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Skarn
AUTRE CONTINENT
1
Skarn
AUTRE CONTINENT
(Edge Project V7)
*
Roman
Hors édition
2
1.
Souvenirs
Le jour se levait sur la vaste plaine d’Huliers, le soleil
perçait non sans mal le tapis nuageux qui recouvrait le ciel,
effaçant une nuit sans encombres supplémentaire. Il dispersait
agréablement la douce chaleur de ses rayons sur le visage
fatigué de la fillette.
– Encore une ! ! ! S’exclama Marion, exténuée mais
satisfaite, pourvu que ce ne soit pas la dernière.
Derrière elle, une petite équipe de rescapés se réveillait
avec peine, épuisée par de trop courtes nuits. On pouvait voir
les cernes sous les yeux des enfants, la pâleur et la maigreur
les rendaient cadavériques. Leurs gestes lents trahissaient leur
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envie de rester encore quelques heures à l’abri des bras de
Morphée, bien au chaud sous leurs couvertures.
Il s’en était passé des nuits, depuis que la Grande
Tempête avait bouleversé le petit monde d’Huliers, depuis que
la jeune fille était devenue responsable du petit groupe de
survivants. Il s’en était passé des événements, elle n’aurait pas
même osé les imaginer dans sa précédente vie, celle où elle
était une simple collégienne de campagne. Elle aurait alors
pensé qu’ils étaient tout simplement impossibles. Et
pourtant…
*
**
Ce matin-là, il y a plus d’un an déjà, il y a des siècles
pensait-elle, elle s’était apprêtée à rejoindre son collège dans
la bourgade voisine. Comme tous les jours, elle s’était
pomponnée, ravie à la seule idée de retrouver Laurian.
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Maquillage léger sur les paupières, un coup de crayon pour
souligner ses magnifiques yeux turquoise, elle avait pris le car
scolaire, le cœur léger, accompagnée de ses deux frères, Yann
et Jérémy, pour couvrir les quelques kilomètres que séparaient
le petit village de Seruerp à celui d’Huliers
C’était une élève modèle, avec des résultats plus que
satisfaisants. A quatorze ans, Marion était plutôt grande pour
son âge, et la pratique du sport aidant, sa silhouette longiligne
lui donnait un air plus âgé. Elle s’était préparée ce jour-là pour
une exhibition de gymnastique, et elle savait qu’elle allait
attirer les regards. Beaucoup de ces condisciples en effet,
aimaient l’admirer : ses pupilles claires et sa chevelure blonde
ne passaient pas inaperçues, un profil atypique pour la région,
d’un genre qu’on rencontrait plus souvent dans les pays
scandinaves. Mais loin de la rendre fière, ces petites
attentions, ces regards soutenus et les chuchotements qui les
accompagnaient la gênaient. Elle était en effet plutôt du genre
timide.
A la descente du bus, alors qu’elle allait pénétrer dans
l’enceinte du collège, elle avait ressenti quelque chose qu’elle
n’aurait pu expliquer, quelque chose qui avait effacé
instantanément sa bonne humeur. C’était comme une sorte de
malaise : sa tête lui semblait prise dans un étau. Les sons
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autours d’elles lui arrivaient comme étouffés. Ses yeux ne lui
renvoyaient que des images troubles, elle ressentait des coups
dans les côtes. Puis les haut-le-cœur apparurent et lui firent
remonter un goût amer dans la bouche. Elle ne fut tirée de cet
état second que par son frère qui lui tapait sur l’épaule pour lui
demander d’avancer, sans même s’apercevoir de ce qui se
passait.
Ce n’était pas la première fois qu’elle se sentait mal à
l’aise sans en avoir la véritable explication. La plupart du
temps, elle avait juste ressenti une sensation désagréable. En
règle générale, fermer les yeux et se secouer la tête mettaient
fin instantanément à ces désagréments. Mais à l’instant
présent, la sensation était tellement forte qu’elle se
recroquevilla instinctivement sur elle-même, croisant les bras
sur sa poitrine comme si elle voulait empêcher son cœur de
quitter son torse. Ces douleurs lancinantes et inhabituelles
étaient si fortes, qu’elles lui faisaient pousser des petits cris
plaintifs.
Son jeune frère, Yann, insistant derrière elle pour la faire
avancer, lui fit reprendre ses esprits, elle adopta aussitôt une
attitude normale en s’excusant et reprit son chemin comme si
rien ne s’était passé. Pourtant, tout ceci n’était qu’apparence.
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Ses oppressions pesantes ne disparurent pas pour autant avec
le simple fait de marcher vers son école.
Pire encore, en plus des nausées elle sentait maintenant la
chaleur à l’extrémité de ses doigts, comme lorsqu’elle les
exposait trop longtemps au feu de la cheminée les soirs de
grand froid. Elle luttait à présent contre ses vertiges pour ne
pas tomber et redoublait d’attention sur les sons qui
l’entouraient pour pouvoir continuer à avancer comme si tout
était normal.
Et soudain, alors qu’elle entrait dans la cour, il était là, à
seulement quelques pas d’elle. Laurian, dans son habituelle
attitude légèrement désinvolte, était appuyé contre le mur du
préau. Lâchant la conversation qu’il entretenait avec ses
camarades, il avait tourné instinctivement son regard vers elle
à l’instant même où Marion avait posé un pied dans la cour,
comme si une sorte de sixième sens l’avait averti de sa
présence.
Un petit sourire complice au coin des lèvres, un clin d’œil
furtif partagé entre les deux adolescents, et les sensations
désagréables qu’elle ressentait disparurent instantanément.
Marion ne s’aperçut que ses doigts refroidissaient à grande
vitesse, que lorsqu’ils provoquèrent des fourmillements qui lui
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remontaient jusqu’aux épaules et redescendaient jusque ses
intestins. Ce ressentiment de Froid/Chaud qui l’envahissait
peu à peu, la rendait euphorique.
- Tu es prête pour tout à l’heure ?
Marion ne réagissait pas, elle regardait en direction de
Laurian le sourire aux lèvres, perdue dans ses pensées, la tête
lui tournant légèrement.
- Marion, tu rêves ? Tu es prête pour la présentation ?
- Ho ! Salut Myriam. Excuse-moi, je ne suis pas en
grande forme ce matin. Mais pas de problème, je serai
prête pour ce midi.
- Impec ! ! Tu vas tout déchirer, comme d’hab. A tout’.
Myriam et Marion étaient à ce moment là bien loin de se
douter du destin funeste qu’elles allaient devoir endurer.
En levant les yeux vers l’endroit où se trouvait Laurian
quelques instants auparavant, Marion ne vit plus le jeune
garçon. Sa sensation de mal être reprit alors de plus belle, la
faisant vaciller. Sa tête la vrillait, mais il lui fallait pourtant
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lutter, refouler ce sentiment étrange qui semblait prendre
possession de son âme et de son corps pour pouvoir participer
à représentation.
Elle prit la direction des toilettes, difficilement, toujours
vacillante, traversant la petite foule d’écolier et croisant les
regards indifférents. Ses jambes avaient beaucoup de mal à la
porter. Elle devait s’appuyer sur les murs pour ne pas tomber.
Chaques pas lui semblait une corvée insurmontable, les
nausées étaient de plus en plus oppressantes au fur et à mesure
de sa laborieuse progression. Lorsqu’elle parvint enfin à son
but, après plusieurs minutes de lutte contre son estomac, elle
put enfin se rafraîchir au robinet.
Etre prête pour le gala de gymnastique lui semblait
maintenant compromis. Il était plus qu’évident qu’elle
n’arriverait jamais à tenir sur la poutre dans cet état, et encore
moins à se réceptionner correctement sur les barres
asymétriques. Non sans une certaine appréhension, elle songea
à la suite de la journée qu’elle avait souhaitée parfaite. Elle
redoubla d’efforts pour lutter contre son malaise, bien décidée
à offrir un spectacle de gymnastique digne de son talent, un
show qui resterait dans les annales, une représentation dont on
parlerait pendant longtemps.
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Pour autant, l’eau froide ruisselant sur son visage d’ange
ne calma pas ses troubles.
Ses doigts la brûlaient atrocement.
Elle fut prise de tremblements, puis de violents spasmes.
Sa tête recommençait à la marteler et à tourner de plus belle.
Les nausées lui semblaient plus fortes, provoquant des
douleurs abdominales.
Ses jambes vacillaient, la portant de plus en plus difficilement.
Un regard dans le miroir, un voile blanc devant ses yeux…
Elle s’effondra.
*
**
Mélie fut la première à entrer dans les toilettes. Elle y
trouva Marion recroquevillée et toute tremblante, prostrée
dans un coin de la pièce sous le lavabo. Sa première réaction,
presque instinctive, fut d’interpeller un élève près d’elle pour
qu’il donne l’alerte, puis, avec un calme olympien elle se
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rendit près de sa camarade. Elle lui prit la main et la tapota
délicatement, espérant que ce geste ferait sortir sa camarade de
sa torpeur.
- Marion, ça va ? ? Marion, dis-moi quelque chose,
ouvre les yeux ! !
Marion ne répondit pas, elle n’allait pas bien du tout en
fait. C’était bien plus fort que toutes les crises qu’elle avait
connues jusqu'à ce jour. La sueur perlait sur son front, et son
regard semblait vide, ses yeux étaient entourés de cernes d’un
noir profond. Mélie, inquiète de ne pas avoir de réaction de la
part de sa consœur perdit un peu de son sang-froid. Elle hurla.
- Au secours, quelqu’un ! ! ! ! AU SECOURS ! ! !
La fillette était d’un naturel à porter de l’aide des autres
en toute circonstance mais sa condition physique ne l’aiderait
pas beaucoup si Marion venait à perdre connaissance. Il faut
dire qu’avec son mètre trente sept, elle était plutôt menue pour
une fillette de onze ans. Son visage, presque entièrement
masqué par ses longs cheveux blonds s’approcha de celui de
Marion. Elle voulait entendre sa respiration, écouter les
battements de son cœur, sentir un souffle tiède sur sa peau.
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Tout ce qui pourrait lui donner le signe que son amie revenait
à elle serait le bienvenu.
Plusieurs élèves étaient entrés dans les toilettes, certain
par curiosité, d’autres cherchant l’occasion d’argumenter
quelques sordides conversations. Jean, un grand costaud qui se
prenait, à tort, pour le caïd du collège était de ceux-là. Il sortit
même son téléphone portable dernier cri pour filmer la scène,
histoire d’alimenter un peu son blog. Après quelques courtes
minutes, l’entrée des toilettes fut complètement noire d’élèves.
Alors que la respiration de Marion devenait de plus en
plus faible, Jean s’approcha au plus près des jeunes filles pour
pouvoir capter les moindres détails du drame qui se jouait
devant lui, n’hésitant pas à bousculer quelques-uns de ses
compères. Il n’avait d’intérêt que pour ce qui se passait dans le
coin de la pièce. Il essayait de cadrer au mieux la scène qu’il
filmait devant lui. Avec un peu de buzz, il pourrait gagner pas
mal de visiteurs sur son site, ce qui, il en était persuadé,
l’aiderait à passer devant son éternel rival.
Trop occupé à régler la caméra de son téléphone, il ne vit
pas Marion tourner brusquement son regard vide vers lui. Ses
longs cheveux trempés de sueur et les cernes plus prononcés
encore que quelques minutes plus tôt lui donnaient un air
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quasi cadavérique qui aurait pu donner peur à bien des adultes.
Il ne vit pas non plus la main de la jeune fille pointer un doigt
accusateur vers son visage.
Tout ce qu’il vit en relevant la tête de l’écran de son
téléphone, c’est un mur de carrelage blanc qui se rapprochait
de plus en plus vite de lui. Il n’eut même pas le temps de se
rendre compte qu’il se déplaçait à un mètre au-dessus du sol
avant de s’assommer sur le carrelage froid du mur d’en face.
En fait, tout s’était passé tellement vite, que personne
n’avait véritablement prêté attention à ce qui venait de se
passer, tous étant trop occupés à observer la belle Marion.
Curieux, inquiets, de la voir en cette position si inhabituelle de
faiblesse, aucun d’entre eux ne s’était préoccupé de Jean,
personne n’avait porté le regard sur lui, trop habitués qu’ils
étaient à le voir fanfaronner.
La jeune fille était de nouveau prostrée, la sueur
commençait à tremper ses vêtements, ses spasmes
redoublaient de violence, obligeant Mélie à se reculer de peur
d’être frappée par les gestes inconscients que faisait son amie.
Même si elle n’en avait eu que faiblement conscience, l’effort
qu’elle venait de produire l’avait épuisée encore un peu plus.
Ses doigts lui semblaient braises, le reste de son corps glace.
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Elle s’affaissa sur le sol, incapable d’en supporter d’avantage.
Grelottant, elle leva un regard vers Mélie, et dans un souffle
presque imperceptible la supplia presque :
- Aide… Moi…
S’il… te plaît…
Ai…de…
Moi…
- Ne t’inquiète pas, ça va aller, lui répondit-elle en la
serrant dans ses bras, les secours vont bientôt arriver. Tiens
bon, je suis avec toi.
En fait de secours, ce fut Guy qui, alerté par les rumeurs,
arriva sur place. Ce solide gaillard, déjà quinze ans au
compteur, et au physique de rugbyman était connu de tous
dans le village et dans les environs. Doté d’un naturel aimant,
il n’aspirait qu’à aider les autres, et, de ce fait, tout le monde
appréciait celui qu’ils appelaient «Le Grand Brun ».
Lors de son arrivée sur les lieux, tout le monde s’écarta
naturellement pour lui faire place, pendant que Jean, de l’autre
côté de la pièce, se relevait groggy. Tel un chef de tribu, le
nouvel arrivant rejoint Mélie auprès de Marion et s’inquiéta de
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la santé de cette dernière. En effet, à première vue, tout
semblait laisser croire que la fillette allait de mal en pis.
- Comment va t-elle ? qu’est-ce qu’elle a ? interrogea-til sans trahir sa propre inquiétude.
- Je ne sais pas, je l’ai trouvée comme ça ! Où sont les
profs ? Où est l’infirmière ? ? Elle a besoin d’aide ! ! Et
vite ! ! !
- Ils arrivent, répondit Guy sans perdre son sang froid.
En attendant je vais faire sortir tout le monde.
Avec l’attitude d’un leader, Guy se leva, et repoussa la
foule de curieux dehors, avec un calme naturel. Personne
n’osait le contredire. Il s’expliquait fermement avec certains,
calmement avec d’autres, repoussait plus brutalement les plus
réticents. Jean suivit la foule, n’ayant pas véritablement
conscience de ce qui lui était arrivé, si ce n’est qu’un bel
hématome ornait sa joue droite.
Puis l’attention du Grand Brun fut attirée par le groupe
qui accourait. Ce nouvel élément mit fin à toute discussion,
tout le monde fit place nette. L’infirmière, un surveillant et le
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professeur d’Histoire arrivaient enfin, talonnés par Laurian et
Myriam.
Mélie était restée près de la jeune fille, la serrant le plus
possible dans ses bras pour pouvoir la réchauffer. A l’arrivée
des secours, elle ne put lâcher la main de celle qu’elle
considérait comme le modèle du collège. Elle ne le fit qu’à la
porte de l’ambulance, après que le groupe eût traversé la cour
du collège pour en rejoindre la sortie.
Lorsque Marion fut enfin évacuée par les pompiers, elle
resta longuement à regarder le véhicule s’éloigner. Guy et
Laurian vinrent la rejoindre, inquiets du sort que leur jeune
amie allait devoir subir. Quelques flocons tombaient ça et là,
comme pour rendre la scène plus froide encore, le véhicule
devint de plus en plus flou avant de disparaître dans le
brouillard verglaçant de l’hiver.
Dans le VSL, Marion s’éloignait vers le centre hospitalier
de Bougne, le plus performant et le plus proche des centres
médicaux à quelques trente kilomètres de là. Alors que les
infirmiers et médecins s’affairaient autour d’elle, elle sentait
sa sensation de malaise la quitter. Elle n’avait plus froid à
présent, elle ne tremblait plus. Ses doigts, même s’ils
continuaient à fourmiller, n’étaient plus aussi douloureux. Ses
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intestins avaient finalement regagné leur place et leur
gargouillis avaient cessé à la faveur d’un grand calme.
C’était le 21 décembre, jour de fête au collège d’Huliers,
et dernier jour avant les vacances. Marion s’éloignant vers la
ville, était loin de se douter qu’elle ne reverrait jamais la
plupart de ses amis. La Grande Tempête ne faisait que
commencer…
17
18
2.
Seuls
Marion ouvrit difficilement les yeux, ses paupières
semblaient peser une tonne. Elle était frigorifiée, son corps
entier était endolori, pire qu’à la suite d’un championnat de
gymnastique. Lorsque sa vision fut enfin adaptée au manque
de lumière, elle s’aperçut que quelque chose n’allait pas dans
sa chambre. Les carreaux des fenêtres étaient brisés, la neige
envahissait le plancher, le vent faisait pénétrer des flocons
dans toute la pièce. Même bien emmitouflée dans ses draps, le
froid la pénétrait à travers son pyjama.
Grelottante, son premier réflexe fut de trouver des
vêtements plus chauds, ce qu’elle fit avec difficulté. Ses
jambes étaient ankylosées et avaient du mal à la porter, le
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froid du sol n’arrangeant en rien sa progression vers l’armoire.
Un pas après l’autre, elle commença sa douloureuse avancée à
travers la chambre. Au moins, le froid l’avait totalement
réveillée à présent.
Elle atteignit enfin son but, et prit le temps de choisir une
tenue qui la réchaufferait rapidement. Elle se choisit un gros
pull et un pantalon de Velour qu’elle s’empressa d’enfiler
directement au dessus de son pyjama/ Ceci fait et une fois
réchauffée, elle essaya de rassembler sa mémoire.
Que diable s’était-il passé ? Comment avait-elle atterri
dans son lit ? Elle se dirigea machinalement vers le salon. Il
faisait aussi froid dans le petit couloir sombre que dans sa
chambre. Malgré ses nombreux appuis sur l’interrupteur, les
lumières refusaient de s’allumer. La maison n’était certes pas
très grande, mais le manque de luminosité lui faisait défaut.
Trop de végétation empêchait la lumière d’entrer, et le temps
couvert ne faisait qu’aggraver la situation Elle appela sa
famille.
- Papa ? ? Maman ? ? Pas de réponse.
- Yann ? ? ? Jérémy ? ? ? Silence.
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Elle entra dans le salon et marqua un temps d’arrêt à la
porte. Portant une main vers sa bouche dans un signe de
surprise, elle contempla un bien triste spectacle. Tout semblait
désolation autour d’elle, la neige avait envahi la moitié de la
pièce tapissant le sol d’un manteau de poudreuse d’une dizaine
de centimètres, un courant d’air faisait voleter quelques
papiers et journaux mêlés aux flocons. L’électricité ne
fonctionnait pas plus que dans le couloir.
Elle renouvela ses appels à plusieurs reprises, tous eurent
le même résultat, la maison semblait vide de toute vie.
Terrorisée, elle remarqua à peine le pantalon de jogging de son
plus jeune frère traînant dans le coin de la pièce alors qu’elle
courait dans le couloir. Elle hurla les prénoms des membres de
sa famille en ouvrant les portes de toutes les pièces dans
l’espoir d’y trouver une présence.
Personne ne répondit. Aucune trace de quiconque dans la
maison, pas même Blanche Neige, le chat, d’ordinaire si
attaché à la chaleur du foyer. Pas un bruit si ce n’était celui du
crissement des branches que provoquait le vent traversant les
arbres endormis. Elle laissa tomber les bras le long de son
corps, submergée par une vague de terreur mêlée
d’incompréhension. Soudain, une lueur d’espoir s’empara
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d’elle. Elle s’élança vers la dépendance. Peut-être seraient-ils
tous là ?
Oui, elle en était sûre, ils l’auraient certainement laissée se
reposer pendant qu’ils cherchaient de quoi réparer les dégâts.
En ouvrant la porte de la remise, mais avec désespoir elle
comprit immédiatement qu’elle était aussi vide de toute vie
que la maison. Elle se laissa tomber sur le sol froid de la pièce.
Personne, pas un son, pas une présence, pas un chant d’oiseau.
Rien ne semblait plus vivre dans cette petite ruelle de
campagne. Seul le bruit du vent dans les peupliers rappelait à
Marion que le temps ne s’était pas arrêté.
Avec un profond sentiment de désespoir, elle remonta le
long de la ruelle, visitant unes après les autres les rares
maisons qui la longeaient. Il n’y avait pas plus d’âme qui vive
dans aucune d’entre elles, et c’est abattue qu’elle se résolut à
retourner vers son domicile après plusieurs heures de
recherches. Elle y ramassa quelques affaires, et entreprit de se
réchauffer en allumant un feu. Qui sait, peut-être serait-elle
repérée par quelqu’un ?
Le feu produisit l’effet escompté, elle fut rapidement
réchauffée, recroquevillée sur une elle-même. Elle profita de
ce moment apaisant pour essayer de se remémorer les
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événements passés. L’école, le malaise, Jean qui s’approche,
Laurian - Il fallait qu’elle retrouve Laurian - puis l’ambulance,
les médecins, la clinique, les infirmières, le bruit des appareils
de contrôle. Juste des flashs, des bribes de souvenirs, un
semblant de mémoire. Elle n’arrivait pas à se rappeler
précisément. Sa chambre, sa famille inquiète autour d’elle, le
noir, un éclair, le noir, des éclairs, des ECLAIRS BLEUS,
BEAUCOUP D’ECLAIRS BLEUS ! ! ! !
Elle se mit à hurler. Elle avait peur… Elle ne se souvenait
que partiellement des événements, mais ces éclairs revenaient
sans cesse dans sa mémoire, s’imprimant devant ses paupières
fermées comme s’ils voulaient traverser son cerveau. Les
éclairs avaient envahi son crâne, comme s’ils étaient
emprisonnés à l’intérieur. Ses doigts commençaient à chauffer,
la même perception que celle qu’elle avait ressentie l’autre
jour. Mais quand était-ce ? Quel jour était-il aujourd’hui ? ?
La sensation de brûlure dans ses doigts la sortit
rapidement de son cauchemar éveillé. Instinctivement, elle
souffla dessus pour les refroidir, pensant les avoir laissés trop
près du feu pendant qu’elle était perdue dans ses pensées. Elle
eut soudainement une image en tête : Laurian. Elle devait
retrouver Laurian à tout prix, lui, il saurait certainement quoi
faire. Et elle devait le retrouver vite.
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C’était décidé : elle allait rejoindre le village voisin et
tenter de retrouver son ami. Mais pour cela, il lui fallait se
préparer d’abord, Huliers n’était certes qu’à trois kilomètres
de là, mais avec cette neige, ça n’allait pas être évident.
Rassemblant son courage, elle prit quelques vêtements de
rechange, de la nourriture en conserves, des boissons sucrées
et barres chocolatées, et bourra le tout dans un sac à dos de
camping, le genre de modèle qui ressemble plus aux bardas
militaires qu’à un sac à dos de jeune fille.
Elle chercha également la carabine de chasse de son père,
dans la remise. Curieusement, elle ne la trouva pas à son
emplacement habituel, même les cartouches avaient disparu.
Elle fut déçue, mais après un moment de réflexion, elle se dit
qu’elle ne saurait de toute façon pas s’en servir. Si elle devait
s’armer, un grand couteau de cuisine ferait l’affaire. Elle
récupéra donc un couteau à viande qu’elle garda à la taille,
bien à l’abri dans son fourreau.
Elle prit ensuite la route, sans se retourner vers son foyer,
elle longea la ruelle jusqu’à la route principale. Ce fut le début
d’une longue aventure.
24
*
**
Laurian avait vécu toute la scène depuis sa chambre, dans
le bâtiment administratif du collège. Le bruit strident des
vitres qui éclatent l’avait sorti de son profond sommeil.
D’abord, il avait vu le nuage sombre arrivant comme un raz de
marée depuis le sud, puis la neige commençant à tomber
ardemment. Enfin, les éclairs avaient ratissé tous les étages de
l’école, telles des mains tâtonnant à la recherche d’une proie.
Il avait vu de ses propres yeux Michel, le concierge se
faire attraper, par un de ces ersatz de main, ne laissant derrière
lui qu’un nuage de fumée et une veste en cuir. Ce n’était
pourtant pas faute d’avoir essayé de lui échapper. L’homme,
desespéré, avait enchaîné une course folle, zigzaguant entre
les arbres dans l’espoir d’échapper à son assaillant, mais en
vain. Il avait fallu un long moment au garçon pour comprendre
que son malheureux voisin avait été foudroyé, cela lui fit
rendre le souper de la veille.
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Ses parents n’étaient pas présents ce matin-là. Ils étaient
partis à Bougne très tôt en vue de préparer le réveillon de
Noël, la bourgade d’Huliers n’était pas assez importante pour
qu’on ait pensé y installer un supermarché digne de ce nom. Il
s’inquiétait pour eux. La route était longue jusqu'à la ville et la
météo n’allait pas arranger les choses. Toute cette neige, ces
éclairs, et avec ce fichu téléphone qui ne captait plus rien,
impossible de prendre des nouvelles. Mais après tout, même si
ça ressemblait à la fin du monde, il était improbable qu’il se
passe partout la même chose, ça devait être plus tranquille sur
la ville.
- Une tempête de neige localisée, voilà ce que c’est ! ditil tout haut, comme s’il n’était pas seul. Pas de
panique, ça va passer aussi vite que c’est arrivé.
Et ce fut le cas. Peut-être avait-il été entendu par une
Force puissante, une Force capable même de dominer les
éléments ; la tempête et les éclairs disparurent soudainement,
comme si leur abominable besogne était terminée.
Laurian se risqua à l’extérieur de chez lui; il frappa à la
porte voisine : l’appartement de la directrice. Personne ne lui
répondit. Il fit tourner doucement la poignée et entra dans le
hall. Tout y était ravagé aussi. La neige avait envahi une bonne
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partie du logement, la foudre et le vent avaient renversé
meubles et décorations, il n’y avait pas plus de signes de vie
ici que chez lui. Juste quelques vêtements encore fumants, lui
rappelant le sort du malheureux concierge. L’appartement du
pauvre Michel était dans le même état, morceaux de meubles
incandescents sur tapis de neige balayé par le vent. Laurian ne
prit pas la peine de l’explorer entièrement, il savait qu’il n’y
trouverait personne. Il lui fallait savoir s’il restait des
survivants, et s’il y en avait, il devait commencer par les salles
de classe pour les trouver.
Lorsqu’il ouvrit la porte du bâtiment pour se rendre dans
celui d’en face, la neige lui recouvrit les pieds les jusqu'à mimollets. De mémoire, il n’avait encore jamais vu une telle
épaisseur de poudreuse à Huliers. Cela rendrait le retour de ses
parents plus difficile, pensa-t-il. Il refoula ses larmes à la
pensée de ses proches, et entreprit de faire le tour du bâtiment
scolaire.
Sa recherche fut vaine. En cette période de vacances, il
n’y avait en général que peu de monde au collège, juste le
personnel d’entretien, mais il n’en trouva trace dans aucun des
étages que comptait l’immeuble. Il continua sa recherche dans
les cuisines, et les ateliers, mais en vain. Il prit alors
conscience que la ferme voisine, d’ordinaire si vivante, ne
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produisait aucun bruit. Pas de beuglements, ni gloussements,
pas de vrombissements de tracteurs ni de crissements de
mécanique : le silence aurait été total si le vent ne balayait pas
les arbres.
Laurian fut pris de panique, et retourna dans son
appartement, cherchant désespérément à trouver un peu de
réseau pour son téléphone, passant de la salle à la chambre, de
la chambre à la cuisine, de la cuisine au salon, levant, baissant,
étendant les bras. Au bout de plusieurs longues minutes, il
comprit que c’était inutile. Malgré tous ses efforts, son
portable refusait d’afficher autre chose que «réseau
indisponible». Il devrait faire sans ligne téléphonique, même
la couverture GPS était perdue. Reprenant un peu ses esprits,
il se prépara des vêtements chauds, et toute la nourriture qu’il
put trouver.
S’il devait passer un moment seul, autant que ce soit dans
la cuisine de la cantine. Déjà, en l’absence d’électricité, les
plaques de cuisson à gaz pourraient lui fournir un peu de
lumière et le réchauffer. Ensuite, les petits vasistas des murs
n’avaient pas cédé aux vents, ce qui était plutôt un bon point
par ce froid, la neige n’avait pas pénétré le bâtiment. Enfin, la
réserve de nourriture était juste à côté et elle était, il le savait,
fortement remplie en cette période de l’année. Son père, le
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cuisinier du collège avait en effet été livré la veille par ses
fournisseurs, les congélateurs devaient être bien pleins.
- Un lieu stratégique qui permettrait de vivre
confortablement des semaines, voir des mois, se dit-il,
ironisant sur son propre sort.
Il ne croyait pas si bien dire…
Avant de partir, il prit également un sac de couchage dans
l’armoire du cellier, son chargeur de téléphone, son PC
portable et la trousse à pharmacie qui contenait quelques
cachets anti-douleur et le nécessaire pour les premiers soins. Il
s’organisa comme il le put pour que tout ce qu’il souhaitait
emmener rentre à l’intérieur du sac de couchage, et prit la
direction de la sortie.
La cuisine était un vaste bâtiment constitué, normes
obligent, de petites pièces fermées par de lourdes portes antifeu, d’une réserve et d’un grand réfectoire. Ainsi, Laurian prit
soin de s’aménager une couchette, juste à côté de la grande
machine à laver, sous le convoyeur d’entrée. Il avait
également vérifié que les douches fonctionnaient encore, mais
il savait que sans électricité, l’eau chaude ne tarderait pas à
manquer.
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Sans le savoir, le jeune homme venait de se préparer à
survivre pendant des mois. Il se rendrait compte par la suite
qu’il n’avait jamais eu un aussi bon réflexe.
En passant devant la borne à incendie du réfectoire, il en
avait décroché la lourde hache et l’avait passée à sa taille, se
servant de sa ceinture pour maintien. Ainsi armé, il retourna
vers la plonge.
Alors qui contemplait son abri de fortune, il ne s’aperçut
pas que l’intensité des réchauds à gaz qu’il avait allumés plus
tôt pour réchauffer la pièce augmentait à son passage, pas plus
qu’il ne vit l’ombre s’approcher de lui…
30
3.
Danger
L’épaisse couche de neige rendait la progression de
Marion hasardeuse. Elle avait choisi d’emprunter la route
principale, dans l’espoir d’y croiser un véhicule ou un autre
survivant, mais elle s’était vite résignée. La poudreuse était
aussi épaisse ici, et aucune trace de pas ou de pneus
n’apparaissait en surface.
Elle ne prit conscience qu’au bout de quelques minutes
que les habitations qui longeaient la route semblaient
abandonnées depuis de longues années. La végétation avait
repris ses droits, recouvrant les murs d’un épais manteau de
branches. Les arbres aux alentours lui semblaient bien plus
grands et plus volumineux que lors de son dernier passage,
31
bien que l’absence de feuilles due à la saison ait pu faire
penser le contraire au premier coup d’oeil. Ici ou là, on
pouvait voir des murs lézardés, des boiseries écaillées tomber
en morceaux et un nombre incalculable de vitres cassées sur
les fenêtres. Quelques volets battaient au vent, marquant le
tempo d’une funèbre tragédie.
Marion essaya tant bien que mal d’accélérer la cadence. Il
faisait très froid, son épais manteau ne suffisait pas à la
protéger tout à fait des rafales mordantes. A plusieurs reprises,
elle s’enfonça profondément dans la neige, jusqu’à mi-mollets.
La poudreuse pénétrant ses bottes la glaça encore un peu plus,
elle ne sentait plus ses doigts de pieds. Au bout de plusieurs
heures d’une laborieuse progression, elle atteignit enfin
Huliers, épuisée, gelée et trempée par la neige. Le village
semblait également à l’abandon, tout aussi silencieux que celui
qu’elle avait quitté plus tôt dans la journée. Le silence qui
l’entourait était loin de la rassurer.
En arrivant sur la place principale, vide de toute vie, elle
pensa tout d’abord continuer tout droit, en direction du
magasin des parents de Guy. Peut-être serait-il là, lui qui était
toujours présent pour ses pairs ? Elle y renonça néanmoins.
Plus vite serait-elle arrivée au collège, plus vite pourrait-elle
32
voir Laurian. Lui serait là, il l’attendrait, elle en était
persuadée, au plus profond d’elle.
Elle tourna donc à gauche, en direction de Bougne, et se
prépara à affronter la grande côte qui s’offrait à ses yeux.
Cette montée n’était pas véritablement impressionnante, loin
de là. On pouvait trouver bien pire au sein des Sept Vallées,
mais avec cette neige, ça n’allait pas être de la tarte pour
arriver jusque là haut, d’autant que les quelques heures qu’elle
venait de passer l’avaient déjà fortement affaiblie.
Elle remonta sa capuche pour se donner du courage puis
entama la longue ascension. Sur sa gauche, le garage du
village ne laissait plus paraître aucun signe de vie lui non plus.
La grande porte était ouverte, laissant apercevoir les ponts de
levage et autres équilibreuses. Les voitures et carcasses
présentes habituellement sur le parking étaient curieusement
absentes, comme tous les véhicules qu’elle aurait dû voir sur
les bords de route, remarqua-t-elle. A leur place, on pouvait y
distinguer une sorte de mare de métal liquide reflétant
timidement la lumière blafarde du jour, c’était comme si les
automobiles avaient fondu. Marion ne s’attarda pas pour
autant sur cette nouvelle énigme et elle poursuivit son chemin
vers le collège.
33
Elle arriva au niveau de la pharmacie, sur sa droite. La
grande vitrine était béante et la neige avait envahi toute la
salle, recouvrant par endroit les étagères pleines de produits
médicaux en tous genres. Marion entra dans la pièce et en
profita pour remplir son sac avec ce qu’elle pensait être utile
pour la suite de son aventure : Médicaments anti-douleur,
pansements et stick lèvre en tête. Elle entreprit le tour de
l’arrière boutique, mais n’y trouva rien d’intéressant, sa
connaissance pharmaceutique étant plus que limitée.
En sortant, elle se mit à nouveau en marche plus que
jamais emmitouflée dans son manteau, le vent ayant redoublé
d’ardeur depuis qu’elle était entrée dans le bâtiment. A ce
moment là, elle n’avait pas encore vu les mouvements rapides
qui s’opéraient dans la cour de l’école primaire, trop
préoccupée qu’elle était à se protéger du froid. C’est en
arrivant près de la grille que son attention fut attirée par une
forme noire et vive. Puis par une autre, puis une autre encore.
Le vent et le froid piquant lui faisant plisser les yeux, elle
n’arrivait pas à discerner correctement ni à reconnaître ces
formes aux mouvements si rapides. Dans sa précipitation, elle
n’avait pas pensé à s’équiper de lunettes de soleil, et la neige
d’un blanc éclatant l’obligeait à garder ses fragiles yeux bleus
presque fermés.
34
Et soudain, l’horreur fit place à la curiosité. A mesure que
la forme s’approchait de la jeune fille, elle devenait plus
distincte : la masse floue fit place aux deux segments d’un
corps noir et velu montés sur huit pattes, envoyant valser la
neige à plusieurs mètres à la ronde. L’ensemble devait faire
environ la taille d’un avant-bras.
L’instinct de Marion lui fit faire quelques pas en arrière,
mais l’effroi prenant le dessus, elle chuta lourdement en
arrière, les pieds englués dans la poudreuse. L’araignée
continuait sa rapide progression vers l’adolescente, elle
semblait même la scruter de ses huit yeux gros comme des
billes pour anticiper les moindres mouvements de sa proie et
ne pas lui laisser la moindre chance d’échapper à son étreinte
mortelle.
Marion en était même certaine à présent, c’est bien vers
elle que se précipitait le monstre, et sa vitesse ne cessait de
croître malgré la neige. La chose était d’une habilité et d’une
agilité déconcertante, elle semblait flotter sur la neige sans s’y
enfoncer. Les extrémités de ses pattes étaient recourbées
comme des pieds munis de nombreux poils. Ses tarses lui
permettaient de ne pas s’enfoncer dans la neige, et projetaient
un nuage de poudreuse à chaque mouvement. Marion porta en
tâtonnant la main à sa ceinture, à la recherche de son couteau,
35
mais cette arme lui sembla bien dérisoire face à la menace qui
s’approchait inexorablement.
Plus loin derrière, d’autres arachnides effectuaient un
ballet incessant entre la cour et le préau. Marion pouvait voir
des dizaines et des dizaines de monstres se succéder, certaines
portant des objets à l’aide de leurs pédipalpes, d’autres
semblant s’attarder ensemble sur des masses indistinctes,
d’autres encore restant immobiles et scrutant les environs.
Cette vision d’effroi la fit ramper vers l’arrière, tellement
terrorisée qu’elle en lâcha son couteau. Son attention se
focalisa alors de nouveau sur la première, elle était de plus en
plus proche. Un fourmillement passa le long du bras droit de
la fillette jusque ses doigts, puis les fourmillements devinrent
alors chaleur. Marion leva instinctivement sa main droite vers
l’araignée, comme pour s’en protéger. La sensation de brûlure
s’intensifia, obligeant la jeune fille à retirer ses gants.
Machinalement, elle leva la paume et pointa le corps de
l’araignée en suivant ses mouvements alors qu’elle n’était plus
qu’à un mètre de son visage.
La vague de chaleur sortit alors de la main de Marion,
créant un mouvement d’air, une sorte de vortex qui se dirigea
droit vers le monstre pendant qu’il effectuait un bond
prodigieux. La bête fut stoppée net, comme si elle avait
36
percuté une vitre invisible à ses yeux, lui arrachant un cri
perçant. Ses pédipalpes prirent un angle normalement
impossible, brisés par le choc, puis après un infime laps de
temps, l’araignée fut repoussée violemment en arrière, son
corps désarticulé roulant jusqu'au pilier de l’entrée de l’école.
En percutant le lourd pilier de béton de l’enceinte de l’école
dans un craquement sinistre, son corps se recroquevilla sur luimême, privé de vie.
Marion était incrédule, elle regardait ses ongles d’un œil
interrogateur, constatant avec étonnement qu’ils n’étaient pas
calcinés. Elle sentit alors son corps vaciller, et se vider de son
énergie, comme après un effort trop important, la sueur lui
coulait le long du dos et du visage, la glaçant jusqu’aux os.
Elle reprit néanmoins très vite ses esprits et se redressa non
sans mal, glissant à plusieurs reprises sur la neige fraîche. Elle
tourna alors son regard vers l’école et constata avec horreur
que de nombreuses autres araignées avaient cessé leurs tâches
et tourné leur regard vers elle, attirées par les derniers cris de
leur congénère. Plusieurs d’entres elles s’étaient même
approchées à quelques mètres et ne ralentirent pas leur
progression en passant devant le corps encore chaud de leur
comparse. Prises d’une folie meurtrière, elles accéléraient
même en direction de leur proie.
37
Prête à lutter pour sa survie, et suivant son instinct,
la jeune fille leva alors la main vers l’araignée la plus proche,
puis vers la seconde, puis vers la suivante encore. Elle répéta
son geste encore et encore, au fur et à mesure que l’ennemi
approchait. A chacun de ses mouvements, les arachnides
indésirables furent fauchés en pleine progression, comme si
une force invisible les repoussait. Une autre, puis une autre
encore, Marion vacillait un peu plus à chaque fois. Elle sentait
ses forces la quitter lentement alors que les assauts des êtres
monstrueux ne semblaient vouloir cesser, se succédant les uns
après les autres. Un rapide coup d’œil vers la cour de l’école
ne la rassura pas, le flot incessant des araignées allait bientôt
la submerger.
A bout de force, elle tomba à genoux, terrassant encore
quelques monstruosités. Elle prit appui sur son bras gauche.
Elle ne tiendrait plus longtemps, elle le savait, mais elle
continuait néanmoins à repousser les assaillantes. Soudain, son
corps la fit souffrir atrocement. Des violentes douleurs
s’apparentant à des coups de couteaux lui lancinaient le
ventre. Sa nuque se raidit et son crâne tambourinait, rendant
les veines de ses tempes apparentes. Exténuée et résignée, elle
posa la deuxième main au sol, attendant le coup fatal qui la
délivrerait de ses souffrances. Ces dernières pensées se
38
tournèrent vers sa famille et vers Laurian, qu’elle avait tant
espéré retrouver. Alors que les meurtriers pédipalpes qui
devaient mettre un terme à sa trop courte vie s’approchaient de
son visage, elle sentit quelque chose près d’elle, une présence
chaude et réconfortante. L’araignée ralentit, mais trop tard,
son corps fut tranché en deux. La panthère noire avança alors
entre Marion et ses assaillants.
*
**
Laurian s’écrasa douloureusement contre le mur carrelé
avant de retomber au sol. La forme humanoïde n’avait eu
aucun mal à parer son coup de poing avant de le soulever du
sol et de l’envoyer voler comme elle l’aurait fait d’un simple
fétu de paille.
La chose le regardait en poussant quelques grognements
incompréhensibles. Ses yeux vitreux ne laissaient apparaitre
39
que très difficilement les pupilles. Elle inclinait la tête
lentement de gauche à droite, profitant probablement du
sordide spectacle que représentait un jeune homme
recroquevillé sur lui-même dans le coin opposé de la pièce.
Dominant le garçon d’une bonne tête et demie, elle
ressemblait à un homme de près de deux mètres dont la peau
ample retombait en nombreux plis. Son visage, d’un blanc très
pâle, était couvert de pustules blanchâtres laissant suppurer
parfois un liquide visqueux. Elle grogna à nouveau et
s’approcha lentement de Laurian, traînant le pied droit au sol
sans parvenir à le soulever. Etrangement, elle portait les
vêtements de travail des agents d’entretien du collège, un
pantalon bleu foncé et une chemise à carreaux d’un blanc
passé. Laurian, dans un éclair de lucidité, prit le temps
d’analyser la situation en se relevant.
- Bon, de toute évidence ce Machin là n’est pas rapide, se
dit-il, par contre, il est diablement costaud. En tout cas, une
chose est certaine, il ne me veut pas de bien, et il est entre la
seule sortie de cette pièce et moi. Bon, on verra bien s’il fait
encore le malin quand je lui aurai montré ça !
Laurian tendit la main vers sa ceinture laissant apparaître
un petit sourire narquois au coin des lèvres, mais il découvrit
40
bientôt horrifié que la hache n’y était plus. Elle en était
tombée lorsque la chose l’avait soulevé de terre, et elle était à
présent située juste derrière ses pieds. Le jeune garçon se
reprit instantanément et observa alors l’ensemble de la pièce.
Il n’y avait rien qui pourrait l’aider aux alentours. En fait, mis
à par l’énorme lave vaisselle et son sac de couchage, il n’y
avait rien du tout. Il allait falloir ruser et essayer de contourner
l’obstacle qui se tenait devant la porte.
Prenant son courage à deux mains, Laurian arqua de
toutes ses forces ces jambes contre le mur derrière lui pour
s’élancer la tête la première vers l’humanoïde. Lorsqu’il eut
atteint une vitesse qu’il considérait comme suffisante pour
pouvoir le plaquer au sol, il tendit les bras à la façon d’un
rugbyman en pleine course et hurla pour se donner du courage.
Il courba alors le dos et en a peine une seconde, il atteignit son
objectif.
Lorsqu’il percuta l’individu, ce dernier ne recula pas d’un
centimètre, comme si ses jambes étaient rivées au sol. Laurian,
le souffle coupé, sentit le contact de la chair flasque contre son
visage, avant que ses jambes ne quittent terre. Le mutant le
portait maintenant à un mètre au-dessus du sol, le tenant par
le haut de son manteau, et ce avec la seule force d’un bras.
41
Puis, aussi facilement que s’il déplaçait une baguette de pain,
il approcha le visage de l’adolescent contre le sien.
Laurian sentit le souffle du monstre, sur son visage, son
odeur fétide lui provoquant un haut-le-cœur. Les yeux vitreux
qui le scrutaient lui paraissaient être ceux d’une personne qu’il
avait déjà croisée auparavant. Son visage s’approchait encore
des pustules rougeâtres, il était à court d’idée, piégé. Sentant
sa dernière heure arriver, il tenta un baroud d’honneur, et porta
violemment un coup de pied dans le bas ventre du monstre.
Il sentit alors l’étreinte fatale se relâcher, et retomba
lourdement au sol les bras en avant. Dans un mouvement de
réflexe, il recula contre le mur de la pièce dérapant sur le sol
froid. En se recroquevillant, les bras croisés contre son torse
en signe de défense, il leva les yeux vers l’humanoïde.
A sa grande surprise, il vit la chose agiter la tête dans
tous les sens et regarder autour de lui, comme si elle était
importunée par un quelconque insecte volant. Elle essayait de
le chasser en faisant des grands moulinets avec ses bras
flasques. A l’évidence, ce n’était pas son coup qui avait
détourné l’attention du mutant, mais une ondulation
translucide qui serpentait autour de sa tête, le percutant de
temps à autre.
42
Ça ressemblait à de l’eau, comme un tuyau d’arrosage se
déplaçant dans l’air, mais sans la gaine. En regardant de plus
près, Laurian aurait vu qu’il s’agissait véritablement d’eau.
Des petits filets scintillant sortaient de la machine à laver, se
réunissant pour n’en former qu’un seul qui se tortillait autour
du monstre. Visiblement, le mouvement incessant de ce ruban
aquatique commençait d’ailleurs sérieusement à l’agacer.
Gesticulant, et sautillant, l’obstacle que représentait le Machin
Difforme commençait à reculer hors de la pièce.
Du coin de l’œil, Laurian aperçut alors un visage
enfantin. Grimpé au-dessus des bains-marie, ce dernier toisait
sa proie du regard en effectuant des mouvements incohérents
avec ses bras et les doigts. Lorsque le garçonnet se rendit enfin
compte qu’il était observé, il leva les yeux vers l’adolescent.
- Ho ! Salut ! Dit-il, ne t’inquiète pas, j’ai la situation
sous contrôle.
Il retourna alors à sa besogne. Le mutant reculait, il allait
bientôt sortir de la laverie, promettant une libération
bienvenue au jeune homme. Le fil liquide redoublait ses
ardeurs, se dédoublant, se reformant, se dédoublant encore
pour porter quelques coups et repousser sa cible plus loin
encore. Et cela semblait porter ses fruits, la chose recula,
43
recula encore. La porte était enfin accessible, offrant enfin une
possibilité de sortie à Laurian.
Celui-ci ne bougea pas. Il observait le spectacle qui se
déroulait sous ses yeux, subjugué par ce qu’il voyait. Les
gestes du jeune garçon étaient en fait cohérents. Il guidait le
Serpent aquatique, le faisant onduler et ondoyer à sa guise. A
chaques écartements de doigt, la trombe d’eau devenait filets,
harcelant encore et encore la masse de chair. Quand ils se
repliaient, les filets redevenaient plus compacts, se regroupant
parfois et frappant avec plus de force encore.
Lorsque le monstre, acculé, toucha la plaque de cuisson,
Laurian vit une flamme sortir des brûleurs, comme guidée par
une force invisible. Elle flotta lentement vers la tête du
mutant, gagnant en intensité au fur et à mesure de sa
progression. Quand le feu follet atteignit la chevelure de la
chose, elle avait quasiment la taille d’un ballon de volley-ball.
Immédiatement, cette dernière prit feu, embrasant les
vêtements souillés et propageant les flammes à la totalité du
corps de la « chose ».
44
4.
Retrouvailles
La panthère faisait barrière entre Marion et les
araignées, la protégeant de leurs attaques furieuses et
répétées. Chacune d’entre elles finissait découpée par les
pattes du félin ou disloquée par ses crocs acérés. Certaines
finissaient même écrasées sous son poids, piétinées par ses
énormes pattes, voire même propulsées à plusieurs mètres en
arrière d’un simple coup de tête. La jeune fille, recroquevillée
derrière son sauveteur inattendu, en profita pour faire un point
sur la situation. Dans un premier temps, elle sortit une barre
chocolatée de son sac. Elle l’engloutit en quelques bouchées
45
avant d’en avaler une seconde et retrouva très vite un peu
d’énergie.
Reculant jusqu’au côté opposé de la route, elle observa le
fauve. Ses poils d’un noir brillant rappelaient l’Obsidienne, sa
tête devait arriver environ à la poitrine de Marion. Il
enchaînait les coups de pattes et de gueule sans faiblir, ne
laissant aucune ouverture à ses agresseurs. Face à une telle
furie, les araignées n’eurent d’autre choix que celui de se
replier, recevant encore des coups de griffes et de crocs qui en
laissèrent quelques-unes avec une patte ou un pédipalpe en
moins.
Le félidé fit quelques bonds en avant pour effrayer les
dernières récalcitrantes avant de se retourner lentement vers
l’adolescente. En y regardant avec plus d’attention, la bête
était plus fine que ce qu’elle avait paru à Marion lors de son
premier coup d’œil. Ses oreilles étaient pointues, et non
rondes. Alors que leur regards allaient se croiser, Marion
comprit enfin.
- Blanche Neige ? Interrogea-t-elle ? Blanche Neige,
c’est bien toi ?
46
En guise de réponse, l’immense chat ronronna, remuant
lentement la queue pour signifier à sa maîtresse qu’elle était
dans le vrai. Marion lui sauta au cou, heureuse d’avoir enfin
retrouvé une partie de sa vie d’avant. Il la gratifia d’une lèche
affectueuse sur la joue, la faisant reculer de quelques pas sous
l’effet puissant et rugueux de l’énorme langue.
Ce moment de joie dura plusieurs longues minutes.
Ronronnements, caresses, gratouilles et autres chatouilles se
succédèrent, puis Marion commença à regarder les blessures
heureusement superficielles que le matou avait reçues lors de
son affrontement. Elle espérait néanmoins secrètement que les
araignées n’étaient pas venimeuses mais se garda bien de
l’exprimer à voix haute, son chat l’ayant déjà surprise à
plusieurs reprises par sa formidable capacité de
compréhension. S’adressant à son animal de compagnie,
l’adolescente lui proposa de reprendre la route, il leur fallait en
effet continuer en direction du collège avant que la nuit ne
tombe. Qui sait ce qu’elle pourrait réserver à deux vagabonds
à la recherche de leur passé ?
Le bâtiment n’était plus très loin, mais la pénombre
commençait déjà à tomber, et son combat avec les araignées
l’avait épuisée. Un peu de chaleur et un repas leur feraient le
plus grand bien à tous les deux, d’autant qu’elle était toujours
47
intimement persuadée qu’elle pourrait trouver tout cela dans la
cantine du complexe scolaire. Laurian les attendrait même
avec un bon repas, ça ne faisait aucun doute.
Revigorée grâce à la compagnie de son chat, elle reprit
donc la route, Blanche Neige à ses côtés, dans la blancheur du
crépuscule. Elle se remémorait les heureux moments qu’ils
avaient passés ensemble. Tant de tendres câlins, de jeux, de
joies ou de peines partagées. Blanche Neige était plus qu’un
animal de compagnie à présent. Avec le temps, Marion et elle
étaient devenues de véritables complices capables de se
comprendre d’un simple regard. Tous ces souvenirs semblant
resurgir d’une autre époque empreinte de nostalgie lui firent
monter les larmes aux yeux.
Perdue dans ses pensées, Marion ne s’était pas rendu
compte qu’elles avaient parcouru le restant du chemin. Elles
étaient arrivées au pied de la grande grille blanche, celle-là
même qu’elle franchissait habituellement pour aller en cours,
ou reprendre l’autocar. A la place habituelle des bus, sur le
parking il n’y avait plus à présent qu’un grand vide
surplombant une énorme flaque de liquide métallique reflétant
le complexe scolaire, mais la jeune fille n’y prêta pas
attention.
48
En regardant à travers la barrière, elle put voir que le
bâtiment administratif avait subi lui aussi des dégâts
importants. Là encore, les vitres avaient volé en éclats, le
lierre recouvrait une bonne partie des murs, l’immeuble
semblait à l’abandon depuis des années. Elle jeta un œil vers
la bâtisse scolaire, qui donnait exactement la même
impression, les rares rideaux des salles de classes battaient aux
vents, en lambeaux, des arbustes avaient même commencé à
pousser sur les toits plats des édifices.
Avec un brin d’inquiétude, Marion poussa la lourde
barrière, et pénétra dans l’enceinte du collège. Prudemment,
comme pour ne pas éveiller d’hypothétiques présences
pouvant roder dans les environs, elle descendit l’allée en
direction de la cuisine, dans l’espoir d’y trouver un peu de vie,
de chaleur et de repos, mais surtout Laurian.
Alors qu’elle approchait de la salle de cuisine, elle
entendit des bruits assourdissants provenant de l’intérieur.
D’abord celui de casseroles tombant au sol, puis un
grognement plaintif. Immédiatement suivie par Blanche
Neige, elle se mit à courir sans réfléchir vers la porte la plus
proche, et entra dans le réfectoire des professeurs. Les chaises
et tables y avaient été renversées par le vent, et c’est avec
49
l’agilité que lui avait donnée son entraînement de gymnaste
qu’elle les franchit. Elle tourna à gauche après la porte,
longeant le long self en inox qui avait perdu de son éclat avec
le temps. Blanche Neige fut tellement surprise par ce
changement de direction qu’il lui fallut quelques enjambées
pour réagir et c’est en dérapant sur ses quatre pattes qu’elle se
remit dans la bonne direction.
Arrivée au niveau de la salle de préparation, Marion
tourna encore à gauche, pour tomber sur un spectacle qu’elle
ne s’attendait pas à voir ici. Son chat et elles stoppèrent net, le
spectacle s’offrant devant elles les rendant incrédules. Marion
ouvrit des yeux grands comme des billes alors que Blanche
Neige hérissa le poil et feula.
*
**
50
Devant elles, Laurian et un petit garçon étaient affairés à
l’extinction d’un feu. Le brasier avait pris au niveau des
torchons et commençait à remonter le long du support qui
servait à les faire sécher. Laurian jetait de l’eau sur la
fournaise à l’aide d’une grosse louche qu’il avait décrochée du
présentoir. De son côté, le garçonnet faisait des grands
mouvements avec les bras. L’eau apparut par la porte voisine
comme par magie à environ un mètre cinquante du sol et
s’abattit avec violence sur l’incendie naissant, l’éteignant d’un
seul coup et noyant les deux garçons par la même occasion.
Marion regarda la scène avec incrédulité, les bras ballants
le long de son corps. Son chat s’était replié derrière elle par
peur des flammes ou peut-être des éclaboussures. Quoi qu’il
vienne de se passer, elle n’avait pas compris pourquoi ni
comment de l’eau pouvait flotter dans l’air.
- Euuuuh, quelqu’un m’explique ? Balbutia t elle ?
- Marion ! S’exclama Laurian en se dirigeant vers elle,
c’est si bon de te voir !
Il la serra fortement contre lui, heureux de pouvoir la
revoir. Elle lui rendit affectueusement son étreinte, caressant
son dos musclé et trempé. Puis, pris d’un embarras soudain,
51
tous deux se relâchèrent et s’éloignèrent en rougissant, gênés
par ce qui venait de se passer.
- Laurian, qu’est ce qui se passe, qu’est-ce qui vous est
arrivé ? Où sont les autres, demanda la jeune fille ?
- Bonnes questions ! Répondit Laurian. Et toi, tu es qui ?
dit-il en s’adressant au plus jeune.
- Moi c’est Ben. Répondit-il, on dirait que je viens de te
sortir d’une bien mauvaise situation.
- En foutant le feu partout, mais c’est vrai, tu m’as sauvé
la vie sur ce coup là.
- Oui, bah désolé, je ne maîtrise pas encore bien. Mais
ne vous inquiétez pas, je m’améliore, ce matin je
n’étais même pas capable de…
- Euuh, dites les garçons, vous n’auriez pas la possibilité
de discuter de ça devant un casse croûte ?
Les deux garçons réagirent en même temps. Après s’être
séché, Laurian alla chercher une grosse boîte de raviolis dans
la réserve, et la posa sur le feu. Puis, par habitude, se rendit au
52
self pour y prendre couverts et verres. Dans un premier temps,
ils décidèrent de s’installer dans le réfectoire comme ils le
faisaient tous les jours, mais changèrent d’avis, fuyant la
température trop basse de l’immense pièce dénuée de vitres.
C’est finalement près des fourneaux qu’ils s’installèrent pour
pique-niquer, non loin des restes encore fumants du mutant,
mais surtout des réchauds distillant leurs douce chaleur.
Ben commença son histoire. Ce petit bonhomme de 8 ans
les regardait de ses yeux noirs. On pouvait distinguer quelques
mèches de cheveux bruns dépasser de son bonnet. C’était
d’ailleurs le seul vêtement chaud qu’il portait, il était vêtu en
effet d’un simple jean trempé par la neige et d’un pull misaison tout juste à sa taille.
Il habitait la Lonille, à la sortie du village. Il n’avait pas
trouvé trace de sa famille ce matin, alors, sans vraiment savoir
que faire, il s’était mis en route vers l’école primaire. Cette
dernière étant infestée d’araignées, il avait continué vers le
collège avant de trouver Laurian aux prises avec le mutant.
Tout en racontant son histoire, il avait sentit les larmes lui
monter aux yeux, et avait tant bien que mal tenté de les
refouler.
53
- Voilà, vous savez tout, dit-il en sanglotant. Ne pouvant
plus se retenir, il éclata en sanglots.
- Et ton… Pouvoir ?
- Je ne sais pas, j’ai découvert ça par hasard ce matin. Je
peux faire bouger les éléments, tu en as eu un aperçu
avec l’eau et le feu, mais j’ai réussi à faire bouger un
peu de terre ce matin. Par contre, ça ne s’était pas
manifesté aussi fort que tout à l’heure.
- Moi aussi il m’est arrivé le même genre de chose, dit
Marion, j’ai pu créer des sortes d’ondes qui ont
repoussé les araignées à l’école.
Marion expliqua alors aux autres le déroulement de sa
journée. Sa vaine recherche de sa famille, ses retrouvailles
avec Blanche Neige, et sa conviction que Laurian se trouverait
ici. Elle s’empourpra à l’évocation de ce dernier point, ce que
remarqua instantanément Laurian, non sans un certain
contentement.
L’adolescent passa également ensuite à la description de
ces dernières heures, et tous s’arrêtèrent sur son altercation
avec l’humanoïde.
54
- J’en ai vu un autre ! S’exclama Ben, ces trucs là sont
dangereux, je l’ai vu tuer Delphine, la fille de la
fleuriste sur la Grand Place. Il l’a…mangée.
Le flot de ses larmes redoubla à l’évocation de l’horreur
qu’il avait vécue. On devinait également sans mal un certain
dégoût qui aurait fait vomir les plus forts des adultes, mais ça,
c’était avant les événements de ce jour.
- Et toi Laurian, tu as pu développer un pouvoir
quelconque ?
- Pas à ma connaissance, répondit-il, un brin de jalousie
dans la voix.
Le souper terminé, les enfants entreprirent de procéder à
une inspection minutieuse de la cuisine et de la réserve. Etant
en pleine période de vacances, celle-ci était vide de produits
frais. Les conserves étaient par contre présentes en quantité :
Fruits et légumes, raviolis, mais aussi quelques pâtés. On
pouvait y trouver également pléthore de féculents, pâtes et
semoule. Les congélateurs, bien que n’étant plus alimentés,
contenaient encore un peu de viande et de poisson livrés de la
veille, de quoi tenir quelques jours si la température ne
55
remontait pas. De toute façon la neige permettrait de garder la
température au minimum pendant encore un bon moment si
besoin était.
Une fois l’inspection terminée, chacun alla faire ses
ablutions, puis ils décidèrent de dormir ensemble sous le
tunnel de la machine à laver. Laurian prit l’initiative
d’instaurer un tour de garde, pour ne pas tomber au dépourvu
en cas d’attaque humanoïde ou arachnide, et c’est tout
naturellement qu’il en prit le premier quart, étant de loin le
moins fatigué et le plus résistant des trois.
Les premières heures passèrent sans incident, le calme de
la nuit noire et le bruissement soporifique des arbres avaient
tendance à bercer Laurian, mais après une journée comme
celle qu’il venait de vivre, rien de plus normal que d’être
épuisé. Le ciel était maintenant totalement dégagé, laissant
apparaître un tapis étoilé dans la nuit noire. Comme à son
habitude et pour se garder éveillé, l’adolescent prit plaisir à
reconnaître les constellations, traçant des lignes imaginaires de
ses mains pour relier les astres. Trois heures après que ses
comparses se soient couchés, il alla réveiller Ben, pour qu’il
prenne la relève et prit enfin un repos bien mérité après cette
journée riche en événements.
56
Encore à moitié endormi, Ben entama alors le guet près
de la porte de leur refuge. La nuit calme et l’inaction le
refroidit rapidement, il n’avait pas le même intérêt que
Laurian pour les étoiles, ce n’était donc pas de ce côté qu’il lui
fallait porter son attention pour rester éveiller. Il avait
froid mais même si les réchauds pouvaient être mis en service,
ils avaient convenu de préserver au maximum les ressources
dont ils disposaient, au moins pour un temps.
Ben décida alors de déneiger devant l’entrée de la
cuisine. Là, il pourrait allumer un petit feu à l’aide du briquet
qu’il avait en poche, aidé de son pouvoir. Il coupa quelques
branches mortes du Saule Pleureur situé à proximité, et mit le
feu au brasier. Celui-ci prit immédiatement, réchauffant le
petit garçon.
Mais cela n’apporta pas que de la chaleur.
57
58
5.
Garde
Ce fut Guy qui rejoignit le premier le petit groupe. Il
avait vécu une histoire similaire à celle des autres. Après avoir
longuement arpenté les rues du village, il avait comme eux
traversé la tempête en se disant que la cuisine du collège
devrait abriter de quoi se nourrir pour un moment. Il était
passé par le château et avait rejoint l’école primaire
exactement à l’opposé de la rue qu’avait empruntée Marion.
Bien caché sous les pins, il avait été le témoin des va-et-vient
des araignées et avait attendu longuement dans le froid et la
neige qu’elles daignent enfin rentrer dans leur tanière pour
pouvoir continuer son chemin, ce qu’elles ne firent qu’à la nuit
tombée. Après s’être longuement assuré durant de longues
59
minutes (était-ce des heures ? il n’aurait su le dire, sa montre à
Quartz et son téléphone ne fonctionnaient plus depuis ce
matin) qu’il ne risquait plus rien, il avait rejoint le collège. Il
avait vu le brasier de l’entrée de la cantine depuis qu’il s’était
approché de la salle de sport. Il faut dire que ce bâtiment
dominait tous les autres puisqu’il était situé en haut de colline
bien au dessus de l’enceinte même du collège.
Il avait prudemment fait le tour pour se cacher de la
lumière dégagée par le feu de camp. En approchant par le
bâtiment administratif, il pourrait voir qui avait allumé le
brasier et pourrait prendre le ou les éventuels survivants par
surprise. Dans cette pénombre, à l’abri des branches du saule
pleureur il lui avait fallu quelques minutes pour s’habituer à la
clarté des flammes et enfin reconnaître Ben. Guy l’avait déjà
vu dans le magasin de ses parents à de nombreuses reprises. Il
venait régulièrement avec sa mère pour y chercher des pots de
peinture blanche – toujours les mêmes, la marque la plus
résistante – pour pouvoir garnir les murs de leur grande ferme.
Rassuré, il l’observa encore quelques minutes afin d’être
certain de ne pas encore tomber sur une bizarrerie, puis quand
il se sentit enfin en parfaite sécurité, il s’approcha du feu sans
crainte après avoir chuchoté à plusieurs reprises le prénom du
jeune garçon.
60
D’abord méfiant, ce dernier leva les mains, prêt à se
servir de son pouvoir, mais dès qu’il reconnut le visage de
Guy dans le clair-obscur du feu, il se jeta littéralement sur lui à
bras ouverts.
- Hé Guy, tu es vivant ! tout va bien pour toi ?
- Bah écoute, ça va, t’inquiète, et toi tu vas bien ? tu es
seul ici ?
-
Non, y’a Marion et Laurian. Moi ça va bien aussi mis à
part tout ce foutoir. T’es sûr que ça va bien ? y’a
tellement de trucs bizarres autour de nous !
Guy n’avait pas montré sa joie quand le garçonnet lui
avait annoncé la nouvelle de la survie de Marion. Au fond de
lui, il était persuadé qu’elle avait pu survivre, mais il ne
s‘attendait pas à la trouver ici, et surtout, pas aussi tôt. Au plus
profond de son âme il ressentit toutefois la chaleur d’un
immense bien-être lui nouer l’estomac. Ne voulant pas se
montrer dans un état de faiblesse devant le garçon, il se reprit
instantanément et effaça le sourire qui commençait à
apparaître sur son visage. La simple évocation du prénom de
Marion lui avait fait oublier toute la fatigue et le stress qu’il
avait accumulés durant cette folle journée.
61
- Ca va, mais j’ai une faim de loup. Tu as de quoi
grignoter pas loin?
- Je vais chercher de quoi manger dans la réserve, mais
on fera chauffer ça sur le feu, histoire de ne pas
réveiller les autres.
Ben revint quelques instants plus tard avec une petite
boîte de saucisses aux lentilles qu’il ouvrit avec son couteau
suisse, versa le contenu dans une casserole qu’il mit à chauffer
directement sur le brasier, puis ceci fait, il engagea la
conversation avec le nouvel arrivant.
- Alors ? dit-il presque gêné.
- Alors quoi ?
- Euuh, il t’est arrivé quoi ?
- Un truc à peu près pareil qu’à toi je suppose. Si tu es
arrivé jusqu’ici, c’est parce que tu t’es retrouvé tout
seul ce matin, je me trompe ?
Le garçonnet sentit une boule lui serrer la gorge à la
simple évocation du mot «seul». Il acquiesça difficilement
62
d’un hochement de tête et essuya le plus discrètement possible
une larme naissante au coin de son œil.
- Oui, et c’est pareil pour les autres… Il n’ajouta rien.
Guy prit le temps de terminer avec ses lentilles, puis lui
expliqua le déroulement de sa journée. En sortant du magasin
de ses parents, il avait lui aussi été témoin du massacre d’un
jeune enfant par un humanoïde à peau de Shar Pei. Il avait
réussi à profiter d’un moment d’inattention de la part du
monstre pour couper rue du Château. De là, en passant par les
jardins, il avait pu rejoindre l’école primaire, où, encore sous
le choc du spectacle qu’il venait de vivre, il était tombé sur
une autre abomination. Il avait attendu patiemment le retrait
des araignées pour pouvoir poursuivre son chemin à travers le
bois.
Pour ne pas avoir à approcher de trop près les arachnides,
il avait attendu un très long moment dans le froid et
l’obscurité, luttant contre son impatience mais surtout la
température plutôt basse. Il ne saurait véritablement dire
combien de temps il était resté là, sa montre refusant de
fonctionner depuis ce matin malgré y avoir mis des piles
neuves, mais il était certain d’une chose, il n’avait rien mangé
depuis son réveil, et son estomac avait crié famine bien avant
63
que la « colonie des sales bestioles » ne se décide enfin à
retourner à l’intérieur de l’école.
Sa progression dans la nuit noire avait ensuite été des
plus lentes, il lui avait fallu de longues heures pour parcourir
les quelques dizaines de mètres séparant l’école primaire du
collège, la neige n’aidant en rien l’avancée de son périple,
mais surtout la peur que les araignées ne le repèrent, l’avait
rendu plus prudent encore dans sa progression. Cela dit, ce
n’est pas la lumière qu’il dégageait qui les aurait attirée, les
lampes de poches que se parent vendaient ne fonctionnaient
pas plus que sa montre. Quand il avait aperçu enfin la lumière
accueillante du feu, il s’était senti enfin réconforté par le fait
de savoir qu’il y avait un autre survivant dans le village, mais
il avait tout de même préféré être prudent dans son approche. .
- Et ton… pouvoir ? demanda Ben ?
- Pouvoir ? Quel pouvoir ?
- Marion en a un elle aussi. Moi je peux faire bouger la
terre, le feu et l’eau. Regarde ! !
Il entama alors une série de petits mouvements brefs avec
ses doigts. Guy vit alors avec stupéfaction une langue de feu
64
sortir du brasier devant lui. Un fin ruban flamboyant se forma
et approchat de son visage. Puis, les doigts du jeune garçon
firent un mouvement de moulinet, et le ruban commença à
s’enrouler sur lui-même, dans un hypnotique ballet dansant.
Sa course s’accéléra, s’approchant et reculant au rythme des
crépitements du feu, puis il s’écarta soudain du visage du
jeune homme en direction du brasier, et percuta la casserole
posée à quelques centimètres des pieds de Guy.
Dans un cliquaillement qui aurait réveillé le collège entier
si ça avait encore été possible, la gamelle s’écrasa encore
fumante quelques mètre plus loin, transpercée de part en part
par le projectile enflammé.
- Ouuups ! ! s’exclama Ben, désolé.
Guy suivi l’ustensile du regard, subjugué par les
flammèches, puis il dévisagea le garçon, à la fois craintif et
amusé par l’étonnant spectacle qu’il venait de vivre.
- C’est… spectaculaire ! ! s’écria t-il, et Marion peut
faire de même avec les éléments?
- Non, pour elle, c’est un peu différent. Elle te montrera
plus tard. D’ailleurs tu ne vas pas tarder à la voir, c’est
65
l’heure pour elle de prendre son tour de garde. Je vais
aller la réveiller.
Guy était prêt à protester, et à prétendre vouloir effectuer
le prochain quart, mais il se rendit vite compte qu’il en serait
bien incapable. Il attendit donc sagement l’arrivée de la Belle
bien au chaud auprès du feu. Il aurait refusé de l’admettre à
quiconque, mais il était également pressé de revoir sa
charmante compagne de classe.
Alors qu’il commençait à s’assoupir, réchauffé et bercé
par la chaleur du brasier et les souvenirs apaisants qu’il avait à
la pensée de Marion, une étrange sensation le fit sortir de son
demi-sommeil.
*
**
66
Une langue rugueuse et moite venait d’entrer en contact
avec le visage de Guy, le soulevant presque de son siège. Il
sursauta et fit instinctivement un bond sur le côté, se relevant
rapidement sur la défensive. Il vit alors une énorme truffe
noire se dresser devant lui, et entendit un doux ronronnement.
Il abaissa spontanément sa garde.
Blanche Neige s’écarta alors pour laisser apparaître
Marion. La jeune fille, encore sous le coup de sa trop courte
nuit, n’avait pas reconnu Guy au premier coup d’œil et s’était
retranchée derrière la présence de son animal de compagnie.
Lorsqu’elle reconnut l’adolescent, sa méfiance retomba. Guy
s’avança vers elle les bras grands ouverts.
- Marion, c’est bien toi ! ! Je me suis tant inquiété après
ce qui t’est arrivé ! ! Tu vas bien ? ?
Il la prit dans ses bras et la serra si fort qu’elle en eut le
souffle coupé. Lorsque son étreinte se relâcha, Marion sentit
ses joues s’empourprer, et la chaleur lui monter au visage. Elle
étreignit à son tour le jeune homme, pleine de la douceur dont
elle pouvait faire preuve dans un moment aussi tragique que
celui qu’ils vivaient actuellement.
67
-
Guy ! murmura-t-elle comme si elle se parlait à elle
même, c’est si bon de te savoir en vie. Comment te
sens-tu ? Comment es-tu arrivé ici ? Sais-tu où sont
nos parents ?
- Ca va Marion, calme-toi, tout va bien. Je vais
t’expliquer, mais viens d’abord près du feu, il ne fait
pas très chaud.
Sans que les adolescents n’en aient pris conscience,
Blanche Neige s’était positionnée de manière à monter la
garde, laissant à sa maîtresse et à son ami la possibilité de
rester près du feu pour discuter. Elle observait la nuit noire
avec toute l’attention qu’un félin chef de meute pouvait
donner lorsque son tour de garde était arrivé.
- Ben m’a raconté vos déboires d’aujourd’hui. J’ai bien
peur que les nouvelles ne soient pas meilleures de mon
côté. J’ai vu à peu près les mêmes choses que vous : de
la neige, plus d’électricité ni de téléphone, un Hommechien-cannibale, des grosses araignées, et maintenant,
un chat géant et une jolie fille possédant des
pouvoirs paraît-il! ! On se croirait presque dans un de
ces films de science-fiction dont on nous abreuve sur
les chaînes spécialisées.
68
-
Sauf que cette fois c’est bien réel ! répliqua Marion,
Les araignées sont bien devenues énormes, les adultes
ont bien disparu, et nous avons bien développé une
sorte de pouvoir. Même si c’est difficile à expliquer et
que j’ai encore moi-même du mal à l’admettre, il s’est
passé quelque chose d’étrange la nuit dernière qui nous
donné une capacité a nous défendre Ben et moi.
-
Ben m’a fait une démonstration de manipulation de
feu, et c’est plutôt impressionnant. La casserole ne s’en
remettra peut-être jamais, dit-il en pouffant de rire.
-
Ne te moque pas Ben, c’est du sérieux ! Je ne sais pas
comment j’ai fait, mais je m’en suis sortie grâce à ça
contre les araignées tout à l’heure, et aussi grâce à
Blanche Neige.
A la simple évocation de son nom, le félin ronronna et
remua la queue dans tous les sens. Ile vint alors se rapprocher
de Marion et s’allongea à ses côtés, frottant affectueusement
sa tête contre les jambes de la jeune fille tout en continuant à
scruter les environs attentivement.
- Explique-moi ! Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu peux
bouger les objets, les faire disparaître ou un truc
69
comme ça ? Est-ce que c’est lié à ce qu’il t’est arrivé
l’autre jour ? demanda Guy.
- Je ne sais pas vraiment l’expliquer, mais depuis
quelques temps, je ressentais par moment une forte
impression de malaise sans savoir pourquoi. Et puis
l’autre fois, en arrivant au collège, cette sensation a été
vraiment très forte. J’ai vraiment eu l’impression qu’on
m’agressait, mais pas physiquement, c’était comme des
attaques… psychiques je crois. Puis je ne me souviens
juste que d’une sensation de forte chaleur qui s’est
dégagée sous forme d’onde du bout de mes doigts, et
de Jean qui volait en direction du mur, après c’est le
noir complet.
Marion venait de prendre conscience que son expérience
avec les araignées n’était pas la première. Elle n’en avait gardé
qu’un vague souvenir, jusqu'à présent, mais la vérité se
présentait à elle.
- Oui, c’est ça reprit-elle, je me suis sentie agressée, et
j’ai repoussé cette attaque avec les mains. Pareil avec
les araignées, sauf que là, j’ai senti mes forces me
quitter un peu plus à chaque fois que j’ai lancé une
onde. Guy, je crois que je commence à comprendre.
70
La jeune fille se leva brutalement. Blanche Neige,
surprise, se dressa en hérissant les poils de son dos, feulant à
tout va.
71
72
6.
Explications
- C’est ça Guy, j’en suis persuadée. Je réagis quand je
me sens agressée. D’abord Jean au collège, ensuite les
araignées à l’école primaire. C’est quand je me sens en
danger que mes doigts chauffent, et dégagent des
ondes pour repousser l’attaque.
- Ca n’explique pas pourquoi tu te sentais mal en
arrivant au collège ce jour là, répliqua Guy, ni ce que
tu ressentais auparavant.
- Je pense que c’était une sorte de signal, rétorqua-t-elle,
comme si je sentais qu’il allait arriver quelque chose.
73
Quand j’y repense, Jean, ce n’est pas lui qui m’a mise
dans cet état, peut-être que je ressentais à ce moment là
ce qui allait arriver, la tempête. Lui, il n’a fait que se
montrer agressif, comme toujours remarque, et j’ai
réagi en l’envoyant valser.
- Attends, attends, Marion, tu dis que tu as repoussé Jean
mais je n’ai entendu parler de rien après ton départ vers
l’hôpital. Ni de la part de Jean, ni de personne d’autre.
Tu es sûre de toi ?
- Je viens de me souvenir de ça en discutant avec toi,
j’avais du mal à me rappeler ce qui s’était passé
exactement. Tout redevient clair maintenant. Je me
vois au sol, Mélie à mes cotés, Jean voulait faire une
vidéo avec son portable, j’ai levé la main pour me
protéger, et c’est à ce moment qu’il a été comme tiré
vers l’arrière, jusque sur le mur. Le reste est encore
vague. Il est tellement fier qu’il n’a pas dû en parler
autour de lui.
- Sur ce point là, tu n’as pas tort, remarqua le jeune
homme. S’il y a bien quelqu’un au collège qui
cacherait une défaite, c’est bien lui. Surtout si c’est
contre une fille qu’il perd.
74
- Je suis persuadée que c’est ça Guy, je ne vois pas
d’autre explication possible à ce pouvoir.
Tout en parlant, Marion était revenue près du feu,
frissonnante. Son félin suivit le mouvement et se coucha près
d’elle toujours aux aguets. Guy profita de cette pause dans la
conversation pour rajouter quelques branches dans le foyer
fumant. Il leur fallait maintenir les braises en activité pour
pouvoir se réchauffer, mais le saule pleureur était encore trop
gorgé de neige pour fournir du combustible pour le reste de la
nuit. Guy décida donc d’effectuer quelques aller-retour dans le
réfectoire pour en ramener les quelques chaises en bois qui s’y
trouvaient encore. Cela leur fournirait de quoi tenir jusqu’au
matin. Il entreprit alors de revenir s’asseoir près de son amie.
Elle scrutait à présent les étoiles et semblait perdue dans
ses pensées, ses mains caressant machinalement l’oreille de
Blanche Neige. Le feu se reflétait sur ses fins cheveux dorés,
et la pénombre adoucissait encore ses traits déjà très gracieux.
Les ombres dansantes provoquées par le chatoiement des
braises chaudes donnaient plus de relief encore aux courbes
naissantes de la jeune fille.
75
Guy ne put s’empêcher de profiter de cet instant magique.
Il resta un long moment figé, sans faire aucun bruit, osant à
peine respirer et bénissant les dieux de lui permettre de vivre
une telle opportunité après la journée qu’il venait de vivre. Le
simple plaisir de pouvoir être le témoin privilégié de ce
magnifique spectacle le rendait euphorique. Se perdant dans
ses pensées, il s’assoupit le sourire aux lèvres.
Marion sortit de sa rêverie alors que le soleil commençait
à pointer à l’horizon. Il était grand temps pour elle de penser à
trouver de quoi déjeuner avant que les garçons ne se réveillent.
Elle tourna son regard vers Guy qui s’était endormi près d’elle
contre le mur de la cuisine. Il dormait si bien qu’elle n’osa pas
le réveiller. Elle le couvrit alors de son blouson et entra dans le
bâtiment, à la recherche de nourriture.
La cuisine n’était pas très grande, mais pour ceux qui ne
connaissaient pas les lieux, il y avait de quoi se perdre. Elle
ressemblait à une vaste succession de petites pièces les unes
accolées aux autres. Difficile de savoir où était rangé quoi que
ce soit dans de telles conditions. Après de longues minutes de
recherche, elle trouva enfin du lait, du chocolat en poudre et
quelques gâteaux secs qui feraient l’affaire pour ce matin.
76
Elle amena tout cela à l’entrée de la cuisine en prenant
soin de ne pas oublier une casserole, l’autre ayant eu un petit
problème de parcours lors de la démonstration
impressionnante de Ben. Laurian et ce dernier étaient
maintenant réveillés, et s’étaient approchés du feu pour s’y
réchauffer, silencieusement afin de laisser Guy profiter des
bras de Morphée encore quelques minutes, bien à l’abri dans
veste de Marion.
*
**
Le petit déjeuner se passa dans le silence le plus complet,
à peine troublé par le tintement des cuillères sur les bols. La
petite équipe de survivants peinait encore à croire ce qu’elle
venait de vivre. Le chocolat chaud réchauffait certes leurs
corps, mais leurs cœurs restaient figés dans le froid hivernal de
leurs souvenirs.
77
Prenant l’initiative, Laurian entreprit de lancer la
conversation, et vu leurs réactions, ce fut à l’évidence un
soulagement pour Marion et Ben.
- Il est arrivé cette nuit ? dit-il en parlant de Guy.
Marion sentit une pointe de jalousie non feinte dans la
voix du jeune homme et répondit immédiatement sur un ton
apaisant.
- Oui, répondit-elle, il a traversé le même genre
d’épreuves que nous apparemment. Laurian, la journée
d’hier a été difficile pour tout le monde ! Du moins,
pour tous ceux qui sont encore vivants…
- Ne dis pas ça Marion, les autres sont quelque part, j’en
suis certain. On ne peut pas disparaître comme ça en
un claquement de doigts.
Marion s’était instinctivement recroquevillée sur ellemême, se blottissant contre son chat. Elle se sentait terrifiée
par ce qu’elle avait vécu la veille, elle n’était plus convaincue
que ses proches avaient pu survivre à ce cauchemar, mais elle
ne voulait pas le montrer à Laurian, lui qui semblait si sûr de
ce qu’il disait.
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Le jeune homme remarqua aussitôt la réaction de Marion.
Se sentant coupable, il entreprit de remettre quelques
morceaux de bois dans le brasier, gardant la tête basse.
- Bon, c’est pas tout ça, reprit Laurian, mais si ça doit
durer, il va falloir qu’on trouve quelque chose de plus
confortable pour dormir, mon sac de couchage ne
pourra pas nous supporter tous.
- On devrait dormir à l’infirmerie, il y a des lits.
remarqua Ben.
- Mais pas de chauffage, il faut qu’on reste dans la
cuisine autant qu’on peut, il y a de quoi se chauffer ici,
et pas trop de chemin à faire pour manger.
- Il n’y a que deux matelas de petits lits à l’infirmerie,
rétorqua Marion, c’est un peu juste pour nous quatre
tout de même
- Bah on ne dort pas tous en même temps de toute façon.
Il faudra toujours que quelqu’un monte la garde !
répondit le jeune garçon.
79
- Il y en a dans les logements de fonction ! répondit
froidement Laurian. Et on va tout faire pour pouvoir te
préparer une chambre Marion, ne t’inquiète pas.
Son regard, accusateur, était pointé vers Ben, accusateur.
Le garçonnet ne comprit pas, mais il se garda bien de
répliquer. De toute évidence, il y avait un « je ne sais quoi »
qu’il n’avait pas compris.
- Merci, répondit simplement la jeune fille. La petite
remise devrait faire l’affaire, si vous n’y voyez pas
d’inconvénients.
- Pas de problèmes, répondit Laurian, on va t’aménager
ça, comme on pourra.
Son regard se tourna alors vers Ben, et, profitant de
l’inattention de sa camarade, il épela à voix basse ces quelques
mots : « Tu penses vraiment qu’elle va vouloir dormir avec
trois garçons ? ».
Ben sourit, il n’avait pas pensé à ça. Il leva discrètement
un pouce en signe de compréhension à l’attention de Laurian,
qui se dérida quelque peu à la vue de cette réponse.
80
- Ok, voilà ce que nous allons faire, s’exclama Laurian.
Dès que Guy sera réveillé, nous irons chercher des
matelas dans les logements de fonction, pendant que
vous débarrasserez la petite remise. Ben, mets-y du
cœur, tu vas préparer une chambre de princesse ! ! !
Marion sentit ses joues s’empourprer lorsqu’elle
entendit cette annonce. Avoir son petit confort lui
semblait à la fois dérisoire par rapport à ce qu’elle venait
de vivre, mais elle était néanmoins flattée de cette
attention de la part de Laurian.
81
82
7.
Expédition
Guy se réveilla quelques minutes plus tard. Encore
sous le coup de sa trop courte nuit, il salua Laurian sans un
mot, puis, voyant le chocolat chaud encore fumant, se dirigea
vers la casserole. Marion venait de les rejoindre et prit
l’initiative d’expliquer à son camarde ce qui avait été décidé
un peu plus tôt, elle seule pourrait le faire calmement.
- C’est une bonne idée, constata Guy, mais êtes vous
certain qu’il n’y a pas d’araignées là-bas ? Je ne suis
pas comme vous, je n’ai la faculté de faire sauter des
casseroles avec un quelconque pouvoir.
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- Ni moi, répondit Laurian. On va avoir besoin de Ben,
mais hors de question de laisser Marion seule ici, on ne
sait pas ce qui pourrait arriver.
- Ca ira, Blanche Neige est avec moi, elle…
- On ira tous ensembles, la coupa Guy. C’est le meilleur
moyen pour minimiser le danger.
Après un moment de réflexion, tous se rangèrent à son
avis. Marion et Ben pourraient se servir de leurs pouvoirs si
besoin, Laurian avait sa hache, et le calme de Guy serait
bénéfique en cas de problèmes. Une équipe de choc s’était
formée ainsi de manière la plus naturelle possible.
Les préparatifs furent de courte durée, les bâtiments
administratifs étant situés à quelques dizaines de mètres
seulement de leur refuge. Et puis, il ne leur faudrait pas
longtemps pour revenir avec deux matelas sous le bras. Du
moins, le pensaient-ils tous à cet instant.
- Laurian, tu connais le bâtiment mieux que nous. Tu as
vu quelque chose de particulier là bas ? demanda
Marion.
84
- Toutes les vitres ont volé en éclat, répondit-il. J’ai fait
le tour des appartements hier, il n’y avait pas âme qui
vive. La neige a réussi à pénétrer dans toutes les
pièces, mais il me semble qu’on peut récupérer un
matelas deux places chez la directrice, et le mien chez
moi. Les autres doivent être recouverts de neige.
- Pas de trace d’araignées, ou d’autres choses ? demanda
Guy.
- Pas à ce que j’ai pu voir. Je n’ai pas remarqué quoique
ce soit de vivant. Maintenant que j’y pense, les chiens
de Michel ont disparu également, ils sont attachés à
l’entrée des garages habituellement, on devrait les voir
d’ici.
Ce détail ne rassura pas Guy. Vu la taille des araignées et
celle de Blanche Neige, si le petit groupe venait à tomber sur
des chiens enragés, il faudrait certainement plus qu’un tour de
passe-passe pour les arrêter. Il se garda néanmoins d’en avertir
ses amis, de peur de les effrayer.
Restant sur leurs gardes, le petit groupe commença son
avancée vers le bâtiment administratif. Le chemin le plus court
était également le moins escarpé, mais il était totalement à
85
découvert. La couche de neige, plus épaisse que ce qu’ils
avaient pensé, rendait leur progression plus pénible, le vent
l’ayant repoussée en tas compact tout le long du chemin qu’ils
devaient emprunter. Chaque grincement de branche,
claquements de volets ou autres bruits suspects les faisaient
sursauter, ce qui rendait leur périple plus difficile encore. Au
bout de plusieurs longues minutes qui leur avaient, semblait-il,
duré des heures, ils atteignirent enfin la porte de la bâtisse.
Laurian passa le premier, il habitait le collège depuis son
plus jeune âge et il connaissait les lieux comme sa poche, y
ayant passé des heures à jouer à cache-cache. Ils devraient
d’abord traverser les bureaux pour pouvoir rejoindre l’étage et
les appartements de la directrice et de ses parents. Rien
d’insurmontable dans la vie de tous les jours, mais depuis hier,
rien n’était plus normal, surtout avec cette neige jonchant les
bureaux.
Ce fut pourtant sans difficulté que l’équipe put rejoindre
la cage d’escalier de l’immeuble. Même si la poudreuse était
présente également dans cette partie du bâtiment, elle ne put
cette fois ralentir la progression des enfants, si bien qu’en
quelques minutes seulement, les deux matelas furent
récupérés. Guy amassa également quelques bougies et des
allumettes, ses nombreux essais pour faire fonctionner les
86
torches électriques l’avaient convaincu que tous les
générateurs de courant étaient mystérieusement tombés en
panne suite à la tempête.
- J’ai une idée s’exclama Laurian - il ne vit pas Guy
rétorquer tout bas que c’était un miracle - on va
attacher ça sur le dos de Blanche Neige, ce sera plus
facile d’avancer dans la neige.
- Et tu comptes les coller sur son dos avec de la glu ?
rétorqua Guy.
- Mais non imbécile, il y a des cordes dans la remise de
Michel, je sais où il range la clef. Allons-y.
Guy fut forcé d’admettre que l’idée était bonne même si
le simple fait d’y penser le répugnait. Il emboîta le pas des
autres vers l’appartement du concierge, au rez-de-chaussée,
tirant tant bien que mal le plus lourd des deux matelas.
Lorsque Laurian ouvrit la porte, personne ne remarqua que
Marion s’était retranchée dans le coin du couloir.
Elle s’était recroquevillée au bas de l’escalier, il
avait fallu quelques pas à Blanche Neige pour que l’animal ne
s’en rende compte. Le chat hérissa le poil par instinct, il avait
87
bien compris que quelque chose ne tournait pas rond. Ben
avança de quelques mètres dans l’appartement avant de
s’apercevoir qu’il n’était plus suivi. Il se retourna et vit
Marion prostrée dans le coin du couloir. Soudain tout
s’accéléra.
*
**
Ben eut juste le temps de se retourner de nouveau pour
faire face à ce qui mettait la jeune fille mal à l’aise.
Apparaissant dans l’encadrement de la porte, deux yeux
rouges écarlate s’approchaient de lui à une vitesse folle. Ils
surmontaient un museau pointu et deux incisives proéminentes
aussi longues et effilées que des lames de rasoir. Par réflexe, il
plongea sur le côté, laissant la bête poursuivre sa course vers
Marion, qui de son côté tremblait comme une feuille.
88
- Marion, attention ! ! hurla-t-il à l’attention de sa
camarade.
Comme un robot, celle ci leva une main brûlante vers son
assaillant, et avant même que Blanche neige n’ait eu le temps
de réagir, elle pulvérisa la chose au moment où elle bondit
vers la gorge de sa proie. Une boule de pelage fumante recula
de plusieurs mètres avant de s’écraser aux pieds d’un Ben
encore médusé par ce qu’il venait de voir.
Les deux jeunes reprirent alors leurs esprits, Marion se
relevant d’un bond et Ben se retournant sur la défensive. Leurs
yeux convergèrent vers Laurian et Guy qui étaient également
aux prises avec un agresseur. Laurian, repoussait vivement de
son arme un rat au pelage blanc éclatant, gros comme un
caniche. Il s’était interposé entre Guy et le monstre, mais ce
dernier, tenant le manche de la hache du jeune homme entre
ses crocs, semblait prendre le dessus, si bien que Laurian
tomba à la renverse. Guy, situé derrière lui à ce moment là, fut
projeté dans la pièce voisine avec une violence telle qu’il
s’assomma sur un coin de meuble.
- Ben, sers-toi de ton pouvoir ! hurla le jeune homme,
dépêche toi, je ne tiendrai pas longtemps ! !
89
- Je n’ai pas d’élément sous la main, je ne peux rien
faire ! !
- La neige ! ! ! c’est de l’eau ! intervint Marion. Fais
quelque chose, vite ! !
- Ouuuups, pardon… répondit Ben.
- Active ! hurla Laurian.
D’un simple geste de sa main, une fine couche de neige
décolla du sol puis commença à tournoyer sur elle-même
jusqu'à former un pic de glace. Ben fit alors mine de lancer
quelque chose vers Laurian, et le pic prit son envol vers le rat.
Le monstre n’eut pas le temps de comprendre : le froid glacial
de la glace le transperça de part en part, stoppant net son
attaque.
Laurian repoussa le cadavre loin de lui et s’assit pour
reprendre son souffle. Les griffes du rongeur avaient laissé de
longues incisions sur les vêtements du jeune homme, et son
blouson partait maintenant en lambeaux. Il s’en était fallu de
peu pour que les griffes meurtrières ne traversent l’épaisse
couche de tissu.
90
- Pffffiiiou, c’était juste ! dit Laurian en tenant un bout
de son manteau dans la main.
- Ce n’est pas fini… Répondit Marion d’un air sombre.
La Belle regardait le couloir devant eux, se tenant l’avant
bras droit comme si elle avait tenu le canon d’un fusil. Elle
s’était approchée lentement de Laurian, elle ne tremblait plus à
présent, mais on pouvait voir la sueur ruisseler le long de ses
tempes, et ses cheveux étaient trempés par l’effort qu’elle
venait de fournir. Dans un feulement rageur, son chat vint se
positionner à ses côtés, le poil hérissé, prêt à bondir.
Les regards de tous étaient tournés vers le fond du
couloir. Il était plongé dans l’obscurité, les portes donnant sur
les chambres étant fermées, il était difficile à l’équipe de
discerner quoi que ce soit. Leurs respirations se firent plus
fortes à mesure que leurs attentions étaient tournées vers le
point sombre, chacun scrutant des yeux ses comparses, puis ce
qui semblait devoir leur apporter une prochaine épreuve. Le
rythme de leurs souffles était à présent identique, chacun se
calant sur les autres inconsciemment.
Marion leva soudain le bras. Les autres se mirent
instinctivement en garde, se préparant à recevoir une
91
quelconque attaque. Au fond du couloir, ils distinguèrent un
mouvement bref accompagné d’un petit bruit de pattes.
Quelque chose venait vers eux mais était encore invisible à
leurs yeux, probablement située dans l’autre partie du corridor.
La chose leur apparut enfin à leurs yeux passant
tranquillement son bec au coin du mur. Marion baissa
immédiatement son bras, le petit être qui venait d’apparaître
devant eux était tout sauf effrayant.
De la taille d’un avant bras, cet animal étrange à la peau
gris-cendré se tenait sur ses deux pattes arrière. Celles-ci
étaient pourvues de trois doigts griffus et d’une proéminence
ressemblant à une sorte de talon. Une cheville d’une taille
disproportionnée supportait une patte en trois parties –
ressemblant à un mètre en bois – là encore équipées
d’articulations hypertrophiées, l’angle formé par la première
jointure étant à l’inverse de celui que formerait le genou d’un
humain. Le tout était surplombé par un tronc humanoïde et
musclé doté de deux mamelles. La tête de la bête ressemblait à
un celle d’un oiseau dont on aurait arraché les plumes.
Lorsqu’elle arriva à la vue de tous au milieu du couloir, la
chimère stoppa son avance. Elle dodelina de la tête en fixant le
petit groupe, un air interrogateur semblant flotter dans son
regard. Puis sa tête se redressa, la bête ouvrit fébrilement le
92
bec, et à la surprise générale, poussa un hurlement glaçant le
sang des enfants :
- PWEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEERKKK ! !
Tous furent instantanément immobilisés de stupeur.
Comment un cri d’une telle puissance pouvait–il être émis par
une créature aussi ridicule ? Un bruit retentit alors, venant du
fond du couloir, un cliquetis d’abord discret, puis
s’intensifiant peu à peu jusqu'à en devenir presque
assourdissant. Laurian réagit le premier.
- Reculez ! ! hurla-t-il.
Personne ne se fit prier. Amorçant un mouvement de
recul, Marion leva instinctivement le bras. Ben commençait à
dessiner des formes étranges dans l’air, et la neige forma
rapidement plusieurs dizaines de pics de glace flottant autour
du petit groupe. Blanche Neige hérissa le poil et feula de plus
belle, montrant les crocs. Lorsque Laurian vit la horde
d’assaillants arriver au coin du couloir, il se retourna
brutalement et courut vers le salon où Guy gisait encore
inconscient.
93
Marion retint son dégoût et lâcha un vortex d’énergie
alors que le couloir devant elle lui semblait devenir un tapis
vivant. Des dizaines de rats géants s’entassaient devant eux,
avançant inexorablement vers ce qui semblait être leur proie.
Il y en avait tellement que pas un centimètre carré de sol
n’était visible, caché à leurs yeux par cet amas de poils. Les
rats s’écartèrent juste pour passer autour de la créature étrange
avant d’être frappés de plein fouet par une boule d’énergie.
Plusieurs pics de glace fusèrent également vers les assaillants,
fauchant plusieurs bêtes dans leur course effrénée.
Cela ne ralentit malheureusement pas l’avance de la
horde de rongeurs, dont le nombre ne sembla pas diminuer.
Blanche Neige passa devant le groupe, faisant barrage de son
corps, tandis que Marion et Ben continuaient à user de leurs
pouvoirs contre leurs ennemis. Le félin faucha d’un seul coup
de patte les quelques rats qui avaient devancé le reste de la
troupe. Bientôt, vortex et pics de glaces se succédaient aux
coups de griffes et de crocs, ralentissant à chaque fois la meute
en furie.
Dans le salon, Laurian réussit enfin à sortir Guy de son
inconscience, il ne lui fallut pas longtemps pour faire un
rapide topo de la situation à l’adolescent encore groggy. Ils
furent alors rejoints par le reste du groupe qui marchait
94
toujours à reculons. Guy reprit du poil de la bête à la vue du
spectacle se déroulant devant lui. Il s’empara alors de la table
du salon qu’il mit en travers de la porte, créant ainsi une
barricade de fortune contre ce qui continuait d’avancer.
Marion et Ben redoublaient leurs assauts, s’affaiblissant à
chaque nouvelles utilisation de leurs altérations. Guy cherchait
du regard une hypothétique sortie ou quelque chose qui
pourrait aider les autres à prendre le dessus. Bientôt, les
premiers rats s’attaquèrent à la table du salon, les plus hardis
essayant même de sauter par-dessus. Blanche Neige faisait
alors preuve d’une incroyable férocité, tranchant net des ses
griffes ceux qui avaient le malheur de réussir à bondir assez
haut. Les rongeurs ne reculèrent pas pour autant, les derniers
arrivants se servant des corps des premiers pour pouvoir
passer au-dessus de la barricade.
Guy revint alors vers eux, muni d’un extincteur. Il avait
trouvé l’appareil dans le bureau attenant au salon de Michel,
celui de la CPE.
- Marion, Ben, faites-moi péter ça et on rentre ! ! !
Les deux compères comprirent immédiatement et
couplèrent leurs efforts. Ben façonna un énorme stalactite
95
pendant que Marion s’affairait à la préparation d’un vortex
plus grand que ceux qu’elle lançait depuis la veille. Guy jeta
alors l’extincteur dans le couloir, Ben faisant mine de lancer
un javelot envoya son projectile dans la même direction.
Marion fut la dernière à entrer en action, elle leva les deux
bras, propulsant une onde de choc qui pulvérisa au passage la
table en chêne qui leur servait de protection et réduisant en
charpie les rats qui étaient entassés derrière. Lorsque le
projectile, aidé par la formidable vague d’air entra en contact
avec l’extincteur, l’effet fut immédiat. Une déflagration
retentit, lâchant flamme et poudre sur les rats, et ne leur
laissant aucun répit. La combine avait fonctionné les rats
avaient été carbonisés sur place, exterminés par la redoutable
puissance combinée des pouvoirs de Ben et Marion,
carbonisés sur place. Le calme semblait revenir peu à peu dans
les esprits des adolescents, ils étaient sauvés, du moins
l’avaient-ils pensé pendant un court instant.
Essayant de s’échapper de l’espace confiné du couloir la
vague de flammes venait à présent vers eux, plus rapide
encore que les rats. Dans quelques millisecondes tout au plus,
ils périraient à leur tour, balayés par le feu purificateur.
96
8.
Instants
Laurian regardait les flammes s’approcher de lui
inexorablement, inéluctablement, implacablement, léchant les
murs le sol et le plafond en direction de la seule issue possible
pour elles : la grande double porte menant au salon. Alors que
la mort n’avait jamais côtoyé d’aussi près le petit groupe, la
scène qui se déroulait devant lui était pourtant très claire à ses
yeux ; elle lui paraissait lente, poussive, aussi lente qu’aurait
put l’être le ralenti d’un film. Il aurait largement le temps d’en
examiner chaque scène avant de pousser son dernier soupir,
avant que le feu mortel ne l’atteigne.
Tournant le regard un peu vers sa droite il pouvait
apercevoir Guy. Celui-ci avait amorcé quelques pas de course
97
avant de plonger vers la porte du bureau voisin, celui-là même
où il avait trouvé l’extincteur quelques secondes auparavant
sans s’imaginer que l’engin allait mettre fin à ses jours très
prochainement. L’adolescent semblait flotter dans l’air chaud
et puant les poils grillés, figé dans une pose rappelant le vol
d’un Super Héros habillé en rouge et bleu. Son visage semblait
figé, totalement rigide, paralysé par la peur, parant
l’adolescent d’un dernier rictus morbide.
Pendant que Guy planait vers son abri de fortune, les
flammes avaient parcouru plusieurs dizaines de centimètres.
Le vieux portrait des parents de Michel, qui n’avait jamais
quitté cet endroit du mur depuis son entrée dans l’appartement
fut le premier objet que les flammes engloutirent. Dans un
premier temps le bois du cadre se tortilla, puis craqua avant de
s’embraser. Sous la pression de la chaleur, le verre explosa,
projetant de nombreux morceaux dans toutes les directions. La
photo commença alors à jaunir puis à se tordre, avant de
fondre consumée par l’air chaud environnant.
Droit devant Laurian, Ben s’élança et se plaqua contre le
mur avec une force telle qu’il vit distinctement que l’une de
ses dents avait sauté au contact du parpaing. Le garçon
espérait ainsi une hypothétique protection du battant restant de
la double porte vitrée qui le séparait du couloir et des flammes
98
dansantes et mortelles - Il était, à ce moment là loin, de se
douter qu’il n’en serait rien. Il serrait les poings tellement fort
que ses mains et ses doigts en avaient perdu leur couleur
rosée. Ses ongles avaient traversé la fine couche de peau de
ses paumes, laissant apparaître de légers filets de sang. Des
larmes coulaient depuis ses yeux rougis tout au long de ses
joues blanches. Instinctivement, il rapprocha les avants bras de
son visage, pour une ultime protection contre la menace,
entourant presque sa tête de ses membres.
Le brasier continuait son inexorable avancée vers la
porte. Sous l’effet de la chaleur, le papier de décollait des
murs comme quelques serpents tombant d’un tronc, puis en
quelques instants était réduit à l’état de cendres fumantes et
volantes. Le petit meuble en bois laqué qui servait à poser le
téléphone, l’annuaire et le carnet de numéros, commençait à
gondoler sous les effets néfastes de l’ambiance environnante.
Bientôt, il servirait à alimenter un peu plus la fournaise
environnante. L’appareil téléphonique perdait de sa
consistance, les touches coulaient le long de la coque, puis ce
fut la coque elle-même qui se disloqua et se mélangea aux
composants électroniques qu’elle était censée protéger et aux
touches en caoutchouc. Les spires du carnet se
recroquevillèrent sur elles-mêmes avant que le papier ne
s’enflamme brutalement.
99
Dans l’encadrement de la partie ouverte de la porte,
Marion se tenait droite, faisant face à la menace, la toisant
presque du regard. Elle était en première ligne, seule debout
devant le brasier qui continuait à avancer avec fatalité. Ses
deux bras étaient tendus droit devant elle, aussi rigides que
deux barres de fer. L’image semblait à la fois poétique et
tragique aux yeux de Laurian. La beauté des flammes se
reflétant dans la chevelure de la jeune fille lui donnait des
reflets roux, presque flamboyants. La chaleur dégagée faisait
rougir ses pommettes, tandis que le brasier se reflétait dans les
nombreuses gouttelettes de sueur qui perlaient de son front.
Les petits morceaux de verre avançaient tels des météorites
vers le visage de la Belle, semblant plus brillants, plus
scintillants, plus tranchants encore sous l’effet de la chaleur.
Ici et là autour de l’adolescente, quelques morceaux de papiers
enflammés virevoltaient telles des fées portées par le vent.
Ironie de la situation. Laurian se trouvait devant le
spectacle le plus joli qu’il n’avait jamais vu. Elle ressemblait à
un Ange au milieu des Flammes de l’Enfer. Jamais Marion ne
lui avait semblé aussi belle que devant ce mur de feu, toisant
son destin d’un regard aussi ferme que celui d’un lion devant
une gazelle apeurée. Malheureusement, il en était certain à
présent, c’était également la dernière chose qu’il verrait avant
100
de mourir carbonisé par le mur de feu. Jamais plus il n’aurait
l’occasion de la serrer dans ses bras.
Il eut une idée soudaine. Dans un dernier élan, son
baroud d’honneur à lui, il se releva et se précipita vers l’élue
de son cœur, espérant encore qu’un miracle pourrait les
sauver.
Peut être était-il trop tard. Peut être était-ce les lueurs de
la mort qu’il aperçut, il n’aurait su le dire à cet instant. A ce
moment, il fut ébloui par une lumière qui semblait émaner du
corps de Marion. Le rayonnement en était si vif qu’il dut se
protéger les yeux de son avant bras et stopper sa course vers sa
bien aimée, détournant par réflexe les yeux du chatoiement
aveuglant. Une chaleur apaisante emplit alors tout son être
alors qu’il plongeait vers l’adolescente, espérant la plaquer sur
le canapé en cuir marron de Michel. Le contact doux qu’il
aurait avec sa peau serait certainement la dernière chose dont
il pourrait profiter avant l’issue fatale de sa trop courte vie.
Relevant les yeux vers son bourreau incandescent, il se résigna
à l’inéluctable.
101
*
**
Laurian s’écrasa lourdement sur le canapé. Quelque
chose l’avait dévié de sa trajectoire au moment où ses bras
allaient se refermer sur le corps chatoyant de Marion. Plutôt
que de se réceptionner sur les coussins comme il l’avait prévu,
ce fut sur l’accoudoir qu’il atterrit, et la fine couche de mousse
recouverte de cuir n’avait pas suffisamment amorti le choc
pour qu’il ne ressente pas les effets douloureux de sa chute sur
ses côtes. Les yeux embués de larmes, il s’accorda un regard
flou vers l’encadrement de la porte, là où croyait-il, un instant
auparavant, il aurait dû trouver la mort en enlaçant sa Belle. Il
ne pouvait encore distinguer nettement ce qui se passait à cet
endroit, et dut se frotter les paupières à plusieurs reprises pour
être certain de ce qu’il voyait. Il en viendrait bientôt à se
pincer pour être sûr qu’il ne rêvait pas.
Les flammes inquisitrices avaient cessé leur progression,
stoppées par une sorte de mur invisible qui s’était formé
devant les mains dressées de la jeune fille. Marion paraissait
être en transe, totalement inconsciente de ce qui était en train
102
de se produire. Elle avait maintenant les yeux à moitié fermés,
laissant apparaître sous ses paupières mi-closes le blanc de ses
cornées. Ses longs cheveux blonds semblaient flotter autour de
son torse et de son visage de la même manière que s’ils étaient
portés par le vent. La sueur ruisselait le long de ses joues,
coulant depuis ses tempes et trempant ses vêtements. Bien
qu’elle n’y semblait porter attention, donnant même
l’impression d’avoir toujours été capable d’un tel exploit, elle
était en mesure de canaliser le brasier se propageant devant
elle jusqu'à l’intérieur de ses paumes, où il finissait en
tourbillonnant, aspiré comme le serait de l’eau par une
évacuation.
Laurian était ébahi par le spectacle qui s’offrait devant
lui. Mettant machinalement son bras gauche sur ses côtes
endolories, il se leva du canapé en avança prudemment vers
Marion. Guy revint au même moment de la pièce voisine, les
yeux écarquillés et la mâchoire pendante. Trop obnubilé par
ce qu’il était en train de vivre, il ne vit pas le pauvre Ben
allongé sur le sol en travers de son chemin et lui asséna un
coup de pied involontaire en plein visage. Ben fut sorti de son
semi-coma par ce coup et tenta de protester vivement, mais se
ravisa en voyant le visage du Grand Brun. Il tourna la tête
dans la direction que portait le regard de son compagnon et
ouvrit lui aussi des yeux grands comme des billes. Tous les
103
trois étaient totalement subjugués par ce qu’ils étaient en train
de voir.
Devant leurs regards médusés, le maelström de feu, de
cendres et de poils était littéralement avalé par les paumes de
Marion, les fumées commençaient à disparaître du couloir, se
mêlant au vortex improbable crée par l’adolescente. La
température de la pièce était redevenue glaciale du fait de
l’absence de fenêtres, et le vent ramenait la neige à l’intérieur,
mais curieusement, les flocons n’étaient pas aspirés vers les
mains de la jeune fille. A cet instant, elle semblait maîtriser
parfaitement son altération de sorte qu’aucun de ses amis ne
soit blessé par les résidus encore fumants, et atténuant le
danger de telle manière que tous purent approcher sans
risques. Guy fut le premier à briser le silence.
- Marion ? C’est toi qui as fait ça ? C’est… c’est un
véritable miracle.
La Belle ne réagit pas, elle n’était pas sortie de sa transe
et ne paraissait pas saisir ce qui se passait autour d’elle.
- Marion ? répéta Guy, tu vas bien
104
- N’approche pas plus ! le coupa Laurian, on dirait
qu’elle ne t’entend pas.
- Tu as raison, c’est peut-être dangereux de la ramener à
elle brusquement.
- Marion ! Tu m’entends ? Marion ! !
Dans le couloir, les fumées noires avaient cédé la place à
un tourbillon de cendres et de déchets encore fumants. Petit à
petit, la pièce semblait se vider de ses dangers, aspirés par les
paumes de la jeune fille. Elle tremblait comme une feuille à
présent. Tout son corps semblait pris de convulsions, seules
ses mains restaient droites et immobiles, continuant sans répit
leur travail.
- Marion, regarde-moi ! ! Tout va bien ?
Laurian, était à la fois effrayé et inquiet, il s’approchait
lentement, son bras tendu vers l’avant devant lui apporter une
hypothétique protection si besoin. Ben s’était placé derrière
lui, profitant du plus grand comme d’un bouclier. Il risqua un
œil vers l’encadrement de la porte et y vit une adolescente
méconnaissable. Elle était livide, presque décomposée,
trempée de sueur et secouée de spasmes. Rien à voir avec la
105
jolie jeune fille qu’il avait rencontrée. Guy fermait la marche,
il avait ramassé la hache et la tenait devant lui, au-dessus de la
tête de Ben, prêt à en faire usage si besoin.
- Marion ! ! ! insista t’il, réponds nous ! !
Devant les paumes immobiles de sa camarade, le couloir
était redevenu calme. Plus de traces de fumées ni de cendres
virevoltantes, plus de flammes, juste des murs noircis et
quelques cadavres carbonisés de rats. Les tremblements de la
jeune fille cessèrent brusquement, ses mains ne semblaient
plus aspirer quoi que ce soit. Elle leva les yeux, redevenus du
bleu le plus pur,vers ces camarades.
- Bah quoi, qu’est ce que vous avez à me regarder
comme ça ?
Soudain, ses jambes se dérobèrent. Laurian eut juste le
temps de plonger pour rattraper son corps inerte avant qu’il ne
percute le sol. Quelques secondes seulement s’étaient écoulées
depuis l’explosion, quelques minutes avant leur entrée dans
l’appartement. Marion n’était plus…
106
9.
Sauvetage
La température était acceptable autour du feu, bien
que la nuit fût tombée depuis plusieurs heures maintenant.
Bien emmitouflés dans leurs vêtements, les membres du petit
groupe ne ressentaient pas la froideur de l’hiver. Il faut dire
que la neige avait beaucoup fondu ces derniers jours, du fait
d’un ensoleillement plutôt inhabituel pour cette saison.
- Passe-moi encore un peu de purée s’il te plait.
Guy, plongé dans ses pensées, passa machinalement la
grande casserole à Marion. Elle venait de manger l’équivalent
de trois repas et ne semblait pas encore rassasiée. Les autres la
107
dévisageaient comme si elle ressemblait à une bête curieuse,
étudiant chaque fait et geste que l’adolescente effectuait, ils
écoutaient avec l’attention d’un fan devant son idole chacune
de ses paroles. Bien qu’habituée à être mise en avant lors des
compétions sportives, Marion ne supportait pas d’être la cible
de tous les regards.
- Mais enfin, arrêtez de me regarder comme un animal
de cirque, je vais bien, je vous assure.
- Marion, rétorqua Guy, je ne sais pas si tu as bien saisi
ce qui s’est passé l’autre jour… Il prit le temps de
réfléchir à ce qu’il allait dire. Tu as arrêté un enfer
digne des flammes de Canis Majoris à la seule force de
tes mains !
- Euuuuuh ! Des flammes de quoi ? demanda Laurian.
- Canis Majoris !! répondit Guy. La plus grande étoile de
l’univers. Révise tes cours ahuri ! Marion, tu n’as pas
fait que perdre connaissance ce jour là, tu as également
perdu la vie ! Il nous a été bien difficile de te faire
revenir, et il a été d’autant plus difficile à Mélie de te
soigner. Sans elle et son altération, tu ne serais
108
certainement plus la même aujourd’hui. On a déjà eu
beaucoup de chance de réussir à faire repartir ton cœur.
- C’est une chance qu’elle soit arrivée en effet, ajouta
Laurian. Sans son pouvoir de guérison, je ne suis pas
certain qu’on aurait réussi à te sauver. Ton retour à été
mon cadeau de Noël, ajouta-t-il non sans une certaine
gêne.
- C’est gentil de vous inquiéter pour moi les garçons,
mais vous m’avez expliqué tout ça tout à l’heure déjà.
Maintenant tout va bien, ne vous en faites pas.
- Elle va bien, renchérit Mélie. Je ne ressens plus rien,
tout est normal à présent.
- Vous voyez les gars, si Mélie vous le dit, vous pouvez
lui faire confiance. J’ai juste très faim.
- C’est normal, elle est restée deux semaines dans un
coma de stade 2 quand même. Elle a brûlé la majeure
partie de ses réserves en sucre, même si j’ai réussi à lui
en faire avaler par moment. Et puis elle a raté ce
magnifique réveillon de nouvel an au chocolat chaud et
109
tartine au fromage, ce n’est pas rien, dit Mélie
ironiquement.
- Elle a perdu la vie, ça non plus ce n’est pas rien
rétorqua Guy. Désolé si je m’inquiète, mais il n’y a
plus grand-chose de normal depuis quelques jours
maintenant. D’abord une tempête, ensuite des animaux
géants, et pour finir, une jeune fille capable de créer
une sorte de mur de protection. Qui me dit qu’après
avoir fini ta purée tu ne vas pas prendre 30 centimètres
d’un seul coup ?
- Et qui sait si je n’aurai pas envie de te dévorer toi après
ça ? Non sérieusement, je vous remercie tous, et en
particulier Mélie, mais ne vous en faites pas pour moi
s’il vous plait, je vais très bien maintenant.
Comme pour confirmer les dires de Marion, Blanche
Neige s’approcha d’elle et frotta sa large tête contre le
pantalon de la jeune fille. Un ronronnement de plaisir finit de
rassurer les autres.
- Bon ok, concéda Laurian, mais il va falloir que tu
manges moins que ça, sinon on aura vite épuisé nos
réserves.
110
- Sale bête répondit Marion avec un sourire, je te
revaudrai ça.
Elle lui jeta un petit regard complice qui n’échappa pas à
Guy, mais il ne releva pas, trop heureux de voir que son amie
allait mieux. Mélie intervint.
- Je vais quand même encore te garder sous surveillance
un ou deux jours avec repos total. Désolée, mais il
faudra que tu partages ta chambre avec moi encore un
peu.
- Pffff, bon d’accord, si j’ai tout le monde contre moi, je
n’ai plus le choix : je m’incline. Mais je pourrai quand
même me promener avec Blanche Neige ?
- Si tout se passe bien, oui, je te laisserai sortir dans la
cours du collège. Mais gare à toi si tu te sauves.
- Je n’ai pas l’intention de courir après ce... Truc…
Machin… le Pwerk ? Vous l’avez revu depuis ?
- Non, mais ce n’est pas pour me rassurer, lui répondit
Ben.
111
Laurian regardait Mélie d’un œil admiratif. Il était
véritablement impressionné par la maturité dont faisait preuve
la fillette. Elle donnait l’impression d’être un vrai médecin
malgré ses onze ans. Il se félicitait d’avoir eu la chance de les
apercevoir descendre la Rue de la Gare lors de son tour de
garde, une semaine plus tôt. Elle et Rin avaient en effet
développé des altérations très utiles pour aider à la survie du
petit groupe.
*
**
Laurian était positionné stratégiquement sur le toit du
bâtiment principal ce jour là. De là, il avait une vue
d’ensemble sur la quasi totalité de l’enceinte du collège. A sa
droite, la cour autour duquel les élèves avaient prit l’étrange
habitude de tourner (toujours dans le sens des aiguilles d’une
montre et ce depuis des années) lui semblait étrangement vide
112
vu de son observatoire. A sa droite, une vue plongeante sur la
rue Jules Fry à peine masquée par les grilles en fer forgé des
deux complexes scolaires, et surtout un aperçu des va et vient
des araignées dans la cour de l’école primaire. Mais de ce
point de vue, il avait également la possibilité de scruter à loisir
la Rue de la Gare, bien dégagée du feuillage des marronniers
en cette saison.
Il s’était approché de la primaire, toujours inquiet de
savoir que des arachnides plus grands qu’un petit caniche y
logeaient et n’étaient pas des plus accueillantes. Il regardait
avec effroi leurs incessants allers et retours entre les salles de
classe – du moins le pensait-il, sa position ne lui permettant
pas d’affirmer qu’elle rentraient dans les bâtiment de l’école
ou dans quelques tunnels que ce soit – et les terrains situés
plus bas dans la rue. A aucun moment de son observation il
n’avait vu le terrain dégagé de la présence des arachnides. A
chaque instant, au moins une araignée était stationnée dans la
cour, peut-être scrutant elle aussi le paysage avoisinant lors
d’un impressionnant tour de garde. Curieusement cependant,
pas une seule de ces immondes créatures n’osait s’aventurer
vers le collège. C’était à croire qu’une espèce de barrière
invisible les empêchait d’avancer dans cette direction.
Laurian observa encore durant plusieurs minutes le
113
spectacle qui s’offrait à lui, jusqu'à ce qu’il vit finalement
l’une des aberrations s’approcher de la barrière qui séparait les
deux établissements. Prudemment, elle progressait en
avançant une patte après l’autre, doucement, lentement. Puis, à
l’approche de la barrière, elle prit un temps d’arrêt. A ce
moment là, une dizaine d’autres de ses congénères la
rejoignirent tout en restant prudemment en arrière, saluant à
leur manière la témérité de leur chef de file.
L’araignée avança encore, elle tendit prudemment une
patte sur la barrière, pour savoir si elle n’était pas électrifiée.
Vu que rien ne se passait, elle tâta alors consciencieusement la
grille métallique et s’assura que rien ne se produisit. Elle
attaqua alors l’ascension des maillons, et arrivée en haut,
marqua un temps d’’hésitation avant de finalement sauter vers
le sol recouvert de neige. Rien… l’araignée semblait surprise,
agitant les pattes les unes après les autres pour s’en assurer.
Elle avait pu aller plus loin que ses congénère, elle avait passé
la barrière. Rassurée, elle avança encore vers la porte du
bâtiment, celui qui devait regorger de nourritures diverses
pour nourrir le nid. Presque dansante, elle prit la direction de
la porte et alors qu’elle allait presque la toucher de l’un de ses
pédipalpes, elle fut brusquement aspirée par un trou invisible,
ne laissant derrière le vortex que quelques poils et une patte
encore tressautant, sous les yeux d’un Laurian médusé.
114
Les autres araignées avaient suivi la scène avec un intérêt
presque machiavélique et semblèrent déçues de l’échec de leur
congénère. Elle s’en retournèrent vers le sud vaquer à leurs
occupations.
Laurian resta longuement au bord du toit à essayer de
comprendre ce qu’il venait de voir. Pourquoi l’araignée
n’avait-elle pu approcher ? Par quoi avait-elle été aspirée ?
Tout cela l’intriguait et le laissait dubitatif. Perdu dans ses
pensées, il ne vit pas immédiatement les deux fillettes se
dirigeant vers les écoles. Ce n’est que lorsqu’il reprit son tour
de garde qu’il aperçut leurs mouvements dans son champ de
vision. Elles descendaient toutes deux la Rue de la Gare sans
avoir conscience du danger proche d’elles.
Dans un premier temps, Laurian essaya d’attirer leur
attention en agitant les bras, mais en vain, les fillettes
semblaient fixer leur regard vers le collège. Il était également
trop dangereux de crier pour les avertir, les araignées
pourraient en effet rapidement comprendre que de nouvelles
proies étaient en approche. Après une rapide réflexion, il prit
la décision qui lui semblait la plus sage. Il dévala les escaliers
quatre à quatre et couru le plus vite possible en direction des
cuisines pour y retrouver Guy. Il lui exposa rapidement la
115
situation et ensemble, ils mirent en place un plan pour secourir
les enfants.
Celui-ci était simple : Guy partirait à la rencontre des
survivants en chevauchant Blanche Neige pendant que Laurian
surveillerai les mouvements des araignées. Ben resterai auprès
de Marion pour s’assurer que son état restait stable. Si les
araignées venaient à attaquer Guy et sa monture, Laurian
n’aurait pas d’autre choix que de siffler le plus fort possible
pour sonner la retraite et abandonner les pauvres filles à leur
triste sort. Tout était réglé à un détail près : encore fallait-il
que Blanche Neige comprenne tout cela, et qu’elle veuille
quitter le chevet de sa maîtresse. Elle avait en effet élu
domicile à l’’entrée du local que Laurian avait aménagé pour
elle et ne quittait que très rarement le devant de la porte,
veillant sur sa maîtresse.
La situation aurait pu paraître comique si l’urgence
n’était pas de mise. Laurian et Guy en train de parler à un chat
géant en espérant qu’il allait les comprendre, autant demander
à un poisson rouge d’enseigner la Polka à un troupeau de
vaches. Et pourtant à leur grande surprise, le félin ne perdit
pas une miette des explications des adolescents, et pour leur
faire comprendre qu’elle avait bien saisi le déroulement du
plan et qu’elle acceptait la mission, ronronna de plus belle et
116
bouscula à plusieurs reprises Guy à l’aide de son museau pour
le presser vers la sortie.
- L’instinct animal m’étonnera toujours, dit Guy plus à
lui-même qu’aux autres.
- Blanche Neige est bien plus qu’un simple animal, elle
comprend tout ce qu’on lui dit, rétorqua Laurian, et si
elle a survécu à tout ça, ce n’est pas pour rien, c’est
parce qu’elle est plus intelligente que n’importe quel
autre chat.
Ce qui devait être vrai car, pour confirmer les dires des
deux garçons, le félin ronronna de plus belle et feula de plaisir.
A nouveau, il poussa Guy vers la sortie pour le presser.
Celui-ci sortit enfin des cuisines et enfourcha sa monture
presque sans difficulté. Le jeune homme n’était en effet pas un
habitué de l’équitation, mais ayant confiance néanmoins en
son destrier improvisé, il n’eut pas d’appréhension à
poursuivre sa mission. Et en effet, seulement quelques
minutes plus tard, il avait rejoint Mélie et Rin au milieu de la
côte. Avant même qu’il n’ait pu entamer un brin de
conversation avec les filles, un sifflement strident venant du
collège lui fit tourner la tête.
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Sur le toit, Laurian effectuait de grands gestes, brassant
l’air de ses deux bras dans l’espoir d’être repéré par Guy.
Lorsqu’il fut certain que c’était le cas, il pointa du doigt
l’école primaire, attirant le regard de Guy vers la lourde grille
en fer forgé.
Ce qu’il y vit le fit entrer dans une peur panique.
118
10.
Replis
A peine à une cinquantaine de mètres de là, à l’entrée
de l’école primaire, plusieurs araignées avaient pris le chemin
du petit groupe de rescapés, accélérant la cadence pour
intercepter leur proie au plus vite. Aucun doute possible, ils
avaient été repérés par les monstres et il ne leur restait que
peu de temps avant qu’ils ne soient rejoints.
Rin n’avait pas tout de suite prêté attention à ce qui
arrivait vers eux, préférant se concentrer sur sa difficile
avancée dans la neige fraîche. Pourtant au bout de quelques
pas, elle s’aperçut que Mélie avait cessé sa progression et
restait bouche bée et les bras ballants le long de son corps, le
119
regard fixé vers l’horizon. Elle leva le regard elle aussi vers ce
qui semblait troubler son amie. A la vue du spectacle qui
s’offrait à ses yeux, elle poussa un cri strident et s’effondra
d’effroi, posant les deux genoux au sol en signe de désespoir.
- Qu’est-ce… Qu’est-ce… Balbutia-t’elle.
- Allez, on se bouge ! On a peu de temps hurla Guy.
Mélie reprit instantanément ces esprits et tourna le regard vers
Rin, encore à quatre patte dans la neige.
- Remue-toi Rin, je n’ai pas envie d’y rester au beau
milieu de la rue ! renchérit Mélie.
Rassemblant son courage, la fillette se releva d’un bond
et vint se positionner devant le museau de Blanche Neige
levant le poing dans un geste de défis envers leurs assaillants.
- Approchez sales bêtes, je vais vous montrer de quoi
Rin est capable !
- S’il te plait Rin, tait toi et partons tout de suite, supplia
Mélie.
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- Elle a raison, ajouta Guy. Il ne faut pas rester ici. Ces
bestioles sont dangereuses.
- Et moi, tu crois que je ne le suis pas ? Attends un peu
qu’elles arrivent ici ces sales bêtes !
Etait-ce dû à l’énervement de Rin ou la vision de Blanche
Neige, impressionnante par sa taille? Personne n’aurait pu le
dire, mais les monstres ralentirent l’allure. Leur avance était
maintenant prudente et mesurée, presque stratégique. L’une
des araignées semblait même essayer de se positionner entre le
petit groupe et l’entrée du collège.
- Allez, approchez ! Pourquoi vous ralentissez comme
ça ? Venez donc voir un peu !
- Rin, implora Mélie, on n’a pas le temps de vérifier si tu
es capable de te battre contre ça, c’est trop dangereux.
- Tu vas voir un peu si je ne vais pas y arriver, allez
approchez !
- Trop tard on a plus le temps de discuter s’écria Guy, on
y va avec ou sans toi.
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Rin eut à peine le temps de se tourner vers Guy encore
cramponné à califourchon sur le dos de Blanche Neige que le
félin attrapa la fillette le plus délicatement que possible par le
col. Autant qu’elle aurait pu le faire avec son petit, la laissant
battre l’air des bras et des jambes et hurler sa rage à qui
voulait l’entendre.
- Lâche moi, non mais lâche moi sale chat, tu vas voir ce
que je vais en faire de ces araignées !
- On y va. Tu es capable de courir ? dit Guy à
l’attention de Mélie.
- Je serais même capable de battre un record de vitesse
pour ne pas finir entre les pattes de ces saletés.
Sans attendre une seconde de plus, Blanche Neige se
dirigea rapidement en direction du collège, fauchant au
passage l’araignée qui avait prit la malheureuse initiative de
tenter de couper leur fuite. Elle ne semblait pas gênée par le
poids de Rin entre ses crocs, et prit même le temps de
surveiller si Mélie suivait la cadence.
Malheureusement, si ni la neige, ni le poids de ses deux
passagers ne semblaient être en mesure d’arrêter le félin, il
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n’en était pas de même pour la fillette. Celle-ci s’enfonçait un
peu plus à chaque pas dans la poudreuse. Sa progression était
de plus en plus lente à mesure que la neige s’entassait dans ses
bottes. Elle se rendait maintenant compte qu’elle avait parlé
un peu trop vite en disant pouvoir battre des records. A moins
que ce ne soit celui de la lenteur.
Derrière elle, les monstruosités continuaient leur prudente
avancée. Elles semblaient regarder tantôt la fillette, tantôt le
chat et son équipage, attendant le moment propice pour lancer
leur attaque. Mélie se laissa tomber de tout son poids au sol.
Elle avait beau être de nature optimiste, elle ne voyait pas
comment s’en sortir cette fois.
- Allez-y, fuyez ! Partez sans moi, je n’ai aucune chance
d’y arriver ! s’exclama-t-elle, résignée à subir un triste
sort.
- Pas question ! répondit Guy, tu viens avec nous ou on
y reste tous ! Allez, remue-toi !
Blanche Neige fit demi-tour. Elle semblait décidée à ne
laisser personne derrière. Non loin de là, la première araignée
continuait sa progression vers l’enfant, gardant toujours un
allure posée et surveillant probablement le chat du coin de l’un
123
de ses yeux. Alors qu’elle approchait inexorablement de sa
proie, au moment même ou elle allait s’élancer sur la fillette
tous pédipalpes ouverts, elle fut littéralement transpercée de
part en part par une branche d’arbre épaisse comme un pouce.
Surgie de nulle part comme un diable sort de sa boîte, Rin
debout devant le corp encore tressautant de l’arachnide, toisait
les restes de son adversaire en tenant le morceau de bois à
deux mains.
- Je t’avais pourtant prévenue sale bête ! Tu aurais
mieux fait de retourner là de où tu venais.
*
**
Guy ne comprenait rien à ce qu’il voyait, il dû se pincer
pour être certain qu’il ne rêvait pas. Devant le cadavre encore
fumant, Rin triomphait l’arme à la main. Il tourna son regard
124
vers la truffe de sa monture. Dans la gueule de Blanche Neige,
se trouvait… Rin, calmée à présent, regardant le spectacle
avec attention et exultant de joie lorsque l’autre Rin retira
violemment le bâton du corps de l’araignée. Guy se frotta les
yeux pour être certain qu’il ne rêvait pas. Devant lui pourtant
se tenait bel et bien deux Rin parfaitement identiques.
- Ubiquité. lui déclara Mélie. Ne me demande pas
comment c’est possible, je n’en sais fichtre rien, mais
en tout cas, c’est bien réel, et grâce à ça, je suis
toujours en vie.
- Ne t’inquiète pas, répondit Guy. Elle n’est pas la seule
à avoir un pouvoir. Même si ça surprend, ça ne
m’étonne qu’a moitié.
- Allez sale bête, vient par ici que je m’occupe de ton
cas !!
Rin narguait l’araignée la plus proche en faisant des
grands moulinets avec son bâton encore ruisselant de sang et
de viscères, mais celle-ci semblait plus prudente vu le sort
réservé à sa consœur. Mélie en profita pour se relever et se
mettre à l’abri derrière Blanche Neige.
125
- On y va Rin, on n’aura pas le dessus si d’autres
bestioles arrivent à la rescousse.
- Forcément qu’on aura le dessus, c’est pas un machin à
huit pattes qui va faire sa loi avec moi. Et de toute
façon…
- Rin ! l’interrompit Guy, je ne doute pas un instant que
tu pourrais vaincre la totalité du nid en plein jour, mais
il est tard et si la nuit tombe, je ne donne pas cher de
notre peau.
- Hum, oui t’as raison. Bon ok, on part mais elles ne
perdent rien pour attendre ces sales bêtes. Je
reviendrais m’en occuper, foi de Rin !
A peine eut-elle fini sa phrase qu’elle disparu, laissant le
bâton flotter un instant avant de tomber lourdement dans la
neige. La deuxième Rin avait réintégré le corps de la première.
En un battement de cil Depuis la gueule du chat une petite
voix s’éleva.
- Bon, on y va ? Parce que là, elle commence à avancer
la sale bête, et je n’ai plus de bâton en main.
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- Mélie grimpe, lança Guy en l’invitant à le rejoindre sur
Blanche Neige. Tu vas-y arriver ? dit-il à l’attention du
félin.
Blanche Neige répondit par un ronronnement sourd et prit
immédiatement le chemin du retour dès que Mélie fut
accrochée solidement au poil de son dos. Elle fut
immédiatement prise en chasse par les araignées. Les quelques
mètres d’avance qu’ils avaient semblaient bien maigres aux
yeux des trois enfants, et même si personne n’osait l’avouer,
ils leur semblaient certain que le chat, surchargé, ne tiendrait
pas la distance bien longtemps par rapport aux arachnides et
leurs huit pattes s’enfonçant à peine dans la neige.
Le chat accéléra encore un peu la cadence, et sa
respiration fut de plus en plus rapide. Guy était persuadé qu’il
ne leur restait plus beaucoup de temps avant qu’il ne
s’effondre. Derrière eux, les monstres semblaient glisser sur la
poudreuse, réduisant leur distance à vue d’oeil.
Il ne leur restait plus que quelques mètres à parcourir
avant d’atteindre l’enceinte du collège et espérer pouvoir
semer leurs poursuivants en coupant au travers les sapins qui
garnissaient les bords de la descente vers la cuisine, mais leur
allure semblait diminuer au fil des mètres parcourus.
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Alors qu’ils allaient enfin passer la grille de l’entrée du
collège, Guy se retourna pour juger de leur avance.
Il ne vit que le ventre velu d’une araignée qui se jetait sur
lui toutes pattes ouvertes à quelques centimètres seulement de
son visage.
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11.
Titre
Bla Bla Bla Plop !
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