Crise de foi
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Crise de foi
édito Crise de foi A près avoir appris que les kinésithérapeutes ont 40 % de chance de se séparer de leur conjoint (contre 2 % seulement pour les ingénieurs agronomes 1), qu’habiter près d’un aéroport fait grossir 2, que les femmes diplômées font de plus gros bébés 3, que les hommes qui font le ménage ont une meilleure vie sexuelle que les autres 4 et que boire de la bière rend plus intelligent 5 (grâce à une molécule flavonoïde dont les effets se font significativement sentir qu’à partir d’une consommation de 2000 litres/ jour), j’ai été saisi d’une "crise de foi". Car derrière la caution scientifique, se cache parfois l'étude fantaisiste ou sous influence ou, pour le dire plus gentiment, "le biais méthodologique". En dépit de la rigueur de la plupart des publications scientifiques, une minorité d'articles médicaux dits sérieux et repris massivement dans les médias peuvent prêter le flanc à la critique, à l'exemple de cette étude qui montrait les risques du paracétamol utilisé au long cours, créant l’anxiété chez des millions de consommateurs. Mais observer une association entre mortalité et consommation de paracétamol ne permet pas de conclure qu’il existe une relation causale. Outre le caractère peu représentatif de la cohorte choisie (dans 5 cas sur 8 il s'agissait de médecins ou d'infirmières), les auteurs n’avaient pas éliminé un biais d'indication : certains sujets ont en effet pris du paracétamol au long cours car, en raison d’un haut risque cardiovasculaire, digestif ou rénal, ils ne pouvaient se voir prescrire des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Autre exemple : les personnes dialysées sont moins diplômées que les personnes greffées. Sans nier cette réalité statistique, considérons également que ces personnes dialysées sont globalement plus âgées et qu’obtenir le baccalauréat était autrement plus difficile pour un baby-boomer que pour les générations les plus jeunes. De la même manière, comparaison n’est pas raison et c’est avec prudence qu’il faut confronter les chiffres internationaux concernant le recours à la greffe, tant l’épidémiologie d’une même Le logo officiel des Ig Nobel / D.R. maladie peut varier au sein même des pays européens. IG Nobel : le meilleur du pire La quête, intellectuellement stimulante, des multiples biais qui peuvent entacher une étude scientifique peut conduire, par les heureux hasards d’une recherche internet, à la découverte d’une perle d’humour potache : les IG Nobel (prononcez Ignobel pour le jeu de mots entre "prix Nobel" Une équipe japonaise recevant l’IG Nobel de médecine pour avoir montré l’influence bénéfique de la musique (des airs d’opéra pour être précis) sur la transplantation cardiaque de souris / Photo D.R. et l'adjectif "ignoble"). Depuis 1991, un très officiel comité scientifique décerne ses prix à des équipes de chercheurs "qui font rire les gens, puis réfléchir". Cette année, l’IgNobel de médecine a récompensé une méthode de diagnostic de l’appendicite : franchir un dos d’âne en voiture. Si le patient hurle, il y a des chances pour qu'il soit malade, d'après ces travaux publiés dans le British Medical Journal. En entomologie, Michael L. Smith n'a pas hésité à se faire piquer par des abeilles à différents endroits du corps (lèvres, tétons, testicules et pénis compris) afin d'établir un index de douleur. Il s'est vu remettre, comme chaque lauréat, un billet de dix mille milliards de dollars zimbabwéens, coupure dont la valeur est de quelques centimes d'euros dans un pays en proie à la plus forte inflation au monde. Rappelons, dans le best of de IG Nobel de médecine, que des médecins préconisent, en cas de saignement de nez, de farcir ses cavités nasales de tranches de bacon et qu'il est possible de soulager l'asthme grâce à des tours de grand huit. Enfin, elle n’aura reçu ni Nobel ni IG Nobel mais elle mérite d’être citée : une étude scientifique publiée dans la revue Science prouve que beaucoup d'études de psychologie ne sont pas fiables. Des chercheurs américains ont reproduit une centaine d'études scientifiques pour les vérifier. Résultat : moins de la moitié des contre-études sont arrivées aux mêmes conclusions que les recherches originales. Les résultats, s’ils ne sont pas forcément contredits, sont souvent exagérés. En cause, selon les auteurs, la course effrénée à la publication qui pousse les scientifiques à obtenir des résultats choc, plus susceptibles d’être repris dans les médias grand public et de leur attirer des financements. Romain Bonfillon Rédacteur en chef 1 - Etude britannique relayée dans le Figaro du 20/02/2014 / 2 - Etude suédoise relayée par le site www.metronews.fr le 7/05/2014 3 - Etude de l'Ined publiée le 10/06/2015 dans La Dépêche du Midi / 4 - Etude canadienne relayée le 26/11/2015 sur le site www. ladepeche.fr / 5 - Etude américaine relayée le 02/10/2014 sur le site www.levif.be Décembre 2015 - Revue FNAIR n°144 2