Recueil Dalloz 1992 p. 37 Partage de communauté : nature de bien

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Recueil Dalloz 1992 p. 37 Partage de communauté : nature de bien
Recueil Dalloz 1992 p. 37
Partage de communauté : nature de bien propre ou de bien commun de l'immeuble acquis
partiellement par un époux avant le mariage et partiellement par les deux époux
Raymond Le
Guidec
NOTE
[1] Cet arrêt fournit une bonne occasion de s'interroger sur la notion d'accessoire au sens de
l'art. 1406 c. civ., selon la rédaction issue de la loi du 13 juill. 1965. En même temps, il paraît
symboliser la faveur de la Cour de cassation pour le patrimoine personnel des époux dans le
régime matrimonial légal. L'espèce est d'abord originale par la disposition des choses
elles-mêmes, mais suggère aussi une analyse juridique fondamentale.
Au moment de son mariage avec Mme Pépin, célébré sans contrat préalable en 1967, M.
Catrix était propriétaire d'un immeuble qui, bien évidemment, lui restait propre (c. civ., art.
1405). Vraisemblablement, il y exerçait déjà sa profession de kinésithérapeute. En 1972, les
époux acquirent un immeuble contigu au premier, bien commun correspondant, du fait de son
emplacement, à cette catégorie de biens immobiliers visée par l'art. 1475 c. civ. permettant
une application particulière d'attribution préférentielle. Les époux procédèrent alors à une
certaine réunification des deux immeubles par des aménagements pour y créer des locaux à
usage de bureaux et d'habitation, un ensemble servant pour l'installation du fonds de
commerce de thalassothérapie et du cabinet professionnel de M. Catrix. Le divorce des époux
ayant été prononcé en 1977, la liquidation de la communauté achoppa sur la qualification
nécessaire de cet ensemble immobilier.
Dans son arrêt du 10 nov. 1988, la Cour d'appel de Douai décida que cet ensemble était un
bien de communauté, du fait de l'imbrication des deux immeubles. Considérant que M. Catrix
ne pouvait plus reprendre en nature son immeuble propre initial, à cause de l'indivisibilité
créée, il apparaissait seulement créancier d'une récompense, compte tenu de son apport à la
communauté. Sans que l'on connaisse la véritable raison de son interprétation, la cour d'appel
favorisait ainsi la communauté, peut-être à cause des valeurs comparées de l'immeuble
propre d'origine et de l'ensemble immobilier acquis et aménagé pendant le mariage, en
application de la maxime major pars trahit ad se minorem.
En tous les cas, ce raisonnement est censuré par la première Chambre civile pour deux
motifs. En premier lieu, l'indivisibilité matérielle ne pouvait justifier la perte du caractère
propre du bien originaire pour devenir commun. Cela sous-entend que la règle de l'accessoire
ne pourrait jouer au profit de la communauté pour lui attraire des biens propres d'origine. Au
contraire, et c'est le second motif, il fallait rechercher si ce n'était pas l'immeuble acquis par la
communauté qui, accessoire d'un bien propre, serait devenu propre. On notera qu'il s'agit
bien d'une censure de l'interprétation des juges du fond, la Cour de cassation se gardant
d'une formule péremptoire selon laquelle l'immeuble commun était propre par accessoire, au
sens de l'art. 1406, initialement visé par l'arrêt. Cette tâche de qualification incombera
naturellement à la cour de renvoi.
Immédiatement, on aperçoit l'enjeu de cette qualification. Elle détermine, comme ici puisqu'il
s'agit de liquidation, l'attribution du bien. Elle est également très importante pendant le
fonctionnement du régime matrimonial, spécialement pour la disposition des biens, les
pouvoirs de gestion et les conséquences qui s'ensuivent logiquement. Si l'on considère qu'il
s'agit d'un bien commun, la cogestion devient obligatoire pour toute opération de disposition
(c. civ., art. 1424 s.). En revanche, s'il faut admettre qu'il s'agit d'un bien propre, la liberté de
l'époux reconnu propriétaire de l'ensemble est, en principe, totale (c. civ., art. 1428).
Cependant, quelques restrictions doivent être rappelées. L'ensemble immobilier en cause
étant aussi l'habitation des époux, il y aurait lieu d'appliquer strictement les dispositions de
l'art. 215, al. 3, c. civ. assurant la protection du logement familial. Par ailleurs, une telle
qualification de l'ensemble immobilier n'engloberait pas pour autant celle du fonds de
commerce qui y est installé, demeurant commun s'il a été créé pendant le mariage et donnant
lieu à l'application tant des règles de cogestion précitées qu'à celle de l'art. 2 de la loi du 10
juill. 1982 en cas de participation du conjoint à l'activité commerciale. Il n'empêche que, dans
de telles circonstances, la communauté risque de se limiter essentiellement aux récompenses,
sans doute élevées, dues par l'époux reconnu propriétaire. On aboutirait de la sorte à un
résultat voisin de celui d'une participation aux acquêts. C'est peut-être dans l'air du temps
mais cela ne doit pas provoquer une déformation du régime légal de communauté.
Dans cette perspective, il est nécessaire de retrouver la notion d'accessoire afin, si possible,
d'en délimiter les contours. A ce titre, il a toujours été admis qu'elle recouvre d'abord
l'accession au sens des art. 547 s. c. civ., spécialement pour les constructions et plantations
édifiées sur un terrain propre (Ponsard in Aubry et Rau, Droit civil français, t. 8, n° 153-157 ;
Mazeaud, Leçons de droit civil, t. 4, 1er vol., 5e éd., par M. de Juglart, n° 164 ; Marty et
Raynaud, Droit civil. Les régimes matrimoniaux, par P. Raynaud, n° 192 bis ; Colomer, Droit
civil. Régimes matrimoniaux, 3e éd., n° 676 s., 698 s. ; Malaurie et Aynès, Droit civil. Les
régimes matrimoniaux, n° 347 s. ; Cornu, Les régimes matrimoniaux, 5e éd., p. 360 s. ;
Terré et Simler, Droit civil. Les régimes matrimoniaux, n° 339 s. ; Goubeaux, La règle de
l'accessoire en droit privé, LGDJ 1969, n° 16, 179 s., 228 s., 347 s.). La jurisprudence l'admet
nettement de manière constante (Civ. 1re, 6 juill. 1982, Bull. civ. I, n° 249 ; D. 1982. IR. 424
; 14 févr. 1984, Bull. civ. I, n° 61 ; 6 juin 1990, Bull. civ. I, n° 134 ; D. 1990. IR. 158 ; JCP
1991.II.21652, note Pillebout ; 9 oct. 1990, JCP éd. N 1991.I.29, obs. Pillebout ; Rev. dr. rur.
1991.209, obs. Le Guidec). Il faut d'ailleurs rappeler que cette règle s'applique de manière
réciproque, au profit du patrimoine personnel d'un époux ou au profit de la communauté selon
le cas, donnant lieu à récompense le cas échéant selon la nature du financement de ces
améliorations ainsi apportées. Mais ces hypothèses élémentaires d'accession supposent une
incorporation matérielle pour constituer un ensemble indivisible. On doit alors se demander s'il
peut en être ainsi pour deux immeubles distincts à l'origine qui, du fait des aménagements
réalisés, se trouvent quelque peu intégrés, comme le montre la présente espèce. Certains
l'ont admis (Raynaud, op. cit., n° 192 bis), alors que d'autres se déclarent beaucoup plus
réticents (Mazeaud et de Juglart, op. cit., n° 164) relevant que le code civil n'envisage
l'accession immobilière que de manière naturelle (c. civ., art. 556 s.), l'immeuble rattaché à
un autre constituant une annexe au sens de l'art. 1475 c. civ. En jurisprudence, on peut
relever deux cas voisins de l'hypothèse envisagée, combinant la jonction des terrains et la
construction sur l'ensemble. Dans la première espèce (Lyon, 27 mars 1973, D. 1973. Somm.
134 ; Gaz. Pal. 1973.2.594, note Viatte) où la maison avait été construite sur un terrain
appartenant en propre au mari et un autre contigu acquis pendant le mariage, il a été décidé
que l'ensemble indivisible devait être considéré comme dépendant de la communauté, le mari
étant créancier de récompense du fait de son apport. Dans la seconde (Civ. 1re, 25 févr.
1986, JCP éd. N 1986.II.248, obs. critiques Simler) les époux étant séparés de biens, la Cour
de cassation a estimé que la maison construite sur le terrain appartenant au mari, plus
important, et une parcelle acquise indivisément par les époux devait être reconnue comme
étant la propriété du mari en application de la règle de l'accession, sauf pour lui à indemniser
le conjoint. Ces solutions ont été également critiquées, comme admettant une conception
extensive de l'accession, nulle part énoncée par le code civil. Elles ont peut-être aussi servi
d'inspiration à la Cour d'appel de Douai dans le cas présent. Si on l'admet, il faut aussi
accepter la réciprocité de la règle, les immeubles réunifiés étant considérés tantôt comme
propres, tantôt comme communs, selon un critère qui resterait à préciser. Au demeurant, la
Cour de cassation ne semble pas y souscrire, refusant formellement que l'indivisibilité créée
puisse faire perdre à l'immeuble d'origine son caractère de bien propre.
Au-delà de l'accession proprement dite, il a été également admis par la doctrine quasi
unanime (auteurs préc., adde Colomer, Rép. civ. Dalloz, et Mise à jour, v° Communauté, n°
598 s. ; D. Martin, L'entreprise agricole dans les régimes matrimoniaux, LGDJ 1974, préf. J.
Béguin, p. 143 s.) que la loi du 13 juill. 1965 avait consacré une notion large de l'accessoire
pour éviter la dualité de régimes juridiques à propos de biens constituant un ensemble, tout
en s'interrogeant sur la mesure à adopter en la matière. Tirant parti de la formule de l'art.
1406, « biens acquis à titre d'accessoires d'un bien propre » qui se trouve placée au centre de
la discussion par l'arrêt, les auteurs proposent, d'une manière ou d'une autre, l'utilisation
cumulative de deux critères, l'un objectif de dépendance économique, le rattachement d'un
bien, accessoire, à un autre, principal, et l'autre subjectif consistant dans la volonté
d'affectation (Colomer, op. cit., p. 599 ; Goubeaux, op. cit., n° 19 s. ; Cornu, op. cit., p. 360 ;
Terré et Simler, n° 339). Suivant la formule de M. le Doyen Cornu, « le lien de l'accessoire au
principal apparaît comme un rapport d'utilité et de dépendance qui suppose l'affectation
effective de l'accessoire au service du principal ». Se trouve ainsi profilée la volonté
d'organiser une unité d'exploitation. Suivant ce critère général, force est d'admettre une
application importante de la règle de l'accessoire. Ainsi, en matière agricole, l'acquisition de
matériels ou de parcelles nouvelles affectés au service d'une exploitation originairement
propre conduira certainement à la qualification de biens propres sur ce fondement. La Cour de
cassation s'est déjà révélée sensible à cette compréhension de l'accessoire en admettant
l'application de l'art. 1406 pour l'acquisition par l'épouse, titulaire d'un bail rural, d'un corps
de ferme servant à l'exploitation agricole (Civ. 1re, 21 juill. 1980, D. 1981. IR. 88, obs. D.
Martin ; Defrénois 1980.1551, obs. G. Champenois ; Gaz. Pal. 1981.2.450, note D. de la
Marnierre). En revanche, seraient remises en cause des décisions anciennes, rendues à une
époque où le principe de l'art. 1406 n'existait pas, et retenant la qualification de biens
communs pour des acquisitions réalisées au cours du mariage de biens se rapportant à des
exploitations propres (Montpellier, 12 déc. 1951, D. 1952. Somm. 21 pour des parcelles
contiguës ; T. civ. Limoges, 18 oct. 1946, D. 1947.440, note A. Weill pour un cheptel affecté à
un domaine agricole propre à l'épouse).
La même considération doit valoir logiquement pour les exploitations commerciales ou
artisanales (Colomer, op. cit., n° 605 s. ; Jeantin et Le Guidec, J.-Cl. Entreprise individuelle
et Fonds de commerce, fasc. 1600, n° 37 s.). L'adjonction d'éléments nouveaux pour
développer la clientèle d'un fonds propre originaire serait couverte par cette notion
d'accessoire du fait de l'unité d'exploitation. Néanmoins, il convient de rester mesuré en
vérifiant suffisamment la communauté d'affectation. L'acquisition ou la création pendant le
mariage de branches nouvelles d'activités donnant lieu à une clientèle propre, naturellement
distincte de celle d'un fonds d'origine, ne permettraient plus de rattacher l'accessoire au
principal qui n'existent pas en tant que tels. De manière très contestable, la Cour de cassation
vient cependant d'admettre qu'un fonds de commerce de menuiserie pouvait être considéré
comme accessoire d'un fonds de travaux publics d'exploitation de dragage de grève et de
parpaings ! (Civ. 1re, 2 mai 1990, JCP éd. N 1991.II.161, obs. Simler).
Partant de là, l'espèce ici analysée incite-t-elle à considérer l'immeuble commun comme
accessoire de l'immeuble propre du mari ? En réalité tout repose sur la volonté d'affectation
de cette acquisition au service de l'installation dans l'immeuble d'origine. Il est vraisemblable
que l'époux professionnel y a trouvé le moyen d'une extension considérable de son cabinet
par les aménagements réalisés. Selon les cas, l'indivisibilité matérielle créée entre les deux
immeubles ne serait pas absolument nécessaire pour retenir la qualification d'accessoire au
sens de l'art. 1406, suivant le critère proposé.
Enfin, si le caractère propre par accessoire peut se révéler justifié, il y a lieu de s'interroger
pour savoir si l'inverse pourrait être admis. Autrement dit, la règle de l'accessoire pourrait
également jouer au profit de la communauté. On peut fort bien imaginer l'établissement d'une
exploitation quelconque dans un immeuble acquis au cours du mariage, affectant un
immeuble propre à un époux pour constater un ensemble comparable à celui constaté ici. Une
réponse affirmative reste cependant douteuse. Aucun texte du régime légal ne bilatéralise la
règle seulement énoncée pour le patrimoine personnel des époux. Certes, l'art. 1404 c. civ.
fournit un indice à propos des instruments de travail accessoires d'un fonds de commerce ou
d'une exploitation dépendant de la communauté. Mais ce cas particulier peut difficilement être
transposé pour des immeubles. C'est d'ailleurs ce qui explique encore la motivation de l'arrêt,
la règle de l'accessoire étant envisagée de manière unilatérale, la perte du caractère propre
de l'immeuble d'origine étant exclue malgré le rattachement à l'immeuble commun.
On aperçoit ainsi le délicat équilibre qu'il convient de rechercher pour conserver
substantiellement la communauté de biens. Il ne peut être trouvé que par une appréciation
rigoureuse de l'accessoire. Devenant tentaculaire, la règle viderait la communauté pour la
réduire en valeur, par le jeu des récompenses dont l'évaluation à la liquidation ne peut éviter
les vicissitudes de la gestion des biens.
Mots clés :
COMMUNAUTE ENTRE EPOUX * Bien propre * Définition * Accessoire * Immeuble propre *
Acquêt partiel
Recueil Dalloz © Editions Dalloz 2009