Pierre Curie L`excellence alliée à l`humilité

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Pierre Curie L`excellence alliée à l`humilité
UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE
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Pierre Curie
L’excellence alliée à l’humilité
par Michel BARQUINS
Laboratoire de physique et de mécanique des milieux hétérogènes (LPMMH)
UMR CNRS-ESPCI n° 7636 - 75231 Paris Cedex 05
[email protected]
RÉSUMÉ
Voici cent ans, Pierre CURIE recevait le prix Nobel de physique pour son travail sur
la radioactivité naturelle, conduit en parallèle avec son épouse Marie et Henri BECQUEREL
[1]. L’activité de ce physicien illustre ne peut se résumer à cette seule activité scientifique puisqu’il était déjà reconnu à l’époque pour ses précoces et remarquables travaux
sur le rayonnement infrarouge, la piézo-électricité, puis la croissance des cristaux,
l’étude des symétries dans les cristaux et son extension aux symétries des causes et effets
dans l’énoncé de son célèbre « principe de symétrie », ses études sur les propriétés
magnétiques des corps à différentes températures et le fameux « point de Curie », la théorie réduite des mouvements amortis, sans oublier la conception d’un certain nombre
d’appareillages de laboratoire.
Nous proposons ici un tour d’horizon chronologique de sa très riche mais courte
activité scientifique, puisqu’il mourut accidentellement à l’âge de 47 ans, en mettant en
évidence les différentes facettes de cette intelligence tout à fait remarquable associée à
la plus humble simplicité de l’être.
LA JEUNESSE
Pierre CURIE naît le 15 mai 1859 rue Cuvier à Paris, au domicile de ses parents. Il
est le second fils de Eugène CURIE et de Sophie-Claire, née DEPOULLY, d’origine savoyarde.
Eugène, médecin et fils de médecin, est d’origine alsacienne et protestante. Les CURIE,
jadis bourgeois, sont, de génération en génération, devenus des intellectuels et des savants.
Eugène, est un fervent de la recherche scientifique et n’exerce la médecine que pour
gagner sa vie. Il a été préparateur de l’anatomiste Georges-Louis DUVERNOY puis assistant de Louis GRATIOLET, professeur d’anatomie comparée au laboratoire du Muséum. Il
s’intéresse à l’homéopathie, comme son père Paul, qui est un nouveau système médical
fondé dans les années 1820 par l’allemand Simon HAHNEMANN, et est l’auteur de travaux
sur l’inoculation de la tuberculose.
Pierre Curie et son frère aîné Paul Jacques (dit Jacques), né en 1855, sont, dès l’enfance, attirés par les sciences. Mais Pierre, d’esprit indépendant et rêveur, ne peut se plier
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à la discipline, à la rigueur et au travail
systématique de l’école, qu’il ne fréquentera d’ailleurs pas. D’abord instruit par sa
mère qui lui apprend la lecture, puis par
son père et par son frère aîné qui l’intéressent aux sciences naturelles, Pierre
CURIE est confié, à l’âge de quatorze ans,
à un précepteur très demandé dans les
bonnes familles, Monsieur Albert
BAZILLE, qui lui enseigne les mathématiques et l’aide pour l’étude du latin.
En 1859, peu après la naissance de
Pierre, Eugène CURIE ouvre un cabinet
médical à l’angle des rues Saint-Simon et
de la Visitation dans le 7e arrondissement
de Paris. Ses activités courageuses auprès
des blessés durant la Commune de Paris,
au printemps 1871, ainsi que ses convictions politiques républicaines affirmées
Pierre CURIE
valurent à Eugène CURIE la désapproba(ACJC - Fonds Curie et Joliot-Curie)
tion et l’abandon d’une partie de sa clientèle bourgeoise. Ces événements resteront à jamais gravés dans la mémoire de Pierre
CURIE, alors âgé de douze ans.
Pierre CURIE est reçu à son baccalauréat ès sciences le 9 novembre 1875, mais avec
la mention « passable » car il a obtenu un zéro en chimie du fait de sa méconnaissance
des propriétés du chlore. Il est âgé de seize ans, ce qui correspondait à l’époque à l’âge
moyen des candidats. Il suit alors les cours et les travaux pratiques de la licence ès
sciences dispensés à la Sorbonne.
LES ÉTUDES SUPÉRIEURES
En novembre 1876, Pierre CURIE se fait inscrire à l’École de pharmacie de Paris,
rue de l’Arbalète dans le 5e arrondissement, où son frère Jacques est déjà préparateur de
chimie depuis novembre 1875, pour y préparer une licence de sciences physiques. Pierre
CURIE ne se présente pas aux examens de pharmacie mais prend quand même son inscription obligatoire d’élève stagiaire chez un pharmacien, Monsieur VIGIER, situé au
numéro 6 de la rue du Bac, près de son domicile. Donnant satisfaction, son engagement
est renouvelé les deux années suivantes. C’est là qu’il se familiarise avec le travail de
laboratoire et acquiert une certaine habileté manuelle, dans un domaine voisin de la chimie.
C’est à cette époque que s’affrontent les chimistes sur l’hypothèse de l’existence des
atomes, avec les « anti-atomistes » convaincus que sont Henri Sainte-Claire DEVILLE et Louis
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TROOST, professeurs de chimie à la Sorbonne en 1875, soutenus par Marcellin BERTHELOT,
alors inspecteur général de l’Enseignement supérieur depuis 1875, et les « atomistes » que
sont Adolphe WURTZ et Charles FRIEDEL, respectivement professeur de chimie et professeur de minéralogie récemment nommés, à la rentrée 1876. C’est, sur leur influence, que
Pierre CURIE adopta et défendit la théorie atomiste.
Pierre CURIE obtient sa licence ès sciences physiques le 21 novembre 1877. Sa préparation, qui a duré deux ans, n’a consisté en fait qu’en un approfondissement du programme du lycée, en vue de l’enseigner. C’est pendant sa fréquentation de l’École de
pharmacie, dont le titulaire de la chaire de physique est François LEROUX, expérimentateur distingué, auteur de travaux sur la dispersion de la lumière et la mesure de la vitesse
du son, que Pierre CURIE fait la connaissance J.-C. BOURBOUZE, préparateur des cours de
physique, mécanicien hors-pair, qui s’établira plus tard comme constructeur d’appareils
et à qui Pierre CURIE fera appel pour réaliser ses premiers instruments de mesure, comme
le quartz piézo-électrique et la balance apériodique.
LE PREMIER EMPLOI
Remarqué pendant ses études par Paul DESAINS, et son adjoint M. MOUTON, Pierre
CURIE est, par un arrêté du 22 janvier 1878 du ministère de l’Instruction publique, des
cultes et des beaux-arts, recruté comme préparateur adjoint au laboratoire d’enseignement
de physique de la Faculté des sciences, que dirige Paul DESAINS, professeur à la Sorbonne
et directeur de l’École pratique des hautes études. Pierre CURIE occupera son poste pendant cinq ans. Il est chargé des manipulations de physique des étudiants. Son salaire annuel
débute à mille deux cents francs (183 e) pour atteindre mille cinq cents francs (229 e)
le 1er août 1880, à l’occasion de sa promotion au grade de préparateur, comme le stipule
l’arrêté du 17 novembre 1880.
Paul DESAINS, auteur d’une thèse en 1849 sur le rayonnement de la chaleur, confie
à Pierre CURIE son premier travail de recherche qui a trait à la détermination des longueurs d’onde des « rayons calorifiques obscurs » (les actuels rayons infrarouges) jusque
là connus qualitativement. Pierre CURIE réussit à mesurer directement la longueur d’onde
de ces rayons. Pour cela, il utilise un prisme en sel gemme (le verre étant pratiquement
opaque aux rayons infrarouges) qui lui fournit le spectre des sources étudiées, constituées
de deux plaques en cuivre noircies, chauffées à 150 °C et à 300 °C. Il isole, au moyen
d’une fente, un pinceau de rayons sensiblement homogènes dans une région déterminée
du spectre. Pour mesurer la longueur d’onde, il réalise un réseau de diffraction, constitué par une série de fins fils métalliques tendus parallèlement entre eux et équidistants
qu’il associe à une thermopile composée de thermocouples disposés en série dont les soudures de rang pair sont maintenues à une température donnée, les autres subissant l’effet
du rayonnement étudié qui élève la température et produit dans la thermopile une tension
électrique. Pierre CURIE peut ainsi déterminer la position des différents pics de diffraction et en déduire les longueurs d’ondes, à partir de sa connaissance de la géométrie du
réseau. Il mesure ainsi des longueurs d’onde jusqu’à 7 micromètres. Pierre CURIE signe
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à cette occasion sa première publication avec Paul DESAINS, sous la forme d’une Note
présentée à l’Académie des sciences, à la séance du 28 juin 1880 [2].
LA COLLABORATION FRUCTUEUSE DES DEUX FRÈRES :
LA DÉCOUVERTE DE LA PIÉZO-ÉLECTRICITÉ
Au cours de la période 1878-1882, Pierre et Jacques CURIE mènent de front une
série de travaux à la fois sur la pyroélectricité et sur la piézo-électricité des cristaux en
vue de différencier les deux propriétés. Jacques CURIE, lui-même licencié ès sciences
physiques, est préparateur au laboratoire de minéralogie de la Faculté des sciences dirigé
par le chimiste Charles FRIEDEL et doit, en vue de sa thèse, étudier la pyroélectricité du
quartz, qui résulte de la dissymétrie de la maille élémentaire du cristal. La pyroélectricité
est la propriété que présentent certains cristaux (les cristaux hémièdres à faces inclinées)
d’acquérir des charges électriques de signes contraires sur les faces opposées, lorsqu’ils
sont soumis à une variation de température. Charles FRIEDEL, qui étudie la pyroélectricité depuis les années 1860, est persuadé que le quartz possède cette propriété, contrairement aux minéralogistes allemands Gustav ROSE, Peter RIESS et W. HANKEL qui n’ont
jamais réussi à mettre en évidence la moindre polarisation du quartz lors de son échauffement. C’est dans ce contexte que Pierre CURIE se trouve associé au travail de son frère
Jacques, qu’il a rejoint à la Faculté des sciences, plus attiré par la cristallographie que
par l’étude des rayons infrarouges.
À partir de cette époque Jacques et Pierre CURIE font leurs premières constatations
sur les propriétés électriques de cristaux de tourmaline et de quartz soumis à un effort
mécanique. Lors d’une compression suivant un axe d’hémiédrie, les extrémités de l’axe
se chargent d’électricité de signes opposés. Pendant un étirement, le même phénomène
est observé mais avec inversion du signe des charges électriques.
Le 2 août 1880, Charles FRIEDEL présente à la séance hebdomadaire de l’Académie des
sciences une Note [3] de Jacques et Pierre CURIE qui annoncent l’apparition de l’électricité polaire quand des variations de pression sont imposées suivant les axes d’hémiédrie
des cristaux hémièdres à faces inclinées. Les deux frères viennent ainsi d’identifier la
piézo-électricité. Cette propriété consiste en une polarisation électrique des cristaux
dépourvus de centre de symétrie. Il sera montré que tous les cristaux piézo-électriques
sont pyroélectriques mais que la réciproque n’est pas vraie. En particulier, le quartz n’est
pas pyroélectrique. À partir de cette date et jusqu’au 15 novembre 1882, sept articles vont
être communiqués à l’Académie des sciences.
C’est ainsi que le 16 août 1880, Jacques et Pierre CURIE publient une seconde Note
[4] dans laquelle ils passent en revue les cristaux pyroélectriques connus (blende, chlorate
de soude, helvine, tourmaline, quartz, topaze, calamine, sel de Seignette, acide tartrique
droit, sucre et boracite) et décrivent pour chacun d’eux les particularités de forme ainsi
que la situation des pôles électriques.
Charles FRIEDEL présente une nouvelle Note des frères CURIE [5], le 24 janvier 1881,
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où ils énoncent les lois du dégagement de l’électricité par pression dans la tourmaline. Il
est ainsi montré que :
♦ les deux extrémités d’une tourmaline dégagent des quantités d’électricité de signes
contraires égales entre elles ;
♦ la quantité d’électricité libérée par une certaine augmentation de pression est de signe
contraire et égale à celle produite par une égale diminution de pression ;
♦ cette quantité est proportionnelle à la variation de pression ;
♦ elle est indépendante de la longueur de la tourmaline ;
♦ pour une même variation de pression par unité de surface, elle est proportionnelle à
la surface.
Un nouvelle Note [6] est présentée à l’Académie des sciences le 14 février 1881,
sur la piézo-électricité présentée par la tourmaline, dans laquelle Jacques et Pierre CURIE
discutent l’interprétation, contestable à leurs yeux, qu’avait faite GAUGAIN sur ses propres
recherches concernant la pyroélectricité de la tourmaline.
Les frères CURIE commencent à tailler à partir de différents cristaux, des lames à
faces parallèles de manière telle que ces faces soient très précisément perpendiculaires à
l’un des « axes électriques » du cristal. Cette étude les conduit à inventer le quartz piézoélectrique dont les faces perpendiculaires à un axe électrique sont recouvertes de deux
feuilles d’étain, isolées extérieurement par deux feuilles de caoutchouc, reliées à un électromètre à quadrants, appareil réalisé dans la seconde moitié du XIXe siècle par William
THOMSON (Lord KELVIN). C’est en pinçant les deux faces du cristal dans les mors d’un
étau qu’ils produisent les charges électriques. Deux améliorations seront apportées ultérieurement par Pierre CURIE à l’électromètre : d’une part, l’utilisation d’un fil de quartz
permettant d’accroître la sensibilité de l’appareil et, d’autre part, la réalisation d’un dispositif d’amortissement à air [7]. L’ensemble de l’appareillage, qui sert à mesurer en valeur
absolue et dans un temps très court des charges et des courants électriques de faible intensité, sera utilisé par Pierre et Marie CURIE dans leur recherche sur la radioactivité.
Faisant preuve d’un esprit pratique indéniable, c’est dans la Note [8] du 25 juillet
1881, que Jacques et Pierre CURIE décrivent le quartz piézo-électrique de leur invention,
en insistant sur l’utilisation possible de cet instrument comme étalon d’électricité statique
pouvant servir à la mesure des charges et des capacités. À partir de 1890, le quartz piézoélectrique est construit et commercialisé par la Société centrale des produits chimiques,
située au numéro 44 de la rue des Écoles à Paris, dans le 5e arrondissement. Il existe deux
modèles de cet appareil : un premier modèle, dit simple, vendu trois cents vingt cinq
francs (50 e) et un modèle complet à cinq cents francs (76 e), qui comprend en plus,
principalement, un levier permettant de soulever le plateau recevant les poids utilisés pour
produire différentes charges électriques.
Dans un article théorique et général sur la conservation de l’électricité [9], paru en
octobre 1881, Gabriel LIPPMANN suggère l’existence d’un effet réciproque à la piézo-électricité, à savoir l’observation d’une déformation du cristal devant résulter de l’application
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d’une différence de potentiel. Jacques et Pierre CURIE se mettent alors au travail et se rendent très vite compte de la difficulté de mesurer des dilatations d’extrême faible amplitude, comme ils le signalent dans leur Note [10] présentée le 26 décembre 1881 à l’Académie des sciences, dans laquelle ils précisent qu’une variation de longueur de 1/20000
de millimètre correspond à une différence de potentiel provoquant une étincelle de 0,01
mètre dans l’air. En d’autres termes, nous dirions de nos jours qu’une différence de potentiel de 30 000 volts provoque une variation de longueur de 0,05 micromètre. La métrologie, à l’époque, ne permet la lecture directe des longueurs qu’avec une précision de
l’ordre du micromètre. Seuls donc, des procédés indirects sont capables de mesurer de si
infimes variations de longueur et c’est ce à quoi s’emploient les frères CURIE. Ils utilisent, en particulier, un levier pour amplifier les déplacements qu’ils mesurent à l’aide
d’un microscope. Les autres dispositifs employés associent plusieurs lames de quartz
accolées liées à un manomètre piézo-électrique, appareil qu’ils construisent et qui est
décrit en 1889 à l’occasion de leur dernier article écrit en commun [11]. Il va leur falloir
un an pour mener à bien les travaux entrepris en vue de vérifier l’hypothèse de LIPPMANN.
Malgré cette activité très prenante, Pierre CURIE n’hésite pas à sortir du laboratoire
pour suivre, par exemple, les cours d’élasticité professés à l’Arsenal par Émile SARRAU.
Ses notes relatent en particulier une étude d’un cristal de quartz. Cet enseignement complète les connaissances livresques acquises en lisant notamment les œuvres de Auguste
BRAVAIS et de René Just HAÜY sur les symétries des cristaux.
Comme suite à la suggestion de Gabriel LIPPMANN, par des expériences extrêmement délicates, réalisées dans une pièce située à l’écart du laboratoire de physique et mise
à leur disposition par Messieurs DESAINS et MOUTON, Jacques et Pierre CURIE montrent
de manière incontestable que l’application d’une différence de potentiel aux extrémités
d’un axe électrique du cristal provoque effectivement une dilatation du quartz, cette dilatation étant proportionnelle à la différence de potentiel. Les résultats sont fournis dans
une Note [12] présentée par Paul DESAINS à l’Académie des sciences lors de la séance
hebdomadaire du 13 novembre 1882.
C’est en ce début du mois de novembre 1882 qu’une opportunité est offerte à Pierre
CURIE, elle va conditionner toute son existence future. La relation de l’événement nécessite un léger retour en arrière.
LA CRÉATION DE L’EMPCI
En 1878 le chimiste Charles LAUTH, d’origine alsacienne, spécialiste des matières
colorantes (on lui doit le « violet de Paris »), écrit au ministre de l’Agriculture et du commerce pour lui exposer la nécessité de créer à Paris une École nationale de chimie, la
France ayant perdu, suite à la guerre de 1870, l’Alsace en général, et l’École de chimie
de Mulhouse, en particulier. Malheureusement, aucune suite ne sera donnée à cette
requête.
Charles LAUTH, devenu conseiller municipal, récidive le 22 décembre 1880. La quesPierre Curie : l’excellence alliée à l’humilité
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tion de la création, par la Ville de Paris, d’une école où seraient enseignées la chimie et
la physique industrielles est en effet inscrite à l’ordre du jour du conseil municipal. Mais
il faut attendre le 20 juin 1881 pour que le préfet de la Seine nomme une commission dont
le rôle est de définir les modalités de l’enseignement devant être dispensé dans la future
école pour répondre aux besoins des industriels. Le rapport de M. LEVRAUD, sur l’extrême
utilité de l’enseignement de la physique et de la chimie industrielles au point de vue théorique et surtout pratique, est enfin adopté par le conseil municipal le 21 juillet 1882.
Par arrêté du préfet Charles FLOQUET, en date du 28 août 1882, l’École municipale
de physique et de chimie industrielles (EMPCI) de la Ville de Paris est créée, avec pour
mission de servir de complément aux écoles d’enseignement primaire supérieur et à former des contremaîtres, des ingénieurs ou des chimistes pour l’industrie privée, l’enseignement de cette école devant être essentiellement pratique et dirigé surtout en vue des
applications industrielles. Le premier directeur est Paul SCHUTZENBERGER, ancien professeur à l’École municipale de chimie de Mulhouse et professeur au Collège de France,
nommé sur la recommandation du déjà célèbre chimiste Marcellin BERTHELOT. Paul
SCHUTZENBERGER, est connu, entre autres, pour ses travaux sur la chimie appliquée à la
physiologie animale et à la pathologie. Il assumera les fonctions de directeur jusqu’à sa
mort, en juin 1897. La Ville de Paris alloue un budget de cent trente mille francs (19 818 e)
pour le fonctionnement de la première année de l’école. La durée de la scolarité est de
trois ans. Contrairement à d’autres, cette école est non seulement gratuite mais elle offre
une allocation, d’un montant de cinquante francs (8 e) par mois, aux jeunes parisiens
issus de foyers modestes qui en font la demande.
La date du premier concours d’entrée à l’EMPCI est fixée au 4 octobre 1882, et
vingt-neuf élèves seront admis. C’est le 3 novembre à 10 heures que s’ouvre la première
séance de cours, au numéro 42 de la rue Lhomond, dans les anciens bâtiments du collège Rollin, au cœur du 5e arrondissement de Paris.
PIERRE CURIE DEVIENT PRÉPARATEUR DE PHYSIQUE À L’EMPCI
Sa passion : les symétries des cristaux et des phénomènes physiques
C’est ainsi que, sur la chaude recommandation de Charles FRIEDEL, Pierre CURIE est
nommé préparateur de physique à l’EMPCI, auprès du professeur Fernand DOMMER qui
enseigne la physique générale aux élèves de première année, avec une rémunération
annuelle de quatre mille francs (610 e), pour prendre en charge la formation des élèves
en travaux pratiques et accompagner le cours d’explications orales et écrites. On lui
adjoint un garçon de laboratoire pour l’entretien des locaux et des appareils. Pierre CURIE
abandonne ses recherches expérimentales sur la piézo-électricité, devant s’abstenir de
toute recherche personnelle, selon les règles de fonctionnement de l’EMPCI. Entre 1890
et 1892, Woldemar VOIGT établira la théorie générale des propriétés piézo-électriques des
cristaux, ce qui amènera Pierre CURIE, d’après Marie CURIE [13], à renoncer à son projet de publication analogue à cette époque.
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N’ayant tout d’abord pas beaucoup de temps et aucun moyen matériel, Pierre CURIE
consacre le peu de loisir dont il dispose à des réflexions théoriques sur les phénomènes
qu’il a étudiés avec son frère et sur la symétrie des cristaux. Il désire aller au-delà des
problèmes de classification minéralogique. Des lois de symétrie en cristallographie, il
passera à la symétrie des phénomènes physiques.
L’année 1883 va être marquée par deux événements d’importances inégales dans la
vie de Pierre CURIE. D’une part, son déménagement en banlieue parisienne (il vit avec
ses parents), puisque Eugène CURIE s’installe avec toute sa famille à Fontenay-aux-Roses.
Tout d’abord bénéficiaire d’un emploi de médecin inspecteur du service de protection de
l’enfance, le père de Pierre CURIE devient médecin scolaire, attaché au lycée Lakanal à
Paris, du 25 septembre 1885 au 28 juillet 1891, date à laquelle il prend sa retraite. D’autre
part, et c’est là le fait le plus marquant, les frères CURIE sont contraints de se séparer,
Jacques CURIE étant nommé maître de conférences de minéralogie à l’université de Montpellier, déplacement qui met fin à leur étroite collaboration mais non à leurs échanges
scientifiques. En effet, tous deux vont s’intéresser, à leur manière, aux cristaux. C’est
ainsi que Jacques CURIE soutiendra le 22 juin 1888 sa thèse de doctorat ès sciences à la
Faculté des sciences de Paris, laquelle sera publiée en août 1889 [14]. Son travail, effectué dans la continuité des expériences entreprises en commun avec son frère sur la piézoélectricité, consista essentiellement à étudier et à mesurer les conductivités ainsi que les
constantes diélectriques de différents cristaux.
À la rentrée scolaire en octobre 1883, bien que la préparation des travaux pratiques
des élèves lui prenne beaucoup de temps, Pierre CURIE poursuit ses travaux théoriques
sur la physique cristalline. Ses études aboutiront à l’énoncé en 1894 du principe général
de symétrie, qui deviendra une des bases de la science moderne. Pierre CURIE va publier
six articles de 1884 à 1895.
Dès 1884, Pierre CURIE publie un premier mémoire sur les questions d’ordre et de
répétitions dans les cristaux [15], puis un second [16], complétés l’année suivante par un
court article [17], l’ensemble constituant un véritable traité de symétrie. En quatre-vingt
deux propositions, consistant en définitions, notations et théorèmes, Pierre CURIE se propose de classer un système quelconque de points doués de propriétés quelconques, d’après
leurs types de répétition et de symétrie.
Dans son premier article [15], Pierre CURIE précise clairement que l’ordre dans un
système peut se manifester de deux manières différentes : la répétition et la symétrie. Ces
deux opérations sont des isométries, c’est-à-dire des transformations linéaires qui conservent les dimensions. Il en existe de deux genres. Le premier genre est constitué par les
translations et les rotations par rapport à un axe qui conduisent à des figures directement
superposables. Pierre CURIE s’intéresse particulièrement aux axes de rotation d’ordre
infini (symétrie de révolution) appelés « axes d’isotropie ». C’est dans le deuxième article
[16] que Pierre CURIE évoque les symétries de deuxième genre que constituent les
réflexions rotatives. Ces réflexions consistent en un mirage accompagné éventuellement
d’une rotation autour d’un axe perpendiculaire au plan de mirage. Lorsque l’angle de la
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rotation est nul, c’est la réflexion plane, laquelle conduit à des figures non superposables
dont un exemple simple est celui des cristaux de quartz. Lorsque que l’angle de la rotation est égal à 180°, l’opération correspond à une symétrie par rapport à un point appelé
centre de symétrie. Dans le cas général, l’axe perpendiculaire au plan du mirage est un
axe de répétition d’ordre fini. Pierre CURIE insiste sur le fait que la connaissance des axes,
des plans et des centres de symétrie est insuffisante pour définir la symétrie d’un système : il est nécessaire de prendre en compte de nouveaux éléments de symétrie comme
les plans de symétrie rotatoire ou translatoire pour lesquels la transformation consiste en
un mirage accompagné d’une rotation ou d’une translation.
Ce n’est que dix années plus tard, en 1894 qu’on apprendra, lors de la publication
d’un nouvel et prodigieux article [18], que Pierre CURIE a réussi à appliquer les théorèmes généraux de la symétrie des cristaux à celle qui régit les phénomènes physiques.
Il s’agit là d’un travail isolé, l’œuvre d’un pionnier regrettant, selon lui, que certains esprits
(ses contemporains) puissent hésiter à transporter à un milieu dans un état physique quelconque une classification qui a été établie d’abord au point de vue de la géométrie pure.
En 1885, Pierre CURIE publie un essai théorique appliqué à un problème bien
concret, à savoir la formation des cristaux [19]. Il explique pourquoi la forme des cristaux n’est pas quelconque, que certaines faces se développent et pas d’autres. Un cristal,
plongé dans une solution saturée, prend la forme qui dépend de la nature des molécules
qui le composent et de la valeur des constantes capillaires des différentes faces, en rendant minimale l’énergie interne. Dans l’hypothèse d’un cristal parfaitement homogène, la
forme obtenue serait sphérique. La réalité est toute autre, il montre que la connaissance
des constantes capillaires et la forme du motif cristallin permettent de rendre compte des
forme et dimensions des différentes faces.
Ce sont ces études sur les cristaux et leurs symétries qui amènent Pierre CURIE à
introduire en physique, en les généralisant, les notions de symétries familières aux cristallographes. En 1885, les recherches des cristallographes consistaient à dénombrer toutes
les symétries possibles de l’état cristallin, c’est-à-dire à énumérer les différentes combinaisons entre les symétries d’orientation et les symétries de position. C’est ainsi que
furent trouvées, en 1890, les deux cent trente combinaisons appelées groupes spatiaux ou
groupes de Schoenflies-Fedorov, des noms de leurs deux découvreurs qui ont travaillé
simultanément et indépendamment, alors que les corps cristallisés ne peuvent être divisés qu’en trente-deux groupes distincts si l’on s’en tient uniquement à la symétrie de la
forme extérieure.
La théorie des « groupes », que Pierre CURIE intégra dans sa réflexion uniquement
pour classer les systèmes physiques, et qui constitue l’outil mathématique de base permettant d’utiliser son principe de symétrie [18], édicté et publié en 1894, fut élaborée par
Evariste GALOIS en 1830, utilisée par Augustin-Louis CAUCHY dans la résolution d’équations algébriques et complétée et développée par Camille JORDAN dans les années 1870
dans son « Traité des substitutions et des équations algébriques » ouvrage qu’étudia
Pierre CURIE, comme en témoignent des notes de lecture.
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En même temps que sa réflexion avance dans la compréhension de la symétrie des
cristaux, Pierre CURIE continue de concevoir des appareillages de laboratoires et les fait
réaliser. C’est ainsi que le quartz piézo-électrique, élaboré en collaboration avec son frère
Jacques est construit par J.-C. BOURBOUZE et est présenté, en 1885, à l’exposition d’électricité qui se tient à l’Observatoire à Paris. Pierre CURIE conçoit et construit également
en 1886 l’électromètre à quadrants apériodique [8]. En novembre 1888, Pierre CURIE
prend un brevet d’invention pour la balance de précision apériodique et rapide qu’il a
inventée. Il confie sa commercialisation exclusive à la Société centrale des produits chimiques, qui prend à sa charge les dépenses et lui reverse 10 % sur le prix de vente, il
perçoit également 20 % pour les modifications apportées à d’autres modèles et 30 % sur
les licences accordées à d’autres constructeurs. Il prendra en 1897 un autre brevet sur les
perfectionnements apportés à sa balance.
Le 27 mars 1890, Pierre CURIE voit son poste de préparateur transformé en celui de
chef de travaux, suite à une intervention de Charles FRIEDEL aux conseils d’administration
et de perfectionnement de l’EMPCI, fonction qu’il exercera jusqu’en 1895. Sa position
à l’école ne reflète pas la célébrité qu’il acquiert grâce à la grande qualité de ses travaux.
Ses interventions nombreuses et éclairées aux séances des différentes sociétés savantes
qu’il fréquente, comme la Société française de physique, la Société minéralogique de
France ou encore la Société internationale des électriciens, font que sa renommée dépasse
les frontières. En particulier, ses travaux, en commun avec son frère Jacques, sur la piézoélectricité ont été remarqués par le physicien anglais William THOMSON (qui sera anobli
en 1892 avec le titre de Lord KELVIN) si bien qu’une correspondance régulière s’établit
entre les deux hommes dès le début de l’année 1890, collaboration qui les conduira même
à l’avenir à échanger des matériels.
PIERRE CURIE PRÉPARE UNE THÈSE DE DOCTORAT
ÈS SCIENCES PHYSIQUES
C’est en septembre 1891, date portée sur un cahier de laboratoire en regard de ses
premières notes d’expériences, que Pierre CURIE commence ses travaux expérimentaux
sur le magnétisme, en vue d’une thèse de doctorat ès sciences physiques. Il obtient une
petite subvention annuelle de Paul SCHUTZENBERGER, ainsi qu’un local exigu, situé entre
un escalier et une salle de manipulations des élèves. Pendant trois ans et demi, il étudiera
les propriétés magnétiques de vingt corps différents, de la température ambiante à 1370 °C.
En cette fin d’année 1891, toujours préoccupé par l’amélioration de la balance de son
invention, Pierre Curie publie un article sur les équations d’amortissement des systèmes
mécaniques [20] afin que la balance indique rapidement les poids, après seulement une
ou deux oscillations.
Pour ce qui concerne son travail de thèse de doctorat en physique, Pierre CURIE doit
se conformer aux habitudes de l’époque, à savoir réaliser un travail purement expérimental, sachant que ce sont l’originalité et l’ingéniosité de la démarche scientifique suivie, la mise au point d’un ou plusieurs appareillages adaptés à la recherche et la nouPierre Curie : l’excellence alliée à l’humilité
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veauté des résultats qui seront jugées. Son frère Jacques ayant déjà exploré le domaine
des milieux diélectriques lors de son travail de thèse [14] et décrit longuement à cette
occasion les deux appareils qu’ils ont mis au point ensemble, le quartz piézo-électrique
et l’électromètre à quadrants, Pierre CURIE se trouve contraint de choisir une autre voie.
Il se décide pour l’étude du magnétisme, pour en améliorer la connaissance. En fait, ce
choix n’est pas fortuit car il se situe en droite ligne de ses réflexions, déjà bien avancées,
sur la symétrie des phénomènes physiques qu’il publiera en 1894 [18].
À cette époque, du point de vue de leurs propriétés magnétiques, les corps se divisent en trois catégories, selon la classification établie en 1855 par Michael FARADAY :
♦ les corps diamagnétiques, qui regroupent la grande majorité des corps simples et composés ;
♦ les corps faiblement magnétiques (paramagnétiques), comme le palladium, le platine,
le manganèse, les sels de fer, de cobalt, de nickel, de cuivre et de didyme et des gaz
comme l’oxygène et le dioxyde d’azote ;
♦ les corps magnétiques (ultérieurement appelés ferromagnétiques, par référence à la
propriété du fer) qui comprennent le fer, le nickel, le cobalt, l’acier, la fonte ainsi
qu’un certain nombre d’alliages.
De plus, FARADAY avait mis en évidence la forte diminution du magnétisme du fer par
une élévation importante de la température.
C’est dans ce contexte que Pierre CURIE se propose d’établir les évolutions des propriétés magnétiques de différents corps dans une gamme étendue de températures, allant
de l’ambiante à 1370 °C. Il entreprend de mesurer ce qu’il appelle le coefficient d’aimantation spécifique K, que l’on peut aujourd’hui identifier à la susceptibilité magnétique. Il déduit la force résultant des actions magnétiques à partir de la déformation d’un
fil de torsion auquel est accroché le corps étudié, placé dans une ampoule de verre supportée par une charpente en cuivre, chauffé et soumis au champ magnétique délivré par
l’électroaimant, aimablement prêté par le professeur J.-B. BAILLE de l’EMPCI. La déviation du fil de torsion est mesurée par la lecture du déplacement d’un micromètre, solidaire
du corps étudié, à l’aide d’un microscope. Pierre CURIE se targue de mesurer, avec son
dispositif, des forces de 1/100 de milligramme agissant sur le corps éprouvé. La grande
difficulté du travail expérimental réside essentiellement dans le maintien, à une valeur
constante, de la température du four constitué d’une ampoule de porcelaine chauffée électriquement.
De méticuleuses expériences permettent ainsi à Pierre CURIE d’établir une nette distinction entre les corps diamagnétiques et les autres. En particulier, il montre clairement
que les coefficients d’aimantation spécifique des corps diamagnétiques sont indépendants
de l’intensité du champ magnétique et de la température.
Pour ce qui concerne les corps faiblement magnétiques (autrement dits paramagnétiques), le coefficient d’aimantation spécifique est également trouvé indépendant du
champ, par contre, Pierre CURIE démontre qu’il varie inversement proportionnellement
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avec la température absolue T. C’est la célèbre loi de Curie, K = A/T, où le coefficient
A, appelé constante de Curie, est caractéristique du corps paramagnétique. Quant aux
matériaux magnétiques (ferromagnétiques), Pierre CURIE montre de manière incontestable
qu’ils se transforment progressivement, au-dessus d’une température critique, en corps
paramagnétiques. Cette température, appelée aujourd’hui « point de Curie », a été déterminée par Pierre CURIE pour certains corps comme le fer (750 °C), l’oxyde naturel de fer
ou magnétite (530 °C) et le nickel (340 °C).
Pour le cas particulier du fer, en deçà de sa température critique à 750 °C, Pierre
CURIE met en évidence que l’aimantation acquise dans un champ magnétique peut être
très importante, sans rapport direct avec l’intensité du champ imposé. Il montre également que cette aimantation peut subsister en l’absence du champ, l’aimantation devenant
ainsi permanente, et qu’elle peut également présenter un phénomène d’hystérèse. Ces
prodigieux travaux seront présentés lors de la soutenance de sa thèse le 6 mars 1895.
Comme suite à ces études, Pierre CURIE réalisera en 1903, avec la collaboration d’un de
ses préparateurs, Charles CHÉNEVEAU, une espèce de balance destinée à mesurer le coefficient d’aimantation des corps diamagnétiques et paramagnétiques.
Pendant la préparation de sa thèse, même s’il ne participe pas aux derniers développements de la cristallographie après ses premières publications parues en 1884, Pierre
CURIE reste toujours très attentif et intéressé par les derniers développements de cette science
et c’est ainsi qu’il publie, par exemple, en 1893, un article [21] formulant quelques remarques
à propos de l’article « Éléments de cristallographie physique » publié par Charles SORET.
En octobre 1893, William THOMSON (Lord KELVIN), de passage à Paris, assiste à la
communication que donne Pierre CURIE à une séance de la Société de physique, portant
entre autres sur les électromètres [22], appareils dont deux modèles ont été réalisés par
William THOMSON lui-même, l’électromètre-balance et l’électromètre à quadrants. Ce
dernier fut utilisé par les frères CURIE lors de leur découverte de la piézo-électricité. Lord
KELVIN reviendra le lendemain visiter l’installation expérimentale de Pierre CURIE et
s’étonnera de l’extrême modicité des moyens qui lui sont offerts pour mener à bien ses
travaux.
L’ANNÉE 1894 EST MARQUÉE PAR DEUX ÉVÉNEMENTS IMPORTANTS
La publication du principe de symétrie
La rencontre avec Marya SKLODOWSKA
Au cours du mois de janvier 1894, à l’occasion d’une séance de la Société de physique, que fréquente assidûment Pierre CURIE, ce dernier présente son travail abouti et
remarquable sur la symétrie des phénomènes physiques, travail qu’il publie en septembre
de la même année [18]. Son apport décisif est de substituer à l’association « cristal - propriétés physiques » celle de l’apparentement « causes - effets » et de montrer que la comparaison des groupes de symétries des causes et ceux des effets présente un caractère prédictif. C’est dans cet article, qui constitue selon Pierre-Gilles DE GENNES [23] l’une des
Pierre Curie : l’excellence alliée à l’humilité
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contributions scientifiques les plus profondes du XIXe siècle, que le « principe de symétrie » trouve sa formulation définitive et parfaite, que l’on peut résumer par les trois propositions suivantes :
♦ lorsque certaines causes produisent certains effets, les éléments de symétrie des causes
doivent se retrouver dans les effets produits ;
♦ lorsque certains effets révèlent une certaine dissymétrie, cette dissymétrie doit se
retrouver dans les causes qui leur ont donné naissance ;
♦ la réciproque des deux premières propositions n’est pas vraie, au moins pratiquement,
c’est-à-dire que les effets produits peuvent être plus symétriques que les causes.
L’énoncé de ces trois propositions constitue ce que l’on a coutume d’appeler « principe
de symétrie » alors que Pierre CURIE n’évoquait alors que des « conditions de symétrie ».
C’est Paul LANGEVIN qui introduira ultérieurement, en 1904, l’appellation actuelle.
Dans cet article [18], désormais célèbre, Pierre CURIE applique les résultats de ses
réflexions théoriques sur un système quelconque de points, de dimension finie, en prenant en compte ce qui lui semble le plus important, à savoir les axes d’isotropie et non
pas les opérations de translation. Il est ainsi amené à distinguer cinq classes de grandeurs
physiques possédant un axe d’isotropie. La première classe est caractérisée par un axe
d’isotropie doublé, c’est la symétrie du cylindre droit à base plane circulaire, que l’on
trouve dans la compression ou la dilatation d’un solide soumis à un effort mécanique longitudinal, par exemple. Pour illustrer la symétrie que présentent, une force, une vitesse
et plus particulièrement le champ électrique, il crée la deuxième classe dont les éléments
de symétrie sont ceux d’un tronc de cône droit à bases planes circulaires. Comme précédemment, il existe une infinité de plans de symétrie contenant l’axe d’isotropie, mais
il n’y a plus de plan de symétrie perpendiculaire à cet axe et il n’existe pas non plus de
centre de symétrie.
La troisième classe regroupe les grandeurs pour lesquelles le modèle choisi est un
cylindre droit à base plane circulaire tournant autour de son axe. C’est la symétrie d’un
couple de forces et surtout celle du champ magnétique. En effet, il existe à la fois un axe
d’isotropie doublé, un miroir perpendiculaire à cet axe et un centre de symétrie. Pour ce
qui concerne les quatrième et cinquième classes, très logiquement, Pierre CURIE les représente respectivement par un cylindre droit à base plane circulaire tordu autour de son axe
et un tronc de cône à bases planes circulaires tournant autour de son axe, mais les grandeurs physiques correspondantes n’étant pas encore introduites dans une théorie physique, Pierre Curie les abandonna pour se consacrer aux grandeurs relevant des deuxième
et troisième classes, à ses yeux les plus intéressantes, et plus particulièrement au champ
électrique et au champ magnétique. C’est Woldemar VOIGT qui proposera les noms de
vecteur polaire et de vecteur axial pour représenter les vecteurs champs électrique et
magnétique, respectivement, afin de rendre compte de leurs symétries particulières. Pierre
Curie est d’ailleurs amené à se poser, par analogie, la question de l’existence éventuelle
d’un courant de magnétisme, comme il existe le courant électrique, et celle de charges
de magnétisme libre, l’équivalent des charges électriques [24].
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Marie CURIE (née SKLODOWSKA)
(ACJC - Fonds Curie et Joliot-Curie)
Le principe de symétrie présente des limites
dont Pierre CURIE avait pleinement conscience, que
l’on appelle aujourd’hui « brisures de symétrie » [25].
L’exemple le plus connu est le flambage d’un long
cylindre droit à base plane circulaire, lorsqu’il est
soumis à un effort longitudinal excessif, dépassant un
certain seuil. L’objet, qui conserve sa symétrie suivant
son axe d’isotropie lors du chargement, fléchit brutalement, par déformation plastique, dans un plan dont
on ne peut pas prédire à l’avance la position, la symétrie cylindrique initiale est ainsi brisée. Cette limite
apparente au principe de symétrie résulte du fait que
le phénomène décrit est irréversible, comme le précise René THOM [26], or cette notion était absente des
réflexions de Pierre CURIE.
C’est au début de cette même année 1894 que Pierre CURIE rencontre pour la première fois Marya SKLODOWSKA (née à Varsovie, le 7 novembre 1867) chez leur seule
connaissance commune, Joseph KOWALSKY, professeur de physique à l’université de Fribourg, qui séjourne à Paris à l’occasion de son voyage de noces. Marya, arrivée en France
au mois de novembre 1891, a obtenu sa licence de physique en 1893 et prépare en cette
année 1894 celle de mathématiques. Elle s’est même déjà initiée au travail de recherche,
au laboratoire du professeur Gabriel LIPPMANN, sur les propriétés magnétiques de divers
aciers, sujet pour lequel son futur mari fait autorité. Marya, qui a francisé son prénom en
Marie, est pourvue gratuitement en échantillons par plusieurs sociétés de métallurgie et
bénéficie des conseils de Henri LE CHATELIER, éminent chimiste et physicien, professeur
à l’École des Mines de Paris.
Immédiatement charmé par cette jeune étrangère, volontaire, scientifique dans l’âme,
Pierre CURIE rend souvent visite à Marie SKLODOWSKA à son domicile, une petite chambre
de bonne, au sixième étage d’un immeuble situé au numéro 11 de la rue des Feuillantines dans le 5e arrondissement. À son arrivée en France, Marie habite tout d’abord chez
sa sœur Bronia et son beau-frère, au numéro 92 de la rue d’Allemagne (aujourd’hui avenue
Jean-Jaurès) dans le 19e arrondissement, qui installent leur cabinet médical dans leur appartement. Trop souvent dérangée, elle déménage au bout de quelques mois, pour s’installer
dans une petite chambre de bonne au numéro 3 de la rue Flatters dans le 5e arrondissement.
Marie changeait de domicile à chaque rentrée scolaire depuis son arrivée en France, pour
ne pas payer de loyer pendant les vacances qu’elle passait en Pologne. Elle habita ainsi
boulevard du Port-Royal avant d’emménager rue des Feuillantines.
Bien que Pierre et Marie se lient d’amitié et se rencontrent souvent à Paris, Marie
refuse l’invitation de Pierre CURIE, dans la maison située au numéro 13 de la rue des
Sablons, à Sceaux, où il demeure avec ses parents depuis 1892. Et puis le mois d’août
arrive, Marie retourne en Pologne, à Varsovie, chez les siens. Cette période estivale est
Pierre Curie : l’excellence alliée à l’humilité
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marquée par un échange de nombreuses lettres de Pierre que Marie jugera admirables
dans leur ensemble [13]. À son retour, en octobre, Marie habite au numéro 39 de la rue
de Chateaudun, dans une chambre attenante au cabinet de consultations médicales que
vient d’ouvrir sa sœur Bronia DLUSKA. Pierre CURIE y vient lui rendre de nombreuses
visites. C’est à partir de cette époque, écrira Marie CURIE [13], que leurs relations deviennent de plus en plus chères et que chacun comprend qu’il ne peut trouver un meilleur
compagnon d’existence.
Compte tenu de la grande qualité des travaux menés par Pierre CURIE, le conseil
d’administration de l’EMPCI décide à l’unanimité, le 31 octobre 1894, pour la présente
rentrée scolaire, la création d’une chaire de physique générale pour Pierre CURIE. Malheureusement, le décret de nomination n’est pas signé par le ministre de l’Instruction
publique. Après une protestation véhémente du Conseil, le poste sera créé en 1895.
1995, NOUVELLE ANNÉE MÉMORABLE
La soutenance de thèse
Le mariage
En ce début d’année 1895, après avoir conçu une balance de précision apériodique
à lecture directe des derniers poids à l’aide d’un micromètre dont il lit les graduations
avec un microscope, Pierre CURIE, toujours passionné par la création d’appareillage, met
au point un objectif photographique. Il accepte d’ailleurs un poste de conseiller technique
auprès d’une société d’optique parisienne dont il obtient une redevance de 20 % pour les
droits d’exploitation de son objectif, en plus d’un salaire mensuel de cent francs (15 e).
Puis vient le jour du 6 mars 1895, Pierre CURIE soutient sa thèse de doctorat ès
sciences physiques devant le jury composé de Edmond BOUTY, Gabriel HAUTEFEUILLE et
Gabriel LIPPMANN. Son mémoire intitulé « Propriétés magnétiques des corps à diverses
températures, pressions et intensités de champ magnétiques » sera publié la même année
[27]. Son amie Marie SKLODOWSKA et son père Eugène CURIE assistent à la soutenance.
Pierre CURIE, dès le lendemain, est nommé professeur de physique générale à l’EMPCI.
En fait, il devra attendre trois ans pour que sa situation soit régularisée, le temps que le
ministère daigne signer le décret de nomination. En 1896, il sera nommé « délégué à titre
provisoire » dans la fonction de professeur, tout en continuant à percevoir son salaire de
chef de travaux, soit trois cents francs (46 e) par mois, charges déduites, pour les cent
vingt leçons de son cours et la préparation des manipulations des élèves de l’EMPCI,
l’équivalent de la paie d’un ouvrier spécialisé dans une usine, comme le remarquera sa
fille Ève dans son livre sur sa mère [28].
Pierre CURIE et Marie SKLODOWSKA se marient le 26 juillet 1895 à la mairie de Sceaux.
Mariage sans cérémonie, dans la plus stricte intimité, sans anneau d’or, sans repas de noce,
sans robe blanche, une robe de couleur foncée est choisie pour être ultérieurement utilisée
pour aller travailler. Seuls présents, deux bicyclettes étincelantes, achetées la veille avec le
cadeau « en espèces » envoyé par un cousin, avec lesquelles ils partent aussitôt en vacances.
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Au mois d’octobre, les CURIE s’installent dans un petit logement dénudé de trois
pièces au quatrième étage du 24 de la rue de la Glacière, dans le 13e arrondissement.
L’unique ressource du couple est le salaire de Pierre. Le soir, tandis que Pierre établit le
programme de son nouvel enseignement à l’École, Marie prépare le concours de l’agrégation de l’enseignement secondaire qu’elle réussira en juin 1896, étant classée première des
quatre candidates admises sur les huit présentes. Un peu d’argent supplémentaire rentre à
la veille de Noël de cette année 1895, car Pierre et Jacques CURIE, suite à leur découverte
de la piézo-électricité, reçoivent le prix Planté de l’Académie des sciences, créé en 1893 et
d’un montant de trois mille francs (457 e), qui récompense une découverte, une invention
ou un travail important dans le domaine de l’électricité. Gaston PLANTÉ, mort en 1889, était
connu en particulier pour ses travaux remarquables sur les piles et les accumulateurs.
Les cours de Pierre CURIE, très ambitieux, sur la théorie générale de l’électricité en
particulier, sont jugés trop théoriques par les élèves. Les chimistes de troisième année
demandent, par une pétition portée à l’ordre du jour de la Commission d’administration
et de perfectionnement du 23 janvier 1896, que le cours soit rendu facultatif. Ils obtiennent pour partie satisfaction, le cours de Pierre CURIE restant obligatoire, pour tous, les
deux premières années. De plus, les élèves chimistes obtiennent le coefficient 1, pour
l’examen du cours de Pierre CURIE, au lieu de 3 pour les élèves physiciens.
En cette même année 1896, quelque dix années après son étude des constantes
capillaires des faces des cristaux [19], Pierre CURIE revient sur le même problème en se
proposant d’étudier expérimentalement la croissance des cristaux, en mesurant la vitesse
d’accroissement des différentes faces en fonction de la solubilité du cristal, comme en
témoignent les notes prises sur le premier carnet de laboratoire consacré à la radioactivité. Son étude comportait la mesure de la solubilité et de la vitesse d’accroissement des
diverses faces d’un cristal, cette dernière étant appréciée par l’augmentation du poids du
cristal suspendu au plateau d’une balance et immergé dans une solution sursaturée lui
offrant une face libre, les autres étant vernies. Il a pu ainsi mettre en évidence que la
vitesse d’accroissement est différente pour différentes faces alors que la solubilité est la
même. Jugeant ses résultats incomplets, Pierre CURIE ne les publiera pas, et cela du fait
de sa décision d’aider provisoirement Marie CURIE au commencement de ses recherches
sur les produits radioactifs, collaboration qui se poursuivra sur le même thème jusqu’à sa
mort accidentelle survenue le 19 avril 1906, sans que Pierre CURIE trouve le temps de
revenir à son penchant initial pour les cristaux.
Après avoir passé des vacances à Port-Blanc en Bretagne, à l’hôtel des Roches
Grises, Marie CURIE met au monde, le 12 septembre 1897, assisté par son beau-père, sa
fille aînée prénommée Irène. Le bonheur sera de courte durée car Eugène CURIE perd son
épouse quelques jours plus tard, le 27 septembre. Tout en s’occupant de sa fille et aidée
par son beau-père, Marie CURIE rédige les résultats de son travail sur l’aimantation des
aciers trempés. Elle produit un mémoire long, jugé assez peu original mais exceptionnellement détaillé, qui paraîtra au Bulletin de la Société pour l’Encouragement de l’Industrie Nationale en 1898.
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LE DÉBUT DE LA GRANDE AVENTURE RADIOACTIVE
À l’automne 1897, Marie CURIE
décide de préparer une thèse de doctorat
ès sciences physiques. Pour ce qui
concerne le sujet, sur les conseils de
Pierre, Marie choisit de s’intéresser aux
corps radioactifs que Henri BECQUEREL est
en train d’étudier au Muséum d’Histoire
naturelle, rue Cuvier à Paris. Depuis le
1er mars 1896, on sait en effet que les
minerais d’uranium émettent un rayonnement qui impressionne de manière notable
les plaques photographiques mais personne en Europe, à la connaissance de
Pierre Curie, n’a encore approfondi
l’étude des rayons uraniques. Le champ
d’exploration est donc vierge. Après plusieurs démarches infructueuses pour trouver un local, c’est Paul SCHUTZENBERGER
qui, du fait de la longue collaboration de
Pierre à l’EMPCI qu’il dirige depuis sa
Henri BECQUEREL
création en 1882, met à la disposition de
(Copyright : © CNRS Photothèque)
Marie CURIE un atelier vitré insalubre, qui
sert de réserve et de salle des machines, situé au rez-de-chaussée des bâtiments de
l’EMPCI.
Le 16 septembre 1897, Pierre CURIE commence la rédaction du premier carnet de
laboratoire où ses notes se mêleront à celles de Marie CURIE dès le 16 décembre. Les
notes historiques des CURIE sont regroupées dans trois carnets [13]. Dans le premier,
Pierre CURIE fait référence, dès le commencement, à son étude des propriétés thermoélectriques des cristaux de pyrite de fer. Puis viendront les premières observations concernant les rayons uraniques de Henri BECQUEREL. À cette époque, les études des rayons de
toute espèce connaissent un certain engouement. En tout premier lieu, les rayons cathodiques, auxquels s’intéressa Pierre CURIE dès 1894 en même temps qu’il se préoccupait
de magnétisme, qui se produisent lors de décharges électriques dans l’air raréfié. Ces
rayons, mis en évidence par Michael FARADAY en 1837, font l’objet de travaux remarquables à partir des années 1880, entrepris par d’éminents chercheurs anglais comme
William CROOKES, dans un premier temps, qui postula immédiatement leur nature corpusculaire, précisant qu’ils sont porteurs d’électricité négative. Puis ce fut au tour de John
Joseph THOMSON, qui en détermina la nature et à qui l’on doit précisément la découverte
de l’électron en 1897.
De son côté, en Allemagne, Eugen GOLDSTEIN découvre en 1886, les « rayons canaux »
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produits également lors d’une décharge électrique, en utilisant une grille métallique très
fine en guise de cathode. Ces rayons seront identifiés par Wilhem WIEN en 1897, comme
constitués des ions positifs résultant de l’ionisation des molécules de gaz résiduels dans
l’air raréfié.
Et puis n’oublions pas les rayons X. Un jour de novembre 1895, à l’université de
Würzburg en Bavière, Wilhelm Conrad RÖNTGEN, après avoir mis en route le système de
pompage de son installation d’étude de décharge électrique, composée d’un tube de Hittorf (tube de Crookes, pour les anglais) associé à une bobine de Ruhmkorff, appareillage
qu’il protégeait des chocs à l’aide de feuilles de carton, et provoqué une décharge électrique, constate qu’une feuille de papier enduite de platinocyanure de baryum, située à
environ deux mètres de son dispositif expérimental, devient fluorescente. Des rayons
avaient donc traversé le masque opaque que constituait le carton, et ce ne pouvait pas être
des rayons cathodiques. RÖNTGEN venait de découvrir, très fortuitement les rayons X. Pierre
CURIE s’intéresse à ces rayons tout à fait particuliers qu’il étudie avec son ami Georges
SAGNAC, avec lequel il effectue des recherches sur le rayonnement secondaire, porteur
d’une électricité négative, résultant de l’impact des rayons X sur une cible métallique,
travaux qui ne seront publiés que plusieurs années plus tard [29-30].
C’est dans ce contexte que Marie CURIE, en ce début d’année 1898, se propose
d’examiner très astucieusement si des substances autres que l’uranium présente la propriété remarquable d’émettre des rayonnements. Elle étudie ainsi un grand nombre de
métaux, de sels, d’oxydes, et aussi des minéraux qui lui sont prêtés par Alfred LACROIX
professeur de minéralogie au Muséum d’histoire naturelle, par M. ÉTART, professeur de
chimie à l’École, par Eugène DEMARÇAY et Georges URBAIN. Les conditions de travail
qui lui sont offertes à l’EMPCI sont lamentables (elle notera dans un carnet de laboratoire, le 8 février 1898, la température de 6,25 °C dans le cylindre d’un appareil de
mesure). Pour son travail, la méthode employée par Marie CURIE a été inventée pour
l’étude d’autres phénomènes analysés par Jacques et Pierre CURIE et déjà décrits. L’installation utilisée se compose essentiellement d’un condensateur plan (chambre d’ionisation), d’un électromètre à quadrants apériodique Curie et d’un quartz piézo-électrique. Ce
dispositif, qui mesure la conductibilité acquise par l’air sous l’influence d’une substance
radioactive, présente l’avantage important de fournir une valeur quantitative de la radioactivité, contrairement aux méthodes qualitatives mises en œuvre par Henri BECQUEREL,
méthode photographique tout d’abord puis méthode électroscopique, à l’aide de l’électroscope à feuilles d’or mis au point par le français Louis BENOIST et le roumain Dragomir HURMUZESCU dans le laboratoire de Gabriel LIPPMANN à la Sorbonne.
Le 7 mars 1898, par arrêté préfectoral, Pierre CURIE est enfin, officiellement, nommé
professeur à l’EMPCI, avec effet rétroactif au 1er janvier et une indemnité supplémentaire
de deux mille francs (305 e). Quelques jours plus tard, le 18 mars, débute la rédaction
du deuxième carnet de laboratoire des CURIE. Les progrès sont rapides, Marie CURIE est
amené à étudier un minerai de thorium, le titanoniobiate de thorium, qui se révèle actif
alors que ni le niobium, ni le titane le sont. Le thorium est ainsi émetteur d’un rayonnePierre Curie : l’excellence alliée à l’humilité
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ment, comme l’uranium. Ce résultat a d’ailleurs été récemment observé indépendamment
par G. C. SCHMIDT à Berlin. Les rayons sont appelés « rayons de Becquerel ». Les résultats sont présentés à l’Académie des sciences le 12 avril 1898 par Gabriel LIPPMANN dans
une Note [31] signée Marie SKLODOWSKA-CURIE annonçant d’une part, la présence probable d’un corps nouveau dans les minerais de pechblende et, d’autre part, la mise en
évidence que le thorium et l’uranium émettent le même type de rayonnement. Marie CURIE
revendiquera toujours la « paternité » de cette découverte.
C’est à cette époque que Pierre CURIE décide d’abandonner momentanément son
étude sur les cristaux et de joindre ses efforts à ceux de son épouse pour découvrir la
substance nouvelle. Il ne reprendra jamais ses travaux antérieurs. Dès le début de sa collaboration au travail de Marie CURIE, Pierre CURIE s’occupe aussi bien des aspects chimiques que des mesures physiques et un très grand nombre de schémas de traitements
sont écrits de sa main. Il a aussi entrepris certaines des déterminations de poids atomique
du baryum radifère.
Patiemment, les CURIE commencent leur prospection en employant une méthode de
leur invention, basée sur la radioactivité, qui consiste à séparer, par les procédés ordinaires de l’analyse chimique, tous les corps dont est constituée la pechblende, puis ils
mesurent la radioactivité des produits obtenus. Par éliminations successives, ils voient
une radioactivité excessive se réfugier dans certaines portions du minerai, ce qui restreint
le champ de la recherche. En fait, ils constatent que la radioactivité se concentre dans
deux fractions chimiques de la pechblende. Il y existe donc deux nouveaux corps distincts. Dans l’œuvre scientifique des CURIE, il sera souvent difficile de distinguer la part
de travail qui revient à chacun.
LA DÉCOUVERTE DE DEUX NOUVEAUX ÉLÉMENTS RADIOACTIFS :
LE POLONIUM ET LE RADIUM
Dans une Note aux Comptes-rendus de l’Académie des sciences présentée par Henri
BECQUEREL le 18 juillet 1898, Pierre et Marie CURIE annoncent la découverte d’un nouvel
élément radioactif, dont l’activité est quatre cent fois supérieure à celle de l’uranium, qui
présente des propriétés analytiques voisines de celles du bismuth. Il est appelé polonium,
en l’honneur du pays d’origine de Marie [32]. En fin d’année, Marie CURIE se verra attribuer le prix Gegner de l’Académie des sciences, d’un montant de trois mille huit cents
francs (579 e), en récompense de son long travail sur les propriétés magnétiques des
métaux et sur la radioactivité.
Après des vacances estivales passés à Auroux en Auvergne, les CURIE reprennent
leur laborieux travail à la rentrée scolaire. Le début du troisième carnet de laboratoire des
Curie porte la date du 11 novembre 1898. Pierre et Marie CURIE découvrent dans la pechblende une deuxième substance fortement radioactive, présente en quantité minime. Elle
est complètement différente de la première, ses propriétés sont proches de celles du
baryum. Ils ne parviennent à la séparer progressivement du baryum, en collaboration avec
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UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE
Gustave BÉMONT, chef des travaux de chimie à l’EMPCI depuis le 24 mars 1888, qu’à
la suite d’une succession de cristallisations fractionnées, conduisant à des chlorures de plus
en plus actifs, neuf cent fois plus actifs que l’uranium. Le physicien Eugène DEMARÇAY
observe, dans le spectre optique de cette nouvelle substance, une raie nouvelle dans l’ultraviolet proche, ayant une longueur d’onde égale à 3814,8 Å, dont l’intensité augmente
à mesure que l’enrichissement du chlorure croît.
Dans une nouvelle Note aux Comptes-rendus de l’Académie des sciences présentée
par Henri BECQUEREL, lors de la séance du 26 décembre 1898, Pierre et Marie CURIE et
Gustave BÉMONT annoncent la découverte d’un nouveau corps radioactif, appelé radium
[33]. C’est à cette occasion que Marie CURIE proposera le nom de radioactivité pour définir la propriété de certains éléments d’émettre des rayonnements.
Pour obtenir du radium et du polonium purs et les montrer aux sceptiques et aussi
pour achever de se convaincre eux-mêmes, les CURIE devront travailler pendant quatre
ans de 1899 à 1902. Ils comprennent vite que leurs efforts doivent porter sur le radium qui
se trouve en plus grande quantité que le polonium dans les minerais. Par ailleurs, c’est un
alcalino-terreux et sa chimie est par conséquent plus simple. Et trois questions se posent
immédiatement : comment se procurer une quantité suffisante de minerai, dans quel local
peut-on effectuer le traitement et enfin, comment financer les opérations.
VERS UNE PLUS GRANDE PRODUCTION DE RADIUM
Pour ce qui concerne le local, après de vaines démarches effectuées auprès de la
Sorbonne, le nouveau directeur de l’EMPCI, Monsieur Charles GARIEL, successeur de
Charles LAUTH, lui-même successeur de Paul SCHUTZENBERGER, met à la disposition des
CURIE, non sans se faire prier, un vieil hangar en bois, abandonné, au sol bitumé et au
toit vitré laissant par endroit passer la pluie, qui servait naguère de salle de dissection de
l’École de médecine. Il est situé dans la cour, en face de l’atelier dont disposait précédemment Marie CURIE. Quant à l’achat de la matière première et son transport, les CURIE
prévoient de prélever la somme sur leurs modestes économies.
Pour ce qui concerne le minerai de pechblende, il s’agit d’un produit précieux que
l’on traite à la mine de Saint-Joachimsthal, en Bohême, qui fait partie de l’empire austro-hongrois, pour en retirer les sels d’urane utilisés dans l’industrie du verre, pour la
coloration, en particulier. Les résidus du traitement sont abandonnés sur place. L’achat
de grande quantité de minerai étant proscrit du fait de l’énorme coût, la réflexion amène
les CURIE à conclure que l’extraction de l’uranium laisse intactes les traces de polonium
et de radium, qui doivent donc se retrouver dans les résidus dont la valeur est minime.
Ils font alors appel à un collègue autrichien pour qu’il obtienne, auprès des directeurs de
la mine, à des conditions financières raisonnables, une quantité importante de ces résidus.
Grâce à l’intervention du professeur Eduard SUESS, correspondant de l’Académie
des sciences de Paris et membre de l’Académie des sciences de Vienne, le gouvernement
autrichien, qui est propriétaire de l’usine d’État de traitement de la pechblende tirée de
Pierre Curie : l’excellence alliée à l’humilité
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Pierre et Marie CURIE dans leur laboratoire
(ACJC - Fonds Curie et Joliot-Curie)
la mine de Saint-Joachimsthal, fait don aux CURIE de cent kilogrammes de résidus, puis
d’une tonne, les frais de transport étant à la charge des CURIE. Il leur est spécifié que
d’autres quantités pourront leur être octroyées aux conditions les meilleures. Ils négocient
effectivement l’achat, à leurs frais, à un prix relativement bas, de plusieurs tonnes de résidus. Les premiers sacs de résidus sont livrés dans la cour de l’EMPCI dès le début de
l’année 1899. Un long travail commence mais à partir de l’année suivante, le travail s’accélérera par l’industrialisation du traitement des résidus de pechblende avec l’intervention de la Société centrale des produits chimiques, que Pierre CURIE connaît depuis bien
longtemps pour la fabrication et la commercialisation de ses instruments de mesure. En
usine, sous la direction de André DEBIERNE, est effectué le traitement grossier des résidus, dont une tonne nécessite cinq tonnes de produits chimiques (acides, carbonate de
sodium) et cinquante tonnes d’eau. Au laboratoire, sont ensuite effectuées les opérations
de fractionnement pour séparer le chlorure de radium du chlorure de baryum. Plus tard,
on préférera les bromures aux chlorures de baryum radifères, et en 1902, l’Académie des
sciences ouvrira aux CURIE un crédit de vingt mille francs (3 049 e) pour leurs travaux
d’isolement du radium.
En cette année 1899, pour plus d’efficacité, les CURIE décident de séparer leurs efforts,
Pierre se charge de préciser les propriétés du radium et de son rayonnement, tandis que
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Marie poursuit les traitements d’obtention des sels de radium pur. En mars, la santé de
Pierre CURIE se dégrade, il est sujet à des crises répétées de rhumatismes que Marie CURIE
chercha en vain à soigner en lui imposant un régime sans viande rouge et sans alcool.
C’est à cette époque que Pierre CURIE fait la connaissance du jeune chimiste déjà nommé,
André DEBIERNE, qui est préparateur chez le professeur Charles FRIEDEL et qui travaille
au laboratoire chimie-physique de la Sorbonne dirigé par Jean PERRIN. Aux côtés de Pierre
CURIE, DEBIERNE entreprend la recherche d’un nouveau corps radioactif, qu’il découvre
en 1899 avant même que le polonium et le radium aient été isolés. Ce nouvel élément
est appelé actinium.
Pendant l’été 1899, les CURIE se rendent en Pologne autrichienne dans les Carpates,
à Zakopane, au sud de Cracovie, où les Dluski (la sœur Bronia de Marie et son mari Kasimierz, tous deux médecins) font construire un sanatorium moderne pour les tuberculeux.
À la rentrée scolaire, Pierre et Marie CURIE signe une nouvelle Note aux Comptesrendus de l’Académie de sciences, présentée le 6 novembre 1899, sur la radioactivité du
radium [34] et décrivent la propriété étonnante du radium de rendre radioactif, pendant
un certain temps, tout corps placé dans son voisinage immédiat. Cette propriété est appelée radioactivité induite. Le 13 novembre 1899, Marie CURIE signe une Note aux Comptesrendus de l’Académie de sciences, suite à un fractionnement du baryum radifère par l’alcool, qui lui permet de déterminer le poids atomique M = 146 du baryum radifère [35].
Une semaine plus tard, le 20 novembre, Pierre et Marie CURIE, qui ont étudié les divers
effets observés lors de la concentration des radioéléments : luminosité des sels, production d’ozone, coloration des récipients ou des sels eux-mêmes, présentent une nouvelle
Note aux Comptes-rendus de l’Académie de sciences [36].
LES CURIE PUBLIENT, PUBLIENT, …
Les CURIE publient tantôt ensemble, tantôt séparément, tantôt en collaboration avec
tel de leurs confrères. On dénombre trente-deux publications scientifiques écrites entre
1899 et 1904. C’est ainsi que Pierre CURIE publie seul [37], puis avec Marie CURIE [38]
une étude sur les rayons déviés et non déviés par un champ magnétique, sur les rayons
déviables (β) du radium et émet l’hypothèse d’une identité entre ces derniers et les rayons
cathodiques (les électrons).
Suite au décès fin 1899 d’Aimé VASCHY, répétiteur et examinateur à l’École polytechnique, Pierre CURIE pose sa candidature et le 8 mars 1900, il est nommé, par le
ministre de la Guerre, répétiteur auxiliaire de physique, poste qui doit lui rapporter vingtcinq mille francs (3 811 e) par an. Il démissionnera au mois d’octobre suivant. Les CURIE
s’installent dans un modeste pavillon à un étage, au numéro 108 du boulevard Kellermann, à la périphérie de Paris, près du parc Montsouris, avec un loyer annuel de quatre
vingt mille francs (610 e). Eugène CURIE, qui habite avec eux, est le principal éducateur
de sa petite-fille Irène. Les PERRIN s’installeront plus tard juste à côté, au 106 du même
boulevard.
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Dès 1900, deux allemands, Otto WALKOFF et Friedrich GIESEL font état des premières observations concernant le traitement de la peau par le radium, lequel produit des
inflammations longues à cicatriser. Les CURIE, de leur côté, constatent une tendance à la
desquamation aux extrémités des doigts qui ont tenu des tubes et des capsules renfermant
des produits très actifs.
En avril 1900, à leur retour des vacances printanières passées à longer en bateau les
côtes de la Manche, du Havre à Saint-Valéry-sur-Somme, Pierre CURIE se voit proposer
un poste de professeur de physique à l’université de Genève, comme suite au départ en
retraite de Charles SORET. Des négociations sérieuses sont entreprises avec le doyen,
Monsieur Robert CHODAT, qui est prêt à charger Marie CURIE d’un enseignement de
maître de conférences. Pierre et Marie CURIE se rendent à Genève. En juillet, devant les
hésitations de Pierre CURIE, qui accepte, refuse, accepte à nouveau, le doyen CHODAT rend
visite aux CURIE à Paris et leur propose un traitement plus élevé que la moyenne, à savoir
dix mille francs par an (1 524 e), accompagné d’une indemnité de résidence. Et le
20 juillet 1900, Pierre CURIE est nommé au poste de professeur de physique à la faculté
des sciences de l’université de Genève et a en charge la direction d’un laboratoire. Quant
à Marie CURIE, elle est toujours préoccupée par le poids atomique du baryum radifère.
Elle propose à l’approche des vacances d’été, la valeur M = 174 pour un produit dans
lequel, d’après les spectres réalisés par Eugène DEMARÇAY, les quantités de baryum et de
radium doivent être comparables [39]. Marie CURIE, qui sait que cette valeur est loin d’approcher la réalité, parce que trop faible décide de reprendre à zéro son processus de purification. Elle n’écrira rien dans son carnet de laboratoire pendant deux ans. Il faudra
attendre le 21 juillet 1902 pour apprendre, dans une Note [40] présentée à l’Académie
des sciences par Eleuthère MASCART, que Marie CURIE propose une première détermination du poids atomique du radium M = 225 ± 1 et établit sans controverse l’individualité
physique de ce nouvel élément et ouvre ainsi une nouvelle case dans le tableau de classification de Mendeleïev dressé en 1869.
Pour le Congrès international de physique, qui se tient du 6 au 12 août 1900 à Paris,
à l’occasion de l’Exposition universelle, Pierre et Marie CURIE rédige un rapport général
long et documenté sur les substances radioactives intitulé « Les nouvelles substances
radioactives et les rayons qu’elles émettent ».
Peu après leur retour de vacances estivales passées à l’île de Noirmoutier, Pierre
CURIE démissionne le 1er octobre de son poste de professeur à Genève. C’est l’attachement de Pierre CURIE pour ses recherches sur le radium et à ses collaborateurs parisiens
et sans doute également la future nomination de Pierre à la Sorbonne qui fera rester les
CURIE en France.
À la rentrée scolaire 1900, sur la recommandation de Henri POINCARÉ et de Gaston
DARBOUX, Pierre CURIE obtient un enseignement de physique au PCN (Physique, Chimie,
Sciences naturelles) réservé aux étudiants en médecine, dans l’annexe de la Sorbonne
située au numéro 12 de la rue Cuvier, où il dispose d’un bureau, d’une salle de travaux
pratiques et d’une petite chambre noire pour les développements photographiques. Il est
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secondé par un préparateur de cours, André CHÉNEVEAU, avec lequel il publiera en 1903
un article sur la détermination des constantes magnétiques [41]. Pour l’heure, il reçoit un
traitement annuel de six mille francs (915 e) à compter du 1er novembre. Dans le même
temps, Marie CURIE est nommée chargée de conférences de physique à l’École normale
supérieure pour l’enseignement secondaire des Jeunes filles, à Sèvres près de Paris. Son
enseignement s’adresse aux première et deuxième années. Elle conservera son poste jusqu’en 1906.
LA RADIOACTIVITÉ INDUITE
Pierre CURIE, on le sait, se désintéresse de la purification du radium pour se consacrer au rayonnement qu’émet cet élément. Avec André DEBIERNE, il publie en mars 1901
deux Notes aux Comptes-rendus de l’Académie de sciences sur leurs nouvelles expériences concernant la radioactivité induite par le radium [42-43], puis une autre en juillet
[44] et une autre encore en décembre [45]. Pour Pierre CURIE, la radioactivité a une origine externe, contrairement aux affirmations de Ernest RUTHERFORD, qui croit à la nature
matérielle de l’émanation, comme l’atteste ses premières publications parues dès 1900,
lorsqu’il vient d’être nommé professeur à l’université McGill à Montréal. Ernest RUTHERFORD, physicien d’origine néo-zélandaise, et le jeune chimiste Frederick SODDY venu
d’Oxford, découvrent en 1902 que l’émanation est bien un gaz, le plus lourd de la série
des gaz rares, baptisé thoron, qui ne provient pas directement du thorium mais d’un élément intermédiaire appelé thorium X, dont la période est estimée à quatre jours. RUTHERFORD et SODDY réussiront à liquéfier les émanations du thorium et du radium, par passage dans l’air liquide. C’est dès juin 1900 que Ernst DORN, en Allemagne, découvre à
son tour, en suivant la méthode expérimentale de RUTHERFORD, que le radium émet lui
aussi une émanation qui sera appelée plus tard radon. Malgré ces preuves irréfutables, à
nouveau, à la séance du 26 janvier 1903, Pierre CURIE s’obstine à croire que l’émanation
radioactive n’a pas pour support la matière ordinaire et qu’il existe des centres de
condensation d’énergie situés entre les molécules du gaz ambiant et qui peuvent être
entraînés avec lui [46]. Ce n’est qu’après avoir répété une nouvelle fois ses expériences,
en collaboration avec son préparateur Jacques DANNE, qu’il sera convaincu par les travaux de RUTHERFORD et SODDY parus à partir de 1902, après presque deux années de
controverse, en publiant une ultime Note [47] à l’Académie des sciences sur le sujet, dans
laquelle il confirme l’hypothèse émise par RUTHERFORD, après avoir liquéfié, dans l’air
liquide, l’émanation du radium. Dans le même temps, RUTHERFORD et SODDY ont démontré
que la radioactivité résulte d’une transmutation spontanée d’un élément chimique en un
autre, avec émission de rayonnement.
En 1901, Pierre CURIE reçoit le prix La Caze de l’Académie des sciences, d’un montant de dix mille francs (1 524 e) pour ses travaux sur la radioactivité. Le 3 juin de cette
même année, Henri BECQUEREL présente à l’Académie des sciences les effets sur la peau
humaine de l’action du radium. Il décrit que deux mois plus tôt, se rendant à une conférence qu’il doit présenter, il emporte avec lui dans la poche de son gilet un tube en verre
Pierre Curie : l’excellence alliée à l’humilité
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scellé contenant quelques décigrammes d’un sel de radium très actif, que lui a remis pour
l’occasion Pierre CURIE. Il estimera après coup, la durée du port du tube à six heures.
C’est après une quinzaine de jours, que BECQUEREL découvre une inflammation importante de sa peau à l’emplacement de la poche de son gilet. La plaie ne se refermera que
sept semaines après l’irradiation laissant une cicatrice indélébile.
À l’occasion de cette même séance à l’Académie, Pierre CURIE décrit, dans la Note
[48] qu’ils publient ensemble, les mêmes effets suite à une irradiation, cette fois, volontaire de sa part. D’après Jacques DANNE, son préparateur, il semble que Pierre CURIE se
soit soumis par trois fois à l’effet d’un produit radiant. Une première fois, sur un bras, il
étudia l’effet d’un produit radiant peu actif qu’il laissa agir, au travers d’une mince feuille
de gutta-percha, pendant dix heures. Il observe une rougeur immédiate puis l’apparition
ultérieure d’une plaie qui met quatre mois à guérir avec formation d’une cicatrice très
marquée. La deuxième expérience consiste en l’exposition pendant une demi-heure à du
bromure de baryum radifère enveloppé dans une feuille de celluloïd. La brûlure apparaît
seulement après quinze jours, avec formation d’une ampoule qui met quinze jours à guérir. Enfin, dans la troisième expérience, il expose son bras pendant huit minutes : une
tache rouge apparaîtra après deux mois sans effet ultérieur. En fait, les brûlures constatées n’étonnent pas les médecins qui connaissent déjà les effets semblables produits par
les rayons X.
Du fait de leurs intenses activités respectives, les CURIE n’hésitent pas à prendre
chaque année des vacances estivales avec Irène. En 1901, ils sont au Pouldu en Bretagne,
en 1902, on les rencontre à Arromanches-les-Bains en Normandie, en 1903, ils sont au
Tréport puis à Saint-Trojan dans l’île d’Oléron, en 1904 c’est au tour de Saint-Rémy-lèsChevreuse de les accueillir, en 1905, ce sera Carolles sur la côte normande.
L’année 1902 est marquée par la venue en France du chimiste russe Dmitri Ivanovitch MENDELEÏEV, alors âgé de 68 ans, qui rend visite aux CURIE à l’EMPCI. Conscient
de sa notoriété et sur l’insistance du professeur Eleuthère MASCART, Pierre CURIE entreprend des visites auprès des académiciens des sciences pour se présenter à l’Institut pour
prendre le siège laissé vacant, suite au décès du physicien Alfred CORNU. Mais le jour de
l’élection, le 9 juin 1902, il ne remporte que 20 voix, contre 32 pour son adversaire élu,
Émile AMAGAT.
1903, L’ANNÉE DE QUELQUES GRANDS BONHEURS
Le voyage à Londres
La soutenance de thèse de Marie
Le prix Nobel
À partir de 1903, les CURIE financent leur recherche avec le radium. Une entente
verbale, consignée par écrit par Paul BESSON, l’un des deux administrateurs de la Société
centrale des produits chimiques, stipule que cette société porte au compte des CURIE la
somme de cinq cents francs (76 e) par tonne de pechblende traitée. De plus, les résidus
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extraits d’une tonne, s’ils sont vendus, rapportent aux CURIE trois mille cinq cents francs
(534 e) « à titre de droit d’auteur ». Enfin, la société se porte acquéreur du bromure de
radium de la provision des Curie à raison de neuf mille francs (1 372 e) (résidus d’une
tonne), achat et droit d’auteur compris. Dans cette opération, tout le monde y trouve son
compte, puisque l’industriel écoule ses résidus à bons prix et les CURIE perçoivent des
dividendes qu’ils réinvestissent dans leur laboratoire.
Pierre CURIE publie en mars 1903, en collaboration avec Albert LABORDE, un article
sur la mesure de la chaleur spontanément émise par le radium [49]. Il y est mentionné qu’un
gramme de radium peut porter à l’ébullition en une heure un gramme de glace. Dans le
même temps, Pierre CURIE fait le point sur l’état de l’art dans le domaine de radioactivité à l’occasion de la publication d’un nouveau et long article [50].
C’est le 19 juin que les CURIE se rendent à l’invitation de la Société Royale de
Londres pour y présenter une conférence sur le radium. Ils offrent à Lord KELVIN un précieux présent : du chlorure de radium enfermé dans son ampoule en verre. Pour le discours
habituel du vendredi soir, devant une salle bondée de toute « la physique britannique
savante », composée, entres autres, de Lord KELVIN, Lord RAYLEIGH, Sir Oliver LODGE,
Sir William RAMSAY, et les professeurs James DEWAR, William AYRTON et Sylvanus
P. THOMSON, Pierre CURIE fait, après sa conférence, des démonstrations essentiellement
visuelles sur les propriétés radiantes de ce matériau nouveau : noircissement rapide d’une
plaque photographique enveloppée dans du papier noir, dégagement spontané de chaleur
et radiation éclatante dans l’obscurité. Il laissa même involontairement sur place un
exemple des propriétés persistantes du radium en renversant involontairement sur le sol
de la Royale institution un peu de radium. On détectera encore la présence du radium
quelques cinquante années plus tard et en quantité telle qu’il faudra faire appel à une
équipe de décontamination. Après quelques jours passés à Londres où les CURIE répondent aux nombreuses invitations à de somptueuses réceptions organisées en leur honneur
(dîners, banquets), ils rentrent à Paris.
Marie CURIE soutient sa thèse de doctorat ès sciences physiques, le 25 juin 1903,
intitulée « Recherches sur les substances radioactives » dans la « Salle des étudiants » de
la Sorbonne, devant ses trois examinateurs : Gabriel LIPPMANN, Edmond BOUTY et Henri
MOISSAN. Ils lui accordent la mention « très honorable » et lui adressent leurs félicitations.
Au soir de cette soutenance, un invité « surprise », Ernest RUTHERFORD, de passage à Paris,
se joint au groupe pour le dîner et rencontre les CURIE pour la première fois. Marie CURIE
recevra son diplôme le 20 janvier suivant.
Le 5 novembre 1903, Pierre et Marie CURIE reçoivent la médaille Humphrey Davy,
pour leur recherche sur le radium, qui est la plus haute distinction dont dispose la Société
Royale de Londres. Pierre va seul à Londres retirer la lourde médaille en or sur laquelle
sont gravés leurs deux noms. La médaille est donnée à Irène en guise de jouet.
Les honneurs s’enchaînent rapidement. Le 14 novembre 1903, par une lettre du professeur Christer AURIVILLIUS, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences de Stockholm,
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les CURIE apprennent que la session de physique de cette Académie, réunie le 12 novembre,
a remarqué la grande qualité des travaux sur la radioactivité naturelle de l’équipe française composée de Marie et Pierre CURIE et de Henri BECQUEREL et a décidé de leur
décerner le prix Nobel de physique, dont une moitié revient aux CURIE, à parts égales, et
l’autre à BECQUEREL. Ce prix doit leur être remis le 10 décembre suivant, date anniversaire de la mort du fondateur du prix. Le 19 novembre 1903, Pierre CURIE répond au professeur AURIVILLIUS que son épouse et lui-même ne pourront se rendre sur place pour
cause de fatigue et de surcharge d’enseignements, et pour l’un et pour l’autre. Marie est
effectivement fatiguée et meurtrie par sa fausse couche survenue à la mi-août. Pierre
demande donc un report du voyage et de la « Conférence Nobel » publique réglementaire
qu’il doit prononcer, à une date ultérieure, vers Pâques prochain, par exemple, propose-t-il.
Henri BECQUEREL, fera seul le voyage à Stockholm pour la remise du prix Nobel.
Les médailles d’or et diplômes réservés aux CURIE sont remis, en leur absence, par le roi de
Suède au représentant du gouvernement français, Monsieur le ministre Hippolyte MARCHAND.
Les CURIE, malgré leur défection, percevront malgré tout les soixante dix mille francs
(10 671 e) correspondant à leur part du prix Nobel. D’ailleurs, dès le 2 janvier 1904, le
chèque du prix Nobel est remis à une succursale de banque de l’avenue des Gobelins.
L’argent est là, Pierre CURIE peut enfin abandonner une partie de son enseignement à
l’EMPCI. Il est remplacé par son ancien élève Paul LANGEVIN, qui sera titularisé en juillet
1905. Marie CURIE décide de conserver son enseignement à Sèvres.
1904, LA PRODUCTION DU RADIUM DEVIENT UNE INDUSTRIE
C’est en janvier 1904 qu’est publié le premier numéro de la revue mensuelle illustrée « Le Radium », qui traite exclusivement des produits radioactifs, lancé par l’industriel Emile ARMET DE LISLE. Le directeur est Henri FARJAS, un ingénieur civil, et le secrétaire de rédaction est Jacques DANNE, préparateur de Pierre CURIE. Tout d’abord journal
de vulgarisation, la revue devient après six mois un journal scientifique. La direction
scientifique est assurée par le comité composé, entre autres, de A. D’ARSONVAL, H. BECQUEREL, A. BÉCLÈRE, R. BLONDLOT, Ch. BOUCHARD, P. CURIE, A. DEBIERNE, Ch. FÉRY,
Ch.-E. GUILLAUME, P. OUDIN et E. RUTHERFORD.
Dès 1904, Pierre CURIE collabore avec des médecins, les professeurs Charles BOUet Victor BALTHAZARD, sur l’action physiologique de l’émanation du radium
(radon) sur des souris et des cobayes [51]. L’action du radium sur la peau est entreprise
par le docteur Henri DANLOS à l’hôpital Saint-Louis. Il est constaté que l’épiderme partiellement détruit se reforme à l’état sain. En détruisant les cellules malades, le radium
guérit des lupus, des tumeurs, certaines formes du cancer. À partir de cette date, l’extraction du radium n’a plus seulement l’intérêt d’une expérience, le radium devient utile. La
thérapeutique prend le nom de Curiethérapie. Une industrie va naître. Le problème est
qu’il faut huit tonnes de résidus de pechblende pour préparer un gramme de radium.
CHARD
Émile ARMET DE LISLE, industriel français qui fabrique de la quinine pour le traitement de la fièvre paludéenne, a l’idée de fonder à Nogent-sur-Marne, une usine pour fabriVol. 97 - Novembre 2003
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quer le radium et le fournir aux médecins. Il prend le relais de la Société centrale de produits
chimiques et offre aux CURIE un local attenant à l’usine afin qu’ils y poursuivent leurs travaux.
À cette occasion, les CURIE forment des collaborateurs, en particulier Frédéric HAUDEPIN et
surtout Jacques DANNE à qui ARMET DE LISLE confie l’extraction du radium. Ce radium, mis
régulièrement en vente, est estimé à sept cent cinquante mille francs (114 337 e) le gramme.
Pour la préparation du radium, on traite maintenant les bromures de baryum radifères, plutôt que les chlorures et c’est l’occasion pour Pierre CURIE de collaborer avec James DEWAR
[52], professeur à Londres, avec lequel il échange des échantillons et met en évidence que
l’émanation du radium fournie le spectre entier de l’hélium (les rayons α), déjà trouvé par
Sir William RAMSAY dans le cas de sels de radium dissous dans l’eau.
Au retour des vacances d’été que les CURIE passent dans une petite ferme de SaintRémy-lès-Chevreuse, non loin de Paris car Marie CURIE est enceinte, le recteur Louis
LIARD obtient pour Pierre CURIE la chaire de Physique de la Sorbonne, mais comme il
n’est pas question d’y associer un laboratoire, Pierre CURIE renonce et conserve au PCN,
à la fois la charge de trop nombreuses heures de cours et le petit local, composé de deux
pièces, qu’on lui a attribué rue Cuvier. Les finances du couple s’améliorent, car Marie
CURIE reçoit le prix Osiris d’un montant de cinquante mille francs (7 622 e), qu’elle partage avec l’autre bénéficiaire, Édouard BRANLY. Les CURIE prennent alors à leur compte
les frais d’entretien d’un préparateur particulier, Jacques DANNE, avec lequel Pierre CURIE
publie à une semaine d’intervalle, aux séances des 14 et 21 mars, deux Notes [53-54], à
l’Académie des sciences traitant de la disparition dans le temps de l’activité induite par
le radium. Avec Albert LABORDE, il s’intéresse à la radioactivité des gaz que dégagent
certaines eaux thermales, une vingtaine est testée [55]. Une autre Note [56], concernant
d’autres eaux de sources, paraîtra après la mort de Pierre CURIE.
1er OCTOBRE 1904 : PIERRE CURIE EST ENFIN PROFESSEUR
À LA SORBONNE
L’université sollicitait depuis un certain temps la Chambre des députés pour que soit
créé un laboratoire pour Pierre CURIE avec un crédit de cent cinquante mille francs (7 622 e).
Effectivement, le projet est presque adopté puisqu’un local de deux pièces va être
construit rue Cuvier. Un crédit de douze mille francs (1 829 e) annuel devrait être alloué
à Pierre CURIE qui recevrait, en outre trente quatre mille francs (5 183 e) à titre de frais
d’installation. En réalité, les dits frais comprennent le coût de construction du local,
estimé à vingt mille francs (3 049 e), au lieu d’être réservés à l’entière disposition du
bénéficiaire pour acheter des appareillages. Et le 1er octobre 1904, Pierre CURIE est
nommé professeur titulaire de physique de l’université de Paris. La création du poste est
complétée par un crédit de laboratoire et l’attribution de trois collaborateurs : un chef de
travaux, un préparateur et un garçon de laboratoire.
Quant à Marie, enceinte, qui obtient une dispense d’enseignement à Sèvres, elle est
nommée un mois plus tard, chef des travaux de physique (chaire de Monsieur Pierre
CURIE à la Faculté des sciences de l’université de Paris) et perçoit un traitement annuel
Pierre Curie : l’excellence alliée à l’humilité
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de deux mille quatre cents francs (366 e). Auparavant, la présence au laboratoire de
Marie CURIE n’était que tolérée. L’enseignement sera de courte durée puisqu’elle met au
monde, à son domicile, au numéro 108 du boulevard Kellermann, sa seconde fille prénommée Ève, le 6 décembre 1904. Elle reprendra son enseignement à Sèvres à raison de
deux matinées par semaine, dès le 1er février suivant.
C’est le 6 juin 1905 que Pierre et Marie CURIE font le déplacement à Stockholm
pour honorer leur engagement vis-à-vis de l’Académie suédoise. C’est Pierre CURIE, au
nom de sa femme et au sien, qui présente la « Conférence Nobel ». Dans les sept pages
imprimées, il évoque les conséquences du radium en physique, qui modifie profondément
des principes fondamentaux. En chimie, il note que cette découverte suscite des hypothèses hardies sur la source d’énergie qui entretient les phénomènes radioactifs. En géologie, en météorologie, il expose qu’elle est la clé de phénomènes jusqu’alors inexpliqués. Enfin, en biologie, il annonce l’efficacité de l’action du radium sur les cellules
cancéreuses. Il termine sa conférence par « Je suis de ceux qui pensent, comme Nobel,
que l’humanité tirera plus de bien que de mal des découvertes nouvelles ».
Notoriété oblige, Pierre CURIE est élu le 3 juillet à l’Académie des sciences, au poste
laissé vacant par le décès de Alfred POTIER, mais il s’ennuie pendant les séances, se
demandant même à quoi sert cette illustre institution. C’est à la rentrée scolaire 1905, que
Pierre CURIE démissionne de son poste de professeur à l’EMPCI et qu’il commence, le
8 novembre, son enseignement à la Sorbonne, alors que son nouveau laboratoire, composé de deux pièces, est situé au numéro 12 de la rue Cuvier où il a apporté tous les
matériels qui prenaient place dans le hangar vitré mis à sa disposition par l’EMPCI. Pour
se distraire, les CURIE assistent, non en adeptes mais en observateurs, à des séances de
spiritisme organisées par le célèbre médium Eusapia Palladino. Pierre CURIE est passionné
par les exhibitions de « lévitation » des objets.
Au début de l’année 1906, l’industriel Émile ARMET DE LISLE, très impliqué dans la
préparation du radium, finance la création et le fonctionnement du laboratoire biologique
du radium à Paris, doté d’un demi-gramme de radium. Pendant ce temps, Pierre CURIE
continue d’aménager le laboratoire exigu de la rue Cuvier, où il travaille avec André
DEBIERNE, son assistant, Albert LABORDE et le professeur américain DUANE. Le 14 avril,
il écrit dans une lettre à son ami Georges GOUY, professeur à Lyon : « Nous travaillons,
Madame CURIE et moi, à doser le radium avec précision par l’émanation qu’il dégage.
Cela n’a l’air de rien, cependant voilà plusieurs mois que nous nous y sommes mis, et
nous commençons seulement à obtenir des résultats réguliers ».
LA MORT ACCIDENTELLE DE PIERRE CURIE, LE JEUDI 19 AVRIL 1906
Alors que les CURIE et leurs deux filles se reposent dans une petite maison louée à
Saint-Rémy-lès-Chevreuse, à l’occasion des vacances de Pâques, Pierre décide de venir à
Paris le jeudi 19 avril pour assister à l’assemblée générale des professeurs des facultés des
sciences, et déjeuner avec ses collègues, qui se tient à l’Hôtel des Sociétés Savantes, situé
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au coin de la rue Danton et de la rue Serpente. Vers 14 h 30, Pierre CURIE sort de l’établissement et s’en va sous la pluie, armé d’un parapluie, chez l’éditeur Gauthier-Villars
pour y corriger les épreuves d’un article. Trouvant porte close (les ateliers sont en grève),
il se dirige vers l’Académie des sciences en empruntant la rue Dauphine. Les passants sont
nombreux, il quitte donc le trottoir de droite et foule la chaussée derrière un fiacre fermé
qui roule lentement vers le Pont-Neuf. Dans le même temps, un lourd fourgon hippomobile de six tonnes à deux essieux, chargé d’habillements militaires, tracté par deux percherons et conduit par un charretier d’une trentaine d’année, Louis MANIN, débouche du pont
et s’engage au trot dans la rue Dauphine. C’est à ce moment, d’après deux témoins, que
Pierre CURIE, en complet noir et tenant toujours son parapluie, décide de traverser la chaussée et gagner l’autre trottoir. Quittant l’abri du fiacre, qui obstruait son horizon, il apparaît
brusquement devant le cheval de gauche du fourgon qui croise le fiacre à la même seconde.
En tentant de se raccrocher à l’animal, se dernier se cabre, Pierre CURIE est alors projeté à
terre, ses semelles glissant sur le sol humide. Vivant, indemne, son corps passe entre les
pattes des chevaux puis entre les deux roues avant du fourgon. Le charretier ne parvenant
pas à stopper à temps son attelage, c’est la roue arrière gauche qui lui éclatera la boîte crânienne en une quinzaine de morceaux. C’est Pierre CLERC, un vieil aide préparateur de physique de Pierre CURIE, qui identifiera le corps. Le corps de Pierre CURIE sera inhumé au
cimetière de Sceaux le samedi 21 avril 1906, dans la tombe où repose déjà sa mère.
Le 15 mai 1906, sur la vive insistance de Marcellin BERTHELOT, de Paul APPELL et
du vice-recteur Louis LIARD, le Conseil de la Faculté des sciences décide à l’unanimité
de maintenir la chaire créée pour Pierre CURIE et de la confier à Marie CURIE qui prendra le titre de « Chargée de cours » de physique générale. C’était la première fois qu’un
poste dans l’enseignement supérieur était accordé à une femme. Il est stipulé qu’elle
bénéficiera d’un traitement annuel de dix mille francs (1 524 e) à compter du 1er mai
1906. Pour résoudre le problème immédiat de la charge de ses deux enfants, Marie CURIE
s’installe dans la maison familiale des CURIE à Sceaux.
Le lundi 5 novembre 1906, Marie CURIE donne sa première leçon en Sorbonne à 13 h 30,
sur la théorie des ions dans les gaz et la radioactivité. Pour marquer la continuité entre son
cours et celui de son époux, elle commence celui-là par la dernière phrase prononcée par Pierre
CURIE dans le même amphithéâtre. Elle deviendra professeur titulaire le 16 novembre 1908.
En décembre 1906, l’Académie des sciences décerne à Pierre CURIE, à titre posthume, le prix
Reynaud, pour ses travaux sur la piézo-électricité et les propriétés des corps radioactifs.
Le jeudi 20 avril 1995, les cendres de Pierre et de Marie CURIE ont été transférées
au Panthéon en présence de nombreuses personnalités nationales et internationales des
mondes politique, scientifique, journalistique et, également, de Ève LABOUISSE-CURIE,
fille cadette des CURIE, née le 6 décembre 1904.
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Michel BARQUINS
Docteur d’État ès sciences physiques
Directeur de recherche au CNRS
Professeur à l’ETSL
Pierre Curie : l’excellence alliée à l’humilité
Le Bup no 858 (1)