Jérémie 1, 4-10 version a
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Jérémie 1, 4-10 version a
Dimanche 13 août 9e Dimanche après la Trinité Jérémie 1,4-10 Marc Wehrung Bischheim I. Parcours du texte v.4. Le récit de la vocation du prophète Jérémie commence sur le ton intimiste de la confidence. La Parole de Dieu, personnifiée, fit irruption dans la vie du prophète. Mais en réalité c'est Dieu qui, par l'intermédiaire de sa Parole et du prophète, agit dans 1'histoire des hommes. Le témoignage de l'événement de sa vocation est destiné à donner la légitimation et même une dimension politique au message du prophète. v.5. Le prophète - comme toutes les autres créatures- n'est rien par lui-même, mais il est oeuvre de Dieu. Parce que Dieu « connait» le prophète, celui-ci , en retour, est appelé à lui faire confiance. La relation entre Dieu et celui à qui il confie la mission prophétique est une relation d'amour. Si le prophète doit savoir que Dieu l'a façonné et connu avant qu'il n'est né, ce n'est pas pour qu'il s'abîme dans les spéculations sur la souveraineté du Créateur et dans les mystères de la prédestination, mais pour lui faire confiance. Le prophète est « consacré », mis à part parmi toutes les autres créatures. La consécration est un concept du domaine cultuel. Ce sont l' offrande et le sacrifice qui sont consacrés. Jérémie vivra dans ses souffrances la consécration à Dieu qui l'a appelé. Parce que la destinée du petit Israël est étroitement liée aux superpuissances de l'Euphrate et du Nil, la mission de Jérémie, envoyé en premier vers Israël, dépassera largement les limites de ce petit peuple. Mais l'universalité de la mission du prophète est encore plus fondamentalement l'expression de la souveraineté universelle de Dieu au nom duquel il annoncera les oracles « à toutes les nations »(25,15). v.6. Moïse prétendait ne pas savoir parler en public. Jonas prend la fuite par la mer. Si Jérémie récuse sa mission, il ne fait pas valoir un manque de charisme ou une indignité morale, mais il se retranche derrière son jeune âge. Il considère que sa mission est inacceptable parce qu'il n'a pas l'âge requis pour la vie publique. v.7. La réponse à l'objection de Jérémie est à l'infinitif. Segond traduit: « Tu iras vers tous ceux auprès de qui je t'enverrai. » Jérémie ira tel qu'il est. Dans ses confessions (par ex. 15,10-21) il révèle comment sa vie personnelle est complètement impliquée dans sa mission. Si finalement il accomplit sa mission ce n'est pas parce qu'il capitule devant la souveraineté de Dieu, ou que Dieu déclare son inadéquation sans importance, ou encore qu'il lui accorde une force surnaturelle. Jérémie obéit à sa vocation non pas dans un sursaut de courage téméraire malgré ses réticences, malgré ses doutes et malgré son insuffisance. Mais la grâce que « Ton nom a été proclamé sur moi, Seigneur, Dieu des puissances »(15,16) lui suffit et le rend « heureux» (TOB). Comme l'apôtre Paul plus tard, Jérémie s'est mis en route non pas malgré la faiblesse, mais parce que la puissance de la grâce de Dieu donne toute sa mesure dans la faiblesse (2 Cor. 12,9). v.8. L'exhortation de ne pas avoir peur préfigure la promesse du Christ de Matth.28,20. v.9. Lors de la vocation d'Esaie le séraphin touche la bouche du prophète pour le purifier. Ici ce geste signifie que la parole que doit dire le prophète ne vient pas de lui-même, mais qu'elle lui est donnée. Et lui-même, selon ses propres confessions (15,16), s'en nourrit et y trouve sa joie. Les faux-prophètes (particulièrement Hananya chap.28), par contre, annoncent leurs propres rêves et visions (23,16-29). v.l0. La mission de Jérémie dépasse celle du simple ambassadeur. Arracher, planter etc... cette tâche il l'exercera lui-même, ou plutôt la parole de Dieu qui devient efficace dans sa mission. Elle est efficace comme le marteau qui pulvérise le roc (23,29). Le cumul des infinitifs de ce verset est effiayant: l'aspect négatif est prédominant (4 contre 2) dans le ministère de Jérémie. Mais si Jérémie doit avant tout anéantir, là n'est pas le but dernier de sa mission. Le but dernier est l'accord fmal de l'énumération: bâtir et planter ! II. Pistes pour l’appropriation et l’actualisation 1. C'est probablement le geste de « mettre les paroles dans la bouche » du prophète qui a déterminé le choix de ce passage biblique comme texte de prédication pour le 9 e dimanche après la Trinité (thème: « Gérants des biens de Dieu »). La Parole de Dieu demande à être gérée, c'est à dire annoncée, par des serviteurs fidèles (Evangile du jour: Matth. 25,14--30) qui sont prêts à « renoncer à tout» afin de « gagner le Christ» (Epître du jour : PhiI.3,7-1 1). 2. Mais dans quelle mesure est-il légitime de mettre la vocation de Jérémie en relation avec le ministère apostolique de Paul et celui beaucoup plus vague des serviteurs de la parabole ? La mission de Jérémie n'est-elle pas unique, - même par rapport à ses autres « collègues» prophètes ? Raison suffisante pour nous chrétiens, et surtout pour les pasteurs, d'être prudent dans l'approche de ce serviteur de Dieu extraordinaire. L'apôtre Paul est un de ces témoins directs de la révélation de Dieu en JésusChrist auxquels se réfère notre foi. Jérémie, de même, a reçu directement la Parole de Dieu. Aujourd'hui la communauté chrétienne reçoit la Parole de vie par l'intermédiaire de ces témoins directs. Dans quelle mesure doit-elle se sentir concernée par la vocation de Jérémie ? Le NT se réfère à Jérémie presque aussi souvent qu'à Esaïe. Jérémie fait partie de la foi de l'Eglise du Christ. Par certains aspects, il est même une personnalité christique, - au point que certains pensaient même que Jésus est Jérémie revenant (Matth. 16,14). Son chemin de souffrance ne le fait-il pas entrer dans la « communion des souffrances du Christ» dont parle Paul dans l'épître de ce dimanche ? Même s'il n'est pas possible de transférer directement la vocation particulière de Jérémie sur le « ministère de la parole » tel que nous le connaissons dans les paroisses, certains aspects de cette vocation demandent cependant d'être pris en compte dans la mission prophétique confiée à l'Eglise. 3. En 1 Cor. 14,23-25 Paul envisage une Eglise « où tous prophétisent ». En 1 Cor 12,29, par contre, le ministère de prophète est un de ces ministères qui diversifient le corps du Christ. Si on ne veut pas imputer à Paul une incohérence dans sa pensée, il faut admettre qu'il voit la proclamation de la parole prophétique à deux niveaux : au niveau du ministère charismatique et aussi au niveau de la vocation de tous les baptisés (comme dans 1. Pierre 2,9). Cela signifie que la fonction fondamentale de l'Eglise entière est l'annonce de la Parole de Dieu (l'Evangile). Cette fonction englobe plus que le seul ministère pastoral de la prédication. Le ministère de la prédication est une concrétisation de la vocation de l'ensemble de l'Eglise. Ainsi la vocation de Jérémie est plus qu'un épisode de la vie de ce personnage héroïque. Elle préfigure le ministère prophétique de l'Eglise. 4. La nature de la parole prophétique a) Il n'y a pas de quoi se glorifier quand on n'est que la bouche pour la Parole de Dieu. La Parole est plus importante que le prophète. Le prophète est d'autant plus fidèle qu'il est humble. En premier lieu il aura à dire le mystère insondable de l'amour de Dieu et à se laisser interpeller continuellement par lui, avant de témoigner de son propre vécu, de sa propre spiritualité. b) La parole de Dieu est compréhensible. Le prophète Jérémie, dans son désir de bien se faire comprendre, avait recours à des gestes symboliques. Pour recevoir le message de ces gestes, comme pour recevoir le message des paraboles, il est demandé à l'auditeur de réfléchir. La parole prophétique est exigeante. Quand le Créateur s'adresse à l'être humain, il lui demande d'exercer les facultés de pensée qu'il lui a données. Articuler et fonder la réponse à cette parole ce n'est pas partir dans des songes et des spéculations, mais de prendre des décisions pour la vie de tous les jours, jusque dans la vie politique. Ceci est d'autant plus le cas depuis que « la parole s'est faite chair ». c) La parole dans la bouche du prophète est efficace. Derrière celui qui proclame la parole de Dieu, se trouve Dieu lui-même. Le prophète a autorité de Dieu. Sa parole n'est pas une parole humaine à discuter parce qu'elle serait ambiguë, hypothétique, peut-être bien que oui, peut-être bien que non (2.Cor 1,19). Ce oui de Dieu démolit les fausses certitudes et assurances (paix/:6, 14 ; temple/26, 18). La parole dont le prophète est appelé à en être la bouche, n'est pas une parole banale, inoffensive qui plaît aux grands et aux petits. Elle n'est pas une parole destinée à «embellir », voire à «transfigurer» les circonstances et étapes de la vie humaine (naissances, mariages, décès, jubilés, fêtes...). Dieu n'est pas le garant du bonheur, du bien-être. Mais il est vérité ! Le oui clair et inconditionnel de la parole est aussi l'absolution proclamée qui met debout celui qui est « renversé» (Matth. 16, 19). Le prophète est appelé à être au service de la Parole qui transforme, met en mouvement et crée une histoire et qui n'est pas seulement« paroles sur Dieu». 5. Le refus Faut-il s'indigner du refus à l'appel de Dieu? Jérémie a très bien entendu et compris l'appel de Dieu. Son refus montre bien qu'il réfléchit. A l'avance, il entrevoit ce qui va lui arriver: il va se rendre ridicule, on va le soupçonner de collaboration avec l'ennemi etc.. . N' a-t-il pas raison d'hésiter? Ne faut-il pas se méfier de ceux qui débordent continuellement de soumission à Dieu et qui sont inébranlables dans leur certitude du happy end? Ont-ils vraiment entendu que la parole de Dieu est comme un marteau ?.. Ceci dit, il faut aussi voir les « éternels résistants» qui ne connaissent que le non! Ils trouvent toujours un cheveu dans la soupe pour dire non, pour ne pas s'engager, pour douter, pour prendre ses distances. Y en-a-t-il dans l'Eglise ? 6. Le protégé de Dieu Jérémie a connu des moments où la nuit fut totale : 20,14-21. Et Paul connut des situations «où nous désespérons même de conserver la vie» (2 Cor 1,8). L'adversité fait partie de la vie des prophètes et des apôtres. Accepter d'entrer au service de la Parole de Dieu dans l'Eglise prophétique, n'est pas une occupation ludique pour les loisirs, ou pire, pour gravir des échelons dans la hiérarchie sociale. Mais si au milieu de leurs souffrances des serviteurs de la Parole de Dieu déclarent : «j'ai l'assurance que ni la mort ni la vie ne pourront nous séparer de l'amour de Dieu »(Rom 8), ce n'est pas parce qu'ils seraient invulnérables derrière des murs de béton. Mais c'est un aspect essentiel de la foi chrétienne : ce n'est qu'en s'abandonnant aux promesses de Dieu que l'on peut trouver ]'assurance de sa fidélité qui dépasse toutes les attentes. L'Eglise en détresse se laisse interpeller par la question du Christ: « Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi? »(Matth. 8,26).