Symposium - Espace Numérique de Travail de l`ESPE de Bretagne
Transcription
Symposium - Espace Numérique de Travail de l`ESPE de Bretagne
Symposium : « Viabilité et efficacité du travail enseignant dans la classe » Inscription dans l’axe n°3 : « Sur le terrain » Coordonnateurs : Philippe Veyrunes (CREFI-T, Université de Toulouse 2 le Mirail) Nathalie Gal-Petitfaux (PAEDI, Université de Clermont-Ferrand) Discutant : Frédéric Saujat (UMR ADEF, Université de Provence, IUFM d’Aix-Marseille, INRP) Communications : Nathalie Gal-Petitfaux (PAEDI, Université de Clermont-Ferrand) Benoît Huet et Jacques Saury (MIP, Université de Nantes) Philippe Veyrunes (CREFI-T, Université de Toulouse 2 le Mirail) Olivier Vors (PAEDI, Université de Clermont-Ferrand) Viabilité des situations de classe et configuration de l’activité collective Mots-clefs : Viabilité, configuration, activité individuelle, activité collective, efficacité expériencée Ce symposium est fondé sur la convergence de travaux engagés par des chercheurs de plusieurs équipes (CREFI-T, Toulouse ; PAEDI, Clermont-Ferrand ; MIP, Nantes ; UMRADEF, Marseille), s’intéressant aux situations d’enseignement/apprentissage, et plus particulièrement à l’activité des enseignants et/ou élèves au cours de leurs interactions en classe. Il proposera, sur la base de recherches empiriques, des éléments de réflexion concernant l’efficacité des pratiques enseignantes en s’attachant à comprendre par quelles formes d’articulation entre l’activité des élèves et celle de l’enseignant se construit in situ cette efficacité. Traditionnellement, l’efficacité scolaire est envisagée à l’aune des résultats scolaires des élèves, considérés comme résultant de variables institutionnelles, curriculaires, didactiques, pédagogiques, etc. Selon cette conception, un système scolaire efficace est celui qui permet aux élèves de développer leurs performances scolaires, tenues pour des indices fiables de leurs apprentissages, c’est à dire de modifications durables de leurs ressources et compétences. C’est selon cette conception que la demande sociale et politique porte sur une amélioration de l’efficacité de l’école ou que sont conduites et analysées les évaluations internationales des systèmes éducatifs (PISA, PIRLS…). Cette conception de l’efficacité est a priori peu contestable : l’une des missions de l’école est bien de transmettre des savoirs, et le travail des enseignants vise à produire des effets sur les apprentissages des élèves. Elle a également été féconde d’un point de vue scientifique, en proposant des analyses de l’efficacité scolaire en termes de « processus-produit », d’« effet maître » ou d’ « effet établissement ». De ce fait, elle est porteuse de connaissances indispensables à la compréhension du métier d’enseignant. Cependant une telle conception présente également des limites selon différents points de vue. D’un point de vue épistémologique, elle renvoie à une « naturalisation » des phénomènes humains et sociaux, considérés comme réductibles à des relations de causalité linéaire entre variables isolables et contrôlables expérimentalement. Or la complexité de ces phénomènes incite nombre de chercheurs à recourir à des approches susceptibles de rendre compte de façon plus adéquate de l’autonomie de ces phénomènes, de leur auto-organisation et de leur relative indétermination. D’un point de vue empirique, cette conception est également fondamentalement « hiérarchique » : les causes de l’efficacité sont « descendantes », allant de l’enseignement vers l’apprentissage. Elle est aussi « individualiste » : l’apprentissage est conçu comme une transformation individuelle, comportementale et cognitive, dissociable du contexte social et culturel. Or un ensemble de travaux s’inscrivant dans des traditions diverses (écologie de la classe, psychologie culturelle, apprentissage situé, clinique de l’activité, anthropologie cognitive…) ont souligné à quel point l’apprentissage et l’enseignement étaient indissociables de « systèmes d’activités », de « systèmes éco-sociaux », de « micro-cultures de classe » ou de « communautés de pratique », et de quelle façon ils résultaient de processus de co-construction de savoirs, et de négociation collective de significations partagées. Ces recherches décrivent les situations de classe comme complexes, situées et indexées aux conditions locales, et l’enseignement comme orienté vers des buts qui ne sont pas seulement des buts d’apprentissage pour les élèves. Elles montrent que les enseignants sont aussi (et parfois essentiellement), tournés vers des préoccupations de maintien de l’ordre et de mise en activité des élèves. Ceci est particulièrement vrai des enseignants débutants et de ceux, parfois très expérimentés, qui travaillent dans des contextes difficiles. L’hypothèse générale de ce symposium est que l’efficacité est liée aussi à la viabilité des situations de classe, c’est-à-dire à des interactions enseignant-élèves, et élève-élève, susceptibles de créer un contexte favorable pour l’apprentissage. En d’autres termes, la question de l’efficacité est examinée sous l’angle des conditions d’instauration d’un tel contexte collectif d’apprentissage, c’est-à-dire des conditions d’articulation de l’activité de l’enseignant et de celle des élèves permettant une telle viabilité. En recourant au « point de vue » des acteurs, les communications montreront que l’efficacité est aussi liée à leur perception « subjective » des situations de classe. Pour les enseignants, l’obtention de situations viables renvoie à une « efficacité expériencée », liée, notamment, à leur possibilité de concilier in situ des exigences d’apprentissage individuel et collectif, avec des enjeux de confort » d’enseignement, de participation des élèves et de gestion de leurs différences de « niveau scolaire ». Pour les élèves, les situations de classe offrent, à partir de la dynamique des interactions, des potentialités d’apprentissage et contribuent également à rendre ces situations plus ou moins viables pour eux. Enfin, la dimension collective de l’activité en classe constitue également un filtre d’analyse de l’efficacité enseignante : selon nous, celle-ci peut se comprendre comme relevant de configurations particulières de l’activité collective, qui émergent des relations d’interdépendance entre les acteurs et produisent des formes de travail viables pour eux. La viabilité de l’engagement des élèves au travail comme condition à l’efficacité des apprentissages en Réseau Ambition Réussite. Olivier Vors PAEDI – Université Blaise Pascal – Clermont Ferrand Introduction « Augmenter l’efficacité de l’éducation prioritaire pour plus d’équité scolaire » est l’une des dix grandes orientations pour la rentrée 2008 (circulaire 2008-042). Depuis 2005, les 254 collèges les plus en difficulté de France font partie de l’éducation prioritaire 1, ils portent le label ‘Réseaux Ambition Réussite’ (RAR). Ces établissements sont considérés comme difficiles au regard de critères social et scolaire. Les indicateurs du niveau social sont principalement, les catégories socioprofessionnelles des parents, dont plus de deux tiers sont défavorisées. Le niveau scolaire est indexé au nombre d’élèves ayant redoublé plus de deux fois à l’entrée au collège et aux résultats des tests d’entrée en 6ème (Décisions de Robien, 2006). La politique éducative de ces établissements relève de ‘l’éducation prioritaire’ qui a pour mission depuis 1981 de lutter contre les inégalités devant l’école en augmentant l’efficacité scolaire. La question de l’efficacité est particulièrement d’actualité pour les RAR qui, après trois ans d’existence, doivent être évalués cette année. Pour les collèges RAR comme dans les autres collèges, les principaux indicateurs utilisés sont macroscopiques et quantitatifs, les critères d’entrée en 6ème des élèves sont comparés avec des critères de sortie de 3ème que sont par exemple le taux de réussite au brevet, le nombre de redoublement en 2d, l’orientation. L’efficacité d’un établissement se matérialise ici par une plus-value chiffrable des performances scolaires en mathématiques et en français lors de tests nationaux, tenues pour des indices fiables des apprentissages des élèves. Elle est définie « comme la capacité de faire progresser les élèves davantage qu’attendu au vu de leurs caractéristiques lorsqu’ils entrent dans l’établissement (niveau scolaire, origine sociale, etc.) » (Meuret, 1995). Ici c’est le résultat qui importe, l’institution a plus de mal à rendre compte du processus, d’aspects plus qualitatifs et spécifiques tels que les conditions efficaces d’apprentissage en RAR. En nous intéressant aux recherches scientifiques propres à ces établissements difficiles, nous allons étudier l’efficacité scolaire du côté de l’apprentissage des élèves en nous intéressant à leur activité en classe. Nous traiterons de l’efficacité de leurs apprentissages en RAR en cherchant à comprendre quelle est la nature de leur engagement dans le travail scolaire. En RAR, une efficacité des apprentissages liée à la viabilité de l’engagement des élèves. En RAR, la plupart des élèves se trouvent en grande difficulté scolaire, c’est l’un des critères d’attribution du label "ambition réussite". Quelque soit l’enseignement les indicateurs de performance sont bien en deçà des moyennes nationales : par exemple il y a 20% d’écart aux tests d’entrée en 6ème. Ces faibles performances stigmatisent le manque d’efficacité des apprentissages des élèves en RAR dès l’école primaire. Diverses recherches se sont intéressées aux origines de ce phénomène (Kherroubi & Rochex, 2004, pour une revue). Millet et Thin (2005) insistent sur l’impossibilité de dégager un facteur d’explication unique. Ils soulignent que c’est l’enchevêtrement d’évènements familiaux, scolaires, juvéniles qui, par leurs recoupements mutuels, créent les conditions favorables à la rupture scolaire des élèves. Parmi ces facteurs rendant instable la situation de travail en classe, deux se retrouvent fréquemment dans la littérature spécialisée. Le premier concerne la difficulté d’engagement des élèves dans la tâche scolaire. Souvent ces adolescents se montrent très agités, chahuteurs, manifestant un grand désir d’agir en vue d’émotions et de sensations immédiates, ils paraissent peu préoccupés par le travail à effectuer auquel ils n’attribuent aucun sens (Charlot, 1997). Il arrive même qu’ils refusent de s’engager dans les apprentissages scolaires. Des recherches montrent que ce refus naît de la concurrence entre la sociabilité de quartier et la socialisation visée par l’école (Glasman, 2003) ; les conduites individuelles de ces élèves sont influencées par leur groupe de pairs, et leurs formes de sociabilité vont souvent à l’encontre de la culture scolaire (Millet & Thin, 2005). En somme, avec ces élèves le simple investissement dans les apprentissages ne va pas de soi, leur engagement apparaît ici comme une première condition à l’efficacité des apprentissages. Le second facteur limitant l’efficacité des apprentissages des élèves est lié à la viabilité de leur engagement. Ils peinent à rester concentrés sur un travail donné, ils ont une forte tendance aux décrochages de la tâche scolaire, leur engagement bifurque souvent vers d’autres activités moins scolaires (Guérin & Pasco, 2006). Ces décrochages incessants limitent le temps consacré aux apprentissages. Or d’après Berliner (1979) le temps que chaque élève passe sur la tâche scolaire (appelé l’academic learning time : ALT) est un prédicateur essentiel de l’efficacité des apprentissages. En éducation physique, le temps d’engagement moteur est considéré comme le meilleur médiateur des apprentissages (Piéron, 1993/1996). Dans les établissements classés RAR, l’ALT est bien plus faible que dans les autres, par exemple en gymnastique en cours d’éducation physique le pourcentage d’ALT est de 7% (Vors & Gal-Petitfaux, 2007) contre 21,9% (Rate, 1980 in Piéron, 1993/1996) dans des établissements classiques. La question du temps d’engagement en tant que condition d’efficacité des apprentissages est donc encore plus prégnante dans les RAR. Ces analyses convergent vers l’idée que les élèves résistent ou ne parviennent pas à rester engagés durablement dans le travail scolaire prescrit par l’enseignant. Cependant, la pérennité de cet engagement est une condition de l’efficacité de leurs apprentissages. Aussi, pouvoir augmenter la durée de leur implication dans une tâche scolaire nécessite d’analyser les facteurs de rupture et de pérennité. Notre étude cherchera donc à étudier l’activité des élèves en train de travailler, afin d’identifier les caractéristiques d’un engagement durable dans la tâche prescrite. Plus précisément, il s’agira de repérer quelle est la forme d’organisation de leur activité : comment se caractérise le cours de leur activité en classe, et quels éléments typiques peuvent expliquer les décrochages continus des élèves / ou les bifurcations continues des préoccupations des élèves en classe. Une étude de cas en éducation physique : contexte et étude Pour saisir les conditions efficaces d’apprentissage des élèves dans la classe, nous étudions la viabilité de leur engagement en nous appuyant sur le cadre théorique de l’action située (Gal-Petitfaux & Durand, 2001 ; Lave & Wenger, 1991). Nous avons opté pour une entrée contextuelle dans la classe afin d’analyser la spécificité des situations de classe en observant les activités telles que les élèves les produisent. D’inspiration anthropologique, cette approche théorique s’intéresse à décrire finement les actions humaines et à étudier leur signification. Afin de comprendre les déterminants de l’efficacité des d’apprentissage des élèves, au lieu de nous baser sur une performance chiffrée, nous sommes appuyés sur la subjectivité de l’acteur. Notre cadre théorique se fonde sur le présupposé que toute action humaine contient une part pré-réflexive. Elle retient la subjectivité des acteurs comme propriété de toute expérience humaine, et elle recourt aux récits d’expérience des acteurs comme possibilité d’accès à cette signification subjective. Selon cette approche, l’efficacité n’est pas considérée d’un point de vue extérieur et prescriptif, mais plutôt comme une activité vécue que nous tentons de comprendre. En faisant verbaliser les élèves, nous aurons accès à leurs préoccupations, ce qui les pousse à agir, et par conséquent à la viabilité de leur engagement. Notre recherche s’est effectuée dans un collège difficile de la banlieue lilloise classé RAR, avec une classe de 5ème de 20 élèves durant un cycle de six leçons de gymnastique par ateliers en Éducation Physique (EP). L’organisation spatiale des élèves est typique, les élèves sont amenés à travailler en petit groupe de cinq dans quatre ateliers : un atelier « Tourner » avant sur deux plans inclinés pour des roulades ; un atelier « Se renverser » à partir d’un plinth pour des renversements en appuis manuels ; un atelier « Franchir » à l’aide d’un tremplin pour des sauts de cheval ; et un atelier « Voler » avec un mini-trampoline pour des sauts. Les ateliers étaient installés en ligne sur toute la longueur du gymnase. Dans chaque atelier, l’enseignant avait préparé des fiches misent à la disposition des élèves, elles contenaient les exercices gymniques à travailler et les critères pour les exécuter correctement. Ce dispositif contraint les élèves, dispersés en petits groupes, à travailler collectivement, en autonomie sans une présence physique continue de l’enseignant à proximité (Gal-Petitfaux & Cizeron, 2005). L’activité des élèves a été enregistrée à l’aide de micros et de caméras, au cours des six leçons du cycle. La construction des matériaux s’est faite en deux volets. D’abord, une description ethnographique des comportements observables des élèves en classe (gestes, postures, déplacements et communications verbales). Ainsi nous pouvons répertorier les différents types de comportement des élèves, leur nature, leur durée, leur fréquence ; ce qui nous donne les indicateurs observables de l’engagement des élèves en tant que premier jalon de l’efficacité de leur apprentissage. Ensuite, nous avons conduit des entretiens d’autoconfrontation post-leçons (Theureau, 2006) invitant trois élèves volontaires à décrire leurs actions en classe. Ils ont explicité ce qu’ils cherchaient à faire à cet instant (leurs préoccupations), ce qui faisaient signe pour eux dans l’environnement et comment ils l’interprétaient (leurs perceptions et interprétations), ce qu’ils ressentaient (leurs émotions), ce qui nous donne les indicateurs subjectifs et vécus de l’efficacité de leur apprentissage. Le traitement des données s’est opéré en deux temps. Tout d’abord, nous avons reconstitué de manière fine, le cours d’activité des élèves pour chaque leçon, en mettant en parallèle les comportements et les verbalisations d’entretien de chacun. Ensuite, par récurrence, nous avons identifié et analysé les formes typiques d’activité présentes chez tous les élèves. Résultats : un engagement durable des élèves au travail fondé sur un faisceau de préoccupations typiques Les matériaux montrent différentes formes d’engagement des élèves, la seule qui est stable est fondée sur un système d’activité triadique alternant le jeu, le travail et l’errance. Ce système d’activité reflète une viabilité de l’engagement des élèves au travail qui est le fer de lance de l’efficacité de l’apprentissage dans la classe. En comparant les activités individuelles des quatre élèves, certaines similitudes sont apparues. Les régularités révèlent deux propriétés typiques : a) le caractère syncopé, morcelé, chaotique de leur activité en classe ; et b) l’aspect triadique de son organisation. Une activité fragmentée, révélant une instabilité des préoccupations de l’élève Les résultats montrent une activité syncopée, morcelée, chaotique, chez l’ensemble des élèves étudiés. D’une part, le caractère chaotique de l’activité se manifeste par l’expression d’un spectre très large de comportements produits pas les élèves au cours d’une séquence de travail à un atelier gymnique, donnant une impression de désordre, d’une activité discontinue. D’autre part, les verbatim d’entretien permettent de comprendre que cette structuration syncopée de l’activité repose sur un changement continu et brutal des préoccupations des élèves. Les actions des élèves sont apparues très furtives et instables. L’engagement des élèves vers la tâche scolaire est peu durable et bifurque souvent. Le temps de travail est composé d’une somme de séquences courtes et répétées. Prenons l’exemple de deux minutes trente secondes de l’activité de Soufiane à l’Atelier « Voler » (Figure 1). Cet atelier est constitué de deux gros tapis de réception, d’un trampoline et d’une fiche explicative des exercices et de leurs critères de réalisation. En dix minutes, les élèves doivent tester différents sauts : saut allumette (droit), saut groupé, saut carpé, saut demi-tour, saut tour complet. Temps 0:06:50 0:07:00 0:07:10 0:07:20 à 0:08:00 0:08:10 0:08:20 Activité en classe de Soufiane Échoue dans son saut ½tour. Engagement de Soufiane Sa préoccupation du moment (ce qu’il cherche à faire) Ses Ses perceptions du moment interprétations du moment (ce qu’il remarque dans la (ce qu’il se situation, ce qu’il dit) ressent) le La présence du Quand le au professeur à l’atelier. professeur est là, je lui montre le saut. Montrer saut demi-tour professeur. Faire l’exercice devant le professeur. Remet le Préparer le tapis. matériel, et attendre que ça se passe. Se Montrer un replace et fait un salto tendu pour se salto tendu. donner en spectacle Gary, et Discute devant s’amuser. avec un groupe d’élèves proche. Échoue dans son saut ½tour. Sort de son atelier pour 0:08:30 shooter dans le tapis que transporte Aris. Regarde autour de lui quelque chose à faire. Voit le Sait qu’il va professeur partir. amuser Gary en lui Aperçoit un montrant un salto camarade (Gary) d’une tendu. autre classe, au fond de la salle. Refaire le saut Le souvenir que demi-tour, qui est le saut demi-tour est difficile, pour le difficile. réussir. S’amuser Son copain qui Sait avec ses camarades en porte un tapis. qu’avec Aris, il peut leur faisant un coup en rigoler. douce pendant qu’ils Sait ont les mains qu’avec ses copains, occupées. le jeu c’est de se faire des coups en douce. Temps Activité en classe de Soufiane Engagement de Soufiane Sa préoccupation du moment (ce qu’il cherche à faire) 0:08:40 Se Attendre pour replace, déambule passer puis attend Chercher quoi passivement en faire en regardant ce regardant autour que font ses camarades de lui. 0:08:50 Fait un salto tendu vrillé. 0:09:00 Changer parce que c’est ennuyeux de toujours faire la même chose S’amuser devant ses camarades en faisant un saut difficile Se S’amuser avec les autres élèves de l’atelier Fait un concours de sauts. Faire un concours du saut le plus spectaculaire 0:09:10 Fait le Faire le saut saut groupé. groupé et vérifier qu’il sait le faire être prêt lorsque l’enseignant passera pour vérifier replace. 0:09:20 Regarde la fiche de travail. Demande au professeur : "M’sieur, c’est quoi carpé ?". Retourner voir la fiche pour s’informer des autres exercices à faire S’entraîner au saut carpé, maintenant qu’il a validé le saut groupé Demander au professeur d’expliquer ce que c’est un saut carpé Ses perceptions du moment (ce qu’il remarque dans la situation, ce qu’il ressent) Voit Mohamed faire son saut "Karaté". Sentiment d’ennui de toujours exécuter les mêmes exercices. Sentiment d’ennui de toujours exécuter les mêmes exercices. Voit que ses camarades de son groupe le regardent. Ses interprétations du moment (ce qu’il se dit) Comprend que Mohamed veut rigoler parce qu’il fait un saut "Karaté". Découvre que les exercices demandés par le professeur sont faciles pour lui. En déduit qu’il est donc inutile de le répéter et qu’il a donc du temps pour s’amuser. Regarde, en rigolant, les autres élèves plonger sur les tapis. L’avertissement par le professeur du temps de travail restant pour cet atelier (2 minutes). À compris que lorsque le professeur annonce qu’il reste peu de temps pour s’entraîner, il faut Le saut groupé vite vérifier qu’on est perçu ennuyeux car sait faire l’exercice. trop facile. Considère que s’il arrive à faire l’exercice dès le premier essai, c’est qu’il est facile et qu’il est inutile de le répéter Sur la fiche est Il faut écrit ce qu’il y a à faire. retourner lire la pour Remarque la fiche comprendre ce qu’il présence du professeur faut faire. dans l’atelier Si je ne comprends pas la fiche, je demande au professeur de m’expliquer. Figure 1 : Dynamique de l’engagement de Soufiane à l’Atelier « Voler » Cet extrait de l’activité de Soufiane (Figure 1) fait apparaître une grande variété de comportements conformes et non conformes aux apprentissages visés : l’élève réalise les sauts demandés, replace le matériel, discute avec ses camarades, shoote dans un tapis, déambule, attend sans rien faire, fait des sauts interdits, lit la fiche… De même, ses préoccupations bifurquent sans cesse, témoignant de son engagement instable dans la tâche scolaire prescrite par l’enseignant. La Figure 1 montre qu’elles ne durent en moyenne qu’une quinzaine de secondes. Le cours d’activité de Soufiane est marqué par la succession de séquences : il cherche à tester le saut demi-tour pour préparer l’évaluation ; puis, il s’amuse en se mettant en spectacle devant ses camarades par un salto ; il tente de nouveau le saut demi-tour qu’il vient de manquer pour vérifier sa difficulté ; puis il s’amuse en embêtant son copain, puis il rigole en groupe à faire un concours du saut le plus spectaculaire avec les élèves de son atelier ; il prépare l’évaluation, en expérimentant d’abord les sauts qu’il n’a pas encore testés, puis en regardant la fiche, et enfin en appelant le professeur. Au-delà de la diversité des actions produites en une unité de temps, l’engagement des élèves en classe révèle une organisation typique, stable, de nature triadique. Un engagement structuré par un faisceau de trois préoccupations stables L’engagement des élèves est composé de trois préoccupations récurrentes : de travail, de transgressions ludiques et d’errance attentiste. D’une part, cette structuration récurrente de l’activité est repérable aussi bien au plan intra-individuel, qu’au plan inter-individuel. D’autre part, ces trois séquences sont fortement liées les unes aux autres. Structuration triadique de l’engagement : travail, transgressions ludiques et errance L’engagement de l’élève comporte une organisation séquentielle saillante et stable. Audelà de la diversité importante des comportements de l’élève au cours de la leçon, l’engagement des élèves se structure de façon pérenne par un faisceau de préoccupations. De plus, la préoccupation d’effectuer le travail demandé est présente systématiquement de manière récurrente. L’élève s’engage alternativement dans un faisceau de préoccupations comportant des séquences où il travaille selon les prescriptions de l’enseignant ; des séquences déviantes de jeux sociaux où il s’amuse avec ses pairs à se faire des « coups en douce » ; des séquences d’errance attentiste où il reste immobile, souvent assis ou couché, en regardant ce qui se passe autour de lui. L’exemple de Mohamed illustre cette organisation cyclique. Entre 40 minutes 40 secondes et 44 minutes 10 secondes dans l’Atelier « Tourner », il alterne entre des séquences de travail, d’errance et de jeu : en arrivant dans l’atelier, il enchaîne rapidement une série de trois roulades, puis se couche sur le tapis en attentant que quelque chose se passe, refait une roulade et enfin s’amuse à se jeter sur les tapis avec ses amis de l’atelier... En trois minutes trente secondes, les préoccupations de Mohamed changent quatre fois. Cette structuration triadique de l’engagement est repérable tant au niveau intraindividuel qu’au niveau inter-individuel. Elle est présente au cours des quatre ateliers, et chez les quatre élèves étudiés. L’engagement des élèves vers le travail scolaire est systématique, et même s’ils sont animés par la préoccupation de déviance ludique, très vite elle revient à une focalisation sur les apprentissages prescrits. Une préoccupation de travail scolaire discontinue mais récurrente L’engagement des élèves tourné vers le travail scolaire occupe la plus grande partie de leur temps, 58% des activités totales. Il est caractérisé par les comportements où l’élève exécute les exercices demandés par l’enseignant. L’analyse de cet engagement fait apparaître deux caractéristiques marquantes. Premièrement, il n’est jamais très long, l’élève répète l’exercice demandé durant une trentaine de secondes puis sa préoccupation bifurque. C’est le cas de Soufiane à l’Atelier « Voler » qui n’effectue qu’une ou deux fois les exercices, s’il estime les avoir globalement réussit, ou s’il les juge « faciles » pour lui. Deuxièmement, l’engagement tourné vers le travail est récurrent. Sur l’ensemble de la leçon, il se décompose sous forme de petites séquences répétées. Il y a deux principaux facteurs de bifurcation de la préoccupation de travail. Tout d’abord, les élèves se lassent très vite de la répétition d’un même exercice. Cette résistance à répéter les exercices gymniques se retrouve chez Megda qui explicite que « c’est ennuyeux de toujours faire la même chose, je fais d’autres choses pour changer. […] Il faut que ça change ». À l’atelier « Tourner », elle réalise six fois un même exercice qu’elle considère comme difficile, mais ces répétitions sont entrecoupées d’autres actions (réaliser un autre exercice à travailler, jouer à se pousser avec ses camarades, se coucher sur les tapis…). Ensuite, les comportements du groupe de pairs est un facteur de bifurcation fréquent. Les entretiens d’autoconfrontation révèlent que lorsque les élèves perçoivent une opportunité de jeu clandestin, leur préoccupation change rapidement pour s’amuser avec leurs copains : « là, vite fait, je m’amuse avec lui, avant de passer ». Le cours d’activité des élèves est sans cesse marqué par ces préoccupations fugaces de se provoquer ou de se mettre en spectacle en groupe. Celles-ci occupent près d’un tiers du temps des élèves. Elles se caractérisent par des comportements très rapides dépassant rarement cinq secondes comme par exemple une poussette au moment ou un camarade s’apprête à faire sa roulade. Ces décrochages ont toujours lieu entre deux temps de travail. Voyons maintenant ce qui rend viable l’engagement des élèves, autrement dit ce qui permet de comprendre la stabilité du faisceau de préoccupations. Les résultats montrent que ce sont les opportunités de changement qui rendent stable l’engagement des élèves. La forme d’engagement, constituée d’un faisceau de préoccupations, est pérenne parce que les élèves alternent entre trois types d’activité. Leurs préoccupations bifurquent brutalement et constamment durant toute la durée des séances en revenant systématiquement vers la préoccupation de travailler, c’est ce qui fait tenir le système. Ils expriment qu’« il faut que ça change », « s’il n’y avait pas ces moments pour rigoler, ça serait ennuyeux à force, c’est même pas la peine (d’y penser) », « je peux m’amuser un peu si après je retourne au travail, le prof il dira rien ». C’est l’enseignant qui permet aussi cette viabilité de l’engagement des élèves en fermant les opportunités de déviances. Sa position, ses interventions sont particulièrement significatives pour les élèves, systématiquement les élèves interrogés pouvaient dire où il était, avec quel groupe il intervenait. Lorsque l’enseignant est là, ou lorsque les élèves sentent que l’enseignant les surveille du coin de l’œil, ils masquent leur préoccupation de jeu ou bifurquent vers une préoccupation tournée vers le travail. Discussion : Un faisceau de préoccupations comme condition à l’efficacité des apprentissages Nous étude à permis de décrire l’activité d’élèves de RAR comme une activité fragmentée, révélant une instabilité des préoccupations de l’élève qui se traduit par un spectre large de comportements furtifs. Au delà de cette diversité, nous avons repéré des régularités structurées par un engagement composé d’un faisceau stable de préoccupations. Trois préoccupations (de travail, de transgressions ludiques et d’errance) sont repérables de manière récurrente aussi bien au plan intra-individuel, qu’au plan inter-individuel. La préoccupation de travail scolaire est apparue comme dominante et discontinue avec de nombreuses séquences de travail, courtes, entrecoupées par des bifurcations furtives tournées vers le jeu ou l’errance. L’analyse a mis à jour les facteurs facilitant et limitant de ces bifurcations. En somme, nous avons mis en évidence la façon dont les élèves s’engageaient dans le travail en classe de manière durable. Cet engagement est à considérer comme une condition à l’efficacité des apprentissages des élèves. Le caractère contre-intuitif des résultats nous invite à considérer les préoccupations de déviance ludique et d’errance comme une condition à l’efficacité des apprentissages scolaires disciplinaires. Deux arguments peuvent être avancés. Le premier consiste à concevoir que le faisceau de trois préoccupations est une propédeutique aux apprentissages disciplinaires car il permet l’engagement et le maintien de l’élève dans l’activité proposée par l’enseignant. Ces trois préoccupations se co-déterminent mutuellement. Les activités sociales ludiques sont en quelque sorte des catalyseurs pour l’activité de travail. En ce sens, l’efficacité des apprentissages dans ces milieux difficiles s’appuie sur la viabilité de l’engagement des élèves considérés comme une potentialité d’apprentissage. Le deuxième argument, nous amène à définir in vivo ce qu’est l’activité d’apprentissage en RAR. Les élèves dans le cadre de la classe ont une activité d’apprentissage structurée par une succession de trois séquences : de travail, de jeux déviants et d’errance. Cela rejoint les recherches de Canal et Gleyse (2004) qui présentent l’apprentissage en classe comme un équilibre constitué du binôme ordre/désordre, où les jeux clandestins sont un exutoire permettant au système de se pérenniser. Afin d’augmenter l’efficacité de l’enseignement en RAR, une voie de professionnalisation serait de rentrer dans une approche compréhensive de l’élève. Une condition efficace d’enseignement pourrait être de prendre en compte le besoin qu’ont les élèves de décrocher temporairement de la tâche scolaire pour mieux raccrocher par la suite. Cette tolérance ponctuelle permettra un engagement supérieur et une plus grande quantité de travail (Allen, 1986). De plus, cette étude peut aider les nouveaux enseignants de RAR qui culpabilisent et remettent en question leur professionnalité en exprimant leurs difficultés et leur impuissance face aux comportements imprévisibles de ces adolescents (Monfroy, 2002). Elle permet de montrer que l’activité de ces élèves en RAR n’est pas totalement imprévisible, malgré la variabilité extrême des comportements au fil d’une leçon, elle a une organisation typique structurée. Sachant cela, l’enseignant peut repérer, identifier et interpréter les comportements des élèves et aussi comprendre leur dynamique articulée autour d’un faisceau de trois préoccupations que sont le travail scolaire, les jeux déviants et l’errance attentiste. L’activité des élèves paraîtra ainsi moins obscure et moins inattendue, ce qui pourra rassurer l’enseignant par rapport à cette « normalité » particulière aux RAR. Références Allen, J.D. (1986). Classroom management : Student’s perspectives, goals and strategies. American Educational Research Journal, 23, 437-459. Berliner, D. (1979). Tempus educare. In, P. Peterson, & H. Walberg (Eds.), Research on teaching: Concepts, findings and implications (pp. 120-135). Berkeley, Calif.: McCutchan. Canal, J.-L. & Gleyse, J. (2004). Ethnologie de l’EPS - Normes institutionnelles et « arts de faire » ou comment un cours se fabrique-t-il au quotidien ?, In G. Carlier (coord.), Si l’on parlait du plaisir d’enseigner l’Education physique et sportive (pp. 183-199). Montpellier : AFRAPS. Charlot, B. (1997). Du rapport au savoir. Eléments pour une théorie. Paris : Economica. Gal-Petitfaux, N., & Durand, M. (2001). L’enseignement de l’éducation physique comme « action située » : propositions pour une approche d’anthropologie cognitive. STAPS, 55, 79-100. Gal-Petitfaux, N., & Cizeron, M. (2005). Le travail par ateliers en Education Physique : activité de l’enseignant et activité des élèves. Actes du Colloque International Recherche (s) et Formation « former des enseignants - professionnels, savoirs et compétences », Février, IUFM, Nantes. Glasman, D. (2003). Quelques acquis d’un programme de recherches sur la déscolarisation. Revue Ville-Ecole-Intégration. Enjeux, 132, 8-18. Guérin, J., & Pasco, D. (2006). Activité dissimulée d’un décrocheur de l’intérieur en mathématiques. CRAP, Cahiers pédagogiques, 444. Kherroubi, M., & Rochex, J.-Y. (2004). La recherche en éducation et les ZEP en France. 2. Apprentissages et exercice professionnel en ZEP : résultats, analyses, interprétations. Revue française de pédagogie, 146, 115-190. Lave, J., & Wenger, E. (1991). Situated learning : Legitimate peripheral participation. Cambridge : Cambridge University Press. Meuret, D. (1995). La Distribution sociale des facteurs d’efficacité des collèges, In L’école efficace, de l’école primaire à l’Université, Paris : Armand Colin. Millet, M., & Thin, D. (2005). Ruptures scolaires : L'école à l'épreuve de la question sociale. Paris : PUF. Monfroy, B. (2002). La définition des élèves en difficulté en ZEP : le discours des enseignants de l’école primaire. Revue française de pédagogie, 140, 33-40. Piéron, M. (1993/1996). Analyser l’enseignement pour mieux enseigner. Dossier EPS, 16. Paris: Ed. Revue E.P.S. Theureau, J. (2006). Le cours d'action. Méthode développée. Toulouse : Octarès. Vors, O. & Gal-Petitfaux, N. (2007). Analyse des conditions de la viabilité du travail collectif en classe d’EPS avec des élèves difficiles d’un Réseau ambition réussite. Actes des XIIème Congrès International de l’ACAPS « Les Sciences du Mouvement et du Sport Autour du Monde ». Leuven, 31 octobre, 1, 2 novembre. Efficacité des situations d’enseignement / apprentissage et dynamique collective d’apprentissage : une étude de cas en éducation physique Benoît Huet et Jacques Saury MIP, Université de Nantes La recherche de l’efficacité de l’enseignement est une question centrale pour tout système éducatif qui se soucie de l’amélioration du niveau d’instruction des populations et qui recherche l’équité dans l’accès aux connaissances et aux qualifications professionnelles. Dans le rapport rédigé pour l’Institut International de Planification de l’Éducation attaché à l’UNESCO, Anderson (2004) situe clairement sa réflexion sur l’efficacité des enseignants dans cette perspective. S’appuyant sur les résultats des principales recherches menées dans une perspective objectiviste, il formule un ensemble de préconisations renvoyant à différentes dimensions de l’enseignement : conception des unités d’apprentissage, organisation de la classe, instauration d’un climat et d’une culture de classe permettant l’émergence d’un environnement favorable à l’apprentissage, etc. La recherche présentée ici s’inscrit dans une optique différente. Elle aborde la question de l’efficacité des situations d’enseignement/apprentissage à partir de l’analyse de la dynamique collective à l’œuvre dans les situations de classe, et non pas à partir de l’utilisation de critères d’évaluation choisis en fonction d’objectifs, de principes, et d’attentes normatives, qui fondent toute politique d’éducation., L’hypothèse générale sous-tendant l’approche développée est celle de la pertinence d’une approche descriptive et compréhensive de la dynamique des activités développées par les élèves et les enseignants, pour interroger l’efficacité de dispositifs d’apprentissage mis en place dans le cadre de l’enseignement obligatoire d’éducation physique et sportive. Les études qui ont été développées dans le paradigme de l’écologie de la classe ont montré que l’enseignement ne se réduisait pas à un processus d’influence directe des dispositifs d’enseignement sur les comportements et attitudes d’apprentissage des élèves (Doyle, 1986 ; Hastie & Siedentop, 2006). L’analyse des comportements des enseignants efficaces, telle qu’elle a été envisagée dans le cadre des recherches dites « processus-produit » (Dunkin & Biddle, 1974), tout comme les études centrées sur les variables du contexte psychosocial de la classe, et notamment, sur le « climat motivationnel » propice à l’apprentissage (Ames, 1992), se heurtent en effet aux mêmes limites : elles sous-estiment, d’une part, la complexité et le caractère indéterminé et contingent des situations de classe, et d’autre part, l’autonomie fondamentale des acteurs engagés dans ces situations, et notamment celle des élèves. Or, l’activité des élèves pendant les cours, et l’efficacité de leurs conduites pour atteindre les apprentissages visés, ne peuvent être compris en négligeant ces dimensions. Une étude récente menée au sein de notre équipe sur l’activité d’élèves de collège en EPS a, par exemple, montré que les modes d’engagement des élèves dans les situations d’apprentissage visant à développer des compétences à « s’opposer à autrui » (au cours d’un cycle de badminton), n’étaient que partiellement dépendants de la structure (coopérative vs compétitive) des tâches prescrites par l’enseignant (Saury & Rossard, sous presse). Une autre étude a montré que l’appropriation individuelle et collective par les élèves de dispositifs de co-observation (prévoyant l’utilisation d’une fiche d’observation, et la distribution de « rôles sociaux » d’observateurs et de joueurs) émergeait de la dynamique des interactions entre les élèves, de la co-construction et de la négociation de significations, au sein des groupes d’apprentissage, sous des formes pouvant être très différentes de celles attendues dans la conception de ces dispositifs (Saury, Huet, Rossard et Sève, sous presse). D’un point de vue théorique, le présupposé selon lequel toute personne engagée dans une situation est autonome repose sur l’hypothèse que l’autonomie est une propriété fondamentale de tout système vivant, une capacité à « faire émerger son propre monde » dans l’histoire d’une interaction continue (ou d’un couplage) avec son environnement (Varela, 1989). Concernant les systèmes sociaux, Maturana & Varela (1994) suggèrent que les interactions sociales (ou couplages de troisième ordre) font émerger un « monde partagé » (ensemble de significations, connaissances, éléments de culture, langage, partagés entre les individus), aussi appelé « domaine consensuel », possédant lui-même une certaine autonomie. L’émergence de ce domaine consensuel est essentielle en ce qu’elle permet d’assurer la viabilité et l’intelligibilité de l’activité développée par chaque individu dans son environnement social et culturel, tout en lui fournissant des ressources pour agir et pour apprendre, dans le cours de ses interactions sociales. La prise en considération de la dynamique des interactions sociales entre les élèves dans l’étude de leurs apprentissages relève d’une tradition déjà ancienne, notamment en référence aux théories socio-constructivistes de l’apprentissage et du développement, ancrées dans les travaux de Vygotski (1997), de Bruner (1983) et de Bandura (1986). Cette tradition a généré diverses recherches empiriques relatives à l’enseignement et à l’apprentissage des habiletés motrices, centrées sur les apprentissages en dyades, sur les processus de tutorat entre pairs, ou sur l’efficacité de différentes procédures d’apprentissages coopératifs (pour des synthèses, voir d’Arripe-Longueville, 2006 ; Lafont & Winnykamen, 1999). Ces recherches ont largement mis en évidence l’influence (favorable ou défavorable) des interactions sociales entre les élèves sur leurs apprentissages scolaires ainsi que sur d’autres variables psychosociales de leur développement (motivation, estime de soi…). Tout en tenant compte des acquis de ces travaux, la présente recherche s’inscrit dans une perspective en partie alternative et en partie complémentaire. Elle se réfère au programme scientifique du « cours d’action » (Theureau, 2004, 2006), qui a déjà donné lieu à une série d’études sur l’activité collective d’élèves engagés dans des situations d’apprentissage en EPS (de Keukelaere, Guérin, & Saury, 2008 ; Saury et al., sous presse ; Saury & Rossard, sous presse). Selon les présupposés de ce programme, toute activité donnant lieu à expérience pour l’acteur, est indissolublement individuelle et collective, et peut être analysée à deux niveaux d’organisation complémentaires : celui de l’activité « individuelle-sociale » (i.e., niveau de la prise en compte d’autrui dans l’activité de chaque acteur), et celui de l’activité « socialeindividuelle » (i.e., niveau des interactions émergeant de l’articulation des activités « individuelles-sociales »). Dans le programme du cours d’action, ces deux niveaux renvoient respectivement aux notions de « cours d’expérience », et « d’articulation collective des cours d’expérience ». C’est sur la base de ces deux objets d’analyse que nous avons conçu l’étude de l’activité collective au sein d’un groupe de huit collégiens au cours d’un cycle d’athlétisme en EPS. Observatoire de l’activité individuelle et collective des élèves Le cycle d’athlétisme était organisé dans le cadre d’un projet regroupant deux classes mixtes de Troisième, de 24 élèves chacune. Les deux enseignants avaient conçu ce cycle avec l’objectif général de permettre aux élèves de « réaliser une performance annoncée dans le cadre d’un triathlon individuel au terme d’une préparation collective ». Le triathlon athlétique était composé d’une épreuve de course de haies, d’une épreuve de saut en longueur et d’une épreuve de lancer du disque. Celui-ci devait être réalisé à l’issue d’un cycle de huit séances de deux heures hebdomadaires. La classe était divisée en six groupes (hétérogènes en termes de compétence et de genre) de huit élèves, maintenus stables par les enseignants pendant toute la durée du cycle. Au cours de chaque séance, chaque groupe pratiquait successivement chacune des trois spécialités athlétiques dans trois « ateliers » distincts dans l’espace du stade d’athlétisme. Les objectifs de ces séances visaient à favoriser le développement de deux sortes de compétences chez les élèves : d’une part, des compétences athlétiques (e.g., en lancer du disque, « maîtriser la tenue du disque de la mise en action jusqu’au lâcher »), et d’autre part, des compétences plus générales, dites méthodologiques et sociales (e.g., mettre en œuvre des situations de co-observation et de coopération au sein des groupes d’élèves, assumer différents « rôles sociaux » dans l’organisation des tâches de travail : chronométreur, mesureur, etc.). L’activité d’un groupe d’élèves volontaires pour participer à cette recherche (huit élèves : quatre filles et quatre garçons, d’une moyenne d’âge de 14 ans) a été étudiée au cours de l’intégralité des séances effectivement réalisées au cours du cycle (cinq séances de deux heures au total). Les comportements des élèves et leurs échanges verbaux au sein du groupe ont systématiquement été enregistrés à l’aide de deux caméras numériques et de quatre micros HF, qui équipaient alternativement quatre élèves différents sur huit lors de chaque séance. Les comportements et interventions de l’enseignant qui guidait et supervisait le travail de ce groupe sur les différents ateliers ont également été enregistrés grâce à une troisième caméra et d’un micro HF porté par l’enseignant durant toute les séances. Une copie des documents de travail mis à la disposition des élèves a également été systématiquement collectée. A l’issue de chaque séance, les quatre élèves porteurs de micros-HF ont alternativement participé (une semaine sur deux) à des séances d’autoconfrontation. Ces séances ont été organisées simultanément par les deux chercheurs coauteurs de cette communication, s’entretenant respectivement chaque fois avec deux élèves. Il était demandé aux élèves de se « remettre dans la situation de classe », et de décrire les actions, communications, focalisations, interprétations et sentiments qui constituaient leur expérience dans cette situation, en prenant appui sur la visualisation de l’enregistrement audio-vidéo de leurs comportements au sein du groupe et des événements survenus au cours de la séance. L’ensemble des données comportementales, des verbalisations en situation et des verbalisations en auto-confrontation ont été transcrites à l’aide du logiciel Transana, conformément aux conventions de transcription proposées par Jefferson (1984). L’analyse a consisté, d’une part, à reconstituer les cours d’expérience de chacun des élèves, et d’autre part, à repérer et catégoriser les épisodes d’interaction entre les élèves s’organisant autour d’un thème d’apprentissage particulier (i.e., interactions entre élèves dans lesquelles les élèves étaient engagés avec des préoccupations d’apprentissage. Résultats Les résultats sont présentés dans deux parties, rendant compte, de façon complémentaire, de formes typiques apparaissant dans les cours d’expérience des élèves, et de modes typiques d’interactions entre les élèves. La première partie révèle ainsi trois processus grâce auxquels les activités développées par les différents élèves constituent pour chacun d’entre eux un ensemble de ressources disponibles pour apprendre. La deuxième section décrit les différentes formes spontanées de coopération entre les élèves orientées par des préoccupations d’apprentissage. L’exploitation de ressources collectives distribuées au sein du groupe L’analyse des cours d’expériences des élèves révèle trois processus particuliers, mettant en évidence de quelle façon l’activité des autres élèves offre un ensemble de ressources significatives pour eux en relation avec des préoccupations d’apprentissage. Le premier processus concerne la modélisation continue des compétences des autres élèves. Dès la première leçon, puis de façon récurrente au cours des différentes leçons observées, les autres élèves du groupe constituent pour leurs camarades des ressources privilégiées pour apprendre, en relation avec un jugement de pertinence concernant leur activité et leurs compétences. En effet, l’évaluation des compétences de chacun dans la spécialité athlétique pratiquée est une préoccupation récurrente des élèves tout au long des leçons. Cette évaluation est constamment actualisée. Elle conduit les élèves à se tourner vers ceux d’entre eux qui réalisent les meilleures performances pour obtenir des informations à caractère technique sur les activités athlétiques travaillées. Par exemple, dans le groupe observé, la compétence sportive reconnue à deux élèves (Esteban et Pierre), sur la base des expériences vécues dans les cycles d’EPS précédents, et du niveau de leurs premières prestations, leur a conféré quasiment immédiatement un statut particulier de « référents » pour la plupart des autres élèves, lorsqu’il était question d’apprentissages techniques. Ces derniers ont ainsi sollicité très fréquemment des conseils de la part de ces deux élèves jugés « experts », ou été particulièrement attentifs à leurs prestations. Cependant, au cours du cycle, d’autres élèves ont été considérés comme offrant un modèle pertinent de compétence, en relation avec l’évolution de leurs performances dans l’une ou l’autre des spécialités athlétiques. A contrario, certains élèves initialement considérés comme experts, ont été considérés comme des ressources moins « fiables » au cours du cycle, ce qui met en évidence une activité continue de construction, de validation ou d’invalidation permanente de connaissances par les élèves à l’égard des compétences des autres. Le deuxième processus concerne l’exploration des comportements des autres élèves. La perception de la compétence des autres oriente l’activité d’observation et d’exploration des élèves dans la situation. Par exemple, deux filles du groupe, Marjolène et Donatienne, ont expliqué en autoconfrontation à l’issue de la première leçon qu’elles avaient plus particulièrement observé les élèves qui « le faisaient bien », en l’occurrence Esteban, Pierre et Baptiste. Cette activité d’observation peut être induite par l’enseignant mais s’exerce également de façon spontanée au sein du groupe. Au cours de la première leçon lors de l’atelier consacré au saut en longueur, Marjolène et Donatienne, engagées dans une activité d’enquête sur la meilleure manière de prendre son élan pour sauter loin tout en respectant la zone d’élan, ont eu recours à cette observation, afin de mieux comprendre comment organiser cette phase du saut. Leur observation a ainsi porté sur la façon dont Pierre procédait : Marjolène : (s’adressant à Donatienne tout en observant Pierre) regarde lui, il va moins vite... il faudrait... Donatienne : non c'est qu'il accélère à la fin. Marjolène : ah oui! Donatienne : moi je vais faire comme lui tu vas voir. Marjolène : je vais essayer de copier aussi... Donatienne : tu vas voir tu vas voir ! (mime une attitude combative). Cette exploration de l’activité d’autrui est largement partagée par l’ensemble des élèves. Il peut se faire individuellement ou collectivement et intervient de manière récurrente, quelle que soit la spécialité athlétique pratiquée. Le troisième processus concerne la mise en visibilité d’interprétations ou d’évaluations liées à ses propres prestations ou à celles d’autrui. Au-delà des échanges portant sur les performances respectives des uns et des autres, que les élèves échangent de façon récurrente au cours des séances, ils expriment dans de nombreuses situations de façon ostensible leurs sentiments et impressions relatifs à leurs propres prestations et à celles de leurs camarades. Par exemple, lors de la deuxième leçon, Vincent a régulièrement exprimé à haute voix « à la cantonade » sa difficulté à trouver son pied d’appel et à améliorer ses performances en saut en longueur. Ces commentaires « mis en visibilité » et adressés aux autres (de façon plus ou moins « ciblée »), accompagnaient dans certains cas la réalisation des prestations athlétiques elles-mêmes. Par exemple, lors d’un essai en saut en longueur au cours de la première leçon, Donatienne a spontanément commenté à haute voix ce sur quoi elle se focalisait pour organiser sa course d’élan, en criant, pendant sa course « alors je cours lentement pour commencer… et là j’accélère !!! », puis en commentant le résultat de son saut à l’attention des autres : « eh… j’ai fait mieux !!!! ». Les trois processus décrits mettent en évidence de quelle façon les comportements et les performances des autres élèves du groupe offrent à chaque élève – dans certains cas en relation avec les rétroactions de l’enseignant – des indices leur permettant à tout moment de construire des interprétations à propos de ce qu’il y a à faire, et comment. Ils permettent à chaque élève de construire un ensemble de ressources distribuées au sein du groupe, afin de s’adapter aux « problèmes d’apprentissage » auxquels ils sont confrontés. Formes spontanées d’interactions entre les élèves orientées par des préoccupations d’apprentissage L’analyse fait apparaître cinq formes d’interactions entre les élèves du groupe, en relation avec des préoccupations liées à un thème d’apprentissage particulier. La première forme d’interaction articulait l’activité d’élèves dont la préoccupation était de guider ou d’aider l’apprentissage d’un (ou plusieurs) autre(s) élève(s) (se posant ainsi spontanément comme « tuteurs »), et celle d’élèves dont la préoccupation était de prendre en compte les conseils et aides apportées pour préparer l’essai suivant (acceptant ainsi une position de « tutorés »). Ces interactions étaient le plus souvent dyadiques, mais concernaient parfois trois ou quatre élèves. Elles débutaient soit à l’initiative des « tuteurs », soit à la suite d’une demande d’aide adressée par un élève à un de ses camarades qu’il jugeait plus compétent. L’exemple suivant, extrait de l’analyse de la séquence de saut en longueur de la première séance, illustre cette forme d’interaction. Il concerne une interaction entre, d’un côté, Esteban et Pierre, et de l’autre Marjolène et Donatienne, après que cette Marjolène ait sollicité un conseil de la part des premiers concernant l’organisation de sa course d’élan : Marjolène (s’adressant aux autres élèves situés dans la zone d'élan) : comment vous faites pour pas mordre ? Moi obligé je... Esteban : c'est parce toi tu cours trop vite avant ! T'as pas le temps de le voir venir ! (…) Marjolène : oui c’est clair ! Pierre : tu cours doucement au début et t’accélères à la fin ! Marjolène : ah oui ! Esteban (3’ plus tard) : en fait, ce qu'il faut c'est commencer à accélérer à la ligne blanche là, c'est sûr (désigne du doigt une ligne sur la piste) Tu cours doucement au début et t’accélères à la fin Marjolène : ouais Au cours des essais suivants, Marjolène et Donatienne ont manifestement cherché à suivre les conseils prodigués par Esteban et Pierre, en débutant leur course lentement, pour l’accélérer dans les derniers mètres avant la planche d’appel. Lors de l’autoconfrontation, elles ont respectivement confirmé que cette intervention les avait aidées à étalonner plus efficacement leurs courses d’élan (Marjolène : « ben en fait y'avait une ligne blanche un petit peu avant heu... la ligne qui faut pas dépasser là, et que c'était à partir de cette ligne-là qu'il fallait accélérer… » ; Donatienne : « parce que nous ils nous voyaient [Esteban et Pierre], ils nous voyaient partir vite dès le début donc... ils nous ont dit... (…) ben partir d'abord doucement et... à partir de la ligne blanche comme elle disait [Marjolène] et ben accélérer un grand coup pour la ligne (…) ouais ben moi ça a mieux marché » ; Marjolène : « oui moi aussi »). La deuxième forme d’interaction émergeait sous deux variantes. Elle articulait, soit (a) l’activité d’un élève dont la préoccupation était de solliciter une aide de la part d’un ou de plusieurs autres élèves, sans que celui-ci ou ceux-ci ne s’engagent dans une démarche d’aide (négligeant la sollicitation qui leur était adressée, et poursuivant des préoccupations distinctes) ; soit (b) l’activité d’un élève dont la préoccupation était de proposer spontanément une aide à un autre élève sans que celui-ci ne la prenne en compte en tant que telle. Dans les deux cas, cette forme d’interaction était marquée par le caractère « unidirectionnel » de l’offre ou de la demande d’aide. Par exemple, au cours de la séquence de lancer du disque de la première séance, Donatienne, qui était sur le point de lancer, se retourna vers Marjolène, en attente de lancer derrière elle : Donatienne : mais quand tu le lâches, tu fais comment avec ta main ? Marjolène : je le lâche pas ! (rires) Donatienne : ah ah, tu le lâches pas ! (rires) Marjolène : tu le lâches pas ! (rires) La réponse de Marjolène sur le mode de la dérision a clôturé cette interaction sans satisfaire les attentes d’aide de la part de Donatienne. La troisième forme d’interaction articulait l’activité d’élèves dont les préoccupations étaient de rechercher conjointement une solution à un « problème d’apprentissage » particulier. Elle peut-être conçue comme une co-élaboration de solutions visant à aider chacun des protagonistes à s’adapter à la tâche d’apprentissage. Celle-ci est illustrée par l’interaction suivante, survenue entre Donatienne et Marjolène au cours de la première séance, concernant l’organisation de la course d’élan en saut en longueur : Donatienne : (attendant de s'élancer pour sauter) mais je vais trop mordre moi, j'arrive pas à calculer mes pas pour la ligne… Marjolène : ouais mais à mon avis il va falloir faire un plus petit pas, le dernier, ou un grand pour... je sais pas... Donatienne : ouais mais ça... ah non pas un grand ! Marjolène : ben si t'es trop loin tu vas pas faire deux petits pas, tu fais un grand pas non ? non j'sais pas... Donatienne : ouais mais si tu fais un grand pas après ça va te ralentir… La quatrième forme d’interaction articulait l’activité d’élèves conjointement engagés dans la co-construction d’interprétations à propos de leurs essais respectifs. Cette coconstruction s’appuyait en particulier sur la « mise en visibilité » et le partage mutuel de jugements, perceptions ou interprétations relatives à leurs propres performances (ou de celles des autres élèves observés), et/ou à leurs difficultés ou interrogations faisant suite à leurs essais pratiques. Une interaction de ce type est illustrée par l’exemple suivant, entre Esteban et Pierre, à la suite de leur premier essai respectif en saut en longueur : Pierre : j'ai pris trop d'élan... sinon j'aurais pas mordu... Esteban : moi moi j'en ai fait un, j'arrive bien à atterrir comme il faut Pierre : c'est pas marrant moi je... Esteban : en fait c'est tu lances tes jambes vers l'avant et après tu (mime le geste) au début t'avait fait le même que moi sinon... sauf que t'arrive pas à bien t'équilibrer Pierre : ouais moi j'ai atterri comme ça là (montre)... j'ai atterri comme ça, enfin j'ai posé mon pied en arrière et je suis retombé comme ça (mime une chute sur le dos) Esteban : ouais en fait t'as à moitié sauté vers l'avant et après t'as... (mime le déséquilibre arrière en riant). La cinquième forme d’interaction prenait la forme d’un conflit d’interprétation explicite. Elle se caractérisait par l’articulation des activités de deux élèves ayant chacun pour préoccupation de convaincre l’autre du bien-fondé de son interprétation ou de la solution qu’il a élaborée afin de répondre à un problème d’apprentissage particulier. L’exemple d’un tel conflit d’interprétation est fourni par une interaction entre Esteban et Pierre lors de la séquence de lancer du disque de la première séance, à propos du « bon sens de rotation » du disque lors du lancer, dont un extrait est présenté ci-dessous : Professeur : dans quel sens il tourne ton disque ? Dans le sens des aiguilles d'une montre ou dans le sens inverse ? Esteban : inverse Pierre : dans le sens des aiguilles d'une montre il tourne ! Esteban : non inverse ! (…) là là… ouais je donne un coup pour qu'il tourne comme ça (fait un mouvement dans le sens inverse aux aiguilles d'une montre) Pierre : faut pas ! Faut pas… il tourne comme ça (montre à Esteban une rotation dans le sens des aiguilles d'une montre) Esteban : mais non il l'a dit l'autre fois que c'était sens inverse ! Pierre : comme ça là (fait à nouveau tourner un disque en le lançant et le rattrapant devant lui, dans le sens des aiguilles d’une montre) Esteban : mais non, justement non ! Pierre : mais si ! Il faut pas rabattre comme ça (montre une rotation du bras avec un enroulé de la main dans le sens inverse aux aiguilles d'une montre) (…) tu pars comme ça, comme j'ai fait... tu pars comme ça, hop et t'as le truc qui part comme ça (démontre le mouvement du bras et du disque) Esteban : ouais mais là c'est le prof il... (…) ben il nous avait dit le sens inverse l'autre fois ! Pierre : bon... mais j'ai préféré mon lancer au tien hein ! (Pierre était l’élève qui avait établi à ce moment la meilleure performance du groupe). Trois aspects de la dynamique de ces interactions apparaissent particulièrement remarquables. Le premier concerne la variabilité de leur nombre d’occurrences et de leur fréquence en relation avec certains éléments de la situation, pesant comme contraintes sur les interactions entre élèves : (a) les ateliers correspondant aux trois spécialités athlétiques (les interactions entre élèves « centrées sur l’apprentissage » étaient, par exemple, plus nombreuses dans les ateliers de lancer du disque en comparaison de l’activité des élèves dans les autres ateliers ; (b) la fréquence des interventions de guidage des apprentissages au sein du groupe par l’enseignant ; (c) la nature du « problème » d’apprentissage posé (e.g., trouver le « bon sens de rotation » du disque par rapport au bras pour lancer efficacement). Le deuxième concerne la variabilité de la composition des dyades (ou petits groupes d’élèves) au sein desquelles émergent ces différentes formes d’interactions au cours du cycle d’EPS : nos résultats font apparaître que si certaines dyades (mettant notamment en jeu des relations amicales privilégiées entre les élèves) manifestent des interactions récurrentes au cours du cycle, d’autres sont plus temporaires, reflétant une variabilité de la participation de chaque élève aux activités du groupe. La troisième concerne enfin les variations de « statut » des élèves dans leurs interactions, notamment dans les interactions de « tutelle » spontanées (statuts de tuteur vs tutoré). Ceux-ci pouvaient passer de situations « d’aide » à des situations « d’être aidé(e) » (ou de « demandeur d’aide »), dans le cadre d’interactions dissymétriques « temporaires », en relation avec le développement de leur activité (e.g., l’acquisition de nouvelles connaissances), la nature des objets de l’interaction (e.g., faire tourner le disque dans le « bon sens » au lancer le disque ; étalonner sa course d’élan en saut en longueur), et l’histoire particulière des relations entre les élèves (e.g., relations amicales, participation commune à des activités extrascolaires, etc.). Dynamique collective d’apprentissage et efficacité de l’enseignement Ces résultats sont de nature à interroger la question de l’efficacité des situations d’enseignement-apprentissage sous un angle original. En effet, l’analyse de l’activité collective des élèves révèle, parmi l’ensemble des interactions sociales entre les élèves pendant le cycle (toutes ne s’organisant pas autour de préoccupations d’apprentissage), l’émergence de multiples formes d’interactions coopératives spontanées, orientées par des préoccupations d’apprentissage des protagonistes. Le nombre et la variété de ces interactions semblent dépendre de la structure des dispositifs d’apprentissage prescrits par les enseignants : l’organisation spatiale des ateliers (fournissant des occasions plus ou moins riches de co-observation et de communication entre les élèves), la nature des « problèmes d’apprentissage » posés (habiletés athlétiques plus ou moins propices à des activités réflexives collectives), la stabilité de la composition des groupes d’apprentissage tout au long du cycle (offrant la possibilité à chacun de construire progressivement des connaissances plus fiables à l’égard des « ressources distribuées » dans le groupe), l’hétérogénéité de la composition des groupes (en termes de niveau et de genre), la définition d’un objectif d’équipe (préparer une épreuve de triathlon athlétique inter-groupes), contribuent vraisemblablement à créer des configurations d’activités collectives porteuses de « potentialités » plus ou moins riches pour les apprentissages des élèves. Cependant, ces dispositifs ne prescrivent, en tant que tels, ni les activités d’exploitation par chaque élève des ressources distribuées au sein du groupe, ni les interactions coopératives dans les activités d’apprentissage. Celles-ci se développent de manière relativement autonome et indéterminée, dans l’histoire d’une appropriation individuelle et collective des dispositifs, en révélant – tout en contribuant à le créer – leur « potentiel de ressources pour apprendre ». En nous appuyant sur cette analyse, nous avançons l’idée qu’une des conditions permettant d’accroître l’efficacité de leur enseignement pourrait être, pour les enseignants, d’exploiter ces formes spontanées d’activités coopératives entre les élèves et la connaissance des conditions privilégiées d’émergence de ces activités, comme des « ressources » susceptibles de leur permettre de concevoir de réelles « situations d’aide à l’apprentissage » de leurs élèves. Cette idée rejoint partiellement les présupposés sous-jacents aux multiples procédures d’apprentissage coopératif, ou d’apprentissages « entre pairs », ou encore « assistés par les pairs », conçues pour offrir des conditions sociales d’acquisition favorables aux apprentissages scolaires. Elle s’en distingue cependant du point de vue des modalités de prescription des tâches coopératives, ainsi que de la définition des statuts (e.g., expert vs novice) caractérisant les élèves, ou des rôles sociaux (e.g., tuteur vs tutoré) devant être assumés par ceux-ci. Certes, il a été montré, dans le cadre de dispositifs quasi-expérimentaux (et plus récemment dans des conditions de classe entière), que les élèves assumant les rôles prescrits de tuteurs et de tutorés, tiraient mutuellement des bénéfices en termes d’apprentissage, des situations en dyades dissymétriques ou de « tutorat réciproque entre pairs » (e.g., d’Arripe-Longueville, 2006 ; Ensergueix, Lafont, & Cicero, 2006 ; Legrain, d’Arripe-Longueville, & Gernigon, 2003). Ces travaux apportent une contribution essentielle à la compréhension des conditions d’efficacité de l’enseignement. Ils sont par ailleurs étroitement articulés à des recherches d’ingénierie pédagogique particulièrement stimulantes. Pourtant, deux arguments essentiels nous incitent à proposer une approche différente de la façon de mettre les interactions sociales entre élèves et les dynamiques d’activités collectives « au service » des apprentissages. Le premier argument est d’ordre empirique. Notre étude montre que les élèves mettent spontanément en jeu des modalités d’interactions dont les formes peuvent s’apparenter à celles qui sont décrites en termes d’imitation-modélisation (Lafont, 2002), de co-élaboration et de conflit socio-cognitif (Doise et Mugny, 1981), ou encore de relation de tutelle (d’ArripeLongueville, 2006), etc. Cependant, elle révèle aussi la variabilité de ces interactions : les « statuts » relatifs des élèves (experts vs novices) ainsi que les « rôles sociaux » (tuteur vs tutorés) qu’ils assument dans le cadre de ces interactions, varient au sein des différents réseaux d’interactions dans lesquels les élèves s’engagent, et ils varient également en fonction du développement de l’activité de chaque élève du groupe. Ils sont ainsi en perpétuelle redéfinition, ce qui autorise le développement de trajectoires de participation et d’apprentissage singulières. L’efficacité du dispositif résiderait ici non pas dans la pertinence de rôles sociaux soigneusement prescrits, mais dans la quantité et la variété des opportunités d’interactions relatives aux objets d’apprentissage, offertes aux élèves dans l’histoire de leur activité collective commune. Le deuxième argument est d’ordre théorique. La promotion « d’apprentissages coopératifs » adossée à un postulat d’autonomie des acteurs (et des collectifs) suppose à nos yeux une vision « proscriptive » plutôt que « prescriptive » des conditions de la coopération entre les élèves pour apprendre, c’est-à-dire, visant à concevoir des situations délimitant des « espaces de possibles » propices au développement d’interactions favorables aux apprentissages, sans que celles-ci ne soient étroitement prédéfinies. Une telle conception ne prétend pas qu’il suffirait pour l’enseignant de « faire travailler les élèves en groupes » pour faire émerger – en raison des propriétés d’autoorganisation de ces groupes – des formes efficaces de travail. Elle suppose au contraire le développement chez les enseignants de capacités à identifier, orienter, guider, encourager, voire instrumenter par la mise à disposition des élèves d’outils médiateurs, des formes subtiles d’activités coopératives dans le cadre d’apprentissages collectifs, tout en reconnaissant leur relative indétermination et leur contingence. Références Ames, C. (1992). Achievement goals, motivational climate and motivational processes. In G.C. Roberts (Ed.) : Motivation in sport and exercise (pp 161-176). Champaign, Ill.: Human Kinetics. Anderson, L.W. (2004) Accroître l’efficacité des enseignants. Paris : UNESCO. Arripe-Longueville, F. (d’). (2006). Les relations entre pairs chez les enfants et les adolescents dans les activités physiques et sportives : rôle dans le développement psycho-social et l’acquisition d’habiletés motrices. Note de synthèse pour l’Habilitation à Diriger des Recherches. Université de Nice Sophia Antipolis. Bandura, A. (1986). Social foundations of thought and action: A social cognitive theory. Englewood Cliffs, N.J. : Prentice-Hall. Bruner, J.S. (1983).Le développement de l’enfant, savoir faire, savoir dire. Paris : PUF. De Keukelaere, C., Guérin, J., & Saury, J. (2008). Co-construction de connaissances chez les élèves en EPS au cours d’une situation d’apprentissage en volley-ball. STAPS, 79, 2338. Doise, W. & Mugny, G. (1981). Le développement social de l’intelligence, Paris : Interéditions. Doyle, W. (1986). Paradigmes de recherche sur l’efficacité des enseignants. In M. Crahay & D. Lafontaine (Dir.) : L’art et la science de l’enseignement (pp. 435-481). Bruxelles : Labor. Dunkin, M. & Biddle, B.J. (1974). The study of teaching. New York : Holt Rinehart et Winston. Ensergueix, P., Lafont, L., & Cicero, C. (2006). Pourquoi et comment former les élèves tuteurs pour favoriser les apprentissages moteurs ? 7ème Colloque Européen sur l’Autoformation « faciliter les apprentissages autonomes » (ENFA), Auzeville, mai 2006. Hastie, P.A. & Siedentop, D. (2006). The classroom ecology paradigm. In D. Kirk, D., Macdonald & M. O’Sullivan (Eds.) : The handbook of Physical Education (pp. 214225). London : Sage. Jefferson, G. (1984). Transcription Notation. In J. Atkinson & J. Heritage (Eds.) : Structures of Social Interaction. New-York: Cambridge University Press. Lafont, L. & Winnykamen, F. (1999). Co-operation and competition in children and adolescents. In Y. Vanden Ausweele, F. Bakker, S. Biddle, M. Durand, et R. Seiler (Eds.): Psychology for Physical Educators (pp. 379-404). Champaign, Ill. : Human Kinetics. Legrain, P., Arripe-Longueville, F. (d’), & Gernigon, C. (2003). Peer tutoring in a sport setting : Are there some benefits for tutors? The Sport Psychologist, 17, 77-94. Maturana, H.R., & Varela, F.J. (1994). L’arbre de la connaissance. Racines biologiques de la compréhension humaine. Paris : Addison-Wesley France. Saury, J., Huet, B., Rossard, C., & Sève, C. (soumis). Dispositifs de co-observation et configurations d’activités en EPS. A paraître In I. de Saint-Georges et D. Adé (Eds.). (2008). Les objets dans la formation. Toulouse : Octarès. Saury, J., & Rossard, C. (sous presse). Les préoccupations des élèves durant des tâches d’apprentissage coopératives et compétitives en badminton : une étude de cas. Revue des Sciences de l’Education. Theureau, J. (2004). Le cours d’action : méthode élémentaire. Toulouse : Octarès. Theureau, J. (2006). Le cours d’action : méthode développée. Toulouse : Octarès. Varela, F.J. (1989). Autonomie et Connaissance. Essai sur le vivant. Paris : Seuil. Vygotski, L.S. (1997). Pensée et langage. Paris : La Dispute. L’efficacité de l’enseignant dans le maintien d’une activité collective d’étude dans une classe Ambition réussite : le cas de leçons d’EPS Nathalie Gal-Petitfaux Laboratoire PAEDI, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand Introduction En 1981, l’objectif officiel de la politique des zones d’éducation prioritaires (ZEP) en France est "la lutte contre l’échec scolaire et les inégalités sociales devant l’école", "la démocratisation de la formation scolaire" (circulaire du 01/07/1981). En 1990, le texte de la première "relance " des ZEP rappelle qu’il s’agit de "promouvoir la réussite de tous les élèves et particulièrement dans les zones défavorisées" (circulaire du 01/02/1990). En 2006, une nouvelle « ambition réussite » est affirmée par un troisième plan de relance de l’Education prioritaire, consistant à doter les établissements les plus en difficulté de moyens supplémentaires au service d’une meilleure efficacité pédagogique. Depuis la rentrée 2006, 256 réseaux « Ambition réussite », rassemblant chacun un collège et des écoles primaires, bénéficient de moyens renforcés : mille professeurs expérimentés référents, et trois mille assistants pédagogiques pour accompagner les enseignants dans leur travail. Ces établissements scolaires classés "Réseau Ambition Réussite" (RAR) sont répertoriés sur une liste arrêtée par le ministre, à partir de critères nationaux : plus de deux tiers de catégories socio-professionnelles défavorisées, résultats de 20 points inférieurs à la moyenne aux évaluations à l’entrée en sixième, retards scolaires supérieurs à deux ans à l’entrée au collège, nombre de parents bénéficiaires du RMI, nombre d’enfants ayant des parents non francophones. Ce descriptif atteste d’une volonté politique de renforcer les dispositifs structurels pour améliorer l’efficacité pédagogique dans ces établissements et, par voie de conséquence, favoriser la réussite des élèves. Des recherches ont d’ailleurs permis de caractériser le profil d’efficacité de ces établissements ZEP fabriquant de la « réussite scolaire ». Toutefois, si les facteurs structurels de l’efficacité, ainsi que des indicateurs de l’efficacité pédagogique au sein de l’école ou du collège, sont clairement identifiés, les indicateurs pouvant caractériser l’efficacité de l’intervention en classe de ces « maîtres réussissants » restent insuffisamment développés, manquent de précision (Chauveau, 2000) ou de diffusion publique (e.g., Colloque Quelles évolutions de la professionnalité enseignante en Education prioritaire et dans les réseaux Ambition réussite ?, mars 2008). L’objectif de ce colloque récent était justement de faire le point sur l’état des recherches sur le travail enseignant en RAR, dans la classe et en dehors de la classe, afin d’étayer la formation des enseignants confrontés à ces milieux difficiles. Les débats scientifiques étaient fédérés autour de deux questions centrales : Comment former et accompagner les enseignants pour a) qu’ils travaillent avec d’autres professionnels (enseignants ou pas) dans la classe, dans l’établissement, dans le réseau et b) pour qu’ils accompagnent eux-mêmes les élèves dans l’acquisition des savoirs ? Ces questions montrent que la gestion de la classe, c’est-à-dire le maintien au travail du collectifclasse avec un accompagnement des apprentissages, est une difficulté réelle du travail enseignant, nécessitant même de recourir à des solutions de co-intervention. L’étude empirique présentée s’inscrit dans ces questions. Elle étudie l’activité en classe d’enseignants d’Education physique et sportive (EPS) expérimentés exerçant dans les milieux difficiles de l’éducation prioritaire, en RAR, avec des élèves a priori non enclins à s’engager durablement dans une activité d’étude. Elle cherche à identifier les modalités d’intervention par lesquelles ils réussissent seuls, à rendre viable une activité collective de travail dans la classe, condition d’un accompagnement possible et efficace des apprentissages individuels. L’efficacité d’une école ZEP ou celle du travail enseignant ? Un conflit de critères Grâce aux recherches et aux études statistiques, une série importante de données permettent de mieux apprécier l’ampleur de la réussite dans les établissements relevant de l’Education prioritaire. Une étude comparative entre collèges populaires " performants " (en français et mathématiques) et collèges " peu performants " avait déjà permis de dégager un profil de collège efficace dans les quartiers de type ZEP : " Une taille plutôt modeste, un style de vie scolaire plutôt convivial, une bonne discipline et un bon climat, des exigences fermes, une forte exposition à l’apprentissage, des dispositifs de soutien importants, des pratiques pédagogiques innovantes et une direction attentive à la cohérence de ces pratiques " (Grisay, 1990). Une autre recherche a mis en évidence un même profil d’efficacité, en français et en mathématiques, pour les écoles élémentaires ZEP qui " fabriquent de la réussite " (Chauveau, 2001 ; Chauveau et Rogovas-Chauveau, 1995). Les résultats des études relatives à l’efficacité pédagogique ont, elles, permis de mettre en évidence plusieurs indicateurs permettant de dresser un portrait-robot approximatif des maîtres efficaces en ZEP (Chauveau, 2000) : ceuxci ont des attentes positives à l’égard des élèves ; des exigences fermes ; un style pédagogique à la fois rigoureux et souple ; ils se centrent sur les savoirs et ils consacrent leur temps aux apprentissages scolaires ; ils accordent une large place à la participation des élèves, et à un " bon climat " ; ils expriment des attentes plutôt positives à l'égard des élèves. D’autres études se centrant sur l’organisation sociale et pédagogique de l’établissement montrent que la réussite des élèves est liée aussi aux facteurs suivants : un bon climat mais avec une discipline " souple ", un enseignement " innovant ", une " ouverture " sur l’extérieur, l’ancienneté des maîtres, la présence d’un directeur " moteur " ou d’intervenants " supplémentaires ", une stabilité et solidarité des maîtres (Chauveau et Rogovas-Chauveau, 1995 ; Van zanten, 1997). Enfin, des études se centrant directement sur les performances indiquent qu’une ZEP sur trois environ a obtenu une amélioration sensible des résultats scolaires tandis que dans d’autres – la moitié – aucune progression n’est visible. Cette variabilité des résultats inter-établissements met en évidence la difficulté conceptuelle de définir précisément ce qu’est l’efficacité en ZEP (Chauveau, 2000). Cinq arguments sont avancés par la littérature pour expliquer cette complexité et la difficulté à pouvoir généraliser les résultats de ces " écoles de la réussite ". Premièrement, les caractères communs à ces écoles ZEP efficaces doivent être pensés comme un tout (Grisay, 1990) : ces facteurs, considérés isolément, ne peuvent pas être en soi des facteurs d’efficacité pédagogique ; ce qui compte, c’est l’association de plusieurs d’entre eux. Deuxièmement, les études ne permettent pas toujours de distinguer parmi les facteurs d’efficacité, ceux qui relèvent de conditions favorisant l’efficacité pédagogique, de ceux qui relèvent des effets du fonctionnement pédagogique, e.g., le " bon climat " (Chauveau, 2000). Troisièmement, le profil d’efficacité des ZEP qui a été identifié, a porté jusqu’ici essentiellement sur le français et les mathématiques (Van zanten, 1997). Quatrièmement, ces indicateurs de l’efficacité pédagogique en milieu populaire sont insuffisants pour comprendre comment les enseignants réussissent en classe avec leurs élèves. Selon Chauveau (2000), le processus interactif d’enseignement/apprentissage ne se réduit pas à ces aspects structurels ou quantitatifs ; les composantes qualitatives du fonctionnement pédagogique d’une classe en situation de réussite sont, eux aussi, à repérer. Cinquièmement, la définition de l’efficacité en RAR devient problématique selon qu’on la regarde dans ses dimensions objectives ou subjectives. Saujat (2008) invite à prendre au sérieux cette dimension subjective du travail enseignant dans les établissements difficiles, notamment le fait que l’enseignant : est placé dans une " charge psychique " très lourde ; doit organiser et réorganiser le travail des élèves en fonction d’imprévus continus dans la classe ; trouver les compromis entre " ce qu’on lui demande " et " ce que ça lui demande " pour ne pas trop souffrir ; gérer les conflits de l’activité entre " faire son travail " et " bien faire ". Dans ce cadre, faire du bon boulot repose sur une perception subjective et devient de plus en plus controversé, générant des conflits de critères pour évaluer ce qu’est l’efficacité dans le contexte spécifique Ambition réussite. Les conditions de viabilité d’une classe au travail en réseau ambition réussite Une des particularités des élèves concernés par l’éducation prioritaire est qu’ils répondent aux caractéristiques d’élèves difficiles et en difficulté scolaire. Cette double difficulté se traduit par des comportements typiques, expliquant fortement la difficulté du métier d’enseignant (Van zanten, 1997). Les études s’intéressant aux caractéristiques saillantes du comportement scolaire des élèves ont signalé : un fort absentéisme, des incivilités récurrentes (Amigues & Kherroubi, 2003) ; une forte tendance à décrocher des tâches scolaires prescrites (Guérin & Pasco, 2006) ; un comportement paradoxal en classe, tantôt perturbateur, tantôt passif voir apathique (Monfroy, 2002 ; Vors & Gal-Petitfaux, en révision) ; des conduites individuelles fortement influencées par des groupes de pairs (GalPetitfaux & Vors, sous presse ; Millet & Thin, 2005 ). D’autres études se sont intéressées plus particulièrement aux relations entre l’activité de l’enseignant et celle des élèves (e.g., Kherroubi & Rochex, 2004). Elles montrent que l’instauration d’une activité collective de travail durable dans la classe ne va pas de soi (Vors & Gal-Petitfaux, en révision). Elle est une épreuve laborieuse pour l’enseignant, occasionnant une dépense d’énergie importante, une fatigue et une usure provoquées par les problèmes de discipline (Carraud, 2006). La fragilité de la situation collective s’explique notamment par les contraintes contradictoires très fortes qui pèsent sur les enseignants et qui génèrent chez eux des tensions permanentes. Ainsi, la gestion de la classe, l’instauration des conditions collectives de travail, est l’une de ces épreuves difficiles : « faire tenir un certain nombre d’élèves le temps voulu dans un lieu précis et dans des conditions de communication à peu près acceptables n’est plus alors le point de départ de la situation scolaire mais un de ses objectifs » (p. 39-40). Les études précédentes soulignent l’importance des conditions permettant une viabilité d’une activité collective scolaire. Plusieurs d’entre elles traitent des conditions de viabilité du système enseignant-élèves dans la classe. Elles montrent qu’il est essentiel de parvenir à instaurer et à stabiliser un format d’organisation des interactions enseignant/élèves et élève/élève pour pouvoir structurer une activité collective de travail viable. Ces recherches étudient les organisations scolaires en tant que configuration (Vincent, 1994), c’est-à-dire un ensemble de relations d’interdépendance entre les individus qui prend une forme stable et qui émerge de leurs relations. La cohérence d’une activité collective tient au fait que les acteurs se trouvent engagés dans des formes typiques d’interaction, qui coordonnent et cadrent leurs actions (Marchive, 2003 ; Veyrunes, Gal-Petitfaux et Durand, 2007). Ces études relatives à des classes ZEP montrent notamment que l’instauration d’un cadre de l’action collective dans la classe, c’est-à-dire une forme d’organisation stable des interactions dans la classe, joue un rôle fondamental sur : l’instauration et le maintien d’un ordre relativement viable dans la classe ; et sur les conditions de diffusion des savoirs, grâce à un code commun de significations, la construction d’une expérience scolaire commune, condition de l’édification d’une communauté scolaire. Toutes ces études s’intéressant aux formes scolaires des interactions dans la classe ou dans l’école plus largement. Elles soulignent que tout enseignement, ou apprentissage, est un construit collectif c’est-à-dire inséparable d’un contexte collectif de travail. Ces formes scolaires sont des ressources pour que les élèves, contraints de travailler avec d’autres, apprennent et se construisent comme élève et comme personne. Etudier une activité collective consiste alors à identifier par quelle structure les individus sont reliés, c’est-à-dire repérer le processus d’élaboration de formes d’interactions sociales structurant l’activité collective en classe. Cadre théorique et méthode L’approche retenue est celle du cadre théorique et méthodologique du « cours d’action » (Theureau, 2003, 2006), qui s’inspire notamment du courant de recherche l’ « action/cognition située » et de ses fondements théoriques en anthropologie (Gal-Petitfaux & Durand, 2001 ; Suchman, 1987). Ce cadre renvoie à trois postulats : (a) l’activité est située, c'est-à-dire qu’elle est un accomplissement pratique indissociable du contexte dans lequel elle prend forme, et doit être étudiée in situ ; (b) toute activité humaine est de nature idiosyncratique : elle est vécue, au sens où elle est expérience et génératrice de sens pour l’acteur ; et les interactions entre l’acteur et son environnement concernent, dans cet environnement, ce qui est sélectionné par lui comme étant pertinent, à chaque instant, pour son organisation personnelle ; (c) toute activité est à la fois individuelle et sociale parce que l’individu est pris dans des interactions avec autrui et dans une culture. L’activité collective est alors à étudiée selon ces deux angles individuel et social : d’une part, elle est regardée en tant qu’expérience individuelle subjective ; d’autre part, elle est appréhendée en tant qu’expérience individuelle-sociale, au sens où autrui appartient à la conscience préréflexive de l’acteur (Theureau, 2006). Selon ces postulats, le cours d’action s’attache à décrire le niveau de l’expérience qui est significatif pour l’acteur engagé activement dans un environnement physique et social déterminé, c’est-à-dire montrable, racontable et commentable par lui à tout instant de son déroulement (Theureau, 2006). L’étude porte sur l’enseignement de la gymnastique par un professeur expérimenté d’Éducation Physique : il intervient auprès d’une classe de 5e de 22 élèves jugés très difficiles par l’équipe pédagogique, dans un collège Réseau ambition réussite, durant un cycle de 6 leçons. Pour chaque leçon, la classe est divisée en quatre ateliers de travail : « Voler » ; « Franchir » ; « Se renverser » ; « Tourner ». Les ateliers sont installés sur toute la longueur du gymnase, et les élèves disposent de fiches d’exercices à travailler à chaque atelier. La méthode a consisté à rendre compte de l’expérience individuelle-sociale de l’enseignant, c’est-à-dire de ses actions en classe et des significations qu’il attribuait à ses propres actions et à celles des élèves. Quatre leçons de gymnastique ont été étudiées, selon trois étapes. La première étape a procédé, à partir d’enregistrements audio-visuels, à une description ethnographique (Coulon, 1988) des comportements en classe de l’enseignant : ses gestes, postures, déplacements et communications verbales. La deuxième étape a recueilli les significations de l’enseignant à propos de ses actions, grâce à des entretiens d’autoconfrontation : il était invité à expliciter, pour une séquence donnée, ses intentions (ce qu’il cherchait à faire à ce moment), ses interprétations (les connaissances et raisonnements qu’il mobilisait pour interpréter la situation) et ses perceptions (ce qu’ils remarquaient chez les élèves) (Theureau, 2006). La troisième étape a procédé à la mise en correspondance de ces deux types de matériaux, afin de comprendre l’intervention de l’enseignant. Résultats Les résultats révèlent l’existence d’une configuration typique des interactions entre l’enseignant et les élèves, attestant d’une efficacité de l’enseignant pour engager le collectif d’élèves dans une activité de travail relativement durable au cours des leçons : malgré certaines agitations, les élèves travaillent sans qu’une perturbation majeure vienne rompre la dynamique de travail. Par des interactions typiques, l’enseignant réussit à coordonner in situ ses actions et celles des élèves, et à créer les conditions d’obtention d’une activité collective studieuse dans la classe. Trois modalités typiques d’intervention de l’enseignant caractérisent ce format des interactions dans la classe : a) une centration sur les apprentissages, au moyen de pratiques d’ostension ; b) une dissimulation de l’activité de surveillance pour laisser aux élèves une marge d’action plus autonome ; c) une tolérance contextuelle aux transgressions ludiques des élèves. Traitement des déviances en classe par une centration sur les apprentissages Une des caractéristiques des interactions maître-élèves observées au cours des leçons est la faible fréquence des interventions de l’enseignant visant à rétablir l’ordre dans la classe, alors que les élèves sont enclins à être agités et indisciplinés. Les observations mettent en évidence une configuration typique des interventions verbales de l’enseignant auprès des élèves. Ce format des interactions repose sur deux traits saillants et récurrents dans le mode d’adressage aux élèves. L’enseignant intervient souvent sur le travail à faire, plutôt que sur les déviances et la gestion de l’ordre. Son intention est alors de montrer aux élèves qu’en travaillant et en écoutant ses conseils, ils progressent ; et que ce progrès vécu va les inciter à s’engager davantage dans le travail demandé. Cette invitation au travail, explicite pour les élèves, correspond finalement à un mode détourné de traitement des déviances dans la classe qui, lui, reste masqué et implicite pour les élèves. L’analyse des communications de l’enseignant en classe montre que, malgré la présence continue d’agitations de certains élèves dans les ateliers, l’enseignant se focalise et intervient sur les élèves qui travaillent. Bien qu’il remarque de façon récurrente des comportements déviants chez des élèves cherchant la plaisanterie ou se donnant en spectacle par des acrobaties gymniques non-conformes, ses interventions ne consistent pas à relever ou faire observer publiquement par les élèves, ces écarts de conduite : paradoxalement, le contenu de ses communications ne porte pas systématiquement sur une interdiction, une sanction ou un avertissement, sauf dans des cas extrêmes de déviances, mais vise au contraire à indiquer aux élèves une préoccupation tournée vers ce qu’il y à travailler. L’exemple, qui suit, vise à illustrer cette modalité typique dans l’intervention de l’enseignant, celle d’un contournement des déviances en classe par une centration des élèves sur les savoirs à acquérir. Actions et communications de Verbatim de l’entretien entre l’enseignant (EG) et le l’enseignant (EG) en classe chercheur (CH) A la 28e min. de la leçon 2, EG est à l’atelier « Se renverser ». - Anthony CH : Anthony, il t’appelle pour faire un saut type catch, mais tu le regardes pas ? l’interpelle : Regardez, EG : Oui je fais exprès, car ces élèves, ils cherchent toujours à M’sieur ! Vous connaissez le catch ? Regardez faire les intéressants, donc je ne les regarde pas pour leur montrer que une prise de catch ! ça, ça ne m’intéresse pas (ce type de comportement). Je lui dis "ça ne m’intéresse pas" ; c’est comme si je lui disais : “Moi ce qui m’intéresse - EG détourne regard vers un élève qui travaille à côté et dit : ça, ça ne m’intéresse pas ! Puis il se met à conseiller l’autre élève c’est le travail donc si tu veux que je m’occupe de toi, fait quelque chose qui m’intéresse". Et comme ils aiment bien qu’on s’occupe d’eux, c’est à lui de voir ! s’exerçant laborieusement au renversement sur le plinth. CH : Donc, tu le laisses gérer… - EG le conseille tout en lui montrant EG : Moi, j’interviens sur les contenus et pas sur le geste et en l’aidant : pour faire un l’organisationnel parce que c’est l’essentiel. Je me force à revenir sur renversement, tu dois être droit comme un les contenus parce que les élèves ça les intéresse. Ils disent "ah ben oui, bâton, sinon ça ne marche pas. je savais pas le faire et j’ai écouté le professeur et maintenant ça va mieux". Donc quelque part, ils progressent et derrière j’ai moins de - Juste après, Anthony, après avoir exécuté son saut de catch sur le tapis voisin, se met à faire un des exercices prescrit par l’enseignant ; il reprend ses tours de passage dans l’atelier successifs. et enchaîne trois essais problème de comportement parce qu’ils sont intéressés. (…) C’est dans l’intérêt général, s’ils ne progressent pas, je sens très vite que ça va devenir très pénible après dans la classe. Cet épisode de classe montre que la focalisation de l’enseignant sur les savoirs est une condition de l’engagement collectif des élèves au travail. L’enseignant crée efficacement, par ce type d’intervention, une dynamique d’activité collective en lien avec le travail prescrit. Mise en visibilité publique des acquisitions attendues au service d’une communauté d’apprentissage Nous venons de montrer que les interventions de l’enseignant étaient structurées par une forme typique d’interaction avec ses élèves consistant à traiter les déviances en classe par une centration des élèves sur les acquisitions attendues. Un deuxième trait typique du format de ses interventions est leur caractère ostensible, lui permettant là encore de neutraliser certaines activités déviantes et de construire une activité collective d’étude dans la classe. Par la mise en visibilité publique de corrections et de conseils individualisés pour apprendre, il les rend publiques et les met à disposition de tous. Il parvient ainsi à concerner les élèves sur le travail et à leur montrer qu’ils ont tous son soutien pour apprendre. Il réussit à construire progressivement une dynamique collective de travail dans les ateliers, et de proche en proche dans la classe, en raccrochant pas à pas les élèves décrocheurs. Actions et communications de l’enseignant (EG) en Verbatim de l’entretien entre l’enseignant classe A la 45e min. de la leçon 5, après avoir aidé une élève pour le renversement en appui manuel, EG quitte brusquement (EG) et le chercheur (CH) CH : C’est curieux, là, on dirait que tu pars brutalement, l y a avait quelque chose de particulier ? l’atelier et se diriger vers l’atelier « Tourner ». En arrivant, il interpelle tout fort les élèves et les questionne. En même temps qu’il leur parle, il pose délicatement sa main sur l’épaule de l’un d’eux (Tony) pour l’inviter à faire l’exercice. - EG : Alors, ici, qu’est-ce qui s’est passé ?... Est-ce que vous avez réussi ce qui était demandé ? - EG (à Tony) : Tony, approche-toi ! EG : Là, oui, je sentais que ça tournait plus à côté… j’avais vu que les garçons se chahutaient depuis un petit moment et je ne les voyais plus passer… CH : Mais tu leur dis rien quand tu arrive vers eux ? EG : Non, c’est vrai, je n’ai pas besoin de leur dire que c’est pas bien ce qu’ils font (…) pour - EG (regard orienté vers les autres élèves, doigt tendu moi, c’est pas la peine de faire preuve d’autorité si tu dirigé vers Tony qui est déjà prêt en position accroupie sur le peux l’éviter… En plus si tu veux vraiment les rappeler plinth) : Attention, on se place bien au départ, vous vous à l’ordre à chaque fois,et ben t’as pas fini ! (…) Moi, rappelez à quoi on doit faire attention ? ce que je veux, c’est qu’il voit que ce qui m’intéresse c’est leur travail, au moins qu’ils me montrent qu’ils - Julie répond (inaudible) - EG (pointe son doigt en direction de Julie tout en essaient de travailler ; et ça je le souligne. CH : Je le souligne, ça veut dire quoi ? regardant les autres élèves, et valide tout fort sa réponse : oui, d’accord pour tout le monde ? menton poitrine… pour bien EG : Ben, que j’insiste dessus… protéger sa nuque. CH : C’est pour ça que tu montres à chaque - EG : Tony, à toi ! - EG pointe son doigt, bras tendu, vers Tony qui fois avec le doigt, quand il y a quelque chose de bien ? EG : Euh, oui peut-être avec le doigt, en tous rentre la tête et s’élance pour la roulade en contre-bas. A voix cas je les focalise sur le travail que j’ai demandé et je haute et très fort, il valide positivement la prestation de Tony, leur dis si c’est OK ou pas tout en maintenant le doigt pointé vers lui et en s’adressant aux autres. : Regardez ! C’est bien ça ! Hein, ça c’est pas mal ça ! CH : et tu leur dis à un ou à tous, parce qu’on a l’impression que tu parles souvent à Oui ? l’ensemble - EG invite une autre élève qui se place rapidement en position pour passer. Alors qu’elle enroule sa tête et s’élance, EG attire le regard des autres élèves vers elle tout en la pointant du doigt, bras tendu. Il s’exclame tout fort : Ouais ! voilà, c’est EG : Ah oui, ça c’est important si tu veux que ça reprennes (le travail), là le centre d’intérêt c’est plus tout à fait moi en fin de compte, je peux faire partie des spectateurs, faire partie du rond, mais je suis ça ! plus au centre là, je regarde avec tout le monde, c’est - Une autre élève s’avance ensuite passer. Pendant qu’elle s’élance, EG s’exclame tout fort en regardant les autres pas sur moi qu’ils doivent être attentifs, c’est sur ce qui ce passe et ce qu’ils ont à faire ensemble. élèves : Oui, c’est pas mal ça, hein ? C’est bien ce qu’elle fait là ! - Les élèves de l’atelier se mettent ensuite à défiler les uns après les autres pour passer. EG reste à proximité pendant une vingtaine de secondes et dit : C’est parfait, mentonpoitrine, on y pense à chaque fois !. Puis, il quitte l’atelier. Cet épisode de classe montre que l’enseignant double sa focalisation sur les savoirs par une mise en visibilité publique de ce qu’il y a à apprendre, lui permettant ainsi de raccrocher (ou maintenir) plus efficacement au travail les élèves qui s’en détournent ponctuellement. Il recourt à des pratiques ostensives : il use alors simultanément des registres de la gestualité et de l’oralité, pour contraindre une bifurcation de l’attention dispersée de certains élèves et concentrer l’attention collective sur le travail . Par exemple dans l’extrait précédent, il pointe fermement et ostensiblement le doigt tendu dans la direction de élève pour indiquer, et montrer à tous, le point positif à considérer ; par une dissociation du geste bras tendu (pointant un aspect qualitatif de la prestation d’un élève) et de son regard (dirigé vers le reste du groupe), il rend public pour tous les savoirs à acquérir ; par l’usage d’un ton fort, audible par des élèves relativement éloigné de lui, il attire l’attention collective sur ses propos ; enfin, par l’emploi récurrent du « on » impersonnel, du « vous » ou de « tout le monde », il commet un acte directif dirigé vers le collectif, lui permettant de ré-évoquer les acquisitions attendues pour tous. Ces actes ostensifs, dirigés sur ce qu’il y a à apprendre, servent de ciment à l’instauration d’une activité collective studieuse et une communauté d’apprentissage dans chaque atelier, et par extension, dans la classe. L’enseignant construit en permanence l’attention collective des élèves sur ce qu’il y a à apprendre, grâce à : une mise en visibilité spatiale, corporelle et orale, de ce que les élèves doivent savoir ; une association systématique entre une consigne d’apprentissage et une action corporelle particulière (geste, accentuation tonale, position spatiale, direction du regard) pour impliquer les élèves ; une instruction collective, conduite simultanément pendant des interventions individualisées. De ce mode typique d’adressage mixte (individuel-collectif et oral-gestuel), émerge un format particulier d’interaction, au service d’une activité collective dans la classe. Masquage du contrôle des déviances comme facteur d’adhésion collective au travail Les différents ateliers gymniques sont répartis dans un gymnase de grande dimension. Leur espacement impose à l’enseignant une surveillance continue de l’ensemble de la classe. Cette activité de contrôle reste le plus souvent masquée aux yeux des élèves, afin de ne pas leur donner l’impression qu’il exerce un « flicage » en épiant leurs moindres faits et gestes. Il prend alors une position reculée en se mettant à l’écart des ateliers pour observer : il veille d’abord à ce que les élèves travaillent bien à leur atelier respectif, qu’ils ne circulent pas entre les groupes ; il observe que les élèves ont bien compris le travail à faire. A d’autres moments il « entre » de façon impromptue dans les ateliers pour créer une proximité spatiale avec les élèves les plus indisciplinés, ou ceux qui se mettent en retrait pour ne plus travailler, ou encore pour aider ceux qui travaillent mais qui sont en difficulté. Il veille volontairement à ne pas rendre publique aux élèves son intention d’avertissement ou de sanction ; au contraire, lorsqu’il sent que la situation est relativement contrôlable, il cherche à donner l’impression qu’il relâche la pression de la supervision, même si ce n’est qu’un illusion. Il sait que l’excès de réprimande est vécu par eux comme une agression personnalisée à laquelle ils répondent par l’agressivité. Actions et Verbatim de l’entretien entre l’enseignant (EG) et le chercheur (CH) communications de l’enseignant (EG) en classe A la 47e min. de la CH : On te voit souvent circuler, tu vas à un atelier, tu t’arrêtes, tu repars… leçon 4, EG s’est positionné en retrait par rapport aux ateliers. Il regarde travailler les élèves de loin. Puis, il se rapproche d’un atelier en circulant autour, sans intervenir verbalement. A la 57e min., il circule à nouveau dans EG : Ben là, je me place par rapport aux élèves ; déjà systématiquement, j’évite de les avoir trop souvent dans le dos car ces élèves, ils en profitent. Donc je me place souvent là, à l’extérieur, c’est-à-dire pas trop collé à l’agrès sinon je ne vois plus rien… Ce que je veux moi, c’est pouvoir observer l’ensemble…. Mais des fois aussi, je me mets en retrait pour me faire oublier, car s’ils sentent que tu es tout le temps à les fliquer, ils se mettent à l’écart et c’est fini. le gymnase pour visiter deux CH : C’est fini, ça veut dire quoi ? ateliers contigus ; puis s’arrête auprès d’un groupe. il EG : ça veut dire qu’avec ce public, si tu étais hyper rigide là-dessus (en empêchant toutes autres activités), tu te postes là… devant eux.. et que tu les surveilles, ils vont faire un passage, deux passages, puis ils vont te dire "ah, M’sieur, c'est barbant, je veux plus rien faire". (…) Alors il faut arriver à les surveiller sans les surveiller directement en fait… c’est-à-dire sans trop le faire voir Cet épisode de classe montre que l’enseignant, dès qu’il le peut, évite d’affronter directement les écarts de conduite des élèves : plutôt que d’intervenir directement et publiquement par des rappels à l’ordre pour contrer à chaque instant ces écarts, il les laisse s’exprimer dans une limite contrôlée pour permettre que ces déviances légères s’autorégulent d’elles-mêmes. Tant que les élèves ne transgressent pas de façon exagérée et durable les règles du travail, il intervient alors de façon détournée en masquant sa surveillance : en laissant croire qu’il ne les voit pas ; par une occupation habile de l’espace et une orientation stratégique de son corps. Cette activité de surveillance, diffuse et secrète, lui permet d’éviter des conflits en évitant de braquer les élèves qui se sentiraient persécutés ; et elle participe à la construction d’une activité collective de travail dans la classe. Tolérance aux transgressions ludiques, source d’engagement des élèves et de confort d’enseignement Une des caractéristiques des leçons d’EPS observées est que les élèves y produisent de manière récurrente des actions déviantes, mais qui restent très fugaces et imbriquées dans leur activité de travail. La plupart sont des actions sociales de jeu. La tolérance de l’enseignant à certaines de ces activités favorise l’engagement collectif des élèves dans le travail et devient paradoxalement, dans certaines limites, une condition de leurs apprentissages. Pour lui, cette marge de liberté d’action, même déviante, laissée aux élèves est une condition pour que par la suite, ceux-ci s’engagent dans l’exercice prescrit et maintiennent leur adhésion sans se « mettre à l’écart ». Actions et Verbatim de l’entretien entre l’enseignant (EG) et le chercheur (CH) communications de l’enseignant (EG) en classe À la 27e min. de la CH : Là, tu les regards, donc tu as vu qu’ils s’amusaient ; et tu laisses faire ? leçon 3, un élève de l’atelier « Tourner » réalise EG : Oui, là oui… s’il n'y avait pas ces jeux, ces temps d’amusement et que deux roulades sur un plan incliné, puis s’assoit sur le tapis. En s’asseyant, il s’aperçoit que le tapis se met à glisser. Très vite, il improvise un concours de glissades avec deux camarades c'était « roulade, roulade ! », ça ne les intéresserait pas et ils se mettraient de côté. Donc plutôt que de les voir ne rien faire, je préfère qu'il y ait une partie travail et une partie jeu. Si je disais aucune activité parallèle, aucun travers, ils diraient : "oh, si c'est ça, je fais rien" et tu les verrais vite décrocher (…) Tu ne ferais que ça, tu passerais ton temps à réprimander ! pour moi, c’est pas concevable de travailler dans ces conditions, t’es bien obligé de composer. de son atelier. Après avoir tenté CH : Et donc, pour toi, il vaut mieux les laisser chahuter ? toute sorte de glissades, le groupe retourne de lui-même au travail environ une minute après avoir commencé à jouer. De loin, EG les surveille du coin de l’œil, tout en s’occupant d’élèves à un autre atelier. EG : Non, je ne dis pas qu’il faut encourager leurs jeux. Ce que je veux dire, c’est que ces gosses… continuellement ils se taquinent, ils s’embêtent… ça peut d’ailleurs vite dégénérer ; mais quand ça reste dans des proportions acceptables, et que c’est pas méchant, je laisse faire (…) c’est aussi leur soupape de sécurité, tu vois là Soufiane et son groupe, ils s’amusaient puis d’eux mêmes, ils se sont remis au travail ». Cet extrait montre que ces activités parallèles ne remettent pas en cause l’engagement de la classe au travail, au contraire, elles l’entretiennent en lui permettant de se poursuivre. Ces amusements ont lieu entre deux temps de travail et, pour l’enseignant, ils vont souvent s’estomper d’eux-mêmes par lassitude des élèves. Cette tolérance de l’enseignant caractérise un autre aspect typique de la forme des interactions qu’il construit dans la classe, et elle contribue à rendre viable une activité collective de travail chez les élèves. C’est parce que les élèves peuvent justement décrocher furtivement du travail prescrit, dans un seuil-limite, que cette activité collective devient pérenne. Discussion Cette étude s’est intéressée à l’efficacité du travail d’un enseignant d’EPS expérimenté avec des élèves difficiles dans une clase Ambition réussite. Elle cherchait à comprendre comment l’enseignant réussit à construire et rendre viable un système d’interactions dans la classe, propice à maintenir durablement ce collectif d’élèves au travail et à les faire apprendre. Elle a investiguée l’efficacité de l’enseignant en tant qu’efficacité expériencée, c’est-à-dire à partir des actions qu’il accomplissait réellement en classe et de la perception subjective qu’il en avait quant à leurs effets sur l’activité individuelle et collective d’apprentissage. Le recours à une description ethnographique, complétée par des entretiens d’autoconfrontation, a permis d’identifier des modalités typiques d’intervention par lesquelles l’enseignant coordonne entre elles les activités des élèves et configure la viabilité d’une activité collective studieuse dans la classe : a) un processus dynamique, associant un masquage de ses préoccupations de contrôle des déviances avec une mise en visibilité publique de ses préoccupations d’apprentissage ; et b) une tolérance contextuelle aux transgressions des élèves. Les pratiques de masquage et d’ostension observées chez l’enseignant se sont avérées être un moyen efficace pour coordonner les actions dans la classe et construire une communauté d’apprentissage. Premièrement, l’alternance, par l’enseignant, d’activités de mise en visibilité publique des acquisitions attendues et d’activités de dissimulation du contrôle de la discipline, n’est pas aléatoire. Ces activités de nature contradictoire émergent au fil de la leçon et sont construites par l’enseignant au service de la configuration d’une activité collective studieuse viable dans la classe. Par ces pratiques d’ostension (Matheron & Salin, 2002), l’enseignant produit des « accounts » (Coulon, 1988 ; Suchman, 1987), c’est-à-dire une mise en visibilité pour autrui de ce qu’on est en train de faire. Ces accounts participent à circonscrire pour les élèves ce qu’il y a à faire. Il favorise la construction d’interactions viables dans la classe qui participent à l’installation d’une intelligibilité mutuelle (Salembier & Zouinar, 2004). Deuxièmement, les résultats de l’étude invitent à relever l’importance de la dimension interactive du travail enseignant. Au-delà de la mise en activité d’élèves pris comme individualités, enseigner consiste à faire advenir et tenir un comportement collectif de classe tourné vers une activité studieuse. La configuration d’une activité collective viable n’est pas qu’un préalable requis en début d’une leçon, mais sa précarité (tout particulièrement dans les classes Ambition réussite) impose à l’enseignant de la reconstruire en permanence. Cet aspect rejoint les problématiques actuelles qui invitent à concevoir une classe comme une communauté d’apprentissage (Lave & Wenger, 1991) : l’efficacité des apprentissages est alors envisagée en tant qu’intégration et participation des élèves à une communauté ; et l’efficacité de l’enseignant en tant que compétence à créer des liens qui unissent les membres de la classe par le partage d'idéaux et de savoirs nécessaires pour pouvoir travailler ensemble. L’étude présentée soulève une autre question préoccupante en lien avec l’efficacité pédagogique dans les classes en milieu difficile : celle de la mise à l’épreuve de l’éthos de l’enseignant quant à l’usage de son autorité en classe. L’enseignant expérimenté observé évite d’entrer dans une relation autoritaire stigmatisée qui aurait pour effet d’exclure la construction d'un véritable rapport à l'autre, et de nuire à l’installation d’une activité collective de travail. Houssaye (1996) montre que la relation d'autorité, et l’excès d’autorité pédagogique en classe, peut dans certains cas devenir nuisible à la construction de la socialisation scolaire. L’autoritarisme est souvent source d’incompréhension et d’hostilité de la part des élèves. Pour autant, accepter que le problème de l’autorité du maître en classe puisse éclairer la question du rapport des élèves au savoir et au groupe classe, ne suffit pas pour comprendre comment les enseignants parviennent à travailler leur autorité en classe. Les résultats de cette étude permettent d’ouvrir quelques pistes de compréhension. La première souligne le fait que l'utilisation répétée ou abusive du pouvoir de sanction afférent à l'autorité peut contribuer paradoxalement à son affaiblissement. Elle met aussi à jour la nécessité pour les enseignants d’installer des compromis incontournables pour éviter l’émergence de conflits ouverts et menaçants pour leur autorité. Pour Thin (1999), ces concessions viennent heurter l'ethos de nombreux enseignants confrontés à la question de l'acceptabilité morale des conduites déviantes de ces élèves, mais elles deviennent une nécessité vitale pour qu’ils réussissent à « faire » leur travail dans une zone de tensions acceptable. Enfin, cette étude met en évidence que la mise en place d’une activité collective de travail efficace en contexte Ambition réussite repose sur la configuration de formes scolaires de travail singulières dans les classes (Vincent, 1994). Par exemple ici, la viabilité des leçons d’EPS étudiées est liée à une forme scolaire intégrant un mode de gouvernance distribuée dans la classe (Paquet, 1995), où l’autorité et la transmission des savoirs sont partagées et négociées à tout instant entre maître et élèves Références Amigues, R., & Kherroubi, M. (dir.). (2003). Les pratiques de la classe en "milieux difficiles". Recherche et Formation, 44, 5-10. Carraud, F. (2006). Apprendre et enseigner en ZEP. In Centre Alain Savary (Ed.), Apprendre et enseigner en « milieux difficiles » (pp. 31-43). Paris : INRP. Chauveau (G.) et Rogovas-Chauveau (É.), À l’école des banlieues, ESF, 1995 (chap. 12). Chauveau, G. (2000). Comment réussir en ZEP, vers des zones d’excellence pédagogique. Paris : Retz Pédagogie. Chauveau, G. (2001). La réussite scolaire dans les ZEP. Education et formations, 61, pp. 147151. Coulon, A. (1988). Ethnométhodologie et enseignement. Revue Française de Pédagogie, 82, 65-101. Gal-Petitfaux, N., & Durand, M. (2001). L’enseignement de l’éducation physique comme « action située » : propositions pour une approche d’anthropologie cognitive. STAPS, 55, 79-100. Gal-Petitfaux, N., & Vors, O. (sous presse). Socialiser et transmettre des savoirs en classe d’Education physique : une synergie possible au prix d’une autorité pédagogique conciliante. Education et Francophonie, numéro thématique « La construction du lien social à l’école ». Grisay (A.), " Des indicateurs d’efficacité pour les établissements scolaires : étude d’un groupe contrasté de collèges " performants " et " peu performants " ", Éducation et Formations, 22, 1990. Guérin, J., & Pasco, D. (2006). Activité dissimulée d’un décrocheur de l’intérieur en mathématiques. CRAP Cahiers pédagogiques, http://www.cahiers-pedagogiques.com. Houssaye, J. (1996). Autorité ou éducation ? Entre savoir et socialisation : le sens de l’éducation. Paris : ESF. Kherroubi, M. & Rochex J.Y. (2004). Note de synthèse. La recherche en éducation et les ZEP en France. (2) Apprentissages et exercice professionnel en ZEP : résultats, analyses, interprétations. Revue Française de Pédagogie, 146, 115-190. Lave, J., & Wenger, E. (1991). Situated learning. Legitimate peripheral participation. Cambridge, UK : Cambridge University Press. Marchive, A. (2003). Ethnographie d’une rentrée en classe de cours préparatoire: comment s’instaurent les règles de la vie scolaire ? Revue Française de Pédagogie, 142, 21-32. Matheron, Y. & Salin, M.-H. (2002). Les pratiques ostensives comme travail de construction d’une mémoire officielle de la classe dans l’action enseignante. Revue Française de Pédagogie, 141, p. 57-66. Millet, M., & Thin, D. (2005). Ruptures scolaires : L'école à l'épreuve de la question sociale. Paris : PUF. Monfroy, B. (2002). La définition des élèves en difficulté en ZEP : le discours des enseignants de l’école primaire. Revue française de pédagogie, 140, 33-40. Paquet, G. (1995). Gouvernance distribuée et habitus centralisateur. Mémoires de la Société Royale du Canada, Série VI, Tome VI, pp. 97-111. Salembier, P., Zouinar, M. (2004). Intelligibilité mutuelle et contexte partagé. Inspirations conceptuelles et réductions technologiques. @ctivités, 2, 64-85. Saujat, F. (2008, mars). Prendre au sérieux le travail de l’enseignant. Colloque « Quelles évolutions de la professionnalité enseignante en Education prioritaire et dans les réseaux Ambition réussite ? ». Paris : INRP. Suchman, L. (1987). Plans and situated actions: The problem of human-machine communication. Cambridge : CUP. Theureau, J. (2003). Course of action analysis & course of action centered design. In Handbook of cognitive task design (edited by E. Hollnagel), pp. 55-81. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates. Theureau, J. (2006). Le cours d’action. Méthode développée. Toulouse : Octarès. Thin, D. (2002). L'autorité pédagogique en question. Le cas des collèges de quartiers populaires, Revue française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002. Van zanten, A. (Ed.). (1997). La scolarisation dans les milieux difficiles. Paris : INRP- Centre Alain Savary. Veyrunes, P., Gal-Petitfaux, N., & Durand, M. (2007). La lecture orale au cycle 2 : configuration et viabilité de l’activité collective dans la classe. Repères, 36, 59-76. Vincent, G. (1994). L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés individuelles. Lyon : PUL. Vors, O., & Gal-Petitfaux, N. (2007). La socialisation scolaire des élèves en ‘Réseau ambition réussite’ : une construction articulée avec des formes de sociabilité primaire conflictuelles. Communication orale au colloque « Compétences et socialisation », CERFEE-UM3 & LIRDEF-IUFM de Montpellier. Montpellier, 7, 8 septembre. Vors, O. & Gal-Petitfaux, N. (en révision). Mettre une classe au travail en Réseau ambition réussite : des formes typiques d’interaction enseignant-élèves lors de leçons d’EPS. Travail et Formation en Education. Numéro thématique « Travailler en milieu scolaire ». Viabilité et efficacité du cours dialogué : exemple en géographie, à l’école primaire Philippe Veyrunes CREFI-T – Université de Toulouse ; UT2 Le cours dialogué est un format d’enseignement ancien, que l’on rencontre dans de nombreux systèmes éducatifs, des disciplines scolaires variées et à tous les niveaux d’enseignement. Il a été décrit sous le nom de recitation script (Mehan, 1979). Des travaux en situent l’origine au milieu du 19ème siècle et montrent sa grande vitalité et sa persistance à travers le 20ème siècle (Doyle, 1986 ; Hoetker & Ahlbrand, 1969). Il a été caractérisé comme une forme prototypique d’interaction publique en classe, selon trois temps : une initiation (question du professeur), une réaction des élèves (recherche de la réponse) et une réaction du professeur (fréquemment sous la forme d’une évaluation). Ces trois temps s’enchaînent rapidement, selon un rythme moyen de 2 à 3 échanges par minute (Hoetker & Ahlbrand, 1969). Ce format a évolué dans le temps, tout en conservant la structure classique : il a été utilisé jusqu’aux années 1920-30 pour « faire réciter » la leçon apprise dans le manuel, puis pour la présentation de contenus, la vérification du travail et le contrôle de l’ordre dans la classe (Doyle, 1986 ; Mehan, 1979). Le cours dialogué reste aujourd’hui une forme d’enseignement qualifiée d’interactive : l’enseignant sollicite et s’appuie sur la participation orale des élèves, selon une organisation parfaitement ritualisée. Celle-ci est structurée par un système de règles strictes, bien qu’implicites, qui régissent l’alternance des questions et des réponses, la distribution de la parole et les modes de validation (Hoetker & Ahlbrand, 1969). L’enseignant pose des questions qui appellent généralement une réponse unique et factuelle. Lorsqu’il obtient la bonne réponse, il pose une nouvelle question ; si la réponse proposée n’est pas celle attendue, il interroge un nouvel élève et si la réponse suivante est erronée, il finit par donner lui-même la bonne réponse. La vitalité de ce format pédagogique apparait paradoxale compte tenu des critiques sévères dont il a fait l’objet (Doyle, 1986 ; Hoetker & Ahlbrand, 1969). Dès 1912, Stevens (cité par Hoetker & Ahlbrand, 1969) pointait ses principaux inconvénients : une forte demande d’attention vis-à-vis des élèves, le fait que l’enseignant fait l’essentiel du travail, la survalorisation du rôle de la mémoire, le caractère très collectif de cet enseignement, la priorité à des visées de monstration et de contrôle du savoir par rapport à celle d’acquisition et d’usage et Doyle (1986) notait la faible participation des élèves. Aussi Hoetker & Ahlbrand se demandaient-ils déjà en 1969: qu’est-ce qui fait le succès de la recitation ? A quels « survival needs » des professeurs répond-elle ? Dans le monde francophone peu d’études s’intéressent au cours dialogué (Chautard et Hubert, 1999 ; Hersant, 2004) et ces questions nous semblent toujours d’actualité. Cette contribution interroge ces « survival needs » pour les enseignants, mais aussi pour les élèves. Elle s’appuie sur une étude empirique, conduite dans le cadre de l’anthropologie cognitive située, portant sur l’activité d’une enseignante et d’élèves de CM2 lors de leçons de géographie. Premièrement, elle cherche à décrire la dynamique signifiante de l’activité en classe en accordant une place centrale aux significations et au vécu des acteurs au cours de leur activité. Deuxièmement, notre approche propose un niveau d’analyse appelé "configuration de l’activité collective" (Durand, Saury, Sève, 2006 ; Veyrunes & GalPetitfaux, sous presse) jugé comme pertinent pour comprendre les conditions, la nature et la qualité de l’échange entre le professeur et les élèves dans la classe et les possibilités d’apprentissage offertes aux élèves. Troisièmement, elle pose à partir de cette perspective théorique, la question de l’efficacité du cours dialogué. Elle argumente que a) la viabilité de cette configuration de l’activité collective et b) la perception que les enseignants ont de l’intérêt, de la difficulté et de l’efficacité de leur travail (une « efficacité expériencée ») contribuent à expliquer la pérennité du cours dialogué. Approche de l’action en classe Notre étude adopte l’approche du “cours d’action” (Theureau, 2004) qui repose sur trois présupposés principaux. Le premier énonce que la situation de l’acteur et ses actions individuelles émergent d’un couplage « acteur – environnement » (Maturana & Varela, 1987). La situation ne peut donc être décrite indépendamment de l’action : l’action délimite la situation qui, à son tour, exerce une contrainte sur l’action. La situation de l’acteur est donc constituée des éléments du contexte pertinents pour son action du fait de ses intentions ou intérêts du moment. Selon le deuxième présupposé le collectif et l’individu ne s’opposent pas comme deux entités distinctes. Les individus sont séparés organiquement mais des formes de relation les unissent localement en fonction des situations. Ces formes ne résultent ni de l’action individuelle, ni de décisions ou règles préalables à l’activité ; elles émergent selon des processus d’auto-organisation à partir de la multitude des interactions entre individus. Ces formes offrent des potentiels d’action permettant aux acteurs d’atteindre les buts qui sont les leurs. Les déplacements de piétons (Helbing, Molnár, Farkas & Bolay, 2001) ou la formation de la « ola » (Farkas, Helbing & Vicsek, 2002) illustrent ces phénomènes qui commencent à être étudiés dans les recherches en éducation (Veyrunes & Gal-Petitfaux, sous presse) Selon le troisième présupposé, l’activité est sémiotique au double niveau individuel et collectif. L’acteur est fondamentalement engagé dans la construction d’un « monde propre » et l’activité collective se configure en fonction de la signification qu’il attribue à son action. Analyser les configurations nécessite donc de prendre en compte les significations que les acteurs accordent à leur environnement. Cette analyse doit être conduite par le chercheur dans un double mouvement, articulant les points de vue des acteurs, et s’en extrayant pour adopter un autre point de vue, celui de l’observateur. Cette épistémologie se traduit par la description et l’analyse de trois niveaux enchâssés de l’activité : l’activité individuelle, l’activité interindividuelle et l’activité collective. Analyse de l’activité à trois niveaux En cohérence avec ces présupposés l’activité individuelle est analysée dans ce qu’elle a de significatif pour l’acteur, c’est à dire ce qui est « montrable, racontable et commentable par lui » (Theureau, 2004). L’action est conçue comme un flux dénommé « cours d’action », consistant en un enchaînement d’actions tenues par le faisceau des préoccupations locales des acteurs. La méthode d’analyse consiste à « déconstruire » le cours d’action afin d’en identifier les composantes pour ensuite « reconstruire » l’organisation du cours d’action. Les composantes du cours d’action utiles pour notre étude sont : (a) l’engagement de l’acteur dans la situation, c'est-à-dire l’ensemble des préoccupations et des émotions qui orientent son activité à chaque instant et (b) les éléments significatifs perçus à chaque instant, par l’acteur dans la situation. Au niveau de l’activité interindividuelle, les cours d’action individuels sont articulés lorsque l’activité d'un acteur est liée à celle d’un autre acteur par des phénomènes d’interdépendance. L’activité d’un acteur est alors analysée en tant qu’elle est significative pour un autre acteur selon ses préoccupations du moment. Puis sont décrits les phénomènes de convergence et de divergence entre les préoccupations et comportements de l’enseignante et ceux des élèves. Les comportements pris en compte chez un acteur sont ceux perçus par un autre acteur et significatifs pour ce dernier. Au troisième niveau, les configurations de l’activité collective (Durand, Saury & Sève, 2006 ; Veyrunes, Gal-Petitfaux, sous presse) émergent de la multitude des interactions entre plusieurs acteurs. La notion de configuration permet d’analyser la viabilité des interactions : les configurations sont viables lorsque les comportements des inter-actants manifestent un niveau de coordination qui permet une convergence suffisante des préoccupations et des comportements des acteurs : dans la classe, une configuration est viable quand les comportements des élèves correspondent globalement à ce qu’attend l’enseignant et lui permettent d’actualiser ses préoccupations, et lorsque les préoccupations et les comportements de l’enseignant laissent ouverts des possibles pour que les élèves développent leurs propres préoccupations. Méthode Cette étude a été conduite au cours d’une année scolaire, dans une classe de CM2, en ZEP, comptant 18 élèves. Sept séances de géographie, d’une durée d’environ 45 minutes chacune, ont été filmées à raison d’une par mois, pendant une année scolaire. L’enseignante, en fin de carrière, était très expérimentée. Une observation de type ethnographique a été conduite. Les séances ont été enregistrées au moyen d’une caméra numérique placée sur pied, en fond de classe effectuant seulement des mouvements panoramiques. A la suite de chaque séance, l’enseignante ainsi que des élèves ont été autoconfrontés au film de la séance. Ces entretiens se sont déroulés immédiatement après la séance, durant l’interclasse (pour l’enseignante) et en début d’après-midi (pour les élèves). Le film de la séance leur a été montré. Un questionnement du chercheur visait à les amener à « montrer, commenter et raconter » ce qu’ils faisaient, ressentaient ou percevaient et à éviter des explications et généralisations. Six élèves ont participé à ces entretiens, tantôt ensemble, tantôt par groupes restreints. Ils ont été choisis en collaboration avec l’enseignante sur la base de plusieurs critères : hétérogénéité des niveaux scolaires, aisance dans les relations avec les adultes, parité entre les sexes, accord des parents. Le traitement a consisté en cinq étapes. Etape 1 : Mise en correspondance des données dans un tableau à deux volets (Tableau 1). Le Volet 1 concerne l’observation des activités en classe ; le Volet 2 présente les transcriptions verbatim des entretiens en autoconfrontation. Etape 2 : Identification : (a) des préoccupations et émotions de l’enseignante et des élèves, à partir des réponses à la question suivante : Quelle(s) est (sont) la (les) préoccupation(s) de l’acteur à l’instant étudié ? Que ressent-il ? et (b) des éléments significatifs dans la situation, à partir de la question : Qu’est-ce qui est significatif à l’instant t pour l’acteur, dans la situation ? Etape 3 : Mise en correspondance des cours d’actions de l’enseignante et des élèves par repérage des convergences/divergences entre préoccupations et comportements. Etape 4 : L’étude qualitative a été complétée par une étude quantitative, permettant la mise en évidence des éléments de régularité de l’activité individuelle-collective. Elle a porté sur (a) l’activité individuelle (fréquence des préoccupations et actions individuelles ; longueur moyenne des réponses des élèves) ; distribution des tours de parole entre les élèves (nombre d’élèves qui prennent la parole au cours d’une séance) et (b) l’activité interindividuelle (nombre moyen d’échanges questions/réponses par minute ; taux de convergence-divergence des préoccupations et comportements de l’enseignante et des élèves). Etape 5 : A partir de ces éléments les caractéristiques de la configuration de l’activité collective ont été mises en évidence. L’activité individuelle et interindividuelle en classe L’activité individuelle de l’enseignante et des élèves Trois patterns des préoccupations de l’enseignante ont été repérés : faire participer les élèves (n = 81 ; 26.21%) ; faire trouver (n = 91 ; 29.44%) et valider-invalider (n = 66 ; 21.35%). Les éléments significatifs documentés étaient relatifs : (a) aux comportements des élèves conformes à ses attentes (n = 67 ; 47.85 %) (Ex : la réponse attendue donnée par Serge) ; (b) aux comportements des élèves non conformes à ses attentes (n = 12 ; 8.57 %) (Ex : Alexandre est distrait) ; (c) à des souvenirs d’éléments de connaissance nécessaires pour la leçon (n = 28 ; 20.00 %) (Ex : la manière de reporter les données sur le graphique dessiné au tableau) ; (d) aux difficultés rencontrées par les élèves lorsqu’ils essayaient de répondre aux questions (n = 33 ; 23.57 %) (Ex : Yamina a du mal à placer un point sur le graphique). Le Tableau 1 illustre un moment de « questionnement adressé ». Lors de la Séance 5, l’enseignante souhaitait amener Halima à indiquer ce qu’elle avait retenu des photographies observées, représentant entre autres l’une un hôtel avec piscine, l’autre la Cité de Carcassonne. L’enseignante lui posait une série de questions. Elle cherchait ainsi à obtenir la participation d’une élève éprouvant des difficultés particulières, s’exprimant rarement et dont elle pensait qu’elle pouvait répondre à la question. Ses préoccupations étaient : faire participer une élève qui éprouve des difficultés en français ; amener Halima à expliquer ce qu’elle a retenu de son observation des photographies (Tableau 1). Tableau 1 : Observations en classe et verbalisations en autoconfrontation (Séance 5 ; Min. 10) Volet 1 : Observations en classe Actions Verbalisations L’enseignante, devant le Enseignante : Bon alors tableau, interroge Halima. aujourd'hui, on va commencer l'étude des Les autres élèves ont la paysages touristiques. Est-ce que tu peux nous tête penchée vers le document. dire quelque chose, toi, Halima ? Est-ce qu'il y a Yamina, Selim et Henri une photographie qui a retenu un petit peu plus parlent discrètement. ton attention ? Halima répond Halima : oui Enseignante : laquelle ? Halima : cité de Ca… de Casa… de Carcassonne Volet 2 : Verbalisations en autoconfrontation Des élèves De l’enseignante Yamina : moi, j'ai pensé à ça, Chercheur : c'est directement ! (désigne du doigt la Halima ?… qu’est-ce photo de la piscine) que tu attends ? Chercheur : et alors, qu'est-ce que tu Enseignante : Halima, il pensais ? y a encore la barrière de Yamina : à la piscine, là, la langue, […] Elle directement ! s'investit beaucoup, elle Selim : moi aussi ! travaille beaucoup. […] Henri : moi aussi ! Après, elle me Je suis sûre qu’il y a disait combien de mètres ça faisait ? quelque chose qui a Yamina : moi j'avais posé comme retenu son attention question : combien de mètres elle parmi ces faisait, à ton avis, la piscine et il m'a photographies. répondu 40 ! Lors de phases de questionnement à la cantonade, l'enseignante posait le plus souvent les questions fermées, avec la préoccupation de « faire trouver » et de « faire participer » les élèves. Elle attendait souvent une réponse ou même un mot précis et, tant qu’elle ne l’obtenait pas, elle poursuivait le questionnement. Les éléments significatifs étaient les réponses des élèves, leurs difficultés à répondre ou les connaissances attendues. Le questionnement était accompagné systématiquement d’évaluations sous forme de validation ou d’invalidation, généralement très rapides et implicites. Pour invalider une réponse, l’enseignante interrogeait un autre élève, sans rien ajouter ; elle reformulait la question afin de solliciter une autre réponse ; elle laissait ainsi entendre que la réponse fournie n’était pas celle attendue. Il en était de même pour la validation : l’enseignante posait la question suivante, laissant entendre que la réponse qui venait d’être fournie était la bonne. Deux patterns des préoccupations des élèves ont été repérés : satisfaire les attentes de l’enseignante (n = 196 ; 51.85%) et se distraire (n = 136 ; 35.97%). Les émotions (essentiellement crainte et inquiétude) (n = 46 ; 12.16%) représentent les autres occurrences. Ces préoccupations traduisent la « double vie » des élèves : une « vie d’élève » et une « vie parallèle ». D’une part ces derniers ils répondaient aux questions posées, faisaient les exercices demandés, lisaient des textes ; d’autre part ils discutaient avec leurs voisins, jouaient ou pensaient à ce qu’ils allaient faire plus tard. Les éléments significatifs perçus étaient relatifs : (a) aux questions et demandes de l’enseignante (n = 150 ; 58.59 %) (Ex : la question posée sur la population de Toulouse) ; (b) à des objets leur permettant de se distraire (n = 64 ; 25.00 %) (Ex : la disponibilité des crayons de couleur pour jouer) ; (c) à des éléments de connaissance liés aux questions posées (n = 32 ; 12.50 %) (Ex : la hauteur des barres du graphique) ; (d) à divers éléments de la situation (n = 10 ; 3.90 %) (Ex : le retard pris dans la réalisation du graphique). L’activité interindividuelle Quatre patterns de convergence – divergence ont été repérées et quantifiées à partir des occurrences d’articulation des cours d’action individuels (Tableau 2) : (a) les préoccupations de l’enseignante et des élèves et les comportements d’élèves significatifs pour l’enseignante convergeaient (convergence manifeste) ; (b) les préoccupations convergeaient mais les comportements significatifs des élèves divergeaient avec les préoccupations de l’enseignante (convergence a minima) ; (c) les préoccupations divergeaient mais les comportements significatifs des élèves convergeaient avec les préoccupations de l’enseignante ; (divergence a minima) ; (d) les préoccupations et les comportements significatifs des élèves divergeaient (divergence manifeste). Tableau 2 : Modes d’articulation des cours d’action de l’enseignante et des élèves (a) Convergence manifeste (b) Convergence a minima n = 86 (52.44 %) n = 46 (28.05 %) (c) Divergence a minima (d) Divergence manifeste n = 24 (14.63 %) n = 8 (4.88 %) (a + b) = 132 (80.49 %) (c + d) n = 32 (19.51 %) La convergence était manifeste (a) lorsque par exemple, l’enseignante voulait faire trouver une réponse aux élèves et que ces derniers fournissaient la réponse attendue : ils avaient des préoccupations studieuses et satisfaisaient aux demandes de l’enseignante. La convergence était a minima (b) lorsque par exemple, un élève cherchait à répondre mais demandait la réponse à sa voisine alors que l’enseignante attendait que les élèves répondent seuls. La divergence était a minima (c) lorsque par exemple, un élève masquait son envie de sortir en récréation au moment où l’enseignante lui demandait de passer au tableau pour compléter le schéma. La divergence était manifeste (d) lorsque par exemple, l’enseignante demandait d’observer silencieusement un document photographique et qu’elle repérait un élève en train de bavarder avec son voisin. Dynamique et configuration de l’activité collective L’activité collective se développe selon une forme qui émerge des actions de l’enseignante et de chaque élève et de leurs interactions, selon des conditions liées à la succession, au rythme et à la nature des questions, des réponses et des évaluations. Les questions sont nombreuses, posées en « rafale » (moyenne = 3.10 questionréponse / min.), permettant à un grand nombre d’élèves d’intervenir. Le questionnement est souvent d’ordre factuel, portant sur des éléments qui figurent directement sur les documents fournis aux élèves. Les phases de questionnement à la cantonade, peu contraignantes pour les élèves qui participent peu, sont de loin les plus fréquentes (ex. : 114 questions sur 132 au cours de la Séance 2). Des « ruptures de phase » se produisent, par exemple lorsque les questions deviennent plus difficiles : elles entraînent alors des difficultés de réponse pour les élèves et contraignent l'enseignante à apporter des aides. Du point de vue de l’enseignante, la fréquence, la nature et le niveau de difficulté des questions contribuent à maintenir l’implication et la participation des élèves, à assurer l’avancement du travail et à maintenir l’ordre dans la classe. Du point de vue des élèves, la dynamique du questionnement leur permet d’actualiser des préoccupations studieuses tout en développant parallèlement des préoccupations masquées, par exemple en bavardant avec leur voisin. Les réponses données par les élèves sont généralement très courtes (longueur moyenne = 3.30 mots). Cette brièveté et la souplesse des règles d’attribution de la parole contribuent à entretenir la dynamique des interactions par question-réponse dans la classe ; elle autorise parallèlement des décrochages ponctuels chez les élèves, sans pour autant affecter la fluidité du mode de questionnement. La distribution des tours de parole entre les élèves est très inégale : lors d’une séance, un élève totalise 19 prises de parole contre une au plus pour 7 élèves. Cette inégale distribution permet d’éviter les tensions : certains élèves refusent de participer, par timidité, ignorance ou désintérêt et l’enseignante ne les sollicite que rarement. Les validations et invalidations des réponses des élèves par l’enseignante prennent des formes diverses. Leur rapidité et leur dimension implicite contribuent à la dynamique du questionnement : elles n’occasionnent pas de rupture du flux des questions et des réponses. L’enseignante valide brièvement ou, plus souvent, de manière implicite en passant à une autre question. De même, elle invalide fréquemment en posant la même question à un autre élève, signifiant par là que la réponse proposée est inexacte. De fait, les validations et invalidations explicites sont rares. La combinaison de ces trois paramètres (rapidité des échanges question – réponse et des validations, facilité relative des questions), permet l’émergence d’une configuration de l’activité collective dont la forme est globalement stable au cours de la leçon. Elle ouvre des possibles pour la convergence et la divergence des préoccupations et des comportements. Mais les cas de divergence manifeste sont rares : de nombreuses préoccupations de distraction des élèves sont masquées. Leurs comportements divergents restent discrets et échappent à l’enseignante qui exprime très peu de préoccupations relatives au maintien de l’ordre. Le cours dialogué permet d’une part l’actualisation des préoccupations « vitales » de l’enseignante, celles qui sont au cœur du métier : maintenir l’ordre dans la classe, obtenir une participation active des élèves et leur faire trouver les bonnes réponses (Doyle, 1986 ; Durand, 1996) et d’autre part l’actualisation de préoccupations et comportements qui permettent aux élèves de concilier leur « vie d’élève » et leur « vie parallèle » (Allen, 1986). « L’efficacité » du cours dialogué Le croisement de données qualitatives et quantitatives permet de généraliser, prudemment, les résultats de cette étude. Les configurations d’activité telles le cours dialogué sont récurrentes : elles émergent, se stabilisent et se reproduisent régulièrement lorsque les conditions sont favorables. En dépit des critiques récurrentes dont il fait l’objet, le cours dialogué semble toujours tenir une place importante dans l’enseignement, en France et ailleurs, même si les recherches manquent sur le sujet. En outre, nos résultats semblent confirmer la relative efficacité du cours dialogué en termes d’apprentissages des élèves, même si notre étude ne portait pas sur cette question. La dynamique collective décrite ne semble pas favoriser a priori la conceptualisation, les inférences ou la généralisation et l’implicite des validations et invalidations contribue à la faible institution des connaissances. Sans contester la vision traditionnelle de l’efficacité scolaire, envisagée en termes de résultat de l’enseignement, la prise en compte de la dimension collective du travail en classe et de l’« efficacité expériencée » par les acteurs nous parait apporter des éléments permettant de reconsidérer cette question de l’efficacité. Selon ces critères, l’efficacité du cours dialogué réside dans la viabilité de la configuration, liée à un mode de contrôle qui permet à l’enseignante de maintenir tout à la fois l’ordre et la participation des élèves dans une classe considérée comme difficile. La mise en activité et l’engagement collectif des élèves est l’un des indices d’un cours dialogué réussi : à cette aune, au cours des leçons étudiées, la participation des élèves satisfaisait largement l’enseignante. Ces élèves de ZEP, pour beaucoup en difficulté scolaire, participent régulièrement, cherchent à répondre aux questions posées, suivent globalement le cours ou font mine de le faire. L’efficacité ainsi conçue, réside aussi pour l’enseignante dans l’obtention d’un comportement acceptable et de réponses satisfaisantes de la part des élèves. Dans le contexte de crise qui est celui de l’école aujourd’hui en France et ailleurs, une conception renouvelée de l’efficacité semble pertinente à plusieurs titres. En soulignant son caractère contextuel, notamment son inscription temporelle au cours de la leçon, est mis en évidence le fait que l’efficacité n’est pas un caractère stable, propre à l’enseignant et qu’elle varie sans doute, pour un même enseignant, en fonction des contextes d’action, des disciplines, des élèves et des leçons. En la considérant sous l’angle des contraintes du travail enseignant, dont le maintien de l’ordre en classe et la mise en activité des élèves constituent les assises indispensables à la transmission des connaissances, est éclairée une dimension trop ignorée des réformateurs de l’école qui occultent trop fréquemment les conditions de la transmission des savoirs. En s’intéressant à la dimension expériencée de l’efficacité, cette étude met en évidence le fait que les enseignants peuvent souvent se satisfaire à bon droit de situations de classe qu’ils perçoivent comme réussies parce que les élèves y sont calmes et participent activement. Références Allen, J.D. (1986) Classroom management: Student’s perspectives, goals and strategies, American Educational Research Journal, 23(3), 437-459. Brophy, J.E. & Good, T.L. (1986) Teacher behavior and student achievement, in: M. Wittrock (Ed.), Handbook of Research on Teaching. New-York: Macmillan. Chautard, P. & Hubert, M. (1999) Une recherche à double effet : de la conceptualisation du cours dialogué à l’auto analyse, par l’enseignant, de ses pratiques. Education Permanente, 139, 165-184; Doyle, W. (1986) Classroom organization and management, in: M.C. Wittrock (Ed.), Handbook of research on teaching. New York: Macmillan. Durand, M. (1996) L’enseignement en milieu scolaire. Paris : PUF. Durand, M., Saury, J. & Sève, C. (2006) Apprentissage et configuration d’activité: une dynamique ouverte des rapports acteurs – environnements, In: J.M. Barbier & M. Durand (Eds.) Sujets, activités, environnements. Approches transverses. Paris, PUF. Farkas, I., Helbing, D. & Vicsek, T. (2002) Mexican waves in an excitable medium. Nature 419, 131-132. Helbing, D., Molnar, P., Farkas, I.J. & Bolay, K. (2001) Self-organizing pedestrian movement, Environment and Planning, 28, 361-383. Hersant, M. (2004) Caractérisation d’une pratique d’enseignement des mathématiques : le cours dialogué. Revue Canadienne de l’enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies, 4-2, 243-260. Hoetker, J. & Ahlbrand, W. (1969) The persistence of the recitation. American Educational Research Journal, 6(2), 145-167. McHoul, A. (1978) The organization of turns at formal talk in the classroom. Language in Society, 7(2), 183-213. Maturana, H. & Varela, F. (1987) The tree of knowledge: The biological roots of human understanding. Boston: New Science Library. Mehan, H. (1979) Learning lessons. Cambridge, Harvard University Press. Theureau, J. (2004) Le cours d’action. Méthode élémentaire. Toulouse : Octarès. Veyrunes, P., Gal-Petitfaux, N. (soumis). The recitation script in a primary school geography class: viability of a collective activity configuration, International Journal of Qualitative Studies in Education.