Décembre 2015 – Thomas Ngohong – Pour le spectacle RICHARD II

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Décembre 2015 – Thomas Ngohong – Pour le spectacle RICHARD II
Décembre 2015 – Thomas Ngohong – Pour le spectacle RICHARD II
Au Théâtre Montansier, les rois ont le panache de quitter la scène du pouvoir de leur propre chef. Le jeune
Guillaume Séverac-Schmitz exploite cette figure shakespearienne marginale dans un Richard II plein de
désinvolture, d’une truculence épique mariée à une forme intime de l’épopée. Cette pièce très peu jouée du
grand Will est restituée ici dans un geste paradoxal d’épure gonflée, avec seulement sept acteurs sur le
plateau. Un défi de taille, bien relevé par un metteur en scène prometteur qui n’a pas froid aux yeux.
Richard II conte l’histoire d’une destitution. Celle du monarque éponyme qui condamne à l’exil à la fois son
cousin Bolingbroke, duc de Lancastre, et Mowbray, duc de Nowfork, après l’assassinat du duc de Gloucester,
son oncle. N’hésitant pas à piller les richesses familiales du père de Bolingbroke, Jean de Gand, afin de lever
des fonds pour mener une guerre en Irlande, le roi fuit aussi un peuple qui le déteste et le méprise. Lorsqu’il
revient du champ de bataille, Richard est froidement accueilli par son cousin, revenu réclamer son héritage,
épaulé par des milliers de soldats. Le roi abdiquera et cédera la place à Bolingbroke, futur Henry IV et nouveau
roi d’Angleterre…
Guillaume Séverac-Schmitz ne manque pas d’ambition. S’attaquant à un matériau peu connu du grand public,
il peut malicieusement s’offrir une liberté plus grande dans ses choix scéniques. un mini-gradin déplaçable,
une baignoire, une étroite cage opaque et un grand drap tâché de rouge suffisent pour convoquer l’imaginaire
dans cet espace dévasté par le vide. Cette absence manifeste de scénographie, ou plutôt cette envie délibérée
d’évoluer dans un décor libre de toute contrainte, ne choque pas les yeux. Et à vrai dire, cela paraît bien
accessoire au fond. Le soin apporté à la bande-son contemporaine et grandiloquente suffit, tout comme les
éclairages savamment dosés.
L’audace la plus manifeste ici est à chercher dans le très faible nombre de comédiens sur scène. Avec
Shakespeare, on fantasme toujours un plateau rempli de bruit et de fureur avec une ribambelle de forces en
présence. Ici, le metteur en scène opère un resserrement distributionnel qui renforce la promiscuité des
personnages. Thibault Perrenoud se révèle éblouissant de justesse dans son interprétation toute personnelle
du rôle titre. Avec sa couronne-jouet trop lourde pour sa frêle tête, le jeune homme commence par agacer en
enfant-roi capricieux et geignard, insolent et insouciant. La vie est un jeu et même un duel pouvant s’avérer
fatal entre son cousin et un allié lui semble une bagatelle.
L’approche désarçonne au départ puis l’on est vite séduit par cet appétit de gosse à vouloir tout contrôler. Se
diriger vers d’emblée cette trajectoire presque dérisoire permet en outre d’accroître le fossé précipitant le roi
vers son abdication. Perrenoud incarne à merveille le déchirement qui s’empare de Richard au moment de
renoncer à son trône, tout en soulignant une certaine forme de grandeur malgré les hésitations et la douleur.
Son monologue final sur l’inexorable fuite du temps conduit vers une dignité tragique. Le basculement est
donc très bien géré entre un monarque-môme et un homme « roseau-pensant ».
Les autres comédiens s’en sortent globalement avec superbe, notamment Jean Alibert, François de Brauer et
Pierre Stefan Montagnier. Dommage que l’accent à couper au couteau d’Olivia Corsini, la seule femme de la
distribution, gâche toutes ses répliques. Très frustrant…
Ainsi, Guillaume Séverac-Schmitz ménage une version riche de contrastes de Richard II. Servi par la nouvelle
traduction revivifiante de Clément Camar-Mercier (qui n’empêche pas certains tunnels, la langue de
Shakespeare reste souvent très lyrique, voire ampoulée), ce spectacle aux effets rudimentaires mais visant
souvent juste déroule une belle densité. À découvrir pour comprendre que les méchants ne sont pas ceux que
l’on croit et que l’on a vite fait de tomber dans le côté obscur de la force…