il y avait de ces organisations à peu près sur tous les sujets, y compris les plus anodins, comme celui de la « vraie recette de la galantinette42 » par exemple. Et depuis quelques années, un journal indépendant, Yet’Med, relayait, souvent avec pertinence, les errements de la vie politique yétibétaine. C’est d’ailleurs au sein de ce média que sévissait Yétipatique, qui, compte tenu de sa position polémique, drainait, accrochée à sa ridiculotte43, une cohorte d’adulateurs ou de détracteurs. Yet’Med publiait sur le Yétiweb44. Depuis peu Yétyrolienne se produisait dans les colonnes de l’auguste journal. Elle se produisait, certes, mais n’argumentait que rarement. Son chuchotement 41 Hugoret Virtoc (1698-1895) : Ecrivain Yéti majeur. Fondateur de la littérature classique et romantique du 19ème siècle. On lui doit la plupart des grandes épopées lyriques et poétiques retraçant l'histoire du Yétibet et la mémoire des grands rois ou empereurs qui régnèrent. Œuvres principales : La Légende des Bègues, Notre Lame de Rami, Truie Naze. 42 Galantinette : Pâté de volailles qui ont été élevées à proximité des latrines. Ne pas confondre avec la cervelatrine. Mais il est toujours possible de déguster de la galantinette dans une cervelatrine. D'ailleurs, les yétis libidineufs lorsqu'ils veulent se vider la tête aux cervelatrines, se munissent souvent de galantinette car, parfois, l'opération prend un temps certain (ça dépend du yéti). 43 Ridiculotte : Sorte de pantalon bouffant que porte les yétis quand ils veulent parader ou encore quand ils sont pris d’accès de pudeur. Ce sont plutôt les mâles qui adoptent cet accoutrement. Le summum de l’élégance, pour un couple, c’est monsieur en ridiculotte et madame en culottarie. 44 Yétiweb : réseau filaire qui permet aux yétis de communiquer en tout lieu du Yétibet. Il emploie de nombreux membres qui répètent dans un cornet acoustique toutes les nouvelles ou textes qui leur sont soumis. -19- ©www.pascale-fedinger.fr se résumait à lâcher de l’insulte comme d’autres des rôts après un apéro gourgandinatoire45. Son langage fleurissait autour d’expressions imagées qui ressemblaient à « Khouille46 de zébulbe47 ! », ou encore à « Galantinette de Cervelatrine48 ! ». En soi, elle ne se démarquait pas d’un nombre certain de yétis qui pensaient que conchier la personne valait pensée politique. Sur n’importe quel média un tantinet cohérent, elle n’aurait pas pu s’étaler au-delà de quelques éructations. Mais les modératocancaniers49 chargés d’assurer la correction des débats sur Yet’Med se foutaient éperdument de leur boulot. Ils n’avaient de préoccupation que de contribuer, eux-mêmes et anonymement, aux pugilats, escarmouches et prises de bec… sous le regard navrés de tous les abonnés appréciant le canard et souhaitant trouver un espace d’échange. Yétyrolienne avait une personnalité assez curieuse. Une structure de personnalité s’établit autour de tendances névrotiques, il y a donc des bases paranoïdes ou schizophrènes et autres joyeusetés dans chaque yéti (cf le grand psychanalyste Yétijeune50). Yétyrolienne, elle, souffrait de yétimanie51. 45 Gourgandinatoire : Sorte d'apéritif réservé aux messieurs et destiné à nourrir autant leur estomac que leur libido. "Un apéro gourgandinatoire". 46 Khouille : Glande de l’agressivité chez les yétis. Elles sont au nombre de deux, situées à la base du cou et de couleur noire, comme le charbon. On parle usuellement d’une paire de khouilles. Ce mot est utilisé dans nombre d’expressions, qu’elles soient amicales ou encore insultantes : « Khouille de zébulbe ! » ; « Tu es ma petite khouille préférée : ». 47 Zébulbe : animal des montagnes, repéré pour la dernière fois au Yétibet. Ruminant laineux équipé d'une infinité d'excroissances rondes tout le long de l'échine. Se nourrit de tortulipes. Met préféré des Yétis et souvent sacrifié lors des grandes fêtes rituelles. 48 Cervelatrine : Lieu d'aisance où se vider la tête. Certains yétis libidineufs s'enferment régulièrement dans les cervelatrines. 49 Modératocancanier (f. modératocancanière) : Participant au Yétiweb qui est chargé de faire le tri entre la férociboulette et l’amouron. Ils sont en général anonymes, et ne foutent strictement rien vu que rien n’est interdit. 50 Yétijeune (1725-2001) : Psychanalyste Yéti, théoricien de la structure de la personnalité. N’appartient à aucune école connue. Il a notamment décrit une -20- ©www.pascale-fedinger.fr Cela aurait pu être drôle ou sympathique si la demoiselle yéti n’avait pas décidé de venir nourrir son ego au fil des colonnes de Yet’Med. Elle yodelastiquait 52 à longueur de temps. Elle yodelastiquait tant qu’elle n’était plus qu’une somatisation de vulgairpès53 sur pattes. C’était triste. Et voilà qu’un jour, elle s’en prit à quidam au hasard, lequel ne s’en laissa pas compter et décida de réagir, ne voyant pas pourquoi il encaisserait, muet, les horreurs que la demoiselle déversait sur son compte. Mais on n’est jamais à égalité avec des êtres qui ne se donnent pas de limites et qui, campés sur l’absolue certitude de la légitimité de leurs propos, inconscients de leurs failles, vont jusqu’à la haine pour calmer leurs angoisses. La crise de yétimanie était, en ce temps-là, si virulente, qu’elle (Yétyrolienne) traquait sa victime, d’article en article, pour gueuler l’obsession imaginée que lui portait le monsieur. Elle en était pathétique. Et quelques un s’émurent du silence complice des modératocananiers. Pour sa part, Yétyrolienne ne risquait pas d’être contestée dans son espace personnel, elle n’écrivait rien d’intéressant, tabassait virtuellement tout contradicteur avec la verve d’un névrose désormais bien connue, qui, quand elle verse dans la psychose se manifeste de manière ubuesque : la yétimanie. 51 Yétimanie : Maladie de type névrotique, voire psychotique, qui fait accroire à un yéti que tout mâle ou femelle passant à ses côtés, croisant ses effluves musqués ou son verbiage fleuri, se prend automatiquement d’intérêt pour lui ou elle. Et que cet intérêt verse rapidement dans l’obsession. 52 Yodelastiquer : Chanter, tout en gloussant et en proférant des insultes grasses. Un des symptômes du vulgairpès, mais ce n’est pas le seul. 53 Vulgairpès : Tic de langage, un peu à la « Syndrome Gilles de la Tourette », mais chez les yétis. Maladie invalidante et contagieuse qui s’accompagne d’insultes et de cloques poussant à chaque insulte. Non seulement le langage titube, mais en plus, il laisse des traces de sa vulgarité. On pense, dans les milieux éclairés que le mode de transmission serait viral, mais on n’a pas de certitude. L’attaque de vulgaipès peut-être unique, à intervalles longs ou encore permanente. Cette maladie se soigne par écoute massive de xanaxiomes ou homélivides, notamment ceux de Bossuaire. Maladie souvent associée à la névrose yétimanie. -21- ©www.pascale-fedinger.fr charretier, et fermait inéluctablement le lieu de l’expression de l’autre. Sa yétimanie s’accompagnait d’une visible lâcheté. Elle était capable, dans la même phrase, d’aligner une nombre incalculable de qualificatifs dont on pouvait se questionner quant à la légitimité médicale qui l’autorisait à porter une tel diagnostic sur son interlocuteur : « Passable, sans talent, petit, sans intérêt, transparent, dans l'ombre, violent, colérique, vulgaire, prétentieux, vaniteux, mégalomane rancunier, pervers, prédateur, lâche, peureux, sournois tricheur, pompeur, manipulateur, menteur, faux. ». Ou encore de traiter Yétrissotine de « suçeuse de réac » parce qu’elle avait témoigné du bien-fondé de la ire du quidam. Bref, un élégant dégueuli. Mais le plus ahurissant, c’est que Yétyrolienne se donnait des airs de militante de la cause femelle, et que, ce faisant, elle discréditait absolument toutes les dames qui, dans leur coin, gentiment ou fermement mais sans hargne, travaillaient à obtenir l’égalité entre yétis et yéties. Évidemment, il devint nécessaire, afin de faire cesser ces allégations diffamatoires, d’alerter la rédaction de Yet’Med. Laquelle rédaction ne trouva pas mieux que de tancer les deux interlocuteurs. Il s’agissait bien d’une « justice » facile et faignasse : ne pas lire et disputer tout le monde, mettre à pied d’égalité l’agresseur, Yétyrolienne, et l’agressé, le quidam. Mais, au-delà, cela revenait philosophiquement à considérer que les ceusses qui n’avaient aucun scrupule à couvrir d’ordures un yéti les contestant, gagneraient à chaque coup bas. Parce que l’autocensure n’était pas de leur monde, ils continueraient à s’épandre merdiquement, et que, pour conserver la possibilité de s’exprimer dans les colonnes de Yet’Med, il était intimé l’ordre de ne pas répondre. Ceux qui avaient à se lire insultés, devaient, en plus, se taire. Et ça militait pour l’égalité, la fraternité, la transparence ? Quelle mascarade ! Le monde yétibétain appartenait désormais à ceux que la nuance n’avait pas frappés au berceau. -22- ©www.pascale-fedinger.fr Bien entendu, toute ressemblance avec des personnes du monde humain ne serait que fortuite. Tout le monde sait bien que, sur le net, nul ne se conduit avec une violence telle que décrite dans cette histoire imaginaire… et que la police du web est justement faite sur tous les sites où peuvent contribuer des passants habituels ou occasionnels. Que personne, jamais, ne se comporte en malade mental ou ne traite les autres de malades mentaux… Quel dommage que le Yétibet ne connaisse pas la sérénité du monde des humains, où la toile sert à enrichir, partager, et œuvrer pour un monde meilleur ! Où l’on débat des propos et des actes, mais où, jamais, l’on n’agresse la personne. On peut avoir un mouvement d’humeur, qu’on peut réparer d’ailleurs… s’obstiner est une faute. -23-