Planche à billet et risques géopolitiques

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Planche à billet et risques géopolitiques
ŒKONOMIA
Analyse du 4 octobre 2012
Planche à billet et risques
géopolitiques
Le mois de septembre a vu de grandes avancées,
sous la forme d’annonces importantes, et quasisynchrones, de la plupart des banques centrales du
monde développé. Les grandes manoeuvres
monétaires reprennent, face au ralentissement
économique global dans le sillage de l’Europe, et
dont on constate peu à peu les effets jusque chez
les pays émergents à forte croissance.
Europe : L’annonce et ses effets
Nous avions signalés, dans notre analyse du mois d’août, comment
Mario Draghi a déplacé l’analyse de la situation européenne, en
évoquant le risque de convertibilité. Selon lui, les taux d’emprunts
extrêmement élevés des pays périphériques du Sud de l’Europe, ne
s’expliquent pas principalement par la situation à haut risque de défaut
des budgets de ces pays, mais par la conviction des investisseurs que
ces pays devront, tôt ou tard, quitter la zone euro, et recouvrer leurs
monnaies nationales. Les pays du Sud payent donc une prime de risque
importante liée aux doutes sur la pérennité de l’euro.
Dans ces conditions, il entre dans le mandat de la BCE, conduite par
Mario Draghi, d’agir pour assurer « l’irréversibilité de l’euro », sans que
les pays solides de la zone ne puissent s’y opposer. Aussi, il a pu
annoncer que la BCE s’engage à soutenir, de façon illimitée, les pays
européens qui appelleront à l’aide leurs partenaires, et dans lesquelles
le MES (Mécanismes Européen de Stabilité) aurait décidé d’investir.
Christophe Brochard
Conseil en investissements financiers agréé
Conseil en gestion de patrimoine certifié CGPC
14 rue Silbermann
Très importante pour les marchés de la dette publique, cette annonce
permet à la BCE de venir, de façon illimitée, en soutien au MES, dont la
surface financière ne cesse d’être insuffisante, au regard des besoins
colossaux de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal, de la Grèce en
particulier…
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Analyse extraite du site
www.brochardfinance.fr
Cette annonce très importante n’a pas manqué de diminuer le risque
systémique en Europe : les taux d’emprunts espagnols ont assez
nettement baissés (bien qu’ils restent intenables), un temps du moins. Il
semble qu’enfin, l’Europe se dote d’une banque centrale « quasiprêteuse en dernier ressort » des États en difficulté, comme partout
ailleurs dans le monde – et que la bizarrerie monétaire zombiesque de
l’Europe ait enfin pris fin !
Pourtant, comme toujours, le diable est dans les détails : seul le «
caractère illimité » du soutien de la BCE est en effet capable d’apaiser
les marchés et le risque systémique. En effet, si ce soutien est illimité,
les investisseurs qui acceptent de prêter aux États en difficulté, pourront
toujours revendre leurs obligations, même si cet État est amené à faire
défaut sur sa dette.
Pourtant, les statuts de la BCE lui interdisent catégoriquement de
pouvoir émettre de la monnaie (la fameuse planche à billet) de façon
illimitée, contrairement à ce qui existe partout ailleurs dans le monde.
Comment la BCE peut-elle offrir un soutien illimité aux États en
difficulté, dans ces conditions ? Mario Draghi a annoncé qu’à chaque fois
qu’il agirait pour aider un État, il stériliserait les sommes injectées. C’est
dire qu’aussi vrai que les injections monétaires pourront être illimitées,
la banque centrale européenne sera dans l’obligation, de façon aussi
illimitée, de retirer des sommes équivalentes du circuit monétaire.
Comment va-t-elle s’y prendre ? Ce n’est pas précisé – on peut toutefois
penser qu’elle vendra des obligations d’entreprises, à chaque fois
qu’elle financera des états, ce qui ne manquera pas d’augmenter le coût
d’emprunt des entreprises européennes, et pèsera encore plus sur la
récession économique en œuvre en Europe.
En outre, la seconde condition imposée par la BCE, est que l’état en
difficulté doit « appeler » l’Europe à l’aide : il doit donc accepter de se
placer sous tutelle budgétaire des institutions de la zone euro, et de
mettre en œuvre des réformes particulièrement difficiles, qui ont
prouvées jusqu’ici leur incapacité à sortir les pays du cycle autérité
budgétaire-récession-hausse des taux d’emprunts, dans lequel
s’enfoncent toujours un peu plus la Grèce, l’Espagne, etc.
En outre, le mécontentement populaire, en Espagne particulièrement,
qui applique ces réformes de façon rigoureuse et préventive afin d’éviter
une telle tutelle, pourrait créer une situation de confiscation de la
démocratie socialement très complexe à accepter.
Ainsi, l’Espagne retarde le plus possible sa demande d’aide à la zone
euro l’Allemagne, la Finlande et les Pays Bas (les trois pays triple A de la
zone euro) incitent l’Espagne à ne pas recourir à cette « aide » et il
semble que la BCE compte sur l’effet de son annonce, mais aspire à ne
surtout jamais mettre en œuvre ce programme ! Le pouvoir des mots
est immense en économie.
Enfin, une grande décision du sommet européen du mois de juin 2012,
avait permis de casser le lien fatal entre les états et les banques des
pays en difficulté. Les banques espagnoles ont en effet vitalement
besoin d’aide. La solution consiste habituellement à prêter de l’argent à
l’état espagnol, qui l’injecte par la suite dans ses banques. Le vice fatal
est que, ce faisant, on accroit la dette de l’État, qui risque de ne plus
pouvoir se financer sur les marchés de ce fait. On se souvient du cas de
l’État irlandais, qui, après avoir sauvé sa plus importante banque de la
faillite a dû appeler l’Europe à un sauvetage global de l’État lui-même,
qui s’était retrouvé en faillite suite à cette aide.
Aussi, il avait été décidé, contre l’Allemagne et les pays triple A
d’Europe, que le fonds européens (le MES) pourrait prêter directement
aux banques, sans passer par les États : le MES pourrait donc aider
directement les banques espagnoles, sans aggraver l’endettement de
l’Etat espagnol. Or, il y a à peine une semaine de cela, l’Allemagne, la
Finlande et les Pays-Bas ont déposé un recours, afin que le MES ne
puisse financer directement que les dettes des banques souscrites à
compter de maintenant ! C’est-à-dire que l’Etat espagnol va devoir se
débrouiller seule avec ses banques… En juin, 100 milliards d’euro (sic !)
avaient été promis à l’Etat espagnol en situation de très urgence en
octobre, pas un cents de cette aide promise n’a encore été versée. Mais
les marchés accueillent pour le moment ces annonces comme des
progrès durables.
USA : la planche à billet au service de l’immobilier
En septembre également, la banque centrale américaine (la Fed) a
annoncé un nouveau volet de son programme d’injection monétaire, le
fameux Quantitative Easing no. 3. De façon illimitée dans le temps (c’est
une première), elle va racheter pour 40 milliards d’USD, par de la
création monétaire, de créances hypothécaires aux banques tous les
mois !
L’objectif de Ben Bernanke, président de la Fed, est de soutenir «
artificiellement » le début de frémissement de reprise de l’immobilier
américain, en espérant que le « sentiment de richesse » des américains
propriétaires les pousse à consommer, et à participer plus encore à la
reprise de l’économie américaine. L’économie américaine (et mondiale)
est en effet si atone, que le risque que ceci ne déclenche une inflation
galopante est très faible.
Mais un tel usage de la planche à billet en dollar US n’est pas sans
conséquence sur le reste du monde. Déjà, lors du premier semestre
l’année dernière, la planche à billet avait fortement fonctionné aux USA :
cette première « expérience » américaine nous permet aujourd’hui d’en
anticiper certains effets.
EFFETS GEOPOLITIQUES DU QE2 vs. QE3
Matières premières agricole
Lors du précédent QE, au premier semestre 2011, les matières
premières avaient flambées (pétrole, aussi bien que l’or, et les matières
premières agricoles). De nombreux pays pauvres éprouvaient de très
grandes difficultés à s’alimenter, ce qui a provoqué le déclenchement du
« printemps arabe ».
Aujourd’hui, la décision du QE3 intervient alors même que les matières
premières agricoles sont déjà à des prix extrêmement élevés. Cette
décision de la Fed ne manquera pas de pousser encore plus loin la
hausse ces matières premières. À l’époque de la crise syrienne et
surtout, iranienne, une telle décision devrait déstabiliser plus encore ces
pays, servant ainsi, semble-t-il, les intérêts américains. Le 1er octobre
2012, le rial iranien a perdu 17% de sa valeur en une seule journée ! La
monnaie iranienne a ainsi perdu 75% de sa valeur face au dollar en une
année. La population iranienne qui souffrait déjà de la hausse des
matières premières agricoles, devra payer d’autant plus cher encore
pour son alimentation ! Enfin, l’embargo bancaire contre l’Iran prive sa
banque centrale de réserves de devises, lui permettant de contrôler sa
propre monnaie.
Dans le contexte actuel, l’usage américain de l’arme dollar devrait
fragiliser de nombreux pays arabes et africains, et risque de permettre
l’extension des activités de l’AQMI (Al Qaeda Maghreb Islamique) en
Afrique de l’Est et au Moyen Orient.
Vers une hausse du pétrole
Mais une telle décision, lors du dernier QE2 au premier semestre 2011,
avait également été néfaste pour l’économie américaine : la hausse du
prix pétrole (consécutive à l’anticipation de la baisse de la valeur du
dollar US, du fait de l’impression monétaire massive américaine), la
hausse du pétrole, donc, avait mené l’économie américaine au bord de
la récession en juin 2011, ce qui avait conduit la Fed a cesser son
programme « expérimental ».
Aujourd’hui, une telle hausse du pétrole serait également fatale à la
faible (mais néanmoins réelle) croissance américaine actuelle. Mais
l’histoire ne se répète jamais.
Nous avions déjà montré comment le bras de fer syrien, entre les USA
(du côté des rebelles) d’un côté, et la Russie et la Chine de l’autre côté,
empêchait le prix du baril de baisser autant que cela aurait été
nécessaire au vu de l’actuel ralentissement mondial. Ce faisant, la Chine
privait les États-Unis de leur planche à billet, et se protégeait ainsi des
risques inflationnistes induits chez elle par une telle impression
monétaire (cf. Hollande, la Syrie et la Fed). Un prix du baril élevé reste
l’arme absolue des émergents contre les abus de pouvoir du dollar
américain.
De façon surprenante, le baril du pétrole, au lieu de monter suite au
QE3, a perdu près de 10% de sa valeur ces derniers jours. C’est que le
jeu des alliances au Moyen Orient fonctionne, et l’Arabie Saoudite, allié
historique des États-Unis, a annoncé, presque immédiatement après la
décision du QE3, vouloir augmenter sa production de pétrole de façon
importante. Cette hausse de la production de pétrole, alliée au
ralentissement économique mondial, a contré jusqu’à présent les effets
sur le pétrole des injections monétaires américaines.
Enfin, certains dirigeants des pays émergents, notamment Madame
Dilma Roussef, présidente du Brésil, a vivement protesté contre cette
décision unilatérale de la Banque Centrale américaine.
Une période d’avant-guerre
Les tensions géopolitiques retiennent aujourd’hui toute notre attention
dans nos portefeuilles. En effet, les élections américaines en novembre,
laisseront jusqu’en janvier, les États-Unis sans président en exercice,
comme d’ordinaire. Le hasard des calendrier fait qu’en Chine également
à cette même période, Hu Jintao cèdera le pouvoir à une nouvelle
équipe menée par Xi Jinping. Aussi, les deux premières puissances
mondiales seront sans dirigeants pendant les mois de cette fin d’année.
Israël pourrait profiter de cette fenêtre pour attaquer l’Iran, et forcer les
alliances à se déclencher à l’échelle mondiale ?
En tout état de cause, les tension sino-japonaises actuelles, le conflit
interne au gouvernement chinois dans la succession de Hu Jintao (qui a
causé la disparition du futur président chinois pendant quelques
semaines récemment, sans que personne ne sache officiellement où il
se trouve, ainsi que l’exclusion surprise du Parti Communiste Chinois de
son futur Premier Ministre, Bo Xilai), la réception accélérée par la Chine
de son premier porte avion le 28 septembre cette année, les opérations
de placement militaire dans le détroit d’Ormuz émanant des USA, de
l’Europe, de la Chine, et de l’Iran, le blocage de Google par l’Iran sur son
territoire, la décision unilatérale de la Fed de déclencher un QE3, la
radicalisation des opération de l’AQMI en Afrique de l’Est et au Moyen
Orient, donne à penser que ce risque est à considérer d’ici la fin du mois
de janvier 2013.
NOS PORTEFEUILLES
Nous restons donc extrêmement défensifs dans nos positions. Pour
l’heure, les marchés sont portés par les injections monétaires massives
des pays endettés (USA, Europe, Japon, UK). Et nous ne voyons pas de
valeur durable dans les pays où la planche à billet fonctionne ou est
prête à fonctionner. Nous nous concentrons toujours sur les obligations
des pays sans difficultés budgétaires, disposant de monnaies fortes et
de croissance potentielle importante (Suède, Australie, Canada, certains
pays émergents.
La Suède, en particulier, à contre-courant des autres pays européens,
vient de baisser ses impôts (sic), ses taux d’intérêts, et de mettre en
place un plan de relance économique. Sa très bonne santé budgétaire,
ainsi que ses réserves de changes, le lui permettent sans que cela
n’accroisse en aucune la dette de cet État. Ce sont ces pays, et les
devises de ces pays, qui seront les valeurs refuges du monde demain.
Vigilant à l’extrême sur les évènements de ce prochains mois, nous
entrerons dans nos portefeuilles certains nouveaux gérants, que nous
avons rencontrés lors de récents déplacements. Ces gérants de très
haute qualité nous intéressent, tant par leurs performances en cette
complexe époque, leur méthode et leur philosophie d’investissement, et
les informations dont ils peuvent disposer : il s’agit en particulier d’un
gérant œuvrant au sein de Bank of New York, et d’un autre de la société
de gestion américaine Fidelity.
C.B.
Christophe Brochard
Conseil en investissements financiers agréé

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