Trois cas de kystes épidermiques de la vulve après
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Trois cas de kystes épidermiques de la vulve après
Gynécologie Obstétrique & Fertilité 30 (2002) 958–960 www.elsevier.com/locate/gyobfe Cas clinique Trois cas de kystes épidermiques de la vulve après mutilations génitales féminines Three cases of epidermal cyst of vulva following female genital mutilation P.M. Moreira a,*, I.V. Moreira a, E.H.O. Faye a, L. Cisse a, V. Mendes b, F. Diadhiou a a Clinique gynécologique et obstétricale du CHU de Dakar, BP 15745, Dakar Fann, Sénégal Laboratoire d’anatomie pathologique de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal b Reçu le 27 décembre 1999; accepté le 29 juin 2000 Résumé Nous rapportons trois cas de tumeurs vulvaires survenues au décours d’une excision pratiquée dans l’enfance, chez des patientes âgées de 22 à 25 ans. L’exérèse chirurgicale réalisée a donné des résultats esthétiques et fonctionnels satisfaisants. L’examen histologique de ces tumeurs a révélé un aspect en faveur d’un kyste épidermique contenant de la kératine. Du fait du retentissement clinique, psychologique et social des mutilations génitales féminines (MGF) des mesures doivent être prises visant à éradiquer ces pratiques traditionnelles. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract We report three cases of tumors of the vulva following an excision during childhood, in patients aged 22 to 25. The achieved surgical removal gave correct aesthetic and functional results. Histological examination of these tumors revealed epidermal cyst containing keratin. Because of clinical, psychological and social impact of female excision, steps should be taken against such traditional practices. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés: Mutilations génitales féminines; Vulve; Kyste épidermique; Kératine Keywords: Female genital mutilation; Vulva; Epidermal cyst; Keratin 1. Introduction L’excision encore appelée mutilation génitale féminine (MGF) est le nom collectif donné aux différentes pratiques traditionnelles consistant en l’ablation totale ou partielle des organes génitaux externes féminins. Si les complications immédiates dominées par l’hémorragie, l’infection et les lésions urétrales sont connues, par contre les séquelles telles que les tumeurs vulvaires sont peu documentées. Pourtant ces dystrophies des parties molles de par leur retentissement * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P.M. Moreira). © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 1 2 9 7 - 9 5 8 9 ( 0 2 ) 0 0 4 8 9 - 7 psycho-social et sexuel méritent d’être mieux connues tant sur le plan anatomique qu’étiopathogénique. Nous rapportons trois cas de tumeurs vulvaires séquellaires observées chez des femmes ayant fait l’objet d’une excision dans la petite enfance. 2. Observations 2.1. Observation n° 1 Mlle F.K., 22 ans, célibataire, nulligeste, d’ethnie Bambara, consulte pour une tuméfaction vulvaire gênant la vie P.M. Moreira et al. / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 30 (2002) 958–960 sexuelle. Il existe une notion de mutilation sexuelle dans l’enfance. L’examen gynécologique trouve une masse siégeant au niveau de la région clitoridienne de 10 cm de diamètre environ, arrondie, de coloration noirâtre, rénitente, indolore, non pulsatile, sessile, mobile par rapport aux plans superficiel et profond. Le diagnostic de tumeur kystique ou vasculaire est évoqué. Il est pratiqué, sous anesthésie générale, une exérèse de la tumeur après dissection au bistouri électrique suivi d’un capitonnage. La cicatrisation survient au huitième jour sans séquelles. L’étude anatomopathologique montre, à la coupe, l’issue d’une substance brunâtre ressemblant à « de la boue », d’aspect crayeux, séchant rapidement à l’air. L’examen histologique objective la présence d’une formation kystique constituée d’une paroi conjonctivovasculaire revêtue d’un épithélium malpighien libérant d’importantes squames de kératine dans la cavité kystique, sans réaction inflammatoire spécifique ou non. Conclusion : « Aspect compatible avec un kyste épidermique ». 2.2. Observation n° 2 Mme A.D., 25 ans, mariée, primipare, ayant un enfant vivant âgé de six mois consulte pour une tuméfaction vulvaire. Elle a été excisée durant la petite enfance. L’examen découvre une masse de 6 cm de grand diamètre au niveau de la région clitoridienne, de coloration noirâtre réniforme, rénitente, indolore, non pulsatile. Elle subit une exérèse chirurgicale de la tuméfaction avec des suites opératoires simples. À l’examen histologique on découvre une paroi conjonctivovasculaire surmontée d’un revêtement malpighien élaborant des squames de kératine dans la cavité kystique, sans réaction inflammatoire : aspect en faveur d’un kyste épidermique. 2.3. Observation n° 3 Mme D.S., 25 ans, mariée, deuxième geste, deuxième pare, avec deux enfants vivants, nous est adressée pour une « bartholinite ». L’interrogatoire retrouve une notion d’excision pratiquée dans l’enfance. À l’examen gynécologique, il existe au niveau de la région clitoridienne une tumeur réniforme de 9 cm × 4,5 cm, de couleur noirâtre, indolore, rénitente, non pulsatile. L’exérèse chirurgicale est pratiquée et l’examen anatomopathologique met en évidence une formation kystique pourvue d’un revêtement épithélial malpighien kératinisant à contenu fait de squames de kératine, et d’une paroi fibroconjonctive très vascularisée. L’examen conclut à un kyste épidermique. 959 3. Discussion Dans le monde, on estime entre 100 et 132 millions le nombre de fillettes et jeunes filles qui ont subi des mutilations génitales [1]. La plupart de ces femmes vivent dans 28 pays d’Afrique, un petit nombre en Asie et au MoyenOrient, mais on en compte de plus en plus en Europe, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux ÉtatsUnis d’Amérique. Au Sénégal le taux global est estimé à 20 % de la population féminine, soit 750 000 femmes concernées [2]. L’excision est l’un des rites traditionnels d’initiation de l’adolescence préparant la jeune fille à sa vie de femme lui conférant ainsi sa place dans la communauté. Les motifs avancés pour justifier ces mutilations sont : • la recherche de « beauté et de propreté » : les organes génitaux externes étant considérés comme « laids et non hygiéniques », ces actes seraient un moyen de devenir une « vraie femme » ; • l’approbation et la protection masculine : l’excision étant un moyen d’intégration à la communauté, les jeunes filles non excisées ne pouvant se marier ; • la religion et la morale : l’excision protégerait la virginité de la femme et éviterait les déviations sexuelles. Il existe trois types de mutilations d’après Soutoul [3] : • type I = Clitoridectomie : ablation d’une partie ou de la totalité du clitoris ; • type II = Excision proprement dite : ablation du clitoris et des petites lèvres ; • type III= Infibulation : ablation du clitoris, des petites et des grandes lèvres. Les types I et II concernent 85 % des MGF, mais dans certains pays de la corne de l’Afrique l’infibulation représente 80 à 90 % des excisions [4]. Au Sénégal, c’est le type II qui est souvent pratiqué [2], ce qui a été le cas chez nos trois patientes. Elle concerne surtout les ethnies alpular, mandingue, et diola. L’âge moyen au moment de l’excision est de six ans [2], comme dans la majeure partie des pays africains concernés par les MGF (Egypte et Afrique centrale) [4], mais supérieur à celui rapporté dans les données de Bankolé [5] en Côte d’Ivoire qui trouve un âge moyen de 3,3 ans, inférieur à celui rapporté par Smith [4] Nigéria où les MGF sont pratiquées à l’adolescence en particulier dans l’ethnie Ibo. Par contre en Éthiopie et actuellement au Mali l’excision se pratique de plus en plus pendant la période néonatale [4]. Les séquelles d’excision sont dominées par les infections urinaires chroniques et obstructions des voies urinaires, les infections des organes génitaux internes et la stérilité qui peut en découler, de même que les dyspareunies et les déchirures périnéales au moment de l’accouchement par 960 P.M. Moreira et al. / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 30 (2002) 958–960 voie basse, voire des dystocies des parties molles pouvant mettre en jeu le pronostic fœtal [6]. En ce qui concerne les tumeurs vulvaires séquellaires, la revue de la littérature fait surtout état des kystes de la glande de Bartholin par sclérose cicatricielle obstruant le canal glandulaire [7] et des cicatrices hypertrophiques du clitoris (un cas retrouvé dans une série de Bankolé) [5], qui sont probablement des kystes épidermiques que seul un examen anatomopathologique aurait permis de diagnostiquer. Il existe un certain nombre de ces tumeurs clitoridiennes dont la relation de cause à effet avec l’excision n’est pas faite. Ces tumeurs sont dues à l’inclusion sous dermique de fragments épithéliaux au décours d’un traumatisme (épisiotomie ou excision en l’occurrence) ou à une éversion des berges de la plaie au moment de la cicatrisation [7]. Ceci aboutit à la formation de kystes à paroi constituée d’un épithélium malpighien élaborant des squames de kératine, qui en s’accumulant forment du sébum, donnant cet aspect de « boue » à la coupe de ces tumeurs. Il n’a pas été signalé de risque de dégénérescence maligne, mais au cours de l’évolution, des poussées inflammatoires peuvent survenir avec risque d’infection et de suppuration. Le retentissement psycho-socio-sexuel de ces mutilations est évident. Les complications psychologiques peuvent être reléguées au plus profond de l’inconscient de l’enfant, d’autant plus qu’il n’existe aucun moyen jugé acceptable par la société pour exprimer son sentiment de refus. Une meilleure connaissance de ce type de tumeur vulvaire séquellaire devrait permettre un diagnostic précoce. Il faut savoir y penser dans les zones à forte prévalence d’excision et savoir demander un examen histologique grâce à une biopsie ou une exérèse. 4. Conclusion Les tumeurs vulvaires séquellaires de l’excision constitue une entité particulière au sein des complications des MGF de par leur retentissement esthétique et psychologique. Ces pratiques aux conséquences néfastes sur la santé reproductive des femmes devraient être éradiquées. Références [1] Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Mutilations Sexuelles Féminines. Dossier d’information 1996 (WHO/FRH/WHD/96.26), Genève. [2] ENDA. Anual report 1993. [3] Soutoul JH, Froge E. Traumatismes de l’appareil génital et du périnée chez la femme. Encycl Méd Chi., Paris, Gynécologie 1980;190 A 10(4). [4] Smith J. Visions and discusions on Génital Mutilation of Girls. An International Survey. Amsterdam, Defence for Children International. 1995. [5] Bankole Sanni R, Coulibaly B, Nianduolo R, Denoulet C, Vodi T. Séquelles de la circoncision et de l’excision traditionnelles. Médecine d’Afrique Noire (44) 1997(4). [6] Troisier S, Nordman R, Sureau C, Pichot P, Arthuis M, Pellerin D, Cier JF, Boulard P. Les mutilations sexuelles chez la femme. Bull. Acad. Natle. Med. 1995;1:135–45. [7] Suzanne F, Dauplat J, Giraud B. Les tumeurs bénignes de la vulve et du vagin. Encycl. Méd. Chir., Paris, Gynécologie 1992;510A10 4.7.12.