LA VENTE D`ENTREPRISES À L`ÉTRANGER

Transcription

LA VENTE D`ENTREPRISES À L`ÉTRANGER
LA VENTE D’ENTREPRISES À L’ÉTRANGER : LA COLONISATION DU QUÉBEC
SE POURSUIT DE PLUS BELLE
Texte de Léo-Paul Lauzon, professeur au Département des sciences comptables et titulaire de la Chaire d’études
socio-économiques à l’université du Québec à Montréal
Il ne peut y avoir de souveraineté politique, culturelle et linguistique pour quelque pays que ce
soit sans une souveraineté économique digne de ce nom. Alors que d’autres pays refusent
carrément que soient vendus à l’étranger des joyaux nationaux, au nom de l’intérêt stratégique et
de la sécurité nationale, ici au Québec, c’est dans l’indifférence et plus souvent dans
l’enthousiasme que sont cédés à des étrangers nos instruments collectifs.
Le cas de Biochem Pharma, Provigo, Domtar, Cambior, Sico et d’autres
Au cours des dernières années, la vente d’entreprises québécoises présentes dans des secteurs
stratégiques pour l’émancipation de la province, et surtout de compagnies qui furent jadis
propriétés de l’État, s’est multipliée au nom de dogmes creux comme la mondialisation, le libreéchange, l’État minimal non-interventionniste, les supposées lois naturelles du marché,
l’adaptation, le modernisme et d’autres conneries du même genre.
Prenons le cas de quelques entreprises québécoises qui étaient détenues directement (contrôle
légal) ou indirectement (contrôle effectif) par le gouvernement du Québec comme Biochem
Pharma vendue en 2001 pour 5,9 milliards$ à l’anglaise Shire Pharmaceuticals; Provigo, le plus
important détaillant et grossiste en alimentation au Québec, vendue en 1998 pour 2 milliards$ à
l’Ontarienne Loblaw et sa compagnie-mère George Weston; Cambior, le plus important
producteur d’or québécois, vendu au mois de septembre 2006 à l’Ontarienne Iamgold pour 1,3
milliards$, Domtar, la plus importante papetière québécoise, vendue au mois d’août 2006 à
l’Américaine Weyerhaeuser pour 3,3 milliards$ et Sico, le plus important fabricant québécois de
peinture, vendue au mois d’avril 2006 au néerlandais Akzo Nobel pour 288 millions$.
Faute d’espace, je n’aurai pas le temps de vous parler de plusieurs autres compagnies
québécoises vendues récemment à des étrangers, comme Bombardier Récréatif, La Senza,
Softimage, Dollarama, Delisle, Vachon, Multi-Marques, Gadoua, UAP, Le Groupe Commerce,
La Laurentienne Générale Assurances, Meloche Monnex, Bélair Direct, Ivaco, Unibroue, SportsExperts, Réno-Dépôt, Urgel Bourgie, Nova Bus, Cinar, Culinar, Microcell et Fido, Jean-Marc
Brunet, Adrien Gagnon, Technilab, Celmed, Bauer, Les Alouettes et le Canadien de Montréal,
Molson, Corby, Seagram, les papetières Donohue, Alliance, Forex, Foresbec, Repap, Cartons StLaurent, Consolidated-Bathurst, Abitibi-Consol, etc. Et cette liste est loin d’être exhaustive!
Le cas de Bauer vendu à Nike
La vente à l’étranger a des effets dévastateurs sur l’emploi, la recherche et développement, sur
les achats de biens et de services locaux, sur l’investissement, sur le maintien des sièges sociaux,
sur la sortie permanente de notre argent sous forme de dividendes, de frais de gestion, d’intérêts,
de transactions inter-compagnies, etc. Et tout cela mène à l’appauvrissement du Québec et des
Québécois. Le contrôle par des étrangers de nos compagnies constitue une dette extérieure
permanente contractée par les Québécois bien pire que la dette publique effectuée par l’État. La
prise de décision économique est dorénavant faite ailleurs ce qui nous fait perdre de plus en plus
notre souveraineté économique, politique, culturelle et linguistique.
Le cas de la compagnie québécoise Bauer vendue en 1994 à la multinationale Nike est révélateur
du véritable impact de la cession à l’étranger d’entreprises locales comme le décrit si bien cet
article de Simon Drouin paru dans La Presse du 7 juin 2001 et intitulé : «Bauer Nike Hockey
retranche Gaétan Boucher». On peut y lire ce qui suit : «Le congédiement de M. Boucher, 43
ans, fait partie d’une restructuration des activités de Bauer Nike Hockey au Québec… Au terme
de cette opération, l’usine de Saint-Jérôme comptera 135 employés de production et 72 employés
de bureau. Lors de l’achat de Bauer par le géant américain Nike en décembre 1994, 1200
personnes y travaillaient. Bauer Nike Hockey compte aussi vendre ou louer une portion
considérable de l’édifice de Saint-Jérôme. Quant au siège social de Montréal, il fermera ses
portes à la fin du mois. Le congédiement de Gaétan Boucher (le plus grand médaillé québécois
de l’histoire des Jeux Olympiques) fait partie de notre plan de restructuration et, comme tous les
autres employés, c’est très malheureux, a dit Michelle Mc Sorley, porte-parole de Bauer Nike
Hockey».
La position de l’ONU sur le contrôle étranger
En 2006, il y a eu un record historique de fusions et acquisitions pour un montant de 3700
milliards$ tel que mentionné dans un article du Devoir du 21 novembre 2006 intitulé : «Les
Fonds d’investissement, rois et maîtres de l’économie mondiale». Ces mêmes fonds
d’investissements américains qui ne sont pas publics, n’ont de comptes à rendre à personne,
démantèlent les compagnies achetées à coups de milliards de dollars et les revendent peu de
temps après en empochant d’immenses profits. Ce sont uniquement des spéculateurs qui n’ont
aucune expérience dans le domaine des entreprises convoitées et qui n’apportent aucune richesse
à l’ensemble de la collectivité si ce n’est qu’à leurs commettants. Qu’on se le dise une fois pour
toutes, propos entérinés aussi par l’ONU, ce qui crée de la richesse collective c’est
l’investissement effectué par une compagnie dans une nouvelle usine, dans de la machinerie,
dans la recherche et la formation, etc., et non pas lorsqu’une compagnie en achète une autre,
opération qui ne profite qu’aux actionnaires. C’est en gros ce qu’a dit la Conférence de l’ONU
sur le commerce et le développement (CNUCED) en 2000 dans un article de La Presse du 4
octobre 2000 intitulé : «L’ONU met en garde contre les risques de recolonisation». Dans cet
article, les dirigeants du CNUCED de l’ONU affirmaient que : «Un marché mondial des
entreprises comme si c’étaient des marchandises est en formation. Le transfert de propriété
d’entreprises importantes dans des mains étrangères peut être vu comme portant atteinte à la
souveraineté et équivalant à une recolonisation».
Dans sa plus récente étude de 2006, l’ONU va cette fois plus loin en recommandant carrément
l’intervention de l’État dans les pays en développement et les petits pays comme le Québec afin
de protéger ses entreprises nationales contre la mainmise de géants étrangers. Nos politiciens
d’ici auraient intérêt à lire cette nouvelle étude et à s’en inspirer en matière de politique
économique.
Les States et l’Europe protectionnistes
Alors que les States et l’Europe bloquent souvent la vente de leurs entreprises à des étrangers, au
nom des intérêts stratégiques et de la sécurité nationale de leurs pays, ici, tout est à vendre. En ce
qui concerne les États-Unis, prenons cet article de La Presse du 6 décembre 2006 titré : «Ciel
ouvert : les États-Unis font marche arrière» dans lequel on mentionne que : «Les États-Unis ont
annoncé hier qu’ils retiraient leur proposition visant à donner aux investisseurs étrangers un plus
grand contrôle dans les compagnies américaines», ainsi que ces deux autres articles qui
démontrent la vraie nature protectionniste des States, «CNOOC abandonne l’achat d’Unocal
(pétrolière). Le groupe chinois s’est heurté à une opposition politique» dans le Devoir du 3 août
2005 et «DP World renonce à ses ports américains» dans La Presse du 10 mars 2006.
Pour l’Europe, le titre de cet article de La Presse du 5 mai 2001 dit tout : «L’Europe ne s’ouvre
pas aux OPA (offres publiques d’achat hostiles». On y signale que : «Les gouvernements de ces
pays possèdent souvent des «actions dorées» dans des sociétés qui ont été privatisées récemment,
qui leur permettent de s’opposer à une fusion. Dans d’autres cas, l’État possède une tranche
dominante du capital-actions». Par exemple, dans un article du Journal de Montréal du 3 juillet
2006 intitulé : «Renault planche sur GM» et de La Presse du même jour titré : «Forgeard et
Humbert sacrifiés sur l’autel de l’Airbus», on peut constater que l’État français est le principal
actionnaire du manufacturier d’automobiles Renault et d’EADS la compagnie-mère d’Airbus.
L’État français est aussi actionnaire de plusieurs autres entreprises dont 50% dans EDF Energy
nouvelles, le plus grand producteur français d’énergie éolienne (La Presse, 9 janvier 2007) et est
récemment est intervenu directement afin d’empêcher une firme étrangère d’acquérir
l’importante pharmaceutique française Aventis. Il a plutôt forcé la fusion d’Aventis avec une
autre pharmaceutique française Sanofi. Dans l’agro-alimentaire, le gouvernement français a émis
une fin de non-recevoir aux visées de l’américaine Pepsico sur sa multinationale Danone.
Enfin dans un article du Devoir du 26 juillet 2005 intitulé : «Le nationalisme économique, une
valeur en hausse», il est signalé que : «En Allemagne, fin 2003, lorsque le colosse américain
Procter et Gamble lorgnait la célébrissisme crème Nivea, institution allemande depuis 1911, un
consortium allemand soutenu par la ville de Hambourg, s’est battu bec et ongles pour l’arracher
aux griffes de Procter. La municipalité de Hambourg a racheté 10% de la crème blanche et bleu,
pour environ un milliard d’euros».
Pas de danger que l’on fasse au Québec ce qui a été fait en France et en Allemagne dernièrement.
Ben non, ici on est tellement colonisé que nos gouvernements, tant libéraux que péquistes, ont
applaudi et ont été jusqu’à faciliter la vente à l’étranger d’instruments collectifs québécois
comme Provigo, BioChem Pharma, Domtar et Cambior. Faut le faire! Dans mon prochain
article, vous allez pomper avec moi, car vous allez voir comment la vente de nos instruments
collectifs ont enrichi de minables petits affairistes d’ici qui ont réussi à s’abroger, sans que ça
leur coûte une maudite cenne noire!