La dématérialisation des documents

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La dématérialisation des documents
La dématérialisation des documents
La conservation numérique des documents juridiques, sociaux et fiscaux est-elle sans risque ?
La tendance actuelle semble être à la multiplication des projets de numérisation des documents
papier, voire à leur élimination au profit de la seule copie numérique. Faut-il succomber à la
tentation du « tout numérique » ? Pour répondre à cette question, il convient d’analyser le statut de
la copie numérique en évaluant sa valeur probante et informationnelle.
I. De l’original papier à la copie numérique : Différences de régime juridique
La loi ne liste pas les documents à conserver impérativement en original. Cependant, il n’est pas
conseillé de se séparer de ses originaux papiers puisque le droit en vigueur ne reconnait pas la même
valeur juridique à la copie (numérisée ou non).
A titre liminaire, il convient de définir ce qu’est « l’acte original » au sens juridique : l’original est le
document signé initialement par les parties : cette signature peut être manuelle ou électronique (on
distingue donc original papier et original électronique). Ainsi, la notion de support est indifférente
pour qualifier un document d’ « original » : un document électronique, sous certaines conditions,
peut-être qualifié d’original. En revanche, un document scanné ou photocopié après signature ne
peut être qualifié que de copie, ce qui implique un régime juridique différent en termes de preuve.
Le droit s’appliquera donc différemment selon qu’il est question d’une copie numérique (A) ou d’un
original électronique (B). Selon que le document est « né » initialement sous forme électronique ou
sous forme papier, leur force probante sera différente.
A. La copie numérique
A.1 Principe : une force probante inférieure à l’original
La copie (numérique ou non) n’a pas la force probante d’un original. Ce n’est que dans des
hypothèses limitées qu’une force probante presque équivalente à l’original est accordée à certaines
copies, sans franchir le pas d’une équivalence totale. On peut donc toujours contester une copie et
réclamer la production de l’original pour lever un doute sur la véracité de son contenu. Le vrai
problème se pose lorsqu’on n’a pas conservé l’original : dans ce cas, quel crédit accorder à la copie ?
Dans le silence du législateur, c’est le juge qui apporte une réponse. Si l’original n’a pas été conservé,
la copie n’aura que peu de valeur probante, mais cela ne signifie pas qu’elle n’aura pas de valeur du
tout. Elle pourra en effet avoir la valeur d’un «commencement de preuve par écrit » (article 1347
c.civ) : il s’agit d’un écrit qui n’est pas signé, mais qui émane bien de celui à qui on l’oppose et qui
rend vraisemblable le fait allégué en justice. Ainsi, un commencement de preuve par écrit devra être
complété par tout autre élément de preuve (notamment des témoignages). On voit que le statut de
commencement de preuve par écrit est largement inférieur à celui d’écrit signé, de sorte que la copie
numérique ne jouit pas de la plus grande force probante en l’état actuel des textes.
A.2 Exception : les copies non contestées – une force probante
(quasi) équivalente à l’original
Si la conformité à l’original n’est pas contestée par l’autre partie, la copie aura « le même caractère
de véracité que les lettres originales elles-mêmes ». Attention : cela ne signifie pas qu’elle aura la
même force probante car elle pourra toujours être contestée. Néanmoins, on sait qu’en pratique,
devant les tribunaux, la plupart des parties présentent à la cause des photocopies de documents,
généralement sans que cela pose le moindre problème. Sauf en cas de doute sérieux sur la
conformité de la copie, il est rare qu’une partie exige la production de l’original.
Conclusion
En l’état actuel du droit, nous conseillons vivement de conserver les originaux des documents qui
font état d’un consentement (signature) pour les raisons développées précédemment. Néanmoins, il
est possible et conseillé de conserver une « copie de sécurité » des originaux en version numérique.
Ainsi, en cas de perte de l’original, la copie pourra toujours constituer au minimum un
commencement de preuve par écrit et en l’absence de contestation de la partie adverse, aura une
force probante quasi identique à l’original.
Attention !
•
La copie numérique doit être la reproduction à l’identique de l’original : Le logo et l’en-tête, ainsi
que la signature de l’auteur font partie des caractéristiques indispensables du document.
•
Le système d’information devra être suffisamment sécurisé et documenté pour permettre
d’établir la date de création du document numérique ainsi que son absence de modification au
cours de son cycle de vie. La valeur probante du document électronique archivé est apportée par
la preuve de l’ensemble du cycle de vie du fichier électronique depuis sa création et répondant
aux dispositions du Code civil. En pratique, il va s’agir d’un document numérique au format PDF
qui sera horodaté. La moindre modification apportée donnera au document une empreinte
différente. La conversion d’un document Word en format PDF doit être tracée pour établir que le
document n’a pas été modifié ou altéré lors de cette opération.
B. L’original électronique
L’original électronique se distingue de la copie numérique : il s’agit d’un document né initialement
sous forme électronique et qui ne fait pas l’objet d’une version originale papier.
L’art. 1316 du code civil prévoit dans ce cas que « l’écrit sous forme électronique est admis en preuve
au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la
personne (condition n°1) dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature
à en garantir l’intégrité (condition n°2). »
Deux procédés permettent de garantir le respect de ces deux conditions :
La signature électronique : Il s’agit d’un mécanisme permettant de garantir l'intégrité d'un
document électronique et d'en authentifier l'auteur, par analogie avec la signature manuscrite d'un
document papier. Elle se différencie de la signature écrite par le fait qu'elle n'est pas visuelle, mais
correspond à une suite de caractères. Cela permet donc de satisfaire à la première condition
d’identification de la personne.
Le coffre fort électronique : Les services de coffres-forts électroniques consistent en un
espace de stockage sécurisé, accessible sur internet, permettant de stocker des documents
électroniques sous différents types de format (textes, photos, documents papier numérisés ….). Cela
permet de remplir la condition de conservation et de non-modification du document.
C. Exemple synthétique
➡ Vous recevez une facture :
- Sous format papier : vous devez la conserver sous format papier et, si vous le souhaitez, pouvez la
numériser par sécurité.
- Vous la recevez uniquement sous format numérique : vous devez la conserver sous format
numérique si elle est authentifiée par une signature électronique. Elle doit être conservée dans un
coffre-fort électronique.
Ainsi, une facture numérisée et envoyée par e-mail dans cet état, puis imprimée par le client n’aura
jamais la valeur juridique d’une facture originale papier émise dans cet état.
➡ Vous souhaitez émettre des factures électroniques :
Il vous faut :
- disposer d’une signature électronique
- apposer cette signature grâce à un logiciel de lecture PDF qui le permet
- Informer son client que le document a une valeur électronique seulement à l’état numérisé et qu’il
accepte ce mode de facturation dans les conditions générales
- Informer son client qu’il doit conserver ce document dans cet état numérisé de manière à garantir
sa conservation
II. En pratique : durée de conservation selon le type de document
Que le document soit sous forme papier ou sous forme numérisée, il faut avoir à l’esprit certaines
règles communes en matière de conservation.
Type de document
Durée de conservation
Texte légal
Documents liés à la société
Statuts et pièces modificatrices des
statuts d'une société ou d'une
association
Toute la durée de la société + 5 ans
après la perte de la personnalité
morale ou de la radiation du RCS.
Art. 2224 c. civ
Traité de fusion et autre acte lié au
fonctionnement de la société (+
documents de la société absorbée)
5 ans
Art. 2224 c. civ
Registre de titres nominatifs.
Registre des mouvements de titres.
Ordre de mouvement. Registre des
procès-verbaux d'assemblées et de
conseils d'administration.
5 ans à partir de la fin de leur
utilisation
art. 2224 du code civil
Feuille de présence et pouvoirs.
Rapport du gérant ou du conseil
d'administration.
Rapport
des
commissaires aux comptes.
3 derniers exercices
art. L.225-117
commerce
Compte annuel (bilan, compte de
résultat, annexe...)
10 ans à partir de la clôture de
l'exercice
art. L.123-22 du code de commerce
du
code
de
Documents liés au personnel
Contrats de travail (CDD, CDI,
temps partiel ou temps complet)
Conseillé : 20 ans après la fin du
contrat
Art. 2232 du
(prescription
maximale)
Légalement : 5 ans
art. L.3243-4 du code du travail
Contrat d’apprentissage
Bulletin de paie (double papier ou
sous forme électronique)
code civil
extinctive
Conseillé : 40 ans pour les caisses
de retraite
Comptabilisation des jours de travail
des salariés (cas général, astreinte
et conventions de forfait)
Légalement :
3
ans
(prescription des demandes
de rappel de salaire)
Cas général : art. L3245-1
Textes
spécifiques
à
l’inspection du travail : art.
D3171-16
Type de document
Durée de conservation
Texte légal
Calendrier des congés payés +
notes de service sur la prise de
congés payés et/ou ponts accordés
chaque année
Conseillé : 3 ans
art. L3245-1
Déclaration d'accident du travail
auprès de la caisse primaire
d'assurance maladie
5 ans
art. D.4711-3 du code du travail
Documents relatifs aux charges
sociales et à la taxe sur les salaires
3 ans
art. L.244-3 du code de la sécurité
sociale et art. L.169 A du livre des
procédures fiscales
Reçu pour solde de tout compte
Conseillé : 3 ans
art. L3245-1
Conseillé : 20 ans à compter du
départ du salarié
Art. L1471-1 du code du
travail
- Transaction
- Documents adressés dans le cadre
d’une procédure de licenciement
(lettres de convocation, rupture
conventionnelle, etc.)
Registre unique du personnel
(Par principe, la prescription est de
2 ans pour ce genre d’action mais le
point de départ de la prescription
est extrêmement variable)
Légalement : 5 ans à compter du
départ du salarié
Art. 2232 du
(prescription
maximale)
code civil
extinctive
art. R.1221-26 du code du travail
Conseillé : 40 ans
Règlement intérieur
Conseillé : Délai illimité
Document
unique
d’évaluation des risques
Conseillé : 20 ans
Fiche d’aptitude médicale
Conseillé :
20
ans
(prescription en cas de
contentieux
relatif
aux
risques professionnels)
Observation ou mise en demeure
de l'inspection du travail
5 ans
Vérification et contrôle du Comité
d’hygiène, sécurité et conditions de
travail (CHSCT)
Registre du CHSCT
Conseillé : Registre du mandat en
cours et par précaution celui du
art. D.4711-3 du code du travail
Type de document
Durée de conservation
Texte légal
mandat précédent (voire pendant 20
ans : prescription en cas de
contentieux)
Rapports hygiène et sécurité,
rapport sur l’activité de
l’entreprise,
sur
l’égalité
professionnel, sur l’évolution
de
l’emploi
et
des
qualifications
Conseillé : Durée du mandat et par
précaution, rapports concernant le
mandat précédent
Procès-verbaux
d’entreprise
Conseillé : au moins 5 ans
du
comité
Documents fiscaux
Impôt sur le revenu et sur les
sociétés
Bénéfices
industriels
et
commerciaux (BIC), bénéfices non
commerciaux (BNC) en régime réel
Taxes sur le chiffre d'affaires (TVA
et taxes assimilées, impôt sur les
spectacles, taxe sur les conventions
d'assurance...)
Cotisation foncière des entreprises
(CFE) et contribution sur la valeur
ajoutée des entreprises
Impôts
directs
locaux
(taxes
foncières,
contribution
à
l'audiovisuel public)
Principe : 6 ans à partir de la
dernière opération mentionnée sur
les livres ou registres ou de la date
à laquelle les documents ou pièces
ont été établis.
Exemple : les éléments concernant
les revenus de 2013, déclarés en
2014 doivent être conservés jusqu'à
fin 2019.
Attention : tous les documents
établis ou reçus sur support
informatique doivent être
conservés sous cette forme pendant
3 ans. (au delà des 3 ans et
jusqu’au délai général de 6 ans :
sous n’importe quelle forme)
art. L.102 B du livre des procédures
fiscales
Exception : 10 ans en cas
d’activité occulte (fraude fiscale,
travail dissimulé, activité illicite,
absence de déclaration)
Documents comptables
Livre et registre comptable : livre
journal, grand livre, livre d'inventaire
Pièce justificative : bon de
commande, de livraison ou de
réception,
facture
client
et
fournisseur...
10 ans à partir de la clôture de
l'exercice
art. L.123-22 du code de commerce
Documents civils et commerciaux
Contrat ou convention conclu dans
5 ans
art. L.110-4 du code de commerce
Type de document
Durée de conservation
Texte légal
le cadre d'une relation commerciale
Contrat conclu par voie électronique
(à partir de 120 €)
10 ans à partir de la conclusion du
contrat si la réalisation de la
prestation est immédiate
art. L.134-2 du code de la
consommation
Sinon 10 ans à compter de a
réalisation de la prestation
Contrat d'acquisition ou de cession
de biens immobiliers et fonciers
30 ans
art. 2227 du code civil
Document bancaire (talon
chèque, relevé bancaire...)
5 ans
art. L.110-4 du code de commerce
5 ans à compter de la fin de la
protection
Art. 2224 c. civ
Police d'assurance
2 ans à compter de la résiliation du
contrat
art. L.114-1 du code des
assurances
Dossier d'un avocat
5 ans à partir de la fin du mandat
art. 2225 du code civil
de
Document relatif à la propriété
intellectuelle (dépôt de brevet,
marque, dessin et modèle)