Alexandra David-Neel

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Alexandra David-Neel
Alexandra David-Neel
Née à Paris, Saint Mandé, le 24 octobre 1868, Alexandra David-Néel est décédée à Digne le 8
septembre 1969.
Maison natale de Louise Eugénie Alexandrine Marie David, cours de Vincennes, Saint-Mandé,
accompagnée de l'adresse correspondante écrite de la main même de l'auteur.
Cette longue vie, Alexandra David-Néel l'a tout entière consacrée à l'exploration et à l'étude, ses
deux grandes passions qui, dans sa petite enfance, ont fait d'elle une enfant terrible, dans son
adolescence une contestataire, dans sa jeunesse une anarchiste, et dans sa vieillesse un des plus
sages "penseurs libres" du XXe siècle.
Alexandra David, son père et sa mère.
Louise Eugénie Alexandrine Marie DAVID, fille unique née d'un père français, de souche
huguenote, et d'une mère catholique d'origine scandinave, va très vite montrer les côtés les plus
caractéristiques de sa personnalité qui tranchera sur ce milieu parental, bourgeois, austère et grave.
C'est une enfant fière, farouchement individualiste, éprise de liberté qui pratiquera l'art de la fugue
jusqu'à sa majorité, abandonnant ce triste ménage qui ne s'aime pas, pour des voyages lointains et
initiatiques qui montrent en elle cette nécessité de partir, toujours plus loin, et qui ne se démentira
jamais.
C'est ainsi que pour voir jusqu'où pouvait mener la route passant devant le jardin de ses grands
parents, elle s'enfuit dès l'âge de deux ans par la porte restée entrouverte ! C'est bien entendu un
bébé navré que ses parents affolés ont amené à la maison.
A l'âge de cinq ans, elle récidive. Cette fois, c'est le bois de Vincennes qu'elle veut découvrir. Hélas,
à la nuit tombante, un garde du Bois traîne jusqu'au poste de police, où sa disparition avait été
signalée, la petite Alexandra, horriblement vexée de voir où se termine sa première grande
exploration.
Etait-elle définitivement découragée ? Certes pas ! En griffant de tous ses petits ongles la main du
policier qui la reconduisait chez ses parents, elle jure de se venger un jour des ignobles grandes
personnes qui empêchent les pauvres petits enfants de faire ce qu'ils veulent ! Elle partira et rien ni
personne ne la retiendra.
Alexandra a six ans. Sa famille s'installe au sud de Bruxelles, à Ixelles ; c'est là qu'elle passera la
plus grande partie de sa jeunesse.
Ixelles, Belgique.
Pendant la période des vacances, les David s'ingéniant à tuer le temps, Alexandra déplorait
"l'inutilité d'un tel massacre" :
"J'ai pleuré plus d'une fois amèrement, ayant la sensation profonde de la vie qui s'écoulait, de mes
jours de jeunesse qui passaient vides, sans intérêt, sans joie. Je comprenais que je gâchais un temps
qui ne reviendrait jamais, que je perdais des heures qui auraient pu être belles. Mes parents, comme
la plupart des parents-poules qui ont couvé, sinon un aigle de grande taille, du moins un diminutif
d'aiglon épris de libre vol à travers l'espace, ne comprenaient rien à cela et, quoique pas plus
méchants que d'autres, ils m'ont causé plus de mal que ne l'aurait fait un ennemi acharné."
Malgré cette triste jeunesse, Alexandra ne perd jamais de vue son principal objectif : voyager ! Et il
est impossible de rapporter les nombreuses fugues de l'incorrigible Alexandra, qui n'a pas attendu de
devenir grande pour tenir sa promesse. Tous les chapitres de sa longue vie peuvent commencer par :
Elle est partie ! et se terminer par : Elle va repartir...
Si pour elle, les voyages, c'est partir à la poursuite de l'horizon, contempler la nature que, si
possible, rien ne dépare, c'est avant tout une recherche philosophique et religieuse.
A 6 ans déjà, elle ne s'endormait pas sans avoir lu et médité un verset de la Bible.
A 12 ans, son jeune cerveau se torturait pour s'expliquer le mystère de la Trinité.
A 15 ans, Epictète et les philosophes stoïciens nourrissaient ses pensées et déterminaient ses actes.
C'est donc presque une adulte qui se rend seule, en Angleterre, en 1883, d'où elle ne reviendra
qu'après avoir dépensé le contenu de sa bourse.
A 17 ans, elle accomplit ce qu'elle appelle un vrai voyage. Par un matin brumeux, en robe à froufrou et bottines délicates, elle quitte Bruxelles, prenant un train en direction de la Suisse. Quelques
jours plus tard, sa mère se rendra sur les bords du lac Majeur pour récupérer sa fille arrivée là sans
un sou, après avoir traversé le Saint-Gothard à pied et visité les lacs italiens avec, pour tout bagage,
un imperméable et le "Manuel d'épictète".
En 1886, Alexandra a 18 ans. Sur une lourde bicyclette à pignons fixes, baluchon accroché au
guidon, sans rien dire à ses parents, elle quitte Bruxelles où ils s'étaient installés, pour visiter
l'Espagne.
A la suite d'un séjour à Londres, Alexandra commence à étudier sérieusement les philosophies
orientales tout en se familiarisant avec la langue anglaise. Ayant obtenu sa majorité le 24 octobre
1889, elle quitte sa famille, s'installe à Paris à la Société Théosophique et entreprend en auditeur
libre des études en Sorbonne, aux Langues Orientales et au Collège de France. Alexandra visite sa
ville natale dans les moindres recoins et, surtout, le musée Guimet où, le plus souvent possible, elle
"s'attarde dans la bibliothèque d'où des appels muets s'échappent des pages que l'on feuillette. Des
vocations naissent" et, ajoute-t-elle, "la mienne y est née."
Parallèlement, elle fréquente diverses sociétés secrètes - elle atteindra le trentième degré dans le rite
écossais mixte de la Franc-Maçonnerie - et les milieux féministes, anarchistes, la reçoivent avec
enthousiasme.
En 1899, elle écrira un traité anarchiste préfacé par le géographe anarchiste élisée Reclus.
Cependant, les éditeurs sont épouvantés et refusent la publication de ce livre écrit par une femme,
tellement fière qu'elle ne supporte aucun des abus de l'état, de l'armée, de l'église, de la haute
finance.
Pour suppléer ces refus, Jean Haustont avec qui elle vit en union libre depuis 1896, se fait éditeur et
imprime lui-même cette plaquette. Celle-ci passera quasiment inaperçue au niveau du grand public,
mais sera néanmoins remarquée dans les milieux anarchistes et traduite en cinq langues dont le
Russe.
Elle poursuit également des études musicales et lyriques et sur la scène de nombreux théâtres, elle
obtient un succès certain en interprétant divers rôles : entre autres, Marguerite de Faust, Manon de
Massenet et Carmen de Bizet. Cependant, après avoir rempli son contrat à l'opéra d'Athènes,
Alexandra abandonne cette carrière qu'elle n'aime pas. Pourtant, celle-ci la faisait voyager ! mais de
ville en ville, alors qu'elle aimait les déserts et dans le bruit des bravos, alors qu'elle préférait l'écho
lointain de l'Angélus ! et plus encore, celui des gongs qui, là-bas, dans les monastères tibétains,
appellent à la méditation.
Alexandra ne peut oublier, en effet, cette "prenante musique tibétaine" entendue pour la première
fois au nord de l'Inde. C'est vers 1890-1891, grâce à un héritage légué par sa marraine, qu'elle a pu
pendant plus d'une année parcourir l'Inde du sud au Nord et d'Est en Ouest. Elle est fascinée par la
magie de l'Inde, envoûtée par la musique tibétaine, émerveillée par les sommets de l'Himalaya ! Elle
y retournera !
Swami Bhaskarânanda, maître d'Alexandra David, rencontré lors de son premier voyage en Inde,
dans les années 1890.
Mais avant de repartir pour cette Asie qui, chaque jour, l'attire davantage, elle fait un "crochet" par
l'Afrique du Nord. Elle veut entendre le Muezzin appeler du haut du minaret les fidèles à la prière ;
surtout le soir, au soleil couchant, disait-elle. Bien entendu, Alexandra a aussi étudié le Coran.
Arrivée à Tunis avant le grand départ, la halte sera plus longue. Elle y rencontre un distingué et
séduisant ingénieur des Chemins de Fer : Philippe Néel, qui la persuade de mettre fin à son célibat.
C'est en 1904,Alexandra a 36 ans.
Bien que féministe convaincue, elle accepte cette union qui, au bout de quelques mois à peine, la
conduira au bord de la dépression. Alexandra n'était pas faite, non plus, pour tenir le rôle de la
femme au foyer !
Philippe Néel comprend que le démon des voyages torture toujours sa singulière épouse. Les petites
croisières à bord de son voilier baptisé "l'Hirondelle" ne lui suffisent pas. Il lui propose alors un
lointain voyage. Enthousiaste, elle accepte la proposition. Mais avant de gagner l'Inde, elle fait un
petit détour par l'Angleterre, car elle veut se perfectionner dans une langue qui lui est indispensable
pour ses études orientalistes.
Philippe Néel sur son voilier "l'Hirondelle" dans la rade de Tunis. Philippe Néel devant un autorail.
Elle y restera de nombreux mois, retourne en Belgique dire au revoir à sa mère, visite la tombe de
son père - ami de Victor Hugo et révolutionnaire de 1848 -, revient quelque temps à Tunis auprès de
son mari et c'est, enfin, le départ.
Nous sommes en août 1911, sur le quai d'embarquement, Alexandra promet à ce "compréhensif
mari" de regagner le domicile conjugal dix huit mois plus tard... Mais ce n'est que quatorze ans
après, en mai 1925, que ces époux, liés par un contrat de mariage, mais aussi par une profonde et
indéfectible amitié, se retrouvent... pour quelques jours seulement. En effet, l'adoption du jeune
Lama Yongden, son compagnon d'exploration et preuve de son voyage à Lhassa (exploit qui la fit
connaître au monde entier en 1924), amènera la séparation d'Alexandra et Philippe.
Livre traditionnel tibétain dans son enveloppe de brocart.
Il ne faut pas oublier qu'Alexandra vient de parcourir des milliers de kilomètres à travers l'ExtrêmeOrient et une grande partie de l'Asie Centrale, perfectionnant sa connaissance du sanskrit et, surtout
du tibétain, ce qui lui a permis d'avoir accès aux plus grands gurus et de rencontrer les plus grands
penseurs. Elle a écouté, étudié, écrit, allant partout où il lui a été possible de pénétrer.
Camp d'Alexandra dans le massif du Kangchenjunga, Sikkim, 1912.
Première expédition au
Tibet, 1912, en compagnie du futur Maharadja du Sikkim, Sidkéong Tulku.
Arrivée au Sikkim en 1912, où des liens de très étroite amitié l'ont liée à Sidkéong Tulku, souverain
de ce petit état himalayen, elle a visité tous les grands monastères, augmentant ainsi ses
connaissances sur le Bouddhisme et plus précisément sur le Bouddhisme tantrique.
C'est dans l'un de ces monastères qu'elle a rencontré en 1914 le jeune Aphur Yongden dont elle fera
par la suite son fils adoptif. Tous deux décident alors de se retirer dans une caverne ermitage à
3900mètres d'altitude, au Nord du Sikkim.
Là, elle est auprès d'un des plus grands Gomchens (ermites) dont elle a le privilège de recevoir
l'enseignement et surtout, elle est tout près de la frontière tibétaine, qu'envers et contre tous, elle
franchira à deux reprises. Elle pénétrera même jusqu'à Jigatzé, l'une des plus grandes villes du sud
du Tibet, mais pas encore à Lhassa, qui en est la capitale interdite. A cause de ces incartades,
Alexandra sera expulsée du Sikkim en 1916.
Alexandra David-Néel devant l'ermitage de Latchen, au Nord du Sikkim, où elle résida de 1914 à
1916. Le Gomchen de Latchen, devant son ermitage.
Après avoir supporté les rigueurs de trois hivers himalayens, vexée, mais pas pour autant désarmée,
Alexandra suivie de Yongden, quitte son ermitage et poursuit l'aventure. Revenir en Europe en
pleine guerre 14/18 était impossible. Ils resteront donc quelques mois en Inde et s'embarqueront
ensuite pour le Japon.
Du Paquebot "Taroba" au paquebot "Cordillère", Alexandra transbordera ses nombreux bagages... et
sa nostalgie.
Elle débarque au Japon qu'elle trouve joli, certes ! mais qui la déçoit. Dans un train qui s'éloigne de
Tokyo, le 12 mars 1917, elle écrit à son mari :
"Le Japon m'a déçue, mais sans doute tout m'aurait déçue dans mon état d'esprit. Je ne nie pas les
sites charmants d'Atami ; durant mon retour en chemin de fer, j'ai traversé des régions
montagneuses ravissantes, mais on peut en voir d'à peu près semblables dans les Cévennes, les
Pyrénées, ou les Alpes ! tandis que les Himalayas sont uniques.
A vrai dire, j'ai le "mal du pays" pour un pays qui n'est pas le mien. Les steppes, les solitudes, les
neiges éternelles et le grand ciel clair de "là-haut" me hantent ! Les heures difficiles, la faim, le
froid, le vent qui me tailladait la figure, me laissait les lèvres tuméfiées, énormes, sanglantes. Les
camps dans la neige, dormant dans la boue glacée, tout cela importait peu, ces misères passaient
vite et l'on restait perpétuellement immergé dans le silence où seul le vent chantait, dans les
solitudes presque vides même de vie végétale, les chaos de roches fantastiques, les pics vertigineux
et les horizons de lumière aveuglante. Pays qui semble appartenir à un autre monde, pays de titans
ou de dieux ? Je reste ensorcelée.
J'ai été voir là-haut, près des glaciers himalayens, des paysages que peu d'yeux humains ont
contemplés, c'était dangereux peut-être et comme dans les fables antiques, les déités se vengent.
Mais de quoi se vengent-elles ? de mon audace d'avoir troublé leurs demeures ou de mon abandon
après avoir conquis une place auprès d'eux ? Je n'en sais rien, pour le moment je ne sais que ma
nostalgie."
Alexandra va donc se réfugier dans l'étude et rencontrer dans ce but des orientalistes, des érudits,
des mystiques. L'un d'eux, le moine philosophe Ekaï Kawaguchi va lui apporter une lueur d'espoir.
Alexandra David-Néel et Aphur Yongden en compagnie du philosophe Ekaï Kawagushi.
Quelques années auparavant, sous le déguisement d'un moine chinois, il a réussi à demeurer
quelque 18 mois à Lhassa. Prévenu des soupçons qu'il éveillait et sur les conseils d'un de ses amis,
il dut prendre la fuite.
Cette histoire passionne Alexandra et lui donne des idées...
Ils quittent donc le Japon, trop pluvieux et trop peuplé, refont les bagages et s'embarquent pour la
Corée. Les montagnes, rassure-t-elle Yongden, vont lui rappeler le Tibet. Ils ne parlent pas le
coréen, mais vont sûrement le baragouiner dans quelques mois, écrit-elle à son mari.
Départ en Kago, monastère de Yuten-Ji, Corée.
Monastère de Yuten-Ji, Monts de Diamant,
Corée.
Les rencontres dans ce pays sont très intéressantes. Cependant, la nostalgie demeure ! Alexandra,
Yongden et les bagages prennent le train pour Pékin... Là, au temple des Lamas se trouvent des
érudits ; ils sont Tibétains ! Alexandra parle leur langue, tout va s'arranger. Hélas, pas tout à fait
comme elle l'avait prévu. Au bout de quelques mois, ils refont leurs bagages.
Tous deux, en compagnie d'un Lama très excentrique, vont traverser dans de grandes difficultés
toute la Chine d'Est en Ouest. Ils visitent le Gobi, la Mongolie et, après trois années d'études
passées au monastère de Kum-Bum, abandonnant mules, yaks, domestiques et "les bagages", vêtue
d'une robe de mendiante et pour Yongden de son habit de moine, empruntant le plus souvent des
chemins inexplorés, ils franchiront, cette fois avec succès, la frontière de ce si mystérieux Tibet.
Après bien des péripéties - les plus dures probablement endurées au cours de leurs nombreuses
pérégrinations - ils arriveront épuisés à Lhassa.
Ils y séjourneront deux mois, durant lesquels ils visiteront la ville sainte et les grands monastères
environnants : Drépung, Séra, Ganden, Samyé...
Le Potala durant les festivités du nouvel an, février 1924. Alexandra David-Néel et le Lama
Yongden à Lhassa, devant le Potala, février 1924. Détail de la photo précédente.
Alexandra jouant toujours le rôle de la vieille mère effacée récitant le mantra "Om Mani Padmé
Hum" et laissant à Yongden les tâches de marchander, de débattre toutes les questions matérielles.
Le scénario était parfaitement au point !
Cependant, Alexandra commet à Lhassa même une imprudence qui faillit lui coûter cher, celle de se
rendre chaque matin à la rivière pour faire un brin de toilette en cette période hivernale. Ce fait
inhabituel intrigue une de ses voisines à un point tel qu'elle le signale au Tsarong Shapé (le
gouverneur de Lhassa). Celui-ci, absorbé par des préoccupations plus importantes, allait, quelques
temps plus tard, envoyer un de ses hommes pour procéder à une enquête lorsque la rumeur lui
apprend qu'Alexandra et Yongden viennent d'arriver à Gyantsé. Le gouverneur en a aussitôt déduit
que la dame se lavant tous les matins ne pouvait être qu'Alexandra.
Cette histoire, Alexandra et Yongden ne l'ont connue que quelques mois après, par des lettres de
messieurs Ludlow et David Macdonald, l'agent commercial britannique qui, à Gyantsé, a stoppé
leur avance. Ce dernier, avec son gendre le capitaine Perry, s'est occupé de leur procurer les papiers
nécessaires, afin qu'ils puissent par la suite regagner l'Inde par le Sikkim.
Après avoir vécu ces années inoubliables, après avoir porté si longtemps la robe aurore, couleur du
détachement en Inde et la robe grenat au Tibet, contemplé les plus hauts sommets du monde et les
immenses solitudes de l'Asie centrale, comment aurait-elle pu rentrer en France et se réadapter à
une vie que, délibérément, il y a quatorze ans de cela, elle avait fui ?
Samten Dzong, mai 1928.
Alexandra se sépare donc de Philippe, parcourt la Provence, et c'est Digne qu'elle choisit en 1928
pour y bâtir Samten-Dzong, sa forteresse de la méditation. Certes, la Bléone n'est pas le fleuve
Brahmapoutre ! Le pic du Couar n'est pas l'Everest ! Mais, le ciel est bleu, le soleil brille, Alexandra
est séduite par la beauté de ces pré-Alpes, ces Himalayas pour Lilliputiens, comme elle se plaisait à
le dire aux journalistes. Elle, qui a parcouru une grande partie de notre globe, traversé des régions
paradisiaques, respiré le violent parfum des forêts d'orchidées en fleurs, n'a à aucun moment
regretté de s'être fixée dans cette cité parfumée de lavande. Elle y publie plusieurs livres qui relatent
ses voyages et commente, avec succès, les théories des mystiques et magiciens qu'elle a approchés.
Entre ces diverses publications - toujours accompagnée d'Aphur Yongden, le fidèle compagnon
d'aventures, devenu légalement son fils adoptif - elle fera de grandes tournées de conférences en
France et en Europe.
Dix ans passent ainsi. Nous sommes en 1937. Alexandra n'a que 69 ans et conserve une persistante
nostalgie de ces pays lointains.
Embarquement à Hankéou sur le Yangtsé, Chine.
Elle obtient à nouveau des aides de divers ministères et touche des droits d'auteur. Philippe Néel,
avec qui elle est parfaitement réconciliée et qui, durant son premier voyage, l'a aidée financièrement
pendant la guerre de 14/18, alors qu'elle n'avait pas obtenu la reconduction de sa subvention, va de
nouveau lui apporter son aide. En effet, Alexandra se retrouvera dans les mêmes pénibles conditions
créées, cette fois, par la guerre Sino-Japonaise et la guerre civile en Chine. Elle restera donc une des
principales préoccupations de Philippe Néel jusqu'en 1941, date de sa mort. En apprenant sa
disparition, Alexandra dira : "J'ai perdu le meilleur des maris et mon seul ami...", ce qu'il était
effectivement devenu pour elle, après les premières années très difficiles de leur union.
Mais nous ne sommes qu'en 1937. Alexandra et Yongden repartent donc pour la Chine et, vu son
grand âge, Alexandra pense que le voyage sera court... alors il faut en profiter. Elle remonte à
Bruxelles par les petits chemins, vicinaux si possible ; prend le Nord Express qui la conduit à
travers toutes les capitales d'Europe, jusqu'à Moscou. Puis, c'est le long parcours en Transsibérien.
Arrivés en Chine, tous deux reprennent la vie errante, studieuse et quelque peu mondaine
d'autrefois.
Tout cela se passe sous les violents bombardements de la guerre sino-japonaise. Alexandra connaît
les pires difficultés ; l'argent n'arrive plus d'Europe ; le froid est rigoureux ; la famine et les
épidémies sont dramatiques ; sous ses yeux se déroule un spectacle d'horreur et en 1941, elle
apprend la mort de son meilleur ami, son mari.
Fuyant alors les atrocités en charrette ou à pied, mais continuant à écrire et à étudier, Alexandra et
Yongden, arrivent en Inde en 1946. Près de 10 années se sont écoulées, elle a 78 ans.
A regret, elle rentre en France pour régler la succession de son mari et, de nouveau, s'installe à
Digne où elle reprend la plume pour raconter ses nouvelles aventures. Elle publie de nombreux
livres, traduits en plusieurs langues, fait des conférences en France et en Europe. A son retour, âgée
de 82 ans, pour se reposer de ses fatigues, elle va camper au début de l'hiver au lac d'Allos, à 2240
mètres d'altitude.
Lac d'Allos, 2240m, Basses-Alpes, France.
Mais c'est là la dernière fugue d'Alexandra, car les rhumatismes dont elle souffre s'aggravent et,
bien plus grave encore, en 1955, elle perd son compagnon de voyage. Celui qui, pendant 40 années,
l'avait suivie fidèlement et qui, logiquement, devait lui survivre - il avait trente ans de moins qu'elle
- avait commis l'impudence, disait-elle, de partir avant elle. A 87 ans, pour oublier sa solitude et sa
persistante nostalgie du Tibet, Alexandra s'est remise au travail, obstinément, jusqu'au 18ème jour
avant le départ pour son dernier grand voyage - elle allait avoir 101 ans - elle a étudié, écrit, et
exprimait encore son désir de retourner là-bas, probablement pour y poursuivre ses études...
Alexandra David-Néel centenaire.
C'est ainsi qu'Alexandra David-Néel, à 100 ans et demi, à l'étonnement de Monsieur le Préfet des
Basses-Alpes (aujourd'hui Alpes-de-Haute-Provence), a fait renouveler son passeport.
A l'étonnement de Monsieur le Préfet des Basses-Alpes, Alexandra David-Néel renouvelle son
passeport à 100 ans et demi.
Le 15 octobre 1982, puis du 21 au 26 mai 1986 Sa Sainteté le XIVème Dalaï-Lama est venu à
Digne visiter sa maison "Samten-Dzong" rendant ainsi hommage au courage d'Alexandra DavidNéel qui, par son oeuvre, a fait connaître aux occidentaux le haut pays des neiges. C'est à Bénarès,
le 28 février 1973, que les cendres de l'exploratrice du Tibet et de son fils adoptif le Lama Yongden
ont été immergées dans le Gange.