Gerson et Pétrarque : humanisme et l`idée nationale

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Gerson et Pétrarque : humanisme et l`idée nationale
Gerson et Pétrarque :
humanisme
et l’idée nationale
YELENA
MAZOURMATUSEVICH
Summary: Gerson never met Petrarch in person. However, a comparative
study of these authors allows us to evaluate the crucial role of national pride
in revealing the initial difference between early French and Italian forms of
humanism. While the Italians, oppressed by Parisian intellectual prestige,
were interested in breaking away from the medieval past, the French were
interested in continuity with the medieval tradition, wherein they perceived
the glory and the legitimacy of the French nation.
Un humanisme français sans influence italienne ?
e débat sur les débuts de l’humanisme en France n’est pas du tout
nouveau. Plusieurs chercheurs respectés ont déjà soulevé cette question :
André Combes1, Augustin Renaudet2, Étienne Gilson3, Henri Hauser4, Franco Simone5, Gilbert Ouy6, Serge Lusignan7, Ezio Ornato8, V.-L. Saulnier9,
G. M. Roccati10 et Dario Cecchetti11. Cependant, ce débat qui dure depuis
assez longtemps, n’a pas encore réussi à modifier définitivement la manière
de représenter le XVe siècle français. Même si l’opinion de Nisard, affirmant
qu’au XVe siècle la France ne produisit aucun homme de génie dans les
lettres n’est plus monnaie courante, la représentation de cette époque souffre
encore des anciens stéréotypes historiographiques12.
Malgré les efforts de Gilbert Ouy et de son équipe, l’idée de la « dépendance » totale du mouvement humaniste français de la Renaissance italienne
n’est pas encore dépassée13. Les idées reçues ne meurent pas aussi vite. Il
est d’autant plus étonnant que l’une des premières tentatives de reprise en
cause de cette idée soit d’abord venue d’un Italien, Franco Simone, qui avait
décidé de mettre fin à « l’oubli dans lequel était plongé le XVe siècle » en
affirmant qu’il y avait, « à cette époque, quelque chose de plus qu’une simple
Renaissance avortée »14. Dans son article « Le Moyen Âge, la Renaissance
L
Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme, XXV, 1 (2001) /45
46 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
et la critique moderne », Simone, en essayant de montrer combien est fausse
l’idée d’un humanisme français qui ne commencerait qu’avec les guerres
d’Italie, présente les éléments qui, selon lui, témoignent de l’existence en
France, de la fin du XIVe au début du XVe siècle, d’un humanisme qui a sa
propre originalité15.
Cette originalité, Simone la détecte dans la manière dont les Français
accueillirent la nouveauté étrangère. Ce travail d’adaptation exige « une
vitalité qui ne soit pas seulement aptitude à l’assimilation mais aussi capacité
de choisir les éléments favorables »16. Simone se réfère à la phrase de Henri
Hauser dans Études sur la réforme française :
Il ne faut pas oublier cependant que si la découverte de l’Italie donne à la Renaissance
française un tel branle, c’est que cette révolution était déjà presque à moitié faite dans
les esprits17.
Parmi les éléments de « cette révolution dans les esprits », Simone cite
l’amour de Platon qui entraîne une nouvelle conscience esthétique (l’idée
de Beauté et d’Idéal, la mode des dialogues moraux) ; la recherche du beau
style, fréquente dans les ouvrages de Cicéron sur l’art oratoire ; la préoccupation réformiste, s’étendant jusqu’à l’idée de la nécessité d’une transformation ; le désir d’une nouvelle discipline morale ; l’amour de Sénèque ; le
besoin d’une nouvelle méthode de vie spirituelle. Or, on verra que tous ces
éléments sont déjà présents, à divers degrés, chez les premiers humanistes
français de la fin du XIVe et du début du XVe siècle.
Ensuite Simone insiste sur un élément que les premiers humanistes du
XVe siècle et le groupe de Fichet et de Gaguin (les humanistes français
« reconnus » comme précurseurs immédiats de Lefèvre d’Étaples) avaient
en commun : « c’est l’effort que tous ont fait pour remettre en honneur la
rhétorique à l’Université de Paris »18. Cependant, cet effort n’avait été fait
par personne d’autre que par Gerson lui-même. Dans son sermon latin de
1392 Gerson plaide pour la légitimité de l’usage des lettres classiques en
théologie et défend vigoureusement le droit de lire des auteurs anciens.
Cependant le nom de Gerson ne figure pas dans l’article de Simone. L’auteur
honore du titre de premier humaniste français le contemporain de Gerson
Jean de Montreuil (1354–1418)19, en reprenant les arguments de Lanson,
qui avait lui-même repris ceux de Thomas20 :
[. . .] et voici un homme [. . .] qui a étudié seulement ès arts, qui n’a pas touché à la
théologie : Jean de Montreuil, secrétaire de Charles VI. Déjà sa culture est toute païenne
[. . .] et dans une lettre au pape [. . .] il ne trouve à citer que Térence, au grand scandale
du pieux Gerson21.
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 47
Ainsi, l’ignorance de Montreuil dans le domaine de la théologie ait
tellement comblé les critiques qu’ils firent de lui le premier humaniste.
Thomas proclama cette vérité dans les années 80 du siècle dernier, Lanson
la répéta, et Simone la reprit dans les années 1940–50. Cependant, c’est
contestable. S’il est vrai que Jean de Montreuil n’étudia pas la théologie et
que Gerson fut pieux, il est arbitraire de les opposer et de qualifier le premier
d’humaniste et le second d’homme du Moyen Âge. Il vaut mieux se souvenir
que Gerson, lui, était persuadé que l’étude des lettres classiques ne méritait
pas le fouet qu’avait reçu saint Jérôme dans son rêve, et regretter que les
historiens lui infligent le leur contre toute justice22. Lanson, lui-même,
admet que pour le style et la langue, Gerson est le contemporain des Oresme
et des Jean de Montreuil mais, par malheur pour notre Chancelier, il est aussi
un théologien, engagé dans les études et les emplois de l’Église23. Le fait
qu’on enseignait la rhétorique à l’Université de Paris plus de vingt ans avant
Jean de Montreuil24, ne semble pas influencer le verdict des historiens qui,
paradoxalement, admettent volontiers « unione dell’eloquenza con la saggezza [. . .] la quale non esiste alcuna incompatibilità tra umanismo et
teologia » en parlant du XVIe siècle et particulièrement de Lefèvre d’Étaples25. Qu’est-ce qui empêche de penser que cette « unione » de sagesse et
d’éloquence eût préalablement caractérisé la pensée humaniste française26 ?
Dans ce cas, Lefèvre d’Étaples ne fit que continuer la tradition venue des
humanistes du début du XVe siècle d’être « theologi e letterati ad un tempo ».
Gerson représente le parfait exemple d’une telle union et son opposition à
Montreuil est factice : « le conflit prétendu entre eux et entre la théologie et
l’humanisme n’a jamais eu lieu »27.
Si Jean de Montreuil pense en tout temps au Chancelier parisien, ce
n’est ni par rancœur, ni par volonté d’indépendance, mais parce qu’il ressent
pour lui une admiration totale : « [. . .] modo bonum et vere bonum Cancellarium Parisiensem exemero, cujus in hac re sinceritatem fidemque ac zelum
purissimum nemo te magis novit quem explicare gestio si valerem »28.
En plein accord avec les critères proposés par Simone, Gerson est un
admirateur de Platon dont les idées lui inspirent son concept d’harmonie
universelle et à qui il se réfère dans ses discours et dans ses sermons29. Il
écrivit également des dialogues moraux et introduisit le dialogue dans ses
sermons, en réformant ainsi le genre30.
Simone qualifia de Montreuil d’humaniste parce qu’il trouva chez lui
« un des principaux parmi les éléments qui unissent ce mouvement à l’humanisme du XVe siècle » — le travail de raffinement du style qui était un
de leurs idéaux. Mais de Montreuil s’adressait à Gerson comme à son maître
car, pour lui, le Chancelier était un orateur incomparable31 :
48 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
Cum ut fama fert, nihil scibile te lateat, et super eo mihi plurima indicia sint, miror et
admodum miror te illius eruditionis singularissimae viri cancellarii Parisiensis non esse
imitatiorem. [. . .] De traditiva et suasiva loquor, quae maxime rethorices et eloquentiae
regulis constat consequiturque, et sine qua sermocinatio, quae finis esse mihi videt
facultatis, redditur pene inutilis et vacua [. . .]32.
Gerson sut élaborer la théologie selon les lois de la rhétorique cicéronienne
et en nommant Cicéron, il indiquait certainement son maître et son modèle33.
Comme l’a bien prouvé Gilbert Ouy, « la culture de Jean de Montreuil [. . .]
apparaît-elle aussi bien pauvre par rapport à celle du jeune Gerson [. . .] »34.
La même chose peut être dite sur l’amour pour Sénèque, que Gerson
cite souvent comme un exemple de sagesse dans ses sermons35. En effet, si
l’influence des maîtres de l’Antiquité au point de vue moral se manifeste par
le besoin, propre aux humanistes, de les invoquer et de les citer à tout propos,
Gerson pourrait bien battre des records :
Liz le chapitre des ingras ou Veme livre de Valerius Maximus ; tu trouveras que les
Romains occirent ou chasserent en exil leurz principaulz adiuteurs, comme furent
Romulus, Furius Camilus, Scipio affricain le maieur, Scipion le mineur, Corilianus,
Scipion Nasica. Pareillement fit Cartage a Hannibal, les lacedemoniens a Ligurgues,
ceulz d’Athenes a Theseus et Socrates36.
Dans chaque discours public, presque dans chaque sermon et partout dans
son œuvre écrite, il répand généreusement son érudition et fait sentir son
amour pour les Anciens. Ainsi dans son Sermon pour la Trinité, Gerson ne
se contente pas d’une autorité empruntée à l’Écriture : « La fin, la gloire et
la felicité de creature humaine est congnoistre Dieu ; ainsi l’ont prouve et
tesmoignié tous les excellens et eslevez philosophes, Platon, Aristote, Hermes, Tulles et autres »37. Pareillement, dans son discours à Constance
adressé aux Pères de l’Église, il recourt trois fois à l’autorité antique : la
première fois à Virgile, la deuxième à Horace, la troisième à Socrate.
Cicéron, Horace et Boèce sont cités sans cesse, mais son préféré, celui qui
accompagne constamment sa pensée, reste Socrate38.
Alors, Gerson avait-il été scandalisé par la citation de Térence ? Jamais
de la vie. Térence est pour lui un vieil ami, un ami qu’il cite un peu partout,
lui aussi, devant le roi, et même devant le pape, à ses collègues, ses sœurs39
et ses frères40. Dans son discours In festo St. Michaelis archangeli du 29
septembre 1392, le Chancelier parisien définit et justifie son humanisme
impénitent :
Quis prohibet, ne Senecae Mors, ne Tulli Paradoxa, Officia, Senectutem, Amicitiam,
Hortensium, ne Boëtii Consolationes, ne Aristotelis, Platonisque Ethicam legem, et
similia ? Potest utique et Poetria, et Rhetorica, et Philosophia cum Theologia, et sacris
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Litteris admitti, vel misceri : quod et Paulus, Augustinus, Hieronymus, ceterique maximorum fecerunt, et adhuc faciunt [. . .]41.
Pierre d’Ailly et Gerson sont deux grands théologiens parisiens qui
surpassent la plupart de leurs contemporains dans la connaissance des
auteurs classiques. Qu’y a-t-il là d’étonnant si déjà en 1375 on enseignait
Virgile, Horace, Juvénal, Ovide, Sénèque, Térence, Salluste, Tite Live,
Martial, Macrobe, sans compter nombre d’auteurs de moindre importance ?
Dans ce contexte il paraît normal que ce soit à Gerson, ce théologien
équilibré, cet humaniste avisé et cordialement ouvert à tous les efforts de
l’art littéraire, que Jean de Montreuil ait demandé quels étaient les plus
profitables des auteurs anciens42.
Gilbert Ouy a prouvé, en effet, que le mouvement humaniste est apparu
en France environ cent ans plus tôt que la date acceptée — autour de 1380,
au début du règne de Charles VI43. En 1389, Gerson composa un traité contre
le Dominicain espagnol Juan de Monzon, un texte qu’on peut à bon droit
considérer comme « le véritable manifeste de l’humanisme français naissant, rayonnant d’un optimisme juvénile et conquérant »44 :
L’université de Paris, de toutes la plus ancienne, a toujours été supérieure aux autres par
sa réputation et son prestige. Certains croient trouver son origine à Rome, d’autres à
Athènes, d’autres encore en Egypte. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre, c’est que
toutes les autres universités sont venues après elle, où plutôt qu’elles en découlent ainsi
que d’une source vive qui, en se divisant en quatre facultés comme en autant de fleuves,
irrigue la surface de la terre de l’onde bienfaisante du savoir45.
Ce texte ainsi que d’autres de Gerson, de Clamanges46 et d’autres humanistes
français47, permettent de parler du changement qualitatif dans les études
classiques qui eut lieu, en France, vers la fin du XIVe siècle ; un changement
qui, selon Gilbert Ouy, ne laisse plus aucune raison pour considérer des
auteurs tels que Gerson, Jean de Montreuil ou Nicolas de Clamanges
seulement comme des pré-humanistes48.
L’accord s’établit entre Gerson et Montreuil, contre les historiens qui
n’ont que trop déclamé sur l’opposition entre théologiens et humanistes,
même quand ils semblent dire la même chose49. Cet accord n’est pas à situer
sur l’axe de la pensée antique, mais plus exactement sur l’axe de la pensée
chrétienne la plus consciente d’elle-même50. Ni Gerson ni Jean de Montreuil
n’éprouvaient le moindre doute à ce sujet. Disposant les textes offerts à leur
studieuse curiosité selon la hiérarchie qui est naturelle en climat chrétien,
ils s’accordaient aussi bien sur l’intérêt et le mérite des auteurs païens que
sur le primat inconditionné de la théologie. Ainsi Jean de Montreuil trouva
en Gerson son idéal théologique et rhétorique sans jamais chercher aucune
autonomie de pensée51. Cet idéal est bien un idéal d’humaniste avec son
50 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
culte de l’éloquence et de la perfection oratoire. Cependant, il faut s’empresser de remarquer que ce n’est pas l’idéal d’une rhétorique pure que de
Montreuil propose dans sa lettre « Qui tam multa ». Il déclare que, sans
théologie, l’art oratoire est vide de sens.
De cette façon, Jean de Montreuil interdit à l’histoire de le présenter
comme le prototype des affranchis et des révoltés. Montreuil admire Gerson
parce que le Chancelier l’emporte par la perfection de son art oratoire, mais
s’il va écouter ses sermons, ce n’est ni seulement ni précisément parce qu’il
reconnaît en son éloquence la mise en œuvre des règles classiques, c’est
surtout parce que ce prédicateur a le talent d’émouvoir et qu’il veut être
ému :
Seu voces et instructio ejusdem cancellarii dignissimi ceteros antecellant differantque,
immo inducant et moneant auditores [. . .]52.
Comme le dit Combes, « Gerson travaille à ce que l’éloquence de la
chaire, plus consciente de ses lois, mieux adaptée à ses fins, étende avec plus
de puissance son action bienfaisante et conquérante »53. Il estime que la
théologie n’est pas faite pour demeurer abstraite ou théorique : elle doit se
faire persuasive et communicable.
Chez Gerson et Montreuil, comme chez d’autres humanistes français
de l’époque, l’éloquence n’est pas l’indice d’un retour au paganisme. Gerson
s’appuie, en effet, sur le grand principe ambrosien, thème fondamental de
l’humanisme chrétien, que toute vérité, quelque soit celui qui la profère,
vient du Saint-Esprit. Il précise toujours que trop emprunter aux philosophes
païens est dangereux car leurs idées ne correspondent pas toujours à l’esprit
de pénitence, d’humilité et de foi propres à la religion chrétienne. Dans
l’humanisme de Gerson et de Montreuil, on ne saurait diagnostiquer la
moindre prédominance d’esprit païen. L’idéal qui les inspire est cicéronien
d’origine mais augustinien d’esprit. Telle était la culture dont ils souhaitaient
la diffusion. Telle est la culture qui fera face, à la fin du Moyen Âge, à un
autre humanisme, celui de l’Italie et de Pétrarque.
L’humanisme français et Pétrarque
On voit, à la lumière de tels exemples, quel énorme contresens ont commis
ceux des historiens de la littérature qui refusaient à Gerson la qualité
d’humaniste, alors qu’il est sans doute, en réalité, la figure la plus originale
et, à certains égards, la plus « moderne » de cette première période de
l’humanisme français54.
Il est temps maintenant de clarifier un peu les termes. Lorsqu’on
cherche quelles étaient à Paris les origines de ce qu’on nomme traditionnellement l’humanisme, on désigne en général un mouvement analogue à celui
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de l’Italie. Poser ainsi le problème, c’est, selon certains chercheurs, se
demander à quel moment l’influence italienne commença à atteindre la
France55. Il est clair que l’installation à Avignon de la papauté en 1309
contribua à l’échange entre les clercs italiens et français. Cependant, il est
admis de dater l’influence personnelle de Pétrarque de 1361, date de son
deuxième voyage à Paris et de son ambassade chez Jean le Bon56. Mais
quelle était cette influence ? Qu’est-ce qui intéressait les Français chez
Pétrarque et qu’est-ce que Pétrarque pensait d’eux ?
L’influence de Pétrarque en France fut variée dès le début. Dans un petit
cercle de lettrés circulaient ses traités, ses lettres et ses œuvres poétiques qui
ont tout de suite suscité une profonde admiration57. Les Français le connaissaient surtout comme « devotissimus catholicus ac celebrissimus philosophus moralis » et non pas comme l’auteur lyrique du Canzoniere58.
En effet, si les Canzoniere ne furent guère connus en France avant la
fin du XVe siècle, De remediis utriusque fortunae fut connu avant 137859.
Quelques années plus tard, Renaud de Bétencourt dressait à l’intention des
moines de Saint-Denis un programme de lectures spirituelles dans lequel
figuraient déjà Secretum, De vita solitaria, De otio religiosorum et Psalmi
penitentiales60. Le succès de cette œuvre morale dont le message principal
est le renoncement ascétique à la vanité de ce monde, ne cessait de croître
en France61. Cependant, ce succès même renfermait un présage de paradoxe.
Là où les Français ne voyaient qu’un idéal moral ascétique chrétien, se
distinguaient déjà certains aspects d’un état d’esprit plutôt antique, profane
et stoïcien. Par exemple, le pessimisme du grand Italien dépasse le pessimisme chrétien de saint Augustin, car, aggravé par la fascination pour le
concept antique de fatum, celui de Pétrarque touche presque au désespoir.
Cependant, le fatum n’a pas de place dans le contexte chrétien. Dans la
doctrine chrétienne il fut remplacé par l’idée du mal actif — le Satan, le roi
de ce monde, au pouvoir duquel le croyant échappe grâce au sacrifice de
Jésus. Le passage suivant de Josephina, que Jean Gerson écrivit précisément
afin d’opposer à l’Africa de Pétrarque une épopée chrétienne, illustre à
merveille la différence entre les deux attitudes :
La Fortune changeante ou le cruel Destin n’existent pas. Tout est sagement ordonné par
les décisions libres de Tout-Puissant. [. . .] Pour la philosophie et la théologie on raisonne
différemment : le philosophe tente de remonter de l’effet vers la cause ; le théologien
fait la démarche inverse : il n’est donc pour lui de stupeur ni d’effroi62.
La présence de telles contradictions dans De remediis témoigne du conflit
entre le stoïcisme et le christianisme63.
Bien entendu, l’influence de Pétrarque ne se limite pas au De reme64
diis . On recherchait et copiait ses ouvrages, on imitait son style, on adoptait
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ses thèmes. Les preuves de cette influence se trouvent dans les œuvres de
Gerson et de Clamanges, nourris du style et de la pensée de Pétrarque.
Arrêtons-nous un instant sur ce rapprochement entre deux auteurs en apparence si dissemblables : Gerson et Pétrarque. Le premier, et pendant très
longtemps le seul, à suggérer ce rapprochement fut Georg Voigt, en 189365.
Gilbert Ouy, qui redécouvre Voigt dans les années soixante, s’étonne de
l’indifférence totale qui a accueilli « le rapprochement capital » entre Pétrarque et Gerson qui « semble n’avoir convaincu personne puisque nul,
depuis soixante-dix ans, n’a encore jugé à propos de reprendre et d’approfondir la question ainsi soulevée »66. Peut-on encore s’étonner que quarante
ans après le brillant article de Gilbert Ouy qui a « approfondi cette question »
si importante pour l’histoire de la littérature française, le rapprochement
entre Gerson et Pétrarque n’ait pas acquis davantage de notoriété67 ?
L’influence de Pétrarque se retrouve partout : dans les lettres, les
opuscules en prose ou en vers de Clamanges, dans les écrits de Jean de
Montreuil mais plus qu’ailleurs chez Gerson68. L’influence de Pétrarque ne
se fait pas seulement sentir dans des pièces que l’on pourrait qualifier de
« marginales » comme Le Pastorium Carmen, mais aussi dans les parties
plus typiquement « gersoniennes » de son œuvre : ses livres de dialogues,
Consolatione Theologiae et Dialogus Apologeticus où il nomme son frère
Jean Monicus (c’est précisément ainsi que, dans le Bucolicum Carmen,
Pétrarque appelle son frère Gherardo, le Chartreux), se mettant lui-même en
scène sous le nom de Volucer — autre emprunt aux églogues de Pétrarque69.
Gerson cite et paraphrase le De Remediis dans un fort long passage d’un
de ses sermons français adressés à la cour royale en 1389. Il mentionne
Pétrarque directement, dans son sermon Pour le mercredi des Cendres :
[. . .] ne tu n’en plus estre certain se tu n’as este malheureux et infortunez par aucun
temps, car en adversite voit on l’amy. Pour ce dit Pétrarque : felix se nescit amari70.
Gilbert Ouy met en évidence les parallèles entre le Bucolicum Carmen
de Pétrarque et le Pastorium Carmen de Gerson : les personnages ne sont
pas des individus mais des symboles. Tout est allégorie. Mais même dans
cette petite pièce d’imitation de Pétrarque, où Gerson manifeste une connaissance approfondie de la mythologie, il n’a pas voulu rester dans les
limites de l’églogue ordinaire. Fidèle à lui-même et à sa culture, il utilise le
cadre bucolique pour faire vivre la tragédie de l’Église déchirée par le
Schisme. Les seuls acteurs dignes d’y paraître sont le Christ lui-même, sous
l’apparence de Pan, dieu des bergers, et l’Église, personnifiée par Palès,
déesse des troupeaux. Il s’agit du message de l’Évangile présenté sous une
forme mythologique.
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 53
On trouve le même usage de la mythologie dans le poème gersonien
Josephina. En rédigeant ce poème, Gerson avait sans doute à l’esprit le
prologue de l’Africa de Pétrarque71. Cependant, comme dans Pastorium
Carmen, Gerson utilise le thème antique dans une perspective opposée à
celle de Pétrarque : il emploie l’image du Parnasse comme source biblique
et choisit comme personnage principal non pas Scipion, comme chez Pétrarque, mais saint Joseph72. En reprenant la forme latine du poème narratif en
hexamètres et en la combinant avec le sujet scripturaire, il rend la forme
classique servante de la poésie religieuse, de la foi et de la théologie.
En 1418, Gerson composa un autre long et pathétique poème Deploratio
super civitatem aut regionem que gladium evaginavit super se où, pour
exprimer sa douleur et son indignation après les massacres perpétrés à Paris
par les Bourguignons, il prit pour modèle le prophète Jérémie pleurant la
ruine de Jérusalem. Son choix des références bibliques représente certainement une prise de position vis-à-vis de l’influence italienne.
L’usage particulier que fait Gerson de la forme mythologique reflète
très bien la façon dialectique dont les humanistes français de la première
génération réagirent à la stimulation qui leur venait d’Italie. Il s’agissait pour
eux de s’emparer de nouvelles armes mais pour les retourner contre leurs
maîtres et assurer leur propre gloire littéraire.
Vis-à-vis de l’influence étrangère, les Français manifestèrent la même
attitude qu’envers l’Antiquité : l’utilisation des procédés littéraires, de l’érudition et des figures de style sans pourtant contracter dans les textes antiques
une tendance à prendre les mots pour les idées, les phrases pour les preuves
et l’emphase pour de la hauteur morale73. Ce rapport avec l’Antiquité est
l’un des points par lesquels passe la ligne de partage entre la culture du
premier humanisme français et celle de l’humanisme italien. Si les préférences de Gerson s’adressent à saint Bernard et saint Bonaventure, celles de
Pétrarque s’adressent incontestablement à Cicéron et à Sénèque74. Si pour
Gerson, Cicéron est un maître, mais en éloquence seulement, pour Pétrarque
il est aussi un maître en philosophie et en sagesse :
[. . .] contigit ut dum in Cicerone, velut in homine michi super omnes amicissimo et
colensissimo, prope omnes placerent, dumque auream illam eloquentiam et celeste
ingenium admiratur [. . .]75.
S’il y a entre les humanistes italiens et les humanistes français une différence
indéniable, c’est bien celle-là : elle consiste en la confiance presque totale
que les humanistes italiens manifestent pour les moralistes classiques76. Si
la référence éthique de Gerson demeure l’Histoire sacrée, Pétrarque, en
véritable moraliste strictement humaniste, recherche des leçons d’abord
dans l’histoire romaine77. Le « grand Italien » parle de Cicéron et de Virgile
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presque comme d’un père ou d’un frère, éprouvant à leur égard une affection
qui dépasse celle qu’on peut avoir pour un être vivant78 : « [. . .] J’ai
considéré Cicéron comme un père et Virgile comme un frère »79. Ses recours
constants à des citations latines sont d’une autre nature que ceux de Gerson
ou de Clamanges : secondaires chez les Français, ils deviennent essentiels
chez Pétrarque. Comme l’a dit Nicholas Mann, ses recours sont presque
« d’une teneur religieuse » et l’adjectif « divin » accompagne souvent les
noms des grandes personnalités de l’Antiquité. Contrairement aux Français,
très sélectifs, Pétrarque est « omnivore de l’Antiquité »80.
Si Gerson, nourri de l’Écriture autant que de beaux textes latins, n’était
nullement partagé dans ses admirations, Pétrarque était précisément tourmenté par ce choix entre les classiques et les Pères : « Pour moi, je crois
pouvoir aimer les uns et les autres, pourvu que je sache lesquels je dois
préférer pour le choix des mots, lesquels pour le choix des pensées »81.
Pétrarque apparaît troublé par la lutte intérieure entre le désir très romain de
la postérité et l’espoir du salut. Son œuvre la plus intime, le Secretum, révèle
combien il aurait souhaité donner à ses transgressions un sens parallèle à
celui de la vie d’un saint, qui, nourri de littérature antique comme le jeune
saint Augustin, finit par se tourner vers Dieu et retrouver la paix. Toutefois,
malgré son identification à saint Augustin, Pétrarque garde suffisamment de
lucidité pour observer qu’il n’y arrive pas ; à la fin du débat du Secretum,
Franciscus n’a donc pas été convaincu par Augustinus et n’a pas trouvé la
paix intérieure :
FRANCISCUS : fateor ; neque aliam ob causam propero nunc tam studiosus ad reliqua,
nisi ut, illis explicitis, ad hec redeam : non ignarus, ut paulo ante dicebas, multo michi
futurum esse securius studium hoc unum sectari et, deviis pretermissis, rectum callem
salutis apprehendere. Sed desiderium frenare non valeo.
AUGUSTINUS : in antiquam litem relabimur [. . .] supplexque deum oro ut euntem
comitetur, gressusque licet vagos, in tutum iubeat pervenire.
FRANCISCUS : [. . .] subsidantque fluctus animi, sileat mundus et fortuna non obstrepat82.
Il serait intéressant de comparer le Secretum de Pétrarque au De
Consolatione Theologiae de Gerson puisque les deux œuvres représentent
des dialogues intérieurs ou des soliloques, diverses formes de ménippée83.
Au centre de ces deux ménippées se trouve la recherche de la paix intérieure
face aux épreuves de l’existence humaine84. Or si, comme on a pu le
constater, Franciscus n’a pas réussi sa tâche, Volucer de Gerson a une âme
« déjà consolée », selon l’expression de Combes, une âme étrangère aux
tourments de son contemporain Franciscus :
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 55
VOLUCER : — Hactenus haec, o Monice, theologia locuta sit. Nos ex sua nostraque
collucutione breviter epilogantes, sumamus hoc compendiosum in omni tribulatione
solatem, ut toto corde susperremus, levantes oculos in coelum et dicentes: Deus est Peter
misericordiarum et totius consolationis, in cujus miseratione sperandum est [. . .].
MONICUS : — Fiat ita precor, ex pace Dei quae exsuperat omnem sensum, custodiat
corda et intelligentias nostras in caritate Dei, et patientia Christi, ut per patientiam et
consolationem Scripturarum spem habeamus. Amen85.
Chez Pétrarque, le narcissisme et l’orgueil du poète prévalent sur ses
aspirations mystiques : tandis que Gerson « n’a apparemment jamais essayé
de rassembler ses lettres »86, Pétrarque en a édité et préservé avec soin
environ six cents pour la postérité et il est allé parfois jusqu’à se comparer
à Apollon comme poète d’amour. Parfois, il s’imaginait mourir à Mantoue
parce que Virgile y était né, ou parfois mourir en lisant comme Ptolémée ou
encore mourir en écrivant comme Platon87. Il se compara également à
Ulysse88 ou à Cicéron. Il me semble que Pétrarque représente l’exemple de
la mutation que Gerson craignait le plus : l’adhésion, en partie involontaire
et inconsciente, d’un chrétien à l’esprit païen que l’on croyait vaincu. Or, et
Pétrarque en était parfaitement conscient lui-même, le « ego » romain est
essentiellement incompatible avec l’humilité chrétienne, aussi bien que la
gloire terrestre est incompatible avec le salut89.
Chez Pétrarque, on voit très clairement où passe la frontière entre la
littérature pure et la littérature spirituelle, telle que l’a définie Jean Leclercq :
Le critère est la complaisance que l’on prend en soi-même en écrivant. Or cette
complaisance est le contraire de l’expérience spirituelle, qui est oubli de soi [. . .] elles
sont exclusives l’une de l’autre90.
Le grand poète triomphe mais sa culture trop volontairement classique fait
échouer le mystique91.
L’humanisme comme prise de conscience nationale 92
L’admiration qu’éprouve Pétrarque envers l’antiquité latine dépasse celle
d’un humaniste — elle révèle un autre sentiment que l’on ne peut négliger :
l’orgueil national bien prononcé ou « die nationale Rom-Ideologie », selon
l’expression d’August Buck93. Parfois, ce patriotisme flamboyant semble
dépasser les limites du raisonnable : « Mundi caput est Roma [. . .] terrarum
caput omnium Roma est »94. Cependant, cette idée « romano-nationale » fit
déjà son apparition chez Dante : « Latiale caput pie cunctis est Ytalis
diligendum tanquam comune civitatis principium »95.
L’orgueil national permet à Pétrarque de se sentir contemporain des
Grands Romains de l’époque consulaire, auxquels il eût voulu ressembler96.
La lettre où Pétrarque félicite Urbain V d’avoir ramené la papauté de France
56 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
à Rome commence tout naturellement par la parole du Psaume: « In exitu
Israel de Aegypto, domus Jacob de populo barbaro »97. La culture de
Pétrarque se présente comme foncièrement locale, et comme la revendication des droits d’une culture essentiellement italienne contre les autres, qu’il
déclare, haut et fort, barbares98 :
Et licet multa ut utrobique magnifica viderem ne tamen Italicae originis non poenit, imò,
ut verum fateor, quo latius peregrinor, eo maior Italie soli subit admiratio, nisi forte
nobilius est Graecum nasci quam Italicum ; quod quisquis dixerit, dicat idem et servum
nobiliorem esse quam dominum. [. . .] Credo neminem negaturum aliquanto clarius
italicum esse quam grecum99.
À son ami français, Jean de Hesdin, qui s’indigne d’une telle attitude,
Pétrarque fait observer que lui-même n’y peut rien : « caeterum opinentur
ut libet, barbari sunt »100. Ainsi, son « nationalrömishes Geschichtsbild »101
ouvre une ère nouvelle et annonce la fin de l’universalisme médiéval102.
La division pétrarquiste du monde en Italiens et en barbares a eu bien
des conséquences dont deux concernent notre sujet directement : la première, et peut-être la plus importante, est la condamnation sans appel de
l’interlude barbare que constitue pour lui toute l’histoire des études de Paris,
depuis sa fondation « par le barbare Alcuin jusqu’aux Italiens barbarisés qui
y ont enseigné au XIVe siècle »103 ; la seconde est le réveil, d’abord par
réaction, du nationalisme français. Il est facile de comprendre pourquoi
Pétrarque s’attaque à la Sorbonne. Elle incarne la tradition intellectuelle
plusieurs fois séculaire dont elle était la conséquence historique et le suprême épanouissement, et représente l’argument le plus fort contre l’emploi
du terme « barbare » par rapport aux Français. C’est précisément cet argument qui provoque la colère de Pétrarque104. Selon lui les Français n’ont pas
de quoi être fiers car ni Ambroise, ni Augustin, ni Cyprien, ni Hugues de
Saint-Victor n’étaient français105.
Pour clore définitivement l’histoire d’une erreur qui n’a que trop duré,
Pétrarque met l’immense effort intellectuel, déjà six fois séculaire, entre
deux parenthèses, pour ainsi dire, dont l’une est la Rome cicéronienne et
l’autre . . . lui-même. Ce déblaiement sommaire une fois accompli, la route
du vrai savoir redevient libre. Elle passe de Cicéron à Pétrarque par les
maîtres de l’éloquence chrétienne : Cyprien, Ambroise, Jérôme, Augustin,
Grégoire, tous Romains. Ainsi, comme le remarque Charles Trinkhaus,
même « les héros monastiques proviennent de l’antiquité comme l’étaient
les généraux, les philosophes, les poètes et les orateurs »106. Le thème
historique « de la barbarie du Moyen Âge » trouve là son origine107.
Bien entendu, aucun Français ne peut supporter une telle offense, au
moins à cette époque-là108. Mais, mécontents, les Français ne se rendent pas
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 57
compte non plus que leur langage et leurs arguments ont également changé :
ils réclament l’Université non seulement comme celle de toute la Chrétienté
mais surtout comme « la leur », comme leur fierté nationale.
On voit bien qu’il est ici question d’une construction de l’identité
nationale qui a besoin d’un passé et d’ancêtres dont la nation puisse être
fière, d’une histoire, différente de celle des autres, d’un mythe et d’un
objectif particulier. Il est normal que Pétrarque soit devenu le symbole de
l’Italie. Il lui donna tout ce dont cette jeune nation avait besoin — de grands
ancêtres, le mythe de la grandeur nationale — et lui assigna pour objectif de
se débarrasser de la culture médiévale, désormais perçue comme étrangère,
imposée par des barbares (une sorte de colonisation culturelle), et de faire
renaître la « véritable » culture romaine, perçue comme indigène, dans toute
sa splendeur109.
Dominée par Paris, la culture médiévale devait être rejetée non seulement parce qu’elle était dépassée mais parce qu’elle n’était pas italienne.
L’histoire de l’Italie va de l’Italie à l’Italie, d’une gloire à l’autre. Ainsi dès
sa naissance, l’humanisme italien avait des visées nettement politiques :
d’un côté indépendantistes — la revendication de la culture romaine perçue
comme indigène et révolte contre l’autorité de la Sorbonne perçue comme
un pouvoir colonisateur et oppresseur ; de l’autre, expansionnistes — l’acquiescement par les autres peuples à la supériorité de Rome, de sa langue,
de sa culture et de son histoire, voire à une certaine forme de colonisation110.
Naturellement les idées de Pétrarque trouvent vite des partisans en Italie et
des opposants en France111.
Car, pour la France, les choses en allaient autrement. Menacés par les
nationalismes qui les entouraient, les Français commencèrent, consciemment ou non, à se poser les mêmes questions112. Quelles réponses trouvèrent-ils ? Pour reprendre la formule de Gilbert Ouy, les descendants des
Gaulois pouvaient-ils partager l’idéal de ceux qui se proclamaient les héritiers de César et était-il vrai « qu’à moins de songer à revenir au temps des
druides, les Français n’ont d’autre choix, pour affirmer leur personnalité,
que de prétendre non pas à égaler, mais à dépasser les hommes de l’antiquité »113 ?. À mon avis, il y a une alternative : les premiers humanistes
français pouvaient trouver que leur passé glorieux était le Moyen Âge, leur
mythe national la Sorbonne, leurs ancêtres spirituels les grands mystiques
et, avant tout, saint Bernard. Adopter la nouvelle culture humaniste ne
signifiait-il pas renier ses origines, son mythe national, ses ancêtres, « [sa]
langue, [son] passé culturel, [son] histoire, bref, [son] identité nationale »114 ? Cela expliquerait d’ailleurs le fait que les premiers humanistes
du groupe de Gerson s’identifiaient beaucoup plus à saint Bernard qu’à
Cicéron. On peut alors avancer l’hypothèse selon laquelle ils préféraient
58 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
Bernard à Cicéron non parce qu’ils « étaient encore théologiens, ces humanistes médiévaux toujours fidèles à l’esprit mystique », comme on l’explique d’ordinaire, mais plutôt qu’ils étaient fidèles à l’esprit médiéval parce
qu’ils préféraient leur génie national, auquel ils pouvaient s’identifier, à une
autorité importée. Il y a des indices qui laissent supposer que cette hypothèse
comporte au moins une certaine part de vérité.
Il suffit d’examiner de près les réactions des humanistes français aux
déclarations nationalistes de Pétrarque. L’immense admiration que lui
vouaient les émules français ne les empêcha pas de se sentir piqués au vif
quand le vieux Pétrarque écrivit qu’il était inutile de chercher des poètes et
des orateurs hors d’Italie : « oratores et poete extra Italiam non querantur »115.
Pétrarque soutenait, en somme, qu’on enseignait l’art oratoire et la
poésie plus en Italie que dans d’autres pays. Nicolas de Clamanges, proche
ami de Gerson et humaniste qui avait expressément revendiqué avoir pris la
tête du mouvement « de retour à l’éloquence des auteurs anciens », continua
le débat et répondit à Pétrarque que la Rhétorique de Cicéron était autant
enseignée à l’Université de Paris, souvent en leçons publiques116. S’étant
procuré les armes de la nouvelle technique italienne, Clamanges cherche à
créer un modèle culturel français117. Grâce aux découvertes de Gilbert Ouy,
on sait maintenant que Clamanges fut très probablement le premier humaniste en France à avoir une certaine connaissance du grec118. Dans ses
manucrits du temps de Constance, on trouve de longues citations grecques
transcrites à la main « d’une écriture assez élégante et d’une orthographe
assez correcte »119. À plusieurs reprises, Clamanges tient à préciser qu’il ne
doit rien ni à l’Italie ni à Pétrarque : « Credit mihi Boloniam vestram, quam
matrem studiorum vocas, numquam omnino vidi [. . .] nec Italiam »120 :
« viri illius [. . .] raro et non libenter scripta perlego »121. Évidemment,
Clamanges ne fit que réagir avec excès à la thèse excessive de Pétrarque et
de ses disciples, revendiquant pour l’Italie le monopole du beau style. S’il
y a de l’amour propre national dans la pointe du vieux maître italien, il y en
a certainement autant dans la réponse de Clamanges.
Les amis français des lettres devaient leur formation exclusivement à
l’Université de Paris et ils avaient conscience de suivre et de renouveler une
tradition française, et nullement de déférer à des conseils venus de l’étranger.
Déjà en 1389–90, Jean Gerson évoque le glorieux passé de la France, illustré
par tant de grands personnages, dans son traité inachevé contre Juan de
Monzon122. Selon Gerson, si l’histoire glorieuse de la Gaule n’avait pas son
grand poète égal à Pétrarque jusqu’à maintenant — « hactenus » —, « la
situation va désormais changer — sous-entendu : car me voici »123. On voit
également dans ce texte le thème typiquement renaissant du dépassement
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 59
des Grecs et des Romains, que Gerson développa cent soixante ans plus tôt
que ne le fit Du Bellay dans La Défense et illustration de la langue
française : « [. . .] viros sane haberemus quos Ytalis Grecisque aut preponere liceret aut opponere »124. Dans son poème Josephina, Gerson chante la
supériorité de Paris :
C’est toi d’abord que viennent féconder ses eaux,
O Paris sans pareille, ô mère des études,
Plus grande que l’Egypte et plus grande qu’Athènes,
Car plus noble et plus pure est ta philosophie,
Où nulle erreur ne mêle sa senteur malsaine ;
Toi seule es à l’abri des monstrueux prodiges [. . .]125.
La conscience nationale de l’humanisme français devient encore plus
manifeste au moment où, élargissant le débat, Clamanges compare la France
et l’Italie126. Clamanges se présente comme l’héritier d’Hilaire de Poitiers,
de Prosper d’Aquitaine, de Gennadius, d’Yves de Chartres, d’Hildebert de
Lavardin et, bien sûr, de saint Bernard qui : « studium usum, exercitium
assiduum, attentamque lectionem auctorum eloquentium, cum aliqua forte
ingenii aptitudine »127.
Il est évident que lui aussi se construit « une lignée » d’ancêtres nationaux. Cependant, puisque ses « ancêtres » appartiennent au Moyen Âge, il
jette les fondations d’un schéma historiographique profondément différent
de celui de Pétrarque : au lieu d’une rupture, il s’agit d’une continuité. Ainsi,
la querelle franco-italienne aboutit à une évolution fort différente du Moyen
Âge et de la culture médiévale française128.
L’amour-propre national explique également l’espèce de « conspiration
du silence » qui a presque banni le nom de Pétrarque des écrits des auteurs
français de cette fin de XIVe siècle. Bien entendu, Clamanges connaissait
Pétrarque aussi bien que son ami Montreuil, mais il évitait de le citer ou de
se référer à lui. Il s’agit ici, comme l’a bien remarqué Voigt, de « gallischer
Stolz [de l’orgueil gaulois] » refusant de reconnaître la primauté de la culture
italienne129. Ce refus obstiné de reconnaître quelque dette que ce soit envers
Pétrarque est illustré de façon particulièrement frappante par une des lettres
de Clamanges à Rémond de Fontaines, où il ne daigne même pas mentionner
le nom du grand Italien.
Dans le sermon déjà mentionné du jeune Gerson, Pour le mercredi des
Cendres, l’auteur, tout en reprenant textuellement plusieurs passages du De
remediis, évite, lui aussi, de se référer à Pétrarque, sans doute pour les mêmes
raisons que son ami Clamanges. Ce refus explique aussi la sous-estimation
de l’influence de Pétrarque par les historiens accoutumés à mesurer la
60 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
« fortune » d’un écrivain au nombre des citations explicites qui émaillent
les œuvres de ses émules130.
On peut trouver une autre illustration caractéristique des relations
franco-italiennes chez le même Jean de Montreuil, qui, piqué au vif d’être
traité de barbare mal dégrossi par les lettrés italiens comme Leonardo Bruni,
se console en écrivant son De gentis et factis memorabilibus Francorum et
une brève Vie de Charlemagne. Choix significatif !131 Les deux lettres que
Jean de Montreuil avait écrites après avoir rencontré les humanistes de Rome
montrent très bien la dialectique des relations entre les deux humanismes.
Dans la première lettre qu’il adresse d’Arezzo au chancelier de Florence
Coluccio Salutati, l’héritier spirituel de Pétrarque, Montreuil suppliait humblement son ami de « lui ouvrir l’intelligence et de lui trancher le filet de la
langue, comme on fait aux enfants muets, afin qu’il puisse parler »132. Dans
la seconde lettre écrite à un ami parisien, Montreuil maudissait l’Italie
comme une nouvelle Babylone, et exprimait sa nostalgie pour Paris, « Ville
des Villes, fleur qui embaume l’Univers [. . .] »133.
Ces comparaisons de l’Italie avec Babylone et de Paris avec une fleur
sont bien instructives, elles contiennent en elles-mêmes plus encore que le
simple amour-propre national134. Paris est une ville pieuse, le symbole de
l’Occident chrétien où l’Université veille à la transmission de la tradition
théologique. Babylone est une image du monde païen qui évoque la situation
en Italie où le retour à l’éloquence s’accompagne, aux yeux de Montreuil,
d’un certain retour aux valeurs que le Christianisme croyait avoir vaincues.
La même idée se trouve chez Nicolas de Clamanges, dans son églogue
composée à l’automne 1394, après l’élection de Benoît XIII à Avignon. Dans
ce poème, l’Université de Paris est représentée comme une source pure et
sacrée qui se divise en quatre ruisseaux-facultés. On sait que cette métaphore
fut déjà utilisée par Gerson en 1388 dans son Traité contre Juan Monzon.
Ainsi la source du savoir, jadis adorée par les Grecs et les Romains, se trouve
maintenant en France135.
Si, pour retrouver l’éloquence antique, les Italiens s’adressent avant
tout à Cicéron et à Virgile, les Français s’adressent aux Pères : saint Jérôme
et saint Augustin. Comme l’a dit Étienne Gilson : « En Italie, Pétrarque était
allé de Cicéron à Augustin ; en France, Augustin allait ramener Cicéron »136.
Pour être juste, il faut quand même ajouter qu’au Moyen Âge la situation
des lettres classiques était très différente en Italie et en France. Ceci explique
en partie la différence d’attitudes des Français et des Italiens. En Italie,
l’étude des lettres se heurtait à une très forte hostilité des moines, qui
s’attaquaient principalement à la poésie classique au nom de principes
purement religieux. Virgile, Horace, Ovide représentaient pour eux ce
paganisme même que le Christianisme voulait abolir. Cette attitude présente
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 61
deux siècles de retard par rapport à celle de saint Bernard qui sut harmoniser
la plus grande beauté de style avec l’esprit religieux le plus élevé, et qui avait
déjà préconisé une position équilibrée vis-à-vis de l’étude des lettres137.
Cette attitude accuse même du retard sur celle de l’Université de Paris car
c’est de l’Université même que viendra l’initiative de renouveler le programme d’études et d’y inclure les auteurs antiques.
Cependant, pour avoir un tableau complet des relations culturelles
franco-italiennes, il est capital de les situer dans le contexte politique. Il faut
dire d’abord qu’il y a certainement une relation de cause à effet entre la
dépréciation militaire de la France et sa dépréciation culturelle par les
Italiens. Il y en a également une entre la défaite diplomatique subie par
Charles V et la soudaine apparition en France de textes d’un style nouveau
trahissant l’influence des écrits latins de Pétrarque138.
Il est clair que la proximité de certains humanistes à l’égard du pouvoir
plaçaient leurs propos sur la France sous un signe plus nettement politique
et leur attitude envers la culture française se modifiait avec le changement
des intérêts politiques italiens. La proximité géographique avec la France
commençait à soulever des inquiétudes vers les années 1370–75 quand se
précisaient les risques d’un conflit entre la papauté avignonnaise et la cité
de l’Arno139. Or, comme le remarque Patrick Gilli, le déclenchement des
hostilités coïncide avec l’arrivée à la chancellerie de notre humaniste Caluccio Salutati en avril 1375140 ; non seulement Salutati exagéra délibérément
la menace de la France mais il essaya de réécrire l’histoire même des
relations des deux pays en prétendant que déjà « les admirables et très
vaillants ancêtres » de ses compatriotes avaient lutté contre les « féroces
Gaulois » qui agressaient leur « libertas latina »141. C’est sous la plume de
Salutati que le thème d’une menace d’asservissement de l’Italie par le roi de
France prit toute son ampleur et que les Français furent pour la première fois
clairement désignés comme les ennemis de l’Italie : « Nolite pati per iniuriam hos Gallicos voratores vestre Italie tam crudeliter imminere »142.
L’identité culturelle italienne se construisait aux dépens de la France :
l’on remettait en question des traditions historiographiques et le prestige de
la littérature médiévale française. Si jadis plusieurs villes italiennes étaient
fières de leurs « origines » carolingiennes, on cherchait alors à minimiser
l’influence « française » et chaque ville s’efforçait de prouver son origine
« purement romaine »143. Si pendant le XIIIe siècle, le prestige et la popularité de la littérature chevaleresque française furent considérables et si
encore, jusqu’au milieu du XIVe siècle, les Gonzague de Mantoue cherchaient à se faire représenter sur les murs de leurs palais en héros de romans
de chevalerie, Pétrarque se moquait déjà de « Lancelot, Tristan et les autres
errants » dans le Triomphe d’Amour144. Avec le temps, la tendance nette-
62 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
ment anti-française s’intensifia et les humanistes comme Salutati, Bruni,
Bertolomeo Fazio ne manqueront pas d’y apporter leur contribution. Ainsi
Fazio prétendit, par exemple, ignorer La Chanson de Roland : « Orlandum
nescio quem et Rainaldum »145. Le soudain oubli des humanistes italiens de
leur dette envers la littérature française est comparable à l’oubli quasi
unanime des humanistes français de leur dette envers Pétrarque. Si Gilbert
Ouy s’étonne que même plus d’un siècle après la mort de Pétrarque la
rancœur des humanistes français envers lui reste vivace, la même chose est
certainement vraie pour les humanistes italiens qui, pendant un siècle et
demi, de génération en génération, déploieront une orientation cohérente que
l’on peut qualifier d’anti-française. Il est toutefois remarquable que cette
orientation anti-française ne survienne pas après la guerre avec la France,
et qu’on ne puisse pas la qualifier de rancœur — mais qu’elle vienne
principalement de la conscience d’une éventuelle menace de la France allant
de pair avec la conscience du prestige national retrouvé. Dans ce complexe
de craintes mêlées de mépris, la France tient le rôle de « repoussoir, comme
marqueur négatif de l’identité italienne, presque un double de l’Italie »146.
Ainsi, des deux côtés des Alpes, le jeu entre les humanistes a mobilisé les
patriotismes et l’humanisme français naissant était au moins aussi imbu de
l’orgueil national que l’humanisme italien147.
Cependant, malgré toutes ces divergences, les mouvements humanistes
italien et français font partie du phénomène qu’on constate à l’échelle
européenne et qui trouve son expression non seulement dans l’affirmation
de l’esprit national mais également dans la recherche du renouvellement
spirituel. Comme dans les pays germaniques, le désir de renouvellement, qui
anime sans doute Gerson et Pétrarque, a une origine commune : le mécontentement profond provoqué par l’omniprésence de la théologie spéculative,
par le dessèchement scolastique et par les querelles d’écoles. On peut alors
considérer les idées de Gerson et de Pétrarque comme une réaction à une
situation qui leur était contemporaine. Cependant, les nuances dans leur
réaction à un mal commun sont encore plus révélatrices que cette réaction
elle-même : si Pétrarque rejette complètement l’enseignement des scolastiques en tant que tel148, Gerson a une position plus modérée ; sans condamner
la méthode scolastique, il critique vigoureusement les théologiens qui méprisent l’étude de la Bible et des Pères, qui multiplient inutilement les
questions et vident la théologie de tout contenu. Les critiques de la théologie
scolastique au XVe et XVIe siècles ne diront rien contre elle que Gerson n’ait
déjà dit.
Il y a d’autres parallèles encore. Comme Gerson, Pétrarque, « l’humaniste encore dominé par tous les prestiges du mystère chrétien, demande à
saint Augustin une vérité émouvante »149. Comme Gerson, il voudrait res-
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 63
taurer dans la plénitude de ses droits la culture des Pères et remettre la
dialectique à sa place. Comme Gerson, il se détourne de l’aristotélisme
médiéval et cherche la sapientia, la sagesse150. Tous les deux aspirent à une
nouvelle discipline morale, à une nouvelle méthode spirituelle et à la
réforme de la Chrétienté151. Ces traits, proposés par Franco Simone comme
les critères de l’humanisme, constituent le fond commun entre Gerson et
Pétrarque152. Mais, si leurs aspirations sont semblables, leurs motifs et leurs
solutions diffèrent.
Gerson sait que ce ne sont pas les philosophies, mais la foi, l’espérance
et la charité qui consolent les cœurs. Il rêve d’une théologie simplifiée et
émouvante mais il ne fait pas que d’y rêver. Il y croit sincèrement et il
travaille à la réalisation de son rêve par ses discours, par ses sermons, par
ses actes153.
Le génie individualiste de Pétrarque se montre dès l’abord irréconciliable avec la spiritualité médiévale. Il s’en détourne et commence à chercher
ailleurs. Son aversion pour la scolastique et l’aristotélisme est provoquée
par le mauvais latin plutôt que par un désaccord philosophique. En fait,
profondément « rebuté par la rudesse d’une forme souvent barbare, il connaissait mal ceux qu’il condamnait »154. Même sa préférence pour Platon
est plutôt de nature esthétique. Selon l’expression d’Augustin Renaudet, son
platonisme, éloquent et poétique, « ne représente certainement pas en face
de l’aristotélisme médiéval un progrès de l’intelligence »155. Ses préférences
pratiques s’adressent à Cicéron et à Sénèque. Gerson préfère Platon pour des
raisons spirituelles : il intériorise ses idées et les intègre dans sa cosmologie
de la grâce.
Quand Pétrarque parle de son « désir de travailler à la réforme de la
Chrétienté », on sent surtout « le poète qui rêve »156. Gerson, imprégné de
la piété apostolique, cherche des solutions pratiques qui puissent réellement
changer la vie de la Chrétienté, d’où son activité réformatrice157. Le renouveau apporté par Pétrarque est tout poétique et littéraire158. Malgré ses
aspirations mystiques et comme malgré lui (car Pétrarque, autant que Gerson, cherche initialement la sagesse), ses recherches aboutissent à « un
savoir » de nature plutôt esthétique et intellectuelle, autrement dit à une
scientia et non à une sapientia. Sa curiosité insatiable d’humaniste en est
certainement la cause ; la fin du Secretum, citée plus haut, montre très bien
son dilemme. L’orientation vers une accumulation de savoir livresque,
nourrie par une curiosité humaniste inapaisable, mène à un isolement tout
autre que celui du mystique. La vie solitaire dont parle Pétrarque dans le De
remediis et dans le De vita solitaria est déjà la solitude toute moderne du
chercheur enfermé dans son cabinet avec ses écrits et ses livres :
64 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
[. . .] chez Pétrarque il s’agissait du loisir de l’humaniste qui peut s’adonner en paix aux
travaux intellectuels. C’était bien autre chose que le service de Dieu, l’ascèse, la
contemplation qu’incarnaient les grands moines. [ . . . . ] Le mépris du monde de Sénèque
n’est nullement celui que prêche St. Bernard [. . .] beaucoup plus optimiste159 !
La recherche individuelle et la spiritualité plutôt intellectuelle que
favorise une telle solitude seront longtemps les traits particuliers de la pensée
humaniste italienne. Une telle spiritualité, réservée à l’élite, exclut l’aspiration « démocratique » propre à Gerson et à devotio moderna. En même
temps, grâce à un fort côté lyrique, poétique et littéraire, le mouvement
italien se distinguera par un aspect philologique beaucoup plus prononcé
qu’ailleurs. Ce fort aspect philologique a même tendance à l’emporter sur
les autres. Dans une de ses lettres (Rerum familiarum), Pétrarque soutient
que la théologie n’est qu’une poésie dont Dieu est l’objet160. Boccace
(1313–75) reprend le même thème au livre 14 de son De genealogiis deorum
gentilium et compare l’Écriture à la poésie, non seulement parce qu’elle use
d’images, de métaphores et de paraboles, qui sont des modes d’expression
poétiques, mais parce qu’elle dissimule constamment son sens sous le sens
littéral du texte.
Quand Clamanges ou Gerson parlent de la Bible, ils évoquent surtout
le souffle de l’Esprit qui rend éloquents les prophètes. Ce n’est pas sans
raison que le saint Esprit est descendu sur les Apôtres sous forme de langues
de feu : l’alliance entre l’éloquence humaine et le saint Esprit suppose une
culture morale de l’orateur. Clamanges remarque : « prenez garde que ce
qu’il [Jésus] a posé, ce n’est pas l’habilité de parole, mais la bonté de
l’homme »161. Par peur du sophisme et de la démagogie, l’éloquence ne doit
pas être au service de l’impie, même savant : « ita theologum nominamus
bonum virum in sacris litteris eruditum; non quidem eruditione solius
intellectus, sed multo magis affectus [. . .] »162. La même différence persiste
entre les Français et les Italiens à propos du sens du mot vertu. Si Pietramala,
un humaniste italien à Avignon qui prit part au débat franco-italien de
l’époque, employa, dans sa lettre « Sepe alias » le terme « vertu » dans son
sens classique, Clamanges rejeta cette définition et employa ce mot dans le
sens chrétien de « qualité d’âme et de charité »163. Chez Gerson ou Clamanges, la forme n’importe jamais sur le contenu et la perfection du style reste
pour les humanistes français un moyen et non un objectif.
Cette différence d’attitudes influencera également l’aspect linguistique
présent dans les « deux humanismes ». En Italie, Pétrarque établit l’ère de
la langue vulgaire qui, à partir de cette époque là, commence à remplacer le
latin. En même temps, Pétrarque perfectionne son latin qu’il veut égal à celui
des grands Romains. On assiste, de cette façon, à une coexistence des deux
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 65
langues, un phénomène qui se produit également qu’en France. Cependant,
l’emploi de deux langues n’obéit pas aux mêmes lois en Italie et en France :
si, chez Pétrarque, la langue vulgaire est déjà vue comme un moyen d’expression littéraire, en France elle devient surtout la langue du renouveau
spirituel. Parmi plus de soixante textes en langue vulgaire de Jean Gerson
qui nous sont parvenus, la plupart sont des sermons et des prières. L’emploi
du français vient de la nature même de cette nouvelle spiritualité, ouverte à
tous et à chacun en particulier164. C’est pourquoi Gerson ne s’enferme pas
dans sa théologie ni dans sa science latine, croyant devoir instruire tous les
Français en français pour dire à tous la vérité dans la langue de tous165.
Ainsi, l’usage du français provenant d’une nécessité ressentie comme
spirituelle, s’oppose à l’emploi de l’italien chez Pétrarque dont la base est
plus séculaire. Encore une fois, on assiste au phénomène caractéristique de
cette époque historique : si en Italie le renouveau, cette fois d’ordre linguistique, se détache manifestement de la tradition spirituelle du passé médiéval,
en France il se rattache à cette tradition, se met à son service. Qu’on feuillette
au hasard la Correspondance de Clamanges ou les sermons de Gerson, ils
donnent le même conseil : n’enseignez pas, prêchez ! Le souci principal qui
ramène les humanistes français à l’éloquence latine ou à l’usage de la langue
vulgaire est la prédication. En se servant d’un outil linguistique ou littéraire,
le prédicateur doit se comporter « ad imitationem Christi qui, ut legimus,
coepit facere et docere » (Actes des Apôtres, 1:1). Le cœur ne peut pas se
taire quand la langue travaille, car c’est le cœur qu’il faut essayer de changer
pour sauver une âme.
C’est par souci de redresser la nature déchue que les humanistes français
comme Gerson ou Clamanges ont voulu la renaissance des études anciennes.
Ce n’est pas un hasard, à mon avis, si la période du premier humanisme
français (1395–1415) correspond au retour à la mystique affective en France.
Il ne s’agit pas d’une véritable « trahison des clercs », selon l’expression de
Beltran, qui ne surent pas « se faire un nom à travers le culte désintéressé
des lettres anciennes »166. Sans nullement être « traîtres » à l’humanisme
« au sens strict du terme »167, Gerson et ses amis, plus au moins conscients
du danger que représentaient l’hégémonie italienne au plan politique et le
retour aux mœurs antiques au plan moral, cherchaient leur propre voie. Cette
recherche les amena à une symbiose entre l’éloquence et la beauté formelle
de la culture classique et le contenu du message spirituel de la mystique
affective. Fruit des convictions personnelles des premiers humanistes français, cette symbiose n’en est pas moins le produit de circonstances historiques, le moyen de préserver et de former l’identité culturelle : elle permit
d’intégrer la nouvelle culture venue de l’étranger dans un idéal toujours
66 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
dominé par la spiritualité médiévale, maintenant perçue comme un héritage
national précieux.
Le même souci inspirera les deux autres générations d’humanistes
français tout au long du XVe et au début du XVIe siècles, ce en quoi ils n’ont
fait que continuer l’œuvre de Nicolas de Clamanges et de Jean Gerson168. Il
n’existe pas de véritable rupture dans l’histoire de l’humanisme en France
entre la fin du XIVe et le début du XVIe siècles. Après Clamanges, ce sera
Guillaume Fichet qui présentera en 1471 sa Rhétorique à Bessarion comme,
avant tout, une œuvre théologique. Après Fichet, ce sera Robert Gaguin qui
se méfiera en 1501 des philosophes païens et s’inquiètera du succès que
remporte Platon grâce à l’activité et au charisme de Marcile Ficin. Et après
Gaguin, ce sera Lefèvre d’Étaples qui manifestera la même prudence et les
mêmes soucis dans ses études des lettres classiques. L’idéal qui l’inspirera
fait écho à celui de Gerson et de Clamanges : les exigences humanistes y
coexistent avec la mystique affective.
Ainsi, en France aussi bien qu’en Italie survient un changement d’expression littéraire et d’origine nationale, qui prendra en France la forme d’un
humanisme chrétien très particulier qu’on pourrait, pour éviter la confusion
des termes, appeler un humanisme mystique. Cette nouvelle spiritualité,
rénovée par le génie de Pétrarque et fortement attachée à la théologie
affective de saint Bernard, dominera, selon Augustin Renaudet, la pensée
française jusqu’à l’apparition de la Réforme, et trouve son expression dans
l’œuvre de Jean Gerson.
University of Alaska, Fairbanks
Notes
1. André Combes, « Gerson et la naissance de l’humanisme : note sur les rapports de
l’histoire doctrinale et de l’histoire littéraire », Revue du Moyen Âge latin, t. 1, 1945,
p. 259–84 ; Jean Montreuil et le Chancelier Gerson, Paris, J. Vrin, 1942.
2. Augustin Renaudet, Humanisme et Renaissance, Genève, Slatkine, 1981 ; Préréforme
et Humanisme à Paris pendant les premières guerres d’Italie (1494–1517), Paris,
Librairie d’Argences, 1953.
3. Étienne Gilson, La Philosophie au Moyen Âge, 2 vol., Paris, Payot, 1947 ; Humanisme
et Renaissance, Paris, J. Vrin, 1983.
4. Henri Hauser et Augustin Renaudet, Les Débuts de l’âge moderne, Paris, Presses
Universitaires de France, 1946.
5. Franco Simone, Guillaume Fichet retore e umanista, Memoria, Estrato della Memoria
della Reale Academia della Scienze di Torino, sér. 2, t. 69, partie II (1937–39), 1940.
6. Gilbert Ouy, « Enquête sur les manuscrits autographes du chancelier Gerson et sur les
copies faites par son frère le célestin Jean Gerson », Scriptorium, t. 16, 1962, p.
275–301 ; Gerson bilingue, Paris, H. Champion, 1998 ; « Gerson, émule de Pétrarque », Romania, t. 88, 1967, p. 175–231 ; « Jean Gerson », dans Patrimoine littéraire
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 67
européen. Prémices de l’humanisme, 1400–1515, dans Anthologie en langue française,
Bruxelles, De Boeck Université, 1995 ; Les manuscrits de l’abbaye de saint-Victor.
Catalogue établi sur la base du répertoire de Claude de Gransrue (1514), Turnhout,
Brepols, 1993 ; « Les premiers humanistes français et l’Europe », dans La conscience
européenne au XVe et au XVIe siècles. Actes du Colloque international de Paris, École
Normale Supérieure de Jeunes Filles, sept–oct. 1980, Paris, École Normale
Supérieures de Jeunes Filles, 1982, p. 280–95 ; « L’humanisme du jeune Gerson » dans
Genèse et débuts du grand schisme d’Occident : 1362–1394, Colloques internationaux
du C. N. R. S., Paris, Éditions du CNRS, 1980, p. 256–68 ; « L’humanisme et les
mutations politiques et sociales en France aux XIVe et XVe siècles », dans L’Humanisme français au début de la Renaissance. 14e Colloque international de Tours, Centre
d’Études Supérieures de la Renaissance, Paris, J. Vrin, 1973, p. 27–44.
7. Serge Lusignan et Gilbert Ouy, « Le Bilinguisme latin-français à la fin du Moyen
Âge », dans Acta Conventus Neo-latini Torontonensis. Proceedings of the Seventh
International Congress of Neo-Latin Studies. Toronto, 8 August to 13 August, 1988,
éd. Alexander Dalzell, Charles Fantazzi et Richard J. Schoeck, Binghamton, N.Y.,
Medieval and Renaissance Texts and Studies, 1991, p. 155–64.
8. Ezio Ornato, Jean Muret et ses Amis Nicolas de Clamanges et Jean de Montreuil,
Genève, Droz, 1969.
9. Verdun Saulnier, « Les premiers temps du livre », dans L’Humanisme français au
début de la Renaissance. 14e Colloque international de Tours, p. 9–26.
10. G. Matteo Roccati, « La formation des humanistes dans le dernier quart du XIVe
siècle », dans Pratiques de la culture écrite en France au XVe siècle, éd. Monique
Ornato et Nicole Pons, Louvain-la-Neuve, Fédération Internationale des Institututs
d’Études Médiévales, 1995, p. 55–73.
11. Dario Cecchetti, « L’elogio delle arti liberali nel primo umanesimo francese » dans
Studi Francesi, t. 28, 1966, p. 1–14 ; Petrarca, Pietramal e Clamanges : storia di una
« querelle » inventata, Paris, Éditions CEMI, 1982 ; « Sic me Cicero laudare docuerat.
La retorica nel primo umanesimo francese », dans Préludes à la Renaissance. Aspects
de la vie intellectuelle en France au XVe siècle, éd. Carla Bozzolo et Ezio Ornato, Paris,
Éditions du CNRS, 1992, p. 47–106.
12. Désiré Nisard, Histoire de la littérature française, Paris, Firmin Didot, 1844.
13. Franco Simone, « Le Moyen Âge, la Renaissance et la critique moderne », Revue de
littérature comparée, No 71, juillet–septembre 1938, pp. 411–35, p. 414 : « Les
historiens avaient beaucoup travaillé à remettre en lumière les siècles médiévaux, mais,
manque d’une profonde théorie de l’histoire, ils arrivaient à ramener les ténèbres de
toute une époque sur un siècle : le XVe [. . .]. Dans cette conception, il était naturel
que l’origine de la Renaissance française dépendît complètement du mouvement
italien ».
14. L’expression est de Gustave Lanson, Histoire de la littérature française, Paris,
Hachette, 1924, p. 154.
15. Simone, « Le Moyen Âge, la Renaissance et la critique moderne », p. 426.
16. Ibid., p. 428.
17. Henri Hauser, Études sur la réforme française, Paris, Picard, 1909, p. 423.
18. Simone, « Le Moyen Âge, la Renaissance et la critique moderne », p. 428.
19. Jean de Montreuil a été assassiné par la soldatesque du duc de Bourgogne pendant les
massacres de 1418. Malgré le fait qu’on n’ait jamais retrouvé les lettres de Gerson à
Montreuil, tout laisse comprendre que Gerson le connaissait. Gerson réagit dou-
68 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
loureusement à la nouvelle de sa mort. Voir André Combes, Jean de Montreuil et le
Chancelier Gerson, Paris, J. Vrin, 1942. Certains chercheurs, comme Combes, emploient le nom « de Montreuil », les autres « Montreuil ».
20. Antoine Thomas, De Joannis de Monsterolio vita et perebus, Paris, Thorin, 1883.
21. Lanson, p. 157.
22. Il s’agit du fameux rêve de saint Jérôme quand il fut fouetté par un ange en punition
de sa négligence des Écritures au profit des études profanes, de Cicéron en particulier.
Voir Jean Gerson, In festo St. Michaelis archangeli. Collatio : Factum est, Œuvres
Complètes, éd. Palémon Glorieux, 10 vol., Paris, Desclée, 1960–73, 5 : 321 : « Sensit
et eam egregius et vere beatus doctor Hieronymus cujus hodie vigilia festivatur raptus
severe interrogatus est et verberibus caesus quia Ceceronis libros, divinis omissis,
attente nimis legitabat sicut scribit inquadum epistola. [Le plus distingué et saint
docteur Jérôme sentit pendant son sommeil qu’il fut violemment poussé, sévèrement
interrogé et battu parce qu’il lut trop attentivement les livres de Cicéron en oubliant
les matières divines. Ceci il a écrit dans la ladite lettre.] » (ma traduction).
23. Lanson, p. 157.
24. Gilson, La Philosophie au Moyen Âge, t.2, p. 746 : « Il est actuellement impossible de
dire à quel moment précis on a commencé à restaurer l’étude des classiques à l’intérieur
de l’Université de Paris, mais une leçon d’ouverture de Pierre d’Ailly sur les Sentences,
datée de 1375, nous assure qu’à cette date, l’éloquence avait retrouvé des adeptes parmi
les théologiens parisiens. Cette leçon est, elle-même, un morceau d’éloquence savamment construit en vue d’effet ».
25. Ma traduction : « [. . .] l’union de l’éloquence avec la sagesse dans laquelle n’existe
aucune incompatibilité entre l’humanisme et la théologie ». Simone évoque Lefèvre
d’Étaples dans Guillaume Fichet retore e umanista, p. 42 : « La quale non esiste alcuna
incompatibilità tra umanismo e teologia [. . .] non solo e fondamentale per l’interpretazione dell’umanismo della Rinascenza — il merito di Lefèvre d’Étaples consiste
appunto nell’avere sostenuto tale unione [. . .] come vedremo da tutti gli umanisti del
secolo XV appunto perchè erano teologi e litterati ad un tempo ». Ma traduction : « Il
n’existe aucune incompatibilité entre l’humanisme et la théologie [. . .] c’est non
seulement fondamental pour la compréhension de l’humanisme de la Renaissance —
le mérite de Lefèvre d’Étaples consiste précisément dans le fait qu’il a affirmé une telle
union [. . .] comme nous verrons chez tous les humanistes du XVe siècle, précisément
parce qu’ils étaient théologiens et lettrés à la fois ».
26. Comme le croit, effectivement, Dennis D. Martin dans son livre Fifteenth-Century
Carthusian Reform. The World of Nicholas Kempf, Leide, E. J. Brill, 1992, p. 58 :
« [. . .] we see how late medieval affective piety, so ubiquitous in the Devotio Moderna,
in Gerson’s reform efforts at Paris, in Langenstein’s “nisi credideritis”, merged with
humanist piety ». Ma traduction : « [. . .] on peut voir comment la piété affective du
Moyen Âge tardif, si omniprésente dans la Devotio Moderna, dans les efforts réformateurs de Gerson à Paris, dans “nisi credideritis” de Langenstein se fond avec la piété
humaniste ». Il est vrai que le retour à la théologie mystique et affective coïncide avec
le premier humanisme et que les deux forment, chez Gerson, un seul phénomène.
27. Combes, Jean de Montreuil et le Chancelier Gerson, p. 561 : « Dans la mesure où
Gerson et Montreuil incarnent la théologie et l’humanisme, il est sûr que certains
rapports sont observables entre humanisme et théologie au début du XVe siècle, mais
ils diffèrent essentiellement de ceux dont l’histoire aime à nous entretenir ». Les
chercheurs modernes semblent être de plus en plus de cet avis. Brian P. McGuire
exprime précisément cette idée : « It is hard to believe that the author of this letter,
with its appeal to an accessible lay spirituality, is the same person who a decade earlier
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 69
had studded his writing with erudite classical references. But Gerson was both a learned
humanist and a popularizer of religious devotion » (Introduction, Jean Gerson. Early
Works, New York, Paulist Press, 1998, p. 29). Ma traduction : « Il est difficile de croire
que l’auteur de cette lettre, avec son appel à la spiritualité accessible et laïque, est la
même personne qui, dix ans auparavant, truffait ses écrits avec des références classiques érudites. Mais Gerson était à la fois un humaniste lettré et un promoteur de la
dévotion religieuse ».
28. Gerson, Lettre de Montreuil à Nicolas de Clamanges, Œuvres Complètes, 1 : 141. Ma
traduction : « Si seulement je mérite le bon et véritablement bon Chancelier parisien
dont la sincérité, la foi et le zèle le plus pur dans cette affaire personne ne connaît mieux
que toi, je désire ardemment disserter sur ce sujet si j’en suis capable ».
29. Jean Gerson, En la fête de la Sainte Trinité, Œuvres Complètes, 7 : 2 : 2 : « Bien disait
Platon, que si comme c’est très fort de trouver Dieu, ainsi est-ce impossible de le
nommer ».
30. Par exemple, Sermon contre l’Orgueil ou En la fête de la Sainte Trinité, Œuvres
Complètes, 7 : 2 : 915 et 7 : 2 : 1123.
31. Combes, Jean de Montreuil, p. 591.
32. Jean de Montreuil, lettre « Qui tam multa », dans Gerson, Œuvres complètes, 1 : 141.
Ma traduction est basée sur la traduction du même passage de Jacques Le Goff, Les
Intellectuels au Moyen Age, Paris, Seuil, 1957, p. 175, avec quelques changements
minimes : « Alors que, selon la renommée, rien ne t’échappe de ce qu’on peut savoir,
et j’en connais de nombreux signes, je ne cesse de m’étonner que tu ne suives pas la
trace de l’illustre chancelier de Paris, homme d’une exceptionnelle culture. Je veux
parler de l’art de conter et de persuader qui repose surtout sur les règles de la rhétorique
et de l’éloquence grâce auxquelles on l’atteint et sans quoi la prédication qui me paraît
être le sommet de tous les arts, est réduite à être absolument inefficace, et creuse [. . .] ».
33. Voir Lanson, p. 165.
34. Gilbert Ouy, « Collège de Navarre, berceau de l’Humanisme français », dans Bulletin
philologique et historique du Comité des Travaux historiques, année 1970, Reims,
1975, t. 1, p. 282.
35. Jean Gerson, La Montagne de Contemplation, Œuvres complètes, 7 : 1 : 27 : « Neant
moins Seneque mesmement, et li saint aussi loent souvent solitude [. . .] ».
36. Jean Gerson, Discours pour la Réforme du Royaume, Œuvres complètes, 7 : 2 : 1152.
37. Gerson, Sermon en la fête de la Sainte Trinité, 7 : 2 : 1123.
38. Jean Gerson, Sermon en la fête de la Sainte Trinité, 7 : 2 : 1042 : « [. . .] en tant que
Socrate et prophètes achademiciens qui avoient tant quise et encharcée vérité [. . .] ».
Socrate est également cité dans les sermons Pour la fête de la Trinité (7 : 1 : 673), De
la chasteté conjugale (7 : 2 : 866) et beaucoup d’autres. André Combes prévient : « Ne
passons pas le rapprochement. Mais enfin nous sommes en plein concile œcuménique
au début du XVe siècle. Néanmoins, comment s’interdire de penser que le saint Socrate
d’Erasme n’est pas loin ? » (La théologie mystique de Jean Gerson, profil de son
évolution. Leçons professées à l’Université pontificale du Latran en janvier–février
1960, 2 vol., Paris-Rome, Desclée et Socii Editores Pontificii, 1963, 1 : 386).
39. Jean Gerson, Dialogue Spirituel, Œuvres complètes, 7 : 1 : 177 : « Tel feust Enee
selond que descript Virgile ; tel Seneque, tel le vieillard du quel parle Térence [. . .] ».
40. Jean Gerson, Lettre à Nicolas, Paris, vers 1408, Œuvres complètes, 2 : 87 : « Ita enim
composita ex hominum natura sicut ponitur apud Terentium ut melius aliena quam
70 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
nostra videamus ». Ma traduction : « La nature de l’être humain est faite ainsi que,
comme dit Térence, nous voyons plus chez les autres que chez nous-mêmes ».
41. Jean Gerson, In festo St. Michaelis archangeli, Œuvres complètes, 5 : 321. Ma traduction : « Qui interdirait que je lise Mores de Sénèque, Paradoxa, Officia, De senectute,
De amicitia, Hortensia, De Respublica de Cicéron, Ethique de Platon et d’Aristote et
ainsi de suite ? On peut autoriser ou entremêler la poésie, la rhétorique, la philosophie
avec la théologie et les Écritures saintes ainsi que saint Paul, saint Augustin, saint
Jérôme l’ont fait et les autres parmi les grands hommes le font [. . .] ».
42. Voir Combes, Jean de Montreuil, p. 592.
43. Ouy, « L’Humanisme et les mutations politiques et sociales en France aux XIVe et XVe
siècles », p. 26.
44. Ouy, « Collège de Navarre », p. 276.
45. Jean Gerson, Traité contre Juan de Monzon, publié et traduit par G. Ouy dans « La
plus ancienne œuvre retrouvée de Jean Gerson : le brouillon inachevé d’un traité contre
Juan de Monzon », Romania, t. 83, 1962, p. 433–92.
46. Sur Nicolas de Clamanges voir le livre de Christopher M. Bellitto, Nicolas de Clamanges. Spirituality, Personal Reform, and Pastoral Renewal on the Eve of the
Reformations, Washington, D.C., Catholic University of America Press, 2001.
47. Sur d’autres humanistes français de la première génération tels que Jean Courtecuisse,
Pierre Flamenc, Renaud de Fontaines, évêque de Soissons et Gérard Machet, voir
L’Œuvre oratoire française de Jean Courtecuisse, éd. Giuseppe Di Stefano, Turin, G.
Giappichelli, 1969 ; Nicholas Mann, « Pierre Flamenc, admirateur de Pétrarque »,
Romania, t. 91, 1970, p. 306–40 et 491–520 ; C. Bozzolo, Nicolas de Clamanges e
Gérard Machet, Atti dell’ Academia delle Scienze di Torino, 100, Turin, Academia
delle Scienze di Torino, 1966, p. 133–91.
48. Gilbert Ouy, « L’Humanisme et les mutations politiques et sociales en France aux XIVe
et XVe siècles », p. 27. Ce qui est vrai pour Leonardo Bruni, affirme justement Gilbert
Ouy, l’est aussi pour le jeune Gerson : « En fait, si l’on ose passer en revue la série des
attitudes intellectuelles et morales et des thèmes littéraires que Burckhardt désignait
comme critères de la Renaissance dans son célèbre ouvrage Die Kultur der Renaissance
in Italien [éd. Walter Goetz, Stuttgart, A. Kröner, 1922], l’on s’aperçoit que tous ces
critères, sans exception, s’appliquent aux humanistes français de la première génération » (ibid., p. 28).
49. Serge Lusignan et Ezio Ornato, « L’humanisme en France », Pratiques de la culture
écrite en France au XVe siècle, p. 555 : « [. . .] l’on considère dans l’abstrait et
superficiellement [. . .] que le milieu des théologiens ne pouvait être que l’adversaire
de la nouvelle culture. Ce l’est, au contraire, si l’on se souvient que le chancelier de
l’Université n’était autre que Gerson ; que la bibliothèque de la Sorbonne avait hérité
un lot important de manuscrits classiques ; que presque tous les possesseurs des copies
françaises des discours de Cicéron étaient des théologiens [. . .] ». Ainsi il est complètement injuste d’exclure du mouvement humaniste des théologiens tel que Gerson.
50. Voir Combes, Jean de Montreuil, p. 601.
51. Ibid.
52. Jean de Montreuil, la lettre « Qui tam multa » dans Gerson, Œuvres complètes, 1 : 141.
Ma traduction : « Soit que les paroles et les conseils de ce même très digne chancelier
surpassent et se distinguent des autres, ou plutôt qu’ils élèvent et admonestent le public
[. . .] ».
53. Combes, Jean de Montreuil, p. 607.
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 71
54. Gilbert Ouy, « Les recherches sur l’Humanisme français des XIVe et XVe siècles »,
dans La Filologia Medievale e Umanistica Greca e Latina nel Secolo XX. Atti del
Congresso Internazionale, Roma, Consiglio Nazionale delle Ricerche Università La
Sapienza 11–15 dicembre 1989, éd. Enrica Follieri, Giovanni Orlandi et Mariangela
Regoliosi, Roma, Scuola Tipografica S. Pio X, 1993, p. 276–326, p. 292.
55. Gino Zucchelli, Introduction à sa traduction de Pétrarque, Secretum, ou Mon Secret,
Marsat, Éditions La Source d’Or, 1994, p. 32 : « L’humanisme est d’abord un fait
historique, né en Italie du Nord ».
56. Nicholas Mann, « Petrarch’s Role as Moralist in Fifteenth-Century France », dans
Humanism in France at the End of the Middle Ages and in the Early Renaissance, éd.
A. H. T. Levi, Manchester, Manchester University Press, et New York, Barnes &
Noble, 1970, p. 9 : « It is with this episode that the early popularity of the De remediis
in France is often associated ». Ma traduction : « C’est avec cette épisode là qu’on
associe souvent la première popularité de De remediis en France ».
57. Sur la diffusion des œuvres de Pétrarque voir les travaux d’Élisabeth Pellegrin,
Manuscrits de Pétrarque dans les bibliothèques de France, Padoue, Antenore, 1976,
et de Gianni Mombello, « I manoscitti delle opere di Dante, Petrarca e Boccaccio nelle
principali librairie francesi del seculo XV », dans Il Boccaccio nella cultura francese,
éd. Carlo Pellegrini, Florence, Sansoni, 1971, p. 81–209.
58. Jean de Montreuil, Epistolario, Opera, éd. Ezio Ornato, Turin, 1963, 1 :1 : 315 (lettre
208). Voir Gilbert Ouy, « Gerson, émule de Pétrarque, Le Pastorium Carmen, Poème
de jeunesse de Gerson et la renaissance de l’églogue en France », Romania, t. 88, 1967,
p. 181 : « Le Pétrarque que nos lettrés connaissent et imitent dès les dernières décades
du XIVe siècle, ce n’est pas l’amant de Laure, le poète profane du Canzoniere ». Voir
aussi Mann, « Petrarch’s Role as Moralist », p. 25 : « In fifteenth-century France [there
was] the desire to see Petrarch as a man of God and a devout Christian moralist — a
desire fully catered for by his major Latin work [. . .] ». Ma traduction : « Dans la
France du XVe siècle [il y avait] un désir de voir Pétrarque comme homme de Dieu et
comme moraliste chrétien dévot — le désir pleinement satisfait par ses principales
œuvres latines ». Plus tard la situation s’est renversée : « En France, il est vrai, on
connaît surtout, pour ne pas dire exclusivement, Le Canzoniere de Pétrarque » (Zucchelli, p. 9).
59. On le sait « puisque c’est vers cette date que Jean Daudin, chanoine de la SainteChapelle, en acheva la traduction à la demande de Charles V » (Gilbert Ouy, « Pétrarque et les premiers humanistes français », dans Petrarca, Verona e l’Europa. Atti del
Convegno internazionale di studi, Verona, 19–23 settembre 1991, éd. Giuseppe Billanovich et Giuseppe Grasso, Padoue, Editrice Antenore, 1997, p. 415–34, p. 416).
60. Ibid., p. 417. Voir A. Vernet, « Un programme de lectures spirituelles à l’abbaye de
Saint-Denis à la fin du XIVe siècle », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires
de France, 1970, p. 209–10.
61. Mann, « Petrarch’s Role as Moralist », p. 9 : « The papal library at Avignon shows a
sudden rise in interest in Petrarch between 1375–1379 ». Ma traduction : « La bibliothèque papale à Avignon montre le soudain réveil d’intérêt pour Pétrarque entre
1375–1379 ».
62. Jean Gerson, Josephina, publié et traduit par G. Ouy dans Patrimoine littéraire
européen, p. 111 (voir supra, note 6).
63. Mann, « Petrarch’s Role as Moralist », p. 11. Voir aussi Conrad H. Rawski, Préface,
Petrarch’s Remedies for Fortune Fair and Foul, Bloomington, Indiana University
Press, 1991, p. xxiii : « This action is represented as man’s everlasting war with
72 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
Fortune, the ancient goddess Fortuna, fickle and inexorable [. . .] — the hidden cause
behind the ups and downs of man ». Ma traduction : « Cette action est représentée
comme une guerre éternelle contre la Fortune, cette ancienne déesse Fortune, volage
et inexorable [. . .] — la cause cachée derrière les hauts et les bas de l’homme ». Cette
notion de fortune est également présente dans les lettres : « [. . .] nichil unquam
speraveris ; nichil crederis fortune : mendax est, varia levis infida, [. . .] blanda et mitia
[. . .] » (Opere, Firenze, Sansoni, 1975, livre VII, lettre 12, page 536, ligne 2). Ma
traduction : « vous n’avez jamais rien à espérer, on ne peut pas croire la fortune : elle
est menteuse, facilement volage et infidèle, flatteuse et séductrice [. . .] ». Par la suite
les références à Opere de Pétrarque seront indiquées : Opere, suivi par les numéros
signifiant livre, lettre, page et ligne.
64. Voir aussi Nicholas Mann, « La fortune de Pétrarque en France : Recherche sur le De
Remediis » dans Studi Francesi, 37, 1969, p. 1–15.
65. Georg Voigt, Die Wiederbelebung des classischen Alterthums oder das erste Jahrhundert des Humanismus, éd. Max Lehnerdt, 3e éd., 2 vol., Berlin, G. Reimer, 1893, t. 1,
p. 341 : « Gerson hatte sich in jüngeren Jahren selbst in Versen versucht ; er gedenkt
seiner Dichtungen bisweilen in Predigten und Reden, so eines Hirtengedichtes, welches
sich auf des Schisma bezog wie ja auch Petrarca sich dieser Form zu ganz ähnlichen
Zwecken bedient ». Ma traduction : « Dans sa jeunesse, Gerson lui-même avait pratiqué la versification ; il plaçait ses poèmes dans ses prédications et ses proverbes
comme dans cette pastorale qui se réfère au Schisme, ainsi Pétrarque s’est aussi servi
de cette forme pour les buts semblables ».
66. Gilbert Ouy, « Gerson, émule de Pétrarque », p. 175.
67. Mann, « Petrarch’s Role as Moralist », p. 18 : « Gilbert Ouy has made it abundantly
clear that any theory that Gerson was untouched by the spirit of humanism is wholly
incorrect [. . .] ». Ma traduction : « Gilbert Ouy a expliqué en toute clarté que toute
théorie que Gerson n’a pas été touché par l’esprit de l’humanisme est entièrement
incorrecte [. . .] ». Cependant le préjugé contre Gerson semble tenace. Par exemple,
dans la récente édition française de Secretum de Pétrarque par Zucchelli, ce dernier
parle des humanistes français de Montreuil et Clamanges mais ne fait aucune mention
de Gerson.
68. Voir Mann, « Petrarch’s Role as Moralist », p. 18 : « It is most illuminating to find that
Gerson quotes and paraphrases it [De Remediis] at considerable length in one of his
early French sermons, addressed to the royal court in 1389 ; almost the whole second
part of it, which contains the attack against the vanities of the court, is derived from
the De Remediis, from “je suis en fine flour de jonesse” (thus translating Petrarch’s
“florida est aetas”). He does not use Petrarch as an auctor in the usual sense : he does
not name his source [. . .] ». Ma traduction : « Il est fort édifiant de découvrir que
Gerson cite et paraphrase [De Remediis] dans un fort long passage d’un de ses sermons
français adressés à la cour royale en 1389 ; en fait, presque toute sa seconde partie,
celle qui contient l’attaque contre les vanités de la cour, dérive du De Remediis, à partir
de “je suis en fine flour de jonesse” (en traduisant ainsi “florida est aetas” de Pétrarque).
Il n’utilise pas Pétrarque comme auctor dans le sens commun du terme : il ne nomme
pas sa source [. . .] ».
69. Ouy, « Gerson, émule de Pétrarque », p. 181.
70. Jean Gerson, Pour le mercredi des Cendres, Œuvres complètes, 7 : 2 : 74.
71. G. Matteo Roccati, « Humanisme et préoccupations religieuses du XVe siècle : le
prologue de la Josephina de Jean Gerson », dans Préludes à la Renaissance, p. 113.
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 73
72. Ouy, « Les recherches sur l’Humanisme français des XIVe et XVe siècle », p. 291 :
« Cette fois encore, l’auteur prend d’avance parti dans une querelle future : celle du
Merveilleux chrétien qui, bien plus tard, opposera notamment Desmarets à Boileau ».
73. Étienne Gilson, Humanisme et Renaissance, Paris, J. Vrin, 1983, p. 56.
74. Voir les lettres de Pétrarque à Cicéron et à Sénèque. Contrairement à Dante, saint
Bernard n’est plus mentionné.
75. Petrarca, Opere, 24, 2, 1248, 4. Ma traduction : « Il arrive qu’effectivement presque
tout me plaise dans Cicéron, l’homme que j’aime plus que tous mes amis, et j’ai
exprimé mon admiration pour son éloquence d’or et son esprit céleste ».
76. Opere, 22, 10, 1160, 5 : « Amavi ego Ciceronem, fateor, et Virgilium amavi, usqueadeo
quidem stilo delectatus et ingenio ut nichil supra ». Traduction de Victor Develay
(Pétrarque. Lettres sans titre, trad. par Victor Develay, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1885) : « J’ai aimé Cicéron, je l’avoue, j’ai aimé Virgile et j’ai été charmé de
leur style et de leur esprit au-delà de toute expression ».
77. Cependant, dans son sermon Pour le mercredi des Cendres, où Gerson mentionne
Pétrarque directement, Gerson semble imiter le goût de Pétrarque pour Cicéron et
l’histoire antique : « Ad ce propos raconte Tulle, in libro De Officiis, que Pericles et
Sophocles estoyent une fois assemblez pour conseiller le fait de la cité de Romme ».
(7 : 2 : 974).
78. Nicholas Mann, Pétrarque, trad. de l’anglais par Edith McMorran et rév. par l’auteur,
Arles, Actes Sud, 1994, p. 21. Voir aussi Opere, 24, 10, 1160, 6 : « In hinc amorem
me amborum duxit admiratio et familiaritas cum illorum [Cicéron et Virgile] [. . .]
quantam visis cum hominibus vix contrahi posse putes ». Develey, Pétrarque, Lettres
sans titre, p. 12 : « [. . .] je ressens pour tous deux [Cicéron et Virgile] la familiarité et
[admiration] [. . .] telle qu’il serait difficile d’en contracter une aussi étroite avec des
personnes que l’on voit ». Voir aussi Opere, 24, 4, 1252, 1 : « Franciscus Ciceroni suo
salutem. Si[ ]te superior offendit epystola verum est enim [. . .] accipe quod offensum
animum ex parte mulceat [. . .] ». Ma traduction : « Francesco salue son Cicéron. Je
crains que ma dernière lettre t’ait offensé. [. . .] Si c’est vrai, accepte ce qui peut
partiellement conforter ton âme blessée [. . .] ».
79. Opere, 22, 10, 1160, 6 : « sed hos ita quasi ille [Cicéron] michi parens fuerit, iste
[Virgile] germanus ». La traduction est la mienne.
80. Mann, Pétrarque, p. 39.
81. Opere, 22, 10, 1160, 8 : « ego utrosque simul amare posse videor, modo quos in
verborum quos in rerum consilio preferam non ignorem » (trad. Develey, p. 14).
82. Secretum, Opere di Francesco Petrarca, éd. Emilio Bigi, trad. Gino Zucchelli, Milan,
Ugo Mursia, 1964, p. 316–17 :
FRANCISCUS : J’en conviens et si je me hâte ainsi maintenant avec soin vers d’autres
travaux, c’est une fois que j’en serai libéré pour m’adonner de nouveau à ces
occupations supérieures. Je n’ignore pourtant pas, comme tu disais un peu plus haut,
qu’il serait beaucoup plus sûr pour moi de m’adonner à ces occupations supérieures
et, laissant de côté tout ce qui m’en détourne, de prendre le droit chemin du salut. Mais,
je ne peux pas résister à mon désir.
AUGUSTINUS : Nous allons retomber dans notre vieille discussion. [. . .] Je supplie
Dieu de t’assister sur ton chemin et de faire converger vers le port des pas encore
incertains.
74 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
FRANCISCUS : [. . .] Que les flots de mon âme s’apaisent, que le monde fasse silence
et que la fortune ne me trouble pas.
83. Voir Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, trad. Isabelle Kolitcheff, Paris,
Seuil, 1970, p. 164 : « une attitude dialogique vis-à-vis de soi-même [. . .] a eu une
influence capitale sur les Soliloques ».
84. Au centre de la ménippée se trouve toujours l’idée philosophique mise à l’épreuve,
souvent incarnée par un sage. Voir Bakhtine, p. 160–61.
85. Jean Gerson, De Consolatione Theologiae, Œuvres complètes, 9 : 244–45. Ma traduction :
VOLUCER : Jusqu’ici, Monicus, c’est de la théologie qu’on parle. Pour tirer rapidement la conclusion de notre et de son discours, nous posons en principe, compendieusement, le suivant : dans toutes les adversités nous espérons de tout cœur la consolation
en élevant les yeux vers le ciel et en disant : Dieu est Père de la miséricorde et de toute
consolation et dans sa compassion est l’espérance.
MONICUS : Ainsi soit il, en paix de Dieu qui surpasse toute compréhension, qu’il garde
nos cœur et intelligence dans l’amour de Dieu et la patience du Christ pour qu’avec la
patience et la consolation des Écritures Saintes nous ayons l’espérance. Amen.
86. McGuire, Introduction, Jean Gerson. Early Works, p. 28 : « Gerson apparently made
no special attempt to collect his letters » (ma traduction).
87. Mann, Petrarch, p. 32.
88. Opere, 1, 1, 245, 21 : « Ulixeos errores erroribus [. . .] nec diutius erravit ille nec latius
[. . .] ». Ma traduction : « Ulysse, le voyageur des voyageurs, n’a voyagé ni plus ni
plus loin que moi [. . .] ».
89. Voir Pétrarque, « De spe famae post obitum » ou « De Studio famae anxio in morte »,
dans Remediis, Opera Francisci Petrarchae, Bâle, 1581.
90. Jean Leclercq, L’amour des lettres et le désir de Dieu, Paris, Cerf, 1990, p. 243.
91. Charles Trinkaus semble être d’accord avec cette conclusion : « In the final analysis
he was a poet » (In Our Image and Likeness. Humanity and Divinity in Italian Humanist
Thought, 2 vol., Chicago, University of Chicago Press, 1970, t. 1, p. 50). Ma traduction : « Finalement il était surtout poète ».
92. Sur ce sujet voir Nelson Wattie, Nation und Literatur, Eine Studie zur Bestimmung der
nationalen Merkmale literarischer Werke am Beispiel von Katherine Mansfields Kurzgeschichten, Bonn, Bouvier Verlag Herbert Gundmann, 1980 ; René Wellek et Austin
Warren, Theory of Literature, New York, Harcourt, Brace, 1949 ; Antike Rezeption
und nationale Identität in der italienischen Renaissance, éd. Tibor Klaniczay, S.
Katalin Németh et Paul Gerhard Schmidt, Budapest, Balassi Kiado, 1993 ; Aspekte der
Nationenbildung im Mittelalter : Ergebnisse der Marburger Rundgespräche
1972–1975, éd. Helmut Beumann et Werner Schröder, Sigmaringen, Thorbecke, 1978.
93. August Buck, « Rom-Idee und nationale Identität in der italienischen Renaissance »,
dans Antike Rezeption und nationale Identität in der italienischen Renaissance, p. 25 :
« Petrarca stellte die nationale Rom-Ideologie in den Dienst eines politischen Ziels,
der Rückkehr des Papstes von Avignon nach Rom und damit verbunden der Wiederherstellung der traditionellen Rolle Italiens in der Christenheit ». Ma traduction :
« Pétrarque mit l’idéologie romano-nationale au service des objectifs politiques : le
retour des papes d’Avignon à Rom et, par conséquent, la restauration du rôle traditionnel des Italiens dans la Chrétienté ».
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 75
94. Opere, 11, 7, 694, 6 : « Rome est le sommet de l’univers [. . .] le centre de toute la
terre » (ma traduction).
95. Dante, Le opere di Dante : testo critico della Società dantesca italiana, a cura di M.
Barbi, E. G. Parodi, F. Pellegrini, E. Pistelli, P. Rajna, E. Rostagno, G. Vandelli ; con
indice analitico dei nomi e delle cose di Mario Casella, e tre tavole fuor di testo,
Firenze, R. Bemporad, 1921, p. 434 : « Ce qui devrait être le devoir commun de tous
les Italiens est l’affection envers la capitale de Latium » (ma traduction).
96. Voir Opere, 2, 9, 330, 26 : « [. . .] de civitate, inquam, illa cui nulla similis fuit, nulla
futura est ; [. . .] de cuius populo scriptum legimus : “Magna est fortuna populi
Romani, magnum et terribile nomen” ». Ma traduction : « de la ville à laquelle aucune
autre ne ressemblait et aucune ne ressemblera ; au sujet de laquelle nous lisons
l’inscription populaire : “Grande est la fortune du peuple romain, grand et terrible son
nom” ».
97. La première lettre à Urbain V dans Opera Francisci Petrarcae, 1581, Livre 1, p. 844.
98. Cette division est présente partout dans les lettres de Pétrarque : « Reduc ad memoriam ex omnibus saeculi illustres viros Romanos, Graecos, Barbaros [. . .] » (Opera
Francisci Petrarcae, 1581, Livre 1, Lettre I, Thomae Messanensi). Ma traduction :
« rappelle-toi les hommes illustres de tous les temps, Romains, Grecques, barbares
[. . .] ».
99. Opere 1, 4, 260, 1 : « Bien que j’aie vu aussi bien ici qu’ailleurs beaucoup de choses
magnifiques, je n’ai pas regretté pourtant mon origine italienne. Au contraire, pour
dire la vérité, plus loin je voyageais, plus j’admirais le sol d’Italie. À moins que ce
soit plus noble d’être né Grec qu’Italien, mais celui qui dit cela impliquerait ainsi qu’il
est plus noble d’être esclave que maître. [. . .] Je crois que personne ne nierait qu’il
est considérablement plus noble d’être Italien que Grec » (ma traduction).
100. Cité par Gilson, La Philosophie au Moyen Âge, t. 2, p. 727. Ma traduction : « qu’ils
pensent ce qu’ils veulent, ils sont barbares ».
101. Buck, p. 24.
102. Ibid., p. 23 : « Das ist eine national-italienische Aufgabe, in welcher der mittelalterliche Universalismus in den Dienst des modernen Patriotismus tritt ». Ma traduction :
« Il s’agit d’une tâche nationale italienne dans laquelle l’universalisme médiéval se
trouve au service du patriotisme moderne ».
103. Gilson, La Philosophie au Moyen Âge, t. 2, p. 728.
104. Ancel Choquart, professeur de la Sorbonne, loua l’Université de Paris dans son
discours Coram Papa Urbano V [. . .] & Cardinalibus ex parte regis Franciae en avril
1367. Les détails de la controverse avec Pétrarque se trouvent chez Grover Furr,
« France vs. Italy : French Literary Nationalism in “Petrarch’s Last Controversy” and
a Humanist Dispute of ca. 1395 », dans Proceedings of the Patristic, Medieval and
Renaissance Conference, Villanova, PA, Augustinian Historical Institute, Villanova
University Press, vol. 4, 1979–81, http://www.shss.montclair.edu/english/
furr/pmr.html (mon dernier accès au site du 5 novembre 2002). Le discours de Chocart
est publié dans Historia Universitatis Parisiensis, Paris, Picard, 1927, 3 vol., t. 3.
105. Gilson, La Philosophie au Moyen Âge, t. 2, p. 728. Gilson fait référence aux Lettere
senili de F. Petrarca, 2 vols. (Florence, 1869–70) : « Nullus est gallus. Nullus doctus
in Gallia [. . .] etc. ».
106. Trinkaus, t. 2, p. 660 : « The monastic heroes are derived from antiquity just as those
of the generals, philosophers, poets, historians, and orators were ». Ma traduction.
107. Gilson, La Philosophie au Moyen Âge, t. 2, p. 728.
76 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
108. On sait bien qu’un siècle plus tard tout va changer et les « barbares » eux-mêmes
accueilleront de bonne grâce la culture de Rome. « [. . . ] [L]es modèles des épigones
français ne s’appellent pas Clamanges, Montreuil ou Gerson — comment aurait-il pu
en être ainsi ? » demande justement Ezio Ornato dans son Avant-propos aux Préludes
à la Renaissance, p. 16.
109. Buck, p. 23 : « Seine grenzenlose Verehrung für die Urbs [Rom] war kein antiquarischer Kult der Vergangenheit, vielmehr zukunftsorientiert ». Ma traduction : « Sa
vénération illimitée pour la ville [de Rome] ne relevait point d’un culte du passé mais
était plutôt orienté vers l’avenir ».
110. Voir Evencio Beltran, « L’humanisme français au temps de Charles VII et Louis XI »,
dans Préludes à la Renaissance, p. 152.
111. Le second opposant fut Jean de Hesdin qui écrivit en 1369 Invectiva Contr. Fr.
Petrarcham, le pamphlet politique et culturel. Il est intéressant qu’un des arguments
principaux de Hesdin est que les Italiens se vantent de leur passé romain pour
« couvrir » et faire oublier leur présent médiocre.
112. À partir du Grand Schisme les ressortissants des pays d’obédience romaine
désertèrent l’Université de Paris pour gagner les jeunes Universités d’Allemagne et
d’Europe Centrale : Heidelberg, Prague, Vienne. Du côté italien, Pétrarque soutint de
son mieux l’entreprise de son ami Cola Rienzo en travaillant à refaire de Rome la
capitale de l’Occident. Vers la même époque s’aiguilla la rivalité de la Sorbonne avec
Oxford et l’évêque anglais de Durham Richard de Bury assurait que les Français
étaient en pleine décadence et qu’ils avaient déjà perdu la primauté intellectuelle au
profit de l’Angleterre. Voir Ouy, « Les premiers humanistes français et l’Europe »,
et Richard de Bury, Philobiblon, éd. et trad. E. C. Thomas, Oxford, Blackwell, 1960,
p. 106.
113. Ouy, « L’humanisme du jeune Gerson », p. 264–65.
114. Beltran, p.152.
115. Voir Opere, 13, 6, 781, 3 : « [. . .] poesis divinum munus et paucorum hominum, iam
vulgari, ne profanari dicam ac prostitui, cepit; nichil est quod indignantius feram.
Nunquam Athenis aut Rome, nunquam Homeri Virgillique temporibus tantus sermo
de vertibus fuit quantus est ad ripam Rodani etate hac, cum tamen nullo unquam loco
aut tempore tam nullam rei huius notitiam fuisse arbitrer ». Traduction de Develay,
p. 79–80 : « La poésie, ce présent divin qui n’est donné qu’à peu d’hommes, commence à être répandue, pour ne pas dire à être profané et prostitué. Il n’est rien que
je supporte avec plus d’indignation. Jamais à Athènes ou à Rome, jamais du temps
d’Homère et de Virgile, on n’a parlé des poètes autant que de nos jours sur la rive du
Rhône, quoique jamais en aucun lieu et aucun temps on n’ait moins compris, selon
moi, la portée de nom.
116. « [. . .] ipsam eloquentiam diu sepultam in Gallia quodam modo renasci », dit-il dans
une de ses lettres, citée par Gilson, La Philosophie au Moyen Âge, t. 2, p. 750. En
répondant à cette affirmation de Pétrarque, Clamanges avance un curieux argument :
puisque Pétrarque semble être le seul grand poète en Italie à cette époque et puisqu’il
n’y a pas de poètes en dehors de l’Italie, alors Pétrarque prétend être le seul poète au
monde ! (Nicolas de Clamanges, Nicolas de Clamanges, Opera omnia qua’ partim ex
antiquissimis editionibus, Lvgdvni Batavorvm, apud I. Balduinum, impensis L.
Elzeuirij & H. Laurencij, 3 vols., Leide, Lydius, 1613, t. 2, Ep. 5 [« Quod in
superiori »], col. 27B–28A). Voir également A. G. Jongkees, « Translatio Studii : les
avatars d’un thème medieval », dans Miscellanea Mediaevalia in memoriam Jan
Frederic Niermayer, Groningen, Walters, 1967.
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 77
117. Ouy, « Collège de Navarre », p. 286 : « Soucieux de ne rien devoir aux Italiens,
Clamanges, après avoir servilement imité, dans un premier temps, jusqu’aux moindres
détails de l’écriture transalpine, réinventa ensuite une humanistique qu’il devait juger
français, assez proche, certes, de celle de Poggie, mais empruntant certains traits à la
belle minuscule de transition au règne de Philippe Auguste ».
118. Boccace traduit Homère en 1360.
119. Ouy, « Collège de Navarre », p. 287.
120. Nicolas de Clamanges, Opera omnia, t. 2, Ep. 5, cité par Gilson, La Philosophie au
Moyen Âge, t. 2, p. 748 : « Croyez-moi, écrit-il, je n’ai absolument jamais vu votre
Bologne [. . .], ni l’Italie ». Comme le fait remarquer à juste titre Gilbert Ouy : « La
lettre date de 1423. Pétrarque est donc mort depuis près de cinquante ans ; et pourtant,
on sent frémir dans ce texte une animosité aussi forte que celle que l’on pourrait
éprouver envers un ennemi de pleine vigueur ! » (« Collège de Navarre », p. 285).
121. Cité par Ouy, « Collège de Navarre », p. 285 : « les écrits de cet homme [Pétrarque]
je lis rarement et sans plaisir ». Voir D. Cecchetti, « Sulla fortuna del Petrarca in
Francia : un testo dimenticato di Nicolas de Clamanges », Studi Francesi, t. 32, 1967,
p. 201–22.
122. Ouy, « Pétrarque et les humanistes français », p. 425.
123. Ibid., note 24: « Gallia, que viris semper et strenuis bello et omni sapientia eruditis
illustrata est, gravium et eloquentium hystoricorum et poetarum magnam hactenus
passa est inopiam ».
124. Cité par Ouy, « Collège de Navarre », p. 276. Traduit par Ouy dans Patrimoine
littéraire européen, p. 109 : « nous aurions sans nul doute des grands hommes dignes
d’être préférés, ou du moins comparés, aux plus illustres Grecs ou des Romains
[. . .] ».
125. Gerson, Josephina, p. 111.
126. Clamanges, cité par Gilson, La Philosophie au Moyen Âge, t. 2, p. 748.
127. Ibid. : « qui pratiqua les études, perpétua l’exercice en faisant attention à la lecture
des auteurs éloquents avec une très certaine affinité du goût » (traduction de Gilson).
128. Beltran, p. 125.
129. Voigt, p. 353 : « Wie hätte Petrarca, den doch sein Freund Jean de Montreuil verehrte,
ihm (de Clamanges) gleichgültig bleiben können ! Er kennt ihn auch, aber er citirt
und lobt ihn nie. [. . .] Es scheint also gallischer Stolz zu sein, wenn er den Vortritt
Italiens in der neuen Kunst nicht anerkennen will ». Ma traduction : « Comment aurait
pu Pétrarque, que son ami de Montreuil admirait, le [de Clamanges] laisser indifférent ! Il le connaissait aussi mais il ne le citait et il ne le louait jamais. [. . .]. Il semble
qu’il s’agisse de l’orgueil gaullois lorsqu’il refuse de reconnaître la contribution de
l’Italien à l’art nouveau ».
130. Mann, « Petrarch’s Role as Moralist », p. 21 : « Petrarchean material [. . .] was
assimilated by the humanists as to become part of their everyday literary expression
[. . .] ». Ma traduction : « Le matériel pétrarquien était si assimilé par les humanistes
qu’il faisait partie de leur quotidienne expression littéraire [. . .] ».
131. Il est intéressant que l’amour des Français pour Charlemagne provoque une forte
indignation de Pétrarque : « [. . .] Carolum Regem quem Magni cognomine aequare
Pompeio, Alexandro audent » (Opere, 1, 4, 261, 7). Ma traduction : « [. . .] le roi
Charles, qu’ils [les Français] osent égaler à Pompée et à Alexandre en le surnommant
“Le Grand” ».
78 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
132. Montreuil profita de l’occasion pour nouer des rapports personnels avec Coluccio
Salutati, en 1384 dans Arezzo assiégée par une armée florentine.
133. Voir Giuseppe Billanovich et Gilbert Ouy, « La première correspondance échangée
entre Jean de Montreuil et Coluccio Salutati », dans Italia medievale e umanistica, t.
7, 1964, p. 337–74.
134. Pétrarque a déjà utilisé la métaphore de Babylone par rapport à Avignon (Opere, 13,
6, 781, 2) : « [. . .] Babilone ultima disgressus ad fantem Sorgie substiti [. . .] ».
Traduction de Develay, p. 78 : « [. . .] sorti enfin de Babylone, je me suis arrêté vers
la fontaine de la Sorgue [. . .] ». Ainsi il paraît très probable, comme l’a suggéré dans
une de nos conversations le professeur Janet Smarr (University of Illinois at UrbanaChampaign), que Jean de Montreuil renverse consciemment les valeurs éthiques et
spirituelles attachées à la France et à Rome. Il est évident qu’il joue aussi avec le mot
« Florence » en appelant Paris et non Florence la fleur qui « embaume l’univers ».
135. D. Cecchetti, « Un’egloga inedita di Nicolas de Clamanges », dans Miscellanea di
studi e ricerche sul Quattrocento francese, Turin, Giappichelli, 1967, p. 56–57. Cette
idée de translatio studii à Paris sera plus tard contestée par les Italiens. En 1475,
Cristoforo Landino écrivit dans De vera nobilitate liber que la qualité des discussions
dans la maison de Médicis faisait penser que l’Académie, le Lycée et l’Université de
Paris s’y étaient réunis : « Tanta erat optimorum ingeniorum atque eruditorum vis,
totque eadem de re tamque variae opiniones, tanta denique subtilitate disputatae, ut
intra magnificos illos lares non modo Academiam Lyceumque ac postremum Porticum ipsam Athenis migrasse, sed omnem parisiensem scholam illuc convenisse
putares » (éd. M. T. Liaci, Florence, L. S. Olschki, 1970). Sur Landino voir Arthur
Field, The Origins of the Platonic Academy of Florence, Princeton, N.J., Princeton
University Press, 1988, p. 231–68. Vers la même époque le Vénitien Bernardo
Giustiniani, dans son discours Oratio ad Universitatem Parisiensem (Orationes,
nonnulae epistolae, traductio in Isocratis ad Nicoclem regem, Leonardi Justiniani
epistolae, Venise, 1493, sig. E6v–F), tout en louant l’importance politique de l’Université de Paris, omet toute allusion à translatio studii. D’après Patrick Gilli, « La
cause semble entendue : l’Université peut être un auxiliaire au pouvoir royal, elle n’est
plus la “fontaine de sapience” à laquelle s’abreuve l’Europe » (Patrick Gilli, Au miroir
de l’humanisme. Les représentations de la France dans la culture savante italienne,
Rome, École Française de Rome, Palais Farnèse, 1997, p. 511). Filippo Beroaldo
l’Ancien, un brillant humaniste italien, se verra également reprocher en 1473 d’avoir
trop célébré l’Université de Paris dans son discours dédié à Louis de Rochechouart :
« Musae olim comites Beroaldo iuvere Fhilippo / Trans Rhodani ripas, trans ararisque
vada / Atque diu iuvenem per barbara regna sequutas / Poenituit nostros deseruisse
lares [Naguère les muses étaient les compagnes de Filippo Beroardo et nous avons eu
de la peine qu’elles aient déserté notre patrie en suivant longtemps le jeune homme
dans les royaumes barbares, au-delà des rives du Rhône et des gués de la Saône] »
(Baptista Mantovanus, Opera omnia, Bologne, 1502, p. 98, cité et traduit par Gilli, p.
512, note 57).
136. Gilson, La Philosophie au Moyen Âge, t. 2, p. 741.
137. Ibid., t. 2, p. 749 : « [. . .] point capital à retenir si l’on veut comprendre le retour des
Lettres en France comme ses auteurs eux-mêmes l’ont compris, le culte du style et la
ferveur religieuse y sont revenus ensemble à la vie au temps de saint Bernard ».
138. Ouy, « Les premiers humanistes français et l’Europe », p. 283.
139. Sur ce conflit, voir Gene A. Bruckner, Florentine Politics and Society: 1343–78,
Princeton, N.J., Princeton University Press, 1962.
Yelena Mazour-Matusevich / Gerson et Pétrarque : humanisme et l’idée nationale / 79
140. Gilli, p. 227. Voir aussi Ronald G. Witt, Coluccio Salutati and His Public Letters,
Genève, Droz, 1976, p. 151.
141. Gilli, p. 228.
142. Ibid. : « Salutati écrit une série de lettres dont le but est exhorter les villes à se révolter
contre la papauté avignonnaise et ses suppôts français [. . .] : “Ne souffrez pas que
ces monstres de Français menacent injustement et si cruellement votre Italie” ».
143. Voir, par exemple, Giovanni Villani, Nuova Cronica (éd. Giuseppe Porta, Pavie,
Parma, Guanda, 1999), où l’auteur cherche à réfuter la légende selon laquelle Charlemagne avait reconstruit Florence.
144. Pétrarque, « Triumphus Cupidinis », Rime, Trionfi e poesie latine, éd. F. Neri, G.
Mantellotti, E. Bianchi et N. Sapegno, Naples, Ricciardi, 1951, p. 79–81.
145. « Je ne sais quels Roland et Renaud », Invective contre Lorenzo Valla, cité par Gilli,
p. 496, note 8.
146. Gilli, p. 558.
147. Ibid., p. 284.
148. Opera Francisci Petrarchae (1581), Livre 1, p. 3 (« Contra senes dialecticos »).
149. Renaudet, Humanisme et Renaissance, p. 54.
150. Opere, 10, 5, 672, 8 : « Et quam vis veram sapientiam unam esse non sit dubium,
Deum nosse et colere, propter quod scriptum est: “pietas est sapientia” ». Traduction
de Develay, p. 12–13 : « Il est hors de doute que la seule sagesse consiste à connaître
et à honorer Dieu, et c’est pour cela que c’est écrit : la piété est la sagesse ».
151. Pétrarque écrit même plusieurs lettres moralisantes adressées aux moines chartreux.
S’il aimait moraliser presque autant que Gerson, il était, à la différence de ce dernier,
un des premiers, sinon le premier, conseiller religieux et prêcheur « autoproclamé ».
Cf. Trinkaus, t. 1, p. 17 : « He was, however, a self-appointed lay religious and moral
counsellor ».
152. Les mêmes critères sont cités par Zucchelli, p. 33 : « [l’humanisme] c’est une
démarche philologique, une nouvelle philosophie morale ». Dans un sens, si on
appelle Gerson un « théologien humaniste », on pourrait appeler Pétrarque « un
humaniste théologal ».
153. Cf. Lanson, p. 163 : « Ce grand docteur, la plus grande gloire de Navarre avant
Bossuet [. . .] âme pure et loyale parmi les corruptions du siècle, passa sa vie à se
dévouer pour l’Université, pour l’Église, pour la France, pour le peuple, sans une
pensée pour lui-même, sans autre souci que de la foi, de la justice et de la charité ».
154. Renaudet, Humanisme et Renaissance, p. 55.
155. Ibid., p. 56.
156. Ibid., p. 54.
157. Pour ce qui concerne son activité de réformateur, voir James Louis Connolly, John
Gerson, Reformer and Mystic, Louvain, Librairie Universitaire, 1928.
158. Renaudet, Humanisme et Renaissance, p. 85.
159. Jean-Pierre Massaut, Josse Clichtove. L’humanisme et la réforme du clergé, Paris,
Les Belles Lettres, 1968, p. 137.
160. Gilson, La Philosophie au Moyen Âge, t. 2, p. 730. Voir aussi la lettre de Pétrarque à
son frère, Opere, 10, 4, 664, 6 : « [. . .] Veteris Testamenti Patres heroyco atque aliis
carminum generibus usi sunt: Moyses Job David Salomon Ieremias ; Psalterium
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ipsum daviticum [. . .] hunc Christianorum poetam nuncupare ausim [. . .] ». Traduction de Develay, p. 82–83: « Les Pères de l’Ancien Testament, Moïse, Job, Salomon,
Jérémie ont usé du vers héroïque et des autres formules diverses [. . .] David [. . .]
j’oserai le nommer le poète des chrétiens ».
161. Cité par Gilson, La Philosophie au Moyen Âge, t. 2,p. 751.
162. Gerson, De Consolatione Theologiae, p. 237. Ma traduction : « nous appelons théologien un homme bon, savant en matière des Écritures Saintes mais savant non seulement à travers l’intelligence mais beaucoup plus à travers l’amour [. . .] ».
163. Lettre de Pietramala (dans Amplissima Collectio, éd. Martène et Durand, t. 1, 1543–45),
citée par Furr (voir supra, note 104).
164. Jean Gerson, La Montagne de Contemplation, Œuvres complètes, 7 : 1 : 18 : « Aucuns
se pourront donner merveille pourquoy de matiere haulte comme est parler de la vie
contemplative, je vueil escipre en francois plus qu’en latin, et plus aux femmes que
aux hommes, et que ce n’est pas matiere qui appartiegne a gens simples sans lettres.
Si vées que simples gens ne sont mie a rebouter hors que on ne leur puisse bien parler
de ceste vie. Car ceste vie s’acquiert mieulx par bonne simplece humble que par clergie
[. . .] ».
165. Voir Lanson, p. 163.
166. Beltran, p. 153–54.
167. Si on ne comprend, comme l’a dit Gilbert Ouy (« Collège de Navarre », p. 296), sous
« l’humanisme un intérêt exclusif pour l’Antiquité païenne », ce qui ne fut pas le cas
même pour Pétrarque.
168. Voir Beltran, p. 125–26 : « Ce processus évolutif est ponctué par trois étapes fondamentales. La première, représentée par la génération de Nicolas de Clamanges, Jean
de Montreuil, Gerson et leurs amis, a surtout retenu les leçons philologiques et morales
de Pétrarque. Elle se caractérise par l’union de la sagesse avec l’éloquence. [. . .] La
seconde génération [Fichet, Tardif et Gaguin] a eu pour maîtres Guarino de Vérone
et surtout Lorenzo Valla, et elle a approfondi davantage la différence entre l’Antiquité
et le Moyen Âge. [. . .] Enfin, la troisième génération [i.e., celle de Lefèvre d’Étaples]
a ajouté aux acquis antérieurs les conceptions philosophiques des grands auteurs
italiens Pic et Ficin ».

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