Philippe Didier
Transcription
Philippe Didier
TRAME La trame n'est pas une intention chez Cohco, mais, une affaire intérieure, dont la trame est l'extension. Cette extension de l'intériorité, a rencontré un désir de transmettre l'art intérieur par lequel passe chacun, à la différence que chacun, en général, ne garde pas sous ses semelles les empruntes du temps, de ses parcours, de ses errements. Et ceux qui les conservent, assez souvent, n'en savent, n'en disent, n'en font peut-être rien, sinon une nostalgie, une amertume, une affaire intérieure, un périmètre, pas une trame. On ne choisit pas la trame; on choisit, ou on refuse de faire avec. Cohco a choisi, très obstinément, de se mettre à l'ouvrage. Là où résiderait pour certains, que son travail aboutit à de l'artisanat décoratif, à quelque chose de beau, à du "procédé", il faut considérer non pas l'aboutissement en terme d'objet, mais, le fait que cette artiste accepte de devenir le manœuvre d'une œuvre dont elle ne sait à l'avance rien d'autre qu'une existence pressante qui se manifeste. Certes, au bout du compte, il y a toujours une trame, comme s'il y avait un déterminisme, voire, un déterminé, une chose entièrement reproductible, moulée. Voir cela, c'est être décidé, là où ailleurs, à ne rien voir, c'est ignorer, annuler, réduire. La première éprouvée par la trame, c'est Cohco, qui demeure sans savoir jusqu'à quel point se coordonnent, se nouent, s'entremêlent les entraves de la discorde, les passions de la concorde, qui inspirent ses mains soumises, ouvrières. Le regard de celui qui regarde l'œuvre est soumis aux mêmes principes d'entrée dans ces liaisons géométriques de fils essentiels. On recherche dans l'œuvre décapée jusqu'à la trame, et les structures qui la confondent, à travers ce tellement visible de sa matière, l'invisible qui l'anticipe. On s'attache à ce qui fonde l'existence de cette œuvre, sa structure déployée, non pas parce qu'y manquerait une âme existentielle, son "essence", mais, pour éprouver qu'il s'agit de réel, de l'avant tout arrangement. S'il y a des points matériels où s'arrêtent les figures de cette expression, ils sont aussi ce qui relie entre eux les antipodes d'une trame unique, en rapport subjectif avec l'univers, dans un langage témoignant des présences du religieux dans la datation de toute chose. La trame, c'est la croix, et la croix c'est le temps marquant l'avènement. A cet égard, on voit ce christ résultant des fibres de l'univers, ordonner l'univers de ce dont il provient. On le voit d'autant mieux que la trame n'est pas un fond dissocié de la représentation qu'elle supporte. Ainsi, voit-on le christ destiné à faire corps avec la croix, de par la structure des liens, et pas seulement de par son destin. Il n'y a pas d'histoire qui vienne s'ajouter là à ce qui fut réel, pas de compromis, pas d'autre esthétique que la vérité en attente au bout des doigts de l'artiste qui se précipite pour la traduire. L'aspect répétitif, ce qui ressemble à du savoir faire, n'est pas à prendre sous l'angle de la vision objective, mais sous celui d'une perspective, où l'infini, pour être tolérable, est mis en géométrie, en morceaux, en pièces, selon un art qui n'en réduit jamais l'unité. Au contraire, il crée pour le regard des méridiens ininterrompus dont les circonstances esthétiques s'enchaînent d'un rapport constant à l'infini poétique. Sur les lois immuables des nouages, sur cet espace qui représente le temps, l'artiste peut déposer sa confusion, sachant qu'au point d'équilibre qu'il atteindra dans son travail, ce point "d'esthétique", s'il y parvient, correspond pour chacun un point d'appui essentiel par lequel se conçoit du visible et du pensable, d'un devenu invisible et d'un devenu impensable, d'un indémélable entre lui et la terre, lui et le temps. Soit l'image est gommée jusqu'à la corde, soit il n'y a jamais eu cette image, soit, il ne peut y avoir aucune image à cet endroit précis du réel. Telles sont les causes d'un tissage déterminé, quasi obsessionnel, en tout cas, armé d'une certitude de pêcheur qui jette ses filets, que dans les mailles, il relève les objets espérés par sa demi- conscience, preuve, non pas d'un miracle, mais d'un savoir topologique sur la présence des choses passées. Le monde ne cesse de tendre sa toile sur les événements qui le traversent, à tel point que s'effacent leurs reliefs. A ces couvertures propres, à ce spectacle jouissif, à cette révision sous laquelle on crève ou sur laquelle on danse, l'artiste sorti du complot, s'oppose. En tirant autrement sur les ficelles qui tiennent en elles la mémoire et le temps, il sculpte une autre langue. Les trames ne sont pas vides; elles portent dans leurs axes des représentations qui ne tiendraient nulle part ailleurs, et dont la subtilité qui nous les voilent, s'accorde avec la simplicité qui les supportent, pour s'avérer existantes au regard de tous, et invisibles pourtant. Il n'y a rien à voir, sauf pour ceux qui désirent voir. Philippe Didier