Deux mondes différents? Donateurs musulmans et l`aide

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Deux mondes différents? Donateurs musulmans et l`aide
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Réforme humanitaire: une promesse réalisable?
RMF 29
Deux mondes différents? Donateurs
musulmans et l’aide internationale
par Mohammed R Kroessin
La contribution du monde musulman au secours et au
développement est souvent sous-estimée.
Les principes du don de charité et
de compassion, inscrits au cœur de
l’enseignement islamique à travers le
Coran et les traditions du prophète
Mahomet, garde toujours un poids
important. La redistribution des
richesses par le biais du don charitable
reste une obligation pour tous les
croyants musulmans. Le secteur du
secours et du développement islamique
est fort d’une vieille tradition de 1400
ans de redistribution des richesses par
la forme de zakat (aumône obligatoire),
la sadaqah (aumône volontaire) et
le waqf (donation publique), qui se
perpétuent encore aujourd’hui. Dans
de nombreux pays, les organisations
gouvernementales incluent le zakat
dans leur collection de taxes et un
grand nombre d’ONG prospère. Selon
le gouvernement d’Arabie Saoudite,
l’aide qu’il procure aux pays en voie
de développement, par le biais de
financements unilatéral et bilatéral,
le place parmi les plus généreux
donateurs au monde. Avec une aide
atteignant un montant de 4 milliards
de dollars à l’année, l’Arabie Saoudite
est le deuxième plus grand donateur
au monde après les Etats-Unis.
Toutefois ce flux de donations est
dirigé principalement vers le monde
musulman et géré par l’Organisation
de la conférence islamique (OCI)1,
basée à Jeddah, et sa Banque islamique
de développement2, plutôt que par
le Comité d’aide au développement
(CAD) et l’Organisation de coopération
et de développement économiques
(OCDE).3 Cela passe largement inaperçu
à l’Ouest, puisque les organismes
donateurs islamiques opèrent dans un
cadre virtuellement parallèle. Malgré
l’aide importante qu’ils offrent, les pays
producteurs de pétrole du Golfe ne sont
pas membres de l’OCDE. Les donateurs
musulmans manquent de représentation
et de voies de communication avec le
Comité permanent interorganisations
(CPI), ce forum de l’ONU qui agit
comme mécanisme initial pour la
coordination de l’assistance humanitaire
au niveau mondial. En conséquence,
l’opinion publique voit l’engagement
humanitaire de l’Ouest et du monde
musulman séparément. L’existence de
structures d’aide parallèles à l’Ouest
et au monde musulman a créé un
système qui ne sert pas au mieux les
intérêts des personnes affectées par
les désastres, des réfugiés ou des PDI
(dont la plupart sont musulmans), ni
de ceux qui vivent dans la pauvreté.
Les préoccupations liées à l’apparent
monopole humanitaire de l’Occident
se sont accentuées suite au 11
septembre: les organisations issues de
la société civile au monde musulman
et, dans une moindre mesure, celles
à l’Occident, sont devenues l’objet
d’examens minutieux sans précédent,
contrariant leurs efforts et nuisant
en définitive à leurs bénéficiaires.4
Toutefois, de nombreuses initiatives
ont vu le jour afin de combattre les
idées préconçues envers les organismes
donateurs musulmans. En juin 2004, le
Secours islamique britannique a instauré
le Forum humanitaire5 afin de créer des
partenariats et de rendre la coopération
plus facile entre les donateurs et les
ONG de l’Ouest et ceux du monde
musulman. Après avoir consulté une
variété d’intervenants de l’humanitaire,
un mélange éclectique d’organisations
internationales gouvernementales et
non gouvernementales, ainsi que la
Croix-Rouge ou le Croissant-Rouge, a
été réuni afin de combler le fossé entre
le monde occidental et celui musulman.6
Le Forum soutient les ONG du monde
musulman de différentes manières :
aider à renforcer les capacités, demander
la création d’un cadre légal assurant une
plus grande transparence, promouvoir
les normes et les principes humanitaires,
et améliorer la communication et la
coopération. La première mission du
Forum a été de mettre en place des
Comités exécutifs en partenariat avec
les gouvernements et la société civile du
Yémen, du Soudan, de l’Indonésie, du
Pakistan et du Koweït. La coopération
entre des organisations humanitaires
occidentales et musulmanes est un
nouvelle idée pour la communauté
humanitaire internationale, qui a
jusqu’alors été divisée entre l’OCDE
d’un côté et l’OCI de l’autre.
Il faudra faire beaucoup plus d’efforts
pour réduire l’écart réel ou imaginé
entre l’Occident et les donateurs non
traditionnels. Il faut aussi se demander
pourquoi il existe des systèmes d’aide
internationale parallèles. Il est nécessaire
d’apaiser les craintes au sujet de la
politisation de l’aide et du prosélytisme
et de renouveler le débat sur les
valeurs humanitaires universelles. Le
Forum humanitaire représente une
étape dans la bonne direction, mais
il reste encore beaucoup à faire pour
que toutes les formes d’assistances
officielles au développement soient
reconnues et coordonnées. Nous avons
besoin d’une réforme humanitaire plus
large que celle qui est actuellement en
discussion si nous voulons forger un
partenariat plus honnête et plus ouvert
entre l’Ouest et le monde musulman.
Mohammed R Kroessin (mohammed.
[email protected]) travaille
pour le Groupe de la recherche sur
les politiques du Secours islamique
(www.secours-islamique.org/). Il
est aussi chargé de recherche pour le
Programme de recherche sur les religions
et le développement (www.rad.bham.
ac.uk) à l’Université de Birmingham.
1. www.oic-oci.org
2. www.sphereproject.org
3. www.oecd.org/dac
4. Voir Kroessin, R ‘Islamic charities and the ‘War on
Terror’: dispelling the myths’, Humanitarian Practice
Network www.odihpn.org/report.asp?id=2890
5. www.sphereproject.org
6. Les membres actuels comprennent: la Croix-Rouge
britannique; UK Charity Commission; le Ministère
du développement international du Royaume-Uni
(DFID); International Islamic Charitable Organization
(Koweït); le Comité international de la Croix-Rouge;
la Fédération internationale de la Croix-Rouge ;
IHH (Turquie); Imam Khomeini Relief Foundation;
EMDAD; Mercy Corps; Muhamadiyyah Foundation
(Indonésie); National Rural Support Programme,
Pakistan; Near East Foundation; Oxfam GB; Qatar
Charity; la Société nationale du Croissant-Rouge
du Qatar; la Direction du développement et de la
coopération de Suisse; et l’Assemblée mondiale de la
jeunesse musulmane.