Voir l`homélie - Les dominicains

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Voir l`homélie - Les dominicains
h o m él i e d u t r en t e o c to b r e, t r en t e- e t- u n i èm e d i m a n ch e d u t em p s o r d i n a i r e a n n ée c
Lectures : Sg 11, 23 - 12, 2 – 2 Th 1, 11 - 2, 2 – Luc 19, 1-10
l e s
T
s y c o m o r e s
out le sens de notre vie tient à la rencontre que
nous faisons du Christ. Cela ne disqualifie pas le
reste, mais c’est là l’essentiel, le plus important :
aurai-je, oui ou non, rencontré Jésus le Christ au
cours de ma vie terrestre ? Cela vaut pour tout
homme, y compris pour les chrétiens. Cela vaut
pour vous, pour moi. Comment savoir ? En regardant ce qu’il en advient. Quand on a rencontré Jésus, après n’est plus comme avant. C’est ce qui est
arrivé à Zachée.
Soyons francs : Zachée a tout pour déplaire. Il est petit, il est collecteur d’impôt, il est riche, et il est
probablement malhonnête. On imagine volontiers
qu’il est laid. Si vous l’aviez croisé sur le parvis de
l’Église en arrivant, vous l’auriez évité. C’est lui que
Jésus choisit pour nous donner le schéma parfait,
la charte en quelque sorte, de la conversion. Elle
se déroule en quatre temps. D’abord, il veut voir
Jésus, et se dispose à ne pas le manquer. Le deuxième temps est celui de la rencontre : Jésus passe,
le voit, l’interpelle et s’invite chez lui. Le troisième
est celui du repas partagé, qui ne va pas sans susciter des récriminations : « Il est allé loger chez un
pécheur. » Enfin, Zachée change sa vie, et la remet
dans la lumière en se détournant de ses péchés.
Il y a deux acteurs, Zachée et Dieu lui-même. On discerne sans peine, comme en filigrane, l’œuvre cachée de la grâce : grâce prévenante qui dispose le
cœur et éveille le désir, grâce opérante qui convertit en envahissant l’âme, grâce coopérante qui accompagne les œuvres humaines. Tout se joue dans
cette rencontre de Dieu et de l’homme, de la grâce
et de l’agir humain. Toute âme humaine est une
citadelle assiégée par la grâce. Mais c’est à nous
d’en ouvrir les portes.
Méditons un instant le premier temps, vous méditerez
les autres de votre côté. Zachée a voulu voir Jésus
qui passait dans sa ville de Jéricho. Zachée, dans
sa vie si mêlée de ténèbres, est mystérieusement
attiré par la lumière. Hérode aussi souhaitait voir
Jésus (Lc 9, 9). À la veille de sa Passion, des grecs
voudront le voir (Jn 12, 21). C’est que l’homme est
fait pour voir Dieu et qu’il ne peut être heureux loin
de Lui (cf. CEC 27). Il faut oser le dire et le redire
sans cesse : le cœur humain ne peut être comblé
sans Dieu, même celui de l’époux qui a la meilleure
épouse. C’est un immense mensonge du monde
contemporain que de laisser croire aux hommes
qu’ils peuvent combler leurs désirs par eux-mêmes.
Saint Augustin l’a dit à l’ouverture des Confessions
dans des mots célèbres, toujours repris : « Tu nous
as faits tournés vers toi et notre cœur est sans re-
d e
l
’
é g l i s e
pos jusqu’à tant qu’il repose en toi » (Confessions,
I, 1). Même s’il ne le reconnaît pas, Zachée a soif, il
aspire à être comblé, son besoin d’infini ne peut se
contenter de la finitude, même celle de sa grande
richesse. Et cette attrait vers la plénitude rejoint
l’attraction de Jésus sur tout homme : « Quand
j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi »
(Jn 12, 32). L’homme a soif de Dieu, mais le Christ
aussi a soif de l’homme. Ce sera son dernier mot :
« J’ai soif. »
Alors, il y a le sycomore. Quelle étrange intervention
que celle de cet arbre, proche du figuier, dont on
dit qu’il produit des fruits de folie! Zachée grimpe
dans ce sycomore pour voir Jésus. La masse et le
tohu-bohu de l’humain, la foule, empêchent de
le voir. Alors il faut se hisser sur quelque piédestal
pour ne pas le manquer. Nous aussi, nous avons
besoin de sycomores pour nous extraire des obstacles et apercevoir Jésus. Sycomore de la prière
et du silence, sycomore de la Parole de Dieu, où le
Christ continue de passer, sycomore de la liturgie,
qui dispose les cœurs, sycomore de l’étude, de la
théologie, qui nous rapproche sans cesse des mystères, sycomore de la fréquentation des saints, car
il est bon pour un nain d’être juché sur les épaules
d’un géant… Tout cela nous dispose à le saisir au
passage, à ne pas le manquer. Tous ces sycomores
nous sont offerts.
Alors, infailliblement, la rencontre se produit. Jésus
s’arrête et nous parle : « Aujourd’hui, il faut que
j’aille demeurer chez toi. » Demeurer : le verbe
qui revient sans cesse dans les écrits de saint Jean.
« Demeurez en moi comme moi en vous » (15, 4) ;
« si quelqu’un m’aime, nous viendrons à lui et nous
ferons chez lui notre demeure » (14, 23) ; « qui
demeure en moi, comme moi en lui, porte beaucoup de fruits » (15, 5). Voilà l’enjeu : que le Christ
vienne demeurer en nous, et que nous désormais
nous demeurions en lui. Il le faut, dit Jésus. C’est
cela qu’il veut pour nous, et c’est cela que nous
désirons, plus ou moins consciemment.
Eh bien, voilà ce qui va se produire, ici et maintenant.
Vous avez quitté vos occupations, vous êtes venus
ici – c’est votre sycomore de ce matin –, et Jésus
dit à chacun, personnellement : « Il faut que j’aille
demeurer chez toi. » Et c’est ce qu’il fait en se
donnant en nourriture. Et ainsi, à nouveau, « aujourd’hui, le salut est venu pour cette maison ».
Celle de notre cœur. Nous n’avons qu’à ouvrir les
portes de notre cœur, de notre âme. Il fera le reste.
fr. François Daguet