de JAMES MCPHERSON LE MOINE

Transcription

de JAMES MCPHERSON LE MOINE
Souvenirs et réminiscences
Glimpses & Reminiscences
James
McPherson
Le Moine
de
Édition princeps, bilingue,
commentée et annotée par
Roger Le Moine†
Établissement du texte
et traduction de
Michel Gaulin
collection
L’archive littéraire au Québec
série
Monuments
« L’archive littéraire au Québec »
Cette collection s’intéresse au statut de l’archive et aux sources de la littérature et de la
critique québécoises. On y privilégie la phase émergente des faits littéraires et le processus
de leur institutionnalisation. Cette approche de l’archive s’avère déterminante dans la
construction d’un savoir historique. Elle questionne les conditions d’apparition, de
sélection, puis d’exploitation des sources : comment penser celles-ci, définir le mémorisable et relire l’histoire.
Quelle que soit la période considérée, le tissu documentaire est bien plus qu’une trace
inerte. Recontextualisé, enrichi par ce qu’on apprend des conditions de son énonciation
et de ses effets de sens, le document (manuscrit ou édité) devient monument : objet de
mémoire et lieu patrimonial.
Trois séries de travaux y sont accueillies :
Monuments : éditions et rééditions commentées d’archives d’intérêt littéraire et historique,
de la Nouvelle-France à nos jours.
Approches : monographies sur la problématisation de l’archive dans une perspective
littéraire et historique ; théorie de l’institution, sociocritique, archéologie du littéraire,
recherches patrimoniales, études comparées, génétique, édition critique, archivage des
nouvelles formes de textualité, etc.
Forums : publication de travaux collectifs liés à la problématique de l’archive
littéraire.
Parus dans cette collection :
Journal du siège de Québec du 10 mai au 18 septembre 1759, Bernard Andrès,
dir., en collaboration avec Patricia Willemin-Andrès, série Monuments,
2009
St. John de Crèvecœur et les Lettres d’un fermier américain, Pierre Monette,
série Monuments, 2009
La Gazette littéraire de Montréal 1778-1779, Nova Doyon, dir., éd. annotée par
Jacques Cotnam, avec la collaboration de Pierre Hébert, série Monuments,
2010
Les carnets d’Alain Grandbois ou l’atelier portatif d’un poète voyageur, Jacinthe
Martel et Marie Pier Jolicœur, série Approches, 2011
Éditer la Nouvelle-France, Andreas Motsh et Grégoire Holtz, dir., série Forums,
2011
Histoires littéraires des Canadiens au xviiie siècle, Bernard Andrès, série Approches, 2012
Entretiens sur l’éloquence et la littérature, de Joseph-Sabin Raymond, édition
critique par Marc André Bernier et Marie Lise Laquerre, série Monuments,
2012
La guerre de 1812. Journal de Jacques Viger, présenté et commenté par Bernard
Andrès, aves la collaboration de Patricia Willemin-Andrès, série Monuments,
2012
L’iconographie d’une littérature. Évolution et singularités du livre illustré francophone au Québec, 1840-1940, Stéphanie Danaux, série Approches, 2013
Souvenirs et réminiscences
Glimpses & Reminiscences
de James McPherson Le Moine
Édition princeps, bilingue,
commentée et annotée
par Roger Le Moine†
Établissement du texte
et traduction
par Michel Gaulin
Publications de Roger Le Moine†
Louise-Amélie Panet, Quelques traits particuliers Aux Saisons du Bas Canada Et
aux Mœurs De l’habitant de ses Campagnes Il y a quelques quarante ans Mis en
vers, texte présenté et édité par Roger Le Moine, Ottawa, Les Éditions
David (Voix Retrouvées, no 1), 2000, liii-81 p.
Deux loges montréalaises du Grand Orient de France, Ottawa, Les Presses de
l’Université d’Ottawa (Cahiers du Centre de recherche en civilisation
canadienne-française, no 28), 1991, 189 p.
Un Québécois bien tranquille, Québec, La Liberté, 1985, 187 p.
La région de La Malbaie (1535-1760), textes et documents présentés par Roger
Le Moine, Centre de recherches, Documentation et Archives sur la
Culture de Charlevoix (L’accessible, no 1), La Malbaie, Le Musée régional Laure-Conan, 1983, 212 p.
Le catalogue de la bibliothèque de Louis-Joseph Papineau, Ottawa, Centre de
recherche en civilisation canadienne-française (Documents de travail
du Centre de recherche en civilisation canadienne-française, no 21),
1982, 281 p.
Honoré Beaugrand, Jeanne la fileuse. Épisode de l’émigration franco-canadienne
aux Etats-Unis, édition préparée et présentée par Roger Le Moine, Montréal, Fides (Nénuphar), 1980, 312 p.
Napoléon Bourassa, Jacques et Marie. Souvenir d’un peuple dispersé, texte établi
et présenté par Roger Le Moine, Montréal, Fides (Nénuphar), 1976,
371 p.
Laure Conan, Œuvres romanesques, édition préparée et présentée par Roger
Le Moine, Montréal, Fides (Nénuphar), 1974-1975, 3 vol.
Napoléon Bourassa, l’homme et l’artiste, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa (Cahiers du Centre de recherche en civilisation canadienne-française, no 8), 1974, 259 p.
L’Amérique et les poètes français de la Renaissance, textes présentés et annotés
par Roger Le Moine, Ottawa, Les Éditions de l’Université d’Ottawa,
Centre de recherche en civilisation canadienne-française (Les Isles fortunées, no 1), 1972, 350 p.
Napoléon Bourassa, textes choisis et présentés par Roger Le Moine, Montréal,
Fides (Classiques canadiens, no 44), 1972, 87 p.
Joseph Marmette, textes choisis et présentés par Roger Le Moine, Montréal,
Fides (Classiques canadiens, no 9), 1969, 95 p.
Joseph Marmette, sa vie, son œuvre, suivi de À travers la vie. Roman de mœurs canadiennes de Joseph Marmette, Québec, Les Presses de l’Université Laval
(Vie des lettres canadiennes, no 5), 1968, 251 p.
Souvenirs et réminiscences
Glimpses & Reminiscences
de James McPherson Le Moine
Édition princeps, bilingue,
commentée et annotée
par Roger Le Moine†
Établissement du texte
et traduction
par Michel Gaulin
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du
Canada et de la Société d’aide au développement des entreprises culturelles du
Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise
de son Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ)
pour nos activités d’édition.
Mise en pages : Pierre Monette
Maquette de couverture : Laurie Patry
En couverture : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, fonds Livernois, P560, S2, D1, 786.
En quatrième de couverture : Bibliothèque et Archives nationales du Québec ;
no de séquence : 2743580 ; description du document : Gravure de Spencer
Grange, Sillery, Québec ; L’opinion publique, vol. VIII, no 18, 3mai 1877,
p. 210 : cote ou numéro de reproduction : RS 3514.
© Les Presses de l’Université Laval 2013
Tous droits réservés. Imprimé au Canada
Dépôt légal 4e trimestre 2013
ISBN : 978-2-7637-1563-6
PDF : 9782763715643
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www.pulaval.com
Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque
moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval.
Avant-propos
En juillet 2004, au moment de son décès, Roger Le Moine avait completé
ses recherches sur le manuscrit de James McPherson Le Moine1, intitulé
Glimpses & Reminiscenses of Boyhood — Youth — Manhood — Advanced Years dont Michel Gaulin avait fait la traduction plusieurs années
auparavant.
Pendant près de trente ans, colligeant renseignement sur renseignement, Roger Le Moine2 a compilé une imposante documentation sur
James McPherson Le Moine et sur son œuvre littéraire. Il se proposait de
donner une édition annotée et commentée des Souvenirs et réminiscences. Devinant l’ampleur de la tâche — mais sans toutefois anticiper des
échéances aussi tardives —, il avait publié, en 1986, une édition préliminaire intitulée Un Québecois bien tranquille. Son enseignement, ses
recherches et ses publications sur de nombreux autres sujets, et, surtout,
tant d’années occupées à survivre à la maladie, l’ont distrait de son projet
initial.
Dans la présente édition, les recherches, les notes, les formulations
et les commentaires sont tous de Roger Le Moine. Il restait cependant à
peaufiner le tout, soit couper les redites, vérifier certains détails, uniformiser les chapitres. Ce travail de dernière main a été effectué dans le plus
grand respect de son projet, de manière à ce que ces textes demeurent les
siens, même dans un état inachevé comme c’est le cas de l’introduction.
En conséquence, la bibliographie a été constituée à partir des seules
sources qu’il avait lui-même consultées3. Suivant les indications qu’il a
laissées, la version française apparaît en regard de la transcription du
6
Souvenirs et réminiscences. Glimpses & Reminiscences
texte original anglais. Par contre, l’appareil critique (les notes, la chronologie, les notices biographiques, la bibliographie, la table des matières et
l’index) a été réorganisé afin de se conformer au protocole de la présente
collection.
Il est grand dommage que Roger Le Moine n’ait pu lui-même mener
à terme cette édition. Ses connaissances sur l’auteur, sur le milieu et sur
la littérature de l’époque auraient davantage bonifié le produit final. En
dépit de ses imperfections, le résultat de ses recherches méritait d’être
publié. En conjuguant leurs efforts aux miens, le responsable de l’établissement du texte anglais et de la traduction Michel Gaulin, le directeur de
la collection « L’archive littéraire au Québec » Bernard Andrès, ainsi que
son précieux collaborateur Pierre Monette, ont fait preuve d’une grande
ténacité et d’une indéfectible amitié. De tout cœur, je les en remercie.
Ma gratitude s’adresse également au directeur général des Presses de
l’Université Laval, monsieur Denis Dion, ainsi qu’aux responsables du
Prix d’auteurs pour l’édition savante dont la subvention a permis cette
publication. Tous, ils ont contribué à ce qu’enfin se réalise le dernier vœu
littéraire de Roger Le Moine.
Louise Cantin
Avant-propos, par Louise Cantin
7
Notes de l’avant-propos
1.
2. 3.
Dans le présent ouvrage, la graphie des noms McPherson et Le Moine respecte
l’usage même qu’en faisait James McPherson Le Moine. Cependant, lorsque
ces noms font partie d’une citation ou d’un titre dans lequel la graphie est différente, celle-ci a été respectée. Les écarts sont nombreux. Mais notons que
dans son cas, McPherson s’écrit sans le « a » et sans l’espace, et Le Moine avec
l’espace, la majuscule et le « i ».
En ce qui concerne le patronyme de Le Moine, l’ancêtre Jean* signait Le Moyne
auquel souvent il ajoutait « Des Pins » ; son fils, Réné-Alexandre signait au
début de sa vie Le Moyne pour ensuite passer à Le Moine Des Pins, ce que
feront aussi son fils Réné et son petit-fils Jean-Baptiste. Peu à peu, la partie « Des
Pins » est abandonnée et, à quelques exceptions près dans la descendance,
cette branche de la famille a adopté la graphie Le Moine de façon à peu près
constante.
Quant au patronyme de McPherson, les choses ne sont pas si simples. En effet,
dans l’acte de mariage de ses parents, tous les patronymes McPherson sont
écrits sans le « a ». Alors que dans le manuscrit original des Souvenirs et réminiscences, James lui-même emploie à l’occasion le « Mac », surtout dans le
premier chapitre, quand il est question de son grand-père ; aussi, ailleurs, dans
quelques textes imprimés. Par la suite, le « a » de Mc disparaît à peu près définitivement. Ainsi, dans la presque totalité de la production manuscrite et de celle
publiée par lui-même, il impose le « Mc ». Très souvent, signe-t-il simplement
« James M. Le Moine ».
Roger Le Moine était l’arrière-petit-fils de Victoria Buie et d’Édouard Le Moine*,
un cousin, confrère au Petit Séminaire de Québec et ami de James McPherson
Le Moine.
Ces dernières années, quelques publications ont parlé de James McPherson
Le Moine et ont eu recours à ses écrits ; mais aucune n’apporte un éclairage
nouveau, ni sur l’homme, ni sur l’œuvre. C’est le cas de Serge Bernier, Jacques Castonguay, André Charbonneau, Yvon Desloges et Larry Ostola, Québec,
ville militaire, 1608-2008, Québec, Art global, 2008; Nicole Dorion-Poussart,
Voyage aux sources d’un pays, Sillery, Québec, Québec, Les Éditions Gid, 2007
(un chapitre de ce volume lui est consacré, p. 157 à 186), et Marc Vallières,
Yvon Desloges, Fernand Harvey, André Héroux, Réginald Auger, Sophie-Laurence Lamontagne, Histoire de Québec et de sa région, collection « Les régions
du Québec », 2008.
Cependant, un événement a connu un remarquable succès et mérite d’être rappelé. À l’automne 2010, à l’instigation de la Société d’histoire de Sillery, s’est
tenue à la villa Bagatelle une exposition intitulée « Sillery au temps de James
MacPherson Le Moine ». À cette occasion, une brochure a été publiée : Denyse
Légaré, Sillery au temps de James MacPherson Le Moine, Québec, Ville de Québec/Division de la culture, du loisir et de la vie communautaire, 2010, 24 p.
Figure 1
McPherson Le Moine, copie réalisée en1864
Photographie anonyme
Archives du Musée McCord
Fonds William Notman
Introduction
Au moment de sa mort, le 5 février 1912, James McPherson Le Moine
laissait un manuscrit de 226 pages qu’il avait intitulé Glimpses & Reminiscences. Il en avait entrepris la rédaction à l’été de 1900, à l’époque du
décès de sa femme et d’une mise à la retraite qui lui avait été imposée.
S’il fut fortement secoué par ces événements, il continua de jouir d’une
bonne santé. Mais la situation changea fin mai 1901. Il fut alors atteint
par la maladie au point qu’il se sentait incapable, le Premier de l’An
suivant, d’accueillir ses proches comme il l’avait fait depuis son installation à Spencer Grange, près de 50 ans auparavant. Il ne devait jamais
se rétablir. À partir de ce moment, il rédige encore des chapitres qui ne
se conforment pas toujours à l’ordre chronologique et qui reprennent la
description de certains événements. Ces répétitions n’ont pas été retranchées pour respecter le manuscrit et parce que, d’une fois à l’autre, elles
apportent des renseignements nouveaux. Puis, incapable de formuler, il
sera contraint de transcrire des pages du journal qu’il a rédigé pendant
un demi-siècle1.
Bien qu’aucune indication ne nous soit parvenue sur la genèse de
Glimpses & Reminiscences, on peut penser que le manuscrit, dans son
état original, constitue la transcription d’un brouillon initial vu qu’il ne
comporte que très peu de ratures et de corrections. L’auteur le juge sans
doute satisfaisant pour un usage privé. S’il avait songé à le publier, il
l’aurait probablement retravaillé même s’il ne s’était jamais trop soucié
de l’aspect formel de ses textes. Le Moine appartient à un groupe de chercheurs qui utilisent l’écrit parce qu’ils ne possèdent aucun autre moyen
10
Souvenirs et réminiscences. Glimpses & Reminiscences
à l’époque d’exprimer le fruit de leurs recherches. Et il aurait vraisemblablement ajouté des précisions permettant de rendre plus intelligibles
certains passages.
Le Moine a publié des études qui traitent d’ornithologie, de littérature
et surtout d’histoire. Il ne s’est jamais adonné à la fabulation. S’il a rédigé
quelques textes d’un caractère plus personnel dans lesquels il a évoqué
ses séjours à la campagne et dans la forêt, à la pêche ou à la chasse, il a
attendu la fin de sa vie avant de se raconter. Glimpses & Reminiscences
clôt son œuvre.
Au moment d’effectuer cet ultime retour sur lui-même, Le Moine n’a
pas jugé bon de rédiger une autobiographie, c’est-à-dire un texte dans
lequel la recherche de soi l’aurait mené à la révélation de détails intimes. Par rigorisme et parce qu’il n’en a pas vu l’utilité même s’il a sans
doute connu des inquiétudes religieuses susceptibles d’être évoquées, il
se refuse, comme ses contemporains, à ce que d’aucuns associaient à de
la « délectation morbide ». En outre, en s’adonnant à l’analyse, il aurait
été contraint de se détourner du contexte alors que, à l’instar de ce que
faisaient les autres historiens du temps, toute son œuvre constitue une
vaste narration dans laquelle des personnages historiques, comme dans le
roman historique, sont appelés à jouer un rôle dans leur milieu mais sans
qu’ils ne soient soumis à l’analyse. Ainsi, il a choisi de ne pas déroger à
ses habitudes ni à celles de son milieu en se tournant vers les mémoires.
Car c’est à ce genre que son texte se rattache.
Dans Les écritures du moi, Georges Gusdorf perçoit le genre des
mémoires comme « le récit fait par lui-même [c’est-à-dire par le mémorialiste] des [...] événements objectifs plutôt que sur le vécu subjectif ».
Gusdorf ajoute que le mémorialiste met l’accent sur le « curriculum vitæ
d’une individualité bénéficiant d’un important relief social, politique ou
militaire2 ». Sans doute. Sauf que Gusdorf se montre élitiste. Il ne semble
pas voir que toute destinée mérite d’être fixée par l’écrit. Comme l’a noté
le prince Di Lampedusa dans « Les lieux de ma première enfance » :
« Il n’est Mémoires, en tout cas, fussent-ils écrits par des personnes insignifiantes, qui ne renferment des enseignements sociaux et pittoresques
de premier ordre3. » En somme, le genre inscrit une aventure humaine,
quelle qu’elle soit, dans un contexte donné.
J’ajouterai que le genre peut évoquer une même destinée de bien
des façons, se fonder sur des souvenirs ou sur des documents souvent
sélectionnés en fonction des dispositions du moment. Il est fragmentaire
car nul ne saurait raconter le tout de sa vie. Et il doit également illustrer
un milieu. Une relation qui ne s’en tiendrait qu’aux démarches successives du seul auteur, hors de tout cadre — je ne crois pas que semblable
Introduction, par roger Le Moine
11
entreprise soit possible — ne saurait soutenir une existence. En somme,
dans un contexte donné, le genre des mémoires doit faire revivre un individu, parfois seulement durant une période, jeter un regard rétrospectif
sur le passé, évoquer puis clore une carrière, révéler ce qui appartient à
l’auteur, ce qui l’a frappé, l’a intéressé, l’a orienté au gré des périodes de
sa vie, mais sans donner dans une analyse qui est le propre de l’autobiographie. En outre, il prête un sens à la vie de l’auteur par ce qui est révélé
et peut-être le plus souvent par ce qu’il laisse deviner. Ce qui est estompé
ou encore occulté est parfois plus révélateur que ce qui est exprimé. Sans
compter que la narration d’une vie propose souvent une morale. Ajoutons encore que le genre souscrit souvent à un plan assez traditionnel
qui consiste, et surtout dans un milieu socialement structuré, à décrire,
en suivant l’ordre chronologique, l’ascendance paternelle et maternelle,
les alliances, les lieux habités et les études. De même le mariage et la
carrière. Et il ne faut pas oublier que certains passages se succèdent sans
lien de continuité apparent, par le hasard ou par des nécessités profondes dont la nature échappe au lecteur comme parfois aussi à l’auteur. Si
l’on admet que le genre s’adapte à la carrière de chacun, le manuscrit
de Glimpses & Reminiscences se conforme à la description donnée plus
haut.
En suivant la plupart du temps l’ordre chronologique, Le Moine rappelle le souvenir des familles dont il est issu et très peu celui de grands
personnages du passé, contrairement à ce qu’il a déjà fait dans ses ouvrages d’histoire. Il passe ensuite à son enfance chez ses parents, à Québec,
puis chez ses grands-parents McPherson, au manoir de l’île aux Grues et
à Montmagny. De retour à Québec, il poursuit ses études secondaires au
Séminaire puis sa cléricature en droit. Il se lie d’amitié avec ses confrères.
Après son mariage, il quitte le vieux Québec pour Spencer Grange, à
Sillery, où il demeurera sa vie durant. En même temps qu’il poursuit une
carrière d’avocat et de fonctionnaire, il rédige des travaux d’ornithologie
et d’histoire, s’adonne à l’horticulture et reçoit ses amis comme aussi
tous les personnages de marque qui s’arrêtent à Québec. Au cours des
années, il est devenu l’autorité en ce qui a trait au passé de la ville et
de la région. Il rappelle qu’il a aimé entreprendre des excursions dans
la grande nature, pratiquer les sports du patin, de la voile, de l’équitation, de la chasse et de la pêche. Tout au cours de la narration surgissent
des personnages qui, outre les membres de sa famille, appartiennent aux
milieux les plus divers, depuis ses instituteurs de Montmagny jusqu’aux
grands propriétaires du Chemin Saint-Louis. Comme le genre l’exige, le
personnage s’inscrit dans un contexte. On y retrouve les membres de la
bonne société de Montmagny et de Québec, les poètes de la bohème
12
Souvenirs et réminiscences. Glimpses & Reminiscences
littéraire de son temps, ses professeurs du Séminaire, les historiens et littéraires qu’il a côtoyés, tous ceux qui ont fréquenté le salon de son père
et le sien, et les visiteurs qui ont tenu à le rencontrer. De même, il signale
la publication de ses principaux ouvrages et il évoque brièvement ses
rapports avec les éditeurs. S’il se garde de porter des jugements, il sort de
sa réserve lorsqu’il s’agit du clergé papiste. Il formule alors des propos qui
ne sont guère flatteurs à l’endroit du Séminaire et de certains de ses professeurs. Il se moque de la constitution du conseil de l’Instruction publique et il rappelle certaines initiatives émanant des membres du clergé.
Vers la fin, marqué par la maladie et la vieillesse, on sent la déchéance
de l’homme, ne serait-ce que par les répétitions et le recours à son journal. Conscient qu’il va atteindre le terme, isolé, privé de ses amis, par
une sorte de réflexe, et comme cela arrive dans ces types d’ouvrages, il
remonte vers les belles années de sa jeunesse, il retourne à la case départ
et il évoque la carrière de membres de sa famille et d’amis. Et, quand les
forces lui manquent, il transcrit des pages de son journal qui s’apparente
à un carnet mondain et il reproduit des coupures de journaux sur la mort
de ses amis et connaissances. Le Moine compte parmi les mémorialistes
qui n’occultent aucune période de leur vie. Toutes méritaient d’être fixées
pour l’avenir. Sauf que le lecteur aurait aimé être mieux renseigné sur
certaines questions.
Quoique membre de la Société d’ethnographie de France, il n’a
pas jugé bon de décrire les us et coutumes de la population de l’île aux
Grues ni les rapports des censitaires avec leur seigneur. Faut-il ajouter
qu’à l’époque l’ethnographie ne s’attachait qu’aux indigènes et que les
écrivains du temps, qui étaient issus de la noblesse et de la bourgeoisie, ne se préoccupaient guère que de la classse à laquelle ils appartenaient. On aurait également souhaité qu’il définisse ses idéaux politiques
et ceux de son père, qui était un ami de Papineau et de Mackenzie, et
qu’il s’arrête à la vie sociale qui gravitait autour de Spencer Grange. On
ne sait rien non plus des rapports qui existaient entre les membres d’une
famille qui appartenaient à des confessions différentes. Baptisé dans la
religion catholique, d’un père non pratiquant qui sera inhumé dans la
chapelle des Ursulines, et d’une mère anglicane, il compte parmi ses
frères et sœurs des anglicans, des protestants et un prêtre catholique. Il se
marie chez les presbytériens, ne pratique aucun culte. Et il accepte que
ses funérailles soient chantées en l’église Saint-Michel de Sillery, mais à
la condition d’être inhumé dans le cimetière protestant de Mount Hermon. De même, sa femme et ses enfants sont singulièrement absents du
texte qui est destiné, faut-il le rappeler, à ses petites-filles. Cette situation
s’explique de deux façons. Le Moine n’est pas doué pour l’analyse. On l’a
Introduction, par roger Le Moine
13
vu, dans ses publications, il s’est toujours refusé à porter des jugements
qui l’auraient révélé lui-même tout comme ses proches ; il craint de désobliger tel ou tel membre de sa famille. D’ailleurs, la mentalité du temps
était faite de discrétion. Et le texte était quand même destiné à de toutes
jeunes filles dont les préoccupations n’étaient pas celles d’adultes. Nées
en 1889, 1892 et 1896, elles préféraient sans doute les contes aux essais.
Surtout, le mémorialiste était libre de ses choix et les lecteurs ne doivent
pas lui tenir rigueur de ce qu’eux-mêmes n’ont pas trouvé dans le texte.
Mais Le Moine aurait-il ajouté d’autres chapitres qu’il ne les aurait pas
satisfaits davantage car les auteurs du passé n’accordent pas nécessairement d’importance à ce qui sera susceptible d’intéresser les générations
qui les suivront.
Le Moine évite également de traiter de questions religieuses. Sauf
que, en dépit de son silence, il est possible de préciser les siennes. Appartenant, comme on l’a vu, à une famille et à un milieu aux croyances
et tendances diverses, il a compris qu’il ne pourrait y vivre à l’abri de
la controverse qu’en adoptant une attitude de tolérance et de compréhension. Il ne choisit pas sa position par opportunisme, parce qu’elle
l’arrange. Elle lui vient de la pratique de son milieu ; elle est en quelque
sorte innée. Ces choses étant, lui qui n’a probablement pratiqué aucun
culte, ou encore qui les mettait tous sur un même pied, n’a sans doute pas
réglé la question de ses rapports avec l’au-delà. C’est pourquoi il redoute
la mort au point de la désigner par des périphrases. Ceux qui quittent la
vie pénètrent dans le « domaine des ombres », dans le « monde qui se
trouve au-delà des étoiles », « sont engloutis ou retournent ad patres ».
De plus, il est incapable de faire des visites de condoléances et il n’assiste
à des funérailles que quand cela est absolument nécessaire. Cette attitude
à l’endroit des autres, ne l’a pas amené à se situer lui-même.
La question sociale et politique doit être perçue dans la même perspective. Si ses mémoires sont muets là-dessus, sa production historique
est plus révélatrice car il ne voit dans les militaires qui s’affrontent que
des êtres humains qui souffrent et qui sont confrontés à la mort. Pour lui,
ils sont tous égaux ; leur allégeance ne compte pas. Quant à ses rapports
avec les anglophones, ils furent également harmonieux. S’il se perçoit
comme un francophone — ce dont témoignent ses écrits — il n’a pas
oublié que, par sa mère, il appartient également à l’autre groupe ethnique. Il a été formé et a été à l’aise avec les uns et avec les autres, tentant
de leur emprunter ce qu’ils offraient de meilleur. Il a été un ambassadeur
de la bonne entente. Il a voulu expliquer et faire comprendre les raisons
de chacun de façon à créer une situation d’harmonie. Telle est la motivation qui l’anime lorsqu’il s’agit des personnes du passé comme aussi
14
Souvenirs et réminiscences. Glimpses & Reminiscences
de ses contemporains. C’est ainsi que, voyant que le régime de l’Union
menait à l’impasse, il a souhaité comme plusieurs le régime de la Confédération. Si Le Moine reste muet sur certaines questions, son comportement et certaines réflexions trahissent quand même des orientations.
Le Moine éprouve du plaisir à se remémorer le passé, à rappeler
une carrière dont il est fier et même s’il ressent une nostalgie certaine
au moment d’évoquer les jours en allés et les proches disparus. Car il a
réussi tant sur le plan mondain qu’intellectuel. Il appartient à la meilleure
société de Québec et son œuvre a été reconnue. Membre fondateur de
la Société royale, président de ses quatre sections, membre de la seconde
Société des Dix, il a reçu un doctorat en droit honoris causa de Bishop’s
College University et il a été fait chevalier pas la reine Victoria. Il s’est lié
d’amitié avec nombre d’historiens et de littéraires de même qu’avec le
comte d’Aberdeen et le marquis de Lorne, et il a entretenu une correspondance suivie avec le marquis de Dufferin and Ava.
Comme il arrive souvent, lorsque le mémorialiste a vécu des
moments exceptionnels, ses témoignages ont, en eux-mêmes, valeur de
documents. C’est ainsi que Glimpses & Reminescences renseigne sur les
techniques d’enseignement à Montmagny, sur l’échouement du Superb à
l’île aux Grues, sur le passage de Papineau à Montmagny en juin 1837,
sur la remontée des troupes britanniques des provinces maritimes vers
Québec et Montréal, en décembre 1837 et sur l’accueil que leur firent les
nouveaux riches du coin, Dionne et Casgrain, sur les méthodes d’enseignement au Séminaire, sur la navigation de Québec à la Gaspésie ainsi
que sur les traversées de l’île aux Grues à la terre ferme à bord du bateau
vert. Également, il renseigne sur les fêtes se déroulant lors de la visite des
princes du sang ou de personnages importants. C’est pourquoi, en dépit
des oublis signalés, le texte de Le Moine constitue un document assez
exceptionnel sur le contexte et aussi sur l’auteur lui-même et sur des
milieux qui ont été peu étudiés. Je songe surtout à ceux de Montmagny et
de Spencer Grange.
Les mémoires révèlent également un hédoniste. Le Moine a vécu
dans un milieu familial privilégié. Il s’est ensuite installé dans une magnifique propriété qu’il a transformée et enrichie de collections. C’est là qu’il
a travaillé et s’est plu à recevoir littéraires et politiques. Mais cette attitude
ne saurait être associée à quelque forme de relâchement. Car, dans ce
milieu, il s’adonne au travail. Comme tous les angoissés, il ne peut rester
inoccupé. C’est ainsi que, par ses recherches en histoire, en plus de se
tailler une place dans la société, il enrichit des charmes du passé un présent déjà si propice. Le Moine pense qu’avant d’atteindre le terme, l’être
humain doit profiter pleinement de la vie, en songeant à son bonheur
Introduction, par roger Le Moine
15
présent et non à son bonheur posthume. Le second ne doit pas gâter le
premier. Si « les cieux racontent la gloire de Dieu » — Cœli enarrant gloriam Dei —, la terre la raconte également. C’est pourquoi il a entonné un
chant de la terre et non un cantique.
Ainsi, Le Moine permet de croire à l’existence d’une civilisation québécoise plus complexe que celle qu’on a décrite et qui suggère l’image
d’un peuple immature aux prises avec le vieux manichéisme des primitifs.
Loin de tous les Pangloss, Le Moine acquiert, en un siècle peu fait pour
le comprendre, ce difficile équilibre qui permet d’atteindre à la quiétude.
Il apparaît comme un homme bien tranquille qui, à la formulation de
syllogismes, a préféré décliner rosa, la rose. Tel est le récit que Le Moine
a rédigé à l’intention de ses petites-filles. Il était de nature à les inspirer.
Si la benjamine, qui était médecin, s’adonnera à la recherche en biologie
aux États-Unis — elle mourra victime de son travail en laboratoire —, ses
deux sœurs poursuivront à Bagatelle les façons d’être de Spencer Grange.
Sir James a rédigé ses mémoires en anglais, pour des raisons de commodité. Les destinataires, ses petites-filles qui vivaient alors à Chicago, ne
comprenaient pas le français. Sauf que, en évoquant comme il le fait le
milieu de sa famille paternelle et tous ceux parmi lesquels il s’est mû —
ceux de l’île aux Grues, de Montmagny, de Québec et du Chemin SaintLouis — voire, par la mentalité qui est la sienne, Glimpses and Reminiscences appartient à la tradition francophone et à cette production peu
abondante de mémoires qui va du texte de La Corne Saint-Luc (1762) aux
Souvenances de l’abbé Casgrain (1902). Ces textes décrivent soit toutes
les périodes d’une vie comme l’ont fait Joseph-François Perrault (1833),
Pierre de Sales-Laterrière (1812), Aubert de Gaspé (1866) et Casgrain,
ou encore se limitent à l’une d’elles comme l’ont fait Napoléon Aubin
(1839), Chauveau (1877), Robert Shore Milnes Bouchette (1900) ou Fréchette (circa 1900). Contrairement à ce que l’on a pu affirmer, n’appartiennent pas au genre des mémoires mais plutôt à celui de la chronique le
texte d’Eugène Dick (1892), et celui de Nicolas Gaspard Boisseau (17871789) qui tient davantage du journalisme.
Le professeur Michel Gaulin de Carleton University s’est chargé de
l’établissement du texte original anglais et de sa traduction. La tâche n’a
pas été facile. Très souvent, il a dû restructurer des passages qui avaient
été rédigés sans soin — parfois, surtout parce que la calligraphie laissait à
désirer et que certains mots étaient dissimulés sous des taches d’encre —
mais sans qu’il n’ait ajouté ou retranché quoi que ce soit de leur contenu.
Sans compter que certains points ne sont pas toujours des signes de ponctuation ; ils sont attribuables à la pose de la plume sur le papier. En conséquence, les phrases se retrouvaient morcelées et, souvent, privées de sens.
16
Souvenirs et réminiscences. Glimpses & Reminiscences
J’ai pensé un temps publier séparément ce qui relève des mémoires et ce qui relève du journal. Si Le Moine avait retravaillé son texte, il
n’aurait sans doute pas procédé autrement car il se serait rendu compte
qu’il n’est pas possible de créer une œuvre homogène où s’entremêlent
des genres qui, fussent-ils également associés au moi, ne font pas subir
au passé le même traitement. Car les mémoires présentent et ordonnent
dans une perspective donnée des souvenirs qui se sont déroulés longtemps avant qu’ils ne soient fixés par l’écriture tandis que le journal note
les événements les plus récents et retient le moment présent, hors de
toute perspective historique. Finalement, j’ai décidé de demeurer fidèle
au manuscrit, ne voulant adopter un ordre qui n’aurait pas été celui de
l’auteur.
Les notes dont je me suis chargé ont exigé, à cause de leur diversité,
passablement de travail. Si je n’ai pas cherché à réduire à une longueur
standard celles qui sont démesurément longues, c’est que j’ai voulu que
le lecteur bénéficie du fruit de mes recherches. Je me suis préoccupé
de connaissance et non d’esthétique. Les appels de notes renvoient aux
notes elles-mêmes qui sont regroupées, pour des raisons pratiques, à la
fin des quinze chapitres. Les notices biographiques ont également posé
bien des problèmes. Les personnages qui en ont fait l’objet sont cités dans
le manuscrit et leur nom est suivi d’un astérisque.
Le manuscrit des Glimpses & Reminiscences est passé successivement de l’auteur à sa fille Sophia Ann, et aux filles de celle-ci, qui, du
temps qu’elles habitaient encore la villa Bagatelle, m’ont permis d’en
prendre copie et de le publier. Le manuscrit a par la suite été déposé à
Bibliothèque et Archives Canada où il se trouve toujours.
J’aimerais remercier tous ceux qui, par leurs connaissances, ont
facilité la rédaction de certaines notes. Je n’oserais en dresser la liste de
crainte qu’elle ne soit complète. Je mentionnerai cependant le nom du
professeur Michel Gaulin qui a assumé une part importante de l’entreprise. Il a transcrit puis traduit le texte d’une façon si fidèle et élégante à la
fois que la version française me semble supérieure à l’original. Et je signalerai également le rôle de madame Louise Cantin qui a dactylographié les
textes en français, les a souvent corrigés et a formulé des commentaires
fort pertinents qui m’ont amené à préciser ou à modifier certaines de mes
affirmations.
La présente édition des Glimpses & Reminiscences comprend une
introduction, la transcription du manuscrit original en anglais en regard de
sa traduction en français, suivis d’un appareil de notes, d’une chronologie,
de notices biographiques de personnages cités dans le manuscrit, et d’une
bibliographie. Les coupures de journaux que Le Moine a intégrées à son
Introduction, par roger Le Moine
17
texte n’ont été reproduites que si elles présentaient quelque rapport avec
la carrière de l’auteur.
Pour le bénéfice du lecteur, voici sommairement décrit l’ordre des
chapitres. Le Moine suit d’abord l’ordre chronologique. Il s’arrête successivement à son enfance (chapitre I), à sa jeunesse (chapitre II), aux
amis de son enfance (chapitre III), à sa vie d’étudiant (chapitre IV), à
son installation à Spencer Grange (chapitre V) et à sa carrière (chapitre
VI). Dans la suite du texte, il continue à évoquer ses souvenirs, quoique
dans le désordre. Au chapitre VII, il évoque ses rapports avec des visiteurs
distingués ainsi que son rôle à la Société royale. Puis il passe au Jour de
l’An de 1902 (chapitre VIII) avant de revenir en arrière. Et il transcrit des
passages de son journal aux chapitres IX, X, XIV et XV. Au chapitre IX, il
effectue un nouveau retour en arrière en décrivant la fondation en 1893
de la Société des Dix de Québec. De là, il passe à l’année 1898 qui a été
marquée par la maladie qui les ont affectés, sa femme et lui. Il se souvient
également d’amis disparus. Le chapitre X porte sur la maladie et la mort ;
le suivant, sur les plaisirs de sa jeunesse ainsi que sur ses voyages à la
Baie des Chaleurs (1875) et à Pîtres (1881). Il revient ensuite à la carrière
de ses frères et sœurs, tous disparus (chapitre XII). De sa famille il passe à
son voyage à New York et il résume la conférence qu’il y a prononcée au
Canadian Club (1887). Suit la description de sa sortie en ville lors de la
fête du Dominion en 1903 (chapitre XIV). Et le dernier chapitre qui s’intitule « Souvenirs en vrac » porte bien son nom puisqu’il y est question de
divers événements qui se sont produits durant une période s’étalant de
1883 à 1907.
Roger Le Moine†
18
Souvenirs et réminiscences. Glimpses & Reminiscences
Notes de l’introduction
1.
2.
3.
Ce journal, sorte de carnet mondain, montre le personnage arrivé et illustre la
consécration d’une carrière. Il se compose de notations rédigées au jour le jour
et exprimant un passé très rapproché qui touche pratiquement au présent. Et
encore, sans prêter un sens à son existence. En sorte que cette façon donne des
textes quotidiennement morcelés qui contiennent surtout la description d’événements mondains auxquels il a été mêlé et la mention de ses rencontres avec
des personnages illustres qu’il a fréquentés lors de leur passage à Québec. Ces
pages ne manquent pas d’intérêt ; elles montrent, comme pris sur le vif, des
moments vécus par Le Moine et constituent une sorte de consécration de luimême par la qualité de ceux qu’il a rencontrés.
Georges Gusdorf, Lignes de vie, I. Les écritures du moi, Paris, Éditions Odile
Jacob, 1991, p. 10.
Giuseppe Tomasi di Lampedusa, « Les lieux de mon enfance », dans Le profeseur et la sirène, traduit de l’italien par Louis Bonalumi, Paris, Éditions du Seuil,
1962, p. 23.
Note sur l’établissement
du texte anglais
Michel Gaulin
Notre premier souci, en matière d’établissement du texte anglais,
point de départ de cette édition critique donnée en français et préparée
à partir du manuscrit autographe (anglais), a été de mettre à la portée du
lecteur un texte d’abord et avant tout lisible. Il faut se rappeler que sir
James rédige ces mémoires dans les dernières années de sa vie. Il aspire
vraisemblablement, par ce moyen, à dresser à sa propre intention et à
celle de ses proches, notamment ses trois petites-filles, un bilan de sa vie,
mais cet exercice lui sert probablement aussi de dérivatif dans les années
qui suivent la mort de sa femme. Il est donc douteux qu’à l’âge avancé
qui était alors le sien, il ait pensé à en faire une publication, d’autant plus
qu’il rédigeait encore aux derniers jours de sa vie.
Nous rendons donc compte, ci-après, des principales mesures
auxquelles nous avons eu recours pour assurer la plus grande lisibilité
possible du texte.
1. Nous avons divisé le texte en chapitres à partir des grands titres établis
par sir James lui-même dans le manuscrit. Les numéros de chapitres
sont donc donnés entre crochets dans le texte anglais, mais en sont
dénués dans la traduction.
2.Dans toute la mesure du possible, nous avons respecté, dans la transcription du manuscrit, comme dans la traduction française, les paragraphes établis par sir James lui-même, sauf dans quelques cas —
question de faciliter la lecture —, là où l’on passait dans le même
paragraphe à un autre sujet. En quelques endroits, notamment, dans
les premiers chapitres, nous avons intégré au texte quelques ajouts
faits en marge, que nous avons marqués par des traits verticaux,
repris aussi dans la traduction.
3.La graphie des noms propres, comme celle des noms de lieu et même
de nombreux mots de la langue courante, sous la main de James,
n’est pas toujours exacte, mais, chaque fois que la chose s’avérait
possible nous avons respecté, dans l’ensemble, ces graphies, quitte
à en donner parfois, entre crochets, là où la chose s’imposait, la
version correcte en vue d’assurer la compréhension du texte. Il va
de soi que la version correcte a été, en revanche, rétablie dans la
traduction. L’on sait, néanmoins, que James pouvait, à l’occasion,
parfois dans le même paragraphe, écrire différemment le patronyme
de la famille de sa mère (McPherson), entre autres : McPherson,
McPherson, MacPherson, MacPherson, même, en quelques endroits,
20
Souvenirs et réminiscences. Glimpses & Reminiscences
Macpherson, seules graphies que nous avons chaque fois respectées
tant dans le texte anglais que dans la traduction française.
4.Le lecteur aura noté que sir James emploie souvent, dans son texte,
des expresions empruntées à la langue française. Celles-ci sont
passées dans la traduction (avec corrections orthographiques là où
la chose s’imposait). Elles sont chaque fois suivies de la lettre « f »
en exposant.
5.Dans le but de faciliter la lecture du texte du manuscrit et de rendre
celle-ci agréable au lecteur, nous avons tenté d’éviter le plus possible
le recours aux [sic] et autres indications entre crochets sauf là où
elles paraissaient s’imposer. En revanche, on trouvera, ici et là, des
points d’interrogation entre crochets [?] pour indiquer certains mots
dont nous n’avons pu complètement déchiffrer la teneur.
6.Force est bien de reconnaître que James, tout au moins à en juger
par ce manuscrit, n’était pas nécessairement très doué en matière
de ponctuation. Ainsi, on remarquera partout, dans le manuscrit,
une quantité innombrable de traits, faisant fonction de points, ou
de virgules, etc. Roger Le Moine estimait, quant à lui, que ces traits
pouvaient indiquer une pause de la plume de la part du scripteur.
Mais, à notre avis, ils sont trop nombreux pour ne pas signifier
(aussi) un système de ponctuation dont James avait vraisemblablement l’habitude. Nous avons donc respecté ces signes dans la
transcription du manuscrit, sauf en quelques rares endroits où ils
pouvaient entraîner une difficulté de lecture. En maints endroits,
également, James utilise deux points ( : ) pour marquer une fin de
phrase qui mène à une nouvelle, pratique que nous avons également respectée, tout en mettant une majuscule au premier mot de
la phrase suivante. En revanche, il nous a fallu déplacer quantité de
virgules utilisées incorrectement, et en ajouter en maints endroits
où elles s’imposaient, encore une fois pour faciliter la lecture et
la saisie du sens. Enfin, on devine que James avait retenu de ses
longues années de fonctionnariat certains tics d’écriture qui ont, par
la suite, trouvé leur place dans son manuscrit. Le plus fréquent de
ceux-ci est l’esperluette, signe typographique représentant le mot et,
auquel il ajoute un c (&c) pour signifier et cætera. Dans le but de ne
pas confondre le lecteur, nous avons chaque fois remplacé ce signe
par le etc. entre crochets [etc.].
7.Enfin, le lecteur attentif aura noté que James utilisait, en gros, la
version américaine de l’anglais plutôt que sa version britannique,
phénomène que nous avons respecté.
Figure 2
McPherson Le Moine, 1863
Archives du Musée McCord
Fonds William Notman
Figure 3
McPherson Le Moine, Montréal, 1866
Archives du Musée McCord
Fonds William Notman
Souvenirs et
réminiscences
d’enfance, de jeunesse,
d’âge d’homme et de vieillesse
Glimpses &
Reminiscenses
of Boyhood – Youth –
Manhood – Advanced Years
James McPherson Le Moine
[I]
Boyhood 1825-[18]38
[Québec]
I was born in Quebec, on the 24th January 18251, in what
for the time was considered a stately two-storey house erected
about 1810 by my father, at the extreme east end of the street,
now styled Hebert Street but formerly known as St George
Street2. Remparts, our old homestead to which was added a
third story by Honb Jos Shehyn*, one of its late owners, now
belongs to Mr J.O. Vallières. Revd Father MacMahon* christened me.
Until the erection of the Laval University, it overlooked the
extensive, shady and lilac-planted bowers of the Quebec Seminary; in 1852, the austere, lofty walls of the University shut out
the delightful view of this pleasaunce and have shorn the house
of much of its sunshine and seasonal charm.
It is not my intention to repeat here numerous family incidents recorded in the Mémoire de famille hereunto annexed3. My
paternal ancestor, Jean Le Moyne, son of Louis Le Moyne
of the parish of Pîtres, near Rouen, in Normandy, landed at
Quebec about 1650. Judging from his liking for broad acres,
he was probably of the same station in life as his high spirited
I
Mon enfance 1825-1838
[Québec]
Je suis né à Québec, le 24 janvier 18251, dans ce qui, pour
l’époque, était considéré comme une imposante maison de deux
étages. Construite vers 1810 par mon père, elle était située à
l’extrémité est de la rue, maintenant appelée Hébert, mais
connue alors sous le nom de Saint-Georges2. Les Remparts, notre
vieille maison à laquelle l’un des récents propriétaires, l’honorable Joseph Shehyn*, a ajouté un troisième étage, appartient
maintenant à monsieur J.-O. Vallières. Je fus baptisé par l’abbé
McMahon*.
Jusqu’à l’érection de l’Université Laval, notre maison avait
vue sur les vastes jardins du Séminaire de Québec, qui étaient
ombragés et plantés de lilas. En 1852, les murs austères et
altiers de l’université vinrent obstruer le ravissant coup d’œil
sur ce jardin et priver en grande partie la maison de son charme
printanier.
Je n’ai pas l’intention de rappeler ici les nombreux événements de l’histoire de ma famille recueillis dans le Mémoire de
famillef reproduit en appendice3. Mon ancêtre paternel, Jean Le
Moyne*, fils de Louis Le Moyne de la paroisse de Pîtres, près
de Rouen, en Normandie, débarqua à Québec vers 1650. Si l’on
en juge par la fierté qu’il éprouvait pour ses vastes terres, il était
probablement de la même condition sociale que son homonyme
26
Souvenirs et réminiscences. Glimpses & Reminiscences
namesake and kinsman Charles Le Moyne*, who was a native
of St Rémi near Pîtres, Normandy—Mr Ferland* 4 says “of
Dieppe”. Jean Le Moyne*, born at Pîtres, died at Batiscan,
near Three Rivers, in 1706, aged 70 years. He was seigneur
of several fiefs or seigneuries, among others of Ste Marie5, La
Noraye and Gastineau. The family also owned an island, near
Cape de la Magdeleine—District of Three Rivers known as Ile
des Pins—Island of Pines, from which they hailed and took the
name Le Moyne des Pins6—his descendants were even called
“Des Pins” short: the family crest shows Pine cones—“Pommes
de Pins”.
My cousin Robert Le Moine*, who searched the early census tables of Canada, noticed that the family were registered
therein as owning several domestic servants; this, with the tittle
of “Seigneur de Ste Marie, La Noraye and Gastineau” leads
one to infer that Jean Le Moyne was a man of some substance,
and of some importance in his day: this hypothesis is strengthened on viewing his entourage, social alliances and friends. The
register of birth of some of his sons and descendants mentions,
among family friends present, the names of men eminent in the
colony—such as the Boucher de Boucherville—the head of
which family, the venerable Pierre Boucher*, was governor of
Three Rivers, in 1663, the Ramsays* and D’Ailleboust7.
It has cost me considerable correspondence to trace back,
through the R. C. Church Registers of localities wide apart, the
genealogy of the Le Moine family of today to their distant Norman forbears, hailing from Pîtres8, now a [F]rench commune,
one hour distant by Rail from Rouen.
My daughter Jeannette* and I, we visited Pîtres in August
1881, lunching with the parish priest, the abbé de Vaurabourg,
to whom we had been accredited by his metropolitan, the late
Cardinal de Bonnechose*, archbishop of Rouen, through the
kind offices of his nephew |Chs. de Bonnechose*, author of
“Montcalm au Canada” with whom I had corresponded9|.
I. Mon enfance / Boyhood 1825-1838
27
et parent, Charles Le Moyne*, ce personnage plein d’entrain,
né à Saint-Rémi près de Pîtres en Normandie — ou à Dieppe
selon M. Ferland* 4. Jean Le Moyne*, né à Pîtres, mourut à
Batiscan, près de Trois-Rivières, en 1706, à l’âge de 70 ans. Il
était seigneur de plusieurs fiefs ou seigneuries, entre autres de
Sainte-Marie5, La Noraye et Gastineau. La famille était aussi
propriétaire d’une île, près du Cap-de-la-Madeleine, dans le district de Trois-Rivières, connue sous le nom d’île des Pins, où
la famille fit souche, et d’où elle prit le nom de Le Moyne des
Pins6. Certains descendants de mon ancêtre s’appelaient même
« Des Pins » tout court et les armoiries de la famille portent des
pommes de pins.
Mon cousin Robert Le Moine*, qui a effectué des recherches dans les premiers recensements du Canada a constaté que
ceux-ci indiquaient que la famille avait à son service plusieurs
domestiques. Cela, joint au titre de « Seigneur de Sainte-Marie,
La Noraye et Gastineau », porte à croire que Jean Le Moyne
était un homme qui possédait du bien et qui, pour son époque,
était un notable. Cette hypothèse se confirme d’ailleurs dès que
l’on pénètre dans son entourage et que l’on prend connaissance
de ses relations mondaines et de ses amis. L’acte de naissance
de certains de ses fils et descendants mentionne, parmi les amis
de la famille qui étaient présents, les noms de gens de condition
comme les Boucher de Boucherville qui appartiennent à une
famille dont le chef, le vénérable Pierre Boucher*, a été gouverneur de Trois-Rivières en 1663, et comme les Ramsay*, les
d’Ailleboust7, etc.
Il m’a fallu une correspondance considérable pour remonter, à l’aide des registres paroissiaux de localités fort distantes
les unes des autres, dans la généalogie de la famille Le Moine
d’aujourd’hui, jusqu’à ses lointains ancêtres normands qui
étaient de Pîtres8, petite commune située à une heure de Rouen
par train.
Ma fille Jeannette* et moi nous sommes rendus en visite à
Pîtres en août 1881, et y avons déjeuné avec le curé, l’abbé de
Vaurabourg, à qui nous avions été recommandés par son métropolitain, le feu cardinal de Bonnechose*, archevêque de Rouen,
grâce aux bons offices de son neveu |Charles de Bonnechose*,
l’auteur de Montcalm au Canada, avec qui j’avais correspondu9|.
28
Souvenirs et réminiscences. Glimpses & Reminiscences
None of Jean Le Moyne’s descendants seem to have shown
any partiality for literature: several held offices of trust in their
localities and one, Jean Baptiste Le Moine*, in 1775, during the
war of Independence, fought bravely, enduring much hardship,
in repelling the invaders of the soil—was taken prisoner—carried to New York—and subsequently exchanged. He closed his
career, at Little River St Charles, near Quebec in 1807—succumbing to infirmities contracted during the siege of 1775-76.
Crane Island, my early home, 1828
My father, Benjamin Le Moine*, his son, served as an officer during the war of 1812, as Lieutenant. His good looks and
advantageous physique had acquired for him the name of “Beau
Ben”, a good looking French gentleman, in deportment and
dress—sporting ruffles to his shirt, white cravat and cuffs—and
cutaway coat, with gilt buttons, to the end of his life.
My dear mother [Julia Ann McPherson*] having expired,
after a short illness, on the 18th May, 1828, leaving a large family,
and my father having, through losses in business, failed as a merchant, outside help was imperative to provide food and raiment
for as many young folks—Daniel MacPherson*, my grandfather, a worthy old Scotchman—seconded by his true-hearted
wife came to the rescue at this dark time. My brother Dunière*,
older than myself, with a fiery Irish Nurse we10 were shipped
to Crane Island, where a kind welcome awaited us at the antique and roomy seigniorial manor, purchased by Mr McPherson,
with the seigniory, in 180311, from the Heir de Beaujeu, Capt
Louis Liénard Vilmonble de Beaujeu*, the Seignior, having
expired at his manor, at Crane Island, on the 6th June 1802.
He was buried at cape Saint-Ignace, opposite to Crane Island.
Philippe A. De Gaspé*, the author of the “Canadians of old”
tells us he was present at his death bed12—Capt de Beaujeu, left
his name to the sand bank or shoal, in the St Lawrence, a few
acres to the east of the Manor House13—sometimes it is called
McPherson’s Bank—on some charts—it is now well buoyed,
a gas buoy.
I. Mon enfance / Boyhood 1825-1838
29
Aucun des descendants de Jean Le Moyne ne paraît avoir
montré de prédilection pour la littérature. Plusieurs ont détenu
des postes de confiance dans leur localité et l’un d’entre eux,
Jean-Baptiste Le Moine*, fit preuve de bravoure, en 1775,
durant la guerre de l’Indépendance. Il supporta de dures épreuves en repoussant l’envahisseur, fut fait prisonnier, conduit à
New York et subséquemment échangé. Il termina sa carrière
à la Petite-Rivière-Saint-Charles, près de Québec, en 1807,
succombant aux infirmités qu’il avait contractées lors du siège
de 1775-1776.
L’île aux Grues, lieu de mon enfance, 1828
Son fils, qui fut mon père, Benjamin Le Moine*, servit comme
officier durant la guerre de 1812, avec rang de lieutenant. Sa
belle apparence et son physique avantageux lui avaient valu le
nom de « Beau Ben ». Il eut jusqu’à la fin de sa vie l’air d’un
beau gentilhomme français grâce à son maintien et à sa façon de
s’habiller ; il portait jabot, manchettes de dentelle et redingote à
boutons dorés.
Ma chère maman [Julia Ann McPherson*] étant morte
après une courte maladie, le 18 mai 1828, laissant une famille
nombreuse, et mon père ayant échoué en affaires, il devenait
impérieux de trouver de l’aide à l’extérieur pour nourrir et vêtir
autant de jeunes enfants. Daniel MacPherson*, mon grandpère, un vieil Écossais très digne, secondé d’une épouse au grand
cœur, vint à notre rescousse en cette période sombre. Accompagnés d’une bouillante nurse irlandaise, nous fûmes, mon frère
Dunière* et moi10, envoyés à l’île aux Grues, où nous attendait
un accueil bienveillant dans l’antique et spacieux manoir seigneurial que monsieur McPherson avait acheté, en 180311, avec
la seigneurie, à l’héritière de Beaujeu. Le seigneur, le capitaine
Louis Liénard de Villemomble de Beaujeu*, y était mort le 6
juin 1802. Philippe Aubert de Gaspé*, l’auteur des Anciens Canadiens, nous dit avoir été présent à son chevet12. Le capitaine de
Beaujeu a laissé son nom au banc de sable ou écueil situé dans le
Saint-Laurent à quelques arpents à l’est du manoir13. Sur certaines cartes, cet accident est parfois appelé Banc de McPherson.
Il est maintenant bien balisé.
30
Souvenirs et réminiscences. Glimpses & Reminiscences
Many were the happy days Mr MacPherson and family
spent in this picturesque, cool and healthy abode after leaving,
in 1803, Douglas Town and Pointe St Peters, on the Gaspé
coast. The abbé H.R. Casgrain* has graphically described, in
his Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec, a visit the good ladies of that
convent paid to the Seigneur and Seigneuresse of Île aux Grues,
in July 1809, whilst visiting, with their almoner—their own
rich seigneurie La Grande Île aux Oies: to which they have since
added La Petite Île aux Oies14.
Though differing in creed, language and nationality from his
censitaires or tenants, Mr MacPherson was singularly respected,
nay I may say—beloved by all those who approached him. His
honesty of purpose, industry, intelligence and Scotch thrift had
enabled him to amass a handsome competency, which popular
rumor had much magnified. His simple and confiding neighbors and tenants had styled him “un richard”, a rich man. They
could point out to many investments of his, varying from a plain
Bailleur de fonds loan of $200 at 6 P cent, to remunerative mortgages of $1000.
Daniel MacPherson was born at Fort William, near Inverness, Scotland, in 1753 and had come over to seek his fortune
in America at an early age. Loyal to the Sovereign of his youth,
he espoused the failing cause of the United Empire Loyalists
and had to flee from Philadelphia about 1783. He came first
to Sorel, in those days a budding U. E. Loyalist settlement. Of
his youth I know but little and have often regretted not having
questioned him on this subject—as I was rather petted by him,
in my childhood—I have heard it said that, when a young man,
he had a strong fancy for trotting horses.
At Sorel, he married a Miss Mary Kelly*—aged 15—a
woman of kindly feeling—strong common sense—an admirable help mate for the sturdy, intelligent youthful Scotchman.
Mrs MacPherson outlived her excellent husband and died beloved and regretted in the house of her grand-daughter, Mrs and
John Maxham*, in Ste Angèle street, Quebec. Mr. Maxham*, had
I. Mon enfance / Boyhood 1825-1838
31
Nombreux furent les jours heureux que monsieur MacPherson et sa famille passèrent dans cette pittoresque, fraîche et
salubre demeure après avoir quitté, en 1803, Douglastown et
Pointe-Saint-Pierre dans la péninsule de Gaspé. L’abbé HenriRaymond Casgrain* a décrit de façon très vivante, dans son
Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec, une visite que les religieuses de
ce couvent rendirent au seigneur et à la seigneuresse de l’île aux
Grues en juillet 1809 alors qu’elles étaient de passage, en compagnie de leur aumônier, dans leur propre et riche seigneurie de
la grande île aux Oies à laquelle elles ont depuis ajouté la petite
île aux Oies14.
Bien qu’il se soit distingué de ses censitaires ou de ses métayers
pas sa foi, sa langue et sa nationalité, monsieur MacPherson
était singulièrement respecté, je dirais même aimé de tous ceux
qui l’approchaient. L’honnêteté de ses intentions, son application au travail, son intelligence et son sens écossais de l’épargne
lui avaient permis d’amasser une belle fortune que la rumeur
populaire avait beaucoup grossie. Ses voisins et métayers, gens
simples et confiants, l’avaient dénommé un richardf. Ils pouvaient
citer à l’appui plusieurs de ses investissements, depuis un simple prêt de Bailleur de fondsf de 200 $, à 6 pour-cent, jusqu’à des
hypothèques lucratives de 1 000 $.
Daniel MacPherson était né à Fort-William près d’Inverness,
en Écosse, en 1753, et il était venu de bonne heure chercher fortune en Amérique. Demeuré fidèle au souverain de sa jeunesse,
il épousa la cause défaillante des Loyalistes et dut s’enfuir de
Philadelphie vers 1783. Il s’installa d’abord à Sorel qui était à
l’époque un petit établissement loyaliste. Je sais peu de choses
de sa jeunesse et j’ai souvent regretté de ne pas lui avoir posé
de questions à ce sujet, puisque j’étais son favori pendant mon
enfance. J’ai entendu dire qu’il avait, jeune homme, une forte
attirance pour les chevaux de trot.
À Sorel, il épousa mademoiselle Mary Kelly*, âgée de 15 ans,
femme sympathique et de grand bon sens, qualités qui en firent
une admirable collaboratrice de l’Écossais robuste, intelligent et jeune qu’était mon grand-père. Madame MacPherson
survécut à son excellent époux et mourut aimée et regrettée
dans la maison de sa petite-fille, madame John Maxham*, rue
Sainte-Angèle à Québec. Monsieur Maxham* avait épousé ma

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