Télécharger le fichier immédiatement
Transcription
Télécharger le fichier immédiatement
Skarn AUTRE CONTINENT 1 Skarn AUTRE CONTINENT (Edge Project V7) * Roman Hors édition 2 1. Souvenirs Le jour se levait sur la vaste plaine d’Huliers, le soleil perçait non sans mal le tapis nuageux qui recouvrait le ciel, effaçant une nuit sans encombres supplémentaire. Il dispersait agréablement la douce chaleur de ses rayons sur le visage fatigué de la fillette. – Encore une ! ! ! S’exclama Marion, exténuée mais satisfaite, pourvu que ce ne soit pas la dernière. Derrière elle, une petite équipe de rescapés se réveillait avec peine, épuisée par de trop courtes nuits. On pouvait voir les cernes sous les yeux des enfants, la pâleur et la maigreur les rendaient cadavériques. Leurs gestes lents trahissaient leur 3 envie de rester encore quelques heures à l’abri des bras de Morphée, bien au chaud sous leurs couvertures. Il s’en était passé des nuits, depuis que la Grande Tempête avait bouleversé le petit monde d’Huliers, depuis que la jeune fille était devenue responsable du petit groupe de survivants. Il s’en était passé des événements, elle n’aurait pas même osé les imaginer dans sa précédente vie, celle où elle était une simple collégienne de campagne. Elle aurait alors pensé qu’ils étaient tout simplement impossibles. Et pourtant… * ** Ce matin-là, il y a plus d’un an déjà, il y a des siècles pensait-elle, elle s’était apprêtée à rejoindre son collège dans la bourgade voisine. Comme tous les jours, elle s’était pomponnée, ravie à la seule idée de retrouver Laurian. 4 Maquillage léger sur les paupières, un coup de crayon pour souligner ses magnifiques yeux turquoise, elle avait pris le car scolaire, le cœur léger, accompagnée de ses deux frères, Yann et Jérémy, pour couvrir les quelques kilomètres que séparaient le petit village de Seruerp à celui d’Huliers C’était une élève modèle, avec des résultats plus que satisfaisants. A quatorze ans, Marion était plutôt grande pour son âge, et la pratique du sport aidant, sa silhouette longiligne lui donnait un air plus âgé. Elle s’était préparée ce jour-là pour une exhibition de gymnastique, et elle savait qu’elle allait attirer les regards. Beaucoup de ces condisciples en effet, aimaient l’admirer : ses pupilles claires et sa chevelure blonde ne passaient pas inaperçues, un profil atypique pour la région, d’un genre qu’on rencontrait plus souvent dans les pays scandinaves. Mais loin de la rendre fière, ces petites attentions, ces regards soutenus et les chuchotements qui les accompagnaient la gênaient. Elle était en effet plutôt du genre timide. A la descente du bus, alors qu’elle allait pénétrer dans l’enceinte du collège, elle avait ressenti quelque chose qu’elle n’aurait pu expliquer, quelque chose qui avait effacé instantanément sa bonne humeur. C’était comme une sorte de malaise : sa tête lui semblait prise dans un étau. Les sons 5 autours d’elles lui arrivaient comme étouffés. Ses yeux ne lui renvoyaient que des images troubles, elle ressentait des coups dans les côtes. Puis les haut-le-cœur apparurent et lui firent remonter un goût amer dans la bouche. Elle ne fut tirée de cet état second que par son frère qui lui tapait sur l’épaule pour lui demander d’avancer, sans même s’apercevoir de ce qui se passait. Ce n’était pas la première fois qu’elle se sentait mal à l’aise sans en avoir la véritable explication. La plupart du temps, elle avait juste ressenti une sensation désagréable. En règle générale, fermer les yeux et se secouer la tête mettaient fin instantanément à ces désagréments. Mais à l’instant présent, la sensation était tellement forte qu’elle se recroquevilla instinctivement sur elle-même, croisant les bras sur sa poitrine comme si elle voulait empêcher son cœur de quitter son torse. Ces douleurs lancinantes et inhabituelles étaient si fortes, qu’elles lui faisaient pousser des petits cris plaintifs. Son jeune frère, Yann, insistant derrière elle pour la faire avancer, lui fit reprendre ses esprits, elle adopta aussitôt une attitude normale en s’excusant et reprit son chemin comme si rien ne s’était passé. Pourtant, tout ceci n’était qu’apparence. 6 Ses oppressions pesantes ne disparurent pas pour autant avec le simple fait de marcher vers son école. Pire encore, en plus des nausées elle sentait maintenant la chaleur à l’extrémité de ses doigts, comme lorsqu’elle les exposait trop longtemps au feu de la cheminée les soirs de grand froid. Elle luttait à présent contre ses vertiges pour ne pas tomber et redoublait d’attention sur les sons qui l’entouraient pour pouvoir continuer à avancer comme si tout était normal. Et soudain, alors qu’elle entrait dans la cour, il était là, à seulement quelques pas d’elle. Laurian, dans son habituelle attitude légèrement désinvolte, était appuyé contre le mur du préau. Lâchant la conversation qu’il entretenait avec ses camarades, il avait tourné instinctivement son regard vers elle à l’instant même où Marion avait posé un pied dans la cour, comme si une sorte de sixième sens l’avait averti de sa présence. Un petit sourire complice au coin des lèvres, un clin d’œil furtif partagé entre les deux adolescents, et les sensations désagréables qu’elle ressentait disparurent instantanément. Marion ne s’aperçut que ses doigts refroidissaient à grande vitesse, que lorsqu’ils provoquèrent des fourmillements qui lui 7 remontaient jusqu’aux épaules et redescendaient jusque ses intestins. Ce ressentiment de Froid/Chaud qui l’envahissait peu à peu, la rendait euphorique. - Tu es prête pour tout à l’heure ? Marion ne réagissait pas, elle regardait en direction de Laurian le sourire aux lèvres, perdue dans ses pensées, la tête lui tournant légèrement. - Marion, tu rêves ? Tu es prête pour la présentation ? - Ho ! Salut Myriam. Excuse-moi, je ne suis pas en grande forme ce matin. Mais pas de problème, je serai prête pour ce midi. - Impec ! ! Tu vas tout déchirer, comme d’hab. A tout’. Myriam et Marion étaient à ce moment là bien loin de se douter du destin funeste qu’elles allaient devoir endurer. En levant les yeux vers l’endroit où se trouvait Laurian quelques instants auparavant, Marion ne vit plus le jeune garçon. Sa sensation de mal être reprit alors de plus belle, la faisant vaciller. Sa tête la vrillait, mais il lui fallait pourtant 8 lutter, refouler ce sentiment étrange qui semblait prendre possession de son âme et de son corps pour pouvoir participer à représentation. Elle prit la direction des toilettes, difficilement, toujours vacillante, traversant la petite foule d’écolier et croisant les regards indifférents. Ses jambes avaient beaucoup de mal à la porter. Elle devait s’appuyer sur les murs pour ne pas tomber. Chaques pas lui semblait une corvée insurmontable, les nausées étaient de plus en plus oppressantes au fur et à mesure de sa laborieuse progression. Lorsqu’elle parvint enfin à son but, après plusieurs minutes de lutte contre son estomac, elle put enfin se rafraîchir au robinet. Etre prête pour le gala de gymnastique lui semblait maintenant compromis. Il était plus qu’évident qu’elle n’arriverait jamais à tenir sur la poutre dans cet état, et encore moins à se réceptionner correctement sur les barres asymétriques. Non sans une certaine appréhension, elle songea à la suite de la journée qu’elle avait souhaitée parfaite. Elle redoubla d’efforts pour lutter contre son malaise, bien décidée à offrir un spectacle de gymnastique digne de son talent, un show qui resterait dans les annales, une représentation dont on parlerait pendant longtemps. 9 Pour autant, l’eau froide ruisselant sur son visage d’ange ne calma pas ses troubles. Ses doigts la brûlaient atrocement. Elle fut prise de tremblements, puis de violents spasmes. Sa tête recommençait à la marteler et à tourner de plus belle. Les nausées lui semblaient plus fortes, provoquant des douleurs abdominales. Ses jambes vacillaient, la portant de plus en plus difficilement. Un regard dans le miroir, un voile blanc devant ses yeux… Elle s’effondra. * ** Mélie fut la première à entrer dans les toilettes. Elle y trouva Marion recroquevillée et toute tremblante, prostrée dans un coin de la pièce sous le lavabo. Sa première réaction, presque instinctive, fut d’interpeller un élève près d’elle pour qu’il donne l’alerte, puis, avec un calme olympien elle se 10 rendit près de sa camarade. Elle lui prit la main et la tapota délicatement, espérant que ce geste ferait sortir sa camarade de sa torpeur. - Marion, ça va ? ? Marion, dis-moi quelque chose, ouvre les yeux ! ! Marion ne répondit pas, elle n’allait pas bien du tout en fait. C’était bien plus fort que toutes les crises qu’elle avait connues jusqu'à ce jour. La sueur perlait sur son front, et son regard semblait vide, ses yeux étaient entourés de cernes d’un noir profond. Mélie, inquiète de ne pas avoir de réaction de la part de sa consœur perdit un peu de son sang-froid. Elle hurla. - Au secours, quelqu’un ! ! ! ! AU SECOURS ! ! ! La fillette était d’un naturel à porter de l’aide des autres en toute circonstance mais sa condition physique ne l’aiderait pas beaucoup si Marion venait à perdre connaissance. Il faut dire qu’avec son mètre trente sept, elle était plutôt menue pour une fillette de onze ans. Son visage, presque entièrement masqué par ses longs cheveux blonds s’approcha de celui de Marion. Elle voulait entendre sa respiration, écouter les battements de son cœur, sentir un souffle tiède sur sa peau. 11 Tout ce qui pourrait lui donner le signe que son amie revenait à elle serait le bienvenu. Plusieurs élèves étaient entrés dans les toilettes, certain par curiosité, d’autres cherchant l’occasion d’argumenter quelques sordides conversations. Jean, un grand costaud qui se prenait, à tort, pour le caïd du collège était de ceux-là. Il sortit même son téléphone portable dernier cri pour filmer la scène, histoire d’alimenter un peu son blog. Après quelques courtes minutes, l’entrée des toilettes fut complètement noire d’élèves. Alors que la respiration de Marion devenait de plus en plus faible, Jean s’approcha au plus près des jeunes filles pour pouvoir capter les moindres détails du drame qui se jouait devant lui, n’hésitant pas à bousculer quelques-uns de ses compères. Il n’avait d’intérêt que pour ce qui se passait dans le coin de la pièce. Il essayait de cadrer au mieux la scène qu’il filmait devant lui. Avec un peu de buzz, il pourrait gagner pas mal de visiteurs sur son site, ce qui, il en était persuadé, l’aiderait à passer devant son éternel rival. Trop occupé à régler la caméra de son téléphone, il ne vit pas Marion tourner brusquement son regard vide vers lui. Ses longs cheveux trempés de sueur et les cernes plus prononcés encore que quelques minutes plus tôt lui donnaient un air 12 quasi cadavérique qui aurait pu donner peur à bien des adultes. Il ne vit pas non plus la main de la jeune fille pointer un doigt accusateur vers son visage. Tout ce qu’il vit en relevant la tête de l’écran de son téléphone, c’est un mur de carrelage blanc qui se rapprochait de plus en plus vite de lui. Il n’eut même pas le temps de se rendre compte qu’il se déplaçait à un mètre au-dessus du sol avant de s’assommer sur le carrelage froid du mur d’en face. En fait, tout s’était passé tellement vite, que personne n’avait véritablement prêté attention à ce qui venait de se passer, tous étant trop occupés à observer la belle Marion. Curieux, inquiets, de la voir en cette position si inhabituelle de faiblesse, aucun d’entre eux ne s’était préoccupé de Jean, personne n’avait porté le regard sur lui, trop habitués qu’ils étaient à le voir fanfaronner. La jeune fille était de nouveau prostrée, la sueur commençait à tremper ses vêtements, ses spasmes redoublaient de violence, obligeant Mélie à se reculer de peur d’être frappée par les gestes inconscients que faisait son amie. Même si elle n’en avait eu que faiblement conscience, l’effort qu’elle venait de produire l’avait épuisée encore un peu plus. Ses doigts lui semblaient braises, le reste de son corps glace. 13 Elle s’affaissa sur le sol, incapable d’en supporter d’avantage. Grelottant, elle leva un regard vers Mélie, et dans un souffle presque imperceptible la supplia presque : - Aide… Moi… S’il… te plaît… Ai…de… Moi… - Ne t’inquiète pas, ça va aller, lui répondit-elle en la serrant dans ses bras, les secours vont bientôt arriver. Tiens bon, je suis avec toi. En fait de secours, ce fut Guy qui, alerté par les rumeurs, arriva sur place. Ce solide gaillard, déjà quinze ans au compteur, et au physique de rugbyman était connu de tous dans le village et dans les environs. Doté d’un naturel aimant, il n’aspirait qu’à aider les autres, et, de ce fait, tout le monde appréciait celui qu’ils appelaient «Le Grand Brun ». Lors de son arrivée sur les lieux, tout le monde s’écarta naturellement pour lui faire place, pendant que Jean, de l’autre côté de la pièce, se relevait groggy. Tel un chef de tribu, le nouvel arrivant rejoint Mélie auprès de Marion et s’inquiéta de 14 la santé de cette dernière. En effet, à première vue, tout semblait laisser croire que la fillette allait de mal en pis. - Comment va t-elle ? qu’est-ce qu’elle a ? interrogea-til sans trahir sa propre inquiétude. - Je ne sais pas, je l’ai trouvée comme ça ! Où sont les profs ? Où est l’infirmière ? ? Elle a besoin d’aide ! ! Et vite ! ! ! - Ils arrivent, répondit Guy sans perdre son sang froid. En attendant je vais faire sortir tout le monde. Avec l’attitude d’un leader, Guy se leva, et repoussa la foule de curieux dehors, avec un calme naturel. Personne n’osait le contredire. Il s’expliquait fermement avec certains, calmement avec d’autres, repoussait plus brutalement les plus réticents. Jean suivit la foule, n’ayant pas véritablement conscience de ce qui lui était arrivé, si ce n’est qu’un bel hématome ornait sa joue droite. Puis l’attention du Grand Brun fut attirée par le groupe qui accourait. Ce nouvel élément mit fin à toute discussion, tout le monde fit place nette. L’infirmière, un surveillant et le 15 professeur d’Histoire arrivaient enfin, talonnés par Laurian et Myriam. Mélie était restée près de la jeune fille, la serrant le plus possible dans ses bras pour pouvoir la réchauffer. A l’arrivée des secours, elle ne put lâcher la main de celle qu’elle considérait comme le modèle du collège. Elle ne le fit qu’à la porte de l’ambulance, après que le groupe eût traversé la cour du collège pour en rejoindre la sortie. Lorsque Marion fut enfin évacuée par les pompiers, elle resta longuement à regarder le véhicule s’éloigner. Guy et Laurian vinrent la rejoindre, inquiets du sort que leur jeune amie allait devoir subir. Quelques flocons tombaient ça et là, comme pour rendre la scène plus froide encore, le véhicule devint de plus en plus flou avant de disparaître dans le brouillard verglaçant de l’hiver. Dans le VSL, Marion s’éloignait vers le centre hospitalier de Bougne, le plus performant et le plus proche des centres médicaux à quelques trente kilomètres de là. Alors que les infirmiers et médecins s’affairaient autour d’elle, elle sentait sa sensation de malaise la quitter. Elle n’avait plus froid à présent, elle ne tremblait plus. Ses doigts, même s’ils continuaient à fourmiller, n’étaient plus aussi douloureux. Ses 16 intestins avaient finalement regagné leur place et leur gargouillis avaient cessé à la faveur d’un grand calme. C’était le 21 décembre, jour de fête au collège d’Huliers, et dernier jour avant les vacances. Marion s’éloignant vers la ville, était loin de se douter qu’elle ne reverrait jamais la plupart de ses amis. La Grande Tempête ne faisait que commencer… 17 18 2. Seuls Marion ouvrit difficilement les yeux, ses paupières semblaient peser une tonne. Elle était frigorifiée, son corps entier était endolori, pire qu’à la suite d’un championnat de gymnastique. Lorsque sa vision fut enfin adaptée au manque de lumière, elle s’aperçut que quelque chose n’allait pas dans sa chambre. Les carreaux des fenêtres étaient brisés, la neige envahissait le plancher, le vent faisait pénétrer des flocons dans toute la pièce. Même bien emmitouflée dans ses draps, le froid la pénétrait à travers son pyjama. Grelottante, son premier réflexe fut de trouver des vêtements plus chauds, ce qu’elle fit avec difficulté. Ses jambes étaient ankylosées et avaient du mal à la porter, le 19 froid du sol n’arrangeant en rien sa progression vers l’armoire. Un pas après l’autre, elle commença sa douloureuse avancée à travers la chambre. Au moins, le froid l’avait totalement réveillée à présent. Elle atteignit enfin son but, et prit le temps de choisir une tenue qui la réchaufferait rapidement. Elle se choisit un gros pull et un pantalon de Velour qu’elle s’empressa d’enfiler directement au dessus de son pyjama/ Ceci fait et une fois réchauffée, elle essaya de rassembler sa mémoire. Que diable s’était-il passé ? Comment avait-elle atterri dans son lit ? Elle se dirigea machinalement vers le salon. Il faisait aussi froid dans le petit couloir sombre que dans sa chambre. Malgré ses nombreux appuis sur l’interrupteur, les lumières refusaient de s’allumer. La maison n’était certes pas très grande, mais le manque de luminosité lui faisait défaut. Trop de végétation empêchait la lumière d’entrer, et le temps couvert ne faisait qu’aggraver la situation Elle appela sa famille. - Papa ? ? Maman ? ? Pas de réponse. - Yann ? ? ? Jérémy ? ? ? Silence. 20 Elle entra dans le salon et marqua un temps d’arrêt à la porte. Portant une main vers sa bouche dans un signe de surprise, elle contempla un bien triste spectacle. Tout semblait désolation autour d’elle, la neige avait envahi la moitié de la pièce tapissant le sol d’un manteau de poudreuse d’une dizaine de centimètres, un courant d’air faisait voleter quelques papiers et journaux mêlés aux flocons. L’électricité ne fonctionnait pas plus que dans le couloir. Elle renouvela ses appels à plusieurs reprises, tous eurent le même résultat, la maison semblait vide de toute vie. Terrorisée, elle remarqua à peine le pantalon de jogging de son plus jeune frère traînant dans le coin de la pièce alors qu’elle courait dans le couloir. Elle hurla les prénoms des membres de sa famille en ouvrant les portes de toutes les pièces dans l’espoir d’y trouver une présence. Personne ne répondit. Aucune trace de quiconque dans la maison, pas même Blanche Neige, le chat, d’ordinaire si attaché à la chaleur du foyer. Pas un bruit si ce n’était celui du crissement des branches que provoquait le vent traversant les arbres endormis. Elle laissa tomber les bras le long de son corps, submergée par une vague de terreur mêlée d’incompréhension. Soudain, une lueur d’espoir s’empara 21 d’elle. Elle s’élança vers la dépendance. Peut-être seraient-ils tous là ? Oui, elle en était sûre, ils l’auraient certainement laissée se reposer pendant qu’ils cherchaient de quoi réparer les dégâts. En ouvrant la porte de la remise, mais avec désespoir elle comprit immédiatement qu’elle était aussi vide de toute vie que la maison. Elle se laissa tomber sur le sol froid de la pièce. Personne, pas un son, pas une présence, pas un chant d’oiseau. Rien ne semblait plus vivre dans cette petite ruelle de campagne. Seul le bruit du vent dans les peupliers rappelait à Marion que le temps ne s’était pas arrêté. Avec un profond sentiment de désespoir, elle remonta le long de la ruelle, visitant unes après les autres les rares maisons qui la longeaient. Il n’y avait pas plus d’âme qui vive dans aucune d’entre elles, et c’est abattue qu’elle se résolut à retourner vers son domicile après plusieurs heures de recherches. Elle y ramassa quelques affaires, et entreprit de se réchauffer en allumant un feu. Qui sait, peut-être serait-elle repérée par quelqu’un ? Le feu produisit l’effet escompté, elle fut rapidement réchauffée, recroquevillée sur une elle-même. Elle profita de ce moment apaisant pour essayer de se remémorer les 22 événements passés. L’école, le malaise, Jean qui s’approche, Laurian - Il fallait qu’elle retrouve Laurian - puis l’ambulance, les médecins, la clinique, les infirmières, le bruit des appareils de contrôle. Juste des flashs, des bribes de souvenirs, un semblant de mémoire. Elle n’arrivait pas à se rappeler précisément. Sa chambre, sa famille inquiète autour d’elle, le noir, un éclair, le noir, des éclairs, des ECLAIRS BLEUS, BEAUCOUP D’ECLAIRS BLEUS ! ! ! ! Elle se mit à hurler. Elle avait peur… Elle ne se souvenait que partiellement des événements, mais ces éclairs revenaient sans cesse dans sa mémoire, s’imprimant devant ses paupières fermées comme s’ils voulaient traverser son cerveau. Les éclairs avaient envahi son crâne, comme s’ils étaient emprisonnés à l’intérieur. Ses doigts commençaient à chauffer, la même perception que celle qu’elle avait ressentie l’autre jour. Mais quand était-ce ? Quel jour était-il aujourd’hui ? ? La sensation de brûlure dans ses doigts la sortit rapidement de son cauchemar éveillé. Instinctivement, elle souffla dessus pour les refroidir, pensant les avoir laissés trop près du feu pendant qu’elle était perdue dans ses pensées. Elle eut soudainement une image en tête : Laurian. Elle devait retrouver Laurian à tout prix, lui, il saurait certainement quoi faire. Et elle devait le retrouver vite. 23 C’était décidé : elle allait rejoindre le village voisin et tenter de retrouver son ami. Mais pour cela, il lui fallait se préparer d’abord, Huliers n’était certes qu’à trois kilomètres de là, mais avec cette neige, ça n’allait pas être évident. Rassemblant son courage, elle prit quelques vêtements de rechange, de la nourriture en conserves, des boissons sucrées et barres chocolatées, et bourra le tout dans un sac à dos de camping, le genre de modèle qui ressemble plus aux bardas militaires qu’à un sac à dos de jeune fille. Elle chercha également la carabine de chasse de son père, dans la remise. Curieusement, elle ne la trouva pas à son emplacement habituel, même les cartouches avaient disparu. Elle fut déçue, mais après un moment de réflexion, elle se dit qu’elle ne saurait de toute façon pas s’en servir. Si elle devait s’armer, un grand couteau de cuisine ferait l’affaire. Elle récupéra donc un couteau à viande qu’elle garda à la taille, bien à l’abri dans son fourreau. Elle prit ensuite la route, sans se retourner vers son foyer, elle longea la ruelle jusqu’à la route principale. Ce fut le début d’une longue aventure. 24 * ** Laurian avait vécu toute la scène depuis sa chambre, dans le bâtiment administratif du collège. Le bruit strident des vitres qui éclatent l’avait sorti de son profond sommeil. D’abord, il avait vu le nuage sombre arrivant comme un raz de marée depuis le sud, puis la neige commençant à tomber ardemment. Enfin, les éclairs avaient ratissé tous les étages de l’école, telles des mains tâtonnant à la recherche d’une proie. Il avait vu de ses propres yeux Michel, le concierge se faire attraper, par un de ces ersatz de main, ne laissant derrière lui qu’un nuage de fumée et une veste en cuir. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir essayé de lui échapper. L’homme, desespéré, avait enchaîné une course folle, zigzaguant entre les arbres dans l’espoir d’échapper à son assaillant, mais en vain. Il avait fallu un long moment au garçon pour comprendre que son malheureux voisin avait été foudroyé, cela lui fit rendre le souper de la veille. 25 Ses parents n’étaient pas présents ce matin-là. Ils étaient partis à Bougne très tôt en vue de préparer le réveillon de Noël, la bourgade d’Huliers n’était pas assez importante pour qu’on ait pensé y installer un supermarché digne de ce nom. Il s’inquiétait pour eux. La route était longue jusqu'à la ville et la météo n’allait pas arranger les choses. Toute cette neige, ces éclairs, et avec ce fichu téléphone qui ne captait plus rien, impossible de prendre des nouvelles. Mais après tout, même si ça ressemblait à la fin du monde, il était improbable qu’il se passe partout la même chose, ça devait être plus tranquille sur la ville. - Une tempête de neige localisée, voilà ce que c’est ! ditil tout haut, comme s’il n’était pas seul. Pas de panique, ça va passer aussi vite que c’est arrivé. Et ce fut le cas. Peut-être avait-il été entendu par une Force puissante, une Force capable même de dominer les éléments ; la tempête et les éclairs disparurent soudainement, comme si leur abominable besogne était terminée. Laurian se risqua à l’extérieur de chez lui; il frappa à la porte voisine : l’appartement de la directrice. Personne ne lui répondit. Il fit tourner doucement la poignée et entra dans le hall. Tout y était ravagé aussi. La neige avait envahi une bonne 26 partie du logement, la foudre et le vent avaient renversé meubles et décorations, il n’y avait pas plus de signes de vie ici que chez lui. Juste quelques vêtements encore fumants, lui rappelant le sort du malheureux concierge. L’appartement du pauvre Michel était dans le même état, morceaux de meubles incandescents sur tapis de neige balayé par le vent. Laurian ne prit pas la peine de l’explorer entièrement, il savait qu’il n’y trouverait personne. Il lui fallait savoir s’il restait des survivants, et s’il y en avait, il devait commencer par les salles de classe pour les trouver. Lorsqu’il ouvrit la porte du bâtiment pour se rendre dans celui d’en face, la neige lui recouvrit les pieds les jusqu'à mimollets. De mémoire, il n’avait encore jamais vu une telle épaisseur de poudreuse à Huliers. Cela rendrait le retour de ses parents plus difficile, pensa-t-il. Il refoula ses larmes à la pensée de ses proches, et entreprit de faire le tour du bâtiment scolaire. Sa recherche fut vaine. En cette période de vacances, il n’y avait en général que peu de monde au collège, juste le personnel d’entretien, mais il n’en trouva trace dans aucun des étages que comptait l’immeuble. Il continua sa recherche dans les cuisines, et les ateliers, mais en vain. Il prit alors conscience que la ferme voisine, d’ordinaire si vivante, ne 27 produisait aucun bruit. Pas de beuglements, ni gloussements, pas de vrombissements de tracteurs ni de crissements de mécanique : le silence aurait été total si le vent ne balayait pas les arbres. Laurian fut pris de panique, et retourna dans son appartement, cherchant désespérément à trouver un peu de réseau pour son téléphone, passant de la salle à la chambre, de la chambre à la cuisine, de la cuisine au salon, levant, baissant, étendant les bras. Au bout de plusieurs longues minutes, il comprit que c’était inutile. Malgré tous ses efforts, son portable refusait d’afficher autre chose que «réseau indisponible». Il devrait faire sans ligne téléphonique, même la couverture GPS était perdue. Reprenant un peu ses esprits, il se prépara des vêtements chauds, et toute la nourriture qu’il put trouver. S’il devait passer un moment seul, autant que ce soit dans la cuisine de la cantine. Déjà, en l’absence d’électricité, les plaques de cuisson à gaz pourraient lui fournir un peu de lumière et le réchauffer. Ensuite, les petits vasistas des murs n’avaient pas cédé aux vents, ce qui était plutôt un bon point par ce froid, la neige n’avait pas pénétré le bâtiment. Enfin, la réserve de nourriture était juste à côté et elle était, il le savait, fortement remplie en cette période de l’année. Son père, le 28 cuisinier du collège avait en effet été livré la veille par ses fournisseurs, les congélateurs devaient être bien pleins. - Un lieu stratégique qui permettrait de vivre confortablement des semaines, voir des mois, se dit-il, ironisant sur son propre sort. Il ne croyait pas si bien dire… Avant de partir, il prit également un sac de couchage dans l’armoire du cellier, son chargeur de téléphone, son PC portable et la trousse à pharmacie qui contenait quelques cachets anti-douleur et le nécessaire pour les premiers soins. Il s’organisa comme il le put pour que tout ce qu’il souhaitait emmener rentre à l’intérieur du sac de couchage, et prit la direction de la sortie. La cuisine était un vaste bâtiment constitué, normes obligent, de petites pièces fermées par de lourdes portes antifeu, d’une réserve et d’un grand réfectoire. Ainsi, Laurian prit soin de s’aménager une couchette, juste à côté de la grande machine à laver, sous le convoyeur d’entrée. Il avait également vérifié que les douches fonctionnaient encore, mais il savait que sans électricité, l’eau chaude ne tarderait pas à manquer. 29 Sans le savoir, le jeune homme venait de se préparer à survivre pendant des mois. Il se rendrait compte par la suite qu’il n’avait jamais eu un aussi bon réflexe. En passant devant la borne à incendie du réfectoire, il en avait décroché la lourde hache et l’avait passée à sa taille, se servant de sa ceinture pour maintien. Ainsi armé, il retourna vers la plonge. Alors qui contemplait son abri de fortune, il ne s’aperçut pas que l’intensité des réchauds à gaz qu’il avait allumés plus tôt pour réchauffer la pièce augmentait à son passage, pas plus qu’il ne vit l’ombre s’approcher de lui… 30 3. Danger L’épaisse couche de neige rendait la progression de Marion hasardeuse. Elle avait choisi d’emprunter la route principale, dans l’espoir d’y croiser un véhicule ou un autre survivant, mais elle s’était vite résignée. La poudreuse était aussi épaisse ici, et aucune trace de pas ou de pneus n’apparaissait en surface. Elle ne prit conscience qu’au bout de quelques minutes que les habitations qui longeaient la route semblaient abandonnées depuis de longues années. La végétation avait repris ses droits, recouvrant les murs d’un épais manteau de branches. Les arbres aux alentours lui semblaient bien plus grands et plus volumineux que lors de son dernier passage, 31 bien que l’absence de feuilles due à la saison ait pu faire penser le contraire au premier coup d’oeil. Ici ou là, on pouvait voir des murs lézardés, des boiseries écaillées tomber en morceaux et un nombre incalculable de vitres cassées sur les fenêtres. Quelques volets battaient au vent, marquant le tempo d’une funèbre tragédie. Marion essaya tant bien que mal d’accélérer la cadence. Il faisait très froid, son épais manteau ne suffisait pas à la protéger tout à fait des rafales mordantes. A plusieurs reprises, elle s’enfonça profondément dans la neige, jusqu’à mi-mollets. La poudreuse pénétrant ses bottes la glaça encore un peu plus, elle ne sentait plus ses doigts de pieds. Au bout de plusieurs heures d’une laborieuse progression, elle atteignit enfin Huliers, épuisée, gelée et trempée par la neige. Le village semblait également à l’abandon, tout aussi silencieux que celui qu’elle avait quitté plus tôt dans la journée. Le silence qui l’entourait était loin de la rassurer. En arrivant sur la place principale, vide de toute vie, elle pensa tout d’abord continuer tout droit, en direction du magasin des parents de Guy. Peut-être serait-il là, lui qui était toujours présent pour ses pairs ? Elle y renonça néanmoins. Plus vite serait-elle arrivée au collège, plus vite pourrait-elle 32 voir Laurian. Lui serait là, il l’attendrait, elle en était persuadée, au plus profond d’elle. Elle tourna donc à gauche, en direction de Bougne, et se prépara à affronter la grande côte qui s’offrait à ses yeux. Cette montée n’était pas véritablement impressionnante, loin de là. On pouvait trouver bien pire au sein des Sept Vallées, mais avec cette neige, ça n’allait pas être de la tarte pour arriver jusque là haut, d’autant que les quelques heures qu’elle venait de passer l’avaient déjà fortement affaiblie. Elle remonta sa capuche pour se donner du courage puis entama la longue ascension. Sur sa gauche, le garage du village ne laissait plus paraître aucun signe de vie lui non plus. La grande porte était ouverte, laissant apercevoir les ponts de levage et autres équilibreuses. Les voitures et carcasses présentes habituellement sur le parking étaient curieusement absentes, comme tous les véhicules qu’elle aurait dû voir sur les bords de route, remarqua-t-elle. A leur place, on pouvait y distinguer une sorte de mare de métal liquide reflétant timidement la lumière blafarde du jour, c’était comme si les automobiles avaient fondu. Marion ne s’attarda pas pour autant sur cette nouvelle énigme et elle poursuivit son chemin vers le collège. 33 Elle arriva au niveau de la pharmacie, sur sa droite. La grande vitrine était béante et la neige avait envahi toute la salle, recouvrant par endroit les étagères pleines de produits médicaux en tous genres. Marion entra dans la pièce et en profita pour remplir son sac avec ce qu’elle pensait être utile pour la suite de son aventure : Médicaments anti-douleur, pansements et stick lèvre en tête. Elle entreprit le tour de l’arrière boutique, mais n’y trouva rien d’intéressant, sa connaissance pharmaceutique étant plus que limitée. En sortant, elle se mit à nouveau en marche plus que jamais emmitouflée dans son manteau, le vent ayant redoublé d’ardeur depuis qu’elle était entrée dans le bâtiment. A ce moment là, elle n’avait pas encore vu les mouvements rapides qui s’opéraient dans la cour de l’école primaire, trop préoccupée qu’elle était à se protéger du froid. C’est en arrivant près de la grille que son attention fut attirée par une forme noire et vive. Puis par une autre, puis une autre encore. Le vent et le froid piquant lui faisant plisser les yeux, elle n’arrivait pas à discerner correctement ni à reconnaître ces formes aux mouvements si rapides. Dans sa précipitation, elle n’avait pas pensé à s’équiper de lunettes de soleil, et la neige d’un blanc éclatant l’obligeait à garder ses fragiles yeux bleus presque fermés. 34 Et soudain, l’horreur fit place à la curiosité. A mesure que la forme s’approchait de la jeune fille, elle devenait plus distincte : la masse floue fit place aux deux segments d’un corps noir et velu montés sur huit pattes, envoyant valser la neige à plusieurs mètres à la ronde. L’ensemble devait faire environ la taille d’un avant-bras. L’instinct de Marion lui fit faire quelques pas en arrière, mais l’effroi prenant le dessus, elle chuta lourdement en arrière, les pieds englués dans la poudreuse. L’araignée continuait sa rapide progression vers l’adolescente, elle semblait même la scruter de ses huit yeux gros comme des billes pour anticiper les moindres mouvements de sa proie et ne pas lui laisser la moindre chance d’échapper à son étreinte mortelle. Marion en était même certaine à présent, c’est bien vers elle que se précipitait le monstre, et sa vitesse ne cessait de croître malgré la neige. La chose était d’une habilité et d’une agilité déconcertante, elle semblait flotter sur la neige sans s’y enfoncer. Les extrémités de ses pattes étaient recourbées comme des pieds munis de nombreux poils. Ses tarses lui permettaient de ne pas s’enfoncer dans la neige, et projetaient un nuage de poudreuse à chaque mouvement. Marion porta en tâtonnant la main à sa ceinture, à la recherche de son couteau, 35 mais cette arme lui sembla bien dérisoire face à la menace qui s’approchait inexorablement. Plus loin derrière, d’autres arachnides effectuaient un ballet incessant entre la cour et le préau. Marion pouvait voir des dizaines et des dizaines de monstres se succéder, certaines portant des objets à l’aide de leurs pédipalpes, d’autres semblant s’attarder ensemble sur des masses indistinctes, d’autres encore restant immobiles et scrutant les environs. Cette vision d’effroi la fit ramper vers l’arrière, tellement terrorisée qu’elle en lâcha son couteau. Son attention se focalisa alors de nouveau sur la première, elle était de plus en plus proche. Un fourmillement passa le long du bras droit de la fillette jusque ses doigts, puis les fourmillements devinrent alors chaleur. Marion leva instinctivement sa main droite vers l’araignée, comme pour s’en protéger. La sensation de brûlure s’intensifia, obligeant la jeune fille à retirer ses gants. Machinalement, elle leva la paume et pointa le corps de l’araignée en suivant ses mouvements alors qu’elle n’était plus qu’à un mètre de son visage. La vague de chaleur sortit alors de la main de Marion, créant un mouvement d’air, une sorte de vortex qui se dirigea droit vers le monstre pendant qu’il effectuait un bond prodigieux. La bête fut stoppée net, comme si elle avait 36 percuté une vitre invisible à ses yeux, lui arrachant un cri perçant. Ses pédipalpes prirent un angle normalement impossible, brisés par le choc, puis après un infime laps de temps, l’araignée fut repoussée violemment en arrière, son corps désarticulé roulant jusqu'au pilier de l’entrée de l’école. En percutant le lourd pilier de béton de l’enceinte de l’école dans un craquement sinistre, son corps se recroquevilla sur luimême, privé de vie. Marion était incrédule, elle regardait ses ongles d’un œil interrogateur, constatant avec étonnement qu’ils n’étaient pas calcinés. Elle sentit alors son corps vaciller, et se vider de son énergie, comme après un effort trop important, la sueur lui coulait le long du dos et du visage, la glaçant jusqu’aux os. Elle reprit néanmoins très vite ses esprits et se redressa non sans mal, glissant à plusieurs reprises sur la neige fraîche. Elle tourna alors son regard vers l’école et constata avec horreur que de nombreuses autres araignées avaient cessé leurs tâches et tourné leur regard vers elle, attirées par les derniers cris de leur congénère. Plusieurs d’entres elles s’étaient même approchées à quelques mètres et ne ralentirent pas leur progression en passant devant le corps encore chaud de leur comparse. Prises d’une folie meurtrière, elles accéléraient même en direction de leur proie. 37 Prête à lutter pour sa survie, et suivant son instinct, la jeune fille leva alors la main vers l’araignée la plus proche, puis vers la seconde, puis vers la suivante encore. Elle répéta son geste encore et encore, au fur et à mesure que l’ennemi approchait. A chacun de ses mouvements, les arachnides indésirables furent fauchés en pleine progression, comme si une force invisible les repoussait. Une autre, puis une autre encore, Marion vacillait un peu plus à chaque fois. Elle sentait ses forces la quitter lentement alors que les assauts des êtres monstrueux ne semblaient vouloir cesser, se succédant les uns après les autres. Un rapide coup d’œil vers la cour de l’école ne la rassura pas, le flot incessant des araignées allait bientôt la submerger. A bout de force, elle tomba à genoux, terrassant encore quelques monstruosités. Elle prit appui sur son bras gauche. Elle ne tiendrait plus longtemps, elle le savait, mais elle continuait néanmoins à repousser les assaillantes. Soudain, son corps la fit souffrir atrocement. Des violentes douleurs s’apparentant à des coups de couteaux lui lancinaient le ventre. Sa nuque se raidit et son crâne tambourinait, rendant les veines de ses tempes apparentes. Exténuée et résignée, elle posa la deuxième main au sol, attendant le coup fatal qui la délivrerait de ses souffrances. Ces dernières pensées se 38 tournèrent vers sa famille et vers Laurian, qu’elle avait tant espéré retrouver. Alors que les meurtriers pédipalpes qui devaient mettre un terme à sa trop courte vie s’approchaient de son visage, elle sentit quelque chose près d’elle, une présence chaude et réconfortante. L’araignée ralentit, mais trop tard, son corps fut tranché en deux. La panthère noire avança alors entre Marion et ses assaillants. * ** Laurian s’écrasa douloureusement contre le mur carrelé avant de retomber au sol. La forme humanoïde n’avait eu aucun mal à parer son coup de poing avant de le soulever du sol et de l’envoyer voler comme elle l’aurait fait d’un simple fétu de paille. La chose le regardait en poussant quelques grognements incompréhensibles. Ses yeux vitreux ne laissaient apparaitre 39 que très difficilement les pupilles. Elle inclinait la tête lentement de gauche à droite, profitant probablement du sordide spectacle que représentait un jeune homme recroquevillé sur lui-même dans le coin opposé de la pièce. Dominant le garçon d’une bonne tête et demie, elle ressemblait à un homme de près de deux mètres dont la peau ample retombait en nombreux plis. Son visage, d’un blanc très pâle, était couvert de pustules blanchâtres laissant suppurer parfois un liquide visqueux. Elle grogna à nouveau et s’approcha lentement de Laurian, traînant le pied droit au sol sans parvenir à le soulever. Etrangement, elle portait les vêtements de travail des agents d’entretien du collège, un pantalon bleu foncé et une chemise à carreaux d’un blanc passé. Laurian, dans un éclair de lucidité, prit le temps d’analyser la situation en se relevant. - Bon, de toute évidence ce Machin là n’est pas rapide, se dit-il, par contre, il est diablement costaud. En tout cas, une chose est certaine, il ne me veut pas de bien, et il est entre la seule sortie de cette pièce et moi. Bon, on verra bien s’il fait encore le malin quand je lui aurai montré ça ! Laurian tendit la main vers sa ceinture laissant apparaître un petit sourire narquois au coin des lèvres, mais il découvrit 40 bientôt horrifié que la hache n’y était plus. Elle en était tombée lorsque la chose l’avait soulevé de terre, et elle était à présent située juste derrière ses pieds. Le jeune garçon se reprit instantanément et observa alors l’ensemble de la pièce. Il n’y avait rien qui pourrait l’aider aux alentours. En fait, mis à par l’énorme lave vaisselle et son sac de couchage, il n’y avait rien du tout. Il allait falloir ruser et essayer de contourner l’obstacle qui se tenait devant la porte. Prenant son courage à deux mains, Laurian arqua de toutes ses forces ces jambes contre le mur derrière lui pour s’élancer la tête la première vers l’humanoïde. Lorsqu’il eut atteint une vitesse qu’il considérait comme suffisante pour pouvoir le plaquer au sol, il tendit les bras à la façon d’un rugbyman en pleine course et hurla pour se donner du courage. Il courba alors le dos et en a peine une seconde, il atteignit son objectif. Lorsqu’il percuta l’individu, ce dernier ne recula pas d’un centimètre, comme si ses jambes étaient rivées au sol. Laurian, le souffle coupé, sentit le contact de la chair flasque contre son visage, avant que ses jambes ne quittent terre. Le mutant le portait maintenant à un mètre au-dessus du sol, le tenant par le haut de son manteau, et ce avec la seule force d’un bras. 41 Puis, aussi facilement que s’il déplaçait une baguette de pain, il approcha le visage de l’adolescent contre le sien. Laurian sentit le souffle du monstre, sur son visage, son odeur fétide lui provoquant un haut-le-cœur. Les yeux vitreux qui le scrutaient lui paraissaient être ceux d’une personne qu’il avait déjà croisée auparavant. Son visage s’approchait encore des pustules rougeâtres, il était à court d’idée, piégé. Sentant sa dernière heure arriver, il tenta un baroud d’honneur, et porta violemment un coup de pied dans le bas ventre du monstre. Il sentit alors l’étreinte fatale se relâcher, et retomba lourdement au sol les bras en avant. Dans un mouvement de réflexe, il recula contre le mur de la pièce dérapant sur le sol froid. En se recroquevillant, les bras croisés contre son torse en signe de défense, il leva les yeux vers l’humanoïde. A sa grande surprise, il vit la chose agiter la tête dans tous les sens et regarder autour de lui, comme si elle était importunée par un quelconque insecte volant. Elle essayait de le chasser en faisant des grands moulinets avec ses bras flasques. A l’évidence, ce n’était pas son coup qui avait détourné l’attention du mutant, mais une ondulation translucide qui serpentait autour de sa tête, le percutant de temps à autre. 42 Ça ressemblait à de l’eau, comme un tuyau d’arrosage se déplaçant dans l’air, mais sans la gaine. En regardant de plus près, Laurian aurait vu qu’il s’agissait véritablement d’eau. Des petits filets scintillant sortaient de la machine à laver, se réunissant pour n’en former qu’un seul qui se tortillait autour du monstre. Visiblement, le mouvement incessant de ce ruban aquatique commençait d’ailleurs sérieusement à l’agacer. Gesticulant, et sautillant, l’obstacle que représentait le Machin Difforme commençait à reculer hors de la pièce. Du coin de l’œil, Laurian aperçut alors un visage enfantin. Grimpé au-dessus des bains-marie, ce dernier toisait sa proie du regard en effectuant des mouvements incohérents avec ses bras et les doigts. Lorsque le garçonnet se rendit enfin compte qu’il était observé, il leva les yeux vers l’adolescent. - Ho ! Salut ! Dit-il, ne t’inquiète pas, j’ai la situation sous contrôle. Il retourna alors à sa besogne. Le mutant reculait, il allait bientôt sortir de la laverie, promettant une libération bienvenue au jeune homme. Le fil liquide redoublait ses ardeurs, se dédoublant, se reformant, se dédoublant encore pour porter quelques coups et repousser sa cible plus loin encore. Et cela semblait porter ses fruits, la chose recula, 43 recula encore. La porte était enfin accessible, offrant enfin une possibilité de sortie à Laurian. Celui-ci ne bougea pas. Il observait le spectacle qui se déroulait sous ses yeux, subjugué par ce qu’il voyait. Les gestes du jeune garçon étaient en fait cohérents. Il guidait le Serpent aquatique, le faisant onduler et ondoyer à sa guise. A chaques écartements de doigt, la trombe d’eau devenait filets, harcelant encore et encore la masse de chair. Quand ils se repliaient, les filets redevenaient plus compacts, se regroupant parfois et frappant avec plus de force encore. Lorsque le monstre, acculé, toucha la plaque de cuisson, Laurian vit une flamme sortir des brûleurs, comme guidée par une force invisible. Elle flotta lentement vers la tête du mutant, gagnant en intensité au fur et à mesure de sa progression. Quand le feu follet atteignit la chevelure de la chose, elle avait quasiment la taille d’un ballon de volley-ball. Immédiatement, cette dernière prit feu, embrasant les vêtements souillés et propageant les flammes à la totalité du corps de la « chose ». 44 4. Retrouvailles La panthère faisait barrière entre Marion et les araignées, la protégeant de leurs attaques furieuses et répétées. Chacune d’entre elles finissait découpée par les pattes du félin ou disloquée par ses crocs acérés. Certaines finissaient même écrasées sous son poids, piétinées par ses énormes pattes, voire même propulsées à plusieurs mètres en arrière d’un simple coup de tête. La jeune fille, recroquevillée derrière son sauveteur inattendu, en profita pour faire un point sur la situation. Dans un premier temps, elle sortit une barre chocolatée de son sac. Elle l’engloutit en quelques bouchées 45 avant d’en avaler une seconde et retrouva très vite un peu d’énergie. Reculant jusqu’au côté opposé de la route, elle observa le fauve. Ses poils d’un noir brillant rappelaient l’Obsidienne, sa tête devait arriver environ à la poitrine de Marion. Il enchaînait les coups de pattes et de gueule sans faiblir, ne laissant aucune ouverture à ses agresseurs. Face à une telle furie, les araignées n’eurent d’autre choix que celui de se replier, recevant encore des coups de griffes et de crocs qui en laissèrent quelques-unes avec une patte ou un pédipalpe en moins. Le félidé fit quelques bonds en avant pour effrayer les dernières récalcitrantes avant de se retourner lentement vers l’adolescente. En y regardant avec plus d’attention, la bête était plus fine que ce qu’elle avait paru à Marion lors de son premier coup d’œil. Ses oreilles étaient pointues, et non rondes. Alors que leur regards allaient se croiser, Marion comprit enfin. - Blanche Neige ? Interrogea-t-elle ? Blanche Neige, c’est bien toi ? 46 En guise de réponse, l’immense chat ronronna, remuant lentement la queue pour signifier à sa maîtresse qu’elle était dans le vrai. Marion lui sauta au cou, heureuse d’avoir enfin retrouvé une partie de sa vie d’avant. Il la gratifia d’une lèche affectueuse sur la joue, la faisant reculer de quelques pas sous l’effet puissant et rugueux de l’énorme langue. Ce moment de joie dura plusieurs longues minutes. Ronronnements, caresses, gratouilles et autres chatouilles se succédèrent, puis Marion commença à regarder les blessures heureusement superficielles que le matou avait reçues lors de son affrontement. Elle espérait néanmoins secrètement que les araignées n’étaient pas venimeuses mais se garda bien de l’exprimer à voix haute, son chat l’ayant déjà surprise à plusieurs reprises par sa formidable capacité de compréhension. S’adressant à son animal de compagnie, l’adolescente lui proposa de reprendre la route, il leur fallait en effet continuer en direction du collège avant que la nuit ne tombe. Qui sait ce qu’elle pourrait réserver à deux vagabonds à la recherche de leur passé ? Le bâtiment n’était plus très loin, mais la pénombre commençait déjà à tomber, et son combat avec les araignées l’avait épuisée. Un peu de chaleur et un repas leur feraient le plus grand bien à tous les deux, d’autant qu’elle était toujours 47 intimement persuadée qu’elle pourrait trouver tout cela dans la cantine du complexe scolaire. Laurian les attendrait même avec un bon repas, ça ne faisait aucun doute. Revigorée grâce à la compagnie de son chat, elle reprit donc la route, Blanche Neige à ses côtés, dans la blancheur du crépuscule. Elle se remémorait les heureux moments qu’ils avaient passés ensemble. Tant de tendres câlins, de jeux, de joies ou de peines partagées. Blanche Neige était plus qu’un animal de compagnie à présent. Avec le temps, Marion et elle étaient devenues de véritables complices capables de se comprendre d’un simple regard. Tous ces souvenirs semblant resurgir d’une autre époque empreinte de nostalgie lui firent monter les larmes aux yeux. Perdue dans ses pensées, Marion ne s’était pas rendu compte qu’elles avaient parcouru le restant du chemin. Elles étaient arrivées au pied de la grande grille blanche, celle-là même qu’elle franchissait habituellement pour aller en cours, ou reprendre l’autocar. A la place habituelle des bus, sur le parking il n’y avait plus à présent qu’un grand vide surplombant une énorme flaque de liquide métallique reflétant le complexe scolaire, mais la jeune fille n’y prêta pas attention. 48 En regardant à travers la barrière, elle put voir que le bâtiment administratif avait subi lui aussi des dégâts importants. Là encore, les vitres avaient volé en éclats, le lierre recouvrait une bonne partie des murs, l’immeuble semblait à l’abandon depuis des années. Elle jeta un œil vers la bâtisse scolaire, qui donnait exactement la même impression, les rares rideaux des salles de classes battaient aux vents, en lambeaux, des arbustes avaient même commencé à pousser sur les toits plats des édifices. Avec un brin d’inquiétude, Marion poussa la lourde barrière, et pénétra dans l’enceinte du collège. Prudemment, comme pour ne pas éveiller d’hypothétiques présences pouvant roder dans les environs, elle descendit l’allée en direction de la cuisine, dans l’espoir d’y trouver un peu de vie, de chaleur et de repos, mais surtout Laurian. Alors qu’elle approchait de la salle de cuisine, elle entendit des bruits assourdissants provenant de l’intérieur. D’abord celui de casseroles tombant au sol, puis un grognement plaintif. Immédiatement suivie par Blanche Neige, elle se mit à courir sans réfléchir vers la porte la plus proche, et entra dans le réfectoire des professeurs. Les chaises et tables y avaient été renversées par le vent, et c’est avec 49 l’agilité que lui avait donnée son entraînement de gymnaste qu’elle les franchit. Elle tourna à gauche après la porte, longeant le long self en inox qui avait perdu de son éclat avec le temps. Blanche Neige fut tellement surprise par ce changement de direction qu’il lui fallut quelques enjambées pour réagir et c’est en dérapant sur ses quatre pattes qu’elle se remit dans la bonne direction. Arrivée au niveau de la salle de préparation, Marion tourna encore à gauche, pour tomber sur un spectacle qu’elle ne s’attendait pas à voir ici. Son chat et elles stoppèrent net, le spectacle s’offrant devant elles les rendant incrédules. Marion ouvrit des yeux grands comme des billes alors que Blanche Neige hérissa le poil et feula. * ** 50 Devant elles, Laurian et un petit garçon étaient affairés à l’extinction d’un feu. Le brasier avait pris au niveau des torchons et commençait à remonter le long du support qui servait à les faire sécher. Laurian jetait de l’eau sur la fournaise à l’aide d’une grosse louche qu’il avait décrochée du présentoir. De son côté, le garçonnet faisait des grands mouvements avec les bras. L’eau apparut par la porte voisine comme par magie à environ un mètre cinquante du sol et s’abattit avec violence sur l’incendie naissant, l’éteignant d’un seul coup et noyant les deux garçons par la même occasion. Marion regarda la scène avec incrédulité, les bras ballants le long de son corps. Son chat s’était replié derrière elle par peur des flammes ou peut-être des éclaboussures. Quoi qu’il vienne de se passer, elle n’avait pas compris pourquoi ni comment de l’eau pouvait flotter dans l’air. - Euuuuh, quelqu’un m’explique ? Balbutia t elle ? - Marion ! S’exclama Laurian en se dirigeant vers elle, c’est si bon de te voir ! Il la serra fortement contre lui, heureux de pouvoir la revoir. Elle lui rendit affectueusement son étreinte, caressant son dos musclé et trempé. Puis, pris d’un embarras soudain, 51 tous deux se relâchèrent et s’éloignèrent en rougissant, gênés par ce qui venait de se passer. - Laurian, qu’est ce qui se passe, qu’est-ce qui vous est arrivé ? Où sont les autres, demanda la jeune fille ? - Bonnes questions ! Répondit Laurian. Et toi, tu es qui ? dit-il en s’adressant au plus jeune. - Moi c’est Ben. Répondit-il, on dirait que je viens de te sortir d’une bien mauvaise situation. - En foutant le feu partout, mais c’est vrai, tu m’as sauvé la vie sur ce coup là. - Oui, bah désolé, je ne maîtrise pas encore bien. Mais ne vous inquiétez pas, je m’améliore, ce matin je n’étais même pas capable de… - Euuh, dites les garçons, vous n’auriez pas la possibilité de discuter de ça devant un casse croûte ? Les deux garçons réagirent en même temps. Après s’être séché, Laurian alla chercher une grosse boîte de raviolis dans la réserve, et la posa sur le feu. Puis, par habitude, se rendit au 52 self pour y prendre couverts et verres. Dans un premier temps, ils décidèrent de s’installer dans le réfectoire comme ils le faisaient tous les jours, mais changèrent d’avis, fuyant la température trop basse de l’immense pièce dénuée de vitres. C’est finalement près des fourneaux qu’ils s’installèrent pour pique-niquer, non loin des restes encore fumants du mutant, mais surtout des réchauds distillant leurs douce chaleur. Ben commença son histoire. Ce petit bonhomme de 8 ans les regardait de ses yeux noirs. On pouvait distinguer quelques mèches de cheveux bruns dépasser de son bonnet. C’était d’ailleurs le seul vêtement chaud qu’il portait, il était vêtu en effet d’un simple jean trempé par la neige et d’un pull misaison tout juste à sa taille. Il habitait la Lonille, à la sortie du village. Il n’avait pas trouvé trace de sa famille ce matin, alors, sans vraiment savoir que faire, il s’était mis en route vers l’école primaire. Cette dernière étant infestée d’araignées, il avait continué vers le collège avant de trouver Laurian aux prises avec le mutant. Tout en racontant son histoire, il avait sentit les larmes lui monter aux yeux, et avait tant bien que mal tenté de les refouler. 53 - Voilà, vous savez tout, dit-il en sanglotant. Ne pouvant plus se retenir, il éclata en sanglots. - Et ton… Pouvoir ? - Je ne sais pas, j’ai découvert ça par hasard ce matin. Je peux faire bouger les éléments, tu en as eu un aperçu avec l’eau et le feu, mais j’ai réussi à faire bouger un peu de terre ce matin. Par contre, ça ne s’était pas manifesté aussi fort que tout à l’heure. - Moi aussi il m’est arrivé le même genre de chose, dit Marion, j’ai pu créer des sortes d’ondes qui ont repoussé les araignées à l’école. Marion expliqua alors aux autres le déroulement de sa journée. Sa vaine recherche de sa famille, ses retrouvailles avec Blanche Neige, et sa conviction que Laurian se trouverait ici. Elle s’empourpra à l’évocation de ce dernier point, ce que remarqua instantanément Laurian, non sans un certain contentement. L’adolescent passa également ensuite à la description de ces dernières heures, et tous s’arrêtèrent sur son altercation avec l’humanoïde. 54 - J’en ai vu un autre ! S’exclama Ben, ces trucs là sont dangereux, je l’ai vu tuer Delphine, la fille de la fleuriste sur la Grand Place. Il l’a…mangée. Le flot de ses larmes redoubla à l’évocation de l’horreur qu’il avait vécue. On devinait également sans mal un certain dégoût qui aurait fait vomir les plus forts des adultes, mais ça, c’était avant les événements de ce jour. - Et toi Laurian, tu as pu développer un pouvoir quelconque ? - Pas à ma connaissance, répondit-il, un brin de jalousie dans la voix. Le souper terminé, les enfants entreprirent de procéder à une inspection minutieuse de la cuisine et de la réserve. Etant en pleine période de vacances, celle-ci était vide de produits frais. Les conserves étaient par contre présentes en quantité : Fruits et légumes, raviolis, mais aussi quelques pâtés. On pouvait y trouver également pléthore de féculents, pâtes et semoule. Les congélateurs, bien que n’étant plus alimentés, contenaient encore un peu de viande et de poisson livrés de la veille, de quoi tenir quelques jours si la température ne 55 remontait pas. De toute façon la neige permettrait de garder la température au minimum pendant encore un bon moment si besoin était. Une fois l’inspection terminée, chacun alla faire ses ablutions, puis ils décidèrent de dormir ensemble sous le tunnel de la machine à laver. Laurian prit l’initiative d’instaurer un tour de garde, pour ne pas tomber au dépourvu en cas d’attaque humanoïde ou arachnide, et c’est tout naturellement qu’il en prit le premier quart, étant de loin le moins fatigué et le plus résistant des trois. Les premières heures passèrent sans incident, le calme de la nuit noire et le bruissement soporifique des arbres avaient tendance à bercer Laurian, mais après une journée comme celle qu’il venait de vivre, rien de plus normal que d’être épuisé. Le ciel était maintenant totalement dégagé, laissant apparaître un tapis étoilé dans la nuit noire. Comme à son habitude et pour se garder éveillé, l’adolescent prit plaisir à reconnaître les constellations, traçant des lignes imaginaires de ses mains pour relier les astres. Trois heures après que ses comparses se soient couchés, il alla réveiller Ben, pour qu’il prenne la relève et prit enfin un repos bien mérité après cette journée riche en événements. 56 Encore à moitié endormi, Ben entama alors le guet près de la porte de leur refuge. La nuit calme et l’inaction le refroidit rapidement, il n’avait pas le même intérêt que Laurian pour les étoiles, ce n’était donc pas de ce côté qu’il lui fallait porter son attention pour rester éveiller. Il avait froid mais même si les réchauds pouvaient être mis en service, ils avaient convenu de préserver au maximum les ressources dont ils disposaient, au moins pour un temps. Ben décida alors de déneiger devant l’entrée de la cuisine. Là, il pourrait allumer un petit feu à l’aide du briquet qu’il avait en poche, aidé de son pouvoir. Il coupa quelques branches mortes du Saule Pleureur situé à proximité, et mit le feu au brasier. Celui-ci prit immédiatement, réchauffant le petit garçon. Mais cela n’apporta pas que de la chaleur. 57 58 5. Garde Ce fut Guy qui rejoignit le premier le petit groupe. Il avait vécu une histoire similaire à celle des autres. Après avoir longuement arpenté les rues du village, il avait comme eux traversé la tempête en se disant que la cuisine du collège devrait abriter de quoi se nourrir pour un moment. Il était passé par le château et avait rejoint l’école primaire exactement à l’opposé de la rue qu’avait empruntée Marion. Bien caché sous les pins, il avait été le témoin des va-et-vient des araignées et avait attendu longuement dans le froid et la neige qu’elles daignent enfin rentrer dans leur tanière pour pouvoir continuer son chemin, ce qu’elles ne firent qu’à la nuit tombée. Après s’être longuement assuré durant de longues 59 minutes (était-ce des heures ? il n’aurait su le dire, sa montre à Quartz et son téléphone ne fonctionnaient plus depuis ce matin) qu’il ne risquait plus rien, il avait rejoint le collège. Il avait vu le brasier de l’entrée de la cantine depuis qu’il s’était approché de la salle de sport. Il faut dire que ce bâtiment dominait tous les autres puisqu’il était situé en haut de colline bien au dessus de l’enceinte même du collège. Il avait prudemment fait le tour pour se cacher de la lumière dégagée par le feu de camp. En approchant par le bâtiment administratif, il pourrait voir qui avait allumé le brasier et pourrait prendre le ou les éventuels survivants par surprise. Dans cette pénombre, à l’abri des branches du saule pleureur il lui avait fallu quelques minutes pour s’habituer à la clarté des flammes et enfin reconnaître Ben. Guy l’avait déjà vu dans le magasin de ses parents à de nombreuses reprises. Il venait régulièrement avec sa mère pour y chercher des pots de peinture blanche – toujours les mêmes, la marque la plus résistante – pour pouvoir garnir les murs de leur grande ferme. Rassuré, il l’observa encore quelques minutes afin d’être certain de ne pas encore tomber sur une bizarrerie, puis quand il se sentit enfin en parfaite sécurité, il s’approcha du feu sans crainte après avoir chuchoté à plusieurs reprises le prénom du jeune garçon. 60 D’abord méfiant, ce dernier leva les mains, prêt à se servir de son pouvoir, mais dès qu’il reconnut le visage de Guy dans le clair-obscur du feu, il se jeta littéralement sur lui à bras ouverts. - Hé Guy, tu es vivant ! tout va bien pour toi ? - Bah écoute, ça va, t’inquiète, et toi tu vas bien ? tu es seul ici ? - Non, y’a Marion et Laurian. Moi ça va bien aussi mis à part tout ce foutoir. T’es sûr que ça va bien ? y’a tellement de trucs bizarres autour de nous ! Guy n’avait pas montré sa joie quand le garçonnet lui avait annoncé la nouvelle de la survie de Marion. Au fond de lui, il était persuadé qu’elle avait pu survivre, mais il ne s‘attendait pas à la trouver ici, et surtout, pas aussi tôt. Au plus profond de son âme il ressentit toutefois la chaleur d’un immense bien-être lui nouer l’estomac. Ne voulant pas se montrer dans un état de faiblesse devant le garçon, il se reprit instantanément et effaça le sourire qui commençait à apparaître sur son visage. La simple évocation du prénom de Marion lui avait fait oublier toute la fatigue et le stress qu’il avait accumulés durant cette folle journée. 61 - Ca va, mais j’ai une faim de loup. Tu as de quoi grignoter pas loin? - Je vais chercher de quoi manger dans la réserve, mais on fera chauffer ça sur le feu, histoire de ne pas réveiller les autres. Ben revint quelques instants plus tard avec une petite boîte de saucisses aux lentilles qu’il ouvrit avec son couteau suisse, versa le contenu dans une casserole qu’il mit à chauffer directement sur le brasier, puis ceci fait, il engagea la conversation avec le nouvel arrivant. - Alors ? dit-il presque gêné. - Alors quoi ? - Euuh, il t’est arrivé quoi ? - Un truc à peu près pareil qu’à toi je suppose. Si tu es arrivé jusqu’ici, c’est parce que tu t’es retrouvé tout seul ce matin, je me trompe ? Le garçonnet sentit une boule lui serrer la gorge à la simple évocation du mot «seul». Il acquiesça difficilement 62 d’un hochement de tête et essuya le plus discrètement possible une larme naissante au coin de son œil. - Oui, et c’est pareil pour les autres… Il n’ajouta rien. Guy prit le temps de terminer avec ses lentilles, puis lui expliqua le déroulement de sa journée. En sortant du magasin de ses parents, il avait lui aussi été témoin du massacre d’un jeune enfant par un humanoïde à peau de Shar Pei. Il avait réussi à profiter d’un moment d’inattention de la part du monstre pour couper rue du Château. De là, en passant par les jardins, il avait pu rejoindre l’école primaire, où, encore sous le choc du spectacle qu’il venait de vivre, il était tombé sur une autre abomination. Il avait attendu patiemment le retrait des araignées pour pouvoir poursuivre son chemin à travers le bois. Pour ne pas avoir à approcher de trop près les arachnides, il avait attendu un très long moment dans le froid et l’obscurité, luttant contre son impatience mais surtout la température plutôt basse. Il ne saurait véritablement dire combien de temps il était resté là, sa montre refusant de fonctionner depuis ce matin malgré y avoir mis des piles neuves, mais il était certain d’une chose, il n’avait rien mangé depuis son réveil, et son estomac avait crié famine bien avant 63 que la « colonie des sales bestioles » ne se décide enfin à retourner à l’intérieur de l’école. Sa progression dans la nuit noire avait ensuite été des plus lentes, il lui avait fallu de longues heures pour parcourir les quelques dizaines de mètres séparant l’école primaire du collège, la neige n’aidant en rien l’avancée de son périple, mais surtout la peur que les araignées ne le repèrent, l’avait rendu plus prudent encore dans sa progression. Cela dit, ce n’est pas la lumière qu’il dégageait qui les aurait attirée, les lampes de poches que se parent vendaient ne fonctionnaient pas plus que sa montre. Quand il avait aperçu enfin la lumière accueillante du feu, il s’était senti enfin réconforté par le fait de savoir qu’il y avait un autre survivant dans le village, mais il avait tout de même préféré être prudent dans son approche. . - Et ton… pouvoir ? demanda Ben ? - Pouvoir ? Quel pouvoir ? - Marion en a un elle aussi. Moi je peux faire bouger la terre, le feu et l’eau. Regarde ! ! Il entama alors une série de petits mouvements brefs avec ses doigts. Guy vit alors avec stupéfaction une langue de feu 64 sortir du brasier devant lui. Un fin ruban flamboyant se forma et approchat de son visage. Puis, les doigts du jeune garçon firent un mouvement de moulinet, et le ruban commença à s’enrouler sur lui-même, dans un hypnotique ballet dansant. Sa course s’accéléra, s’approchant et reculant au rythme des crépitements du feu, puis il s’écarta soudain du visage du jeune homme en direction du brasier, et percuta la casserole posée à quelques centimètres des pieds de Guy. Dans un cliquaillement qui aurait réveillé le collège entier si ça avait encore été possible, la gamelle s’écrasa encore fumante quelques mètre plus loin, transpercée de part en part par le projectile enflammé. - Ouuups ! ! s’exclama Ben, désolé. Guy suivi l’ustensile du regard, subjugué par les flammèches, puis il dévisagea le garçon, à la fois craintif et amusé par l’étonnant spectacle qu’il venait de vivre. - C’est… spectaculaire ! ! s’écria t-il, et Marion peut faire de même avec les éléments? - Non, pour elle, c’est un peu différent. Elle te montrera plus tard. D’ailleurs tu ne vas pas tarder à la voir, c’est 65 l’heure pour elle de prendre son tour de garde. Je vais aller la réveiller. Guy était prêt à protester, et à prétendre vouloir effectuer le prochain quart, mais il se rendit vite compte qu’il en serait bien incapable. Il attendit donc sagement l’arrivée de la Belle bien au chaud auprès du feu. Il aurait refusé de l’admettre à quiconque, mais il était également pressé de revoir sa charmante compagne de classe. Alors qu’il commençait à s’assoupir, réchauffé et bercé par la chaleur du brasier et les souvenirs apaisants qu’il avait à la pensée de Marion, une étrange sensation le fit sortir de son demi-sommeil. * ** 66 Une langue rugueuse et moite venait d’entrer en contact avec le visage de Guy, le soulevant presque de son siège. Il sursauta et fit instinctivement un bond sur le côté, se relevant rapidement sur la défensive. Il vit alors une énorme truffe noire se dresser devant lui, et entendit un doux ronronnement. Il abaissa spontanément sa garde. Blanche Neige s’écarta alors pour laisser apparaître Marion. La jeune fille, encore sous le coup de sa trop courte nuit, n’avait pas reconnu Guy au premier coup d’œil et s’était retranchée derrière la présence de son animal de compagnie. Lorsqu’elle reconnut l’adolescent, sa méfiance retomba. Guy s’avança vers elle les bras grands ouverts. - Marion, c’est bien toi ! ! Je me suis tant inquiété après ce qui t’est arrivé ! ! Tu vas bien ? ? Il la prit dans ses bras et la serra si fort qu’elle en eut le souffle coupé. Lorsque son étreinte se relâcha, Marion sentit ses joues s’empourprer, et la chaleur lui monter au visage. Elle étreignit à son tour le jeune homme, pleine de la douceur dont elle pouvait faire preuve dans un moment aussi tragique que celui qu’ils vivaient actuellement. 67 - Guy ! murmura-t-elle comme si elle se parlait à elle même, c’est si bon de te savoir en vie. Comment te sens-tu ? Comment es-tu arrivé ici ? Sais-tu où sont nos parents ? - Ca va Marion, calme-toi, tout va bien. Je vais t’expliquer, mais viens d’abord près du feu, il ne fait pas très chaud. Sans que les adolescents n’en aient pris conscience, Blanche Neige s’était positionnée de manière à monter la garde, laissant à sa maîtresse et à son ami la possibilité de rester près du feu pour discuter. Elle observait la nuit noire avec toute l’attention qu’un félin chef de meute pouvait donner lorsque son tour de garde était arrivé. - Ben m’a raconté vos déboires d’aujourd’hui. J’ai bien peur que les nouvelles ne soient pas meilleures de mon côté. J’ai vu à peu près les mêmes choses que vous : de la neige, plus d’électricité ni de téléphone, un Hommechien-cannibale, des grosses araignées, et maintenant, un chat géant et une jolie fille possédant des pouvoirs paraît-il! ! On se croirait presque dans un de ces films de science-fiction dont on nous abreuve sur les chaînes spécialisées. 68 - Sauf que cette fois c’est bien réel ! répliqua Marion, Les araignées sont bien devenues énormes, les adultes ont bien disparu, et nous avons bien développé une sorte de pouvoir. Même si c’est difficile à expliquer et que j’ai encore moi-même du mal à l’admettre, il s’est passé quelque chose d’étrange la nuit dernière qui nous donné une capacité a nous défendre Ben et moi. - Ben m’a fait une démonstration de manipulation de feu, et c’est plutôt impressionnant. La casserole ne s’en remettra peut-être jamais, dit-il en pouffant de rire. - Ne te moque pas Ben, c’est du sérieux ! Je ne sais pas comment j’ai fait, mais je m’en suis sortie grâce à ça contre les araignées tout à l’heure, et aussi grâce à Blanche Neige. A la simple évocation de son nom, le félin ronronna et remua la queue dans tous les sens. Ile vint alors se rapprocher de Marion et s’allongea à ses côtés, frottant affectueusement sa tête contre les jambes de la jeune fille tout en continuant à scruter les environs attentivement. - Explique-moi ! Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu peux bouger les objets, les faire disparaître ou un truc 69 comme ça ? Est-ce que c’est lié à ce qu’il t’est arrivé l’autre jour ? demanda Guy. - Je ne sais pas vraiment l’expliquer, mais depuis quelques temps, je ressentais par moment une forte impression de malaise sans savoir pourquoi. Et puis l’autre fois, en arrivant au collège, cette sensation a été vraiment très forte. J’ai vraiment eu l’impression qu’on m’agressait, mais pas physiquement, c’était comme des attaques… psychiques je crois. Puis je ne me souviens juste que d’une sensation de forte chaleur qui s’est dégagée sous forme d’onde du bout de mes doigts, et de Jean qui volait en direction du mur, après c’est le noir complet. Marion venait de prendre conscience que son expérience avec les araignées n’était pas la première. Elle n’en avait gardé qu’un vague souvenir, jusqu'à présent, mais la vérité se présentait à elle. - Oui, c’est ça reprit-elle, je me suis sentie agressée, et j’ai repoussé cette attaque avec les mains. Pareil avec les araignées, sauf que là, j’ai senti mes forces me quitter un peu plus à chaque fois que j’ai lancé une onde. Guy, je crois que je commence à comprendre. 70 La jeune fille se leva brutalement. Blanche Neige, surprise, se dressa en hérissant les poils de son dos, feulant à tout va. 71 72 6. Explications - C’est ça Guy, j’en suis persuadée. Je réagis quand je me sens agressée. D’abord Jean au collège, ensuite les araignées à l’école primaire. C’est quand je me sens en danger que mes doigts chauffent, et dégagent des ondes pour repousser l’attaque. - Ca n’explique pas pourquoi tu te sentais mal en arrivant au collège ce jour là, répliqua Guy, ni ce que tu ressentais auparavant. - Je pense que c’était une sorte de signal, rétorqua-t-elle, comme si je sentais qu’il allait arriver quelque chose. 73 Quand j’y repense, Jean, ce n’est pas lui qui m’a mise dans cet état, peut-être que je ressentais à ce moment là ce qui allait arriver, la tempête. Lui, il n’a fait que se montrer agressif, comme toujours remarque, et j’ai réagi en l’envoyant valser. - Attends, attends, Marion, tu dis que tu as repoussé Jean mais je n’ai entendu parler de rien après ton départ vers l’hôpital. Ni de la part de Jean, ni de personne d’autre. Tu es sûre de toi ? - Je viens de me souvenir de ça en discutant avec toi, j’avais du mal à me rappeler ce qui s’était passé exactement. Tout redevient clair maintenant. Je me vois au sol, Mélie à mes cotés, Jean voulait faire une vidéo avec son portable, j’ai levé la main pour me protéger, et c’est à ce moment qu’il a été comme tiré vers l’arrière, jusque sur le mur. Le reste est encore vague. Il est tellement fier qu’il n’a pas dû en parler autour de lui. - Sur ce point là, tu n’as pas tort, remarqua le jeune homme. S’il y a bien quelqu’un au collège qui cacherait une défaite, c’est bien lui. Surtout si c’est contre une fille qu’il perd. 74 - Je suis persuadée que c’est ça Guy, je ne vois pas d’autre explication possible à ce pouvoir. Tout en parlant, Marion était revenue près du feu, frissonnante. Son félin suivit le mouvement et se coucha près d’elle toujours aux aguets. Guy profita de cette pause dans la conversation pour rajouter quelques branches dans le foyer fumant. Il leur fallait maintenir les braises en activité pour pouvoir se réchauffer, mais le saule pleureur était encore trop gorgé de neige pour fournir du combustible pour le reste de la nuit. Guy décida donc d’effectuer quelques aller-retour dans le réfectoire pour en ramener les quelques chaises en bois qui s’y trouvaient encore. Cela leur fournirait de quoi tenir jusqu’au matin. Il entreprit alors de revenir s’asseoir près de son amie. Elle scrutait à présent les étoiles et semblait perdue dans ses pensées, ses mains caressant machinalement l’oreille de Blanche Neige. Le feu se reflétait sur ses fins cheveux dorés, et la pénombre adoucissait encore ses traits déjà très gracieux. Les ombres dansantes provoquées par le chatoiement des braises chaudes donnaient plus de relief encore aux courbes naissantes de la jeune fille. 75 Guy ne put s’empêcher de profiter de cet instant magique. Il resta un long moment figé, sans faire aucun bruit, osant à peine respirer et bénissant les dieux de lui permettre de vivre une telle opportunité après la journée qu’il venait de vivre. Le simple plaisir de pouvoir être le témoin privilégié de ce magnifique spectacle le rendait euphorique. Se perdant dans ses pensées, il s’assoupit le sourire aux lèvres. Marion sortit de sa rêverie alors que le soleil commençait à pointer à l’horizon. Il était grand temps pour elle de penser à trouver de quoi déjeuner avant que les garçons ne se réveillent. Elle tourna son regard vers Guy qui s’était endormi près d’elle contre le mur de la cuisine. Il dormait si bien qu’elle n’osa pas le réveiller. Elle le couvrit alors de son blouson et entra dans le bâtiment, à la recherche de nourriture. La cuisine n’était pas très grande, mais pour ceux qui ne connaissaient pas les lieux, il y avait de quoi se perdre. Elle ressemblait à une vaste succession de petites pièces les unes accolées aux autres. Difficile de savoir où était rangé quoi que ce soit dans de telles conditions. Après de longues minutes de recherche, elle trouva enfin du lait, du chocolat en poudre et quelques gâteaux secs qui feraient l’affaire pour ce matin. 76 Elle amena tout cela à l’entrée de la cuisine en prenant soin de ne pas oublier une casserole, l’autre ayant eu un petit problème de parcours lors de la démonstration impressionnante de Ben. Laurian et ce dernier étaient maintenant réveillés, et s’étaient approchés du feu pour s’y réchauffer, silencieusement afin de laisser Guy profiter des bras de Morphée encore quelques minutes, bien à l’abri dans veste de Marion. * ** Le petit déjeuner se passa dans le silence le plus complet, à peine troublé par le tintement des cuillères sur les bols. La petite équipe de survivants peinait encore à croire ce qu’elle venait de vivre. Le chocolat chaud réchauffait certes leurs corps, mais leurs cœurs restaient figés dans le froid hivernal de leurs souvenirs. 77 Prenant l’initiative, Laurian entreprit de lancer la conversation, et vu leurs réactions, ce fut à l’évidence un soulagement pour Marion et Ben. - Il est arrivé cette nuit ? dit-il en parlant de Guy. Marion sentit une pointe de jalousie non feinte dans la voix du jeune homme et répondit immédiatement sur un ton apaisant. - Oui, répondit-elle, il a traversé le même genre d’épreuves que nous apparemment. Laurian, la journée d’hier a été difficile pour tout le monde ! Du moins, pour tous ceux qui sont encore vivants… - Ne dis pas ça Marion, les autres sont quelque part, j’en suis certain. On ne peut pas disparaître comme ça en un claquement de doigts. Marion s’était instinctivement recroquevillée sur ellemême, se blottissant contre son chat. Elle se sentait terrifiée par ce qu’elle avait vécu la veille, elle n’était plus convaincue que ses proches avaient pu survivre à ce cauchemar, mais elle ne voulait pas le montrer à Laurian, lui qui semblait si sûr de ce qu’il disait. 78 Le jeune homme remarqua aussitôt la réaction de Marion. Se sentant coupable, il entreprit de remettre quelques morceaux de bois dans le brasier, gardant la tête basse. - Bon, c’est pas tout ça, reprit Laurian, mais si ça doit durer, il va falloir qu’on trouve quelque chose de plus confortable pour dormir, mon sac de couchage ne pourra pas nous supporter tous. - On devrait dormir à l’infirmerie, il y a des lits. remarqua Ben. - Mais pas de chauffage, il faut qu’on reste dans la cuisine autant qu’on peut, il y a de quoi se chauffer ici, et pas trop de chemin à faire pour manger. - Il n’y a que deux matelas de petits lits à l’infirmerie, rétorqua Marion, c’est un peu juste pour nous quatre tout de même - Bah on ne dort pas tous en même temps de toute façon. Il faudra toujours que quelqu’un monte la garde ! répondit le jeune garçon. 79 - Il y en a dans les logements de fonction ! répondit froidement Laurian. Et on va tout faire pour pouvoir te préparer une chambre Marion, ne t’inquiète pas. Son regard, accusateur, était pointé vers Ben, accusateur. Le garçonnet ne comprit pas, mais il se garda bien de répliquer. De toute évidence, il y avait un « je ne sais quoi » qu’il n’avait pas compris. - Merci, répondit simplement la jeune fille. La petite remise devrait faire l’affaire, si vous n’y voyez pas d’inconvénients. - Pas de problèmes, répondit Laurian, on va t’aménager ça, comme on pourra. Son regard se tourna alors vers Ben, et, profitant de l’inattention de sa camarade, il épela à voix basse ces quelques mots : « Tu penses vraiment qu’elle va vouloir dormir avec trois garçons ? ». Ben sourit, il n’avait pas pensé à ça. Il leva discrètement un pouce en signe de compréhension à l’attention de Laurian, qui se dérida quelque peu à la vue de cette réponse. 80 - Ok, voilà ce que nous allons faire, s’exclama Laurian. Dès que Guy sera réveillé, nous irons chercher des matelas dans les logements de fonction, pendant que vous débarrasserez la petite remise. Ben, mets-y du cœur, tu vas préparer une chambre de princesse ! ! ! Marion sentit ses joues s’empourprer lorsqu’elle entendit cette annonce. Avoir son petit confort lui semblait à la fois dérisoire par rapport à ce qu’elle venait de vivre, mais elle était néanmoins flattée de cette attention de la part de Laurian. 81 82 7. Expédition Guy se réveilla quelques minutes plus tard. Encore sous le coup de sa trop courte nuit, il salua Laurian sans un mot, puis, voyant le chocolat chaud encore fumant, se dirigea vers la casserole. Marion venait de les rejoindre et prit l’initiative d’expliquer à son camarde ce qui avait été décidé un peu plus tôt, elle seule pourrait le faire calmement. - C’est une bonne idée, constata Guy, mais êtes vous certain qu’il n’y a pas d’araignées là-bas ? Je ne suis pas comme vous, je n’ai la faculté de faire sauter des casseroles avec un quelconque pouvoir. 83 - Ni moi, répondit Laurian. On va avoir besoin de Ben, mais hors de question de laisser Marion seule ici, on ne sait pas ce qui pourrait arriver. - Ca ira, Blanche Neige est avec moi, elle… - On ira tous ensembles, la coupa Guy. C’est le meilleur moyen pour minimiser le danger. Après un moment de réflexion, tous se rangèrent à son avis. Marion et Ben pourraient se servir de leurs pouvoirs si besoin, Laurian avait sa hache, et le calme de Guy serait bénéfique en cas de problèmes. Une équipe de choc s’était formée ainsi de manière la plus naturelle possible. Les préparatifs furent de courte durée, les bâtiments administratifs étant situés à quelques dizaines de mètres seulement de leur refuge. Et puis, il ne leur faudrait pas longtemps pour revenir avec deux matelas sous le bras. Du moins, le pensaient-ils tous à cet instant. - Laurian, tu connais le bâtiment mieux que nous. Tu as vu quelque chose de particulier là bas ? demanda Marion. 84 - Toutes les vitres ont volé en éclat, répondit-il. J’ai fait le tour des appartements hier, il n’y avait pas âme qui vive. La neige a réussi à pénétrer dans toutes les pièces, mais il me semble qu’on peut récupérer un matelas deux places chez la directrice, et le mien chez moi. Les autres doivent être recouverts de neige. - Pas de trace d’araignées, ou d’autres choses ? demanda Guy. - Pas à ce que j’ai pu voir. Je n’ai pas remarqué quoique ce soit de vivant. Maintenant que j’y pense, les chiens de Michel ont disparu également, ils sont attachés à l’entrée des garages habituellement, on devrait les voir d’ici. Ce détail ne rassura pas Guy. Vu la taille des araignées et celle de Blanche Neige, si le petit groupe venait à tomber sur des chiens enragés, il faudrait certainement plus qu’un tour de passe-passe pour les arrêter. Il se garda néanmoins d’en avertir ses amis, de peur de les effrayer. Restant sur leurs gardes, le petit groupe commença son avancée vers le bâtiment administratif. Le chemin le plus court était également le moins escarpé, mais il était totalement à 85 découvert. La couche de neige, plus épaisse que ce qu’ils avaient pensé, rendait leur progression plus pénible, le vent l’ayant repoussée en tas compact tout le long du chemin qu’ils devaient emprunter. Chaque grincement de branche, claquements de volets ou autres bruits suspects les faisaient sursauter, ce qui rendait leur périple plus difficile encore. Au bout de plusieurs longues minutes qui leur avaient, semblait-il, duré des heures, ils atteignirent enfin la porte de la bâtisse. Laurian passa le premier, il habitait le collège depuis son plus jeune âge et il connaissait les lieux comme sa poche, y ayant passé des heures à jouer à cache-cache. Ils devraient d’abord traverser les bureaux pour pouvoir rejoindre l’étage et les appartements de la directrice et de ses parents. Rien d’insurmontable dans la vie de tous les jours, mais depuis hier, rien n’était plus normal, surtout avec cette neige jonchant les bureaux. Ce fut pourtant sans difficulté que l’équipe put rejoindre la cage d’escalier de l’immeuble. Même si la poudreuse était présente également dans cette partie du bâtiment, elle ne put cette fois ralentir la progression des enfants, si bien qu’en quelques minutes seulement, les deux matelas furent récupérés. Guy amassa également quelques bougies et des allumettes, ses nombreux essais pour faire fonctionner les 86 torches électriques l’avaient convaincu que tous les générateurs de courant étaient mystérieusement tombés en panne suite à la tempête. - J’ai une idée s’exclama Laurian - il ne vit pas Guy rétorquer tout bas que c’était un miracle - on va attacher ça sur le dos de Blanche Neige, ce sera plus facile d’avancer dans la neige. - Et tu comptes les coller sur son dos avec de la glu ? rétorqua Guy. - Mais non imbécile, il y a des cordes dans la remise de Michel, je sais où il range la clef. Allons-y. Guy fut forcé d’admettre que l’idée était bonne même si le simple fait d’y penser le répugnait. Il emboîta le pas des autres vers l’appartement du concierge, au rez-de-chaussée, tirant tant bien que mal le plus lourd des deux matelas. Lorsque Laurian ouvrit la porte, personne ne remarqua que Marion s’était retranchée dans le coin du couloir. Elle s’était recroquevillée au bas de l’escalier, il avait fallu quelques pas à Blanche Neige pour que l’animal ne s’en rende compte. Le chat hérissa le poil par instinct, il avait 87 bien compris que quelque chose ne tournait pas rond. Ben avança de quelques mètres dans l’appartement avant de s’apercevoir qu’il n’était plus suivi. Il se retourna et vit Marion prostrée dans le coin du couloir. Soudain tout s’accéléra. * ** Ben eut juste le temps de se retourner de nouveau pour faire face à ce qui mettait la jeune fille mal à l’aise. Apparaissant dans l’encadrement de la porte, deux yeux rouges écarlate s’approchaient de lui à une vitesse folle. Ils surmontaient un museau pointu et deux incisives proéminentes aussi longues et effilées que des lames de rasoir. Par réflexe, il plongea sur le côté, laissant la bête poursuivre sa course vers Marion, qui de son côté tremblait comme une feuille. 88 - Marion, attention ! ! hurla-t-il à l’attention de sa camarade. Comme un robot, celle ci leva une main brûlante vers son assaillant, et avant même que Blanche neige n’ait eu le temps de réagir, elle pulvérisa la chose au moment où elle bondit vers la gorge de sa proie. Une boule de pelage fumante recula de plusieurs mètres avant de s’écraser aux pieds d’un Ben encore médusé par ce qu’il venait de voir. Les deux jeunes reprirent alors leurs esprits, Marion se relevant d’un bond et Ben se retournant sur la défensive. Leurs yeux convergèrent vers Laurian et Guy qui étaient également aux prises avec un agresseur. Laurian, repoussait vivement de son arme un rat au pelage blanc éclatant, gros comme un caniche. Il s’était interposé entre Guy et le monstre, mais ce dernier, tenant le manche de la hache du jeune homme entre ses crocs, semblait prendre le dessus, si bien que Laurian tomba à la renverse. Guy, situé derrière lui à ce moment là, fut projeté dans la pièce voisine avec une violence telle qu’il s’assomma sur un coin de meuble. - Ben, sers-toi de ton pouvoir ! hurla le jeune homme, dépêche toi, je ne tiendrai pas longtemps ! ! 89 - Je n’ai pas d’élément sous la main, je ne peux rien faire ! ! - La neige ! ! ! c’est de l’eau ! intervint Marion. Fais quelque chose, vite ! ! - Ouuuups, pardon… répondit Ben. - Active ! hurla Laurian. D’un simple geste de sa main, une fine couche de neige décolla du sol puis commença à tournoyer sur elle-même jusqu'à former un pic de glace. Ben fit alors mine de lancer quelque chose vers Laurian, et le pic prit son envol vers le rat. Le monstre n’eut pas le temps de comprendre : le froid glacial de la glace le transperça de part en part, stoppant net son attaque. Laurian repoussa le cadavre loin de lui et s’assit pour reprendre son souffle. Les griffes du rongeur avaient laissé de longues incisions sur les vêtements du jeune homme, et son blouson partait maintenant en lambeaux. Il s’en était fallu de peu pour que les griffes meurtrières ne traversent l’épaisse couche de tissu. 90 - Pffffiiiou, c’était juste ! dit Laurian en tenant un bout de son manteau dans la main. - Ce n’est pas fini… Répondit Marion d’un air sombre. La Belle regardait le couloir devant eux, se tenant l’avant bras droit comme si elle avait tenu le canon d’un fusil. Elle s’était approchée lentement de Laurian, elle ne tremblait plus à présent, mais on pouvait voir la sueur ruisseler le long de ses tempes, et ses cheveux étaient trempés par l’effort qu’elle venait de fournir. Dans un feulement rageur, son chat vint se positionner à ses côtés, le poil hérissé, prêt à bondir. Les regards de tous étaient tournés vers le fond du couloir. Il était plongé dans l’obscurité, les portes donnant sur les chambres étant fermées, il était difficile à l’équipe de discerner quoi que ce soit. Leurs respirations se firent plus fortes à mesure que leurs attentions étaient tournées vers le point sombre, chacun scrutant des yeux ses comparses, puis ce qui semblait devoir leur apporter une prochaine épreuve. Le rythme de leurs souffles était à présent identique, chacun se calant sur les autres inconsciemment. Marion leva soudain le bras. Les autres se mirent instinctivement en garde, se préparant à recevoir une 91 quelconque attaque. Au fond du couloir, ils distinguèrent un mouvement bref accompagné d’un petit bruit de pattes. Quelque chose venait vers eux mais était encore invisible à leurs yeux, probablement située dans l’autre partie du corridor. La chose leur apparut enfin à leurs yeux passant tranquillement son bec au coin du mur. Marion baissa immédiatement son bras, le petit être qui venait d’apparaître devant eux était tout sauf effrayant. De la taille d’un avant bras, cet animal étrange à la peau gris-cendré se tenait sur ses deux pattes arrière. Celles-ci étaient pourvues de trois doigts griffus et d’une proéminence ressemblant à une sorte de talon. Une cheville d’une taille disproportionnée supportait une patte en trois parties – ressemblant à un mètre en bois – là encore équipées d’articulations hypertrophiées, l’angle formé par la première jointure étant à l’inverse de celui que formerait le genou d’un humain. Le tout était surplombé par un tronc humanoïde et musclé doté de deux mamelles. La tête de la bête ressemblait à un celle d’un oiseau dont on aurait arraché les plumes. Lorsqu’elle arriva à la vue de tous au milieu du couloir, la chimère stoppa son avance. Elle dodelina de la tête en fixant le petit groupe, un air interrogateur semblant flotter dans son regard. Puis sa tête se redressa, la bête ouvrit fébrilement le 92 bec, et à la surprise générale, poussa un hurlement glaçant le sang des enfants : - PWEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEERKKK ! ! Tous furent instantanément immobilisés de stupeur. Comment un cri d’une telle puissance pouvait–il être émis par une créature aussi ridicule ? Un bruit retentit alors, venant du fond du couloir, un cliquetis d’abord discret, puis s’intensifiant peu à peu jusqu'à en devenir presque assourdissant. Laurian réagit le premier. - Reculez ! ! hurla-t-il. Personne ne se fit prier. Amorçant un mouvement de recul, Marion leva instinctivement le bras. Ben commençait à dessiner des formes étranges dans l’air, et la neige forma rapidement plusieurs dizaines de pics de glace flottant autour du petit groupe. Blanche Neige hérissa le poil et feula de plus belle, montrant les crocs. Lorsque Laurian vit la horde d’assaillants arriver au coin du couloir, il se retourna brutalement et courut vers le salon où Guy gisait encore inconscient. 93 Marion retint son dégoût et lâcha un vortex d’énergie alors que le couloir devant elle lui semblait devenir un tapis vivant. Des dizaines de rats géants s’entassaient devant eux, avançant inexorablement vers ce qui semblait être leur proie. Il y en avait tellement que pas un centimètre carré de sol n’était visible, caché à leurs yeux par cet amas de poils. Les rats s’écartèrent juste pour passer autour de la créature étrange avant d’être frappés de plein fouet par une boule d’énergie. Plusieurs pics de glace fusèrent également vers les assaillants, fauchant plusieurs bêtes dans leur course effrénée. Cela ne ralentit malheureusement pas l’avance de la horde de rongeurs, dont le nombre ne sembla pas diminuer. Blanche Neige passa devant le groupe, faisant barrage de son corps, tandis que Marion et Ben continuaient à user de leurs pouvoirs contre leurs ennemis. Le félin faucha d’un seul coup de patte les quelques rats qui avaient devancé le reste de la troupe. Bientôt, vortex et pics de glaces se succédaient aux coups de griffes et de crocs, ralentissant à chaque fois la meute en furie. Dans le salon, Laurian réussit enfin à sortir Guy de son inconscience, il ne lui fallut pas longtemps pour faire un rapide topo de la situation à l’adolescent encore groggy. Ils furent alors rejoints par le reste du groupe qui marchait 94 toujours à reculons. Guy reprit du poil de la bête à la vue du spectacle se déroulant devant lui. Il s’empara alors de la table du salon qu’il mit en travers de la porte, créant ainsi une barricade de fortune contre ce qui continuait d’avancer. Marion et Ben redoublaient leurs assauts, s’affaiblissant à chaque nouvelles utilisation de leurs altérations. Guy cherchait du regard une hypothétique sortie ou quelque chose qui pourrait aider les autres à prendre le dessus. Bientôt, les premiers rats s’attaquèrent à la table du salon, les plus hardis essayant même de sauter par-dessus. Blanche Neige faisait alors preuve d’une incroyable férocité, tranchant net des ses griffes ceux qui avaient le malheur de réussir à bondir assez haut. Les rongeurs ne reculèrent pas pour autant, les derniers arrivants se servant des corps des premiers pour pouvoir passer au-dessus de la barricade. Guy revint alors vers eux, muni d’un extincteur. Il avait trouvé l’appareil dans le bureau attenant au salon de Michel, celui de la CPE. - Marion, Ben, faites-moi péter ça et on rentre ! ! ! Les deux compères comprirent immédiatement et couplèrent leurs efforts. Ben façonna un énorme stalactite 95 pendant que Marion s’affairait à la préparation d’un vortex plus grand que ceux qu’elle lançait depuis la veille. Guy jeta alors l’extincteur dans le couloir, Ben faisant mine de lancer un javelot envoya son projectile dans la même direction. Marion fut la dernière à entrer en action, elle leva les deux bras, propulsant une onde de choc qui pulvérisa au passage la table en chêne qui leur servait de protection et réduisant en charpie les rats qui étaient entassés derrière. Lorsque le projectile, aidé par la formidable vague d’air entra en contact avec l’extincteur, l’effet fut immédiat. Une déflagration retentit, lâchant flamme et poudre sur les rats, et ne leur laissant aucun répit. La combine avait fonctionné les rats avaient été carbonisés sur place, exterminés par la redoutable puissance combinée des pouvoirs de Ben et Marion, carbonisés sur place. Le calme semblait revenir peu à peu dans les esprits des adolescents, ils étaient sauvés, du moins l’avaient-ils pensé pendant un court instant. Essayant de s’échapper de l’espace confiné du couloir la vague de flammes venait à présent vers eux, plus rapide encore que les rats. Dans quelques millisecondes tout au plus, ils périraient à leur tour, balayés par le feu purificateur. 96 8. Instants Laurian regardait les flammes s’approcher de lui inexorablement, inéluctablement, implacablement, léchant les murs le sol et le plafond en direction de la seule issue possible pour elles : la grande double porte menant au salon. Alors que la mort n’avait jamais côtoyé d’aussi près le petit groupe, la scène qui se déroulait devant lui était pourtant très claire à ses yeux ; elle lui paraissait lente, poussive, aussi lente qu’aurait put l’être le ralenti d’un film. Il aurait largement le temps d’en examiner chaque scène avant de pousser son dernier soupir, avant que le feu mortel ne l’atteigne. Tournant le regard un peu vers sa droite il pouvait apercevoir Guy. Celui-ci avait amorcé quelques pas de course 97 avant de plonger vers la porte du bureau voisin, celui-là même où il avait trouvé l’extincteur quelques secondes auparavant sans s’imaginer que l’engin allait mettre fin à ses jours très prochainement. L’adolescent semblait flotter dans l’air chaud et puant les poils grillés, figé dans une pose rappelant le vol d’un Super Héros habillé en rouge et bleu. Son visage semblait figé, totalement rigide, paralysé par la peur, parant l’adolescent d’un dernier rictus morbide. Pendant que Guy planait vers son abri de fortune, les flammes avaient parcouru plusieurs dizaines de centimètres. Le vieux portrait des parents de Michel, qui n’avait jamais quitté cet endroit du mur depuis son entrée dans l’appartement fut le premier objet que les flammes engloutirent. Dans un premier temps le bois du cadre se tortilla, puis craqua avant de s’embraser. Sous la pression de la chaleur, le verre explosa, projetant de nombreux morceaux dans toutes les directions. La photo commença alors à jaunir puis à se tordre, avant de fondre consumée par l’air chaud environnant. Droit devant Laurian, Ben s’élança et se plaqua contre le mur avec une force telle qu’il vit distinctement que l’une de ses dents avait sauté au contact du parpaing. Le garçon espérait ainsi une hypothétique protection du battant restant de la double porte vitrée qui le séparait du couloir et des flammes 98 dansantes et mortelles - Il était, à ce moment là loin, de se douter qu’il n’en serait rien. Il serrait les poings tellement fort que ses mains et ses doigts en avaient perdu leur couleur rosée. Ses ongles avaient traversé la fine couche de peau de ses paumes, laissant apparaître de légers filets de sang. Des larmes coulaient depuis ses yeux rougis tout au long de ses joues blanches. Instinctivement, il rapprocha les avants bras de son visage, pour une ultime protection contre la menace, entourant presque sa tête de ses membres. Le brasier continuait son inexorable avancée vers la porte. Sous l’effet de la chaleur, le papier de décollait des murs comme quelques serpents tombant d’un tronc, puis en quelques instants était réduit à l’état de cendres fumantes et volantes. Le petit meuble en bois laqué qui servait à poser le téléphone, l’annuaire et le carnet de numéros, commençait à gondoler sous les effets néfastes de l’ambiance environnante. Bientôt, il servirait à alimenter un peu plus la fournaise environnante. L’appareil téléphonique perdait de sa consistance, les touches coulaient le long de la coque, puis ce fut la coque elle-même qui se disloqua et se mélangea aux composants électroniques qu’elle était censée protéger et aux touches en caoutchouc. Les spires du carnet se recroquevillèrent sur elles-mêmes avant que le papier ne s’enflamme brutalement. 99 Dans l’encadrement de la partie ouverte de la porte, Marion se tenait droite, faisant face à la menace, la toisant presque du regard. Elle était en première ligne, seule debout devant le brasier qui continuait à avancer avec fatalité. Ses deux bras étaient tendus droit devant elle, aussi rigides que deux barres de fer. L’image semblait à la fois poétique et tragique aux yeux de Laurian. La beauté des flammes se reflétant dans la chevelure de la jeune fille lui donnait des reflets roux, presque flamboyants. La chaleur dégagée faisait rougir ses pommettes, tandis que le brasier se reflétait dans les nombreuses gouttelettes de sueur qui perlaient de son front. Les petits morceaux de verre avançaient tels des météorites vers le visage de la Belle, semblant plus brillants, plus scintillants, plus tranchants encore sous l’effet de la chaleur. Ici et là autour de l’adolescente, quelques morceaux de papiers enflammés virevoltaient telles des fées portées par le vent. Ironie de la situation. Laurian se trouvait devant le spectacle le plus joli qu’il n’avait jamais vu. Elle ressemblait à un Ange au milieu des Flammes de l’Enfer. Jamais Marion ne lui avait semblé aussi belle que devant ce mur de feu, toisant son destin d’un regard aussi ferme que celui d’un lion devant une gazelle apeurée. Malheureusement, il en était certain à présent, c’était également la dernière chose qu’il verrait avant 100 de mourir carbonisé par le mur de feu. Jamais plus il n’aurait l’occasion de la serrer dans ses bras. Il eut une idée soudaine. Dans un dernier élan, son baroud d’honneur à lui, il se releva et se précipita vers l’élue de son cœur, espérant encore qu’un miracle pourrait les sauver. Peut être était-il trop tard. Peut être était-ce les lueurs de la mort qu’il aperçut, il n’aurait su le dire à cet instant. A ce moment, il fut ébloui par une lumière qui semblait émaner du corps de Marion. Le rayonnement en était si vif qu’il dut se protéger les yeux de son avant bras et stopper sa course vers sa bien aimée, détournant par réflexe les yeux du chatoiement aveuglant. Une chaleur apaisante emplit alors tout son être alors qu’il plongeait vers l’adolescente, espérant la plaquer sur le canapé en cuir marron de Michel. Le contact doux qu’il aurait avec sa peau serait certainement la dernière chose dont il pourrait profiter avant l’issue fatale de sa trop courte vie. Relevant les yeux vers son bourreau incandescent, il se résigna à l’inéluctable. 101 * ** Laurian s’écrasa lourdement sur le canapé. Quelque chose l’avait dévié de sa trajectoire au moment où ses bras allaient se refermer sur le corps chatoyant de Marion. Plutôt que de se réceptionner sur les coussins comme il l’avait prévu, ce fut sur l’accoudoir qu’il atterrit, et la fine couche de mousse recouverte de cuir n’avait pas suffisamment amorti le choc pour qu’il ne ressente pas les effets douloureux de sa chute sur ses côtes. Les yeux embués de larmes, il s’accorda un regard flou vers l’encadrement de la porte, là où croyait-il, un instant auparavant, il aurait dû trouver la mort en enlaçant sa Belle. Il ne pouvait encore distinguer nettement ce qui se passait à cet endroit, et dut se frotter les paupières à plusieurs reprises pour être certain de ce qu’il voyait. Il en viendrait bientôt à se pincer pour être sûr qu’il ne rêvait pas. Les flammes inquisitrices avaient cessé leur progression, stoppées par une sorte de mur invisible qui s’était formé devant les mains dressées de la jeune fille. Marion paraissait être en transe, totalement inconsciente de ce qui était en train 102 de se produire. Elle avait maintenant les yeux à moitié fermés, laissant apparaître sous ses paupières mi-closes le blanc de ses cornées. Ses longs cheveux blonds semblaient flotter autour de son torse et de son visage de la même manière que s’ils étaient portés par le vent. La sueur ruisselait le long de ses joues, coulant depuis ses tempes et trempant ses vêtements. Bien qu’elle n’y semblait porter attention, donnant même l’impression d’avoir toujours été capable d’un tel exploit, elle était en mesure de canaliser le brasier se propageant devant elle jusqu'à l’intérieur de ses paumes, où il finissait en tourbillonnant, aspiré comme le serait de l’eau par une évacuation. Laurian était ébahi par le spectacle qui s’offrait devant lui. Mettant machinalement son bras gauche sur ses côtes endolories, il se leva du canapé en avança prudemment vers Marion. Guy revint au même moment de la pièce voisine, les yeux écarquillés et la mâchoire pendante. Trop obnubilé par ce qu’il était en train de vivre, il ne vit pas le pauvre Ben allongé sur le sol en travers de son chemin et lui asséna un coup de pied involontaire en plein visage. Ben fut sorti de son semi-coma par ce coup et tenta de protester vivement, mais se ravisa en voyant le visage du Grand Brun. Il tourna la tête dans la direction que portait le regard de son compagnon et ouvrit lui aussi des yeux grands comme des billes. Tous les 103 trois étaient totalement subjugués par ce qu’ils étaient en train de voir. Devant leurs regards médusés, le maelström de feu, de cendres et de poils était littéralement avalé par les paumes de Marion, les fumées commençaient à disparaître du couloir, se mêlant au vortex improbable crée par l’adolescente. La température de la pièce était redevenue glaciale du fait de l’absence de fenêtres, et le vent ramenait la neige à l’intérieur, mais curieusement, les flocons n’étaient pas aspirés vers les mains de la jeune fille. A cet instant, elle semblait maîtriser parfaitement son altération de sorte qu’aucun de ses amis ne soit blessé par les résidus encore fumants, et atténuant le danger de telle manière que tous purent approcher sans risques. Guy fut le premier à briser le silence. - Marion ? C’est toi qui as fait ça ? C’est… c’est un véritable miracle. La Belle ne réagit pas, elle n’était pas sortie de sa transe et ne paraissait pas saisir ce qui se passait autour d’elle. - Marion ? répéta Guy, tu vas bien 104 - N’approche pas plus ! le coupa Laurian, on dirait qu’elle ne t’entend pas. - Tu as raison, c’est peut-être dangereux de la ramener à elle brusquement. - Marion ! Tu m’entends ? Marion ! ! Dans le couloir, les fumées noires avaient cédé la place à un tourbillon de cendres et de déchets encore fumants. Petit à petit, la pièce semblait se vider de ses dangers, aspirés par les paumes de la jeune fille. Elle tremblait comme une feuille à présent. Tout son corps semblait pris de convulsions, seules ses mains restaient droites et immobiles, continuant sans répit leur travail. - Marion, regarde-moi ! ! Tout va bien ? Laurian, était à la fois effrayé et inquiet, il s’approchait lentement, son bras tendu vers l’avant devant lui apporter une hypothétique protection si besoin. Ben s’était placé derrière lui, profitant du plus grand comme d’un bouclier. Il risqua un œil vers l’encadrement de la porte et y vit une adolescente méconnaissable. Elle était livide, presque décomposée, trempée de sueur et secouée de spasmes. Rien à voir avec la 105 jolie jeune fille qu’il avait rencontrée. Guy fermait la marche, il avait ramassé la hache et la tenait devant lui, au-dessus de la tête de Ben, prêt à en faire usage si besoin. - Marion ! ! ! insista t’il, réponds nous ! ! Devant les paumes immobiles de sa camarade, le couloir était redevenu calme. Plus de traces de fumées ni de cendres virevoltantes, plus de flammes, juste des murs noircis et quelques cadavres carbonisés de rats. Les tremblements de la jeune fille cessèrent brusquement, ses mains ne semblaient plus aspirer quoi que ce soit. Elle leva les yeux, redevenus du bleu le plus pur,vers ces camarades. - Bah quoi, qu’est ce que vous avez à me regarder comme ça ? Soudain, ses jambes se dérobèrent. Laurian eut juste le temps de plonger pour rattraper son corps inerte avant qu’il ne percute le sol. Quelques secondes seulement s’étaient écoulées depuis l’explosion, quelques minutes avant leur entrée dans l’appartement. Marion n’était plus… 106 9. Sauvetage La température était acceptable autour du feu, bien que la nuit fût tombée depuis plusieurs heures maintenant. Bien emmitouflés dans leurs vêtements, les membres du petit groupe ne ressentaient pas la froideur de l’hiver. Il faut dire que la neige avait beaucoup fondu ces derniers jours, du fait d’un ensoleillement plutôt inhabituel pour cette saison. - Passe-moi encore un peu de purée s’il te plait. Guy, plongé dans ses pensées, passa machinalement la grande casserole à Marion. Elle venait de manger l’équivalent de trois repas et ne semblait pas encore rassasiée. Les autres la 107 dévisageaient comme si elle ressemblait à une bête curieuse, étudiant chaque fait et geste que l’adolescente effectuait, ils écoutaient avec l’attention d’un fan devant son idole chacune de ses paroles. Bien qu’habituée à être mise en avant lors des compétions sportives, Marion ne supportait pas d’être la cible de tous les regards. - Mais enfin, arrêtez de me regarder comme un animal de cirque, je vais bien, je vous assure. - Marion, rétorqua Guy, je ne sais pas si tu as bien saisi ce qui s’est passé l’autre jour… Il prit le temps de réfléchir à ce qu’il allait dire. Tu as arrêté un enfer digne des flammes de Canis Majoris à la seule force de tes mains ! - Euuuuuh ! Des flammes de quoi ? demanda Laurian. - Canis Majoris !! répondit Guy. La plus grande étoile de l’univers. Révise tes cours ahuri ! Marion, tu n’as pas fait que perdre connaissance ce jour là, tu as également perdu la vie ! Il nous a été bien difficile de te faire revenir, et il a été d’autant plus difficile à Mélie de te soigner. Sans elle et son altération, tu ne serais 108 certainement plus la même aujourd’hui. On a déjà eu beaucoup de chance de réussir à faire repartir ton cœur. - C’est une chance qu’elle soit arrivée en effet, ajouta Laurian. Sans son pouvoir de guérison, je ne suis pas certain qu’on aurait réussi à te sauver. Ton retour à été mon cadeau de Noël, ajouta-t-il non sans une certaine gêne. - C’est gentil de vous inquiéter pour moi les garçons, mais vous m’avez expliqué tout ça tout à l’heure déjà. Maintenant tout va bien, ne vous en faites pas. - Elle va bien, renchérit Mélie. Je ne ressens plus rien, tout est normal à présent. - Vous voyez les gars, si Mélie vous le dit, vous pouvez lui faire confiance. J’ai juste très faim. - C’est normal, elle est restée deux semaines dans un coma de stade 2 quand même. Elle a brûlé la majeure partie de ses réserves en sucre, même si j’ai réussi à lui en faire avaler par moment. Et puis elle a raté ce magnifique réveillon de nouvel an au chocolat chaud et 109 tartine au fromage, ce n’est pas rien, dit Mélie ironiquement. - Elle a perdu la vie, ça non plus ce n’est pas rien rétorqua Guy. Désolé si je m’inquiète, mais il n’y a plus grand-chose de normal depuis quelques jours maintenant. D’abord une tempête, ensuite des animaux géants, et pour finir, une jeune fille capable de créer une sorte de mur de protection. Qui me dit qu’après avoir fini ta purée tu ne vas pas prendre 30 centimètres d’un seul coup ? - Et qui sait si je n’aurai pas envie de te dévorer toi après ça ? Non sérieusement, je vous remercie tous, et en particulier Mélie, mais ne vous en faites pas pour moi s’il vous plait, je vais très bien maintenant. Comme pour confirmer les dires de Marion, Blanche Neige s’approcha d’elle et frotta sa large tête contre le pantalon de la jeune fille. Un ronronnement de plaisir finit de rassurer les autres. - Bon ok, concéda Laurian, mais il va falloir que tu manges moins que ça, sinon on aura vite épuisé nos réserves. 110 - Sale bête répondit Marion avec un sourire, je te revaudrai ça. Elle lui jeta un petit regard complice qui n’échappa pas à Guy, mais il ne releva pas, trop heureux de voir que son amie allait mieux. Mélie intervint. - Je vais quand même encore te garder sous surveillance un ou deux jours avec repos total. Désolée, mais il faudra que tu partages ta chambre avec moi encore un peu. - Pffff, bon d’accord, si j’ai tout le monde contre moi, je n’ai plus le choix : je m’incline. Mais je pourrai quand même me promener avec Blanche Neige ? - Si tout se passe bien, oui, je te laisserai sortir dans la cours du collège. Mais gare à toi si tu te sauves. - Je n’ai pas l’intention de courir après ce... Truc… Machin… le Pwerk ? Vous l’avez revu depuis ? - Non, mais ce n’est pas pour me rassurer, lui répondit Ben. 111 Laurian regardait Mélie d’un œil admiratif. Il était véritablement impressionné par la maturité dont faisait preuve la fillette. Elle donnait l’impression d’être un vrai médecin malgré ses onze ans. Il se félicitait d’avoir eu la chance de les apercevoir descendre la Rue de la Gare lors de son tour de garde, une semaine plus tôt. Elle et Rin avaient en effet développé des altérations très utiles pour aider à la survie du petit groupe. * ** Laurian était positionné stratégiquement sur le toit du bâtiment principal ce jour là. De là, il avait une vue d’ensemble sur la quasi totalité de l’enceinte du collège. A sa droite, la cour autour duquel les élèves avaient prit l’étrange habitude de tourner (toujours dans le sens des aiguilles d’une montre et ce depuis des années) lui semblait étrangement vide 112 vu de son observatoire. A sa droite, une vue plongeante sur la rue Jules Fry à peine masquée par les grilles en fer forgé des deux complexes scolaires, et surtout un aperçu des va et vient des araignées dans la cour de l’école primaire. Mais de ce point de vue, il avait également la possibilité de scruter à loisir la Rue de la Gare, bien dégagée du feuillage des marronniers en cette saison. Il s’était approché de la primaire, toujours inquiet de savoir que des arachnides plus grands qu’un petit caniche y logeaient et n’étaient pas des plus accueillantes. Il regardait avec effroi leurs incessants allers et retours entre les salles de classe – du moins le pensait-il, sa position ne lui permettant pas d’affirmer qu’elle rentraient dans les bâtiment de l’école ou dans quelques tunnels que ce soit – et les terrains situés plus bas dans la rue. A aucun moment de son observation il n’avait vu le terrain dégagé de la présence des arachnides. A chaque instant, au moins une araignée était stationnée dans la cour, peut-être scrutant elle aussi le paysage avoisinant lors d’un impressionnant tour de garde. Curieusement cependant, pas une seule de ces immondes créatures n’osait s’aventurer vers le collège. C’était à croire qu’une espèce de barrière invisible les empêchait d’avancer dans cette direction. Laurian observa encore durant plusieurs minutes le 113 spectacle qui s’offrait à lui, jusqu'à ce qu’il vit finalement l’une des aberrations s’approcher de la barrière qui séparait les deux établissements. Prudemment, elle progressait en avançant une patte après l’autre, doucement, lentement. Puis, à l’approche de la barrière, elle prit un temps d’arrêt. A ce moment là, une dizaine d’autres de ses congénères la rejoignirent tout en restant prudemment en arrière, saluant à leur manière la témérité de leur chef de file. L’araignée avança encore, elle tendit prudemment une patte sur la barrière, pour savoir si elle n’était pas électrifiée. Vu que rien ne se passait, elle tâta alors consciencieusement la grille métallique et s’assura que rien ne se produisit. Elle attaqua alors l’ascension des maillons, et arrivée en haut, marqua un temps d’’hésitation avant de finalement sauter vers le sol recouvert de neige. Rien… l’araignée semblait surprise, agitant les pattes les unes après les autres pour s’en assurer. Elle avait pu aller plus loin que ses congénère, elle avait passé la barrière. Rassurée, elle avança encore vers la porte du bâtiment, celui qui devait regorger de nourritures diverses pour nourrir le nid. Presque dansante, elle prit la direction de la porte et alors qu’elle allait presque la toucher de l’un de ses pédipalpes, elle fut brusquement aspirée par un trou invisible, ne laissant derrière le vortex que quelques poils et une patte encore tressautant, sous les yeux d’un Laurian médusé. 114 Les autres araignées avaient suivi la scène avec un intérêt presque machiavélique et semblèrent déçues de l’échec de leur congénère. Elle s’en retournèrent vers le sud vaquer à leurs occupations. Laurian resta longuement au bord du toit à essayer de comprendre ce qu’il venait de voir. Pourquoi l’araignée n’avait-elle pu approcher ? Par quoi avait-elle été aspirée ? Tout cela l’intriguait et le laissait dubitatif. Perdu dans ses pensées, il ne vit pas immédiatement les deux fillettes se dirigeant vers les écoles. Ce n’est que lorsqu’il reprit son tour de garde qu’il aperçut leurs mouvements dans son champ de vision. Elles descendaient toutes deux la Rue de la Gare sans avoir conscience du danger proche d’elles. Dans un premier temps, Laurian essaya d’attirer leur attention en agitant les bras, mais en vain, les fillettes semblaient fixer leur regard vers le collège. Il était également trop dangereux de crier pour les avertir, les araignées pourraient en effet rapidement comprendre que de nouvelles proies étaient en approche. Après une rapide réflexion, il prit la décision qui lui semblait la plus sage. Il dévala les escaliers quatre à quatre et couru le plus vite possible en direction des cuisines pour y retrouver Guy. Il lui exposa rapidement la 115 situation et ensemble, ils mirent en place un plan pour secourir les enfants. Celui-ci était simple : Guy partirait à la rencontre des survivants en chevauchant Blanche Neige pendant que Laurian surveillerai les mouvements des araignées. Ben resterai auprès de Marion pour s’assurer que son état restait stable. Si les araignées venaient à attaquer Guy et sa monture, Laurian n’aurait pas d’autre choix que de siffler le plus fort possible pour sonner la retraite et abandonner les pauvres filles à leur triste sort. Tout était réglé à un détail près : encore fallait-il que Blanche Neige comprenne tout cela, et qu’elle veuille quitter le chevet de sa maîtresse. Elle avait en effet élu domicile à l’’entrée du local que Laurian avait aménagé pour elle et ne quittait que très rarement le devant de la porte, veillant sur sa maîtresse. La situation aurait pu paraître comique si l’urgence n’était pas de mise. Laurian et Guy en train de parler à un chat géant en espérant qu’il allait les comprendre, autant demander à un poisson rouge d’enseigner la Polka à un troupeau de vaches. Et pourtant à leur grande surprise, le félin ne perdit pas une miette des explications des adolescents, et pour leur faire comprendre qu’elle avait bien saisi le déroulement du plan et qu’elle acceptait la mission, ronronna de plus belle et 116 bouscula à plusieurs reprises Guy à l’aide de son museau pour le presser vers la sortie. - L’instinct animal m’étonnera toujours, dit Guy plus à lui-même qu’aux autres. - Blanche Neige est bien plus qu’un simple animal, elle comprend tout ce qu’on lui dit, rétorqua Laurian, et si elle a survécu à tout ça, ce n’est pas pour rien, c’est parce qu’elle est plus intelligente que n’importe quel autre chat. Ce qui devait être vrai car, pour confirmer les dires des deux garçons, le félin ronronna de plus belle et feula de plaisir. A nouveau, il poussa Guy vers la sortie pour le presser. Celui-ci sortit enfin des cuisines et enfourcha sa monture presque sans difficulté. Le jeune homme n’était en effet pas un habitué de l’équitation, mais ayant confiance néanmoins en son destrier improvisé, il n’eut pas d’appréhension à poursuivre sa mission. Et en effet, seulement quelques minutes plus tard, il avait rejoint Mélie et Rin au milieu de la côte. Avant même qu’il n’ait pu entamer un brin de conversation avec les filles, un sifflement strident venant du collège lui fit tourner la tête. 117 Sur le toit, Laurian effectuait de grands gestes, brassant l’air de ses deux bras dans l’espoir d’être repéré par Guy. Lorsqu’il fut certain que c’était le cas, il pointa du doigt l’école primaire, attirant le regard de Guy vers la lourde grille en fer forgé. Ce qu’il y vit le fit entrer dans une peur panique. 118 10. Replis A peine à une cinquantaine de mètres de là, à l’entrée de l’école primaire, plusieurs araignées avaient pris le chemin du petit groupe de rescapés, accélérant la cadence pour intercepter leur proie au plus vite. Aucun doute possible, ils avaient été repérés par les monstres et il ne leur restait que peu de temps avant qu’ils ne soient rejoints. Rin n’avait pas tout de suite prêté attention à ce qui arrivait vers eux, préférant se concentrer sur sa difficile avancée dans la neige fraîche. Pourtant au bout de quelques pas, elle s’aperçut que Mélie avait cessé sa progression et restait bouche bée et les bras ballants le long de son corps, le 119 regard fixé vers l’horizon. Elle leva le regard elle aussi vers ce qui semblait troubler son amie. A la vue du spectacle qui s’offrait à ses yeux, elle poussa un cri strident et s’effondra d’effroi, posant les deux genoux au sol en signe de désespoir. - Qu’est-ce… Qu’est-ce… Balbutia-t’elle. - Allez, on se bouge ! On a peu de temps hurla Guy. Mélie reprit instantanément ces esprits et tourna le regard vers Rin, encore à quatre patte dans la neige. - Remue-toi Rin, je n’ai pas envie d’y rester au beau milieu de la rue ! renchérit Mélie. Rassemblant son courage, la fillette se releva d’un bond et vint se positionner devant le museau de Blanche Neige levant le poing dans un geste de défis envers leurs assaillants. - Approchez sales bêtes, je vais vous montrer de quoi Rin est capable ! - S’il te plait Rin, tait toi et partons tout de suite, supplia Mélie. 120 - Elle a raison, ajouta Guy. Il ne faut pas rester ici. Ces bestioles sont dangereuses. - Et moi, tu crois que je ne le suis pas ? Attends un peu qu’elles arrivent ici ces sales bêtes ! Etait-ce dû à l’énervement de Rin ou la vision de Blanche Neige, impressionnante par sa taille? Personne n’aurait pu le dire, mais les monstres ralentirent l’allure. Leur avance était maintenant prudente et mesurée, presque stratégique. L’une des araignées semblait même essayer de se positionner entre le petit groupe et l’entrée du collège. - Allez, approchez ! Pourquoi vous ralentissez comme ça ? Venez donc voir un peu ! - Rin, implora Mélie, on n’a pas le temps de vérifier si tu es capable de te battre contre ça, c’est trop dangereux. - Tu vas voir un peu si je ne vais pas y arriver, allez approchez ! - Trop tard on a plus le temps de discuter s’écria Guy, on y va avec ou sans toi. 121 Rin eut à peine le temps de se tourner vers Guy encore cramponné à califourchon sur le dos de Blanche Neige que le félin attrapa la fillette le plus délicatement que possible par le col. Autant qu’elle aurait pu le faire avec son petit, la laissant battre l’air des bras et des jambes et hurler sa rage à qui voulait l’entendre. - Lâche moi, non mais lâche moi sale chat, tu vas voir ce que je vais en faire de ces araignées ! - On y va. Tu es capable de courir ? dit Guy à l’attention de Mélie. - Je serais même capable de battre un record de vitesse pour ne pas finir entre les pattes de ces saletés. Sans attendre une seconde de plus, Blanche Neige se dirigea rapidement en direction du collège, fauchant au passage l’araignée qui avait prit la malheureuse initiative de tenter de couper leur fuite. Elle ne semblait pas gênée par le poids de Rin entre ses crocs, et prit même le temps de surveiller si Mélie suivait la cadence. Malheureusement, si ni la neige, ni le poids de ses deux passagers ne semblaient être en mesure d’arrêter le félin, il 122 n’en était pas de même pour la fillette. Celle-ci s’enfonçait un peu plus à chaque pas dans la poudreuse. Sa progression était de plus en plus lente à mesure que la neige s’entassait dans ses bottes. Elle se rendait maintenant compte qu’elle avait parlé un peu trop vite en disant pouvoir battre des records. A moins que ce ne soit celui de la lenteur. Derrière elle, les monstruosités continuaient leur prudente avancée. Elles semblaient regarder tantôt la fillette, tantôt le chat et son équipage, attendant le moment propice pour lancer leur attaque. Mélie se laissa tomber de tout son poids au sol. Elle avait beau être de nature optimiste, elle ne voyait pas comment s’en sortir cette fois. - Allez-y, fuyez ! Partez sans moi, je n’ai aucune chance d’y arriver ! s’exclama-t-elle, résignée à subir un triste sort. - Pas question ! répondit Guy, tu viens avec nous ou on y reste tous ! Allez, remue-toi ! Blanche Neige fit demi-tour. Elle semblait décidée à ne laisser personne derrière. Non loin de là, la première araignée continuait sa progression vers l’enfant, gardant toujours un allure posée et surveillant probablement le chat du coin de l’un 123 de ses yeux. Alors qu’elle approchait inexorablement de sa proie, au moment même ou elle allait s’élancer sur la fillette tous pédipalpes ouverts, elle fut littéralement transpercée de part en part par une branche d’arbre épaisse comme un pouce. Surgie de nulle part comme un diable sort de sa boîte, Rin debout devant le corp encore tressautant de l’arachnide, toisait les restes de son adversaire en tenant le morceau de bois à deux mains. - Je t’avais pourtant prévenue sale bête ! Tu aurais mieux fait de retourner là de où tu venais. * ** Guy ne comprenait rien à ce qu’il voyait, il dû se pincer pour être certain qu’il ne rêvait pas. Devant le cadavre encore fumant, Rin triomphait l’arme à la main. Il tourna son regard 124 vers la truffe de sa monture. Dans la gueule de Blanche Neige, se trouvait… Rin, calmée à présent, regardant le spectacle avec attention et exultant de joie lorsque l’autre Rin retira violemment le bâton du corps de l’araignée. Guy se frotta les yeux pour être certain qu’il ne rêvait pas. Devant lui pourtant se tenait bel et bien deux Rin parfaitement identiques. - Ubiquité. lui déclara Mélie. Ne me demande pas comment c’est possible, je n’en sais fichtre rien, mais en tout cas, c’est bien réel, et grâce à ça, je suis toujours en vie. - Ne t’inquiète pas, répondit Guy. Elle n’est pas la seule à avoir un pouvoir. Même si ça surprend, ça ne m’étonne qu’a moitié. - Allez sale bête, vient par ici que je m’occupe de ton cas !! Rin narguait l’araignée la plus proche en faisant des grands moulinets avec son bâton encore ruisselant de sang et de viscères, mais celle-ci semblait plus prudente vu le sort réservé à sa consœur. Mélie en profita pour se relever et se mettre à l’abri derrière Blanche Neige. 125 - On y va Rin, on n’aura pas le dessus si d’autres bestioles arrivent à la rescousse. - Forcément qu’on aura le dessus, c’est pas un machin à huit pattes qui va faire sa loi avec moi. Et de toute façon… - Rin ! l’interrompit Guy, je ne doute pas un instant que tu pourrais vaincre la totalité du nid en plein jour, mais il est tard et si la nuit tombe, je ne donne pas cher de notre peau. - Hum, oui t’as raison. Bon ok, on part mais elles ne perdent rien pour attendre ces sales bêtes. Je reviendrais m’en occuper, foi de Rin ! A peine eut-elle fini sa phrase qu’elle disparu, laissant le bâton flotter un instant avant de tomber lourdement dans la neige. La deuxième Rin avait réintégré le corps de la première. En un battement de cil Depuis la gueule du chat une petite voix s’éleva. - Bon, on y va ? Parce que là, elle commence à avancer la sale bête, et je n’ai plus de bâton en main. 126 - Mélie grimpe, lança Guy en l’invitant à le rejoindre sur Blanche Neige. Tu vas-y arriver ? dit-il à l’attention du félin. Blanche Neige répondit par un ronronnement sourd et prit immédiatement le chemin du retour dès que Mélie fut accrochée solidement au poil de son dos. Elle fut immédiatement prise en chasse par les araignées. Les quelques mètres d’avance qu’ils avaient semblaient bien maigres aux yeux des trois enfants, et même si personne n’osait l’avouer, ils leur semblaient certain que le chat, surchargé, ne tiendrait pas la distance bien longtemps par rapport aux arachnides et leurs huit pattes s’enfonçant à peine dans la neige. Le chat accéléra encore un peu la cadence, et sa respiration fut de plus en plus rapide. Guy était persuadé qu’il ne leur restait plus beaucoup de temps avant qu’il ne s’effondre. Derrière eux, les monstres semblaient glisser sur la poudreuse, réduisant leur distance à vue d’oeil. Il ne leur restait plus que quelques mètres à parcourir avant d’atteindre l’enceinte du collège et espérer pouvoir semer leurs poursuivants en coupant au travers les sapins qui garnissaient les bords de la descente vers la cuisine, mais leur allure semblait diminuer au fil des mètres parcourus. 127 Alors qu’ils allaient enfin passer la grille de l’entrée du collège, Guy se retourna pour juger de leur avance. Il ne vit que le ventre velu d’une araignée qui se jetait sur lui toutes pattes ouvertes à quelques centimètres seulement de son visage. 128 11. Titre Bla Bla Bla Plop ! 129