Grand Magal de Touba

Transcription

Grand Magal de Touba
Comité d’organisation du Magal de Touba
Commission chargée de la Culture et de la Communication
Grand Magal de Touba
Dimension religieuse et sociale
Sam Bousso Abdour-Rahmane
Touba 2012
Titre : ‫ﹺ‬Etude sur l’impact religieux du Magal de Touba
Auteur : Sam Bousso Abdour-Rahmane
Dépôt légal : 2012 MO 3118
ISBN : 978-9954-31-706-8
Imp : Imprimerie El Maarif Al Jadida-2012/Rabat
Grand Magal de Touba
Dimension religieuse et sociale
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INTRODUCTION
Louange à Allah, que Sa bénédiction et Son salut soient sur le Prophète
Mohamad, sur sa famille, sur ses compagnons et sur tous ceux qui le suivent.
Les musulmans du Sénégal, en général, et les mourides, en particulier, célèbrent
depuis presque neuf décennies, à l’occasion du 18 safar1, la commémoration du départ du Cheikh Ahmadou Bamba en exil vers le Gabon « al-ghayba al-bahryya »2,
à travers un évènement appelé « Magal3 ».
La date du 18 Safar revêt pour les mourides une importance particulière. C’est
en effet une journée de grâce, de remerciement et de réjouissance magnifiant les
bienfaits accordés à Cheikh Ahmadou Bamba par son Seigneur. Cette date marque
le début de dures épreuves et de souffrances endurées durant son exil. C’est le
Cheikh lui-même qui a initié cette célébration pour témoigner sa reconnaissance
au Seigneur.
Le Magal est donc un moment, une occasion de rendre grâce à Dieu pour avoir
permis au fondateur du Mouridisme d’accéder à un grade supérieur dans la hiérarchie spirituelle mystique. Le Cheikh avait toujours aspiré à cette élévation mystique qu’il ne pouvait atteindre qu’à travers une épreuve. C’était l’exil et toutes les
difficultés qu’il a dû affronter pendant plus de 7 ans. Pour lui, c’était une façon pour
Dieu de l’éprouver avant de lui permettre d’accéder au grade auquel il aspirait.
Ce grade était si important pour lui qu’il s’estimait modeste dans sa propre capacité à rendre grâce à Dieu. C’est ainsi qu’il a sollicité et exhorté ses adeptes et tout
musulman qui le peut à l’aider dans l’accomplissement de cette tâche.
1 - Deuxième mois du calendrier musulman.
2 - Cette formulation a été faite par le Cheikh pour désigner ses années d’exil au Gabon entre 1313 et 1320 de
l’hégire, soit de 1895 à 1902 du calendrier grégorien.
3 - Magal est un terme wolof qui signifie : magnifier quelque chose, lui accorder un grand intérêt. Au départ,
les disciples mourides voulaient concevoir la célébration du 18 Safar comme une seconde fête du Sacrifice
(fête du mouton), en parlant de « tabaski wat » en wolof) compte tenu des ressemblances entre les deux
évènements. Le Cheikh a interdit cette appellation et donné le terme «magal» selon Serigne Thierno Bousso
Moulaye et Serigne Afé Niang.
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Il a aussi indiqué les modalités de cette action de grâce en recommandant aux
disciples de lire le Coran, de faire du dhikr et de mener toutes activités cultuelles
agréables à Dieu.
Chaque année donc, un grand nombre de personnes, estimées à des millions,
issues des différentes franges de la société sénégalaise, convergent vers la ville
sainte de Touba.
Cette occasion constitue aussi un lieu de rencontre de plusieurs délégations des
autres confréries soufies du pays, des associations islamiques, du corps diplomatique et d’institutions religieuses venant de plusieurs pays. La présence des médias
nationaux et étrangers y est de plus en plus marquée.
♦ ❍♦
Le Grand Magal de Touba, considéré comme l’un des plus grands évènements
religieux du Sénégal et de la sous-région, et peut-être même du monde islamique, a
déjà fait l’objet de plusieurs études et publications. On peut citer, à titre d’exemple,
une étude remarquable et inédite effectuée sous l’égide de la commission Culture et
Communication du Comité d’organisation du Magal en 2011. Cette étude relative à
l’impact du Magal sur l’économie sénégalaise a été confiée au cabinet Emergence
Consulting4 qui a réalisé et publié la première partie en 2011. La publication de la
seconde partie est attendue dans l’année 2012.
D’autres études ont été menées par le passé, mais ne permettent pas cependant
de mesurer l’impact de l’évènement dans la société sénégalaise sur les plans social
et religieux. C’est pour contribuer à pallier cette lacune que nous avons entrepris ce
travail de recherche axé sur les dimensions religieuses de ce grand rassemblement
annuel.
♦ ❍♦
Le Magal est par essence un évènement religieux. Dès lors, de notre point de
vue, les dimensions religieuses revêtent les aspects les plus importants même si les
retombées économiques et sociales sont indéniables.
Les deux premières parties de cette publication traitent de la signification du
« Magal », de son origine et des modalités de sa célébration selon les recommanda-
4 - Monographie sur l’impact socioéconomique du grand magal de Touba au Sénégal, Emergence Consulting,
novembre 2011.
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tions de Cheikh Ahmadou Bamba. Les références relatives à ces deux parties sont
tirées des écrits du Cheikh5, des travaux consacrés à sa biographie et des traditions
orales jugées authentiques. La troisième et dernière partie est consacrée à l’impact de l’évènement sur le plan religieux. Elle s’appuie sur une enquête effectuée à
l’aide d’interviews et de questionnaires.
Nous avons fourni en annexes les détails relatifs à l’enquête ainsi que le sermon
de Cheikh Abdoul Ahad, troisième khalife du Cheikh, à l’approche du Magal de
1979, et un extrait du discours de Cheikh Mohamadoul-Amine Bara, sixième khalife, à l’occasion du Magal de l’année 2009.
5 - L’appellation ‘’Cheikh’’ est employée dans le texte pour désigner Cheikh Ahmadou Bamba.
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APERÇU SUR LA VIE DE CHEIKH AHMADOU BAMBA
Le Cheikh1
Cheikh Ahmadou Bamba, de son vrai nom Ahmad ibn Mouhammad ibn Habibal-Lahi, est né à Mbacké Boal en 1853. Sa famille vivait dans une zone où l’activité scientifique était très intense. Son père s’appelle Mohamad, connu sous le nom
de Mame Mor Anta Saly. Il fut un grand érudit et un juge émérite très respecté
par les rois et princes, et vénéré par les savants. Son école était le lieu de rencontre
de tous les juges. Son oncle maternel Mohamad Bousso fut parmi les plus grands
savants de son époque. Sa mère, Mariam Bousso, est plus connue sous le nom de
Djaratoul-Lahi (voisine de Dieu) par sa piété et ses vertus.
Le Cheikh a mémorisé le Saint Coran à très bas âge. Il a acquis une solide formation auprès de maîtres réputés dans bien des disciplines (littérature, sciences religieuses, science mystique, exégèse, etc.) et une science d’inspiration « divine ».
C’est après peu de temps après le rappel à Dieu de son père que s’est déclenchée
sa mission réformatrice, vers 1883-1884, quand il a réuni les élèves de son école
en leur disant : « Celui qui nous avait accompagné dans le seul but d’apprendre
peut aller voir ailleurs, là où il veut. Quant à celui qui cherche les mêmes buts que
nous, qu’il continue avec nous dans notre nouvelle voie ».
Cette déclaration a dû provoquer de vives réactions dans les milieux religieux,
culturels et sociaux. Car certains maîtres et chefs traditionnels s’étaient montrés
hostiles quand ils avaient commencé à constater que beaucoup de leurs disciples se
tournèrent vers lui. Ils l’accusaient surtout de chercher uniquement à influencer les
masses à des fins hégémoniques.
Quant aux colonisateurs et leurs compères parmi les rois et les princes, ils étaient
eux aussi très inquiets. Son appel avait opéré en effet une profonde entorse dans les
structures sociopolitiques de l’époque. On l’accusa ainsi de préparer une révolution
armée.
1 - Cf. Le Mouridisme et son fondateur, Sidy Mokhtar KA, brochure publiée par Rawdu Rayâhîne, 2008.
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Mais le Cheikh avait compris très tôt de par sa perspicacité qu’il était vain de
résister à la domination coloniale par des armes. Pour lui, le meilleur moyen pour
les combattre consistait à miser sur l’enseignement et l’éducation des masses.
Malgré tout cela, les calomniateurs avaient réussi à dresser les autorités coloniales contre lui, ce qui lui avait valu une convocation pour comparaître à SaintLouis, la capitale coloniale d’alors, dans le cadre d’un factice procès de jugement
qui n’était qu’une sorte de complot ourdi contre lui pour l’exiler au Gabon, malgré
l’absence de la moindre preuve pouvant le condamner.
Cet exil du Cheikh a duré plus de sept ans, de 1895 à 1902. Après son retour
d’exil, il a subi un second exil en Mauritanie où il a passé quatre ans de 1903 à
1907.
Puis, les colonisateurs l’ont assigné à résidence à Thiéyène, un village situé dans
le nord-est du Sénégal pendant cinq ans jusqu’en 1912, l’année où il sera transféré
à Diourbel encore en résidence surveillée jusqu’à son rappel à Dieu en 1927. Il sera
transporté et inhumé à Touba.
La ville de Touba
La ville de Touba se situe au centre du Sénégal dans le bassin arachidier à environ 190 kilomètres de Dakar. Elle a été fondée par le Cheikh en 1888, sept ans
avant son exil au Gabon.
Ce vocable Touba2 apparaît une fois dans le CORAN, au verset 29 de la sourate 13 Ar-Rad où le TOUT PUISSANT dit: Ceux qui croient et font de bonnes
oeuvres, auront le plus grand bien (Touba) et aussi le plus bon retour .
Le village se trouvait au milieu d’une contrée hostile, dépourvue d’eau où ne
pouvait résider que celui qu’habitait la volonté de se détacher des hommes. Ceci
explique pourquoi le Cheikh affirmait : «la raison pour laquelle TOUBA et Darou
Salam me sont plus chers que les autres lieux que j’ai édifiés réside dans la sincérité de l’intention qui m’inspira l’idée de les fonder. Je n’y suis pas venu pour
suivre les traces d’un ancêtre, ni pour chercher un site propice à la culture, ni pour
découvrir un pâturage. Mais uniquement pour adorer DIEU l’Unique, avec Son
Autorisation et Son Agrément».
2 - Ce mot signifie étymologiquement la bénédiction la félicité le plus grand bien, on apporte dans la tradition
que c’est le nom d’un arbre du paradis ou c’est l’un des nom du paradis،
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Jusque vers la fin des années 70, Touba, petite ville à la lisière du Ferlo, ne
comptait que 30 000 habitants. Lesquels se consacraient essentiellement à l’agriculture, luttant ainsi contre les aléas naturels comme la sécheresse.
Touba va cependant connaître une évolution majeure à la fin des années 70.
Il s’agit d’une évolution se résumant en une expansion démographique et qui va
complétement bouleverser son mode de vie et de fonctionnement. D’une situation
de ville de rassemblement et de retraite pieuse, elle va passer à celle d’une métropole économique de 250 000 habitants dans les années 90, dont 50 % évoluant dans
le secteur tertiaire, particuliérement dans le commerce.
Avec une croissance démographique phénoménale (plus de 15% par an) et une
attirance religieuse toujours plus grande, la ville de TOUBA devient la deuxième
ville du Sénégal sur la plan démographique (12% de la population du Sénégal)3
Le Magal
Le mot « Magal » est apparu pour désigner cette célébration que les mourides,
organisent le 18 safar de chaque année, sur les ordres du Cheikh Ahmadou Bamba,
le fondateur du Mouridisme, lui-même.
Cette célébration est devenue l’un des plus grands évènements religieux du Sénégal qui attire à Touba, chaque année, de très grandes masses humaines composées
de différentes franges de la société.
3 - Cf: www.majalis.org.
PREMIERE PARTIE
ORIGINE ET SIGNIFICATION DU MAGAL
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ORIGINE DU MAGAL
Il est essentiel de rappeler et de préciser que Cheikh Ahmadou Bamba n’avait
recommandé la célébration du 18 safar que dans le seul but de mettre en application
des ordres reçus de Dieu et non pas uniquement de perpétuer sa commémoration.
Pour comprendre l’origine du Magal, nous devons revenir sur les causes de l’exil
du Cheikh au Gabon et ses effets selon le Cheikh lui-même (que Dieu l’agrée).
Les épreuves et les bienfaits de l’exil
Déjà dans la deuxième moitié du XIXème siècle, le Sénégal, comme la plupart des
pays d’Afrique occidentale, était sous le joug de la domination coloniale qui avait
fini d’étendre ses tentacules sur l’ensemble du territoire. Après avoir conquis les
royaumes et hypothéqué le système économique et social, le colonisateur postulait
une lutte à outrance contre l’Islam qui constituait le principal obstacle à sa stratégie de domination politique et d’aliénation culturelle. En effet, selon les mots de
Cheikh Anta Diop, « l’impérialisme culturel est la vis de sécurité de l’impérialisme
économique ».1
C’est dans ce contexte particulièrement difficile et défavorable à l’Islam, devenu
orphelin, qu’apparut Cheikh Ahmadou Bamba avec comme mission de secourir ses
concitoyens, déboussolés et persécutés, pour leur offrir un cadre adéquat où les uns
et les autres allaient pouvoir adorer leur Seigneur. Des masses accoururent vers lui
pour bénéficier de ses enseignements et de son éducation qui transcendaient les
contingences terrestres pour s’inscrire dans la voie tracée par son Seigneur. Sa notoriété et son aura, toujours grandissantes, suscitèrent jalousie chez certains notables
et chefs traditionnels, et crainte à l’autorité coloniale. Il fut entres autres accusé de
vouloir organiser la Guerre sainte contre l’occupant, accusation d’autant plus infondée et invraisemblable que le Cheikh était catégoriquement opposé à toute forme
de violence. Son seul recours et protecteur était son Seigneur, Le Tout-Puissant ;
sa seule préoccupation était de vivifier la tradition du Prophète Mohammad (PSL)
dont il est devenu un serviteur privilégié.
1 - Cheikh Anta Diop in Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire.
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Suite à un procès calomnieux et fallacieux, les autorités coloniales décidèrent de
l’exiler en Septembre 1895 au Gabon pendant plus de 7 ans, ensuite en Mauritanie
avant d’être mis en résidence surveillée à Thiéyène puis à Diourbel.
Ignorant que « les mesures persécutrices sont toujours puériles lorsqu’elles touchent aux choses de l’esprit », ses ennemis multipliaient les infortunes d’année en
année pendant tout son périple périlleux sur mer et sur terre. Quand la date du 18
Safar revenait, les souffrances et les brimades de toutes sortes s’accentuaient sur
lui, cela durant les sept années d’exil au Gabon, les cinq années passées en résidence surveillée au Djolof et les premières années à Diourbel. Alors qu’il se préparait
à endosser, comme d’habitude, avec fermeté, dignité et patience, le renouvellement
de son fardeau, son Seigneur lui fit savoir que les clauses de son contrat étaient honorées. Il n’avait par conséquent plus à endurer quelques charges que ce fût, mais
plutôt à recevoir la récompense et Lui rendre grâce. C’est tout le sens du Magal.
L’une des lois constantes de Dieu consiste à mettre en épreuve ses esclaves et les
héritiers du Prophète pour montrer la véracité de leur foi et leur forte endurance, avant
qu’Il ne les choisisse parmi ses proches et leur accorde sa plus grande alliance.
C’est à cet effet qu’Allah dit dans le Coran : Les gens pensent-ils qu’on les
laissera dire qu’ils croient sans les éprouver ? (Coran, S.29, V.02).
Il dit aussi : Et Nous avons désigné parmi eux des dirigeants qui guident les
gens par Notre ordre aussi longtemps qu’ils endurent et croient fermement en Nos
versets (Coran, S.32, V.24).
Les épreuves vécues par Cheikh Ahmadou Bamba, entre les mains des autorités
coloniales françaises, ne dérogent pas à cette loi car il a subi les oppressions et les
tortures les plus atroces.
C’est après la disparition de Mame Mor Anta Saly, vers 1300 de l’hégire, que le
Cheikh a lancé un appel à l’endroit de ses adeptes dans le but de les éduquer par la
himma2 sur les ordres de Dieu et de son Prophète (PSL).
Il prit alors l’option du Djihad par le Savoir et la Piété (Innî ujâhidu bil‘Ilmi
wa-t-Tuqâ) selon sa propre expression, pour sauver sa nation des gouffres de l’égarement, de l’ignorance, de l’humiliation et de l’ignominie, et pour élever l’étendard
de l’Islam et diffuser son message.
2 - Himma (‫ )ﻫﻤﺔ‬signifie littéralement : ambition haute, détermination.
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D’un autre côté, le Cheikh, dans son ambition d’accéder aux plus hauts rangs
parmi les hommes de Dieu, a signé un pacte d’allégeance avec le Prophète Mohamad (PSL) pour être son serviteur. Ainsi, dit-il :
« Je signe aujourd’hui un pacte d’allégeance avec le messager nommé Moustapha
Pour être à son service. Que Dieu fasse que j’honore l’engagement. »3
L’exil du Cheikh et sa déportation par le colonisateur, de son pays, des siens et
de ses disciples en l’an 1313 de l’Hégire correspondant à 1895, étaient une dure
mise à l’épreuve de la part de Dieu. Et cette épreuve devait servir comme escalier
lui permettant d’accéder au plus haut rang des hommes vertueux et d’honorer les
engagements liés à son pacte d’allégeance.
Dans sa marche vers l’exil, là où on le prenait pour un prisonnier entre les mains
des colonisateurs, le Cheikh disait qu’il se voyait, lui, en compagnie des nobles
anges (al abrar4) :
« Je cheminais avec les Gens Vertueux de Badr lors de ma
marche vers l’Exil, alors que mes persécuteurs croyaient que
j’étais leur prisonnier. »5
« Il se trouve dans un énorme égarement, celui qui me prenait
pour un prisonnier
A moins qu’il me prît comme un prisonnier du Maître de toutes les facilitations »6
« Il s’est égaré, celui qui me croyait dans mon exil comme un
prisonnier
Autre que pour Celui qui guidait mes pas vers ma patrie »7
3 - Dans le poème du Cheikh intitulé « Futohul Mukarram » (les victoires du Vénéré).
4 - Al-abrar signifie aussi les hommes vertueux de Dieu.
5 - Premier vers de son poème « Assîrou ».
6 - Poème écrit en acrostiche des lettres de l’alphabet arabe ‫ﺃ ﺏ ﺕ ﺙ‬
7 - Du poème écrit en acrostiche de l’expression « Yâ man amdaytni bi ridaka » : Ô vous grâce à qui je suis
passé.
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Pendant l’exil, le Cheikh a enduré beaucoup d’épreuves faites de privations et de
turpitudes qu’il sut supporter grâce à sa foi en Dieu. L’ampleur des épreuves qu’il
a vécues est indescriptible et dépasse l’entendement. Lui-même relate ce qu’il a
rencontré dans une des îles où il a effectué un séjour en ces termes :
« Après ma sortie de cette île, je suis entré dans une autre île
avec des peines qui ne peuvent être comparées qu’avec la sortie
de l’âme du corps. »8
Une autre épreuve de l’exil est d’avoir éloigné le Cheikh de sa demeure, des siens
et de ses disciples. Mais toutes ces épreuves n’étaient qu’un moyen, pour le Cheikh,
d’obtenir des dons sublimes et des bienfaits innombrables de son Seigneur.
Cheikh Mohamad Al-Bachir disait à ce sujet : « Un jour, j’étais chez le Cheikh
et on avait évoqué certaines peines et épreuves qu’il avait endurées pendant son
exil. Quelqu’un de l’assistance avait poussé un profond soupir pour manifester son
indignation avant de dire : « Mon Dieu, quelle dure épreuve ! » Notre Cheikh sourit
et dit : « Elle était certes très dure, mais qu’à Dieu ne plaise pour qu’elle ne se soit
produite. Car, en effet, le rang et l’avantage qui m’ont été accordés n’auraient pu
être obtenus que pour une cause qui leur fût proportionnelle en grandeur. »9
Toutes les peines et souffrances vécues par le Cheikh durant son exil deviennent
en effet marginales par rapport à la généreuse rétribution divine qu’il a obtenue
conformément à la parole coranique : Et les endurants auront leur pleine récompense sans compter (Coran S.39, V.10). Les expressions utilisées par le Cheikh
lui-même à cet égard sont très significatives. En voici quelques unes :
« C’est dans cette île que mon Seigneur m’a montré les défauts
de ma propre âme et il m’en a totalement purifié jusqu’à ce que
je sois totalement devenu digne d’être le serviteur du Prophète
(que la paix et le salut soient sur lui) ; cela après avoir fait de
moi un esclave totalement voué à Dieu (que Son Nom soit loué et
exalté). Et j’ai continué jusqu’à ce que Dieu m’ait donné de par
8 - Cf. Jazaou shakur de Cheikh A. Bamba (la récompense du Très Reconnaissant et Bienveillant), manuscrite.
9 - Minanul Bâqi al-Qadim (Les bienfaits de l’Eternel) de Cheikh Mouhamad Al-Bachir Ibn Cheikh Ahmad
Bamba.
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sa générosité des dons qui ne seront jamais niés si ce n’est par
un malheureux qui sera éconduit de la sainte sommité divine »10
Il dit dans l’un de ses poèmes11 :
« Si quelqu’un de rancunier m’a jeté au large de la mer pour
nier mes mérites
Il faut dire qu’il m’est arrivé dans la mer toute la générosité du
Seigneur très Généreux »
Les bienfaits et dons miraculeux du Cheikh, qu’ils soient apparents ou cachés,
dépassent une simple rétribution ; ils sont l’expression d’une générosité et d’une
grâce infinies du Seigneur : Telle est la grâce d’Allah qu’Il donne à qui Il veut. Et
Allah est le Détenteur de l’énorme grâce (Coran S.62, V.4).
Cheikh Mouhamed al-Amin DIOP a rapporté du Cheikh :
« Dieu par sa grâce et sa générosité a rendu les peines que j’ai subies durant
mon exil à cause de mes ennemis semblables à celles subies par les prophètes à
cause de leurs ennemis. Dieu a aussi rendu les bienfaits apparents et cachés à court
et à long termes résultant de cet exil semblables aux bienfaits reçus par les nobles
Prophètes. De même qu’Il a rendu les nuisances qui vont s’abattre sur mes ennemis
qui ne se sont pas repentis semblables à celles qui s’abattent inéluctablement sur
les ennemis des Prophètes qui ne se sont pas repentis. Tout cela constitue un signe
de miracle (mu’jiza) pour les prophètes et un signe de don miraculeux (karama)
pour moi. Tous mes remerciements et mes louanges à Dieu pour cette grande faveur
de marcher sur les pas des prophètes. »
« L’un des secrets de mon exil réside dans le fait que Dieu m’a
gratifié de dons miraculeux qui entrent dans le cadre des miracles du Prophète Mohamad (PSL). Ces dons miraculeux sont le
fait de me donner la victoire sur mes ennemis avant même que je
n’apparaisse devant eux ; le fait de me donner une science qui
n’est pas la résultante d’un apprentissage ; le fait que le Prophète Mohamad se glorifie de mon exil pendant dix ans devant
ses confrères prophètes et du service sincère que je lui ai rendu
10 - Jazâ-u shakur.
11 - Son célèbre poème intitulé «Mimiya».
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durant cet exil ; le fait que Dieu m’ait fait aimer par tout homme
de bonheur ; le fait de désespérer Ibliss (Satan) et tous ses partisans de moi ; le fait de me faire aimer des nobles anges ; enfin,
le fait de me faire aimer des croyants parmi les Djinns. »12
Il dit aussi :
« J’ai écrit, un jour de samedi à Galwa, après avoir achevé mon
combat (djihad) et m’être débarrassé de tous les fléaux :
Louage à Dieu qui m’a dompté les ennemis et conduit vers moi
tous mes besoins
J’ai gagné à Galwa et à Bafaly de quoi éclairer tous les fora
(mahfal)
J’ai bénéficié de mon commerce lors de mon exil et je rends grâce à Celui qui m’a honoré dans mon terroir. »13.
12 - Cf. Irwâ oun-nadim de Cheikh Mouhamed al-Amin DIOP, annoté par Dr Mouhamed Chaqrun, pp. 232233.
13 - Son recueil intitulé al-Fulku al-Mashun (Le bateau chargé).
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SIGNIFICATION DU MAGAL
Le Magal de Touba revêt un caractère multidimensionnel pour tous les musulmans, en général, et les mourides, en particulier. Le mot Magal signifie glorifier,
étymologiquement en wolof. Seulement, l’originalité du grand Magal de Touba
réside à deux niveaux.
D’abord, contrairement à ce qu’on a l’habitude de célébrer, il marque le début de
dures épreuves et de souffrances endurées par le Cheikh durant l’exil.
Ensuite, c’est le Cheikh qui l’a initié (à Diourbel) pour la première fois et a recommandé à ses fidèles de se souvenir de ce jour béni durant lequel il a obtenu tout
ce qu’il voulait de son Seigneur. « Celui pour qui mon bonheur est le sien, où qu’il
se trouve, devra tout mettre en œuvre le jour du 18 Safar pour rendre grâce à Dieu,
car, disait-il, mes remerciements personnels ne pourraient suffire pour témoigner
ma reconnaissance au Seigneur. »
Le Magal constitue un moment privilégié pour chaque musulman de magnifier
en parfaite symbiose, avec le Cheikh, les innombrables bienfaits que Dieu lui a
accordés. Cela est conforme aux enseignements coraniques : Si vous êtes reconnaissants, très certainement j’augmenterai mes bienfaits pour vous. Mais si vous
êtes ingrats, mon châtiment vous sera terrible (Sourate 14, Verset 7). Il est indispensable donc de comprendre le sens véritable et la portée du Magal, de le célébrer conformément aux recommandations du Cheikh afin de pouvoir bénéficier des
grandioses bienfaits accordés au serviteur du Prophète (PSL).
A l’origine, chaque talibé célébrait le Magal là où il se trouvait, pourvu d’être
conforme aux recommandations du Cheikh. Avec le temps, le deuxième calife,
Cheikh Muhamad al-Fadel, a eu l’idée de rassembler tous les mourides à Touba.
L’acte s’inscrit dans le cadre du raffermissement de la cohésion de la communauté.
Il y avait ainsi des objectifs spirituels, mais aussi des objectifs sociaux (rencontre, échanges, etc.) et économiques dans la mesure où des ruraux venus avec leur
production peuvent les écouler facilement avec l’arrivée de citadins. Un courant
d’échanges se crée ainsi entre les deux groupes. Tout cela n’était pas absent de l’esprit de celui qui a donné cette forme au Magal. Car au départ, chacun le célébrait
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chez lui. Le deuxième calife a estimé qu’il était très profitable à la communauté de
rassembler tout le monde à Touba pour célébrer le Magal.
La particularité du Magal repose sur l’importance que les Mourides donnent
à l’événement, car pour le mouride, le fait de participer au Magal est devenu une
composante de sa doctrine.
Il y a deux particularités pour le Magal : l’importance de l’événement et la place
qu’il occupe dans le calendrier mouride. A ces deux particularités, on peut ajouter
une troisième, c’est-à-dire la manière dont chacun célèbre le Magal. Le Cheikh
avait demandé aux talibés, pour les besoins du jour, d’immoler des bêtes pour la
grâce de Dieu. Il incombe à tout un chacun de faire de son mieux pour rendre la
fête agréable. Le sacrifice peut varier : allant du poulet au chameau, le don de soi,
la disponibilité, la serviabilité, la patience, le recueillement.
C’est par la grâce de Dieu que le Cheikh a réussi toutes les dures épreuves rappelant «les épreuves de la sourate Al-Ankabût » (l’Araignée), selon ses propres
termes.
Pendant cet exil, il a rencontré des choses qui ne seront dévoilées à personne,
comme il le dit : « J’ai rencontré dans cette île ce que je ne dévoilerai à personne.
Ceci en signe de politesse avec le Seigneur qui est le plus digne de remerciement ;
cette éducation est aussi un don de la part de l’Éternel qui ne meurt jamais »1.
Pour justifier la célébration du Magal, il importe de citer le discours de Serigne
Saliou Mbacké, Calife général des Mourides, à l’avènement du Magal de 1991 :
« Je voudrais rappeler à mes condisciples la recommandation faite par Serigne
Touba. Il quitta sa maison au Djolof et les siens le 18 du mois lunaire Safar 1895
pour remplir le contrat conclu entre lui et Dieu, un contrat se résumant en ceci : il
devait être gratifié de dons et de grâces sublimes moyennant des actes de dévotion
et de souffrances dont celui de braver les ennemis de Dieu de son temps, les colonialistes. Les infortunes se multipliaient d’année en année pendant tout son périple
périlleux sur terre et sur mer. Quand la date du 18 Safar revenait, les souffrances
et les brimades de toutes sortes se multipliaient sur lui, ceci durant les sept années
d’exil au Gabon, les cinq années passées en résidence surveillée au Djolof et les
premières années à Diourbel. Alors qu’il se préparait à endosser, comme d’habitude,
avec fermeté, dignité et patience, le renouvellement de son fardeau, le Bon Dieu lui
1 - Cf. Jazâ-u shakur al-’atuf .
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fit savoir que les clauses de son contrat étaient honorées. Il n’avait par conséquent
plus à endurer quelque charge que ce fût, mais plutôt à recevoir la récompense et
rendre grâce à Dieu. Il réunit ses disciples pour leur faire part de la nouvelle et leur
dit : « Celui pour qui mon bonheur est le sien, où qu’il se trouve, devra tout mettre
en œuvre le jour du 18 Safar pour rendre grâce à Dieu, car, disait-il, ses remerciements personnels ne pourraient suffire pour témoigner sa reconnaissance à son Seigneur. » Il disait aussi : « Je n’affirme pas que le Magal est meilleur que la Tabaski,
mais il l’est pour vous (les Mourides) assurément. Certes, la notion de temps se
dissipera dans la grandeur du Paradis, mais Dieu le Créateur, l’Omnipotence Qui
embrasse tout par Sa science, saura Lui la périodicité de ce jour ; chaque fois que
viendra ce jour du 18 Safar, Dieu fera pour moi et pour tous ceux qui magnifient
ce jour des bienfaits si grandioses que les gens du Paradis s’en rendront compte,
quoique inouïe que soit la vie paradisiaque. »
Il demandera aux talibés, pour les besoins du jour, d’immoler des bêtes pour la
grâce de Dieu, allant du poulet au chameau selon les moyens de chacun. »
Cette recommandation intervint en 1340 de l’Hégire, 1921 de l’ère chrétienne.
C’est ainsi que le 18 Safar est devenu le jour où se réunissent tous les mourides et
les musulmans pour commémorer le départ en exil du Cheikh au Gabon.
Expression d’une reconnaissance des bienfaits de Dieu et de remerciements
Remercier le bienfaiteur pour ses bienfaits est une des obligations religieuses, comme Dieu le dit dans le Coran en adressant la parole aux enfants d’Israël : Ô enfants
d’Israël ! Rappelez-vous mon bienfait dont je vous ai comblé (Coran, S.02, V.40).
Dans plusieurs endroits du Livre Saint, nous trouvons que Dieu ordonne à ses esclaves d’être reconnaissants de Ses bienfaits : Rappelez-vous les bienfaits d’Allah afin
que vous réussissiez (Coran S.07, V.69). Dieu nous demande aussi de proclamer ses
bienfaits : Et quant aux bienfaits de ton Seigneur, proclame-les (Coran S. 93, V.11).
Le Cheikh s’inscrit dans l’optique de reconnaître les bienfaits de Dieu et de les
proclamer en vue de L’en remercier. Il dit :
«J’ai dit tout cela pour proclamer les bienfaits de Dieu
Car il est une obligation de remercier le Bienfaiteur. »2
2 - Son poème intitulé Mianul Bâqi al-Qadîm fi mu’jizâti ar-Raqi al-Makhdum (Les bienfaits de l’Eternel sur les
miracles du Bien Élevé, le Servi).
Grand Magal de Touba
24
Dimension religieuse et sociale
Dans la commémoration de son départ vers sa noble mission de servir le Prophète (PSL), il n’avait qu’une seule intention : s’acquitter de cette obligation de
reconnaissance en vers son Seigneur, comme il dit :
« Mon intention est de Te remercier à l’occasion de ce jour
Ô Toi Seul que j’implore et qui es le Maître du Trône. »3
C’est pour réaliser cet objectif que le Cheikh a demandé à ses disciples et à tous
les musulmans et sympathisants de remercier Dieu et de chanter ses louanges à
l’occasion de ce jour pour le succès dont Dieu a gratifié l’Islam et les musulmans
et pour les providences divines qu’il a reçues.
Serigne Ibrahima Bousso nous a rapporté de la part de son père, Cheikh Mawlaye,
ces propos: « Cheikh Al-Khadim m’a donné l’ordre d’immoler un mouton et de partager sa viande à l’occasion du 18 safar 1340 de l’Hégire (correspondant au moi
d’octobre 1921 de l’ère chrétienne). Après avoir accompli cet ordre, le Cheikh m’a
dit : « Je vous demande de faire ainsi chaque fois que ce jour revient pour m’aider
dans le but de remercier Dieu selon vos capacités, car c’est à l’occasion de ce jour
que j’ai tout obtenu.»4
L’acte de remerciement envers Son Seigneur a été une constante dans la vie du
Cheikh, comme il le dit :
« J’ai été occupé par l’acte de grâce, au lieu de me rappeler
Ce qui s’est passé entre les soldats et moi. » 5
« Toute mon entité se passe de plainte
Et de tout ce qui mène à provoquer des larmes
Le fait de remercier celui qui est le vrai Dieu
3 - Le poème du Cheikh écrit en acrostiche du verset 19 de la sourate 27, An-naml (les fourmis) «rabi awzi’ni
an ashkura ni’matak...» (Permets-moi Seigneur, de rendre grâce pour le bienfait dont Tu m’as comblé ainsi
que mes père et mère, et que je fasse une bonne œuvre que tu agrées et fais-moi entrer, par Ta miséricorde,
parmi Tes serviteurs vertueux).
4 - Entretien avec Serigne Thierno Bousso, 1er octobre 2010 (22 shawal 1423 hégire) à Al-azhar, Touba.
5 - Cf. le recueil de poème du Cheikh intitilé «al-jannatu al-’âjila al-muadiya ilâ-al jannati al-âjila» (le présent
paradis qui mène vers le futur paradis).
Grand Magal de Touba
Dimension religieuse et sociale
25
M’a totalement empêché de me rappeler des épreuves passées. »6
Le Magal est le témoignage d’une foi inébranlable unifiant toutes les races, les
conditions et les aspirations sociales. Il célèbre la victoire d’un homme qui a su
ménager ses besoins personnels et particuliers pour défendre une cause générale :
la cause de l’Islam.
Ainsi, des hommes de Dieu de son époque, épris de vertu, ont-ils magnifié sa
victoire et l’ont célébrée comme celle tous les musulmans. Parmi leurs témoignages, on peut citer celui de Cheikh Sâad Abihi :
« Sa déportation par les chrétiens l’a purifié
Il est devenu, dans les océans, tel qu’un métal transformé en or
pur et éclatant »
« Félicitation à cette Religion qui se trouvait dans une situation
d’étrangeté
Mais qui s’est retrouvée en situation d’euphorie et de fierté grâce à vous. »7
Un autre savant mauritanien, Baba Ibnou Cheikh Mohamad, disait lui aussi8 :
« Visiter Touba est une cause pour la victoire et pour la réalisation des souhaits
Pour celui qui s’y rend, surtout quand cette visite s’effectue durant le mois de Safar.
Le 18 de ce mois est le jour de son départ pour l’exil
Et point d’échappatoire pour ce que Dieu a prédestiné
Combien est noble le mois dans lequel notre Cheikh s’est exilé
Combien est énorme ce qu’il a obtenu grâce à cet exil
6 - Cf. Recueil intitulé «al-fuyûdât ar-rabbanyya» (les illuminations divines).
7 - Les recueils des poètes des zaouïa (centre culturel et religieux) de la Mauritanie consacrés au Cheikh, p.
28.
8 - Idem.
Grand Magal de Touba
26
Dimension religieuse et sociale
Il était seul, pendant cet exil, dans les services rendus au Prophète. Je le jure par Dieu !
Il était entouré de ceux qui ont refusé de servir son Bien-Aimé
Et le Seigneur des créatures l’a appuyé par sa victoire
Et l’a rassuré du mal de la part des mécréants
Et Il a montré ses dons miraculeux dans toutes les contrées
Ce qui a mis à découvert ses mérites qui étaient cachés. »9
Message de paix et de pardon
Comme évoqué précédemment, durant son exil, le Cheikh a enduré des souffrances dont certaines sont évoquées dans ses écrits, comme la lors de la nuit qu’il
a passée à Dakar :
« Chaque fois que je me souviens ce cette nuit
Et de ce chef bourreau et de ces soldats,
Mon âme se soulève pour aller mener un ‘’jihad’’ par les armes,
Mais le Seigneur – l’Absoluteur des péchés – m’en a empêché. » 10
Pourtant, le Cheikh a pardonné à tous ses ennemis et persécuteurs qui l’avaient fait prisonnier, exilé loin de sa patrie et de ses
proches. Il déclare :
« J’ai pardonné à tous mes ennemis pour plaire à celui
Qui les a tous éloignés de moi à jamais, alors que moi, je ne me
défendais pas. »11
J’ai pardonné pour plaire à Dieu avec la pureté de mon cœur
J’ai déclaré cela pour satisfaire à celui qui est suivi avec espérance. »12
9 - Cf. Intervention du Professeur Mouhammad Ould Babah dans les «Actes du Premier Forum International sur
le Mouridisme en Mauritanie», Nouakchott, édition 2010.
10 - Cf. Jazâ-u shakur al-’atuf.
11 - Le poème du Cheikh ‘’Muqaddamâtu-l- Amdâh’’ (Préludes aux louanges).
12 - Son poème intitulé ‘’Midadi wa aqlâmi’’ (Mon encre et mes plumes).
Grand Magal de Touba
Dimension religieuse et sociale
27
« Que chacun qui voit cette écriture sache que celui qui a écrit
ce papier a pardonné à tous ceux qui lui ont fait du tort et il ne
maudit jamais celui qui lui a fait du tort et il implore le pardon
de Dieu à tous les croyants qui se réclament de lui. Et il souhaite
pour les autres croyants autant de bien qu’il souhaite à ses disciples »13
Le Cheikh imite en cela le Prophète (PSL) qui, après son retour triomphal à la
Mecque, s’adressant ainsi aux mecquois : « Ô ! Vous l’assemblée de la tribu de
Khoreiche, qu’attendez-vous que je fasse de vous ? » Ils répondirent : « Du bien
seulement, car tu es un noble frère, fils d’un noble frère. » Et le Prophète de dire :
« Allez-y, vous êtes tous pardonnés. »14
13 - Voir l’annexe du «Petit recueil des réponses du Cheikhoul Khadim» p. 164.
14 - Mouhammad Huseyn Haïkel, La vie du Prophète, Dar al-Ma’aref, 20e édition, Le Caire, 1995, p. 337.
DEUXIEME PARTIE
CELEBRATION DU MAGAL
Grand Magal de Touba
Dimension religieuse et sociale
31
LE MAGAL DE TOUBA :
DE L’EPOQUE DU CHEIKH A NOS JOURS
C’est Cheikh AL-Khadim qui est le premier à célébrer la commémoration de
son départ en exil au Gabon avec l’unique but de remercier son Seigneur pour les
bienfaits dont Il l’a gratifié au terme de cette épreuve qui lui permit d’honorer son
contrat scellé avec le Prophète (PSL). Il a ainsi demandé à tous ses disciples de
célébrer cette journée où qu’ils se trouvent et selon leurs moyens.
Célébration du Magal par le Cheikh
D’après le Cheikh Mawlaya Bousso, fils du Cheikh Mbacké Bousso1, le premier acte que le Cheikh a accompli, publiquement, pour marquer la célébration de
cette journée, était de lui demander d’immoler un mouton et de distribuer la viande
en signe de remerciement à Dieu. D’après d’autres témoignages, le Cheikh aurait
envoyé son disciple Cheikh Balafaly Dieng pour transmettre cet ordre à tous les
mourides.
Le jour du 18 Safar était célébré comme la « fête du sacrifice », certains allant
jusqu’à appeler ce jour la « deuxième fête du sacrifice ». Informé de cela, le Cheikh
a interdit cette appellation et leur a donné le nom de « magal », un mot wolof signifiant « célébrer », « magnifier ».2
A l’époque du Cheikh, la célébration du Magal consistait en des actions de grâce
et de dévotion, par l’intensification de la lecture du Saint Coran et des qaçaid, et
des réjouissances. Il incombe à tout un chacun de faire de son mieux pour rendre
la fête agréable tant du côté de la restauration que de la collation. Le sacrifice peut
varier, allant du poulet au chameau, le don de soi, la disponibilité, la serviabilité, la
patience, le recueillement.
1 - Entretien avec Cheikh Ibrahima BOUSSO.
2 - Idem.
Grand Magal de Touba
32
Dimension religieuse et sociale
Le Magal à l’époque des califes
Après le rappel à Dieu du Cheikh en 1346 de l’Hégire (1927 de l’ère chrétienne),
Cheikh Mouhamadoul Moustapha, son premier calife, en continuateur de l’œuvre de
son père, s’est investi pour réaliser les projets qu’il avait initiés. Il célébrait ainsi le
Magal à sa résidence à Diourbel. A cette époque, les mourides ne se rassemblaient
pas à Touba pour commémorer le 18 Safar, ils le célébraient là où ils se trouvaient3.
C’est pendant le règne du deuxième calife, Cheikh Mouhamadoul Fadel, que
commença le rassemblement à Touba. Cette rencontre à la ville sainte lui parut
profitable à la communauté par le raffermissement de sa cohésion et les retrouvailles entre disciples. Aux objectifs spirituels, s’ajoutent donc des objectifs sociaux (rencontres, échanges entre disciples) et économiques permettant aux ruraux
d’écouler leurs produits avec l’arrivée de citadins, et inversement4.
Le Magal est aussi l’occasion pour le calife de réunir les cheikhs et leurs adeptes
en vue d’échanger sur des questions internes à la communauté, en même temps
qu’ils recevaient de lui des directives et des orientations.
Le Gouvernement du Sénégal se fait représenter à la cérémonie officielle qui
se tient au lendemain du Magal en présence du calife, à laquelle prennent part les
délégations représentant les autres familles religieuses du pays ainsi que le corps
diplomatique.
Dès les années 50, on note une augmentation progressive de l’affluence des talibés5 vers Touba comme en témoigne cet extrait d’un rapport de l’administration coloniale de 1953 : « Le Magal de Touba s’est déroulé, cette année, du 24 au 28 octobre. La foule des visiteurs a commencé à être considérable à partir de l’après-midi
du 25. L’affluence a été évaluée à 130 ou 150 000 personnes. Elle a été particulièrement importante dans la soirée du 27 et la nuit du 27 au 28. Le nombre des trains
qui ont emmené les visiteurs à Touba a été, cette année, de 17 contre 12 en 1952 »6.
3 - A l’époque du Premier Khalif, Cheikh Mouhammad Moustapha, le plus grand rassemblement des disciples
mourides se tenait le 19 au mois de muharram à l’occasion de la commémoration du rappel à Dieu de Cheikh Ahmadou Bamaba. Ce rassemblement était pour les cheikhs des moments d’échanges sur les questions importantes
concernant la confrérie, en particulier le suivi du projet de construction de la grande mosquée de Touba.
4 - Docteur Khadim MBACKE, spécial Magal Touba 2006, journal Le Soleil.
5 - Mot wolof signifiant « disciple ».
6 - Voir les archives nationales 2D53/213- Sénégal, Affaires politiques, Synthèse trimestrielle des évènements.
Grand Magal de Touba
Dimension religieuse et sociale
33
C’est pendant le califat de Serigne Abdoul Ahad, troisième calife, qu’une plus
grande évolution a été notée. En effet, ce dernier s’évertuait à appeler, dès le début
du mois de Safar de chaque année, tous les disciples mourides pour une présence
massive à Touba. Cette période correspond à la présence de plus en plus importante
des dahiras7 à Touba et leur participation à l’organisation effective du Magal.
Ces dahiras s’investissent dans plusieurs domaines, allant de l’hébergement aux
déclamations de qaçaid en passant par l’assistance aux visiteurs.
Serigne Cheikh Abdoul Ahad s’est aussi distingué par la réalisation d’importantes infrastructures dans la ville sainte, l’extension de la Grande Mosquée, la
construction de la Bibliothèque de Cheikhoul Khadim où plusieurs ouvrages et
reliques du Cheikh sont conservés, la réhabilitation de la Source de la Miséricorde,
appelée « Aynou Rahmaty ».
Serigne Saliou Mbacké, calife de 1990 à 2007, a été un continuateur de l’œuvre
de ses prédécesseurs en invitant les talibés à célébrer le Magal conformément à la
Sunna comme l’avait recommandé le Cheikh.
Durant son califat, la participation des dahiras à l’organisation du Magal s’est
encore accrue, notamment avec Hizbut Tarqiyya et Muqaddimatul Khidma.
Rawdu-r-Rayahîn, spécialisé dans les activités culturelles et scientifiques, est
mis sur pied avec l’autorisation de Serigne Saliou. En prélude au Magal et pendant
l’évènement, il organise des rencontres et des conférences auxquelles les des représentants d’autres confréries religieuses du Sénégal et des associations islamiques
sont invités.
♦❍ ♦
Inaugurant l’ère des petits-fils, Cheikh Mohamadul Amine Bara Mbacké, calife
de 2007 à 2012, a modernisé l’organisation du Magal par la mise en place d’un
comité consultatif et d’un comité d’organisation. Ce dernier comité compte à son
actif plusieurs initiatives et projets tels que des conférences, les grandes expositions
religieuses8, le lancement d’un journal hebdomadaire à quelques mois du Magal.
7 - Terme arabe signifiant étymologiquement « cercle », désignant ici un groupe de disciples organisé et structuré
sous forme d’association.
8 - Réalisées par Hizbut Tarqiyya en collaboration avec d’autres structures. Ces expositions sont ponctuées de
conférences publiques.
Grand Magal de Touba
34
Dimension religieuse et sociale
RECOMMANDATIONS POUR LA CELEBRATION DU MAGAL
Selon les recommandations de Cheikh Ahmadou Bamba relatives à la célébration du Magal et les orientations des différents califes, les points les importants
nous paraissent être les actes d’adoration de Dieu, de bienfaisance et les activités
culturelles et scientifiques.
Actes d’adoration et de bienfaisance
Le Magal de Touba célèbre la reconnaissance du Cheikh à l’égard du Tout-Puissant pour le succès et les avantages inestimables dont Il l’a auréolé au terme du
service effectué pour le Prophète (PSL) à travers l’exil dont la date du 18 Safar
marque le début.
C’est le Cheikh lui-même qui a indiqué aux Mourides les modalités de la célébration du Magal, conformément au message coranique et à la tradition prophétique. Il a aussi indiqué les moyens par lesquels les disciples devaient manifester
cette reconnaissance envers le Seigneur. Il dit :
« Le remerciement dans son vrai sens pour celui qui connaît
Consiste à nous rappeler, présents à l’esprit
Les bienfaits qui nous viennent de Dieu
Et de les utiliser par le biais de la langue, du cœur et des autres
membres
Dans ce qui est agréé par Dieu comme on l’a bien expliqué »1
Les moyens d’accomplir Cheikh a expliqué dans ses écrits comment on doit
procéder pour s’acquitter de ce remerciement. Et ces procédés ne dépassent pas
les actes obligatoires, les actes relevant de la sunna et les actes s’inscrivant dans le
cadre de ce qui est licite et permis. Voici ce qu’il en dit :
« J’ai formulé l’intention de remercier, à Darou Salam2
1 - Dans Massalik ul-Jinân (Les Itinéraires du Paradis), Cheikh Ahmadou Bamba.
2 - Nom du village fondé par le Cheikh vers 1885, situé à environ 5 km au sud de Touba.
Grand Magal de Touba
Dimension religieuse et sociale
35
Ainsi qu’à Touba, par le biais de mon corps et de ma langue
Ce remerciement sera basé sur les actes obligatoires et les actes
relevant de la sunna
J’ai formulé la même intention de le remercier aussi à DaroulMiname3»4
♦ ❍♦
« J’ai formulé l’intention de le remercier par tous les actes
permis
Et Il a accepté tout pour moi
Tout en conduisant les bénéfices de mon côté »5
Les différents califes se sont inscrits dans la voie indiquée par le Cheikh et se
sont toujours fait le devoir de rappeler ses recommandations aux disciples à chaque
occasion du Magal.
En 1939, lors d’une rencontre qu’il avait initiée à Touba6, le premier calife,
Cheikh Mohamadoul Mouatapha, avait fait constituer trois groupes de fidèles en
demandant au premier de faire une lecture du Coran, au deuxième groupe, de déclamer des qaçaid, et au troisième, de faire du zikr et l’invocation du Seigneur.
A la fin de la rencontre, le calife s’adressa à la foule en ces termes : « Efforcezvous de vous acquitter de tous les ordres de Dieu et empêchez-vous de tous ses
interdits, car les ordres sont des voies qui mènent au paradis promis aux pieux,
alors que les interdits sont des voies qui mènent à l’enfer. Celui qui fait de l’accomplissement des ordres de Dieu et de l’éloignement de ses interdits sa monture, elle
le mènera jusqu’au milieu du paradis. Quant à celui qui fait des interdits de Dieu
sa monture, elle le mènera dans la profondeur de l’enfer. Donc l’homme intelligent
est celui qui choisit bien sa monture avant de l’enfourcher.»7.
3 - Un des quartiers de Touba situé au sud-ouest de la Grande Mosquée.
4 - Son poème écrit en acrostiche des lettres tirées du verset 141 de la sourate An-Nisâ (Les Femmes).
5 - Poème du Cheikh écrit en acrostiche du verset « Kun lii bila makrin bika », dans le recueil intitulé Al-fuyûdât
ar-Rabbanyya (Les illuminations divines).
6 - Rassemblement à l’occasion de la commémoration du rappel à Dieu de Cheikh Ahmadou Bamba, 19 du mois
lunaire muharram.
7 - Cf. Recueil des recommandations de Cheikh Mouhammad Moustappha, le premier khalif des mourides.
Grand Magal de Touba
36
Dimension religieuse et sociale
Quant au deuxième calife, Cheikh Mohamadoul Fadel, il disait : « Célébrez-le
(18 Safar) par la récitation du Coran, par toutes les bonnes formules de Zikr, par la
lecture des poèmes du Cheikh (qaçaid), par la préparation de nourritures pour les
orphelins et les nécessiteux, par la consolidation de liens de parenté, par la visite
rendue aux hommes de bien »8.
Rassemblement à Touba
L’Islam appelle à l’esprit de la collectivité et de l’entente entre tous les musulmans et met aussi en garde contre la discorde. Il est rapporté dans un hadith que « La
main de Dieu est avec la collectivité »9. Et aussi : « S’unir avec la collectivité est
une miséricorde alors que la division est une punition »10. Il est rapporté selon une
autre version : « Je vous exhorte à aller avec la collectivité et je vous mets en garde
contre la division car Satan est avec le solitaire. S’il trouve un second, il s’éloigne
davantage. Celui qui veut gagner la plus vaste place au paradis doit aller dans le
sens de la collectivité »11.
Le Cheikh ne perdait pas de vue cette importance de la vie en collectivité et
priait Le Seigneur d’épargner sa communauté de la haine, de la rancune, de la jalousie et de tout vice menant à la division entre les croyants :
« Donne-nous les plus nobles caractères
Avec toute la sympathie et sans aucune discorde
Mets nos cœurs dans le sens de l’affection mutuelle
Sans aucun tiraillement ni aucune jalousie
Sans dispute et sans rupture des liens
Ni la haine ni la mésentente mutuelle
Jusqu’à ce que nous soyons des musulmans humbles
Et des croyants sincères et vertueux »12
8 - Discours de Cheikh Mouhammad Fadel Mbacké, cité par le chercheur Souaïbou Kébé dans son étude intitulée
‘’La fête de grâce et de vénération’’.
9 - Sunan at-Tirmizi, Kitab al fitan, 4/465.
10 - Kanzul ‘ummâl, (trésor des adorateurs) de ‘Alâu-d-din ‘aly ibn Husamu-d-din al-Muttaqi al-Hindy, 7/558.
11 - Ce hadith est rapporté par al-Muslim dans le livre de zikr, prière et repentance 6/6.
12 - Poème du Cheikh intitulé «Matlabu Shifâi» (Quête de la guérison).
Grand Magal de Touba
Dimension religieuse et sociale
37
♦ ❍♦
« Consolide en leur sein un groupe qui fait régulièrement
Les cinq prières en commun, ô Toi qui es le Vrai Sage »13
♦ ❍♦
« À moi donne par chacune de ces lettres
Une communauté tout à fait serviable, mise sous Ta protection »14
♦ ❍♦
Incite-nous, ô Seigneur à rendre des services
A tous les musulmans et avec compassion à jamais »15
La célébration du Magal consacre l’esprit de solidarité et de partage, en même
temps qu’elle offre une belle occasion pour raffermir les liens entre les membres de
la communauté mouride et avec les autres musulmans en mettant en exergue notre
appartenance commune à l’Islam.
Le Magal n’est plus seulement l’évènement des mourides, il est celui de tout un
peuple. Dans son ouvrage La confrérie sénégalaise des Mourides, Cheikh Tidiane
Sy témoignait ainsi : « Cette cérémonie semble même avoir, aujourd’hui, un caractère national. Tout le monde s’y rend, des ministres aux fonctionnaires, des mourides aux non mourides, et l’on comprend donc que pendant les deux jours du Magal,
l’activité soit interrompue dans tout le pays, pendant qu’à Touba, les mourides
réconciliés au sein de leur communauté se recueillent, rappellent les « miracles»
d’Ahmadou Bamba. »16
Zikr
Le zikr revêt plusieurs caractères – lecture du Saint Coran, l’invocation des noms
de Dieu, la repentance, la récitation d’autres formules d’invocation ainsi que des
prières sur le Prophète Mohamad (PSL). Il constitue un moyen rapide et efficace
13 - Son poème ‘’Matlabu-l-Fawzaïni’’ (Quête de la félicité des deux mondes).
14 - Cf. Diwan Fulku-l-Mashoun (Le bateau rempli).
15 - Son poème ‘’Matlabu Chifâi’’ (Quête de la guérison).
16 - Cheikh Tidiane SY, La Confrérie sénégalaise des Mourides, pp. 222 et 223, Présence Africaine, 1969.
Grand Magal de Touba
38
Dimension religieuse et sociale
pour éduquer l’âme, purifier le cœur et obtenir la miséricorde divine et le pardon
du Seigneur. La lecture du Coran est la meilleure formule de zikr selon le Prophète
Mohamad (PSL) qui nous donne un aperçu de son importance : « Il n’y aura aucun
groupe humain qui se réunit dans une maison de Dieu pour réciter le Coran et
l’étudier entre eux sans qu’il ne descende sur eux la tranquillité et sans qu’ils ne
soient couverts par la Miséricorde et escortés par les anges. Et ils seront évoqués
parmi ceux qui sont chez Le Seigneur»17.
Le zikr constitue une dimension essentielle dans la célébration du Magal à Touba où des tentes sont dressées partout pour abriter des disciples récitant le Coran,
déclamant des qaçaid ou récitant d’autres invocations et prières sur le Prophète
Mohamad (PSL).
Consolidation des liens de parenté et d’amitié
Les jours du Magal sont aussi des moments de retrouvailles entre parents et
amis venus de partout à travers le monde. En plus d’être un évènement religieux,
le Magal offre l’occasion de raffermir les relations sociales entre parents et amis
mourides, et la fraternité entre musulmans.
Cet aspect est une des significations très positives que ces jours bénis impriment
en nous18. Il est d’autant plus important qu’il correspond à une obligation divine
pour les musulmans de consolider les liens dans leur communauté :
Craignez
Allah au nom de Qui vous vous implorez les uns les autres et craignez de rompre
les liens de sang . (Coran, S.04, V.01). Le Prophète Mohamad (PSL) dit aussi :
« N’entrera point au Paradis celui qui rompt les liens de parenté.»19
Le Cheikh dit à ce propos :
«Et la consolidation des liens de sang avec toute personne, même
celui qui la rompt
Et la bonté envers les parents, fais bien attention et suis les ordres
17 - Hadith rapporté par Al-Muslim dans le livre de zikr, prière et repentance 6/6
18 - Cf.’’ la fête de grâce et de vénération’’ par le chercheur Souaïbou Kébé
19 - Ce hadith est rapporté par Muslim 8/7
Grand Magal de Touba
Dimension religieuse et sociale
39
Ces deux sont obligatoires pour ce qui concerne les liens de
sang
Et pour les deux parents même s’ils sont des polythéistes. » 20
Visites21
Les lieux à visiter par les disciples à Touba sont nombreux et divers. On peut
citer :
● La Grande Mosquée et le mausolée du Cheikh, ainsi que ceux de ses fils et de
ses grands disciples ;
● Bayti, la demeure du Cheikh à Darou Khoudoss, ainsi que la Bibliothèque
Cheikhoul Khadim, qui abritent des reliques ayant appartenu au Cheikh (manuscrits, objets personnels, etc.) ;
● Aïnou-r-Rahmaty, La Source de la Miséricorde22, au sujet de laquelle le Cheikh
a écrit, en signe de reconnaissance au Seigneur :
« Tu as fait jaillir pour nous, ô Toi Le Miséricordieux, le puits de
la miséricorde
Avec la paix et beaucoup de bonnes choses
Tu nous as donné, par Ta Générosité, de l’eau et de la substance
Toi qui es Le Meilleur Donateur, le plus utile et le grand pourvoyeur.»
20 - Dans Massalik ul-Jinân (Les itinéraires du Paradis) de Cheikh Ahmadou Bamba.
21 - La ziâra (visite des lieux saints ou des hommes vertueux) en Islam a une grande importance. Elle répand
la ‘’baraka’’ et permet d’absoudre les pêchés de celui qui l’effectue pour la seule grâce de Dieu. Le Cheikh
avait dit à propos de ceux qui lui avaient rendu visite à sa retraite à Sar Sâra en Mauritanie : « Ceux qui sont
venus me rendre visite à Sar Sâra se sont débarrassés de leurs pêchés dans les deux demeures (ici-bas et à
l’au-delà). »
22 - Des récits concordants font état de la rareté de l’eau à Touba au début, ce qui amenait les disciples à parcourir
de longues distances à sa recherche. Les habitants se sont plaints auprès du Cheikh qui leur a recommandé
de faire des prières. Ces prières ont été exaucées par Le Seigneur qui leur a indiqué un endroit où la nappe
phréatique n’était pas profonde pour creuser un puits. Une source abondante a été découverte et le Cheikh l’a
nommée ‘Aïnou-r-Rahmati (Source de la Miséricorde). Le site a été rénové par le troisième calife, Cheikh
Abdoul Ahad.
Grand Magal de Touba
40
Dimension religieuse et sociale
«Fais du cœur de celui qui boit de son eau parmi les cœurs qui
ont gagné des bienfaits
Lave ces cœurs de tous les défauts et Fais qu’ils soient remplis
de Tes secrets invisibles » 23
Réjouissances
Le Cheikh demandait à chaque disciple de participer aux festivités selon ses
capacités, du poulet au chameau, pour rendre agréable la fête et le séjour des hôtes.
Cet aspect festif – dénommé en wolof berndé – est une composante très forte du
Magal.
Les dahiras se distinguent aussi dans ce domaine en préparant et en distribuant
des repas aux visiteurs dans les différents lieux publics et dans les domiciles des
guides religieux qui accueillent des foules nombreuses. C’est une pratique conforme à l’enseignement du Prophète (PSL) qui dit : « Que celui qui croit en Dieu et
au Jour du jugement dernier traite son hôte avec bienveillance.»24. C’est aussi la
recommandation du Cheikh :
« Traite bien les hôtes tout en leur souhaitant la bienvenue,
Et par l’hospitalité, la joie et le rapprochement
Ne rétrécis jamais ta poitrine à cause d’un hôte
Car il va bientôt partir. »25
Discours du calife général
Le discours du calife général est l’un des temps forts du Magal. Il a lieu le lendemain lors de la cérémonie de clôture à laquelle assistent plusieurs délégations
– Gouvernement, corps diplomatique, confréries religieuses, etc. – ainsi que des
cheikhs et dignitaires mourides.
23 - Cf. Son poème écrit en acrostiche des lettres du verset « Wa fajjarna-l- arda ‘uyûnan» (Nous avons fait jaillir
de la terre des sources d’eau).
24 - Hadith rapporté par al-Bukhary dans le livre de Adab (bonnes conduites) n° 2275/5 et Muslim dans le livre
de Al-iman (la foi) n° 49/1
25 - Cf. l’ouvrage du Cheikh intitulé Nahdjou Qada-il-hadj (La Voie de la satisfaction des besoins)
Grand Magal de Touba
Dimension religieuse et sociale
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C’est l’occasion pour le calife de rappeler aux disciples les recommandations de
l’Islam ainsi que les enseignements du fondateur du Mouridisme et de donner des
orientations relatives à la vie spirituelle, sociale et économique des mourides.
Activités scientifiques et culturelles
A l’occasion du Magal, des conférences et des exposés sont organisés dans différents endroits publics de Touba. Ces manifestations portent essentiellement sur la
biographie et l’œuvre du Cheikh et sur ses premiers disciples.
Au fil des années, les conférences deviennent de plus en plus structurées et sont
animées par des conférenciers de renom.26
Les dahiras ne sont pas en reste, à l’instar de Hizbut Tarqiyya qui organise des
expositions sur la vie de Cheikh Al-Khadim et sur le Mouridisme.
Aujourd’hui, de nombreuses structures sont créées et jouent un rôle majeur dans
l’organisation du Magal.
Dahira Rawdou-r-Rayâhîn27
La dimension culturelle et scientifique a été renforcée avec la création du dahira
Rawdu-r-Rayâhîn chargé d’élaborer et d’exécuter un programme dont les principales composantes sont les suivantes :
Animation d’émissions de radio et de télévision diffusées avant le 18 safar dans
les médias nationaux sous forme :
● de tables-rondes et d’interviews sur le Mouridisme, ses principes et enseignements ;
● de films documentaires sur des lieux symboliques du Mouridisme ;
Edition d’un « Journal du Magal » et des publications sur le Mouridisme et sur
la ville de Touba ;
Organisation d’un table-ronde scientifique le jour du Magal – dans la matinée –
et une conférence publique – dans l’après-midi.
26 - On peut citer, entre autres, Serigne Sam Mbaye et Imam Mouhamad Khaïry Diakhaté
27 - Créée en 2001 sous l’autorisation du Calife (Serigne Saliou) pour contribuer à l’animation culturelle du
Magal.
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Hizbut Tarqiyya28
Ce dahira fait partie des pionniers dans l’organisation du Magal. Ses activités
couvrent plusieurs domaines comme la restauration, la logistique, des séances de
déclamation de qaçaid et des expositions sur le Mouridisme. Il confectionne et diffuse des brochures consacrées au Magal. Il assure aussi la traduction et la diffusion
du discours du calife ainsi que diverses activités culturelles.
Institut Al Azhar29
La commission culturelle de l’Institut Al Azhar participe depuis quelques à l’organisation des activités culturelles à l’occasion du Magal en collaboration avec des
dahiras de Cheikh Mouhamadou Mourtada Mbacké. Actuellement, le dahira Ansaroud-din30 continue d’animer ces conférences.
Mouqadimatul-Khidmah31
Ce dahira s’est spécialisé dans la présentation des programmes religieux sur le
Magal au niveau des radios locales. Il est aussi en charge de l’accueil des délégations représentant des confréries et des associations islamiques.
Quratoul-Ayni32
Ce dahira a initié l’organisation de « l’Université de Safar » à partir de l’année
2010. Lors de cette université, plusieurs intellectuels sénégalais participent à des
conférences pendant deux semaines avant le Magal.
28 - Dahira des Etudiants Mourides devenu Hizbut Tarqiyya. Pour plus d’informations, le lecteur peut consulter
le site web www.htcom.sn.
29 - Fondé par Serigne Mourtada Mbacké, fils de Cheikh Ahmadou Bamba, l’Institut Al Azhar est un établissement d’éducation islamique reconnu par l’Etat du Sénégal (décret n° 78-11-73 du 15/12/1978).
30 - Dahira créé en 1993 sous l’égide de Serigne Mourtada Mbacké.
31 - Avec l’autorisation, ce dahira a été créé pour veiller sur l’ordre dans l’enceinte de la Grande Mosquée. Il
mène aussi plusieurs activités culturelles à l’occasion du Magal et du mois de Ramadan.
32 - Elle organise ses activités à la mosquée de Serigne Sou’aïbou dans la cadre de ‘’L’université de Safar’’
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Fondation Al-Wafâ33
C’est une structure qui contribue à la diffusion de la culture islamique à travers
des rencontres organisées pendant le mois de Ramadan. Durant le mois de Safar,
elle organise des séances de zikr et de chants religieux avec la participation des
jeunes.
33 - Structure créée à Dâru-l Muhti par des petits fils de Mame Thierno Birahim Mbacké, jeune frère et bras droit
de Cheikh Ahmadou Bamba.

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