La Dame blanche et son peloton de Trélon-Hirson

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La Dame blanche et son peloton de Trélon-Hirson
La Dame blanche et son peloton de Trélon-Hirson
Résistance !... Ce mot à lui seul nous entraîne instantanément soixante et quelques
années en arrière, tant nous sommes habitués à le relier à l’action de quelques citoyens courageux
qui, tout au long de la Seconde Guerre mondiale, n’ont pas craint de défier l’occupant. Ce n’est
pourtant pas de soixante et quelques années qu’il sera question ici, mais bien de plus de quatrevingts. En effet, dès les premiers temps de la Grande Guerre, Français et Anglais ne manquèrent pas
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de renforcer leurs services de renseignement aux Pays-Bas, qui, restés neutres , présentaient un
intérêt évident pour recueillir tous renseignements en provenance des zones occupées, notamment
de la Belgique.
Du côté de la Belgique, justement, et très rapidement, des initiatives furent prises, dont
l’une est à l’origine du réseau d’informateurs dont il sera ici question, qui rendit d’éminents services à
la cause alliée. À cet égard, un industriel liégeois, Dieudonné Lambrecht, eut le mérite d’être l’un des
premiers à prendre l’initiative, dès la fin de 1914, en mettant sur pied un service qui, entre autres,
fournit déjà des informations sur les préparatifs de l’offensive allemande sur Verdun. D. Lambrecht,
malheureusement, manquait de prudence, ou plutôt d’expérience, et faute d’avoir cloisonné son
organisation, il fut pris. Arrêté le 25 février, il fut fusillé le 18 avril 1916. L’entreprise, pourtant, n’allait
pas rester sans suite, grâce à trois de ses amis : Walthère Dewé, l’un de ses cousins ; Jean des
Onays, un jésuite, et Herman Chauvin, qui reprirent le flambeau. Mais, cette fois, en tenant compte
des erreurs commises, et en organisant le nécessaire cloisonnement entre les membres du réseau.
Un réseau existait donc chez nos voisins, dans un pays où la vie économique se
poursuivait normalement, tandis que les citoyens bénéficiaient encore de conditions de déplacement
relativement favorables. Bien que l’on n’ait pas d’indication à ce sujet, il est permis de penser que
l’acheminement des renseignements était relativement aisé, mais il n’exista apparemment pas, dans
un premier temps, de liaison régulière avec les alliés. C’est en 1917 seulement que cette lacune fut
corrigée, lorsque le contact put être établi avec l’Intelligence Service, par le canal de deux officiers
britanniques, le capitaine Henry Landau et le lieutenant Ernest Dalton. Ainsi, le réseau qui, après avoir
porté plusieurs noms devint le réseau Dame Blanche, put-il enfin donner sa pleine mesure, notamment
en ce qui concerne la surveillance des liaisons ferroviaires qui constituait sa mission principale ; une
mission dont l’intérêt stratégique n’échappera à personne. Nous sommes en effet à la fin de 1917,
c’est-à-dire au moment où, ayant vaincu les Russes, les Allemands vont pouvoir concentrer
l’ensemble de leurs forces à l’ouest, en profitant de la présence d’importantes voies ferrées qui, tant
du côté belge que du côté français, facilitaient les mouvements de troupe et de matériel à l’arrière du
front. Des voies qui se révélaient donc de première importance pour les Allemands, tandis que la
connaissance de ce qui y circulait l’était tout autant pour les alliés. Cela concerne évidemment le
réseau belge, mais aussi les voies françaises de la zone occupée. À cet égard, deux lignes, plus
particulièrement, retenaient l’attention ; celle qui, en premier lieu, partant de Douai permettait de venir
aux abords de Reims et, en second lieu - c’est l’élément principal de la suite de ce récit - la liaison qui,
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venant d’Allemagne, allait de Longuyon à Lille, en passant par Charleville, Hirson , Fourmies,
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Avesnes-sur-Helpe, Aulnoye et Valenciennes . S’y ajoutaient d’autres voies, secondaires, qui reliaient
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ces deux axes principaux par les transversales Hirson – Laon, Hirson – Busigny et Aulnoye –
Busigny, et permettaient de soulager les lignes qui convergeaient à Valenciennes.
On comprend donc l’intérêt des alliés pour tous renseignements qui leur parviendraient de
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cette région qui, grosso modo, correspond à la Thiérache . Mais la nature de l’occupation allemande
était ici différente de ce qu’elle était en Belgique, et marquée par l’arrêt de la vie économique, ainsi
que par des conditions de vie très difficiles : grandes privations, et très sévère réduction de la liberté
de circulation ! Sauf attribution d’un laissez-passer, il était en particulier interdit aux habitants de sortir
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de leur lieu de résidence . La participation à une activité clandestine, surtout de renseignement
militaire, ne pouvait s’envisager sans d’énormes risques, en particulier pour les agents de liaison qui,
sauf rares exceptions et quel que soit le temps, ne pouvaient se déplacer qu’à pied. Élément positif, la
région est à la fois forestière et bocagère, les cheminements discrets n’y manquent donc pas. À la fin
de 1916, une tentative destinée à créer un service de renseignement avait eu lieu, avec ce qui fut
l’une, sinon la première des opérations aéroportées, lorsque les Français tentèrent de déposer Marcel
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Valtier, un agent de renseignement originaire de la région , à bord d’un avion piloté par le sous1
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Hitler ne renouvela pas l’erreur en 1940
Considérée comme une plaque tournante.
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Qui appartenait à la liaison qui fut longtemps connue sous le nom de ligne Calais – Bâle, avec prolongement vers l’Italie du Nord à
travers la Suisse, et vers l’Angleterre via les ferries… En temps de paix bien sûr.
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Sur la ligne Paris – Maubeuge, Bruxelles ou Liège, et l’Europe du nord.
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Qui s’étend au contact du massif ardennais, sur l‘extrémité sud-est du département du Nord avec pour villes ou villages principaux, Anor,
Fourmies, Trélon, et une partie de l’Aisne, avec Aubenton et Hirson.
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Il suffisait d’un rien, ne pas saluer un officier, pour se retrouver quinze jours en prison.
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Aubenton.
lieutenant Aubijoux. L’avion, malheureusement, en se posant près de Chimay, ville belge proche de la
frontière, fut détruit. Les deux hommes parvinrent à gagner la France, dans la région d’Hirson, et
commencèrent d’organiser un réseau, mais se firent arrêter. Les Allemands n’ayant pas découvert la
raison exacte de leur présence, ils furent faits prisonniers. C’était un échec, mais les contacts
favorables qu’ils avaient pris facilitèrent ensuite les choses et, à la suite d’une initiative privée qui
n’avait aucun rapport avec le renseignement, le projet put repartir.
Le mérite en revient à Edmond Amiable, un jeune Trélonais de dix-neuf ans, qui se
destinait à la vie religieuse. Las de vivre en territoire occupé, il décida de gagner la Hollande, afin de
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rejoindre nos armées, au sein desquelles avait combattu son frère aîné . Étant parvenu à déjouer la
surveillance, il passa en Belgique et gagna la région de Liège. La frontière belgo-hollandaise,
malheureusement, n’était momentanément pas abordable. Bloqué, il prit contact avec un dominicain,
le Révérend Père Gillet, qui lui-même le présenta à un Liégeois, un certain M. Janssens, qui avait des
accointances avec la Dame Blanche. Il eut ainsi l’occasion, de rencontrer quelques-uns des
responsables de ce réseau. Voyant sa détermination, ceux-ci comprirent qu’une chance d’activer le
réseau d’Hirson s’offrait à eux. Puis, le 14 juillet 1917, la surveillance frontalière étant redevenue plus
souple, un guide conduisit E. Amiable en Hollande. Après s’être présenté au consulat de France de
Rotterdam, il fit connaissance du capitaine Landau. Ce dernier, d’abord réticent, fut frappé par
l’enthousiasme du jeune homme et, considérant le lieu d’où il venait, donna rapidement son accord au
projet d’extension du réseau dans cette région, par son intermédiaire. Se voyant offrir la mission,
Edmond Amiable accepta sans hésiter, en dépit des risques, et reprit le chemin de la France, en
utilisant le dispositif de la Dame blanche, que le capitaine Landau avait jugé le plus sûr. Ainsi, revenu
en Belgique en compagnie du guide qui l’avait accompagné à l’aller, et muni de faux papiers, Edmond
Amiable reprit-il le chemin de Chimay, accompagné cette fois d‘Herman Chauvin, le n° 2 de
l’organisation, qui souhaitait profiter de l’occasion pour aider à la mise en place. Après quelques
détours et péripéties liées à la situation, ils arrivèrent à destination. Là, en présence d’un ami local,
Ghislain Hanotier, diverses dispositions propres à la Belgique furent prises, dont la nomination
d’Anatole Gobeaux à la responsabilité du secteur de Chimay, et l’établissement de trois boîtes à
lettres proches de la frontière, chez des personnes de confiance, à Macon, Momignies et Beauwelz.
Puis, contretemps, le stratagème qui devait permettre le passage de la frontière vers la
France, en se mêlant à un groupe d’ouvriers, dut être abandonné. Il fallut se résoudre à tenter le
passage clandestin, grâce à Henri Moreau, fermier à Baives, autorisé à venir rencontrer un ami à la
frontière une fois par semaine. Le soir même, Edmond et son accompagnateur se présentèrent au
rendez-vous, à l’orée d’un petit bois, où leur guide les prit en charge et leur fit franchir la frontière. Un
peu plus loin, et désormais seuls, nos clandestins attaquèrent les derniers kilomètres, en direction de
Wallers-Trélon quand, après un moment, ils se trouvèrent en présence de deux Allemands. Tentant le
tout pour le tout, ils les saluèrent, comme auraient pu le faire des gens en règle. Cela faillit marcher, et
ils reçurent d’ailleurs une réponse mais, rapidement, le réflexe militaire joua et ils se firent interpeller.
Dès lors, plus d’autre salut que dans la fuite. Ils se séparèrent et décampèrent. Heureusement,
protégés par la végétation environnante, faite de fourrés et de buissons, et par une averse
providentielle ; rampant d’abord, au besoin dans les fossés, puis courant à en perdre haleine, chacun
de son côté, ils échappèrent l’un et l’autre à leurs poursuivants. Ne connaissant pas les lieux, H.
Chauvin reprit le chemin de la Belgique et parvint à rejoindre Macon.
Edmond Amiable, quant à lui, atteignit enfin Trélon au petit matin. Il n’était pas pour autant
à l’abri car, comme il le pensait, sa fuite vers les alliés était connue. Des précautions s’imposaient
donc ; aussi, plutôt que de rejoindre la boulangerie paternelle, se rendit-il chez René Bourguignon, un
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ami sûr . Prévenu, et s’interrogeant à juste titre sur la raison de ce retour, Georges, le père, qui était
déjà impliqué dans un réseau d’évasion, vint rejoindre son fils dès qu’il le put. Informé, il jugea
indispensable d’étudier de plus près la question, notamment en consultant quelques personnes de
confiance, Joseph Lefebvre, doyen de Trélon, et Aimable Falleur, le maire. Impressionné par l’audace
tranquille du jeune homme, ce dernier recommanda de mettre deux autres personnes dans la
confidence : le maire de Fourmies et Félix Latouche, ami d’Edmond et employé aux chemins de fer,
qui pouvait donc se révéler très utile. Une réunion eut lieu, à l’issue de laquelle le maire de Fourmies
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devint le responsable de l’organisation locale , et F. Latouche son adjoint. Le but était de trouver une
maison propice à la surveillance des voies, de noter les renseignements obtenus, puis de les
transmettre avec, en prime pour les détenteurs comme pour les messagers, la certitude d’être fusillé
pour ceux qui se feraient prendre. Notons aussi, parmi les premières recrues, Émile Bourguignon, le
père de René, qui malgré ses cinquante-sept ans devint aussi agent promeneur et, au besoin, agent
de liaison entre Trélon et Baives ; ainsi qu’Oscar Doublet, un autre Trélonais qui était sans doute le
meilleur guide transfrontalier et qui, auparavant, avait exercé ses talents dans le cadre du réseau
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Tombé en février 1915 à Mesnil-les-Hurlus.
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Qui fut d’ailleurs l’une des premières recrues, et devint agent promeneur. Son père Émile, âgé de 57 ans, fut également recruté comme
agent promeneur, et comme agent de liaison.
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Appelée “peloton”, le réseau ayant reçu une organisation militaire, qui dépendait de la compagnie de Chimay, elle-même rattachée au bataillon de Liège ;
avec attribution de grades aux membres, et prestation de serment.
d’évasion. Il avait déjà eu quelques problèmes avec les Allemands et connu la prison ; mais, libéré, il
devint lui aussi agent de liaison, l’un des meilleurs, vers Momignies. Dès ce stade, un réseau local
commença d’exister et de fonctionner ; aussi, après quelques jours, la présence très risquée
d’Edmond Amiable ne se justifiant plus, guidé justement par O. Doublet, il reprit le chemin de la
Belgique, non sans avoir laissé toutes informations utiles à son père. Le passage se fit sans
problème, et il gagna Chimay sans difficulté, où il retrouva ses connaissances, dont son compagnon
d’équipée à Wallers-Trélon. De là, il se rendit à Liège, où il resta quelques semaines, hébergé par
deux responsables locaux, en ayant la joie de voir arriver les premiers comptes rendus de Trélon.
Après quoi, il repassa en Hollande et fut rapatrié en décembre 1917, via Folkestone et Boulogne.
Ayant demandé à devenir pilote sans y parvenir, il termina la guerre sous l’uniforme des Chasseurs à
pied et fut démobilisé en août 1919. Son séjour avait certes été bref, mais le mérite qu’il en tira n’est
pas usurpé, tant sa mission fut féconde. L’aventure, donc, se poursuivit. Le but, dans un premier
temps, était de renseigner les alliés sur le trafic qui circulait sur l’axe Charleville - Valenciennes, ainsi
que sur les troupes de passage ou en stationnement dans le secteur. Le temps passant, et le réseau
se développant, lorsque les membres étaient bien placés, d’autres informations furent naturellement
glanées, notamment en ce qui concerne l’activité d’ateliers installés par les Allemands à Glageon et
Anor, où étaient fabriqués divers matériels destinés au front, notamment des planches, échelles,
éléments de passerelle, destinés aux tranchées, des tonneaux à eau qui suivaient les troupes
allemandes, et même des “boîtes explosives” anti-tank. S’y ajoutait, lorsque les soldats chargés du
transport étaient bavards, la destination de ces matériels. Quant aux “boîtes explosives”, il ne fallut
pas longtemps pour que les ouvriers soient invités à les saboter, autant que faire se pouvait, par
simple humidification de la poudre. Seuls, alors, explosaient les détonateurs.
Pour les postes d’observation, les choses n’étaient pas toujours simples ; la prudence
était de mise, car il fallait faire en sorte de ne susciter aucune curiosité, y compris celle des voisins,
particulièrement lorsqu’en été les journées sont longues et que les visiteurs du soir ne repartent que le
lendemain matin, et plus encore lorsque l’occupant rodait aux alentours, ou qu’un officier allemand
venait à se loger dans la pièce voisine du poste d’observation, comme ce fut parfois le cas. En outre,
les personnes contactées n’étaient pas toujours prêtes à répondre oui, de même que des défections
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se produisirent parfois, telle celle du maire de Fourmies , qui rapidement quitta l’organisation. C’est
alors Georges Amiable qui prit les rênes en main, tandis que Félix Latouche faisait une nouvelle
recrue en la personne de son épouse, Hélène Enaux. Avec l’accord – courageux – du papa, nos deux
agents reçurent alors le renfort des deux jeunes sœurs d’Hélène (Marcelle et Adrienne, douze et
treize ans !), puis de Victor, le frère, et finalement de Xavier, le papa lui-même. Ils se répartirent les
tâches, les plus jeunes assurant l’observation diurne, et les plus âgés le service de nuit, tandis que les
hommes participaient aussi aux liaisons. Au sein de ce qui constituait le noyau initial du réseau, ce fut
un cas remarquable de participation familiale ; ce ne fut pas le seul.
Les choses se mettant en place, il devint rapidement évident que des renforts devenaient
indispensables. D’autres volontaires furent alors trouvés, qui assurèrent à leur tour une part du
service. Puis la maison de Félix Latouche ayant été réquisitionnée, il fallut trouver un nouvel
observatoire. Intéressante contrepartie, la maîtresse de maison parvint à capter la confiance de
l’ordonnance d’un officier dont les papiers se révélèrent à l’occasion une utile source de
renseignements. Et d’autres volontaires vinrent encore, dont une infirmière trélonnaise, Jeanne
Mesnier, qui accepta de passer une partie de ses nuits à rédiger des rapports ; un jeune homme qui,
cherchant à passer en Hollande, se retrouva en Allemagne, fut jugé, interné, puis rapatrié après avoir
purgé sa peine, et devint finalement agent promeneur ; une religieuse, qui assurait les fonctions
d’infirmière au sein du lazaret civil local, à qui il arrivait de soigner des officiers prisonniers et blessés,
dont parfois elle recevait des renseignements importants. Après un temps, l’affaire étant
bien lancée, la “direction” demanda d’étendre la zone de surveillance terrestre jusqu’à Landrecies, à
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une trentaine de kilomètres de là , puis de créer un second poste à Fourmies et un autre à Hirson.
Malgré la crainte que suscitait la nécessité d’avoir à mettre tant de gens dans la confidence, il fallut
évidemment trouver de nouvelles bonnes volontés, dont celle de Fernand Pêcheux, un Fourmisien
qui, ayant un poste à la gare en tant qu’employé de la Commission for relief in Belgium13, se trouvait
informé de tout ce qui s’y passait.
Pour le poste d’Hirson, Félix Latouche fut chargé de s’occuper de la chose. Après de
réelles difficultés, il parvint enfin à se rendre dans cette ville pour y contacter un homme de toute
confiance, le doyen du lieu. Malheureusement, la sévérité et la méfiance des responsables allemands
empêchèrent toute nouvelle visite, et les contacts ne pouvaient être assurés qu’au prix de grandes
difficultés. Puis la chance fut au rendez-vous, grâce à deux ouvriers qui, las des mauvais traitements
de l’occupant, voulurent gagner la Hollande. Passés en Belgique, ils y rencontrèrent Anatole Gobeaux
qui parvint à convaincre l’un des deux, Alfred Génot, habitant de Saint-Michel, d’entrer dans le réseau.
C’était une bonne recrue qui commença par fournir les plans des dépôts environnants et les
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Peut-être plus surveillé que d’autres ?
Sur la ligne “Paris-Bruxelles “ d’avant le TGV, en direction de Saint-Quentin.
Fondation hispano-américaine qui venait en aide aux populations.
informations sur les marchandises qui transitaient par Hirson. Après quoi, il créa un poste de
surveillance des voies, tout en acheminant souvent luimême les messages vers Macquenoise. Dans
un secteur très surveillé et dangereux. Il lui arriva plusieurs fois d’entendre les balles siffler et une fois
il fut même arrêté. Par chance il avait eu le temps d’avaler ses plis. Manquant d’aide et débordé par la
tâche, au bord du découragement, il envisagea d’abandonner. A. Gobeaux, le responsable de la
Compagnie de Chimay, jugea devoir le rencontrer. Guidé par Arthur Delchambre, un courrier de
Macquenoise, il se rendit chez lui, à Saint-Michel, et parvint à lui remonter le moral. Notons en
passant que, la nuit suivante, le retour d’A. Gobeaux faillit mal se terminer. En effet, son guide et luimême rencontrèrent une patrouille. Serrés de près, et sentant que cette fois le risque était extrême, ils
se cachèrent et, de gibier, décidérent de devenir chasseurs. Parvenant à surprendre leurs
poursuivants, ils les attaquèrent et réussirent à les assommer. Mais cela ne fut pas simple et dans
l’échauffourée A. Gobeaux fut sérieusement mordu au pouce. Sa blessure le rendant aisément
identifiable, il n’eut d’autre ressource que d’éviter de se montrer jusqu’à sa guérison. La vie de ces
clandestins était donc tout, sauf une sinécure. Quoi qu’il en soit, Alfred Génot, requinqué, poursuivit sa
mission, aidé désormais par son épouse, qui était dans la confidence. Un calme relatif revint, et A.
Génot eut aussi le bonheur de recruter un ami qui accepta de devenir agent de liaison, ainsi que
quelques personnes de Buire, cité proche d’Hirson qui, en dépit des risques - un Allemand logé dans
la maison voisine - créèrent un nouveau poste d’observation ferroviaire. Les choses devinrent alors
plus faciles.
Bien entendu, l’organisation du service du courrier était d’une importance capitale. À cet
égard, le commerce de Georges Amiable facilitait les contacts, mais la Feldgendarmerie, la prévôté
allemande, s’était installée en face. Pour éviter d’attirer l’attention d’un aussi fâcheux voisinage, il avait
fallu installer une boîte à lettres ailleurs, et c’est son épouse, Louise de Thier, qui avait été chargée
d’organiser les rendez-vous chez Fernand Grésillon, un habitant de Glageon. Là parvenaient les
messages des différents secteurs. Mme Grésillon, née Valentine Lefèvre, une famille dont
l’implication, nous le verrons plus tard, fut également très grande, fut mise à contribution. Sa
profession de sage-femme facilitait les déplacements ; c’est elle qui acheminait les messages à
Trélon. Les femmes jouent d’ailleurs un rôle important en ce domaine, Estelle Meunier, dont nous
reparlerons, en particulier, y venait régulièrement depuis Avesnes (16 kilomètres à parcourir par trajet
aller plus retour), en passant au besoin les points dangereux, grâce au panier qu’elle emportait avec
elle. Ce panier, alors, se transformait en alibi, en devenant réceptacle à pissenlits. Au cours de ses
voyages, elle eut à plusieurs reprises l’occasion de faire preuve de sang-froid, voire de culot, à
l’occasion de contrôles imprévus. Les choses allaient donc bon train, mais il y eut une période difficile,
lorsque tout à coup la surveillance devint plus sévère que jamais : une sentinelle tous les cinquante
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mètres !... Guillaume II venait de s’installer à Trélon, au château de la famille de Mérode . Même
Oscar Doublet, le plus efficace des courriers, ne passait plus.
Les liaisons devinrent alors des plus difficiles, et ce sont des femmes encore, dont
Églantine, la soeur de Valentine Lefèvre - elle-même privée de son laissez-passer – qui aidèrent à
tourner la difficulté. Habitant une ferme à la limite des deux communes et jouant la naïveté, fort bien,
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ou même dans certains cas simulant un rendez-vous amoureux avec un complice du groupe,
disposant si nécessaire du voisinage du papa occupé à “faire son bois”, au cas où il aurait fallu faire
diversion, elle assura le service sans faillir. Lorsque cela ne passait pas de jour, elle attendait la nuit.
Puis le Kaiser quitta Trélon et un calme relatif revint. Pour compléter l’équipe, René Bourguignon et
André Surdeau reprirent les fonctions de courrier. Puis ce fut Émile Bourguignon, le père, qui malgré
son âge se joignit à eux. Sous prétexte de réparation de pompes, il était parvenu à se faire délivrer un
laissez-passer permanent vers Baives et autres lieux environnants, et transportait les plis dans des
outils trafiqués. Il fit passer de nombreux messages en Belgique. Là-dessus, la liaison HirsonMacquenoise devint extrêmement dangereuse, tant les contrôles y étaient sévères. Il fallut trouver le
moyen de dérouter le courrier d’Hirson vers Fourmies, et Georges Amiable, conscient du risque accru,
décida alors de doubler les équipes de liaison, en faisant précéder le porteur des plis par un éclaireur.
Puis, deux agents furent mis en danger. L’un, Victor Enaux, était menacé par la curiosité
d’une tenancière d’estaminet un peu trop bavarde et l’autre, Oscar Doublet, par les soupçons des
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Allemands eux-mêmes. Le premier fut mis au repos, tandis que le second était invité à gagner la
Hollande, ce qu’il fit sans tarder, le 10 mai 1918. La liaison entre Hirson et Fourmies était alors
devenue difficile, une situation d’autant plus fâcheuse que le trafic ferroviaire, sans doute en
préparation de l’offensive de la fin mai, était en cette période en forte augmentation. Il fallut tenter de
renouer le contact. Fernand Pêcheux, assez bien vu de la Kommandantur, obtint un laissez-passer
entre Fourmies et Hirson pour une Fourmisienne. Échec ! C’est alors que par le canal d’un prêtre,
l’abbé Mollet, de Fourmies, les responsables furent mis en contact avec plusieurs personnes, dont
deux qui étaient employés à la carrière d’Anor et qui devinrent de très utiles agents de liaison. La
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) Dans le château probablement, mais peut-être aussi dans son train spécial, pour lequel une dérivation avait été installée dans le parc.
Notons que le propriétaire, interprète auprès d’un QG allié, fournit lui-même toutes indications utiles pour la préparation d’un
bombardement aérien qui y fit de sérieux dégâts mais, malheureusement, sans atteindre son objectif principal.
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Elle s’offrit un jour le luxe d’aller demander à un officier l’autorisation de parler à son fiancé…
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Après une perquisition infructueuse, Aimable Falleur pressentit un sérieux risque d’arrestation et, par prudence, conseilla le départ.
carrière étant proche de la forêt, à tour de rôle et régulièrement, ils attendaient la fin de l’appel du
matin pour prendre le chemin d’Hirson à travers bois. Sauf la première fois où ils firent le chemin
ensemble, car l’un des deux n’était pas familier des lieux. Il profita de l’occasion pour jouer au Petit
Poucet. Mais grâce à eux, le contact fut renoué et, le maillage s’étant encore élargi, aux
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renseignements d’Hirson vinrent s’ajouter ceux de Buire et Origny-en-Thiérache . Notons, dans ce
secteur, la prouesse d’un père et de son fils, MM. Henri Mouchart, qui, pendant plusieurs mois, se
partagèrent la surveillance nocturne du trafic ferroviaire, à l’extérieur, à raison de trois nuits par
semaine chacun, la septième étant assurée par une femme. À souligner aussi de nombreux
renseignements fournis par un nouvel agent promeneur, Léonce Dubuis, sur les troupes en
mouvement, les dépôts de munitions, les terrains d’aviation et batteries antiaériennes de ce secteur.
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La position du QG de la 7 armée allemande ayant été fournie, la maison où résidait le général Von
Boehn fut manquée de peu par un bombardement aérien.
À la mi-juillet, les Allemands firent une nouvelle tentative en Champagne, Der
Friedensturm18, afin de briser enfin la résistance alliée. Nouvel échec, ce qui nous conduit au mois
d’août. Les alliés ont maintenant l’avantage, ils vont prendre l’offensive. Quant à l’Allemagne, elle
commence à subir les effets de cette guerre impitoyable ; la situation sociale s’y dégrade. L’espoir
change enfin de camp. Les occupants ne sont pas pour autant devenus accommodants et la mission
de la Dame blanche, qui se poursuit, demeure périlleuse. C’est alors qu’un nouveau besoin est
exprimé, créer un poste à Aulnoye. Estelle Meunier, une Avesnoise à qui Georges Amiable avait déjà
eu affaire dans le cadre de son réseau d’évasion, fut contactée. Elle accepta sans hésiter et amena
avec elle Jules Magnies, un ancien candidat à l’évasion à qui une première mission fut confiée :
organiser un poste d’observation en cet important noeud ferroviaire. Après quelques difficultés, notre
homme obtint la participation d’un aiguilleur aulnésien, lorsque, tout à coup, les Allemands modifièrent
leur dispositif local et rendirent impossible l’exploitation du site choisi. Il fallut se rabattre sur Avesnes.
À nouveau, des volontaires furent recrutés pour assurer la surveillance ferroviaire, mais aussi celle
des routes du secteur sud-ouest d’Avesnes. Là aussi, les moments éprouvants ne manquaient pas,
notamment lorsque trois officiers allemands en mal de logement débarquèrent un jour à l’improviste,
alors que J. Magnies procédait à l’examen des rapports qui lui avaient été transmis !... Puis ce fut un
nouveau candidat à l’évasion, Gaston Hanuche, qui fut recruté. N’ayant pas éprouvé le besoin de dire
qu’il comprenait l’allemand, parvenu à gagner la confiance des occupants qui l’employaient pour
divers travaux d’entretien, ce fut une recrue de choix. Sa position était idéale pour glaner des
informations, dont l’une fut précieuse, consécutive à la visite d’un agent allemand qui fut introduit sans
attendre chez le maréchal. Der Kerl aus Paris19, avaient dit les plantons… L’information permit de
démanteler un réseau de renseignement ennemi. Oubliant son désir de partir, il devint non seulement
un informateur privilégié, mais aussi un agent promeneur très efficace.
Avec les jours qui s’allongeaient, il devint indispensable d’éviter plus encore les allées et
venues, ainsi que les contacts directs. Les astuces ne manquèrent pas, dont l’attribution d’une
mission supplémentaire, boîte à lettres, à un calvaire de Buire. Un problème identique se posait à
Fourmies et, là, c’est le commissaire de police, Jean Negroni, ancien militaire et agent promeneur, qui
s’employa à tempérer la curiosité de certains importuns. Avec l’été, désormais arrivé, le trafic
ferroviaire s’intensifia à nouveau, de même que les mouvements de troupe sur les routes. Un nouvel
effort fut alors demandé : la création d’un poste d’observation entre Charleville et Hirson. Après
quelques difficultés, une première tentative à Hannapes, ce fut chose faite à Aubenton, à plus de
quinze kilomètres d’Hirson. Les Allemands étaient évidemment toujours aussi peu tolérants, et un
courrier échappa de peu au feu d’une patrouille. Presque simultanément, arriva une demande pour le
poste d’Avesnes : étendre la surveillance territoriale à tout le secteur défini par Avesnes, Landrecies
et La Capelle. Puis, à la fin août, d’autres tâches furent encore demandées. Il s’agissait, en premier
lieu, de créer un poste de surveillance territoriale à La Capelle, ce qui ne fut pas aisé à mettre en
oeuvre. Mais finalement les nécessaires bonnes volontés furent une fois encore trouvées, grâce en
particulier à Jean Cayasse, un jeune homme employé comme interprète par la Kommandantur, qui
obtint en fraude des laissez-asser pour les villages environnants. Quant à l’autre demande, elle
concernait l’installation d’un poste d’observation ferroviaire sur la ligne Hirson-Busigny. Ici, les
premières recherches furent aussi un peu laborieuses, mais finalement de nouvelles bonnes volontés
furent trouvées. Un poste supplémentaire fut donc créé, et commença de fonctionner à NeuveMaison, village proche d’Hirson. Sur ces entrefaites, un informateur se fit connaître, qui fournit
d’intéressants renseignements au sujet de l’arrivée de Von Molkte dans la région, ainsi que sur
l’activité d’un parc à ballons et d’un autre terrain d’aviation proche de là. Pour la plus grande
satisfaction d’Alfred Génot, responsable local, qui fut ainsi récompensé de ses efforts, aussi bien que
des heures difficiles qu’il avait vécues.
Le temps passant, octobre arriva et avec lui les premières vraies bonnes nouvelles depuis
longtemps. Elles vinrent par un prêtre, que les Allemands, avec beaucoup d’autres habitants, avait
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Sur la ligne Hirson-Laon.
L’Attaque de la paix !
Der Kerl aus Paris… : Le gars de Paris.
chassé des régions picardes proches du front. Il bavardait parfois avec des aumôniers allemands,
dont un d’origine alsacienne, qui n’hésitait pas à se confier : l’armée allemande donnait des signes de
fatigue, des désertions se produisaient, et la situation sociale était devenue mauvaise en Allemagne.
D’ailleurs, les mouvements de troupe se faisaient désormais surtout vers l’arrière, mais en bon ordre
malgré tout, et sans que la vigilance ennemie soit pour autant réduite. Malheureusement, le repli était
aussi accompagné de réquisitions nombreuses, qui touchaient les hommes que l’âge et la condition
physique rendaient corvéables, pour aider au retour vers l’Est. Pour y échapper, la plupart des agents
masculins du peloton se cachèrent ou passèrent en Belgique, où certains, d’ailleurs, poursuivirent leur
activité, tandis que les femmes assuraient au mieux la mission, aidées par de nouvelles recrues, dont
deux institutrices avesnoises, Mlles Vaas et Vandercruyssen, qui furent sans doute les dernières
engagées.
Pendant quatorze mois, les membres du réseau avaient pris des risques énormes ;
pourtant la fin des hostilités arriva sans qu’aucun ne fût pris. Il n’y en eut pas moins un prix à payer.
En effet, avec octobre arriva aussi la maladie, dysenterie, puis grippe espagnole qui touchèrent
plusieurs agents. Églantine Lefebvre, agent modèle, le fut. Bien que déjà atteinte par la grippe, elle
voulut accomplir sa mission comme à l’accoutumée. Refusant l’aide de son père qui voulait prendre
sa place, elle alla une fois encore chercher le courrier à Fourmies. “Le devoir avant tout, il faut que j’y
aille”, avait-elle dit. Parvenue à destination, elle fut prise de syncope. Une heure ou deux plus tard,
plus ou moins remise, elle décida de rentrer. Inquiet, son père était allé au-devant d’elle. Il la trouva
sans connaissance sur le chemin, et la ramena à la maison. On la coucha, elle ne se releva pas. Son
père la remplaça.
Puis ce fut le 11 novembre et, à quelques kilomètres de là, à Haudroy, près de La
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Capelle, lorsque sonnèrent onze heures, le caporal Sellier lança les premières notes du cessez-lefeu. Le cauchemar s’achevait, mais il laissait derrière lui bien des traces et souvenirs douloureux.
Trois semaines plus tard, le 1er décembre 1918, le peloton de Trélon-Hirson de la Dame blanche fut
dissous, et ceux qui l’avaient servi reprirent leur vie d’autrefois, modestement, dans une totale
discrétion. Pourtant, les renseignements fournis par la compagnie de Chimay, à laquelle était rattaché
leur peloton, avaient permis aux Anglais de se préparer à l’offensive du 21 mars en Picardie, aux
Français de se préparer à celle du 27 mai, contre leur 6e armée, au Chemin des Dames, et à la
coalition alliée de connaître les préparatifs du Friedensturm du 15 juillet, dès la fin juin. Les services
rendus méritaient d’être reconnus. Ils le furent, et le 31 mars 1919, le Maréchal Haig, recevant les
principaux responsables de la Dame Blanche leur déclara : “J’avais tous les matins sous les yeux le
résumé de vos observations… Vous avez pris une part active à la grande bataille de 1918 qui amena
la défaite des Allemands. Vous avez fourni 75% de l’ensemble des renseignements obtenus par
toutes les armées alliées.” Les agents furent tous cités à l’ordre du jour de l’armée britannique, et
reçurent la War Medal, l’équivalent de notre Croix de guerre.
J. Martine LM-LF (49-57)
Nota : En raison du format de cet article, il n’était pas possible de citer tous les noms. Ont également participé, à
l’un ou l’autre des titres de guetteur, courrier ou promeneur – informateur, et pour certains plusieurs : Émile
Speldooren, guetteur ; Joséphine Deladerrière, soeur Marie de l’incarnation, informatrice ; Louis Duhem,
instituteur, promeneur ; Maurice Mayet, curé d’Ohain, promeneur ; Héléne Marlière, servante de la famille
Amiable, liaisons locales ; Fernand Grésillon, promeneur ; Suzanne Huriez, épouse de A. Génot ; Suzanne
Gaudfrin, guetteuse ; Berthe Mouchart, guetteuse et courrier ; Vital Frison, courrier ; Alphonse Champion,
courrier ; Léonce Dubuid, promeneur ; Paul et Marie Levieux, guetteurs ; Kléber Charpentier, informateur des
ateliers d’Anor ; Émile Bourdaud’hui, Lucien Gilliard, Ovide Devin, et Paul Maillard, guetteurs ; Paul Réal,
promeneur ; Georges Devillier, courrier.
Source : Monographie Le peloton d’élite de Trélon-Hirson ; Un service de renseignement en Thiérache
Avesnois, réalisée par M. et Mme Thierry Nonnet, d’après :
- Les archives générales de Belgique, services patriotiques, fonds 207 à 225 ;
- Secrets of the White Lady du capitaine Henry Landau, Putnam, 1935 ;
- L’intelligence Service en Belgique de Jean Bardanne, éd. Baudinière, 1933.
- Un géant dans la résistance, Walthère Dewé d’Henri Bernard, 1971, La renaissance du livre.
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Un monument commémore l’évènement, sur le bord de la D 285.

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