Les Bleus en Coupe du Monde, pionniers de la France demain ?

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Les Bleus en Coupe du Monde, pionniers de la France demain ?
Les Bleus en Coupe du Monde, pionniers de la France demain ?
La coupe du Monde : une fenêtre ouverte sur d’autres univers
La Coupe du Monde suscite toujours un vaste engouement à la mesure de ce que sont
devenus le football et les compétitions sportives mondiales. On peut ressentir une saturation
du fait de l’envahissement de nos écrans par cette actualité mais il n’en demeure pas moins
qu’il s’agit d’un beau moment d’émulation, un spectacle superbe, une leçon d’esprit sportif,
de recherche de la perfection au prix de longs efforts pour les sélectionnés. C’est aussi un
moment d’apprentissage privilégié des différentes nationalités présentes, de la géographie et
des peuples présents à la compétition.
C’est aussi un moment d’éclairage particulier sur le pays hôte : désormais, peu de
personnes ignoreront que le Brésil, nation de football, puissance économique en devenir, n’en
reste pas moins un géant aux pieds d’argile, miné par des inégalités sociales insoutenables et
persistantes que ne masquent ni les fastes de la grande fête du sport ni les immenses stades
somptueux.
On est aussi forcément saisi d’un certain dégoût face au poids de l’argent dans le football, aux
salaires parfois mirobolants et sans doute à la corruption qui accompagne toujours les milieux
où l’argent coule à flots.
En même temps, la Coupe du Monde est un moment de nationalisme « soft », où la fierté
nationale s’exprime haut et fort mais où la fraternité n’est pas absente car nombreuses sont les
personnes qui supportent leur équipe nationale mais également d’autres équipes par affinité,
lien d’origine ou simplement par admiration.
Un moment politique important qu’illustre les polémiques habituelles sur les Bleus
Au-delà du sport, la Coupe du Monde est sans conteste un moment politique important.
Il n’y a qu’à voir l’implication des dirigeants politiques qui aiment se montrer avec les
équipes qui gagnent en temps de morosité économique et de doute, et la mobilisation
populaire immense derrière les équipes nationales. Inversement, on peut assister à une
exploitation populiste qui s’illustre par exemple par l’interdiction des drapeaux étrangers à
Nice lors d’un match de l’équipe d’Algérie.
Dans tous les cas, une équipe est toujours quelque part le miroir grossissant des échecs
ou des réussites d’un pays.
Que n’a-t-on entendu par exemple sur les Bleus ? La stigmatisation de la couleur des joueurs,
de leurs origines réelles ou supposées ou de leur religion a suscité des dérapages de nombreux
dérapages depuis des décennies. En pleine célébration de la victoire de 1998, l’intellectuel
médiatique en plein délire raciste, Alain Finkielkraut, a proclamé que l’équipe d’alors n’était
pas « black blanc beur » mais « black black black » et serait même la risée de toute l’Europe.
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D’autres dérapages ont suivi comme ceux très connus de Georges Frêche à qui l’équipe de
France faisait « honte » à ses dires. Les polémiques sur les Bleus renseignent donc bien sur
l’atmosphère délétère entourant la question de l’immigration et de l’intégration et à la
persistance chez certains responsables politiques ou certains simples citoyens du refus
d’accepter les enfants d’immigrés comme Français à part entière.
Sur les Champs Elysées le 12 juillet 1998 au soir : une foule bigarrée, métissée, joyeuse se
saluait, s’embrassait, se tapait dans les bras, se faisait des accolades et scandaient ce qui reste
pourtant une utopie aujourd’hui inimaginable en France – un président « rebeu », vous
pensez ! – en France « Zidane Président ! ». Ce jour-là, rare dans l’Histoire de France, la
Fraternité avait un visage, une âme, une force qui faisaient tomber tous les préjugés, tous les
racismes. Mais cela n’a duré qu’une nuit hélas. La force tenace des préjugés a vite repris le
dessus. Puis la Coupe du Monde en Afrique du Sud a été un déchaînement de critiques.
L’équipe d’alors n’avait certes pas honoré son pays et ses supporters par un comportement
peu digne. Tous les préjugés sont ressortis : riches, mal élevés, suspects de ne pas être
patriotes.
Derrière les critiques, un racisme à peine déguisé
Certains ne chantent pas la Marseillaise. Mais Platini ne la chantait pas non plus et aucun
commentateur ne le relevait. Mais quand le « coupable » est noir ou d’origine nord-africaine il
est immédiatement suspecté de non-francité, de manque de patriotisme voire de trahison. Si
en plus l’ perd le match ou se révèle moins bon que d’habitude, il est bon pour un lynchage
verbal non-stop.
Disons le : il y a une proportion importante de « colorés » dans l’équipe de France. Mais
d’abord ce sont des Français, sinon ils ne joueraient pas en équipe de France ! Pogba est né en
Seine-et-Marne et Benzéma à Lyon. Il est pourtant facile de constater que dans d’autres pays
n’ayant pas de passé colonial ni d’immigration de longue date – immigration qui fait la force
et la richesse de la France – les équipes sont souvent monocolores. Ce qui d’ailleurs ne leur
réussit pas toujours (Espagne par exemple).
En réalité, derrière les critiques, s’exprime en fait un racisme toujours latent : il y aurait d’un
côté les Français blancs et les autres. Bref, des vrais et des faux Français1. L’absurdité d’un tel
préjugé c’est que l’ont sait maintenant qu’une grande majorité de Français compte dans son
ascendance proche des Français venus d’ailleurs. C’est cela même l’identité de la France car,
comme le dit Fernand Braudel au début de l’Identité de la France « La France se nomme
diversité ». Donc soit on aime l’équipe de France telle qu’elle est, soit pas d’équipe de France
du tout car pour gagner elle ne peut qu’accepter et intégrer tous les talents d’où qu’ils
viennent, quelle que soit leur apparence physique, quelle que soit leur origine sociale dès lors
qu’ils s’engagent pour leur pays.
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Près de 20 % de la population française est immigrée ou née d'au moins un parent immigré
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Les Bleus symbolisent l’ascension par le talent, acceptée dans le secteur du sport, refusée
ailleurs
Car ce qui se cache derrière cette présence de la couleur dans notre équipe nationale,
c’est aussi un miracle que l’on trouve peu ailleurs dans les autres secteurs de la société :
l’ascension par le talent. Les enfants des cités défavorisés, que l’école républicaine a
délaissés, que les services publics ont abandonnés dans leurs cités, que l’Etat oubliés, trouvent
encore heureusement dans le sport – et la musique – des voies de réussite, d’émancipation et
de réalisation personnelle.
C’est là qu’il faut aussi nuancer fortement le propos car on a trop entendu que les enfants
d’immigrés sont enfermés dans ces disciplines, ce qui sous-entendrait qu’ils ne réussissent pas
ailleurs, dans d’autres secteurs de la société.
Or cela est faux : on ne compte plus les nombre de médecins, d’avocats, de journalistes,
d’enseignants, de diplômés de grandes écoles « visibles » par leur apparence. Les enfants
d’immigrés sont désormais présents dans tous les compartiments de la société française,
malgré les préjugés tenaces, la fermeture tenace des grandes écoles, les discriminations
insidieuses, les hésitations absurdes et injustes à leur confier des responsabilités.
Le plafond de verre se dresse encore devant les minorités visibles
Minorités visibles, ils demeurent cependant invisibles. Comme naguère les femmes, dont la
situation s’améliore, ils peinent à franchir le redoutable plafond de verre : on les voit peu dans
les médias, quasiment pas en politique, presque jamais dans les productions
cinématographiques et télévisuels, exceptés quelques productions récentes audacieuses
comme Intouchables ou Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? Là où il y a du pouvoir, les
portes sont closes.
Un exemple frappant est celui de Tidjane Thiam2, ce brillant polytechnicien d’origine
ivoirienne, sorti major de l’école des Mines. Alors que ses camarades de promotion étaient
harcelés par les chasseurs de tête, après une expérience chez Mac Kinsey, il ne trouve aucun
poste à la hauteur de ses talents en France. Cette expérience du silence ou du refus poli et
gêné devant le patronyme ou la couleur, de nombreuses élites françaises d’origine étrangères
la connaissent : c’est une blessure au cœur des victimes et un coup de canif qui déchire le
pacte républicain. Alors, il s’installe à Londres où lui est confiée la direction d’une des plus
grandes compagnies d’assurance britannique, Prudential et conseille le Gouvernement
britannique sur des questions économiques.
Il faut donc célébrer L’Equipe de France de Football car elle est pionnière de ce que devrait
être la société française si elle veut gagner dans la mondialisation : donner à tous ses enfants
qui ont du talent la possibilité de l’exprimer au plus haut niveau, sans discrimination, sans
plafond de verre, pour l’intérêt de tous. L’Allemagne a éliminé cette équipe et l’Allemagne a
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Cf. par exemple l’article du Point : Tidjane Thiam, ce prophète dont la France n’a pas voulu, 13 mars 2014
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une santé économique insolente. En réalité, l’Allemagne a plus de souci à se faire car son
équipe monocolore – à l’exception de Boateng – reflète le conservatisme et le long refus de
l’Allemagne de sortir du droit du sang pour intégrer et naturaliser ses immigrés. L’économie
allemande ne pourra qu’aller en s’affaiblissant dans les décennies à venir car sa base – sa
démographie – est chancelante. Le taux de natalité n’y est plus que de 1,39 enfant par femme
ce qui n’assure pas le renouvellement des générations3. 42% des habitants ont plus de 50 ans
(contre 36% en France). Le ministère du travail allemand estime à 200 000 immigrés par an
pour combler le déficit démographique et combler les postes qui ne trouvent pas de preneurs.
L’équipe d’Allemagne triomphante pourrait n’être qu’une façade des problèmes de
l’Allemagne.
S’inspirer des Bleus pour faire gagner la France dans la mondialisation
L’Equipe de France de football peut donc être regardée comme le symbole d’une France qui
peut gagner dans la mondialisation lorsqu’elle rassemble ses forces, sa diversité et tous ses
talents. Elle porte un message très fort aux jeunes générations reléguées dans les banlieues et
victimes de discriminations. Elle porte également un message aux citoyens, aux entreprises et
au Gouvernement à qui des recommandations simples peuvent être adressées.
Aux citoyens : surmonter les préjugés souvent trompeurs sur les immigrés, refuser la facilité
des votes extrêmes, s’ouvrir à d’autres cultures proches et enrichissantes, croire à l’unité des
Français d’où qu’ils viennent.
Aux entreprises : de nombreuses entreprises pratiquent des discriminations à l’embauche ;
notamment les DRH et leurs équipes doivent prendre la résolution de lutter contre le réflexe
d’écarter les profils « différents » ; outre le délit illégal qu’ils pratiquent ainsi, ils desservent
leur entreprise en se privant de talents, de sources de créativité, d’énergie mais également
d’une capacité à conquérir des marchés internationaux pour les entreprises qui exportent.
Au Gouvernement : il est temps de faire un bilan de la lutte contre les discriminations sur les
20 dernières années et d’étendre ce bilan aux administrations publiques qui ne sont pas
exemptes de pratiques discriminatoires comme on en sécrète toute organisation. Une véritable
politique doit être menée, plus volontariste, ferme et intransigeante. La disparition de la
HALDE est un recul sur lequel nous reviendrons. Une réflexion urgente doit être menée sur
une nouvelle instance spécialisée sur un sujet essentiel pour la cohésion nationale et l’égalité
de tous les citoyens.
Marius Evora*4
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La France présente un taux de 2, taux correspondant au renouvellement des générations.
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Pseudonyme d’un spécialiste du sport et de la diversité
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