Comment la mafia asiatique prospère en France

Transcription

Comment la mafia asiatique prospère en France
Comment la mafia asiatique prospère en France
Ils sont méconnus mais redoutables, solidement implantés, mais très discrets. En
s’appuyant sur une organisation sans faille, les réseaux criminels asiatiques
sévissent dans le pays. Décryptage.
Damien Delseny | Publié le 11.11.2012, 07h00
Elle suscite moins de fantasmes que ses « sœurs » italienne ou russe, mais la mafia chinoise, ses
triades et autres organisations, sont bien présentes et actives en France. Dans son rapport annuel
paru le mois dernier, le Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la
criminalité organisée (Sirasco) lui consacre un long chapitre.
Et les éléments recueillis confirment la réputation d’opacité et d’efficacité des réseaux
asiatiques. « Un univers difficile à pénétrer », souligne François-Xavier Masson, patron du Sirasco. Si
peu d’opérations d’envergure ont été montées en France contre cette mafia, contrairement à nos
voisins italiens ou espagnols, les policiers ont quand même cerné les contours de certaines
organisations. « La preuve, assure l’un d’entre eux. Sur trois dossiers différents de prostitution, de
travail illégal et de stupéfiants, que nous avons traités récemment, nous tombons sur les mêmes
personnes au sommet de la pyramide. » Une organisation qui mène plusieurs business de
front. C’est aussi la preuve que, contrairement à d’autres organisations étrangères qui utilisent la
France comme un refuge ou une simple zone de blanchiment, les réseaux chinois mènent plusieurs
business de front sur notre territoire, de la prostitution au trafic de drogue, en passant par la
contrefaçon ou les faux papiers et, bien sûr, l’acheminement d’immigrés clandestins. Le
fonctionnement « autarcique » de cette mafia est une autre donnée du problème. « Elle délègue le
moins possible et ne s’appuie que rarement sur d’autres réseaux criminels », confirme le commissaire
Masson. Florissant, le crime organisé chinois a aussi depuis longtemps rodé son système de
blanchiment et d’évasion d’argent sale, dont une immense part retourne en Chine. Les enquêteurs
français estiment à plusieurs centaines de millions d’euros par an le chiffre d’affaires de cette mafia.
Pour ces mafieux chinois, l’empire du Milieu porte bien son nom.
Lʼimport-export est lʼun des secteurs utilisé par les
réseaux chinois pour blanchir de lʼargent. Cʼest un
domaine particulièrement surveillé par les services des
douanes qui traquent le commerce de contrefaçons
Soupçons sur les rachats de bars-PMU
DA.D. | Publié le 11.11.2012, 07h00
Il aura fallu du temps mais les policiers du Service central des courses et jeux (SCCJ) de la police
judiciaire ne sont pas mécontents de leur voyage en Chine. En septembre dernier, ces enquêteurs
français ont en effet pu se rendre en République populaire de Chine pour glaner de très précieux
éléments dans le cadre d’un important dossier de blanchiment visant le rachat de plusieurs barsPMU dans la capitale et en région parisienne.
Les investigations avaient démarré en 2010 après une vague de transactions plutôt suspectes, liées à
une dizaine d’établissements situés à Paris, en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine. « Une
partie de ces fonds était acquise avec de fortes sommes d’argent liquide provenant de soi-disant
héritages ou de reventes de biens immobiliers en Chine au profit des acquéreurs, explique cette
source judiciaire. A l’époque, un élément nous avait intrigués : la même étude notariale, basée en
Chine, était à l’origine de tous les documents fournis. » En réalité, la plupart des attestations fournies
étaient fausses. L’argent liquide circule en masse. Cette enquête, certes fastidieuse, démontre, en
tout cas, l’intérêt que portent certains membres de la communauté chinoise pour blanchir de l’argent
en France. Au moment de l’acquisition du fonds de commerce et après. « Un bar-PMU, c’est le
paradis pour ce genre d’opérations : il y a beaucoup d’argent liquide qui circule et, malgré les
contrôles, on peut parfaitement recycler l’argent sale en rachetant, par exemple, des tickets gagnants
à certains clients pour les encaisser ensuite », note ce policier spécialisé. Même si toutes les
transactions d’achat et de vente de bars réalisées en France par des membres de la communauté
chinoise ne sont pas suspectes, les services de police suivent la question de très près : « Lorsque des
personnes, parfois très jeunes et sans véritables revenus, peuvent s’offrir, même avec un emprunt, un
fonds de commerce à 500000 €, on est en droit de s’interroger », lâche un enquêteur. Prés de la gare
du Nord, dans une brasserie-PMU, le patron, Chinois d’origine, s’avoue « choqué » par ces soupçons.
« Quand les Auvergnats achetaient de nombreuses brasseries en France, on ne parlait pas de mafia
auvergnate. Moi, je suis ici pour travailler. Je me suis endetté pour acheter cette affaire », réagit-il,
sans toutefois vouloir donner son nom : « Et si certains ne sont pas clairs dans la communauté, ils
seront punis un jour ou l’autre. »