quel traitement pour les néphropathies lupiques en 2008
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F. FAKHO URI ET Ph. LESAVRE QUEL TRAITEMENT POUR LES NÉPHROPATHIES LUPIQUES EN 2008 ? par F. FAKHOURI et Ph. LESAVRE* L’atteinte rénale est une complication fréquente (30 à 50 p. 100 des patients) du lupus érythémateux systémique (LES). L’existence d’une néphropathie modifie également la survie des patients lupiques. Ainsi, la survie des patients passe de 82 p. 100 à 20 ans en l’absence de manifestation rénale à 61 p. 100 en cas de néphropathie lupique [1, 2]. Néanmoins la survie globale des néphropathies lupiques, notamment les plus sévères (classe IV), s’est également améliorée durant les trente dernières années puisque la survie des patients lupiques atteints de classe IV était dans les années 1970 de 55 p. 100 versus 82 p. 100 dans les années 1990. La classification des différents types de néphropathie lupique a été revue en 2002 [3, 4]. Cette nouvelle classification est plus cohérente avec notamment une reformulation de la classe I (anciennement « glomérules optiquement normaux ») et la distinction au sein des classes III et IV de deux sous-types : actif et chronique (présence de lésions fibreuses sans signe d’activité). Une classe III et IV n’est plus automatiquement synonyme de traitement puisqu’il peut s’agir de lésions cicatricielles. Les types de néphropathie lupique qui posent de vrais problèmes thérapeutiques sont les classes III, IV et V. DE L’INTÉRÊT D’OBTENIR UNE RÉMISSION DE LA NÉPHROPATHIE LUPIQUE Le but du traitement d’une néphropathie lupique est l’induction d’une rémission à court et à long terme, tout en limitant au maximum les effets secondaires. * Service de Néphrologie, Hôpital Necker, Paris. FLAMMARION MÉDECINE-SCIENCES — ACTUALITÉS NÉPHROLOGIQUES 2008 (www.medecine.flammarion.com) TRAITEMEN TS DES NÉPHROPATHIES LUPIQUES 218 F. FAKHOURI ET PH. LESAVRE Le taux de rémission de la néphropathie lupique varie de 30 à 81 p. 100. Cette grande disparité du taux de rémission est liée essentiellement à la variabilité dans la définition de cette rémission [5, 6], mais également à la variabilité des caractéristiques et de la sévérité des patients inclus dans les différentes études. L’importance d’une rémission de la néphropathie lupique, quelle qu’en soit la définition, est néanmoins soulignée par plusieurs études. Ainsi Korbet et al. montrent clairement que la survie du patient et la survie rénale à 5 et 10 ans sont corrélées à l’obtention d’une rémission de la néphropathie [7]. Dans cette étude, la survie du patient ainsi que la survie rénale à 10 ans passe respectivement de 95 p. 100 et 94 p. 100 en cas de rémission de la néphropathie lupique contre à 60 p. 100 pour la survie globale et uniquement 31 p. 100 pour la survie rénale en l’absence de rémission. L’intérêt d’une rémission est également souligné par les résultats de l’étude « Eurolupus trial », qui démontre qu’une rémission de la néphropathie à six mois (définie par une baisse de la créatininémie et de la protéinurie en dessous d’un gramme par 24 heures) était l’un des meilleurs éléments prédictifs de l’évolution à long terme de la maladie rénale [8]. Le but du traitement étant fixé, reste à savoir avec quel traitement et au prix de quels effets secondaires obtenir une rémission de la néphropathie lupique ? DE LA DIFFICULTÉ DE DÉFINIR UN TRAITEMENT D’INDUCTION Corticothérapie La base du traitement des formes prolifératives diffuses reste la corticothérapie. Cette corticothérapie est classiquement débutée par voie IV sous forme de trois bolus de méthylprednisolone relayés par une corticothérapie orale. Néanmoins la dose initiale de la corticothérapie et la vitesse de décroissance restent un des domaines les moins explorés du traitement de la néphropathie lupique. En effet certaines études ne comportent même pas la mention de la dose de corticothérapie initiale. De plus, la décroissance de la corticothérapie peut être très variable d’une étude à l’autre et selon l’habitude des cliniciens (fig. 1). L’impression globale est néanmoins que la corticothérapie est probablement excessive chez les patients atteints de néphropathie lupique. L’émergence des complications cardiovasculaires comme cause de morbidité et de mortalité importante incite vivement à une épargne cortisonique. Quel traitement donc peut-on utiliser pour obtenir une épargne cortisonique tout en maintenant une rémission à long terme de la néphropathie lupique ? Cyclophosphamide (CYC) Le traitement classiquement utilisé dans des formes sévères de la néphropathie lupique reste le cyclophosphamide (CYC). Le schéma initial du CYC proposé par le NIH dans les années 1980 et le début des années 1990 est de moins en moins utilisé. Ce schéma comportait une perfusion de CYC par mois, tous les 219 TRAITEMENTS DES NÉPHROPATHIES LUPIQUES méthylprednisolone IV 60 prednisone (mg/j) Historique 50 40 30 22,5 mg/j 20 MAINTAIN EULAR 2 mois 3 mois 10 Forte dose 6 mois 0 0 10 20 30 40 50 Semaines FIG. 1. — Posologie de la corticothérapie. Les doses de corticostéroïdes utilisées dans le lupus sont mal codifiées. Les deux courbes supérieures (en pointillé) représentent les doses utilisées dans les années 1970. Les trois courbes inférieures correspondent respectivement aux doses de protocole MAINTAIN (dans ce protocole, les deux posologies initiales sont laissées à l’appréciation du clinicien en fonction de la gravité), aux doses du protocole EULAR et aux fortes doses utilisées dans les années 1980-1990. Enfin, la droite horizontale pointillée indique la dose de 22,5 mg/j. La date où cette posologie est atteinte (2,3 ou 6 mois) est un bon repère pour comparer les différentes posologies. 6 mois, avec dans les formes sévères la proposition d’un traitement d’entretien par une perfusion de CYC tous les 3 mois pour une durée totale de 2 ans. Ce schéma thérapeutique a montré son efficacité dans les néphropathies lupiques sévères avec un gain en terme de fonction rénale à long terme. La méta-analyse de Flanc et al. [9] a confirmé que l’addition de CYC au traitement corticoïde apporte un avantage sur la protection rénale appréciée sur le doublement de la créatinine sérique. Cependant, cette méta-analyse n’a pas montré d’avantage du CYC lorsqu’on évalue la fréquence de l’insuffisance rénale ou la mortalité globale [9]. Il est à noter que, dans les études du NIH, l’évolution de la fonction rénale à un an est identique dans les groupes CYC comparés aux groupes corticothérapie seule. Il faut donc tenir compte, dans l’interprétation des résultats des différentes études, du fait que le devenir de la fonction rénale à un an dépend essentiellement de la corticothérapie. L’utilisation prolongée du CYC a été associée néanmoins dans ces différentes études à un taux significatif d’effets secondaires, notamment d’aménorrhées et d’infections. Le CYC entraîne également une augmentation de la mortalité par rapport à un traitement par corticoïde seul ou corticoïde associé à l’azathioprine. Ceci a poussé certains auteurs à trouver une alternative au traitement long par le CYC. 220 F. FAKHOURI ET PH. LESAVRE UNE INNOVATION : L’EURO-LUPUS TRIAL L’utilisation du CYC a été radicalement modifiée par la publication des résultats de l’Eurolupus trial [10]. Cette étude a comparé en traitement d’induction de la néphropathie lupique, l’administration IV de CYC pour une dose totale de 8 g répartie en six perfusions mensuelles, puis deux perfusions à 4 mois d’intervalle (46 patients) à une administration plus courte et à des doses plus modérées de CYC (trois grammes répartis en bolus à dose fixe de 500 mg tous les quinze jours) (n = 44 patients). Tous les patients recevaient ensuite de l’azathioprine (AZA) à la dose de 2 mg/kg/j pendant 24 mois. La corticothérapie était débutée par voie IV relayée par une corticothérapie orale à une dose variable de 0,5 à 1 mg/kg/j. Après un suivi moyen de 41 mois, il n’y avait aucune différence entre les deux groupes en terme de rémission complète ou partielle, du temps à la mise en rémission et de la survenue de rechute ou de complication infectieuse. Cette étude a entraîné une utilisation très large du protocole type Eurolupus trial dans le traitement des néphropathies lupiques. Il y a cependant quelques réserves à émettre concernant cette étude : – elle a inclus des patients présentant des classes III (25 p. 100) ou des classes V (8 p. 100). L’hétérogénéité des patients inclus rend délicate l’interprétation des résultats. Ce fait est aussi valable pour la quasi-totalité des études ; – cette étude a inclus, dans 70 p. 100 des cas, une population caucasoïde où le pronostic est généralement bon en comparaison avec les populations d’origine africaine ; – il s’agissait surtout de patients ayant une première poussée lupique (8 p. 100 d’entre eux seulement avaient reçu un traitement immunosuppresseur antérieur) ; – il s’agissait de formes modérées de néphropathie lupique, puisque la créatininémie moyenne était à 110 µmol/l. Ainsi, il peut paraître difficile d’extrapoler les données de l’Eurolupus trial à des patientes non caucasoïdes présentant de multiples récidives de néphropathie lupique ou une insuffisance rénale plus marquée. Néanmoins le traitement type Eurolupus trial est largement utilisé dans les néphropathies lupiques notamment lors des premières poussées de la maladie. Ce traitement est le schéma habituel du traitement d’induction de la néphropathie lupique [11]. Autres traitements d’attaque MYCOPHÉNOLATE MOFÉTIL (MMF) Le médicament qui est en train d’émerger comme une alternative possible et acceptable au CYC comme traitement d’attaque est indiscutablement le mycophénolate mofétil (MMF). Son utilisation dans la néphropathie lupique proliférative en traitement d’attaque repose essentiellement sur deux études ; celle de Chan et al. en 2000 [12] et celle de Ginzler et al. en 2005 [13]. Chan et al. ont comparé 2 groupes de patients : le premier comprenant 21 patients recevant du MMF à la dose d’1 g/j pendant 6 mois avec un relais par AZA pour une durée de 12 mois à la dose de 1 mg/kg/j et un deuxième groupe comprenant 21 patients recevant du CYC oral à la dose de 2,5 mg/kg/j pendant 6 mois avec un relais par l’AZA à la dose de 1,5 mg/j pendant 6 mois, puis 1 mg/j pendant 6 mois également. Le suivi moyen était court puisqu’il était de 12 mois. TRAITEMENTS DES NÉPHROPATHIES LUPIQUES 221 Cette étude a montré une équivalence entre les deux groupes en terme de rémission complète partielle, de temps de mise en rémission, de rechute et de complication infectieuse. Les limitations essentielles de cette étude sont le faible effectif de patients inclus et le suivi relativement court. Le suivi a long terme de ces patients a montré un taux de rechute de la maladie lupique après arrêt du traitement d’entretien > à 50 p. 100 à 2 ans [12]. Ginzler et al. dans une deuxième étude, ont inclus un effectif plus important : 140 patients randomisés en 2 groupes. Le premier groupe de 71 patients recevait du MMF à la dose initiale de 1 g/j avec une augmentation progressive jusqu’à 3 g/j. Le deuxième groupe recevait six perfusions mensuelles de CYC (0,5 g/m2 de surface corporelle avec augmentation secondairement à 1 g/m2). À 24 semaines de suivi, une rémission complète est survenue chez 22,5 p. 100 des patients traités par MMF contre 5,4 p. 100 dans le groupe CYC. L’utilisation du MMF était associée également à une incidence plus faible d’infections sévères et d’hospitalisations. L’effet secondaire principal du MMF était l’intolérance digestive. La limitation de cette étude est le suivi relativement très court puisque l’analyse statistique n’a été réalisée qu’à 6 mois [13]. Or, à six mois, la réponse de la néphropathie lupique dépend essentiellement de la corticothérapie. Néanmoins, la rémission à 6 mois est prédictive de l’évolution à long terme de la néphropathie lupique [8]. Ces données même parcellaires laissent supposer que le MMF est une alternative acceptable au CYC comme traitement d’induction de la néphropathie lupique. AZATHIOPRINE Par opposition au MMF, l’azathioprine (AZA) a été peu évalué comme traitement d’induction. L’étude récente de Grootscholten [14] a comparé deux groupes : le premier comprenant 50 patients traités par CYC par voie IV 750 mg/m2 par perfusion. Les patients recevaient 6 perfusions mensuelles pendant 6 mois, puis 1 perfusion tous les 4 mois pendant 7 mois, associée à une corticothérapie. Le deuxième groupe comprenait 37 patients recevant de l’AZA à la dose initiale de 2 mg/kg/j. Ces patients recevaient des perfusions de méthylprednisolone d’une façon répétée à J0, J1, J2, J14, J15, J16, J42, J43, J44 suivie d’une corticothérapie orale à 20 mg/j pendant 5 mois, puis 10 mg/j les 6 mois suivants. Après un suivi moyen de 5 ans, il n’y avait pas de différence significative en terme de doublement de la créatininémie qui était le critère de jugement principal. Néanmoins, si on tient compte d’une rechute au-delà de trois mois ou d’échec du traitement initial dans les trois premiers mois, il y avait un bénéfice du CYC qui est à contrebalancer par le décès de 2 patients dans ce groupe [14]. TRAITEMENT D’ENTRETIEN DANS LA NÉPHROPATHIE LUPIQUE PROLIFÉRATIVE La prévention des rechutes est un objectif majeur puisqu’elles sont un des premiers facteurs de pronostic défavorable [15]. Le MMF prend aussi une place grandissante dans le traitement d’entretien de la néphropathie lupique. Ceci repose essentiellement sur l’étude de Contreras publiée en 2004 [16]. Cette étude a inclus 59 patients recevant un traitement d’induction 222 F. FAKHOURI ET PH. LESAVRE de 6 perfusions de CYC (0,5 à 1 g/m2). Ils étaient ensuite randomisés en 3 groupes : le premier groupe (n = 19) recevait de l’AZA 1 à 3 mg/kg/j pendant 12 à 36 mois, le deuxième groupe (n = 20) recevait du MMF à la dose de 0,5 à 3 g/j pendant 12 à 36 mois et un troisième groupe (n = 20) recevait du CYC en traitement d’entretien à la dose de 0,5 à 1 g tous les 4 mois pour la même durée. Après un suivi de 72 mois, les groupes 1 et 2 étaient supérieurs au 3e en terme de survie, de rechute et de tolérance, mais il n’y avait aucune différence en terme de survie rénale. En terme de probabilité de survie sans rechute, il existait une tendance à une supériorité, sans signification statistique, du MMF versus AZA. De même l’AZA était équivalent au CYC IV. En terme de survie du patient, l’AZA était supérieur au CYC, alors que la différence entre MMF et CYC n’atteignait pas la « significativité » statistique. La limitation essentielle de cette étude est l’inclusion d’un faible effectif de patients [16]. Les résultats des études randomisées en cours, notamment l’étude Maintain et ALMS, sont attendus pas les cliniciens. L’étude Maintain vise à comparer MMF versus AZA dans le traitement d’entretien des néphropathies lupiques après un traitement d’induction consistant en 3 g de CYC. Le critère de jugement principal est le délai de survenue des rechutes. L’étude ALMS comporte plus de 300 patients inclus et une double randomisation CYC/MMF en induction, puis AZA/MMF en entretien. Ces études répondront donc aux incertitudes actuelles. Durée du traitement d’entretien La durée optimale du traitement d’entretien est inconnue. Aucune étude prospective randomisée n’a comparé plusieurs durées de traitement d’entretien. L’attitude qui prévalait jusqu’à présent était de maintenir un traitement d’entretien pendant 18 à 24 mois. Le taux de rechutes important après l’arrêt précoce du MMF pourrait inciter les cliniciens à allonger la durée du traitement sans preuve établie par une étude prospective. D’autres auteurs tels Grootscholten [14, 17] plaident même pour une durée de traitement d’entretien allant jusqu’à 5 à 8 ans avec un taux de rechute étonnamment bas. Place du rituximab dans le traitement de la néphropathie lupique ? Le rituximab (RTX) est un anticorps humanisé monoclonal dirigé contre les lymphocytes B. Cependant, certaines régions hypervariables des régions variables sont murines. Le RTX a modifié radicalement la prise en charge des hémopathies lymphoïdes B. Son utilisation dans les maladies auto-immunes est en expansion [18-23]. Les arguments plaidant pour l’utilisation du RTX dans la néphropathie lupique sont fondamentaux et cliniques. Des données expérimentales laissent clairement suggérer que le lymphocyte B dans les maladies auto-immunes, notamment le lupus, ait un rôle pathogène qui va au-delà de la simple synthèse d’auto-anticorps (Ac). En effet, le lymphocyte B agit très probablement comme cellule présentatrice d’antigène et joue ainsi un rôle dans le recrutement de clones lymphocytaires T de plus en plus autoréactifs. En clinique, au-delà de la constatation de dépôts immuns importants dans les biopsies notamment rénales des patients lupiques, il existe une hyperactivité B chez les patients lupiques. La survenue d’un déficit immun commun variable au cours du TRAITEMENTS DES NÉPHROPATHIES LUPIQUES 223 lupus est associée souvent à une rémission de ce dernier. Cette rémission est plus corrélée au degré de la lymphopénie B qu’au degré de l’hypogammaglobulinémie, ce qui souligne encore une fois le rôle pathogène du lymphocyte B dans les maladies auto-immunes au-delà de la simple synthèse d’Ac. Le RTX a une demi-vie de 120 heures. Néanmoins il reste détectable dans le sang plusieurs mois après la dernière injection et la déplétion lymphocytaire B induite par le RTX dure généralement 6 à 9 mois. La tolérance du RTX est dans l’ensemble bonne notamment en comparaison avec les autres immunosuppresseurs. Les effets secondaires principaux sont des réactions systémiques survenant essentiellement lors de la première injection (fièvre, éruption cutanée, œdème de Quincke, etc.) et des infections essentiellement virales (réactives à l’hépatite B, CMV, etc.). Le problème essentiel de l’utilisation du RTX dans les néphropathies lupiques est l’obtention et le maintien d’une déplétion lymphocytaire B satisfaisantes. En effet, si on définit la déplétion lymphocytaire B par l’existence de moins de 5 lymphocytes B/mm3 et de moins de 1 p. 100 des lymphocytes totaux, un échec de la déplétion lymphocytaire B n’est pas rare chez les patients lupiques. Cet échec de déplétion est associé dans notre expérience à l’existence d’anticorps anti-RTX à un taux significatif. L’incidence des anticorps anti-RTX semble plus élevée chez les patients lupiques (2/3 des patients) par rapport aux autres patients traités par RTX pour une autre indication. Les autres facteurs associés à une mauvaise déplétion lymphocytaire B sont la peau noire, l’existence d’une hyperactivité lymphocytaire B importante avant le début du traitement par RTX, le polymorphisme du récepteur FCγRIIIα [24]. Les données de la littérature concernant l’utilisation du RTX dans les néphropathies lupiques restent très parcellaires [18-23]. Il s’agit essentiellement de séries ayant inclus un faible effectif de patients et comprenant des patients présentant des néphropathies lupiques classes III ou IV. Néanmoins, ces données ainsi que notre expérience dans le service laissent supposer que le RTX est une alternative thérapeutique prometteuse dans les néphropathies lupiques sévères. Notre attitude est de réserver le RTX aux patients dont la néphropathie lupique n’est pas en rémission après 3 g de CYC (dose d’induction dans l’Eurolupus trial). Il est préférable de documenter cet échec du traitement par une ponction biopsie rénale. La deuxième indication est une rechute après mise en rémission d’une néphropathie lupique chez un patient ayant reçu plus de 6 g CYC (l’équivalent de 2 Eurolupus Trial). Ces indications peuvent évidemment évoluer dans les prochaines années, l’un des avantages indéniables du RTX étant sa bonne tolérance clinique. Schématiquement nous avons observé trois types de réponse au RTX (administré avec des corticoïdes rapidement décroissants et sans CYC) dans les néphropathies lupiques : – des patients chez qui la déplétion lymphocytaire B est optimale et dure 6 à 9 mois. Chez ces patients, l’évolution de la néphropathie lupique est généralement tout à fait satisfaisante sous RTX ; – des patients dont la déplétion lymphocytaire B est non optimale et notamment de durée très courte nécessitant des perfusions répétées et rapprochées tous les 2 à 3 mois pour induire une déplétion lymphocytaire B prolongée. Chez ces patients, une durée de déplétion lymphocytaire d’au moins un an au prix d’injections rapprochées et répétées peut permettre la rémission d’une néphropathie lupique qui a résisté aux traitements conventionnels ; – des patients chez qui le traitement par RTX est un échec clair de déplétion lymphocytaire B. L’utilisation de CYC peut alors entraîner une disparition des 224 F. FAKHOURI ET PH. LESAVRE anticorps anti-RTX. Dans ce cas, l’utilisation concomitante ou combinée du RTX et du CYC peut être discutée. Plus généralement, l’efficacité du RTX seul ou en association au CYC reste à déterminer. CAS PARTICULIER : GLOMÉRULONÉPHRITES EXTRA-MEMBRANEUSES LUPIQUES Le risque d’évolution vers l’insuffisance rénale, ainsi que le risque thrombotique, notamment de thrombose des veines rénales, ne permet pas de considérer la glomérulonéphrite extra-membraneuse lupique pure comme étant de bon pronostic. Elle justifie un traitement, bien qu’aucun essai contrôlé ne soit disponible. Différents agents immunodulateurs ont été utilisés Hu et al., à Nanjing, [25] ont étudié rétrospectivement l’efficacité de la cyclosporine (CYA) en association avec les corticoïdes chez 24 patients atteints de forme membraneuse pure. La rémission, le plus souvent vers le 6-12e mois, a été complète (12 patients) ou partielle (10 patients). Dans un essai ouvert récent, Mok et al. à Hong Kong ont traité 38 patients avec des stéroïdes et de l’AZA [26]. À douze mois, 67 p. 100 étaient en rémissions complètes et 22 p. 100 étaient en rémission partielle (diminution de la protéinurie de 50 p. 100). Après un suivi supérieur à 7 ans, aucun n’avait doublé leur créatinine sérique. Quatre patients n’ont pas répondu à l’AZA et ont tous été mis en rémission complète après des traitements par CYA, CYC ou MMF. Une étude du NIH est en cours chez 42 patients. Tous sont atteints de classe V pure. 75 p. 100 des patients reçoivent des IEC, la protéinurie moyenne est de 6 g/j, le DFG moyen (inuline) est de 85 ml/min. Le traitement comporte une corticothérapie un jour sur deux, prescrite seule ou en association avec du CYC par voie intraveineuse (bimensuelle) ou de la cyclosporine A (5 mg/kg/j) ajustée en raison d’élévation de la créatininémie et d’HTA. Une analyse préliminaire à un an semblait en faveur de l’association d’un immunosuppresseur, particulièrement du CYC intraveineux. Les dix patients résistant au traitement ou rechutant (huit Afroaméricains ; PU moyenne 8,8 g/j) ont reçu un traitement prolongé par le CYC IV (protocole initial, puis trimestriellement). Deux patients ont eu une rémission complète. Les rémissions partielles surviennent dans 60 p. 100 des cas à 12 mois et 80 p. 100 à 5 ans. Les récidives après cinq ans sont de 20 p. 100 après CYC et de 60 p. 100 après CSA. Les derniers résultats présentés à L’American Society of Nephrology en novembre 2004 par H.A. Austin confirment ces données [27]. Mycophénolate mofétil (MMF) Dans une étude de suivi prospectif, étudiant les facteurs de risque de poussée lupique, Spetie et al. ont traité consécutivement, par le MMF, 13 patients atteints de GEM lupique. Les patients avaient les caractéristiques suivantes : âge moyen 33 ± 14 ans ; femmes 11/13 ; Caucasoïdes 7 ; Afro-américains 5 ; créatinine TRAITEMENTS DES NÉPHROPATHIES LUPIQUES 225 plasmatique 91 ± 3,6 μmol/l. La dose de prednisone initiale était de 31 ± 17 mg/ j, la dose de MMF moyenne de dose 1 173 ± 746 mg/j. Le traitement comprenait un blocage du système rénine-angiotensine visant à réduire la protéinurie. Une rémission partielle ou complète a été obtenue à six mois chez 10 des 13 patients. Lors du dernier examen (suivi moyen 16 ± 8 mois), 9 des 13 patients sont en rémission complète, et 2 sur 13 patients en rémission partielle. Durant l’étude, la fonction rénale est restée stable ou s’est améliorée. Une infection à Histoplasma pneumoniae est apparue chez un patient. Ainsi, l’effet de doses modérées de MMF associées à un traitement néphroprotecteur mérite d’être testé dans une étude plus large [28]. Une étude brésilienne pilote prospective a été publiée par Borba et al. [29]. Vingt patients consécutifs atteints de classe V pure, résistante au traitement (prednisone, 20 ; AZA, 14 ; CYC, 4) ont reçu du MMF (1,5 puis 2-3 g/j) associé à une dose moyenne de prednisone de 34 mg/j, les autres immunosuppresseurs étant interrompus. Une majorité de patients (55 p. 100) étaient en rémission complète à un an. Les autres patients ont tous eu une réduction de la protéinurie de plus de 50 p. 100. La limite de ce travail est que seuls 12 patients ont eu une biopsie rénale et qu’aucune donnée n’est disponible sur le devenir après l’arrêt du MMF (la dose moyenne était de 2,0 g/j après un suivi moyen de 18,9 mois). TRAITEMENTS ASSOCIÉS Le traitement de la néphropathie lupique bénéficie de traitements associés : – traitements à visée anti-protéinurique (inhibiteur de l’enzyme de conversion, antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2 seul ou en association [30]) ; – traitement hypocholestérolémiant par statines [31, 32] ; – prévention de l’ostéoporose cortisonique par bisphosphonate [33]. Le risque d’aménorrhée du CYC est fonction de l’âge et de la dose cumulative. L’analogue de la LH-RH permet une prévention de l’aménorrhée en induisant un état d’hypo-œstrogénie avec les inconvénients d’une ménopause artificielle (ostéoporose, sécheresse vaginale) [34]. Enfin, des études récentes sont susceptibles d’apporter des éléments importants dans le traitement de la néphrite lupique en s’attachant à une meilleure surveillance ou à une meilleure prise en compte de facteurs extra-rénaux comme l’études des facteurs pronostiques à long terme [1, 2] et en particulier des rechutes [15], les problèmes liés à la coagulation [35], les facteurs psycho-sociaux [36], la surveillance des auto-anticorps [37] et les complications cardiovasculaires [38]. CONCLUSION Bien que le traitement de la néphrite lupique (NL) de classe III et IV ne soit pas codifié, un consensus se dégage : les corticostéroïdes et les immunosuppresseurs (cyclophosphamide intraveineux ou MMF) sont recommandés pour le traitement initial. 226 F. FAKHOURI ET PH. LESAVRE Le traitement d’entretien est oral, et comprend les corticostéroïdes et les immunosuppresseurs (AZA ou MMF). La durée du traitement d’entretien est variable de deux à sept ans. Le traitement de la NL de classe V ne fait pas l’objet d’un consensus. Pour la plupart des auteurs, les formes sévères sont traitées de façon analogue. Lorsqu’une protéinurie significative est présente, l’ajout d’un IEC ou d’un sartan est toujours considéré. D’autres facteurs de risque comme l’hypertension, le diabète, les troubles lipidiques doivent être pris en compte. La présence d’un syndrome des anticorps anti-phospholipides doit être recherchée et traitée par des anti-agrégants ou un traitement anticoagulant, en fonction de la situation clinique. BIBLIOGRAPHIE 1. BUJAN S, ORDI-ROS J, PAREDES J et al. Contribution of the initial features of systemic lupus erythematosus to the clinical evolution and survival of a cohort of Mediterranean patients. Ann rheum dis, 2003 ; 62 : 859-865. 2. CERVERA R, KHAMASHTA MA, FONT J et al. Morbidity and mortality in systemic lupus erythematosus during a 10-year period : a comparison of early and late manifestations in a cohort of 1 000 patients. 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