Il est dur de mourir à vingt ans… surtout lorsqu`on ne sait pas

Transcription

Il est dur de mourir à vingt ans… surtout lorsqu`on ne sait pas
Il est dur de mourir à vingt ans… surtout lorsqu'on ne sait pas pourquoi.
J.-P. Garen
Les murs sont gris, faits d'un curieux métal. Il n'existe qu'un petit hublot surmonté d'un
voyant lumineux pour l'instant éteint. Ainsi, c'est cela qu'on appelle une chambre de
désintégration. Il paraît qu'elle a été spécialement construite pour moi et elle sera démolie
après moi.
Je suis assis sur un fauteuil en bois, solidement attaché par des liens métalliques. Je sens
mes mains devenir froides et se paralyser. Lorsque le voyant rouge s'allumera, il me restera
dix secondes à vivre. Mon corps sera désintégré par un flux d'antimatière. S'il reste quelques
molécules en suspension dans l'air elles seront aspirées et irradiées par des rayons Gamma
afin qu'il ne reste plus aucune trace de mon être.
Tout aurait commencé six mois auparavant. J'avais fait la connaissance de Sylvia, une bien
jolie fille blonde de mon âge. Nous avons sympathisé et même un peu plus. Un soir, nous
sommes allés faire une promenade en forêt. C'était en mai et il avait fait chaud tout l'aprèsmidi. Le bois exhalait une bonne odeur de résine. La lune toute ronde brillait et perçait la
ramure des arbres. Nous nous sommes assis sur une mousse douce et… je ne me souviens
plus de rien.
Je me suis réveillé dans mon lit au matin, me demandant comment j'étais revenu. J'ai alors
pensé avoir fait seulement un rêve. Le surlendemain, j'ai vu à la télévision que la police avait
découvert dans un bois le corps d'une jeune fille. C'est étonnant, elle ressemblait à celle de
mon rêve. Comme elle ne portait aucune trace de violence, la police avait conclu à une mort
naturelle due une anémie aiguë foudroyante.
J'ai fini par oublier cet incident d'autant que j'ai alors rencontré Magda, une charmante
brunette avec de très beaux yeux verts. Nous sommes allés à un spectacle et elle a même
accepté de finir la nuit chez moi.
Elle est revenue plusieurs fois et je crois bien que je l'aimais. Nous faisions délicieusement
l'amour. Un soir d'août, après une joute très agréable, Magda a trouvé qu'il faisait trop chaud
dans ma petite chambre et elle a voulu que nous allions respirer l'air de la campagne. Les
étoiles brillaient dans le ciel et la lune s'est levée éclairant le paysage comme en plein jour…
Et je me suis réveillé dans mon lit sans aucun souvenir. Cette fois j'étais certain qu'il ne
s'agissait pas d'un rêve. Les draps conservaient encore l'odeur du parfum de Magda.
Cette amnésie partielle m'a laissé rêveur et inquiet. Je me suis levé pour partir à mon travail
comme chaque matin. Je suis ingénieur stagiaire dans une société d'informatique. Mes
collègues de travail n'ont rien remarqué d'anormal dans ma conduite. Il est vrai que je ne suis
jamais lié d'amitié avec eux et nous travaillons dans une semi-pénombre pour mieux voir nos
écrans d'ordinateur. C'est très agréable pour moi car j'ai horreur de l'éclat du soleil qui me
brûle les yeux, m'obligeant à porter en permanence des lunettes noires.
C'est le lendemain matin que des policiers m'ont réveillé à l'aube. Ils m'ont attaché les
poignets et traîné au commissariat. Là, un gros homme aux joues rubicondes s'est mis à
m'injurier exigeant que j'avoue tout. Comment aurais-je pu le faire puisque je ne me souvenais
de rien ?
Cet interrogatoire a duré des heures sous la lumière de puissants projecteurs. Par moment
j'ai reçu des coups sur la figure, le dos et aussi le ventre. A plusieurs reprises, j'ai cru que mon
interrogateur allait mourir d'apoplexie tant sa figure était écarlate et congestionnée. Beaucoup
plus tard, ils m'ont enfermé dans une cellule malodorante. Je ne comprenais toujours rien.
D'après quelques bribes de phrases ayant percé le brouillard de mon cerveau, il s'agissait de
Magda. Elle serait morte… comme Sylvia… une anémie suraiguë… sans hémorragie…
De nombreuses personnes sont venues dans ma cellule… Des médecins… Des savants mais
je n'ai pas compris leur spécialité. J'ai subi de nombreuses prises de sang dont je n'ai jamais eu
le résultat. J'ai perdu la notion du temps avec, toujours, cette lumière éblouissante qui brillait
sans interruption jour et nuit. Elle ravageait mes rétines et malmenait mon cerveau, me
rendant incapable de penser.
Puis, mon procès a débuté sous les éclairs des photographes qui me vrillaient les rétines.
L'esprit toujours confus, je me taisais, ce qui semblait fort irriter le juge. Autrefois, j'avais lu
un très vieux livre. Comme le héros de l'histoire, j'avais l'impression d'être étranger à mon
procès, d'assister à un spectacle qui ne me concernait pas et auquel je ne comprenais rien
comme cela se produit souvent dans le théâtre moderne.
De nombreux experts au vocabulaire hermétiques ont défilé à la barre, interrogés et contre
interrogés. Il était question de traces d'A.D.N., d'antécédents, d'hérédité , de génie du mal. S'ils
avaient clairement posé leurs questions, j'aurais pu leur dire que j'avais eu des relations
sexuelles avec Magda mais ils ne me l'ont jamais demandé.
Le procureur, un type maigrichon au visage étroit barré par une mince moustache, ne cessait
de vitupérer. Sa petite taille lui avait certainement donné un complexe d'infériorité qu'il tentait
d'exorciser en se montrant plus hargneux qu'un roquet ayant attrapé la gale.
Mon avocat était un gentil jeune homme commis d'office. Je l'avais plusieurs fois rencontré
dans ma cellule et il avait une mimique navrée devant mon silence. Il s'égosillait en disant que
la peine de mort avait été abolie depuis plusieurs siècles et qu'il était ridicule de vouloir la
rétablir pour une simple légende. Manifestement, le juge n'était pas de son avis.
Lorsque le verdict confirmant la peine de mort est tombé mon malheureux avocat s'est
effondré et j'ai dû le réconforter. Il me faisait réellement pitié.
Tiens, la lampe rouge vient de s'allumer. Plus que dix secondes à vivre. Machinalement, je
compte :
- Un… Deux…
D'après mon petit avocat, je dois ma condamnation à ceux qui ont fait des recherches sur
mes ascendants directs.
- Quatre… Cinq…
J'avais un très lointain aïeul, il était noble… Il avait un nom bizarre…
- Huit… Neuf…
Il s'appelait le comte… DRACULA !