Compte-rendu formation Fenetre sur cour
Transcription
Compte-rendu formation Fenetre sur cour
Compte-rendu de la formation sur Fenêtre sur cour, Alfred Hitchcock Intervention de Catherine Pennarun, enseignante de cinéma Au Cinéma Le Bretagne à Quimper, le 24 novembre 2010 1. Introduction - - - - Hitchcock avait le film en tête avant de partir sur le plateau. Mais le réalisateur a su jouer de sa légende et n’a pas hésité à trafiquer ses story-boards après le tournage pour les rendre exactement similaires à ce qui avait été tourné, faisant ainsi croire à l’authenticité de son travail préalable. Pour réaliser Fenêtre sur cour, Hitchcock voulait un décor naturel. La tâche se révélant compliquée, il a demandé un énorme décor : la cour d’immeubles, l’appartement de Jefferies, la construction de mini-appartements derrière chaque fenêtre, la rue au fond. Pendant le tournage, Hitchcock avait doté ses acteurs d’une oreillette, ce qui lui permettait de les guider pendant les prises. Il s’en amusait également pour donner un ton à certaines scènes. Ainsi, lors de la scène du couple qui ramasse précipitamment son matelas sous la pluie, Hitchcock donnait des ordres différents aux deux acteurs, leur disant de tirer le matelas d’un côté différent. La scène obtenue prend ainsi une tournure comique. Les prises de son se sont faites depuis l’appartement de Jefferies : les sons sont ainsi plus naturels, assourdis. Tous les sons sont justifiés dans Fenêtre sur cour. On n’y entend pas de musique additionnelle (ou musique de fosse), à l’exception du générique. La même remarque est à faire sur Les Oiseaux. Hitchcock lui-même se trouvait du côté de l’appartement de Jefferies pour tourner son film. 2. Analyses de séquences A. Le générique L’image s’ouvre sur un bow-window : trois stores se lèvent un par un : référence à un décor théâtral, c’est aussi un hommage au début du cinéma et notamment aux trois caméras que les réalisateurs du muet auraient aimé avoir pour éviter d’obtenir une image carrée. On entend une musique de jazz additionnelle. Le plan est fixe puis la caméra amorce un mouvement très fluide (mouvement à la grue). On suit le chat pour avoir une vue de toute la cour. On arrive sur Jefferies qui tourne le dos au décor : il transpire et le thermomètre indique une très forte chaleur. Le mouvement de la caméra reprend. On entend une radio dont les paroles renseignent sur la situation du héros. Vient alors la présentation des habitants : le musicien, le couple burlesque, la danseuse, la dame au petit oiseau. Au fond, la rue signale une agitation. On revient à Jefferies et à sa jambe cassée : sur celle-ci, une inscription qui nous indique son nom. La présentation du héros se fait ainsi sans paroles : tout est dit dans l’image grâce aux objets : les photos présentant des explosions, un négatif et son positif sur la couverture d’un magazine. Le spectateur comprend alors que le personnage est un baroudeur, un photographe qui publie son travail dans des magazines. B. L’arrivée de Lisa C’est le soir. On entend la voix d’une cantatrice qui devient plus aigue au moment de l’arrivée de Lisa. Une ombre qui paraît menaçante se penche sur le visage endormi de Jefferies. Vient alors un plan très court sur le visage de Lisa : l’ombre prend une toute autre signification. Le baiser au ralenti est interrompu par Jefferies qui met fin au rapprochement par la question : « Qui êtes-vous ? ». Lisa apporte la lumière dans l’appartement avec son nom, révélant sa superbe tenue : elle est mannequin et vit dans la lumière. A chacune de ses apparitions, Lisa portera une tenue vestimentaire différente. Grace Kelly joue un rôle semblable à celui qu’elle tenait dans sa vie, celui d’une femme d’apparence qui se met en lumière. C. L’assassinat Un fondu au noir et un gros plan sur la montre signalent le temps qui passe. Jefferies s’est endormi. La pluie tombe, le couple ramasse rapidement le matelas, donnant ainsi à la scène un aspect burlesque qui allège la tension du film. On assiste aux premières allées et venues du suspect. Celui-ci revient avec une valise plus légère. Pendant ce temps, le musicien malheureux compose une chanson (il la composera tout au long du film et aboutira au thème de la fin : « Lisa »). Toutes les intrigues secondaires s’imbriquent dans l’intrigue principale pour aérer l’ensemble. La caméra revient enfin vers Jefferies qui se rendort. A ce moment, la caméra montre au spectateur quelque chose qui va échapper au personnage : Thornwald quitte son appartement, accompagné d’une femme que l’on ne peut identifier. Hithcock applique ici un procédé qui lui est cher : le spectateur est mis dans la confidence et reçoit une information que le personnage n’a pas. Le spectateur est donc en avance sur le personnage, ce qui diffère le sens du suspense : comment le héros va-t-il faire pour apprendre ce que nous savons ? Ce procédé qui se retrouve dans presque tous les films d’Hitchcock est devenu sa spécialité. D. La mort du petit chien C’est la fête. Les voisins ne communiquent pas. L’image montre un mur d’écrans et des habitants enfermés dans leur appartement. Cette scène est l’occasion d’une morale que l’une des habitantes adresse à se voisins. A ce moment, la caméra quitte la vision subjective de Jefferies : on assiste au décrochement de la caméra qui se déplace dans la cour (chose qu’elle ne fait que deux fois dans le film). Les angles de prises de vue différent également : normalement la vision se fait depuis l’appartement de Jefferies mais dans cette scène les prises de vue sont déplacées, notamment sur Miss Toro. C’est donc l’une des fois où l’on déroge à la prise de vue normale depuis l’appartement de Jefferies. E. La confrontation avec le tueur Le tueur est l’objet du fantasme de Jefferies. A son arrivée, Jefferies, fasciné par lui, reste muet devant l’objet de son fantasme. Les seules armes qu’il a à sa disposition sont ses instruments de travail, ses flashs. En chaise roulante, symbole de sa fragilité, Jefferies se réfugie dans le noir, le plus loin possible mais près de la fenêtre. Le temps est étiré pour faire durer le suspense : on entend les pas du tueur qui s’approche, on voit la lumière du palier pour indiquer son arrivée imminente. Le tueur, montré en gros plan, n’est pas si antipathique. Une série de champs- contrechamps permet de montrer la vision du tueur sur Jefferies à chaque fois que s’actionne le flash (ce sera l’unique occasion puisque le reste du film offre la vision subjective de Jefferies). La scène de la bagarre est filmée de très près pour offrir au spectateur l’action qu’il attend. Car cette scène très longue et découpée ne correspond pas aux attentes du spectateur, ce qui est aussi un principe d’Hitchcock : donner au spectateur ce à quoi il ne s’attend pas ou l’inverse de ce à quoi il s’attend. A la fin de la scène, les voisins apparaissent enfin. Pour la seconde fois, la caméra vient au milieu de la cour, au moment où Jefferies tombe de la fenêtre. F. Dernière scène Un gros plan sur le thermomètre nous indique que la température a baissé. Les couples se forment (la dame seule et le musicien), la musique est enfin achevée et l’on peut entendre la version définitive, l’appartement du tueur est refait, un nouveau petit chien est accueilli, le fiancé de Miss Toro rentre au bercail : les petites vies parallèles trouvent leur épilogue. La caméra revient sur Jefferies, devenu doublement impuissant par ses deux jambes plâtrées. Lisa arbore une nouvelle tenue, bien différente des précédentes : pantalon, chemisier et mocassins, elle a presque l’allure d’une baroudeuse. Elle lit un ouvrage sur l’Himalaya. Mais l’illusion est très vite rompue : Lisa, après avoir vérifié que Jefferies est bien endormi, retourne à ses premières amours et s’empare d’un magazine de mode. 3. Les différents points de vue - La vision subjective : Le film est basé sur les plans subjectifs de Jefferies et une série de champs-contrechamps qui montrent alternativement ce que Jefferies voit puis sa réaction. Les paroles deviennent alors inutiles et les sentiments se lisent sur le visage de James Stewart. Nul besoin pour le personnage de commenter ce qu’il observe. Hithcock utilise l’effet Koulechov : le montage influence le spectateur, les images ne prennent sens que les unes par rapport aux autres. Quelques changements de points de vue sont à noter. Ils n’apparaissent qu’à trois reprises : deux fois dans la cour (cf ci-dessus) et une dernière fois avec le regard du tueur sur Jefferies. - La position de Jefferies dans le film : Tout d’abord spectateur, il projette ensuite une histoire de meurtre (il devient projectionniste). Enfin, il met en scène son histoire lorsqu’il demande à l’infirmière et à Lisa de se rendre chez le tueur. A ce moment, nous tremblons en même temps que lui. Notre avance n’existe plus, nous sommes en phase avec le personnage. Dans le même film, le personnage principal qui ne bouge pas a des positions différentes. D’autres films de Hithcock révèlent cette capacité de mise en scène par ses personnages. Ainsi, dans Vertigo, le héros métamorphose la rousse en blonde comme un metteur en scène. 4. Les personnages - - Lisa : trop parfaite selon Jefferies, elle est celle qui ne porte jamais deux fois la même robe. D’apparence artificielle, elle se montre néanmoins très déterminée et fin stratège. Elle correspond aux critères de la femme hitchcockienne blonde et froide. Mais sous cette froideur se cache un volcan. Lisa apporte le luxe à Jefferies et s’oppose totalement à lui : ces deux personnages n’étaient pas faits pour se rencontrer. On retrouve ici l’idée d’Hitchcock selon laquelle les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes centres d’intérêt. La mise en scène l’indique à plusieurs reprises. Lors d’un dialogue entre les deux personnages, un montant de la fenêtre les sépare : Lisa parle avec enthousiasme de mode tandis que Jefferies se moque d’elle. De la même manière, certains objets révèlent leurs divergences : la boîte à cigarettes. Enfin, l’alliance que Lisa montre à Jefferies a un rôle particulier et un double sens: en plus d’être un indice important (la femme ne se serait pas séparée de cette alliance), elle est aussi un appel à Jefferies au sujet du mariage (la scène est de plus importante puisque le tueur se rend compte de la présence de Jefferies). Jefferies : son plâtre symbolise son immobilité et sa stagnation mentale. C’est la mort du bourlingueur (l’inscription sur le plâtre l’évoque : « Ci-gît… ». Le fauteuil roulant indique sa faiblesse. Jefferies est toujours vêtu d’un pyjama, ce qui accentue le côté enfantin et immature du personnage (à opposer aux tenues affriolantes de Lisa). Il ne - montre pas d’attrait ni de désir particulier pour Lisa et reste froid (signalé par l’infirmière qui lui fait prendre sa température). Les jumelles et le téléobjectif révèlent son désir de voyeur. Son métier de photographe justifie la suite du film. Jefferies s’ennuie dans son appartement et utilise les instruments à sa disposition pour regarder autour de lui. Le public joue le même rôle que lui et se retrouve dans la même situation : il a le même goût de regarder en cachette et d’assister à un meurtre. A ce propos, la réplique de Lisa est éloquente alors qu’elle ferme les rideaux pour mettre fin à la vision d’une scène intime : on serait déçu de ne pas assister à un meurtre, ce qui est ignoble. La morale de Lisa est reçue de plein fouet par le spectateur. Stella, l’infirmière : elle apporte l’humour et la décontraction nécessaires dans un film où la tension est à son comble. 5. La vision du couple Différentes visions du couple sont proposées à Jefferies. Tous les appartements montrent des états du couple qui ne peuvent pas satisfaire le héros : les jeunes mariés qui se disputent constituent le couple qui ne peut pas durer, le cœur solitaire qui tente de se suicider, le couple au petit chien, le cœur infidèle de Miss Torso en l’absence de son fiancé. Tout ce panel de gens renvoie à Jefferies une vision du couple qui ne lui plaît pas. On peut également se demander pourquoi Jefferies est intéressé par cet homme qui se débarrasse de sa femme. Peut-être que lui-même veut se débarrasser de Lisa. Et ce n’est que lorsque cette dernière devient une baroudeuse qu’elle trouve grâce à ses yeux (il déclare même sa fierté à la fin du film). Toutefois, les dernières images montrent que la communication entre hommes et femmes reste difficile. 6. Le décor et les objets - - La cour d’immeubles constitue un microcosme. Les échelles, passerelles et cordes renvoient au décor théâtral. Espace resserré, il s’adapte facilement à l’intrigue policière dans la mesure où il devient un espace que l’on peut maîtriser. La rue au fond propose un univers plus large grâce à son ouverture. Le décor est unique si bien que les objets permettent d’apporter une signification. ● La montre : obsession du temps qui passe (à mettre en relation avec la pendule que Hitchcock remonte au cours de son apparition). ● Le téléphone : autre moyen de communiquer avec l’extérieur, il fait également progresser l’enquête. Beaucoup d’informations arrivent par le téléphone. ● La scie, le grand couteau, les gros colis : ils servent d’indices pour confirmer la conviction de Jefferies. ● Les robes de Lisa : elle a les attributs de la femme fatale même si elle n’en endosse pas le rôle. ● Le thermomètre : indique la température extérieure et intérieure. A la fin du film, la température est descendue : tout est rentré dans l’ordre. 7. Les constantes chez Hithcock - La robe verte (Vertigo) Le verre de lait (Suspicion) La corde (The Rope) Le sac à main (Marnie) Le vide (Vertigo, North by Northwest) - Les bijoux (Family Plot)