Le coup de folie du bon Pape Jean
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Le coup de folie du bon Pape Jean
Bar-le-Duc, jeudi 11 octobre 2012 Le coup de folie du bon Pape Jean Sur l’estrade de la salle des fêtes de l’Hôtel de Ville de Bar-le-Duc, deux personnalités : Mgr François MAUPU, évêque de Verdun, Mgr Patrick VALDRINI, recteur et professeur de droit canonique à l’université du Latran à Rome. Dans la salle, près de 200 personnes venues de tout le diocèse, de nombreux prêtres présents pour assister à l’ouverture du cycle des LUNDIS DE LA MÉDIATHÈQUE 2012-2013. La date du 11 octobre n’est pas choisie par hasard, puisqu’il y a 50 ans s’ouvrait ce jour-là à Rome, le 21e Concile " Vatican II". Avant de donner la parole au conférencier, Mgr MAUPU présente la brillante carrière de ce prêtre originaire de Lacroix sur Meuse, ordonné dans le diocèse de Verdun en 1972. Reconnaissant de nombreux visages connus ou amis, Mgr VALDRINI manifeste à la fois son émotion et son plaisir d'apporter sa contribution au diocèse et se lance dans un brillant exposé assez juridique sur " le coup de folie, le coup de génie du Bon pape Jean ! ". COUP DE FOLIE… Le dimanche 25 janvier 1959, en fin de semaine de prière pour l'unité des chrétiens, dans la Basilique St-Paul-Hors-les-murs, le nouveau pape (élu trois mois auparavant) fait une annonce à quelques cardinaux et au sénat papal : il prévoit de réunir un synode, de procéder à la révision du code de droit canonique qui date de 1917, il parle alors "d'aggiornamento", enfin de réunir un concile Œcuménique. Cette attitude déstabilise car pour tout le monde Jean XXIII est un pape de transition ! Après le long pontificat de Pie XII marqué par une centralisation progressive, le cardinal Roncalli apparaît comme idéal pour assurer un changement sans rupture. 1959-1962, c'est le temps nécessaire à l'organisation du concile avec la mise en place des commissions, la préparation de dossiers etc. Dans son discours d'ouverture le 11 octobre 1962, Jean XXIII dit que l'idée lui en est venue "simplement". Devant lui, près de 5000 personnes dans les gradins installés vis à vis dans la basilique Saint-Pierre. Là, chaque automne de 1962 à 1965, se réuniront pendant dix semaines, 2300 évêques venus du monde entier, leurs secrétaires, des experts, des représentants d'autres communautés croyantes… Quand le pape meurt en 1963, son successeur Paul VI décide de poursuivre les travaux malgré la pression de certains cardinaux de la curie romaine. © M. Rampont Les textes préparatoires rédigés par la curie romaine sont décevants, manifestement trop loin de ce qui se joue en dehors de Rome. On attendait des textes plus adaptés à la nouvelle société d'après guerre. Jean XXIII par sa bonhommie, son expérience diplomatique et son intérêt pour le catholicisme social apporte un souffle nouveau. Il a trois objectifs majeurs : • • • Redéfinir pour l'Église les conduites à tenir, Chercher l'unité entre chrétiens dans un monde déchiré par Yalta. La dernière guerre mondiale a divisé l'Église et laissé des blessures, la décolonisation fait naître des tensions, Revisiter toutes les relations entre les religions : catholiques, protestants, juifs, musulmans. Un nouveau style de pape. Le cardinal RONCALLI a une grande expérience des situations délicates. En 1925, promu évêque, il est envoyé comme Premier Visiteur puis Délégué Apostolique en terre orthodoxe, en Bulgarie où il doit aborder l'épineuse question du rite latin et du rite oriental. Il doit à son habileté, sa simplicité, sa souplesse, la reconnaissance du roi Boris III. En 1944, il est envoyé comme Nonce Apostolique de France pour régler le délicat problème de l'Église sous le régime de Vichy. En 1953 nommé cardinal, il quitte la France où son action a été hautement appréciée. À 72 ans, il revient en Italie comme Patriarche de Venise et organise un synode diocésain. Pour lui, le temps de la conciliation est venu, il faut y travailler. Pourtant, si l'annonce de tels projets crée la surprise générale, vouloir réunir un concile n'est pas sans précédent. Une folie très raisonnée Vatican I inachevé. Pie XI ( 1939) et Pie XII ( 1958) auraient souhaité reprendre les travaux inachevés de Vatican I (1860-1870). Ce concile s'inscrivait dans un contexte géopolitique troublé (perte du pouvoir temporel sur les états pontificaux, guerre franco-prussienne). Les travaux ont été interrompus par la pénétration des troupes italiennes à Rome en octobre 1870. La constitution Dei Filius sur les rapports entre foi et raison a été votée à l'unanimité et ratifiée. En revanche, le vote de la constitution Pastor Æternus sur l'infaillibilité pontificale généra des troubles parmi l'assemblée conciliaire. L'opposition de Pie IX aux idées modernes et à la liberté de conscience publiée dans le Syllabus en 1864 suscitait de sévères revendications. Tout pape doit penser vouloir réunir un concile, convoquer en un même lieu tout l'épiscopat pour délibérer comme les successeurs des apôtres. L'expérience conciliaire est bi millénaire, elle se réfère à l'Assemblée à Jérusalem, réunie pour débattre sur la circoncision (chapitre 15 des actes des apôtres) ; cette controverse provoqua une crise profonde dans l'Église. Si ce n'était pas un concile, ce fut cependant une expérience fondatrice. Le principe synodal était né. Les synodes sont provoqués par des circonstances qui interrogent l'Église. Le terme synode vient du grec classique, composé de sun qui signifie « ensemble » et de oudos qui signifie « seuil de la maison ». Le mot synode désigne littéralement le fait de franchir le même seuil, de demeurer ensemble, donc de se réunir, d'avancer ensemble. C'est la forme la plus symbolique du fonctionnement de l'Église, on y débat jusqu'à obtenir le consensus le plus partagé sur la question qui divise. Les © M. Rampont travaux de ces assemblées sont des mines d'information pour les historiens. Le synode se présente sous différentes formes, au niveau : • • • • du diocèse comme celui réuni ici en Meuse en 2008-2009 « Qu’avons-nous de bon à DÉCISIONS SYNODALES nous dire ? " des provinces ecclésiastiques des pays du monde, le concile œcuménique réunit tous les évêques de la terre habitée. Synode 2008-2009 REFLÉTER JÉSUS CHRIST, C'EST L'AFFAIRE DE TOUS. Les 21 conciles Le premier concile est réuni au 7eme siècle et l'on distingue trois périodes successives : • • • Jusqu'au XIe siècle, 1054 : date du schisme entre l'église d'occident et d'orient (8 conciles tenus en orient), Au Moyen Age : XI-XVIe siècle. Les conciles se tiennent en occident. L'Église d'orient n'en fait pas partie, elle ne les reconnaît plus comme des conciles œcuméniques mais généraux. (10 conciles), À l'Époque moderne : de 1453 (fin du moyen âge) à nos jours : 3 conciles. On constate une perte de l'expérience conciliaire si riche. Pour consulter la liste des conciles : http://fr.wikipedia.org/wiki/Concile Le synode, ou concile (terme latin) est la forme aboutie du fonctionnement collégial de l'Église. Par son ordination, tout évêque, comme successeur des apôtres, intègre le collège épiscopal. Le pape, primat de l'Église, en est membre comme évêque de Rome. Les textes qui organisent le concile donnent les pleins pouvoirs au pape. Il le convoque, le préside, confirme et publie les décisions. Ces textes prévoient qu'un concile ne puisse se réunir sans pape, même si cela est arrivé dans l'histoire. Comme successeur de Pierre, il poursuit l'héritage du Christ : son éthique est la conservation de l'Unité. Ce fonctionnement est valable au niveau diocésain, provincial (=régional) ou national, il y a toujours une autorité qui légitime les travaux. La conférence des évêques propose le fruit de ses travaux au pape qui les conclut par une exhortation apostolique laquelle n'a pas la valeur juridique de l'encyclique. COUP DE GÉNIE Ce 21e concile fut un véritable coup de génie, particulièrement au sens du latin genius, de genere, produire, créer. Une intense production : 4 Constitutions (une constitution est un document dogmatique ayant valeur doctrinale ferme et permanente) : • • • • La Révélation divine –Dei Verbum (DV) La Sainte Liturgie –Sacrosanctum Concilium (SC) L'Église -Lumen Gentium (LG) L'Église dans le monde de ce temps -Gaudium et Spes (GS). 9 décrets (un décret est un ensemble de décisions ayant une portée pratique pastorale et disciplinaire pour notre temps) : • • • L'Activité missionnaire de l'Église-Ad Gentes (AG) La Charge pastorale des évêques-Christus Dominus (CD) Le Ministère et la vie des prêtres-Presbyterorum Ordinis (PO) • • • • • • La Formation des prêtres- Optatam totius (OT) L'Apostolat des laïcs- Apostolicam actuositatem (AA) Le Renouveau de la vie religieuse-Perfectae caritatis (PC) L'œcuménisme-Unitatis redintegratio (UR) Les Églises orientales catholiques-Orientalium Ecclésiarum (OE) Les Moyens de communication sociale-Inter mirifica (IM) 3 déclarations (une déclaration se hasarde dans un chemin plus neuf et donne des orientations, c'est à dire des pistes de réflexion et de comportement dans l'état actuel du monde et de la recherche) : • • • L'Éducation chrétienne- Gravissimum educationis momentum (GE) Les Relations avec les religions non chrétiennes-Nostra aetate (NA) La Liberté religieuse-Dignitatis humanae (DH) Ces documents de Vatican II ont été esquissés, discutés, amendés et finalement votés à la quasi-unanimité par près de 2400 Pères conciliaires.1 Un concile est une période exaltante pour ceux qui la vivent. Tout est discuté. Les déclarations solennelles sont le fruit d'échanges âpres et tendus. Pour s'en convaincre il n'y a qu'à consulter les quotidiens qui traduisent toutes les tensions qui traversent les assemblées. L'Osservatore Romano, donne le ton à chaud. Les mémoires2 contrairement aux journaux font une analyse avec recul, donc avec moins de passion. Il invite l'assistance à consulter le dernier ouvrage de l'Abbé Laurent Villemin3 Le génie du pape est d'avoir permis de discuter de tout Aucun texte du concile nait de génération spontanée. Ils sont alimentés par des réflexions d'experts du monde, des expériences dans l'Église. Les textes sont préparés par des exégètes pour permettre le dialogue œcuménique. Ainsi Lumen Gentium, pendant de la Constitution de Vatican I, s'avère plus modéré moins juridique. Le chrétien fait partie d'un État et de l'Église. Chacun est une société juridique parfaite, puisqu'ils n'ont pas besoin d'une autre institution pour exister. L'état représente le temporel tandis que l'Église représente le spirituel, elle est le peuple de Dieu, le corps du Christ et le temple de l'Esprit. Dei Verbum donne les moyens de reconnaître la révélation biblique, le primat de la parole de Dieu, c'est-à-dire les écritures et la Révélation approfondie par la Tradition. Depuis le Concile de Trente, pour les Protestants la seule source ce sont les écritures. Gaudium et Spes concerne une Église qui vit dans l'histoire. Sa place est celle de l'unité pour la servir, il faut favoriser le dialogue entre les Églises, avec les États. Par exemple, Vatican II s'est nourri des travaux du Groupe de Dombes, groupe de dialogue œcuménique créé en 1937 qui réunit des membres catholiques et protestants francophones (aujourd'hui encore). Le génie de Vatican II est d'avoir été le moment solennel de débats qui portent encore leurs fruits aujourd'hui. Ce fut un coup de folie au sens biblique du terme, comme la folie de la croix, selon saint Paul, dont l'auteur n'est autre que Dieu luimême. © M. Rampont QUESTIONS … Un concile aujourd'hui ? Vatican I a réuni 700 évêques, Vatican II 2300, un concile aujourd'hui c'est 5000 évêques avec leurs secrétaires et les experts. Rome peut accueillir tout ce monde, la question est sur le comment faire travailler ensemble autant de personnes. Dans ces conditions, l'expression de la collégialité est difficile. En principe le Pape est président de toutes les commissions. On avait pensé à un synode des évêques sur des questions particulières, mais un groupe ne peut représenter la collégialité. La conséquence est que le pape gouverne seul. Actuellement on bute sur ce principe et il y a déséquilibre. Patrick VALDRINI Originaire de Lacroix-sur-Meuse, après des études au séminaire de Verdun, il entre au grand Séminaire de Metz. Il est ordonné Prêtre à Lacroix-sur-Meuse le 1er juillet 1972. Il obtient en 1983 à Strasbourg, le Grade de Docteur d'état en théologie, mention droit canonique. Nommé enseignant à la faculté de droit canonique de l'Institut catholique de Paris en 1982, il est élu Doyen en 1984 .Le 18 juin 1992, il est recteur émérite de l'Institut Catholique de Paris © M. Rampont jusqu'en 2004 puis il préside la Fédération des universités catholiques européennes. Monseigneur P. VALDRINI est nommé en septembre 2006, par le Quai d’Orsay, Conseiller culturel près le Saint-Siège placé sous l'autorité de l'Ambassadeur de France. Il est recteur de la communauté des Prêtres de Saint-Louis des français (LatranRome) ; le 19 octobre 2008 il est nommé Recteur de St-Louis des français. 1 Tiré du livret interdiocésain des trois évêchés de Franche-Comté, "Dieu a tant aimé les hommes" Le Concile de Vatican II. Une boussole pour aujourd'hui. 2 Journal conciliaire de Monseigneur Émile Blanchet, première session.- Marin Catherine; Meyer Marie-Thérèse ; Sollogoub Serge. Mgr Émile Blanchet (1886-1967), recteur de l'Institut Catholique de Paris en 1962, participe au Concile Vatican II. Arrivé à Rome le 9 octobre 1962 avec l'ensemble des pères conciliaires français, il entreprend la rédaction d'un journal tenu quotidiennement durant les sessions conciliaires, rédigé dans huit cahiers conservés aux Archives de l'Institut Catholique de Paris. La relation de la première session, qui se tient du 11 octobre au 8 décembre 1962. 3 Les sept défis de Vatican II/Laurent Villemin.-Paris : Desclée de Brouwer, septembre 2012 (collection Théologie )