Hugh McCague - Université Rennes 2
Transcription
Hugh McCague - Université Rennes 2
LE DON DES MÉTIERS : LES RENCONTRES AVEC LA THÉOLOGIE DANS LE DE DIVERSIS ARTIBUS DU PRÊTRE THÉOPHILE1 Le prêtre Théophile – un ecclésiastique et peut-être un artisan – a mis en place dans son De diversis artibus une solide théologie des métiers. Ce texte a été probablement écrit entre 1110 et 11402. On notera que les enseignements théologiques sont donnés principalement dans les préfaces, et que les approches des métiers consistent pour l’essentiel en instructions techniques. Toutefois, c’était pour Théophile dans la portée théologique des préfaces que se trouvaient en filigrane le dessein, la motivation la plus importante, et même la justification de leur existence. Il souligne que le travail de l’artisan est à la fois une 1 Cet article reprend une communication présentée au 33e Congrès d’Études médiévales de Kalamazoo, en 1998. L’auteur désire remercier D. Hüe pour avoir traduit cet article de l’anglais. La recherche en vue de cet article a été facilitée par une bourse de doctorat du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) [Social Science and Humanities Research Council Doctoral (SSHRC) Fellowship] et par une bourse de la St. George’s Society of Toronto. 2 Hawthorne et al. in Theophilus, p. xvi. Une argumentation plausible resserre les dates du traité de Théophile entre 1122 et 1123 (White, 1978). DISCOURS ET SAVOIRS activité religieuse et un devoir religieux3. Aussi exhaustive que soit la façon dont Théophile pose la question de la théologie des métiers, les éléments fondamentaux peuvent s’en trouver dans d’autres écrits médiévaux. Un point théologique fondamental du De Diversis artibus est que l’artisan est un co-créateur, avec Dieu. Cela impliquait que les artisans pouvaient être guidés par Dieu et inspirés dans la fabrication de leur œuvre. Davantage, en menant à bien leur œuvre, ils suivaient et reflétaient la façon dont Dieu avait modelé la Création. On a considéré les préfaces de Théophile4 comme un nouvel essor de l’idée d’un artisan guidé par Dieu et en participant, s’appuyant, au moins partiellement, sur les écrits contemporains d’un théologien bénédictin de premier plan, Rupert de Deutz5. Davantage, on a soutenu qu’avant Rupert, il y avait un tel mépris à l’égard des arts mécaniques que l’on soutenait que des artisans ne faisant pas partie du clergé ne pouvaient être guidés par Dieu. Les passages bibliques principaux sont Ex. 31, 1-11, et 35, 30-36 : Il l’a comblé [Beçaléel] de l’Esprit de Dieu qui lui a départi habileté, intelligence et savoir pour toutes sortes d’ouvrages.6 On considère que la tradition exégétique chrétienne n’a commenté ce passage que de façon allégorique, et ne l’a pas pris au sens littéral, au sens où Beçaléel était vraiment inspiré. Toutefois, au XIIe siècle Rupert de Deutz et Théophile rompirent avec cette tradition supposée en affirmant que les artisans pouvaient être ainsi inspirés, et proposant Beçaléel comme un 3 Engen, 1980, p. 151. Engen, 1980. 5 Circa 1075-1129 ; Davis-Weyer, p. 167. 6 Ex., 35, 31 : « implevitque eum spiritu Dei sapientiae et intellegentiae (sic) et scientiae omni doctrina.... » (la traduction de doctrina en ouvrage se justifie par la suite du passage. NDT). Bien qu’il ne soit pas mentionné explicitement par Théophile et Rupert de Deutz, Hiram de Tyr, le maître artisan de Salomon est aussi décrit comme « plein d’habileté, d’adresse et de savoir pour exécuter tout travail de bronze » (1 Rois, 7, 13-14). 4 46 LE DON DES MÉTIERS exemple probant. L’Église répugnait à admettre l’inspiration divine en dehors de son pré carré pastoral et monastique. On voit ainsi comment s’articulent les éléments tout à la fois du respect et du mépris à l’égard des métiers et des travaux manuels à la fin de l’Antiquité et au Moyen Âge. Boèce avait souligné le caractère prépondérant de la raison et de la référence dans chaque art, dépassant le travail manuel de l’artisan qui est dirigé par le formateur7. Au cours du Moyen Âge, c’est le commanditaire qui recevait la plus grande reconnaissance. Certains avaient une autorité suffisante pour commander et diriger les artisans. Toutefois, ils n’étaient naturellement pas plus compétents que les artisans dans le raisonnement du dessin véritable et dans la fabrication d’un objet. Un texte classique de la littérature anglo-saxonne, la traduction du De Consolatione philosophica de Boèce, souligne la nécessité de la sagesse pour toutes les techniques, y compris les art mécaniques8. Isidore fait de même dans son encyclopédie bien connue, les Etymologiae9. Il reprend l’image de la construction dans 1 Co 3, 10 pour introduire une des sections de son encyclopédie consacrée à l’architecture. Le passage biblique souligne combien le Chrétien doit apprendre à être comme le « bon architecte »10 qui construit sur des fondations bien assises, Jésus Christ. De là, Isidore déduit que le projet principal dans l’apprentissage de l’architecture est d’être semblable au « bon architecte ». Les étapes de la construction, prises à la lettre, permettent à l’esprit de se représenter le processus de construction intérieure et spirituelle qu’il reflète et remplace simultanément. De plus, plusieurs ont reconnu que Beçaléel était réellement inspiré. L’exégète juif Philon d’Alexandrie, pose que Beçaléel a travaillé avec des ombres, des modèles – comme son nom l’implique11 – des archétypes construits par Moïse12. Philon 7 De institutione musica, I, 34. XVII, XIX ; trans. in Cook et al., p. 122, 123. 9 XIX.VIII.1. 10 Ibid. 8 47 DISCOURS ET SAVOIRS reconnaît, à la fois allégoriquement et littéralement, que Beçaléel a reçu l’inspiration divine pour mener à bien le travail, mais que Moïse en, avait reçu le dessin/le plan13, et que c’était lui qui avait la plus proche et la plus grande perception du dessein divin14 . Autour de 32415, le Panégyrique d’Eusèbe de Césarée, ou la prière pour le service de dédicace de l’église de Tyr (envoyé à Paulin, évêque de Tyr, aux prêtres et aux laïcs de l’assistance)16, expose une part de la réflexion théologique développée par Rupert et Théophile près de 800 ans plus tard. Les points essentiels de Théophile lui ont été donnés pour l’essentiel dans la prière d’Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique17. Théophile montre que l’homme est à l’image de Dieu, et que par conséquent il a raison, sagesse, l’adresse et la capacité d’un savoir pratique, pour participer, à juste titre, au dessein de Dieu, et créer à l’instar du Créateur18. La description parallèle d’Eusèbe se focalise sur 11 Rupert de Deutz, à la fin de son commentaire sur l’Exode, In Exodum, signale que Beçaléel signifie « “l’ombre du Seigneur”, parce que par son nom il signifie, comme on l’a dit, le Tabernacle, car il l’a fait une ombre, c’est-à-dire l’exemple du tabernacle céleste » (IV.44, col.744). 12 V, De Somniis, I, 206. 13 On dit que le modèle du Tabernacle avait été révélé à Moïse (Ex. 35, 9, 40 ; Ac 7, 44 ; Hb 8, 5). Bien sûr, c’est en tant que guide inspiré des enfants d’Israël et non pas comme un homme de métier qu’il est connu. 14 Philon, I, Legum Allegoria, 102-103. 15 McGiffert in Eusebius, p. 45. 16 Histoire ecclésiastique, XIV. 17 Rupert de Deutz connaissait bien l’Histoire Ecclésiastique, et s’en servait pour interpréter les Écritures (Engen, 1983, p. 279-280). Il est vraisemblable que Théophile, de même que Gilbert Crispin, aient pratiqué ce texte d’Eusèbe, relativement accessible dans sa traduction latine et, parfois, dans sa paraphrase du texte grec par Rufin d’Aquilée. Toutefois, Rufin a omis la totalité du panégyrique de Tyr, indiquant que celui-ci et ceux des autres évêques n’étaient pas d’une nature suffisamment historique (Rufin, [“Préface à l’Histoire d’Eusèbe”] p. 3). On a suggéré que cette section avait été retirée surtout à cause de la tendance arianiste du panégyrique (Oulton, p. 153, 156). L’hérésie arienne posait que le Christ n’était pas divin, coéternel et consubstantiel au Père, mais qu’il avait été créé par lui. Cette tendance n’affecte pas plus qu’elle n’infléchit le parallèle entre l’oraison d’Eusèbe à Tyr et les préfaces de Théophile. 48 LE DON DES MÉTIERS l’évêque Paulin, qui est identifié à Beçaléel19. Il fait aussi porter la comparaison sur les autres contributeurs à la construction, parmi lesquels les professionnels20. De plus, Théophile montre que tout un chacun sera invité à louer Dieu le Créateur en voyant et en appréciant le travail d’une église, à l’extérieur et à l’intérieur. Là encore, il retrouve Eusèbe21. Plus généralement, Eusèbe fournit plusieurs des éléments qui relient les métiers à l’inspiration divine et à la signification de l’Église qui se construit. Il met en rapport l’inspiration de l’architecte, l’idée d’un archétype céleste auquel les églises matérielles doivent se conformer, et le symbolisme général de l’Église spirituelle, qui est montré et reflété par l’édification visible et par les objets liturgiques de l’église22.Nous pouvons noter de plus que la construction de l’extérieur de l’édifice23, l’office de dédicace24 et le symbolisme de l’église25 figurent tous – en même temps qu’ils l’aident – la construction intérieure et la progression de l’âme des artisans qui ont participé à l’édification. Toujours en rapport avec Beçaléel, il faut relever Éginhard qui, non content d’être l’auteur de la Vita Caroli, est aussi l’architecte de la cour de Charlemagne qui a dessiné le Palais d’Aix la Chapelle. Il est considéré, dans l’épitaphe que Raban Maur avait composé pour lui, comme « l’égal de Beçaléel, le premier à être habile en toute sorte d’arts »26. À la cour, 18 Théophile, Prologue du premier livre, l’art du peintre ; ibid. , Prologue du troisième livre, l’art de l’orfèvrerie. 19 (X. IV. 24-26) Eusèbe compare l’évêque Paulin non seulement à Beçaléel (Histoire ecclésiastique, X. IV. 3, 25), mais aussi à Salomon et Zorobabel (ibid. , X. IV. 3). 20 X. IV. 26. 21 X. IV. 22 Neale and Webb, p. lxx in Durandus. 23 Eusèbe, Histoire ecclésiastique, X. IV. 53. 24 Ibid. ; Cf. St Augustin in Bowen, p. 469. 25 Hugues de Saint-Victor, Mystical Mirrour of the Church, p. 198-199. 26 Oakeshott, p. 56. 49 DISCOURS ET SAVOIRS Charlemagne était David, et Éginhard Beçaléel27.28, 29 dans lequel toute habileté technique vient de Dieu, et est guidée par Dieu, comme on le voit de façon exemplaire dans la construction du Temple de Salomon. Davantage, les Pères de l’Église, et particulièrement saint Augustin, ont comparé le travail de l’artiste humain avec celui de l’artiste divin. L’École de Chartres et les philosophes scolastiques ont développé cette doctrine30. On trouve de même dans la poésie médiévale, des occurrences de métiers considérés comme des dons de Dieu, et l’habileté dans les métiers est considérée comme divine au point que la notion théologique des sept Dons du Saint-Esprit a été élargie pour prendre en compte les artisanats et les autres formes de métier. Dans un grand recueil de poésies anglo-saxonnes, l’Exeter Book31, l’habileté manuelle et les autres capacités humaines sont considérées comme des dons de Dieu, et qualifiées de « dotation des hommes »32. Dans le poème « Christ » de l’Exeter Book33, L’artiste et le constructeur suprême est le Christ, « Artisan et roi »34. Les artisans humains, à l’image de Dieu, et recevant de lui leurs talents artistiques35, doivent suivre et imiter l’exemple du 27 Ibid. , p. 56-57 ; Hubert et al. , p. 35. Stromates, VI. XI, p. 501, 501 n. 5-6. 29 Sg 7, 16 ; 14, 2-3. 30 Bruyne, 1969, p. 45. 31 Léofric (†1072), évêque du Devon et de Cornouailles, chancelier d’Édouard le Confesseur, a donné l’Exter Book à la cathédrale d’Exeter, où il se trouve aujourd’hui (Exeter, Cathedral Library MS. 3501 ; Gordon, p. xi). Léofric fut le premier évêque d’Exeter ; le recueil date probablement de la deuxième moitié du Xe siècle (Krapp et al. in Exeter Book:, p. xiii-xiv). 32 v. 44-48, 75-76, 105-113. 33 Le poème « Les destins des hommes », dans l’Exeter Book, pourrait aussi être évoqué ici . 34 Dodwell, 1982, p. 46, 257 n. 23 ; “Christ,” v. 12, ed. Gollancz. 35 “Christ,” v. 686-690. Une source – ou une rencontre avec ces « dotations des hommes » se trouve dans le livre de la Sagesse (7, 16 ; 14, 2-3) comme on 28 50 LE DON DES MÉTIERS Christ, l’artisan suprême. Ce point, et d’autres similaires36, montrent combien les métiers37 sont une part de la participation de l’humanité au Salut. Ils permettent de découvrir la joie et la paix éternelle au ciel, ils permettent aux humains de devenir à l’image de Dieu. Le dialogue composé par l’abbé de Westminster Gilbert Grispin, Disputatio Iudei et Christiani (1093-96) met en évidence l’influence divine chez les hommes de métiers dans sa justification de l’art et de l’architecture religieuses. On doit suivre des analogies divines, comme pour le Tabernacle. La constitution maçonnique anglaise d’environ 140038, que l’on pense largement basée sur une constitution antérieure, du milieu du XIVe siècle39, concourt à renforcer ce point de vue. Ce texte propose une histoire légendaire de la maçonnerie basée sur des personnages bibliques et légendaires. Il pose que l’art de la maçonnerie a été appris par le peuple d’Israël alors qu’il était en Égypte, et que ce savoir avait été rapporté par les Israélites à Jérusalem au temps de la construction du Temple de Salomon. Cela implique qu’un chaînon important de cette transmission était Beçaléel, le maître l’a vu plus haut ; on trouvera un parallèle, au moins partiel, dans 1 Co 12, 4-11 (Krapp et al. in Exeter Book:, p. xl). Pour ce point, Bernard J. Muir (p. 497) indique d’autres sources et parallèles. 36 On retrouvera des parentés avec : (i) La 29e homélie d e Grégoire le Grand sur les évangiles (Migne, P. L., t. LXXVI, 1218) qui renvoie à 1 Co 12, 4-11) (ii) Dans la conclusion à son traité exégétique sur le livre de l’Exode, Rupert de Deutz parlant des métiers utilisés pour la construction, sous la conduite divine, du Tabernacle, souligne : « qui pourrait douter que ces métiers, comme tous les autres métiers, soient des dons de Dieu ? » (In Exodum, IV. 44, col. 744) et que l’habileté dans un métier est une « habileté divine » ( Ibid. ) qu’il faut prendre garde à ne pas gaspiller dans une activité profane. (iii) Le De diversis artibus de Théophile (prologue au premier livre, prologue au troisième livre). 37 Nous traduisons par « métier » le mot présent dans le poème « Christ » (O. E. cræftum) qui a son sens le plus large des diverses aptitudes et capacités aux gestes techniques offertes à l’être humain. 38 Cooke MS. , British Museum, Add. 23198. 39 Harvey, 1972, p. 191-202. 51 DISCOURS ET SAVOIRS maçon, sous la houlette de Moïse. Le récit reconnaît explicitement David et Salomon comme les chefs et les maîtres des maçons, et Hiram comme le maître-maçon de Salomon40. Plus loin, le manuscrit mentionne : Il [Dieu] a donné à l’homme l’esprit et l’astuce pour diverses choses, et les savoir-faire par lesquels nous pouvons travailler ici-bas pour gagner notre vie, faire diverses choses pour le plaisir de Dieu et aussi pour notre confort et notre profit41. Ainsi, l’intelligence et l’adresse données à Beçaléel et aux artisans étaient bien données par Dieu. On peut trouver un point voisin dans les descriptions médiévales des arts libéraux et des arts mécaniques. Ces derniers étaient souvent considérés comme une part de la philosophie, et ce sont les métiers, y compris l’architecture, qui constituent les arts mécaniques. On le voit dans les écrits des clercs anglo-saxons et irlandais, et plus tard, chez les théologiens de la Renaissance Carolingienne42. Le lien des arts mécaniques et de l’architecture avec le quadrivium et par là aux arts libéraux était courant. Cela signifiait que les métiers étaient une des voies du salut proposées par la philosophie pour atteindre la sagesse et la restauration de l’humanité déchue43. Les grandes classifications encyclopédiques du Moyen Âge ont aussi reconnu la revalorisation de l’humain à l’image de Dieu comme une dimension religieuse des métiers. Les éclaircissements à ce propos dans le Didascalicon d’Hugues de Saint-Victor (1096-1141) sont particulièrement éclairants. Il 40 Texte in ibid. , p. 197-198. “he [God] hath given to man wits and cunning of divers things and crafts by the which we may travail in this world to get with our living to make divers things to God’s pleasance and also for our ease and profit” (text in ibid. , 192). 42 Whitney, p. 62. 43 Whitney, p. 70-73 ; cf. Noble, p. 17s. Jean Scot (né vers 810), dans son commentaire du De Nuptiis Mercurii et Philologiae de Martianus Capella décrit les arts comme innés à l’homme. Les arts, dans une âme obscurcie par la Chute, peuvent être retrouvés par l’enseignement (Texte et trad. anglaise in Contreni, p. 25, 41 n. 17 ; Whitney, p. 71-72, 71 note 65). Jean Scot, dit aussi Érigène, était un célèbre clerc irlandais de la cour de Charles le Chauve autour de 850. 41 52 LE DON DES MÉTIERS attache du prix aux arts mécaniques44, parmi lesquels il met les métiers et la construction45, parce qu’ils pourvoient aux besoins humains, et favorisent l’accès à la sagesse (Hugues décrit cet accès à la sagesse comme la restauration de l’image divine dans l’homme, et c’est par conséquent l’objet premier de la vie). La Sagesse consiste en compréhension ( intelligentia) et en savoir (scientia). Les sciences « mécaniques » sont une partie du savoir (scientia) et ils viennent de notre part humaine plus que de notre part divine, puisqu’ils pourvoient aux « nécessités de notre part infirme »46. Ce qui est « mécanique » est considéré comme « artificiel », parce qu’il relève du travail humain, mais ce n’est pas une condamnation. C’est avec admiration et étonnement que l’on considère l’artisan, au même titre que la nature47. De plus, la compréhension ( intelligentia) dérive du divin, et entraîne la restauration de l’apparence divine de l’homme48, à laquelle prend part aussi l’inspiration qui dirige les métiers. L’artisan imite la nature49, mais la Nature consiste ici dans « le modèle archétypal de toutes les choses qui existent dans l’esprit divin, correspondant à l’idée selon laquelle toutes choses ont été faites »50. Hugues note que toutes les disciplines et tous les arts (y compris l’architecture, il le spécifie) sont orientés vers la philosophie, l’amour de la sagesse, l’avènement resplendissant de l’Idée divine, de son modèle dans l’homme51. 44 I. 5, 8. II. 22. 46 I. 8. 47 I. 9. 48 I. 8. 49 I. 8, 9. 50 I. 10. 51 II. 1. Ici, Hugues cite ou recoupe Boèce (In Porphyrium dialogi, I. III), Cassiodore (Institutiones, II. III. 5), et St Isidore (Etymologiae, II. XXIV. 9) (Taylor in Hugh of St. Victor, p. 195 n. 1, 196 n. 4). Pour ce qui est des autres textes encyclopédiques, Vincent de Beauvais peut avoir repris à Hugues de Saint-Victor, dans son Speculum Majus, la doctrine selon laquelle les arts ont leur place dans la Rédemption de l’homme. Cette doctrine pourrait avoir suscité les 45 53 DISCOURS ET SAVOIRS Rêves et visions constituent un des moyens par lesquels l’homme est un co-créateur, à l’image de Dieu. Au long du Moyen Âge, on rencontre souvent des rêves donnant à la fois l’impulsion, le lieu et même la forme d’une nouvelle église ou d’un objet fabriqué52. De plus, les récits rapportant les plans révélés par l’inspiration divine décrivent majoritairement un songe et une vision accordés à des chefs religieux, des moines, des princes ou des grands seigneurs53, bien plus souvent qu’à des artisans54. On retrouve ici le précédent biblique du chef guidé par Dieu, Moïse, recevant les indications pour le Tabernacle, qui doit être exécuté et matérialisé au travers du maître d’œuvre, lui-même inspiré, Beçaleel. Parallèlement, les représentations de Dieu comme le dénombreur, l’ordonnateur, le géomètre de la Création sont communes. Dans les enluminures médiévales, les dessins et les sculptures, on trouve des représentations de Dieu créant le cosmos à l’aide d’un compas, parfois même muni d’une balance. On retrouve dans certains cadrans solaires anglais de pierre, sculptés à l’extérieur des églises55, la figure maçonnique d’un Dieu représentations des sciences et des arts (constituant le miroir du savoir) dans les vitraux et les sculptures des cathédrales(Taylor, The Mediaeval Mind, II, p. 83). 52 Carty, 1991 ; ibid. , 1988. 53 Cf par exemple la Vita Heribert-i de Rupert de Deutz ( XIIe siècle). Elle rapporte qu’au début du XIe siècle, St Héribert, archevêque de Cologne, eut un rêve dans lequel la Vierge lui apparut. Elle lui donna les instructions pour le site de la nouvelle abbaye qui devait être construite à Deutz. Un poème sur la chasse d’Héribert (circa 1150) rappelle cette histoire. Il inclut une citation larine qui mentionne que les indications divines portaient aussi bien sur la lieu que sur la forme de l’abbbaye. (Carty, 1991, p. 127-128, 138 n. 68, fig. 92, #42 ; Lasko, p. 203-204). 54 Cf. Carty, 1991, p. 18-20. 55 Voir par exemple le cadran solaire de pierre sur le mur sud de la nef de l’église St Jean l’Évangéliste de l’église d’Escomb, dans le comté de Durham (circa 670-690). Le cadran solaire semble avoir été mis en place au moment de la construction de l’église. Il représente la tête d’une figure humaine tenant dans ses bras, du dessus, un cadran solaire circulaire. On verra un travail postérieur comparable dans une représentation anthropomorphe sur le mur sud de la nef, au dessus d’une issue condamnée, dans l’église Saint-Marie de North Stoke, 54 LE DON DES MÉTIERS créant toutes choses, y compris le temps. On trouve par ailleurs dans les manuscrits anglo-saxons tardifs des dessins pour la Genèse et les Canons qui montrent Dieu – ou la main de Dieu – œuvrant avec un compas et une échelle56. On connaît diverses enluminures de la Genèse, du XIIIe au XVe siècle, représentant Dieu muni d’un large compas de maçon pour former la création57. On retrouve aussi des miniatures de la Création comme frontispices des Bibles Moralisées. On retrouve aussi cette représentation dans les miniatures qui accompagnent le texte de l’Historia scholastica58 de Guyart des Moulins et les manuscrits du dans l’Oxfordshire. Une large fourchette de dates a été proposée pour ce cadran solaire sculpté (Okasha, 1992, n° 200, p. 51-52 ; Sherwood et al. , p. 349, 723, 936). Il semble dater du XIIIe ou du début du XIVe siècle. Cette dernière date semble plus vraisemblable dans la mesure où le gnomon serait alors contemporain de la reconstruction du mur de la nef dans lequel il est scellé. Au cours de travaux de restauration, on a fait apparaître des armoiries sculptées, mais elles ont été recouvertes. Une étude attentive de cette sculpture, à l’aide du rapport de restauration, devrait permettre une datation plus assurée. De façon suggestive, le texte « +A:W » est lisible sur le gnomon. Cela renvoie au Christ en Dieu, le Créateur éternel, celui qui soutient la Création, l’alpha et l’oméga au début et à la fin du temps et de la Création (Ap, 1, 8, 11 ; 21, 6 ; 22, 13 ; Okasha, 1992, N° 200, p. 51-52, planche Vd). Ainsi, le cadran solaire mesure le temps soutenu par le Créateur, et le fait entre le début et la fin du temps. Il renvoie à l’éternité, dont ce monde n’est qu’un reflet. On a proposé de façon plausible que Dieu était figure du Créateur (Heimann, p. 50-51, 56, planche 11d). 56 Voir par exemple (1) Le psautier de Bury St. Edmunds (Vat, Reg. Lat. 12, fol. 68v), c. 1025-c. 1050, (2) les Évangiles d’Eadwi (Kestner Museum, Hanover, fol. 9v), c. 1025, venant probablement de Winchester. Ici, la main de Dieu, avec ses instruments, est représentée dans la partie supérieure des Canons, créant et ordonnant par là le texte des Évangiles. (3) le Psautier Tiberius (British Museum, Cotton Tiberius C. vi, fol. 7v), c. 1050, vraisemblablement de Winchester, (4) la Bible, avec une illustration pour la Genèse (British Museum, Royal 1. E. vii, fol. 1v), c. 1050 (Heimann. p. 46-56, plates 10a, 11a, 11c, 12b). 57 Friedman, 1974. 58 Cf : (i) British Museum Royal 15. D. iii, fol. 3v, early 15th century, (ii) British Museum Royal 19. D. iii, fol. 3, c. 1411 (Friedman, 1974, 55 DISCOURS ET SAVOIRS De civitas Dei de Saint Augustin59. De même que Dieu a créé, il incombe aux artisans humains de créer. De façon parallèle, Géométrie et Arithmétique étaient aussi décrites comme des personnifications inspirées, rattachées aux dieux, et indispensables pour accéder à la sagesse et à la maîtrise de la vie. La tradition des représentations iconographiques des arts libéraux remonte indubitablement aux descriptions allégoriques de Martianus Capella dans le De Nuptis Philologiae et Mercurii.60 La toise et le compas que tient Géométrie sont à l’image de ceux qu’employaient les maçons et les arpenteurs. Ils sont du même esprit que ceux utilisés par les artisans, sous les figures accolées d’Arithmétique et de Géométrie, et leur utilisation61 est la même que dans les métiers62. On voit à l’œuvre une partie des dons et de l’inspiration divine dans les métiers dans les méthodes mathématiques employées par Dieu au moment de la Création. Une référence théologique majeure à ce point se retrouve dans Sg 11, 2163 : « Tu p. 424, 426, fig. IX, XII). 59 Cf. British Museum Add. 15245, fol. 3v, XIVe- XVe siècles (Ibid. , p. 424, fig. XI). 60 Masi, p. 52. Le De Nuptiis a été écrit entre 410 et 439 (Stahl et al. in Martianus Capella, I, p. 15). 61 Pour ce qui est des applications, Géométrie porte une belle toge marquée des figures de « nombres de diverses sortes, tracés de cadrans solaires, figures et dessins montrant les intervalles, les poids et les mesures, peint de nombreuses couleurs (Martianus Capella, II, 580 p. 218). Géométrie, qui mesure la terre, expose assez longuement les mesures sur terre. (Ibid. , II, 589-703 p. 220-263). 62 Le texte de Martianus a été bien connu tout au long du Moyen Âge (Cf. Mâle, p. 76, 78). Les représentations des sept arts libéraux se retrouvent couramment dans la poésie médiévale et dans les programmes des sculptures des cathédrales gothiques (Auxerre, Chartres, Clermont, Laon, Saint Omer, Sens, Soissons, et Rouen par exemple). On les trouve représentées sur le sol de Saint-Rémy de Reims, de Saint-Irénée de Lyon et à la cathédrale de Fribourg (Ibid. , p. 78-89). Au travers de ces applications aux arts décoratifs, les maçons, les sculpteurs et les verriers avaient une familiarité avec les personnifications allégoriques et leurs applications aux métiers. 56 LE DON DES MÉTIERS as tout réglé avec nombre, poids et mesure ». On peut raisonnablement penser que cette loi générale était sous-jacente, au moins implicitement, dans les méthodes des artisans en géométrie, pour la prise des mesures. En particulier, ce passage a été cité par Suger, à propos de la construction de l’église abbatiale de Saint-Denis64. Ces méthodes artisanales étaient respectées, et revêtaient une valeur indiscutable, une forme de perfection, comme le suggèrent les textes de Théophile et d’autres manuels techniques, parce qu’elles émanaient du Dieu créateur et reproduisaient la façon divine dont avait été faite la Création. Nous voyons combien ces notions ont été soulignées dans la tradition des métiers par l’ouvrage de Théophile. Son De diversis artibus met en avant l’inspiration reçue par Moïse pour la construction du Tabernacle, et celle de Salomon pour le Temple. Dans son prologue au premier livre, consacré à l’art du peintre, il affirme : Nous voyons dans le récit de la Création du monde que l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu65 [...] capable de raison, il devrait participer à juste titre à la sagesse et à l’habileté66 du projet divin.67 Dans le prologue au troisième livre, consacré aux métiers du métal, nous trouvons : Grâce à l’esprit de sagesse, vous savez que les choses créées procèdent de Dieu et que rien n’est sans Lui. Grâce à l’esprit de compréhension, vous avez reçu la capacité de la connaissance pratique de l’ordre, la variété et la mesure68 que vous devez appliquer aux 63 On retrouve divers passages bibliques, apocryphes et pseudépigraphiques de l’Ancien Testament dans le même esprit, et beaucoup se réfèrent explicitement aux métiers de la construction. Cf. Jb 28,25 ; Jb 38, 4-7 ; Is 40, 12 ; Pr 8, 27 ; IEn. 43, 2, IV Esd 4, 36 ; Ps. Sol. 5, 6 ; Testament des douze patriarches 2,3 et Mt 10, 30. 64 Suger, De Consecratione, III, p. 96-97. 65 Ceci reprend bien sûr Gn 1, 26-27. 66 cf. Ex 31, 3 ; 35, 31,35 ; 36,1-2 ; IR 7, 14. 67 Cf. Ex 25, 9, 40 ; 26, 30 ; Hb 8,5 ; Ac 7, 44 ; 1Ch 28, 12, 19 ; Sg 9,8. 68 Théophile décrit l’utilisation des unités de poids et de mesures, de la règle 57 DISCOURS ET SAVOIRS divers aspects de vos travaux... Inspiré par ces engagements à l’égard des vertus, mon cher fils, tu t’es approché avec confiance de la maison de Dieu et tu l’as bien décorée, avec grâce. Tu leur as permis ainsi de louer Dieu le Créateur dans sa création et de Le proclamer merveilleux dans ses œuvres. De façon significative, nous trouvons dans cette citation la mise en pratique de la règle du livre de la Sagesse sur les métiers. L’être humain, à l’image de Dieu, peut participer à la création divine, et par là aider les autres à louer Dieu. Eusèbe, de la même façon, louait avec ferveur l’habileté des artisans69: Il l’a enrichie ensuite d’innombrables offrandes d’une indicible beauté et de diverses matières – or, argent, pierres précieuses, dont nous n’avons pas la possibilité, à cause de leur grandeur, leur nombre, leur diversité, de décrire précisément la façon admirable.70 Cette phrase « leur grandeur, leur nombre, leur diversité » rappelle à la fois Théophile et le verset de la Sagesse. Les mythes, aussi bien que les récits bibliques, donnent diverses versions des origines profanes ou sacrées des poids et des mesures, et de leur application divine dans la Création, sur la terre et au ciel. Cela apparaît aussi bien dans l’Antiquité71 qu’au cours et du compas dans les divers métiers abordés dans son manuel. (1963, p. 29, 49-51 n. 1, 61-62, 68, 93, 97-99 n. 1, 99, 100, 102, 126). 69 Histoire ecclésiastique, X. IV. 43-44 ; Vie de Constantin le Grand, III. 40. 70 Vie de Constantin le Grand, ibid. 71 Un des auteurs du Corpus Agrimensorum antique, copié au long du Moyen Âge, souligne que la centuration était d’origine divine, et Varron mentionne qu’elle était adoptée à partir d’un rite étrusque. (Dilke, 1980, “Sheet Two: Roman Surveyors,” p. 4 ; ibid. , 1976 ; ibid, 1988, p. 158-159). La centuration était la méthode de division des terres basée sur leurs systèmes de calculs de longueurs et de surfaces. L’instrument essentiel de leurs relevés topographiques était la groma. Elle consistait en une potence au bout du bras de laquelle une pièce en forme de croix aux bras d’égale longueur pouvait tourner. La partie inférieure de la potence était épointée de façon à pouvoir être fichée dans le sol, en sorte que la potence était verticale, et la croix horizontale. Des fils à plomb étaient attachés aux extrémités de la pièce en forme de croix, en sorte que l’on pouvait déterminer deux lignes droites perpendiculaires en visant une paire de 58 LE DON DES MÉTIERS du Moyen Âge. La Bible, à diverses reprises, rapporte les commandements divins relatifs à la construction de bâtiments en termes d’unités de longueur. Par exemple, la Jérusalem céleste, prévue dès le commencement des temps, est révélée à saint Jean par le biais d’un ange qui la mesure à l’aide d’un roseau72. Ainsi une unité de mesure céleste figurait et donnait naissance à une unité de mesure terrestre. On peut noter que dans l’encyclopédie bien connue, les Etymologiae d’Isidore de Séville, une partie est consacrée aux poids et aux mesures73. Isidore s’appuie une fois de plus sur le verset de Sg concernant la création des poids et mesures ; il fallait s’y attendre puisqu’on le percevait comme une loi universelle dérivant de l’unité sous-jacente de toutes les choses, et Isidore le comprenait bien ainsi74. Ainsi, Isidore trouve l’origine des unités de mesure75 dans des principes théologiques et cosmologiques76, fils à plomb et l’autre, diamétralement opposée. La pièce en forme de croix et la croix déterminée sur le sol manifestaient la croix du templum céleste, que l’on disait être descendu auparavant au cours du rituel augural. L’augure voyait intérieurement le templum descendre des cieux pour rendre l’endroit choisi à la fois sacré et habitable (Rykert, p. 45 s). 72 Ap. 21, 15-17. La connaissance de l’arithmologie était utilisée dans l’exégèse biblique. Quelques traités du Xe au XIIe siècle, et même ensuite, traitant de la métrologie, portent un grand intérêt aux mesures contemporaines et à leur rapport aux mesures bibliques, comme par exemple la coudée de Noé et Moïse (Hall et al. , p. 1 n. 2, 2, 4). 73 XVI. XXV. 1. 74 Ibid. ; III. IV. 1 ; Brehaut, p. 64-65. Moïse, qui a donné les Tables de la Loi, est considéré comme le premier philosophe par Isidore, qui « le premier nous a parlé des mesures et des nombres et des poids dans divers passages de l’Écriture » (Etymologiae, XVI. XXV. 1). 75 Isidore se réfère, en effet, aux mesures hébraïques et romaines. 76 Par exemple, l’uncia, le douzième d’une livre, « mesure les heures du jour et de la nuit » (Etymologiae, XVI. XXV. 19) – Le terme latin d’uncia renvoyait aussi au douzième du pied, pes. La libra, la livre, composée de douze onces, « est comptée comme une sorte de poids parfait, car elle est constituée d’autant d’onces que l’année a de mois » (ibid. , 20). Le modius ou boisseau (XVI. XXVI. 10), car il est composé de quarante-quatre livres ou de vingt-deux sextarii (setiers). Isidore développe : 59 DISCOURS ET SAVOIRS et cela inclut le domaine des métiers et de l’architecture qu’Isidore expose ailleurs dans son encyclopédie77. Les poids et les mesures utilisés par les artisans étaient considérés comme établis par Dieu, et participaient de la structure de l’œuvre du créateur, l’univers. Peser et mesurer sont des actes reflétant le geste de la Création et l’ordonnancement du cosmos, et c’est en relation avec cela que les divers textes sur les métiers indiquent que leurs instructions, pleines d’indications détaillées sur les unités de poids et de mesures, venaient d’une révélation divine78. Théophile ainsi note que l’artisan, fait à l’image de Dieu, est co-créateur avec Dieu, et peut dès lors mettre en œuvre la sagesse et le savoir du dessein divin dans l’ordre et la mesure de son propre métier d’artisan79. La raison de ce nombre [22] vient de ce qu’à la Création Dieu fit vingt-deux œuvres. . . . et qu’en tout vingt-deux espèces furent faites en six jours. Et il y eut vingt-deux générations d’Adam à Jacob, et de leurs semences jaillirent tous les peuples d’Israël. . . Et vingt-deux lettres dans l’alphabet (hébreu) dans lequel est écrit la doctrine de la loi divine. En fonction de cela, un boisseau de vingt-deux setiers avait été institué par Moïse en fonction de la sainte loi, et bien que des peuples divers ajoutent un poids à cette mesure ou en soustraient un, elle demeure inchangée chez les Hébreux, par ordonnance divine (ibid. ) On pourrait s’interroger sur les origines d’un boisseau de vingt-deux setiers ou de quarante-quatre livres. Les Romains avaient une mesure de produist secs, le modius de seize sextarii, et deux heminae valaient un sextarius (Dilke, 1987, p. 27). le Liber Numerorum d’Isidore a une section consacrée spécifiquement au symbolisme sacré et aux lois des nombres, parmi lesquels, dans les nombres entiers, six et douze apparaissent dans les exemples cités plus haut. Il prend très au sérieux ce symbolisme et ces lois numériques, et les applique à toutes choses, y compris les poids et mesures. 77 XV. II-XII ; XIX. VIII-XIX. 78 En plus du texte de Théophile, on peut renvoyer au Prologue et aux recommandations de la Mappae Clavicula. Le plus ancien fragment un peu important date du IXe siècle. 79 Théophile, prologue au premier livre, le métier du peintre, et au troisième livre, l’art de la métallurgie. Beaucoup des plus petites unités de mesure ont les noms et approximativement la taille d’un corps humain adulte : le pouce, la paume (ou palme), le pied, la coudée (longueur de l’avant-bras et de la main), la brasse distance entre les mains et les bras étendus), etc. (Connor, p. 1-2). 60 LE DON DES MÉTIERS Ainsi, on doit replacer les remarques théologiques faites par Rupert de Deutz et Théophile au sein d’une suite de prédécesseurs et de contemporains. Ils devaient bien connaître, de par leur instruction, quelques-uns de ces prédécesseurs, Isidore par exemple. Toutefois, Théophile semble avoir été le premier à avoir rassemblé et constitué une doctrine cohérente sur la théologie et la spiritualité des métiers au Moyen Âge, et son texte est en cela une source importante pour la compréhension de la signification essentielle de l’art et de l’architecture de cette période. HUGH MCCAGUE YORK UNIVERSITY Les idéaux de beauté grecs et romains prenaient en compte la symmetrie, la mesure, et les relations proportionnelles prescrites pour l’art et l’architecture avaient des aspects sacrés et moraux explicitement indiqués par Platon (Philèbe, 64e-65e ; Lois, II. 667c-669a) et d’autres. Vitruve relate le passage des unités de proportion employées par les sculpteurs et les architectes à une recommandation canonique pour le corps humain, et à des relations de proportions parfaites de la partie au tout (III. I). Ces proportions idéales ont été associées à l’œuvre du Créateur, et le corps humain a été compris comme un temple, par exemple par Philon d’Alexandrie (I, De Opificio Mundi, 138). Philon renvoie à l’image de l’homme fait à l’image de Dieu, (Gn, 1, 26-27) et anticipe divers passages du nouveau Testament sur le corps humain comme un temple (1Co, 5, 16-17 ; 2Co, 6, 16 ; Jn 2, 19-21 ; Eph, 2, 19-22). Finalement, les unités de mesure basées sur le corps humain pourraient être considérées comme émanant de Dieu. 61 DISCOURS ET SAVOIRS Bibliographie Saint Augustin, Quaestiones in Heptateuchum in Corpus Christianorum. Series Latina XXXIII. Turnhout, Belgium, Brepols, 1968. Boèce, King Alfred’s old English version of Boethius De consolatione philosophiae. Ed. Walter John Sedgefield. Oxford: Clarendon P., 1899. — Fundamentals of music (De institutione musica). Ed. and trans. Calvin M. Bower. Music Theory Translation Series. Ed. Claude V. Palisca. New York : Yale U. P., 1989. Bowen, Lee. “The Tropology of Mediaeval Dedication Rites.” Speculum XVI (1941): 469-479. Brehaut, Ernest. An Encyclopedist of the Dark Ages, Isidore of Seville. Reprint of 1912 edn. Burt Franklin Research and Source Work Series 107. New York: Burt Franklin, 1967. Bruyne, Edgar de. L’esthétique du Moyen Age. Louvain : Éditions de l’Institut Supérieur de Philosophie, 1947. (version condensée des Études d`Esthétique médiévale. 3 vols. Brugge, Belgium: De Tempel, 1946. [rééd. en 2 vol. Albin Michel, 1998]) Carty, Carolyn Marie. “The Role of Gunzo’s Dream in the Building of Cluny III.” Gesta XXVII (1988): 113-123. —-, Dreams in Early Medieval Art. Ph.D. dissertation, U. of Michigan, 1991. (Authorized facsimile printed by University Microfilms International, Ann Arbor, Michigan, 1991.) Clement of Alexandria. The Stromata, or Miscellanies. Included in: The Ante-Nicene Fathers. Ed. Alexander Roberts et al. Vol.II. Revised edn. New York: Charles Scribner’s Sons, 1913. 299-568. (éd. française des Stromates au Cerf, 7 volumes, 1981-1997) Connor, R. D. The Weights and Measures of England. London: Her Majesty’s Stationery Office, 1987. Contreni, John J. “John Scottus, Martin Hiberniensis, the Liberal Arts, and Teaching.” Insular Latin Studies: Papers on Latin Texts and Manuscripts of the British Isles: 550-1066. Ed. Michael W. Herren. Papers in Mediaeval Studies 1. Toronto: Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1981. 23-44. Crispin, Gilbert. The Works of Gilbert Crispin, Abbot of Westminster. Eds. Anna Sapir Abulafia and G. R. Evans. Auctores Britannici Medii Aevi, VIII. London: Oxford U. P., 1986. 62 LE DON DES MÉTIERS Davis-Weyer, Caecilia. Early Medieval Art 300-1150: Sources and Documents. Sources and Documents in the History of Art Series, H.W. Janson, ed. Englewood Cliffs, New Jersey: Prentice-Hall, 1971. Dilke, O. A. W. “Varro and the Origins of Centuration,” in Atti del Congresso di Studi Varroniani. Rieti: 1976. II: 353-358. —-, Surveying the Roman Way. Leeds: U. of Leeds, 1980. —-, Mathematics and Measurement. London: British Museum Publications, 1987. —-, “Religious Mystique in the Training of Agrimensores,” in Res Sacrae: Homages à Henri Le Bonniec. Eds. D. Porte and J.-P. Néraudau. Collection Latomus, 201. Brussels: Latomus, Revue d’Études Latines, 1988. Durandus, William (Durantis, Gulielmus). The Symbolism of Churches and Church Ornaments. Translation of the First Book of Rationale Divinorum Officiorum. Trans. and ed. John Mason Neale and Benjamin Webb. Reprint of 1843 edn. New York: AMS P., 1973. Durand, Guillaume, Rationale divinorum officiorum, ed. Bavril, Anselme, Thibodeau, Timothy, Corpus Christianorum, Continuatio Medievalis 140, 1995, Brepols, Turnhout. Durand, Guillaume, trad : Manuel pour comprendre la signification symbolique des cathédrales et des églises, ed. Fuveau, Maison de Vie, 1996. Engen, John H. Van. “Theophilus Presbyter and Rupert of Deutz: The Manual Arts and Benedictine Theology in the Early Twelfth Century.” Viator 11 (1980): 147-163. —-, Rupert of Deutz. UCLA Center for Medieval and Renaissance Studies, 18. Berkeley, Los Angeles, and London: U. of California P., 1983. Eusebius. The Church History of Eusebius. Ed. and trans. Arthur Cushman McGiffert. (A Select Library of) Nicene and Post-Nicene Fathers of the Christian Church. 2nd series, 1. Grand Rapids: Wm. B. Eerdmans, 1961. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, texte grec traduit et annoté par G. Bardy, 4 e éd. revue et corrigée, Cerf, Sources Chrétiennes, 1993. —-, Life of Constantine the Great. Revised trans. Ernest Cushing Richardson. Included in: A Select Library of the Nicene and Post-Nicene Fathers of the Christian Church. Ed. Philip Schaff et al. New Series. Vol.I. 63 DISCOURS ET SAVOIRS New York: Christian Literature Company. Oxford: Parker and Company, 1890. 411-632. —- In Praise of Constantine, a historical study and new translation of Eusebius... Berkeley, Los Angheles, London, U. Cal. P 1976. The Exeter Book: Part I: Poems I-VIII. Israel Gollanz, ed. Early English Text Society, Original Series, 104. Reprint of 1895 edn. London etc.: Oxford U. P., 1958. The Exeter Book. George Philip Krapp and Elliot van Kirk Dobbie, eds. New York: Columbia U. P. ; London: Routledge and Kegan Paul, 1936. Fontaine, Jacques Isidore de Séville et la culture classique dans l’Espagne wisigotique, 2 e édition (3 vol.), Paris, Ét. Aug., 1983. Friedman, John Block. “The Architect’s Compass in Creation Miniatures of the Later Middle Ages.” Traditio XXX (1974): 419-429. Hall, Hubert and Frieda J. Nicholas, eds. Select Tracts and Table Books Relating to English Weights and Measures (1100-1742). Camden Miscellany XV (Camden Third Series XLI). London: Camden Society, 1929. Harvey, John H. The Mediæval Architect. London: Wayland, 1972. Heimann, Adelheid. “Three Illustrations from the Bury St. Edmunds Psalter and their Prototypes. Notes on the Iconography of Some Anglo-Saxon Drawings.” Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 29 (1966): 39-59. Hillgarth, J. N. “Isidore of Seville, St.” Dictionary of the Middle Ages. Eds. Joseph R. Strayer et al. New York: Charles Scribner’s Sons, 1985. 6: 563-566. Hubert, J., J. Porcher and W. F. Volbach. Carolingian Art. Trans. from the French by Robert Allan et al. London: Thames and Hudson, 1970. Hugh of St. Victor. The Didascalicon of Hugh of St. Victor: A Medieval Guide to the Arts. Trans. and ed. Jerome Taylor. Records of Civilization, Sources and Studies, LXIV. New York and London: Columbia U. P., 1961. Hugues de Saint-Victor, Didascalicon, Migne, P.L. CLXXVI, col. 739-838 Hugues de Saint-Victor, L’art de lire (didascalicon), intr. trad. et notes par M. Lemaire, Cerf 1991. 64 LE DON DES MÉTIERS —-, Mystical Mirrour of the Church. Prologue and Chapters I and II. Included in Durandus, William (Durantis, Gulielmus). The Symbolism of Churches and Church Ornaments, (cf. supra)197-209. Illich, Ivan. In the Vineyard of the Text: A Commentary to Hugh’s Didascalicon. Chicago and London: U. of Chicago P., 1993. Lasko, Peter. Ars Sacra 800-1200. Pelican History of Art. 2nd edn. New Haven: Yale U. P., 1994. Mâle, Émile. L’art religieux du XIII esiècle en France: Étude sur l’iconographie du moyen age et sur ses sources d’inspiration. 9e. éd., Paris Librairie Armand Colin, 1958. Mappae Clavicula: A Little Key to the World of Medieval Techniques. Eds. John G. Hawthorne, and Cyril Stanley Smith. Transactions of the American Philosophical Society New Series, 64.4 (1974). Martianus Capella. Martianus Capella and the Seven Liberal Arts. 2 vols. Ed. and trans. William Harris Stahl. Records of Civilization: Sources and Studies, LXXXIV. New York: Columbia U. P., 1977. Martianus Capella, De Nuptiis Mercurii et Philologiae, éd. J. Willis, Teubner, 1983. Masi, Michael. “A Newberry Diagram of the Liberal Arts.” Gesta XI.2 (1973): 52-56. Montague, G. T. “Edification (in the Bible).” New Catholic Encyclopedia. New York etc.: McGraw-Hill, 1967. V: 106. Moran, Dermot. The philosophy of John Scottus Eriugena: a study of idealism in the Middle Ages. Cambridge etc.: Cambridge U. P., 1989 Muir, Bernard J., ed. The Exeter Anthology of Old English Poetry: An Edition of Exeter Dean and Chapter MS 3501. 2 vols. Exeter: U. of Exeter P., 1994. Noble, David F. The Religion of Technology: The Divinity of Man and the Spirit of Invention. New York: Alfred A. Knopf, 1997. Oakeshott, Walter. Classical Inspiration in Medieval Art. Rhind Lectures for 1956. London: Chapman and Hall, 1959. Okasha, Elizabeth. “A second supplement to Hand-List of Anglo-Saxon Non-Runic Inscriptions.” Anglo-Saxon England 21 (1992): 37-86. Oulton, J. E. L. “Rufinus’s Translation of the Church History of Eusebius.” Journal of Theological Studies 30 (1929): 150-174. Roche, W. J. “Measure, Number, and Weight in Saint Augustine.” New Scholasticism 65 DISCOURS ET SAVOIRS XV (1941): 350-376. Rufinus. The Church History of Rufinus of Aquileia, Books 10 and 11. Trans. Philip R. Amidon. New York and Oxford: Oxford U. P., 1997. Rupert of Deutz. In Exodum in Patrologiae Latinae. Tomus 90, Col.744 and earlier. Paris: J. P. Migne, 1862. Rykert, Joseph. The Idea of a Town: The Anthropology of Urban Form in Rome, Italy and the Ancient World. Princeton: Princeton U. P., 1976. Sherwood, Jennifer and Nikolaus Pevsner. Oxfordshire. The Buildings of England series. Harmondsworth, Middlesex etc.: Penguin Books, 1974. Stephen, Leslie and Sidney Lee, eds. “Crispin, Gilbert.” The Dictionary of National Biography. First published 1885-1901, in 66 vols. 22 vols. London: Oxford U. P., 1959-1960. V: 100-101. Suger. Abbot Suger on the Abbey Church of St.-Denis and Its Art Treasures. Eds. and trans. Erwin Panofsky and Gerda Panofsky-Soergel. 2nd edn. Princeton: Princeton U. P., 1979. Taylor, Henry Osborn. The Mediaeval Mind: A History of the Development of Thought and Emotion in the Middle Ages. 2 vols. London: Macmillan and Co., 1911. Theophilus Presbyter. The Various Arts. Latin text and trans. C.R. Dodwell. London and New York : T. Nelson, 1961. —-, On Divers Arts. Trans. John G. Hawthorne and Cyril Stanley Smith. Chicago and London: U. of Chicago P., 1963. De diversis artibus, trad. française, éd. Blanc/Bourassé, Picard, 1980. White Jr., Lynn. “Theophilus redivivus.” Medieval Religion and Technology: Collected Essays. UCLA Center for Medieval and Renaissance Studies Publications, 13. Berkeley etc.: U. of California P., 1978. 93-103, Chapt.6. (Article reprinted from Technology and Culture 5 (1964): 224-233.) Whitney, Elspeth. Paradise Restored: The Mechanical Arts from Antiquity through the Thirteenth Century. Transactions of the American Philosophical Society 80.1 (1990). 66