Revue des livres Laurent Bazin, Bernard Hours, Monique

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Revue des livres Laurent Bazin, Bernard Hours,
Monique Sélim, L’Ouzbékistan à l’ère de l’identité
nationale. Travail, science, ONG, Paris,
L’Harmattan, coll. : « Anthropologie critique »,
dirigée par Gérard Althabe et Monique Sélim, 2009,
368 p.
Patrick Pillon
Revue d’études comparatives Est-Ouest / Volume 41 / Issue 01 / March 2010, pp 198 - 200
DOI: 10.4074/S0338059910001117, Published online: 14 May 2010
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Patrick Pillon (2010). Revue d’études comparatives Est-Ouest, 41, pp 198-200
doi:10.4074/S0338059910001117
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interne et externe pourraient utilement éclairer la stabilité de la relation
de pouvoir décrite ici. Cette remarque, toutefois, n’entache en rien l’intérêt
de ce livre et le plaisir que sa lecture procure.
Caroline Dufy
PRAG
Docteur en sociologie
Institut d’études politiques de Bordeaux
Laurent Bazin, Bernard Hours, Monique Sélim, L’Ouzbékistan à l’ère
de l’identité nationale. Travail, science, ONG, Paris, L’Harmattan, coll. :
« Anthropologie critique », dirigée par Gérard Althabe et Monique Sélim,
2009, 368 p.
La lecture de cet ouvrage d’anthropologie marque par les spécificités
des approches et des situations de recherche qui y sont à l’œuvre. D’abord,
celle, historique et de contenu, que représente un objet qui renvoie à la
mise en place de l’une des nations, l’Ouzbékistan, issues de l’éclatement de
l’URSS. Ensuite, celle d’une autre occurrence historicisée qui est faite tout
à la fois de l’hégémonie mondiale néolibérale, d’une mondialisation désormais en vitesse de croisière et de la suprématie des États-Unis d’Amérique
et du capitalisme dans les enjeux entre l’Est et l’Ouest. Des circonstances
qui interfèrent avec la construction du cadre national, notamment par le
recours aux Organisations non gouvernementales (ou ONG). Pour être
l’un de ces pays qui sont dits à « économie de transition » du fait de leur
ancrage antérieur dans une économie socialiste, ladite transition apparaît,
pour l’Ouzbékistan, avant tout incertaine. Le contexte politique ne semble
pas non plus y favoriser la conduite de recherches anthropologiques par
des Occidentaux car elles sont un vecteur de risques pour les enquêtés ;
elles le sont également pour les chercheurs mais avec des conséquences
moindres.
Les spécificités de l’ouvrage tiennent ensuite au choix, dans le contexte
d’une recomposition de l’anthropologie – de ses objets et de ses sociétés
d’analyse – par le passage des formations sociales « primitives » et « archaïques » aux formations sociales « modernes ». Cet intérêt pour les objets de
recherche nouveaux est celui de la collection « Anthropologie critique »
comme le souligne le sous-titre du livre : Travail, science, ONG.
Les spécificités de l’ouvrage tiennent enfin, et surtout, à la méthodologie
retenue : un terrain couvert, dans un même mouvement, par trois chercheurs qui ont des entrées de recherche propres et ancrent leur démarche
dans une rupture avec plusieurs des présupposés de l’anthropologie : terVOLUME 41, mars 2010
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rain de vie et apprentissage d’une langue vernaculaire. D’où la nécessité
du recours à l’interprète et de l’établissement d’un rapport de fiabilité partagée dont témoigne le travail de Laurent Bazin. La méthodologie repose
sur le choix d’entrées dissociables qu’unifie une même problématique :
celle des particularités de la construction d’un État et d’une société qui
procèdent des stratégies et des objectifs des catégories sociales au pouvoir. Elle prend place dans un contexte de sortie du système soviétique et
d’inscription dans la globalisation, dont l’un des chercheurs nous montre
qu’il ouvre la société aux tentatives d’intervention politique extérieures.
Derrière le cas de l’Ouzbékistan, se retrouvent des interrogations sur le
contrôle de la société par le pouvoir et sur la nécessité de la constitution
« d’une identité nationale », une nécessité faite de double langage et d’imposition de sens qui, pour être plus visibles ici que dans les sociétés démocratiques, leur sont vraisemblablement communs.
À prendre à rebours la logique analytique de cette recherche à six mains,
la partie III, qui est celle de Bernard Hours sur « Les ONG immobilisées »,
décrit les tentatives qui peuvent avoir lieu dans le cadre de la mondialisation à des fins de contrôle des sociétés récemment sorties du communisme.
Toujours est-il que ces tentatives extérieures sont l’un des éléments des
enjeux qui s’articulent autour du contrôle, par les dominants ouzbeks, du
corps social, du pouvoir et des ressources du pays sur fond d’inégalités,
d’exclusions et de mouvement intégriste islamiste. Le cas de l’Ouzbékistan
indépendant, appréhendé dans le contexte de la mondialisation, livre ainsi
de nouveaux exemples d’appropriation privée de biens collectifs accompagnée d’une redistribution au sein de réseaux, notamment familiaux, et
d’une course généralisée aux financements en provenance des institutions
globalisées. Une promotion de la captation monétaire que l’on constate
ordinairement dans des pays dits « en voie de développement » mais qui
découle ici d’appuis à la formation d’une opposition politique interne.
Les parties I et II de Laurent Bazin et de Monique Sélim traitent respectivement des « Paysans et [des] ouvriers » et des « Chercheurs en déshérence ». Elles abordent les enjeux politiques et sociaux nationaux d’une
autre manière, au travers des catégories des paysans, des ouvriers et des
chercheurs qui, pour les deux premières, sont constitutives d’une majorité
du corps social et qui, pour la troisième, fournit une médiation au propos
de Bernard Hours (les ONG en tant que lieu de recyclage des universitaires et des chercheurs et que lieu de contrôle de l’accès aux financements
venus de l’extérieur).
Ceux que cet ouvrage intéressera y trouveront la situation d’un pouvoir
d’État qui engendre l’omniprésence de la peur. Ils y trouveront aussi une
énième construction identitaire nationale légitimatrice de celui-ci mais,
cette fois, dans le contexte historique d’un ancrage qui, jusqu’au tour-
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nant des années 1990, était celui d’une société soviétique qui brassait les
« nationalités » (ou les « ethnies ») et valorisait « l’internationalisme ». Un
internationalisme dans lequel étaient socialisées ses composantes catégorielles majeures – ouvriers des usines de pointe, travailleurs migrants
et intellectuels universitaires et scientifiques –, auquel succède un accent
identitaire nationaliste devenu le fossoyeur des espérances professionnelles (et sociales) de qui n’est pas ouzbek : les mariages interethniques et
l’usage de la langue russe sont désormais pénalisants et la composition
ethnique du pays se simplifie. L’effondrement de l’économie et la pauvreté
qui en dérivent font que la période soviétique est regrettée et que les attaques étatiques contre « le colonialisme russe » sont considérées comme
autant d’impostures.
Les lecteurs intéressés par les questions de pauvreté et de travail prendront connaissance d’une spécification de l’appauvrissement lorsqu’il est
organisé par des méthodes et des moyens de spoliation hérités des anciennes sociétés socialistes. En l’occurrence, à l’encontre des paysans ou des
ouvriers, qui sont souvent un, et en recourant au carnet de travail qui
perpétue l’interdiction de se déplacer sans autorisation. Une contrainte
frayant la voie aux spoliations les plus diverses et qui doit être contournée
dans l’illégalité par des ruraux à la recherche de compléments salariaux
urbains. Car là se tient, avec la nécessité sociale du mariage et de son financement, le nœud central des bouleversements conjoints du corps politique
et du corps social que l’indépendance a mis à l’ordre du jour : la constitution d’une identité ouzbèqe hypostasiée qui débouche sur des contraintes
renforcées de l’État sur le corps social. Celles-ci induisent, en aval, des rapports de violence physique et de domination d’un sexe sur l’autre, « faisant
des femmes une proie asservie, écrasée, interdite de travail extérieur et de
sortie ». Du bas en haut de la société ouzbèqe (des paysans et des ouvriers
aux chercheurs), le mariage redevient la grande affaire et la principale
source de dépenses. Le contrôle sur la femme et sur sa nuptialité – un classique des sociétés de l’anthropologie avec, en Ouzbékistan, conjoint imposé et enfermement virilocal de plusieurs années sous l’autorité de la mère
de l’époux – y apparaît alors comme le moyen premier de tout contrôle
du social. Comme le remarque Monique Sélim à la page 233, « ici comme
ailleurs », les femmes cristallisent la « pathologie sociale et politique ».
Patrick Pillon
Institut de recherche pour le dévelopement
VOLUME 41, mars 2010