Cadre formateur délégué à la formation clinique, un nouveau

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Cadre formateur délégué à la formation clinique, un nouveau
spécial pédagogie
Le stage au cœur de l’apprentissage
réflexion
Cadre formateur délégué à
la formation clinique, un nouveau
rôle pour le cadre formateur ?
ÉRIC CHARTIER
MOTS CLÉS
tAccompagnement
tAlternance
intégrative
tCadre de santé
formateur
tFormation clinique
tFormation
infirmière
tProgramme
de formation
tSoignant
tStage
tUnité de soins
S14
[ La mise en place du nouveau programme des études en soins infirmiers représente
une formidable opportunité pour repenser les modalités d’accompagnement des étudiants
en stage [ Les cadres de santé formateurs et ceux des unités de soins ont la volonté
de mettre en place une véritable pédagogie dite d’alternance intégrative [ Celle-ci nécessite
de repenser le rôle des uns et des autres, en particulier, celui des cadres de santé formateurs
qui ont toutes les compétences requises pour aider les soignants à mettre en œuvre
une politique d’accompagnement des étudiants [ Les instituts doivent profiter
des changements liés à ce nouveau programme pour initier la mise en place de cadres
formateurs “délégués à la formation clinique” [ L’atteinte de cet objectif
impliquera une gestion des ressources humaines “différenciée” au sein des instituts [
Le temps dédié à l’accompagnement des étudiants en stage par les formateurs chargés
de cette mission représente la clé de réussite des options retenues dans le cadre
de ce nouveau dispositif de formation.
L
a formation en soins infirmiers s’effectue en
alternance. Les stages représentent la moitié
du temps de formation. À la veille de la mise en
place du nouveau programme des études en soins
infirmiers, plusieurs questions se posent aux
responsables de stages.
OPTIMISER LA FORMATION EN ALTERNANCE
Les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi)
commencent très légitimement à réfléchir à la
mise en place du nouveau concept de formation.
Chaque nouveau programme entraîne de nombreux ajustements et l’impérieuse nécessité de
repenser le rôle des formateurs chargés d’enseignements. L’approche de la formation centrée
sur l’acquisition progressive de compétences et
celle des problématiques par cas concrets vont
entraîner un bouleversement des pratiques pédagogiques. Nous allons quitter vraisemblablement
le modèle de formation très axé sur un apport
massif de connaissances pour aller vers des techniques beaucoup plus inductives.
Ce travail de mise en œuvre d’un nouveau
programme demande de la part des équipes
pédagogiques un temps important de maturation et de préparation souvent rendu diffi-
cile par le chevauchement de deux programmes de formation dans les instituts et le peu
de temps dévolu à la réflexion pédagogique.
Dans ce contexte, le “partenaire” que représente
le terrain de stage est souvent “laissé pour
compte”. Il entend parler du nouveau programme, se doute que celui-ci aura un impact sur
la manière d’encadrer les étudiants mais il a bien
du mal à anticiper sur ce qui doit être mis en
œuvre. Les capacités d’adaptation des soignants
ont aussi des limites.
Ainsi, l’augmentation des quotas d’admission
d’étudiants dans les années 2000 a généré des
afflux massifs d’étudiants en stage que certaines
unités de soins ont toujours du mal à accueillir. Si
cette augmentation des effectifs d’étudiants a
entraîné une hausse du nombre de formateurs
dans les instituts, aucun dispositif complémentaire n’a été prévu pour maintenir une qualité de
l’accueil sur les terrains de stage.
La mise en place du nouveau programme des
études d’aide-soignant est encore un bon exemple
qui atteste du manque d’accompagnement des
réformes. L’apprentissage par compétences
nécessite un travail de réflexion important de la
part des soignants. Pour avoir expérimenté la
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mise en œuvre de projets d’encadrement des
stagiaires dans les services de soins du centre hospitalier de Saumur (49), l’approche par compétences ne s’improvise pas et oblige les aides-soignants à questionner leur pratique. En effet, il est
nécessaire pour ces derniers de repérer dans leur
exercice quotidien, les savoirs, savoir-faire et savoir
être en lien avec les compétences retenues. Si cela
a été un travail enrichissant, il s’est effectué à
moyens constants et grâce à l’investissement de
certain(e)s professionnel(le)s. Cependant, trois
ans après la mise en place de ce nouveau programme, bon nombre d’unités de soins n’ont
toujours pas finalisé leur projet d’encadrement
des élèves aides-soignants. Ces services sont pourtant des lieux d’accueil réguliers ! Nous pouvons
alors nous interroger sur la cohérence entre la
formation théorique et clinique.
Ce déficit de projets d’encadrement concertés
entre les services de soins et les instituts est souvent lié au fait que chacun vit dans “sa sphère”.
Les formateurs sont absorbés par l’organisation
et la mise en œuvre de la formation théorique et
les soignants par la prise en charge des personnes
soignées. Par ailleurs, les uns et les autres souffrent d’une méconnaissance mutuelle et se rencontrent essentiellement à l’occasion des exercices formels des mises en situation professionnelle
(MSP), ce qui reste insuffisant.
© BSIP/Laurent
spécial pédagogie
FACILITER CONJOINTEMENT LA MISE
EN ŒUVRE DU NOUVEAU PROGRAMME
DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS
[Les recommandations préconisées dans le nouveau programme en ce qui concerne les stages
sont tout à fait légitimes :
s¬lieux de stage choisis en fonction des ressources ;
s¬STAGES¬hQUALIlANTSv¬
s¬MISE¬EN¬PLACE¬DUNE¬CHARTE¬DENCADREMENT¬
s¬ENGAGEMENT¬EXPLICITE¬DES¬PROFESSIONNELS¬CONCERNÏS¬
s¬DÏSIGNATION¬DUN¬MAÔTRE¬DE¬STAGE¬DUN¬TUTEUR¬DE¬
STAGE¬DUN¬RÏFÏRENT¬DE¬STAGE
[Par ailleurs, nul n’est censé ignorer que le rôle
des infirmières accueillant des étudiants a évolué. Leur mission auprès des stagiaires ne
SOiNS CADRES - Supplément au n° 70
tiale, celles-ci sont souvent particulièrement
démunies face à cette fonction qui ne constitue
pas le cœur de leur métier. De fait, il est de la
responsabilité des Ifsi de proposer aux soignants toute une gamme de moyens leur permettant de remplir au mieux ce rôle de référent. Dans le cas contraire, une insuffisance de
politique volontariste et soutenue en matière
de formation clinique des étudiants peut alors
entraîner pour ces derniers un déficit d’acquisition des compétences.
[Les sources de difficultés peuvent être plurielles, mais dans tous les cas, il semble essentiel
d’agir sur un certain nombre d’éléments.
s¬,A¬POLITIQUE¬DE¬FORMATION¬CLINIQUE¬NE¬SIMPROVISE¬PAS¬et doit être clairement définie en présence
de tous les acteurs concernés. Cela signifie que la
construction des projets de formation doit être
réalisée par un groupe de travail associant les
T
consiste plus seulement à enseigner la reproduction d’actes infirmiers ; elles exercent désormais une fonction à part entière de référent
impliquant pour celles-ci la réalisation et la
mise en œuvre d’un projet d’encadrement, un
repérage des situations pédagogiques, une
prise en compte du niveau de l’étudiant, un
suivi personnalisé...
Néanmoins, même si le rôle d’encadrement de
l’infirmière est abordé lors de la formation ini-
Avec la mise en place du nouveau référentiel de formation, le rôle
des infirmières accueillant des étudiants a évolué. Leur mission auprès
des stagiaires ne consiste plus seulement à enseigner la reproduction
d’actes infirmiers ; elles exercent désormais une fonction à part entière
de référent.
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spécial pédagogie
Le stage au cœur de l’apprentissage
T
formateurs, des cadres de santé responsables
d’unités de soins et des infirmier(e)s. Ce projet doit
être en mesure de décliner l’aspect conceptuel et
instrumental du stage.
s¬,ES¬RESPONSABLES¬INSTITUTIONNELS¬DOIVENT¬
CONJOINTEMENT¬SENGAGER¬SUR¬CE¬PROCESSUS¬(inscription de cette priorité au projet pédagogique
et au projet de soins). En clair, les directeurs des
soins des instituts et des établissements de santé
ont certainement besoin de définir ensemble ce
qu’ils sont en mesure de proposer pour améliorer
le processus de formation clinique des étudiants.
Il s’agit bien là d’arrêter un projet partenarial
prenant en compte les impératifs des uns et des
autres, et apportant de la souplesse à des modes
de fonctionnement souvent figés par manque de
communication...
s¬,ES¬PARTENARIATS¬ENTRE¬LES¬INSTITUTS¬ET¬LES¬TERRAINS¬
DE¬STAGE¬SONT¬Ì¬FORMALISER¬EN¬TERMES¬DOBJECTIFS¬
OPÏRATIONNELS¬Le contrat de “triangulation” (institut, stage, étudiant) doit certainement se limiter
à deux ou trois objectifs de progression réalistes
et négociables.
s¬,ES¬INCOHÏRENCES¬DES¬CONTENUS¬DE¬FORMATION¬
ENTRE¬LINSTITUT¬ET¬LES¬TERRAINS¬SONT¬Ì¬REPÏRER¬ET¬Ì¬
LEVER¬Nous pouvons préconiser la mise en place
d’un système de “non-conformités” entre les
instituts et les stages et inversement afin de lever
ce type d’événements indésirables repérés par
les étudiants.
s¬,ES¬TERRAINS¬ET¬LEURS¬RESSOURCES¬DOIVENT¬ÐTRE¬PARFAITEMENT¬CONNUS¬DE¬LINSTITUT Cela nécessite pour
les unités de soins de tenir à jour annuellement
une fiche signalétique et de l’adresser aux instituts
ce qui permettrait d’ajuster les affectations...
s¬,ES¬SITUATIONS¬PÏDAGOGIQUES¬RENCONTRÏES¬EN¬
STAGE¬SONT¬EXPLOITÏES¬PAR¬LES¬CADRES¬FORMATEURS¬
Il s’agit bien là d’une véritable option d’enseignement clinique.
s¬$ES¬PROCÏDURES¬DAFFECTATION¬ET¬DACCUEIL¬DES¬
ÏTUDIANTS¬SONT¬DÏlNIES
s¬,E¬CADRE¬RÏGLEMENTAIRE¬DES¬AFFECTATIONS¬EN¬STAGE¬
EST¬RESPECTÏ
[De nombreux instituts ont certainement déjà
expérimenté ces différents principes et pourraient confirmer l’impact bénéfique que cela
représente pour les étudiants. Il faut tendre vers
ces axes de progrès si nous voulons réellement
réussir la mise en place de ce nouveau programme
et pour cela nous devons nous interroger sur les
moyens permettant sa mise en œuvre. Mais cela
ne peut se faire qu’avec une redéfinition de la
place des cadres formateurs. En effet, si nous
sommes en mesure, dans les unités de soins, de
“fournir” des maîtres de stage, des référents de
stage, nous n’avons pas toujours les moyens ni les
compétences pour répondre au rôle de tuteur de
stage.
La formation clinique doit pouvoir bénéficier au
même titre que la formation théorique de l’expertise en ingénierie de formation et en pédagogie des cadres de santé, véritables chefs d’orchestre de l’ensemble du processus de formation
(théorique et pratique). C’est pourquoi, et dans
la dynamique du nouveau programme, il semble
intéressant d’imaginer une nouvelle mission pour
les cadres exerçant en institut. Il est nécessaire
qu’ils fassent le lien entre ces deux temps, pour
repérer les lieux qui seront les plus formateurs,
analyser avec les étudiants les situations complexes de soin, élaborer avec les soignants les processus d’encadrement... en ayant sans cesse le souci
de donner du sens à la formation dans le contexte
professionnel.
CADRE DE SANTÉ FORMATEUR
DÉLÉGUÉ À LA FORMATION CLINIQUE
Figure 1. Liaisons hiérarchiques et fonctionnelles du cadre de santé formateur délégué à la
formation clinique.
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Prenant appui sur des expériences déjà concluantes
de cadres ayant des missions transversales au sein
des établissements de santé (cadre de santé en
hygiène hospitalière, par exemple), il nous a paru
intéressant d’imaginer un profil de cadre de santé
délégué à la formation clinique des étudiants en
SOiNS CADRES - Supplément au n° 70
spécial pédagogie
Cadre formateur délégué à la formation clinique,
un nouveau rôle pour le cadre formateur ?
soins infirmiers. Chargé de missions, celui-ci
interviendrait dans les unités, les services, les pôles
accueillant des stagiaires.
[Missions. En collaboration avec les cadres d’unités de soins, ses missions pourraient s’articuler
autour :
s¬DUNE¬EXPERTISE¬PÏDAGOGIQUE¬(respect de la
réglementation en termes d’encadrement, repérage des ressources des unités de soins en termes
de formation, détermination avec les cadres
d’unités des capacités d’accueil...) ;
s¬DE¬CONSEILS¬ET¬DACCOMPAGNEMENT¬(aider les équipes à formaliser les projets d’encadrement au
regard du niveau d’apprentissage, les assister dans
la prise en charge des étudiants en difficulté...) ;
s¬DE¬FORMATION¬ET¬DINFORMATION¬VERS¬LES¬
PROFESSIONNELLES¬(formation des soignants au
tutorat, animation de groupes de travail sur les
questions relatives à l’encadrement, communication de toutes les informations relatives à la formation de l’Ifsi vers les services et inversement,
participation à des travaux régionaux sur le thème
de la formation clinique...) ;
s¬DÏVALUATION¬DU¬DISPOSITIF¬DE¬FORMATION¬(évaluation de l’impact des projets d’encadrement
sur l’évolution des compétences des étudiants,
analyse des questionnaires de satisfaction des
étudiants, restitution semestrielle des résultats
aux services, pilotage d’évaluation de pratiques
professionnelles sur ce thème...) ;
s¬DUNE¬FORMATION¬CLINIQUE¬POUR¬LES¬ÏTUDIANTS¬
(accompagnement individualisé des étudiants,
études de cas cliniques in situ organisées pour un
groupe d’étudiants, participation aux temps de
transmission avec les étudiants à l’étude de la
tenue du dossier de soins pour les étudiants....) ;
s¬DE¬SUIVI¬PÏDAGOGIQUE¬CLINIQUE¬DES¬ÏTUDIANTS¬
(participation aux entretiens de bilans de stage,
soutien aux étudiants en difficulté, appréciation
de la pertinence des objectifs de stage de l’étudiant, facilitation de l’intégration des savoirs,
savoir-faire, savoir être en analysant les situations
rencontrées par l’étudiant...).
Ce cadre interviendrait sous couvert et par délégation du directeur de l’Ifsi (figure 1). Ses objectifs
d’action gagneraient à être validés au conseil pédagogique de l’institut et à la commission des soins
infirmiers, de rééducation et médico-techniques
(CSIRMT) des établissements publics de santé.
[Profil. Il serait souhaitable que ce type de mission soit confié à un cadre de santé formateur
pour une durée de trois années renouvelable une
fois. Chaque institut déterminerait un nombre
de formateurs délégués à cette mission ainsi que
son champ d’intervention Le temps imparti à
SOiNS CADRES - Supplément au n° 70
cette mission sera évalué et valorisé. Enfin, un
rapport d’activités sera réalisé annuellement par
chaque cadre chargé de mission.
[Aptitudes : bonne connaissance des référentiels
métiers et compétences, très bonne connaissance
des unités cliniques, qualités relationnelles et de
négociation, capacités à animer des groupes de
travail, capacités rédactionnelles, aptitudes à
l’étude des cas concrets...
Au moment où dans les institutions de santé, la
nouvelle gouvernance repositionne la fonction
des cadres d’unités de soins, il est peut-être
temps de s’interroger sur la fonction de cadre de
santé formateur. Actuellement très centrés –
voire trop ? – sur l’enseignement théorique, il
est temps d’offrir d’autres perspectives aux
cadres formateurs. Ne pourrions-nous pas imaginer une équipe pédagogique plurielle, composée d’une combinaison de plusieurs “compétences” de cadres en organisation de formations,
en formations préparatoires et continues, en
démarche qualité et de gestion des risques en
formation, en expertise d’enseignement confirmée par des diplômes et formations supérieures
et enfin en formation clinique ?
De nombreux exemples au Québec ou en Suisse
prouvent que cela est possible et que nous devons
peut-être modifier nos représentations du métier
de formateur.
CONCLUSION
Dans tous les cas, les cadres de santé formateurs sont
mieux placés que quiconque pour mettre en œuvre
l’alternance intégrative. Ils doivent se saisir de cette
formidable opportunité pour repenser une part de
leur métier vers les services de soins. Dans le cas
contraire et pour répondre aux exigences du nouveau programme, il serait dommageable que les
services de soins soient contraints de négocier avec
les actuels financeurs des instituts pour obtenir ce
type de poste. Cela répondrait certes à nos préoccupations “d’aide et de soutien” à la mise en œuvre de
la formation pratique mais aurait pour inconvénient
de ne pas créer le “lien” et le “liant” entre la formation théorique et pratique, ce qui représenterait une
contradiction supplémentaire.
Dans une perspective opérationnelle, et en vue de
préparer les soignants aux changements liés au nouveau programme, il serait souhaitable de désigner au
plus vite des cadres formateurs en charge de cette
mission pour mettre en place les premiers groupes
de travail en fonction du type de stage retenu (soins
de courte durée, soins en psychiatrie et santé mentale,
soins de longue durée, soins de suite et de réadaptation, ou soins à domicile, lieux de vie, de travail). O
L’AUTEUR
Éric Chartier,
directeur des soins,
CH de Saumur (49)
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