LA RESPONSABILITE DU GÉRANT DE fORTUNE La gestion d

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LA RESPONSABILITE DU GÉRANT DE fORTUNE La gestion d
D r o it / As s u ran c e s
Au ré lia Rappo
LA RESPONSABILITE DU GÉRANT de fortune
La gestion d’avoirs non fiscalisés
Comme l’affirmait la Finma, le modèle d’affaires basé sur des avoirs non déclarés a
vécu [1]. Il n’en demeure pas moins que la banque reste tenue par ses obligations de
confidentialité. La limite entre le secret bancaire, le devoir de diligence, de fidélité
envers le client et l’interdiction de prêter assistance à l’évasion fiscale devient toujours plus délicate. Le sujet est complexe lorsque la banque déploie des activités
transfrontalières et doit composer avec des législations contradictoires.
1. Généralités
Une véritable psychose s’est emparée du monde feutré de la
gestion de fortune. À mesure que le secret bancaire s’effrite,
un vent de panique s’installe. Les banques encouragent vive­
ment leurs clients à se mettre en conformité avec leurs obli­
gations fiscales, sous peine de se voir éconduits par leur
banque. Certains établissements exigent de leurs déposants
des attestations fiscales, alors même qu’il n’existe aucune
disposition légale fondant de telles obligations. D’autres
banques ont introduit dans leurs conditions générales un
engagement du client de déclarations fiscales et de paiement
de l’impôt. Certaines banques prévoient dans leurs formules
types que le client étranger les libère du secret bancaire. Dans
ce climat délétère, la peur gagne les rangs et le client est
­souvent abandonné à son sort. La plus grande confusion
règne quant aux obligations applicables au banquier dans la
gestion d’avoirs non déclarés. Les esprits sont totalement
désorientés.
2. Les obligations de la banque
envers son client
2.1 Le secret bancaire et le devoir de confidentialité. Le
secret bancaire se fonde sur trois bases légales: la protec­
tion de la personnalité (art. 27 et 28 CC), l’obligation de con­
fidentialité inhérente au mandat qui unit le banquier et
son client (art. 398 CO) et l’article 47 LB [2], qui est une dis­
position de droit administratif à caractère pénal et qui assor­
tit d’une sanction toute violation du secret bancaire [3]. Que
penser des banques qui prévoient dans leurs conditions gé­
Aurélia Rappo, Avocate,
docteur en droit,
Étude Pétremand &
Rappo, Lausanne/VD
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nérales que le secret bancaire n’est plus garanti pour les
clients étrangers? Certes, le client est maître du secret et, à ce
titre, il peut consentir en tout temps à la levée du secret ban­
caire. Or, un consentement préalable n’est, à notre avis, pas
concevable. La renonciation générale, abstraite et anticipée à
la protection du secret bancaire n’est pas un consentement
libre et éclairé. Pour cette raison, en 1982 déjà, l’Association
suisse des banquiers (ASB) s’était opposée à la pratique de
certaines banques qui consistait à demander à leur client de
signer un consentement préalable et général à la levée du se­
cret bancaire pour le cas où une procédure d’enquête devait
être ouverte aux États-Unis [4]. Cette prise de position était
tout à fait justifiée. La banque ne saurait se décharger de
toute responsabilité en faisant signer à ses clients une renon­
ciation pure et simple au secret bancaire [5]. Le banquier doit
garantir la confidentialité et le client ne peut y renoncer qu’au
cas par cas et en toute connaissance de cause. En périphérie
de ces trois bases légales, il existe de nombreuses dispositions
qui complètent le secret bancaire et qui fondent d’autres obli­
gations de confidentialité [6]. Il s’agit notamment du secret
professionnel des négociants prévu à l’article 43 LBVM [7], de
la loi sur la protection des données (LPD) [8], du secret profes­
sionnel (art. 321 CP) [9], du secret de fonction (art. 320 CP), du
secret de fabrication et commercial (art. 162 CP), des disposi­
tions pénales réprimant le service de renseignements écono­
miques (art. 273 CP), de la soustraction de données (art. 143
CP), de la loi contre la concurrence déloyale (LCD) [10], etc.
Suivant les circonstances de chaque cas, ces dispositions lé­
gales peuvent compléter la protection du secret bancaire,
voire s’y substituer [11]. Même si la tendance générale vise une
plus grande transparence, les secrets professionnels conti­
nuent de bénéficier d’une protection pénale. Les acteurs ban­
caires qui prêteraient assistance aux autorités fiscales étran­
gères, sans base légale, s’exposent à des sanctions pénales
non seulement pour violation du secret bancaire, mais aussi
au titre du service de renseignements économiques. Cette
question s’était posée notamment avec l’affaire SWIFT. Le
8 mars 2007, suite à la transmission par la société SWIFT de
données bancaires de clients en Suisse à des autorités amé­
ricaines, le Ministère public de la Confédération avait de­
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LA RESPONSABI LITE D U GÉRANT d e fo rtu n e
D r o it / As s u ran c e s
mandé au Département fédéral de justice et police (DFJP)
l’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre inconnu
pour soupçon d’infraction à l’article 273 CP.
pour responsable des pénalités auxquelles il s’expose si l’in­
fraction fiscale venait à être découverte par les autorités
fiscales.
2.2 Les obligations de fidélité et de diligence. La relation
juridique qui unit la banque à son client contient presque
­t oujours un élément de mandat. La plupart des contrats
­bancaires sont des contrats mixtes qui comprennent des
­obligations de gestion et incorporent des aspects de man­
2.3 Le cas particulier de l’ayant droit économique. Plus
délicate est la question de l’ayant droit économique et de sa
situation juridique vis-à-vis de la banque. Au sens strict,
l’ayant droit économique est un tiers: il n’existe pas de re­
lation contractuelle entre ce dernier et la banque. Selon la
jurisprudence, l’identification de l’ayant droit économique a
uniquement pour but de se conformer aux exigences de la
lutte contre le blanchiment d’argent; elle n’a aucun effet de
droit civil et ne déploie pas de liens contractuels [17]. Cette
solution se défend car l’ayant droit économique doit se laisser
opposer la structure juridique qu’il a librement choisie: il a
volontairement exclu tout lien contractuel avec l’établisse­
ment bancaire. Pour ce même motif, le secret bancaire est
opposable à l’ayant droit économique. Ce dernier n’a pas le
droit d’être renseigné sur l’état d’un compte, puisqu’il n’est
pas le titulaire [18]. Or, même si l’ayant droit économique n’est
pas partie au contrat, toute information le concernant est
néanmoins protégée par le secret bancaire. Dans ce cas, l’obli­
gation de confidentialité ne sera pas contractuelle, mais
elle reposera sur les articles 27, 28 CC et 47 LB.
«Même si la tendance générale
vise une plus grande transparence,
les secrets professionnels
continuent de bénéficier d’une
protection pénale.»
dat [12]. En vertu de l’article 398 al. 2 CO, le banquier est res­
ponsable de la bonne et fidèle exécution du mandat. Le rap­
port de confiance est au cœur de la relation entre la banque
et son mandant. Le gérant doit donc protéger activement
les intérêts de ses clients avec diligence, mais non sans li­
mite. Récemment, un client américain a saisi la justice de
son pays en ouvrant action en responsabilité contre son
conseiller et la direction de sa banque aux États-Unis, aux­
quels il reprochait de l’avoir incité à mener des opérations
illégales en matière fiscale [13]. Sa plainte a été rejetée. Il n’en
demeure pas moins que la question de la responsabilité de la
banque peut se poser lorsqu’elle a couvert des actes fiscale­
ment illicites et que son client est ensuite mis en difficulté
par les autorités. Des manquements aux obligations de pré­
server activement le secret bancaire pourraient motiver de
telles démarches. Les tribunaux suisses n’ont encore jamais
admis la responsabilité civile du banquier pour le dommage
subi par un client dans le cadre d’une procédure pour sous­
traction fiscale. De jurisprudence constante, le Tribunal fé­
déral considère que les rappels et les amendes infligés au
contribuable étranger pour des délits fiscaux ne sauraient
constituer un dommage susceptible de réparation en matière
de responsabilité civile ou contractuelle [14]. Que l’amende ait
été prononcée dans un État tiers en application du droit pu­
blic étranger n’y change rien. Saisi d’un cas similaire, le Tri­
bunal de première instance de Vaduz a jugé en février 2010
qu’une banque liechtensteinoise était tenue de rembourser à
un client allemand la sanction pécuniaire à laquelle il avait
été condamné en Allemagne. À l’appui, les juges de Vaduz ont
admis que la banque avait trop attendu avant d’informer le
client du vol de données le concernant. Pour les premiers
juges, si le client avait été immédiatement mis en garde, il
aurait pu se dénoncer spontanément aux autorités fiscales
allemandes. Cette décision a cependant été cassée en ins­
tance de recours [15]. La jurisprudence s’impose actuellement
en sens contraire pour des motifs similaires à ceux retenus
par le Tribunal fédéral [16]. Ces décisions nous paraissent fon­
dées. Le client qui détient des avoirs non déclarés se place
volontairement dans l’illicéité. Il ne peut pas tenir sa banque
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3. Les règles prudentielles et le risque
de réputation
La Convention relative à l’obligation de diligence des banques du
7 avril 2008 (CDB) a pour but de préserver le renom du système
bancaire suisse et d’établir des règles assurant une gestion
irréprochable lors de l’établissement de la relation bancaire
et dans le domaine du secret bancaire (art. 1). À juste titre, la
CDB rappelle qu’elle ne modifie en rien l’obligation d’obser­
ver le secret bancaire. Elle ne veut pas (et ne peut pas) étendre
au territoire suisse le champ d’application de la législation
étrangère en matière fiscale [19]. Assurer une gestion irré­
prochable ne signifie pas veiller à la bonne application du
droit fiscal étranger. La limite consiste à ne pas encourager la
«Dans une communication
du 22 octobre 2010, la Finma a tenté
de clarifier les risques qui pèsent
sur la gestion de fortune en matière
d’activités transfrontalières.»
fraude. La CDB prévoit donc à son article 8 une prohibition
d’assistance active à la soustraction fiscale et à des actes ana­
logues. Les banques ne doivent pas fournir d’aide à leur
client dans des manœuvres qui visent à tromper les autori­
tés fiscales suisses et étrangères. Le démarchage de clients
étrangers est un sujet sensible lorsque les avoirs ne sont pas
déclarés. Dans une communication du 22 octobre 2010 [20],
la Finma a tenté de clarifier les risques qui pèsent sur la ges­
tion de fortune en matière d’activités transfrontalières.
Certes, la loi sur la surveillance des marchés financiers ne
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D r o it / As s u ran c e s
prévoit aucune obligation pour les assujettis de respecter le
droit étranger. Il n’en demeure pas moins que la violation du
droit étranger peut enfreindre certaines dispositions de
­surveillance suisse, en particulier l’exigence de la garantie
d’une activité irréprochable. Parmi les conditions qu’une
banque doit satisfaire en tout temps, se trouve l’obligation
«En matière fiscale, le devoir de
confidentialité du banquier, appelé
à fournir des renseignements en
qualité de tiers, varie selon la procédure
fiscale considérée.»
de disposer d’une organisation correspondant à son activité
et de présenter toutes les garanties d’une activité irrépro­
chable [21]. Les règles prudentielles en matière d’organisation
interne exigent encore que tous les risques, y compris les
risques juridiques ou de réputation, soient dûment déter­
minés, limités et contrôlés [22]. Lorsqu’un établissement fi­
nancier adopte une structure de groupe, il est tenu d’instau­
rer une gestion adéquate des risques, ainsi qu’une activité
irréprochable à l’échelle du groupe [23]. De plus, un gérant,
même s’il est actif en Suisse ou depuis le territoire suisse, peut
courir le risque de se rendre coupable à l’étranger d’une par­
ticipation au délit fiscal commis par son client. Des sanctions
pénales peuvent viser le complice ou l’instigateur de fraude
fiscale. À ce titre, les services proposés à des clients étrangers
doivent être soigneusement étudiés afin d’éviter qu’ils ne
tombent sous le coup du droit pénal et fiscal étranger.
En 2008, la CFB avait examiné le comportement d’UBS
dans ses activités transfrontalières avec des clients privés
américains. Cette procédure s’est clôturée en décembre 2008
par une décision qui concluait qu’UBS avait gravement en­
freint ses obligations en matière de garantie d’une activité
irréprochable. La CFB avait notamment sanctionné UBS en
lui interdisant d’exercer à l’avenir des activités transfronta­
lières avec des clients privés domiciliés aux États-Unis [24].
En 2010, la Finma a rendu une décision à l’encontre de la fi­
liale suisse d’une banque étrangère qui opérait depuis la
Suisse sur des marchés étrangers. À de nombreuses reprises,
cet établissement avait établi des attestations mensongères.
La Finma a reproché à la banque de n’avoir pas mesuré les
risques fiscaux et pénaux encourus sur ces marchés ­étrangers
et de n’avoir jamais vérifié le droit en vigueur. La Finma a
donc sanctionné l’établissement pour avoir failli à son obli­
gation de vigilance en matière de risques [25].
Les cas similaires de responsabilité pour des activités trans­
frontalières se multiplient. Le 12 avril 2013, le Parquet de
Paris a ouvert une information judiciaire contre des employés
d’UBS Suisse suspectés d’avoir démarché des contribuables
français [26]. Plusieurs infractions ont été re­tenues. Outre le
démarchage bancaire ou financier par des personnes non
habilitées, le Parquet de Paris a retenu le blanchiment de
fraude fiscale et de fonds obtenus à l’aide d’un démarchage
illicite, commis en bande organisée. Le 23 avril 2013, le Par­
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quet de Paris a ouvert une nouvelle information judiciaire
pour les mêmes infractions en lien avec HSBC [27]. Ces af­
faires démontrent que la prospection de clients à l’étranger
présente des risques qui vont bien au-delà de la simple pro­
blématique fiscale. Outre le risque de poursuites pénales à
l’étranger, la banque s’expose à des effets collatéraux en
Suisse, la Finma pouvant sanctionner ces pratiques au titre
d’une violation des règles prudentielles.
4. Les obligations de collaborer du
banquier en droit fiscal suisse
4.1 La procédure de taxation en matière d’impôts directs
et en cas d’infraction fiscale simple. En matière fiscale, le
devoir de confidentialité du banquier, appelé à fournir des
renseignements en qualité de tiers, varie selon la procé­
dure fiscale considérée. La matière est vaste et nous nous limi­
terons ici aux impôts directs. Le secret bancaire demeure
pleinement applicable dans le cadre des contrôles effectués
en procédures de taxation et en cas d’infraction fiscale
simple [28]. La réserve concerne les attestations écrites que
le gérant de fortune doit remettre au contribuable concer­
nant la fortune administrée et les revenus [29]. L’attestation
d’intégralité introduite en 1993 est un moyen de contrainte
subsidiaire qui oblige la banque à fournir la liste complète de
ses relations d’affaires avec un contribuable donné durant
une période précise [30]. L’autorité fiscale n’a cependant pas
le droit de réclamer ces attestations directement à la banque
concernée. Inversement, les banques ne sont pas autorisées à
informer directement l’autorité fiscale, sous peine de violer
le secret bancaire.
4.2 La procédure en cas de délits fiscaux en matière
d’impôts directs. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un délit fis­
cal en matière d’impôts directs au sens des articles 186 et 187
LIFD, la procédure est de nature pénale [31]. Le secret
­bancaire n’est pas un secret professionnel protégé selon l’ar­
ticle 171 al. 1 CPP et il ne fonde pas le droit de refuser de té­
moigner [32]. La banque, en tant que tiers, est donc tenue de
renseigner. Lorsque l’infraction fiscale ne relève plus de la
compétence des cantons, mais des mesures spéciales d’en­
quête attribuées à l’Administration fédérale des contributions
(AFC), des moyens d’enquête plus étendus sont prévus en
vertu des articles 190 ss LIFD. L’AFC sera compétente dès lors
qu’il existe des soupçons fondés d’infractions fiscales graves,
d’assistance ou d’incitation à de tels actes (art. 190 al. 1 LIFD).
Par infraction fiscale grave, on entend la soustraction conti­
nue de montants importants d’impôts et les délits fiscaux [33].
La procédure relève alors des articles 19 ss LDPA [34]. Ces dis­
positions de procédure s’appliquent contre les auteurs, les
complices et les instigateurs [35], ainsi que pour les mesures
d’enquête contre les tiers non impliqués dans la procé­
dure [36]. Les employés de banques ne pourront pas invoquer
le secret bancaire et seront tenus de collaborer, de témoigner
et de produire toutes pièces pertinentes en leur possession,
sous peine de sanctions pénales [37]. Par ailleurs, l’AFC dis­
posera de mesures de contrainte plus étendues. Elle pourra
notamment effectuer des séquestres, des perquisitions ou
des arrestations [38].
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LA RESPONSABI LITE D U GÉRANT d e fo rtu n e
4.3 Le banquier soupçonné de participation à l’infraction fiscale. La situation est différente si le banquier devait
être soupçonné de complicité ou d’instigation à commettre
une infraction fiscale au sens de l’article 190 LIFD. En effet,
dans le cadre d’une enquête pénale ou pénale administrative,
le complice ou l’instigateur qui ne donne pas suite à son de­
voir de renseigner selon l’article 126 al. 2 LIFD ne peut pas
«En droit suisse, les actes de
participation d’une banque suisse
ou de ses employés à des délits
fiscaux commis par des clients envers
les autorités fiscales étrangères ne
constituent pas des actes pénalement
punissables.»
être sanctionné sur la base de l’article 174 LIFD, car l’article 191
LIFD ne contient pas de disposition correspondant à celle
de l’article 192 al. 2 LIFD [39]. Il s’agit d’un principe général
applicable en matière pénale selon lequel l’accusé peut gar­
der le silence et ne pas collaborer à des mesures destinées à
l’incriminer. L’article 177 LIFD prévoit une peine d’amende
pour celui qui, intentionnellement, incite à une soustraction
d’impôt, y prête son assistance, la commet en qualité de re­
présentant du contribuable ou y participe. En outre, il répond
solidairement de l’impôt soustrait [40]. Des règles similaires
existent en matière d’impôt cantonal et communal [41]. Par
conséquent, en droit suisse, le gérant engage sa responsabi­
lité s’il s’implique activement et participe aux infractions
fiscales commises par son client.
5. Le droit pénal suisse
En droit suisse, les actes de participation d’une banque
suisse ou de ses employés à des délits fiscaux commis par des
clients envers les autorités fiscales étrangères ne consti­
tuent pas en soi des actes pénalement punissables. En effet,
les autorités suisses n’ont pas vocation à assister les États
étrangers dans l’application de leur droit fiscal ou le recou­
vrement des créances d’impôt. De plus, l’autorité judiciaire
pénale suisse est en principe compétente pour la poursuite
d’infractions commises sur le territoire suisse; la poursuite
d’infraction commise sur territoire étranger au détriment
d’étrangers demeure l’exception [42].
Le législateur et le Tribunal fédéral ont toutefois nuancé ce
principe, qui ne doit pas être compris comme absolument in­
tangible. D’abord, le blanchiment, commis en Suisse, du pro­
duit d’un crime commis à l’étranger est punissable [43]. La participation à une organisation criminelle est, elle-aussi, punis­
sable lorsque cette organisation a commis ses crimes à l’étran­
ger [44]. Le Code pénal suisse réprime encore le faux dans les
titres [45] ou la corruption d’agents publics étrangers [46].
Souvent, l’infraction fiscale au détriment des autorités fis­
cales étrangères s’accompagne d’autres actes illicites qui
peuvent justifier l’ouverture d’une enquête pénale en Suisse.
6–7 | 2013 L’ e x p e r t - c o m p ta b l e s u i s s e
D r o it / As s u ran c e s
6. Le blanchiment d’argent et
les infractions fiscales
En février 2012, le GAFI a adopté des recommandations ré­
visées en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et
le financement du terrorisme. Parmi celles-ci figure la vo­
lonté d’ériger les infractions fiscales pénales en infractions
préalables au blanchiment d’argent. Le GAFI laisse les États
libres de décider leurs critères, pour autant qu’ils visent les
impôts directs et indirects. Actuellement, en Suisse, en ma­
tière d’impôts directs, les infractions fiscales ne constituent
que des contraventions (passibles d’amendes) ou des délits
(passibles d’emprisonnement de trois ans au plus). Or, selon
l’article 305bis CP, seuls les crimes (passibles d’une peine
­privative de liberté de plus de trois ans) constituent des in­
fractions préalables au blanchiment d’argent. En droit fis­
cal suisse, il n’existe à l’heure actuelle qu’un seul crime, à
savoir l’escroquerie fiscale qualifiée (art. 14 al. 4 DPA), plus
com­munément appelée la contrebande douanière organi­
sée. Le 27 février 2013, le Conseil fédéral a approuvé deux pro­
jets de loi destinés à la consultation [47]. Le premier concerne
la mise en œuvre des recommandations du GAFI révisées
en 2012. Le deuxième vise à étendre les obligations de dili­
gence afin d’empêcher que les intermédiaires financiers
acceptent des avoirs non fiscalisés en Suisse. Il est question
d’introduire une nouvelle infraction préalable au blanchi­
ment d’argent sous la forme d’escroquerie fiscale qualifiée
dans le domaine des impôts directs si les éléments imposables
non déclarés se montent à CHF 600 000 au moins. Pour l’in­
termédiaire financier cette réforme pourrait être lourde de
conséquences. En effet, elle implique une obligation de vérifier
si les valeurs patrimoniales sont ou seront fiscalisées. En cas
de soupçons de non-conformité aux règles fiscales, les inter­
médiaires financiers devront refuser les valeurs patrimo­
niales. L’obligation de communiquer les soupçons au Bureau
de communication en matière de blanchiment d’argent
(MROS) s’appliquerait en cas d’infraction fiscale grave préa­
«Actuellement, en Suisse, en
matière d’impôts directs, les infractions fiscales ne constituent
que des contraventions (passibles
d’amendes) ou des délits (passibles d’emprisonnement de trois
ans au plus).»
lable au blanchiment (art. 9 al. 1 let. a LBA). L’utilisation des
dossiers LBA en matière fiscale sera ainsi clairement officia­lisée.
7. Conclusion
Pour le gérant, ces nouvelles obligations en lien avec les
avoirs non fiscalisés présentent des difficultés. L’interna­
tionalisation de la gestion de fortune rend l’activité com­
plexe, en particulier en matière fiscale et lorsque les avoirs
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LA RESPONSABI LITE D U GÉRANT d e fo rtu n e
ne sont pas déclarés. Veiller à ce que des fonds ne proviennent
pas d’un crime est une chose, veiller à ce qu’ils soient dûment
fiscalisés est autrement plus ardu. La fiscalité internationale
«À l’évidence, vouloir ériger
le banquier en garant de la perception des impôts sans limite
territoriale, c’est lui faire porter des
responsabilités qui vont bien
au-delà de ses compétences et de ses
capacités.»
est difficile à appréhender. Le gérant de fortune n’a certaine­
ment pas les outils de vérification suffisants pour maîtriser
la fiscalité de tous les États dans lesquels ses clients ont des
Notes: 1) Zaki, in: Bilan, La Suisse, le seul pays à
exiger l’autodéclaration fiscale, 1er octobre 2012.
2) Loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne
(LB), RS 952.0. 3) Rappo, Les fondements juridi­
ques actuels du secret bancaire, in: Les enjeux juri­
diques du secret bancaire, Les Actes de l’ILCE,
Augsburger-Bucheli et Perrin (dir), Genève Zurich
Bâle 2011, pp. 31 ss. 4) L’ASB avait recommandé
l’abandon de cette pratique en précisant: «Nous ne
pouvons accepter la proposition, présentée parfois
pour éviter tout dilemme, de faire signer à l’avance
à chaque client un document par lequel celui-ci
délie la banque du secret bancaire. Les banques
n’ont pas le droit d’exiger de leur clientèle, d’une
façon générale, la renonciation à la protection du
secret bancaire.»; Circulaire de l’Association suisse
des banquiers du 1er février 1982 (n. 6173) à propos
des relations des banques suisses avec les ÉtatsUnis et les opérations d’initiés; voir également
Rappo, Le secret bancaire, sa portée dans le temps,
dans l’espace et dans les groupes de sociétés, Berne
2002, p. 211 et références citées. 5) Opinion contraire:
Frick, Honegger, Les groupes de sociétés face au
secret bancaire, in: Les nouveaux défis au secret
bancaire suisse, Lausanne Bellinzone 1996, p. 50.
6) Bernasconi, Secret bancaire et autres secrets pro­
fessionnels selon les nouveaux codes suisses de
procédure pénale et civile, in: Les enjeux juridi­
ques du secret bancaire, Les Actes de l’ILCE, Augs­
burger-Bucheli et Perrin (dir), Genève Zurich Bâle
2011, pp.  51 ss. 7) Loi fédérale sur les bourses et le
commerce des valeurs mobilières (LBVM), RS 954.1.
8) Loi fédérale sur la protection des données (LPD),
RS 235.1. 9) Code pénal suisse (CP), RS 311.0. 10) Loi
fédérale contre la concurrence déloyale (LCD), RS 241.
11) Aubert, Béguin, Bernasconi, Graziano-Von Burg,
Schwob, Treuillaud, Le secret bancaire suisse, Berne
1995, p. 115; Rappo, Le secret bancaire, sa portée
dans le temps, dans l’espace et dans les groupes de
sociétés, Berne 2002, pp. 280 ss et références citées.
12) Guggenheim, Les contrats de la pratique ban­
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attaches économiques. Il existe autant de systèmes de taxa­
tion que d’États ou de collectivités publiques fondées à préle­
ver des taxes. L’assujettissement d’un contribuable dépend
non seulement de son domicile, mais aussi de son lieu de sé­
jour, du lieu où il détient certains actifs (immeubles, établis­
sements stables, etc.) ou d’où proviennent certaines sources
de revenus (dividendes, royalties, pensions, etc.). Il n’est pas
rare que plusieurs régimes d’imposition entrent en concours,
nécessitant l’application des conventions de double imposi­
tion, pour autant que le client puisse en bénéficier. À l’évi­
dence, vouloir ériger le banquier en garant de la perception
des impôts sans limite territoriale, c’est lui faire porter des
responsabilités qui vont bien au-delà de ses compétences et
de ses capacités. Le banquier n’est pas un agent des services
fiscaux. S’il est parfaitement légitime de sanctionner les
comportements actifs destinés à faciliter la fraude, demander
au gérant de fortune de veiller à ce que la fiscalité soit dûment
appliquée est excessif et difficile à mettre en pratique.
n
caire suisse, 4ème éd., Genève 2000, p. 48; Aubert,
Beguin, Bernasconi, Graziano-Von Burg, Schwob,
Treuillaud, op. cit., p. 50. 13) ATS/Newsnet du
11 avril 2012; voir également Communication de la
Finma du 22 octobre 2010, Position de la Finma à
propos des risques juridiques et de réputation dans
le cadre des activités financières transfrontalières.
14) ATF 134 III 59; ATF 115 II 72; Koller, Steuern
und Steuerbussen als privatrechtlich relevanter
Schader, ZSR 113/1994 I pp. 183 ss, spéc. p. 202.
15) Communication de la FINMA du 22 octobre
2010, op. cit. 16) LES 2007, p. 36; LES 2006, 115; GE
2011, 31 et GE 2013, 55. 17) SJ 1997 p. 377; ATF 113 II
36 c. 2c; SJ 2001 I 168 c. 2a; ATF 123 II 153, JdT 1999
IV 122; ATF du 23 juillet 2001, 4C.108/2002 c. 3 c aa
et ATF du 5 juin 2007, 4C.397/2006 qui précise que
l’ayant droit économique ne peut pas invoquer
envers la banque le devoir de diligence et de fidé­
lité relatif au mandat; Rappo, Le secret bancaire,
op. cit., p. 242. 18) ATF du 8 mai 2009, 4A_2/2008,
c. 7.3 qui confirme que le bénéficiaire d’une procu­
ration bancaire ne peut plus obtenir de renseigne­
ment suite à la clôture du compte sur lequel une
procuration lui avait été octroyée, même lorsque
les informations portent sur des faits ou des actes
intervenus avant la ré­vocation. 19) Convention
relative à l’obligation de diligence des banques du
7 avril 2008 (CDB 08), art. 1, ch. 2, lettre a. 20) Com­
munication de la Finma du 22 octobre 2010, op. cit.
21) Art. 3 al. 2 let. a, c et cbis (banques), 3f al. 1 (groupes
financiers et con­glomérats financiers) LB; art. 26
al. 2 et 3 de la loi fédérale sur l’Autorité fédérale de
surveillance des marchés financiers (LFINMA),
RS 956.1. 22) Art. 9 al. 2 de l’ordonnance sur les
banques et les caisses d’épargne (OB), RS 952.02.
23) Art. 3 f LB et 14 a OB. 24) Rapport annuel 2010
de la Finma, p. 87. 25) Communication de la Finma
du 22 octobre 2010, op. cit., p. 14. 26) Le Monde du
18 avril 2013, Évasion fiscale, 353 français démar­
chés par UBS. 27) Le Monde du 23 avril 2013, HSBC
quatre ans de tergiversations autour de fichiers
controversés. 28) Art. 127 al. 2 et 182 al. 3 de la loi
fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD), RS 642.11;
Circulaire AFC du 7 mars 1995, Obligation de ren­
seigner, d’attester et d’informer; Auderset, À quel
point le secret bancaire résiste-t-il aux procédures
en matière d’impôts directs et indirects?, in: Les
enjeux juridiques du secret bancaire, Les Actes de
l’ILCE, Augsburger-Bucheli et Perrin (dir), Genève
Zurich Bâle 2011, p. 145. 29) Art. 127 al. 1, lit. d
LIFD. 30) Lettre-circulaire du 11 février 1993 de
l’AFC; circulaire n° 6743 du 19 mai 1993 de l’ASB
con­cernant l’attestation d’intégralité des banques.
31) Art. 188 al. 1, 2 et 4 Lifd; Auderset, op. cit., p. 147.
32) Art. 171 al. 1 CPP et 173 du Code de procédure
pénale suisse (CPP), RS 312.0. 33) Art. 190 al. 2 LIFD.
Voir également art. 175, 176, 186, 187 et 191 al. 1
LIFD. 34) Loi fédérale sur le droit pénal adminis­
tratif (DPA); RS 313.0. 35) Art. 191 al. 1 et 192 al. 1
LIFD. 36) Art. 192 al. 1 LIFD. 37) Art. 192 LIFD, 171
et 173 CPP applicables par renvoi de l’art. 41 DPA.
38) Art. 45 à 51 DPA. 39) Auderset, op. cit., p. 150.
40) Art. 177 al. 1 LIFD. 41) Art. 56 al. 3 de la loi
fé­dérale sur l’harmonisation des impôts directs
des cantons et des communes (LHID); RS 642.14.
42) Bernasconi, La place financière suisse et la
fuite de capitaux, in: Annuaire suisse de poli­
tique de développement, n° 19/2000, pp. 53 ss, n. 10.
43) Art. 305 al. 3 CP. 44) Art. 260ter CP. 45) Art. 251 ss
CP. 46) Art. 322ter CP. 47) Avant-projet du 27 février
2013 de loi fédérale sur la mise en œuvre des recom­
mandations du GAFI, révisées en 2012 et de loi fé­
dérale concernant la lutte contre le blanchiment
d’argent et le financement du terrorisme dans le
secteur financier; Rapport explicatif du Départe­
ment des finances du 27 février 2013 concernant le
projet mis en consultation, Stratégie concernant la
place financière-obligations de diligence étendues
pour empêcher l’acceptation de valeurs patrimo­
niales non fiscalisées, Révision de la loi sur le blan­
chiment d’argent.
L’ e x p e r t - c o m p ta b l e s u i s s e 2013 | 6–7