Quand les petits projets représentent un gros budget
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Quand les petits projets représentent un gros budget
dossier Management de projets Quand les petits projets représentent un gros budget... Pourquoi s’intéresser içi à la maintenance des applications ? C’est un véritable casse-tête pour les services informatiques. Les budgets de maintenance applicative dérapent de 10% à 15% par an en moyenne dans les situations que nous observons. La question qui se pose est donc de savoir où s’arrêtent les projets informatiques et où commencerait une maintenance applicative pilotée et maîtrisée. Dominique Moisand Secrétaire Général de l’AFAI Le portefeuille des applications dans les grands comptes est techniquement hétérogène et difficile à piloter et à maintenir. Le recours à l’externalisation (TMA) est parfois vu comme la seule solution tant les budgets de maintenance dérivent d’année en année. Nous avons demandé à Dominique Moisand qui a dirigé l’ouvrage « maîtrise d’ouvrage des projets informatiques » de nous donner son point de vue sur ce sujet difficile. Comment se passe la transition entre projet informatique et maintenance ? Le passage en « maintenance » signe théoriquement la fin du mode projet. Ceci se traduit très concrètement par une démobilisation des équipes du maître d’œuvre, surtout lorsqu’elles s’appuient sur des contrats de réalisation au forfait, ce qui laisse un grand vide du côté de la Direction Informatique. Ce vide, on s’empresse de le combler en prolongeant le contrat d’une partie de l’équipe de réalisation ou en passant un contrat de tierce maintenance applicative (TMA), lorsque celui-ci n’a pas été souscrit avec la réalisation elle-même. Le vent de panique qui entoure cette transition est préjudiciable à la mise au point d’une solution de maintenance adaptée et pilotée. • La revue n° 76 - Juillet 2004 La fin du projet ne représente donc pas un point de départ solide pour la suite ? 16 Non. Les projets ont du retard, la maîtrise d’œuvre (et les intégrateurs) n’en sont pas toujours responsables et refusent d’en supporter les conséquences financières au-delà d’un certain seuil. Il faut donc trouver des solutions contractuelles qui permettent d’habiller la suite. On a d’abord recours à l’avenant puis, un jour ou l’autre, se posera la question de la mise en service, éventuellement sur un périmètre réduit, d’une première version du projet. La zone d’ombre entre la période de test et d’amélioration de l’application et la recette définitive, ce que l’on aurait souhaité trouver dans une période de garantie dont on a déjà consommé le budget, pourra parfois basculer en contrat de maintenance. Dans cette situation, trop fréquente malheureusement, le client se retrouve seul responsable de terminer le projet qu’il avait pensé confier au forfait à un tiers. Il est difficile dans ces conditions de jeter les bases d’un contrat de TMA solide, ce qui pousse à avoir recours à la bonne vieille formule de la « régie » avec les difficultés de maîtrise des coûts et des délais qui l’accompagne. Quels sont les composantes essentielles d’un contrat de TMA ? Un contrat de TMA comprend deux volets : • La maintenance curative : elle concerne la fiabilisation de l’application, les corrections de bogues et à l’amélioration des performances. Ce volet inclut en général les modifications nécessaires pour assurer les montées de version sur les composants du SI utilisés par l’application. • La maintenance évolutive : il s’agit des évolutions fonctionnelles qui proviennent soit des demandes de la maîtrise d’ouvrage soit des évolutions réglementaires. Pour ce dernier cas, on peut choisir d’isoler le volet « réglementaire » lorsque le partenaire est supposé le maîtriser (c’est le cas, par exemple sur le réglementaire lié à la paie ou à la comptabilité). Est-ce que l’on ne s’éloigne pas du mode projet dans tout cela ? Oui et non, la maintenance curative est bien bordée à condition de partir d’une situation de départ assez saine. J’ai en tête un contrat de maintenance curative qui dure depuis plus de 18 mois sur une application qui avait été développée au forfait par un grand intégrateur… D’autres situations apparaissent, en termes de cohérence des architectures amenant à des interventions lourdes sans valeur ajoutée directe sur le plan fonctionnel. Management de projets dossier Que devient la relation entre maîtrise d’ouvrage et informatique dans ce cadre ? Comme je l’ai dit plus haut, le passage en maintenance a pour premier résultat de démobiliser la structure projet. La MOA est en général représentée à deux niveaux distincts : • Le niveau des utilisateurs fédérés autour d’un key-user ou d’un comité de suivi de l’application. Ce niveau décide d’évolutions limitées (confort, changements mineurs) correspondant à des charges de travail inférieures à une vingtaine de jours. • Le niveau de décision de la MOA qui décide du bien fondé d’évolutions majeures. Face aux demandes de la MOA, les représentants de l’informatique sont en général assez démunis car les seuls acteurs mobilisés sur le projet sont des réalisateurs. L’arbitrage MOA / MOE fonctionne mal, d’autant plus mal que les réalisateurs sont facturés plus ou moins au temps passé. Cette situation est critique dans la maintenance des progiciels. Les réalisateurs et la MOA ne connaissent pas toujours les dernières fonctionnalités qui permettraient d’éviter des développements et, à l’inverse, les développements artisanaux sont ensuite compliqués à faire évoluer dans les upgrades des versions applicatives. Peut-on continuer à incriminer une faiblesse de la maîtrise d’ouvrage ? Dans les grandes entreprises, la maîtrise d’ouvrage semble avoir plus de compétences en termes de SI. Elle n’hésite pas à se faire accompagner par des assistants internes ou externes pour palier son indisponibilité voire son manque de compétence. Ce qui est en jeu, c’est plutôt le processus lui-même, le respect d’un minimum de méthodes et de discipline afin de limiter les risques au niveau des tests et la fréquence des changements de version pour les utilisateurs. La MOA peut justifier la dispersion de ses demandes et le resserrement de ses exigences par des considérations indiscutables de réactivité. Il n’empêche qu’elle se heurte là à un processus industriel qui a du mal à être aussi flexible que voulu. Est-ce que les méthodes appliquées dans les projets sont reconductibles ? La réponse est paradoxale. Sur de petits incréments, on a peu de chance d’introduire des dysfonctionnements collatéraux et les tests se limiteront bien souvent à la vérification de la fonctionnalité mise en œuvre. Mais les petits incréments entraînent la multiplication des versions ce qui dégrade considérablement le processus aval, de la mise en production en relation avec les utilisateurs. Cet inconvénient et la difficulté de trouver des « fenêtres » de changement dans des plannings de production surchargés conduisent à grouper les modifications dans une même version. En thermes de méthode, on touche aux limites de validité des méthodes employées sur les projets. En effet, les points faibles sont accentués par l’absence de véritable structure projet : • L’évaluation des charges à l’issue de la spécification : il est bien rare que l’on travaille autrement qu’à « dire d’expert » pour évaluer les charges. La mise en route d’un processus d’achat au forfait est trop lourd et finalement c’est le client qui s’engage, rarement le prestataire. • Les tests : parents pauvres des projets, ils restent le maillon faible tant il est difficile de constituer et de maintenir un jeu de test qui serait automatiquement passé à chaque mise en service avec production automatique des écarts et des anomalies. • L’intégration : la mise en production est souvent lourde et compliquée, elle exige des ressources mobilisées en mode projet mais pas toujours disponibles en maintenance. • La validation par les utilisateurs : elle se fait bien souvent en situation d’utilisation réelle, faute de temps et d’environnement ad hoc. Les ERP offrent-ils une solution à ces problèmes ? Tant qu’un ERP est une succession de progiciels plus ou moins indépendants (multiples mandants), on se ramène aux cas précédents. La différence essentielle vient de l’intégration des ERP avec l’apparition d’une nécessité de cohérence fonctionnelle forte qui passe par les règles de gestion et les données. Ainsi par exemple, est-ce que la structure de la tarification gérée par le marketing va influer sur la chaîne de facturation, voire sur le formulaire lui-même ; est-ce que les informations de la supply chain vont écraser des informations utiles à la comptabilité client ? etc L’ERP intégré fait émerger la nécessité d’une équipe apte à conserver une vision globale de très haut niveau sur le SI de l’entreprise, sans rapport, de mon point de vue, avec une ressource de « réalisation » informatique, par ailleurs nécessaire aussi. Les tâches de planification, d’estimation, d’arbitrage et de pilotage demeurent essentielles. C’est le mode projet pérennisé ! • La revue n° 76 - Juillet 2004 Ceci étant, l’essentiel de la difficulté me paraît dépendre de la maintenance évolutive qui est complètement liée à la gestion, l’arbitrage et la planification des demandes. Supposée traiter des petites modifications, la maintenance évolutive peut se trouver devant une série de petits projets informatiques sans se doter des structures nécessaires pour les piloter. 17