20 manières de prier sans en avoir l`air

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20 manières de prier sans en avoir l`air
20 manières de prier
sans en avoir l’air
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1. Marcher de long en large
dans une église romane, belle, assez grande
Saint Philibert de Tournus par exemple
ou dans une église gothique
Chartres, Reims, Bourges
ou baroque, comme la Wieskirche
et ne penser à rien
rien du tout
laisser le regard errer
laisser la pierre chanter
laisser le lieu dire
et s’en aller, au bout d’un temps,
sans aucune hâte.
2. Lire un livre de forte pensée
avec un désir fort de la vérité
sans avidité de savoir
sans prétention à disputer
mais par goût, par amour de la vérité
Ouvrir la porte profonde
à toute pensée qui vient
et la laisser demeurer en paix
afin qu’elle vienne à porter son fruit.
3. Ouvrir la sainte Ecriture
ouvrir seulement le Livre
et partir en songerie
imaginer son propre livre
se raconter des histoires
laisser remuer ses propres vieux mythes
de cruauté, de triomphe, de sensualité, de désespoir,
d’amour, de charité avec le parfait narcissisme de ces choses-là
et lire, dans le texte,
deux mots.
4. Dire une demande du Notre Père
une seule,
une seule fois.
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5. Se désoler infiniment de ne pas prier
gémir intérieurement tout le jour d’être incapable
de la moindre invocation
la moindre lecture
pas même de l’évangile
d’être là froid, sec, absent, et heureux ailleurs
sans Dieu, sans Christ, sans tout ça
et en souffrir
et décider enfin de s’en remettre là-dessus à Dieu
et attendre, hors de toute pensée.
6. Dormir… et le cœur veille.
7. Comme un petit enfant, dire des choses à Dieu
prière, supplication, rage ou tendresse
regret ou jubilation
ça échappe
on ne s’en aperçoit même pas
sinon quelquefois après coup.
Celui qui parle ainsi en nous est l’enfant
toujours à l’aurore de la vie
naïf comme la volonté divine.
8. Ouvrir la Bible
et ça y est !
Ce n’est pas un livre, ce n’est pas le Livre,
c’est le lieu de la Parole qui s’entend par-delà les mots
rêve sans rêve en marge du texte en son milieu
résonance à travers toutes les épaisseurs de la vie
fontaine dont la source est invisible
pensées, images, paroles, mouvements sobres du cœur
la Lettre est nécessaire…l’esprit va
car le sens de l’Écriture, c’est la vie sauve
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9. Converser de choses et d’autres
et soudain… il se fait sans mon Dieu qu’on l’ait voulu
qu’on se met à parler de l’essentiel
la vie, la mort, l’avenir de l’humanité
l’amour, la vérité
Dieu peut-être, et peut-être pas,
la religion chrétienne, les grands chemins de l’homme
On en parle les uns aux autres, sans haine,
sans controverse, sans passion basse, mais parce que cela
importe
plus que tout le reste
et qu’on en parle si peu souvent
et dans la conversation celui qui en Jésus Christ
laisse passer quelque chose de l’Annonce
pas tant parce qu’il s’y croit obligé
que parce qu’il est comme ça, c’est en lui,
sa parole porte la Parole
et il arrive que quelqu’un
écoute
et le fond du cœur est ouvert.
10. Désirer, désirer
désespérément
désirer jusqu’à la douleur et
la détresse
jusqu’au grand vide amer
désirer que ce soit autrement
désirer la fin des cruautés
des folies, de la bêtise, de l’abject,
désirer la gaieté, la lumière, la tendresse
avoir si faim, avoir si soif
du monde différent
et de soi-même différent.
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11. Ecrire par plaisir, par goût, pour voir
écrire pour écouter ce que le bruit ordinaire recouvre ou
embrouille
y compris le bruit des mots
Laver les mots jusqu’à ce qu’ils soient
tout purs et ronds et lisses
ou bien aller par les chemins foisonnants
ou bien refaire, indéfiniment refaire
pour approcher un peu plus ce qui manque et insiste
écrire pour aller vers le point là-bas
qui communique avec l’au-dessus et l’en-deçà de tout mot.
12. Ecouter la musique
La Messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach par exemple
spécialement Incarnatus, Crucifixus, Resurrexit
ou bien autre chose
pas nécessairement de la musique
religieuse
mais écouter dans la profondeur
écouter le chant du nouvel Orphée
présent
à toute musique humaine
incarnation, crucifixion, jubilation
Si l’on peut, chanter soi-même et jouer de
l’instrument,
c’est encore mieux !
13. Se tenir dans la paix
qui est l’harmonie des puissances
au-delà du tourbillon
au-delà de l’abstention sereine
au-delà de l’abandon volontaire des héros
dans l’harmonie des puissances
coïncidant avec la plus humble humilité
ceci, dans le médiocre des jours
sans hauteur, sans savoir et quelquefois sans grâce.
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14. Sortir de l’église
quitter la célébration
parce qu’on ne supporte plus
parce qu’on ne peut plus rester
à cause du trop d’intensité et de hauteur
de ce qui est censé se faire là
en contraste avec l’échec navrant de ce qui s’y passe en fait
quitter sans scandale, sans contestation, avec tristesse
et le désir endurant que se lève à nouveau
comment ? comment ?
la lumière du grand poème où s’inaugure toutes choses.
15. Avec quoi je repars ?
Après un bon moment vécu avec des amis,
après un moment fort,
me demander avec quoi je repars :
Dans ma tête : une découverte, un mot…
Dans mes mains et mes pieds : un nouveau savoir-faire, un
élan nouveau
Dans mon cœur : un sentiment de paix, de joie, de douceur…
Et dire merci à la Vie !
16. En trois mots… et plus si affinités !
A la fin de sa journée, oser dire à Dieu ou à ses proches
MERCI (pour…)
PARDON (pour…)
S’IL TE PLAIT (aide-moi, donne-moi…)
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17. Douter, intensément douter de Dieu
quoi, il y aurait un Dieu bon et tout puissant
avec toute cette cruauté dans la nature
avec l’infernale cruauté humaine
les enfants crevants de faim, les exploités,
les névrosés, les abrutis, les alcooliques, tous les déchets
humains ?
Elle est belle, l’image de Dieu !
Et qu’est-ce que Dieu
sinon la pauvre petite idée élaborée
sur la planète où nous sommes
rien, au sein de l’univers éclatant
vers des dimensions inimaginables
Objections, objections, agonie de Dieu
au cœur de l’homme de foi.
Il a répondu cent fois, mais il s’agit d’absence
Pauvre Dieu en agonie
comme son Verbe identique à Lui au jardin des oliviers
quand ses meilleurs amis dormaient...
Ce n’est donc pas si peu que de le veiller. En son agonie.
18. Ni les images, ni le texte
ni le lieu ni l’heure
ni la parole qui sourd du coeur
ni la répétition lasse et attentive
pas même le silence
mais simplement le réel
terriblement réel et plat, les choses, la surface
la conversation sans but
les tâches, les loisirs,
manger, rêver, dormir
et la souffrance intolérable, indicible
tellement souffrante qu’on n’en souffre pas
l’attente nue de ce qui doit venir au monde
pour qu’il en soit sur la terre comme au ciel.
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19. Travailler de ses mains
à des tâches ménagères, à la couture,
à son métier, à du bricolage
et faire taire la radio et tout le brouhaha intérieur
écouter ce qui parle sans mots
tandis que les mains s’occupent
et occupent la surface de l’âme.
Ou bien, conduire une automobile
très détendu, attentif, courtois
tandis que cette occupation laisse libre
une pensée sans pensée
qui mûrit d’ailleurs.
20. Un guide portatif !
Avec ma main, je peux regarder ce qui fait ma vie…
Avec le pouce : « Pouce j’arrête ». Prendre le temps de me
poser, de faire quelques minutes de silence, d’arrêter le
tourbillon de ma vie…
Avec l’index : le doigt qui montre. « Seigneur, montre-moi ton
amour, et je serai sauvé » … Qu’est-ce que ma vie montre,
indique ?
Avec le majeur : qu’est-ce qui est majeur dans ma vie,
essentiel ? qu’est-ce qui me fait vivre, me donne goût à la vie ?
Avec l’annulaire, le doigt où m’on porte l’alliance. Avec qui, avec
quoi je fais alliance ? A qui je me sens lié ?
Avec l’auriculaire, celui qui écoute : « c’est mon petit doigt qui
me l’a dit ». Est-ce que je prends le temps d’écouter, en famille,
avec les copains… ? Est-ce que je prête attention aux rumeurs,
aux ragots, aux méchancetés ?
Quel temps je prends pour écouter la Parole de Dieu ?
Merci, Seigneur, ta main me conduit, mes jours sont dans ta
main…
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