LA RESPONSABILITE DU GÉRANT DE fORTUNE La gestion d
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LA RESPONSABILITE DU GÉRANT DE fORTUNE La gestion d
D r o it / As s u ran c e s Au ré lia Rappo LA RESPONSABILITE DU GÉRANT de fortune La gestion d’avoirs non fiscalisés Comme l’affirmait la Finma, le modèle d’affaires basé sur des avoirs non déclarés a vécu [1]. Il n’en demeure pas moins que la banque reste tenue par ses obligations de confidentialité. La limite entre le secret bancaire, le devoir de diligence, de fidélité envers le client et l’interdiction de prêter assistance à l’évasion fiscale devient toujours plus délicate. Le sujet est complexe lorsque la banque déploie des activités transfrontalières et doit composer avec des législations contradictoires. 1. Généralités Une véritable psychose s’est emparée du monde feutré de la gestion de fortune. À mesure que le secret bancaire s’effrite, un vent de panique s’installe. Les banques encouragent vive ment leurs clients à se mettre en conformité avec leurs obli gations fiscales, sous peine de se voir éconduits par leur banque. Certains établissements exigent de leurs déposants des attestations fiscales, alors même qu’il n’existe aucune disposition légale fondant de telles obligations. D’autres banques ont introduit dans leurs conditions générales un engagement du client de déclarations fiscales et de paiement de l’impôt. Certaines banques prévoient dans leurs formules types que le client étranger les libère du secret bancaire. Dans ce climat délétère, la peur gagne les rangs et le client est souvent abandonné à son sort. La plus grande confusion règne quant aux obligations applicables au banquier dans la gestion d’avoirs non déclarés. Les esprits sont totalement désorientés. 2. Les obligations de la banque envers son client 2.1 Le secret bancaire et le devoir de confidentialité. Le secret bancaire se fonde sur trois bases légales: la protec tion de la personnalité (art. 27 et 28 CC), l’obligation de con fidentialité inhérente au mandat qui unit le banquier et son client (art. 398 CO) et l’article 47 LB [2], qui est une dis position de droit administratif à caractère pénal et qui assor tit d’une sanction toute violation du secret bancaire [3]. Que penser des banques qui prévoient dans leurs conditions gé Aurélia Rappo, Avocate, docteur en droit, Étude Pétremand & Rappo, Lausanne/VD 404 nérales que le secret bancaire n’est plus garanti pour les clients étrangers? Certes, le client est maître du secret et, à ce titre, il peut consentir en tout temps à la levée du secret ban caire. Or, un consentement préalable n’est, à notre avis, pas concevable. La renonciation générale, abstraite et anticipée à la protection du secret bancaire n’est pas un consentement libre et éclairé. Pour cette raison, en 1982 déjà, l’Association suisse des banquiers (ASB) s’était opposée à la pratique de certaines banques qui consistait à demander à leur client de signer un consentement préalable et général à la levée du se cret bancaire pour le cas où une procédure d’enquête devait être ouverte aux États-Unis [4]. Cette prise de position était tout à fait justifiée. La banque ne saurait se décharger de toute responsabilité en faisant signer à ses clients une renon ciation pure et simple au secret bancaire [5]. Le banquier doit garantir la confidentialité et le client ne peut y renoncer qu’au cas par cas et en toute connaissance de cause. En périphérie de ces trois bases légales, il existe de nombreuses dispositions qui complètent le secret bancaire et qui fondent d’autres obli gations de confidentialité [6]. Il s’agit notamment du secret professionnel des négociants prévu à l’article 43 LBVM [7], de la loi sur la protection des données (LPD) [8], du secret profes sionnel (art. 321 CP) [9], du secret de fonction (art. 320 CP), du secret de fabrication et commercial (art. 162 CP), des disposi tions pénales réprimant le service de renseignements écono miques (art. 273 CP), de la soustraction de données (art. 143 CP), de la loi contre la concurrence déloyale (LCD) [10], etc. Suivant les circonstances de chaque cas, ces dispositions lé gales peuvent compléter la protection du secret bancaire, voire s’y substituer [11]. Même si la tendance générale vise une plus grande transparence, les secrets professionnels conti nuent de bénéficier d’une protection pénale. Les acteurs ban caires qui prêteraient assistance aux autorités fiscales étran gères, sans base légale, s’exposent à des sanctions pénales non seulement pour violation du secret bancaire, mais aussi au titre du service de renseignements économiques. Cette question s’était posée notamment avec l’affaire SWIFT. Le 8 mars 2007, suite à la transmission par la société SWIFT de données bancaires de clients en Suisse à des autorités amé ricaines, le Ministère public de la Confédération avait de L’ e x p e r t - c o m p ta b l e s u i s s e 2013 | 6–7 LA RESPONSABI LITE D U GÉRANT d e fo rtu n e D r o it / As s u ran c e s mandé au Département fédéral de justice et police (DFJP) l’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre inconnu pour soupçon d’infraction à l’article 273 CP. pour responsable des pénalités auxquelles il s’expose si l’in fraction fiscale venait à être découverte par les autorités fiscales. 2.2 Les obligations de fidélité et de diligence. La relation juridique qui unit la banque à son client contient presque t oujours un élément de mandat. La plupart des contrats bancaires sont des contrats mixtes qui comprennent des obligations de gestion et incorporent des aspects de man 2.3 Le cas particulier de l’ayant droit économique. Plus délicate est la question de l’ayant droit économique et de sa situation juridique vis-à-vis de la banque. Au sens strict, l’ayant droit économique est un tiers: il n’existe pas de re lation contractuelle entre ce dernier et la banque. Selon la jurisprudence, l’identification de l’ayant droit économique a uniquement pour but de se conformer aux exigences de la lutte contre le blanchiment d’argent; elle n’a aucun effet de droit civil et ne déploie pas de liens contractuels [17]. Cette solution se défend car l’ayant droit économique doit se laisser opposer la structure juridique qu’il a librement choisie: il a volontairement exclu tout lien contractuel avec l’établisse ment bancaire. Pour ce même motif, le secret bancaire est opposable à l’ayant droit économique. Ce dernier n’a pas le droit d’être renseigné sur l’état d’un compte, puisqu’il n’est pas le titulaire [18]. Or, même si l’ayant droit économique n’est pas partie au contrat, toute information le concernant est néanmoins protégée par le secret bancaire. Dans ce cas, l’obli gation de confidentialité ne sera pas contractuelle, mais elle reposera sur les articles 27, 28 CC et 47 LB. «Même si la tendance générale vise une plus grande transparence, les secrets professionnels continuent de bénéficier d’une protection pénale.» dat [12]. En vertu de l’article 398 al. 2 CO, le banquier est res ponsable de la bonne et fidèle exécution du mandat. Le rap port de confiance est au cœur de la relation entre la banque et son mandant. Le gérant doit donc protéger activement les intérêts de ses clients avec diligence, mais non sans li mite. Récemment, un client américain a saisi la justice de son pays en ouvrant action en responsabilité contre son conseiller et la direction de sa banque aux États-Unis, aux quels il reprochait de l’avoir incité à mener des opérations illégales en matière fiscale [13]. Sa plainte a été rejetée. Il n’en demeure pas moins que la question de la responsabilité de la banque peut se poser lorsqu’elle a couvert des actes fiscale ment illicites et que son client est ensuite mis en difficulté par les autorités. Des manquements aux obligations de pré server activement le secret bancaire pourraient motiver de telles démarches. Les tribunaux suisses n’ont encore jamais admis la responsabilité civile du banquier pour le dommage subi par un client dans le cadre d’une procédure pour sous traction fiscale. De jurisprudence constante, le Tribunal fé déral considère que les rappels et les amendes infligés au contribuable étranger pour des délits fiscaux ne sauraient constituer un dommage susceptible de réparation en matière de responsabilité civile ou contractuelle [14]. Que l’amende ait été prononcée dans un État tiers en application du droit pu blic étranger n’y change rien. Saisi d’un cas similaire, le Tri bunal de première instance de Vaduz a jugé en février 2010 qu’une banque liechtensteinoise était tenue de rembourser à un client allemand la sanction pécuniaire à laquelle il avait été condamné en Allemagne. À l’appui, les juges de Vaduz ont admis que la banque avait trop attendu avant d’informer le client du vol de données le concernant. Pour les premiers juges, si le client avait été immédiatement mis en garde, il aurait pu se dénoncer spontanément aux autorités fiscales allemandes. Cette décision a cependant été cassée en ins tance de recours [15]. La jurisprudence s’impose actuellement en sens contraire pour des motifs similaires à ceux retenus par le Tribunal fédéral [16]. Ces décisions nous paraissent fon dées. Le client qui détient des avoirs non déclarés se place volontairement dans l’illicéité. Il ne peut pas tenir sa banque 6–7 | 2013 L’ e x p e r t - c o m p ta b l e s u i s s e 3. Les règles prudentielles et le risque de réputation La Convention relative à l’obligation de diligence des banques du 7 avril 2008 (CDB) a pour but de préserver le renom du système bancaire suisse et d’établir des règles assurant une gestion irréprochable lors de l’établissement de la relation bancaire et dans le domaine du secret bancaire (art. 1). À juste titre, la CDB rappelle qu’elle ne modifie en rien l’obligation d’obser ver le secret bancaire. Elle ne veut pas (et ne peut pas) étendre au territoire suisse le champ d’application de la législation étrangère en matière fiscale [19]. Assurer une gestion irré prochable ne signifie pas veiller à la bonne application du droit fiscal étranger. La limite consiste à ne pas encourager la «Dans une communication du 22 octobre 2010, la Finma a tenté de clarifier les risques qui pèsent sur la gestion de fortune en matière d’activités transfrontalières.» fraude. La CDB prévoit donc à son article 8 une prohibition d’assistance active à la soustraction fiscale et à des actes ana logues. Les banques ne doivent pas fournir d’aide à leur client dans des manœuvres qui visent à tromper les autori tés fiscales suisses et étrangères. Le démarchage de clients étrangers est un sujet sensible lorsque les avoirs ne sont pas déclarés. Dans une communication du 22 octobre 2010 [20], la Finma a tenté de clarifier les risques qui pèsent sur la ges tion de fortune en matière d’activités transfrontalières. Certes, la loi sur la surveillance des marchés financiers ne 405 D r o it / As s u ran c e s prévoit aucune obligation pour les assujettis de respecter le droit étranger. Il n’en demeure pas moins que la violation du droit étranger peut enfreindre certaines dispositions de surveillance suisse, en particulier l’exigence de la garantie d’une activité irréprochable. Parmi les conditions qu’une banque doit satisfaire en tout temps, se trouve l’obligation «En matière fiscale, le devoir de confidentialité du banquier, appelé à fournir des renseignements en qualité de tiers, varie selon la procédure fiscale considérée.» de disposer d’une organisation correspondant à son activité et de présenter toutes les garanties d’une activité irrépro chable [21]. Les règles prudentielles en matière d’organisation interne exigent encore que tous les risques, y compris les risques juridiques ou de réputation, soient dûment déter minés, limités et contrôlés [22]. Lorsqu’un établissement fi nancier adopte une structure de groupe, il est tenu d’instau rer une gestion adéquate des risques, ainsi qu’une activité irréprochable à l’échelle du groupe [23]. De plus, un gérant, même s’il est actif en Suisse ou depuis le territoire suisse, peut courir le risque de se rendre coupable à l’étranger d’une par ticipation au délit fiscal commis par son client. Des sanctions pénales peuvent viser le complice ou l’instigateur de fraude fiscale. À ce titre, les services proposés à des clients étrangers doivent être soigneusement étudiés afin d’éviter qu’ils ne tombent sous le coup du droit pénal et fiscal étranger. En 2008, la CFB avait examiné le comportement d’UBS dans ses activités transfrontalières avec des clients privés américains. Cette procédure s’est clôturée en décembre 2008 par une décision qui concluait qu’UBS avait gravement en freint ses obligations en matière de garantie d’une activité irréprochable. La CFB avait notamment sanctionné UBS en lui interdisant d’exercer à l’avenir des activités transfronta lières avec des clients privés domiciliés aux États-Unis [24]. En 2010, la Finma a rendu une décision à l’encontre de la fi liale suisse d’une banque étrangère qui opérait depuis la Suisse sur des marchés étrangers. À de nombreuses reprises, cet établissement avait établi des attestations mensongères. La Finma a reproché à la banque de n’avoir pas mesuré les risques fiscaux et pénaux encourus sur ces marchés étrangers et de n’avoir jamais vérifié le droit en vigueur. La Finma a donc sanctionné l’établissement pour avoir failli à son obli gation de vigilance en matière de risques [25]. Les cas similaires de responsabilité pour des activités trans frontalières se multiplient. Le 12 avril 2013, le Parquet de Paris a ouvert une information judiciaire contre des employés d’UBS Suisse suspectés d’avoir démarché des contribuables français [26]. Plusieurs infractions ont été retenues. Outre le démarchage bancaire ou financier par des personnes non habilitées, le Parquet de Paris a retenu le blanchiment de fraude fiscale et de fonds obtenus à l’aide d’un démarchage illicite, commis en bande organisée. Le 23 avril 2013, le Par 406 LA RESPONSABI LITE D U GÉRANT d e fo rtu n e quet de Paris a ouvert une nouvelle information judiciaire pour les mêmes infractions en lien avec HSBC [27]. Ces af faires démontrent que la prospection de clients à l’étranger présente des risques qui vont bien au-delà de la simple pro blématique fiscale. Outre le risque de poursuites pénales à l’étranger, la banque s’expose à des effets collatéraux en Suisse, la Finma pouvant sanctionner ces pratiques au titre d’une violation des règles prudentielles. 4. Les obligations de collaborer du banquier en droit fiscal suisse 4.1 La procédure de taxation en matière d’impôts directs et en cas d’infraction fiscale simple. En matière fiscale, le devoir de confidentialité du banquier, appelé à fournir des renseignements en qualité de tiers, varie selon la procé dure fiscale considérée. La matière est vaste et nous nous limi terons ici aux impôts directs. Le secret bancaire demeure pleinement applicable dans le cadre des contrôles effectués en procédures de taxation et en cas d’infraction fiscale simple [28]. La réserve concerne les attestations écrites que le gérant de fortune doit remettre au contribuable concer nant la fortune administrée et les revenus [29]. L’attestation d’intégralité introduite en 1993 est un moyen de contrainte subsidiaire qui oblige la banque à fournir la liste complète de ses relations d’affaires avec un contribuable donné durant une période précise [30]. L’autorité fiscale n’a cependant pas le droit de réclamer ces attestations directement à la banque concernée. Inversement, les banques ne sont pas autorisées à informer directement l’autorité fiscale, sous peine de violer le secret bancaire. 4.2 La procédure en cas de délits fiscaux en matière d’impôts directs. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un délit fis cal en matière d’impôts directs au sens des articles 186 et 187 LIFD, la procédure est de nature pénale [31]. Le secret bancaire n’est pas un secret professionnel protégé selon l’ar ticle 171 al. 1 CPP et il ne fonde pas le droit de refuser de té moigner [32]. La banque, en tant que tiers, est donc tenue de renseigner. Lorsque l’infraction fiscale ne relève plus de la compétence des cantons, mais des mesures spéciales d’en quête attribuées à l’Administration fédérale des contributions (AFC), des moyens d’enquête plus étendus sont prévus en vertu des articles 190 ss LIFD. L’AFC sera compétente dès lors qu’il existe des soupçons fondés d’infractions fiscales graves, d’assistance ou d’incitation à de tels actes (art. 190 al. 1 LIFD). Par infraction fiscale grave, on entend la soustraction conti nue de montants importants d’impôts et les délits fiscaux [33]. La procédure relève alors des articles 19 ss LDPA [34]. Ces dis positions de procédure s’appliquent contre les auteurs, les complices et les instigateurs [35], ainsi que pour les mesures d’enquête contre les tiers non impliqués dans la procé dure [36]. Les employés de banques ne pourront pas invoquer le secret bancaire et seront tenus de collaborer, de témoigner et de produire toutes pièces pertinentes en leur possession, sous peine de sanctions pénales [37]. Par ailleurs, l’AFC dis posera de mesures de contrainte plus étendues. Elle pourra notamment effectuer des séquestres, des perquisitions ou des arrestations [38]. L’ e x p e r t - c o m p ta b l e s u i s s e 2013 | 6–7 LA RESPONSABI LITE D U GÉRANT d e fo rtu n e 4.3 Le banquier soupçonné de participation à l’infraction fiscale. La situation est différente si le banquier devait être soupçonné de complicité ou d’instigation à commettre une infraction fiscale au sens de l’article 190 LIFD. En effet, dans le cadre d’une enquête pénale ou pénale administrative, le complice ou l’instigateur qui ne donne pas suite à son de voir de renseigner selon l’article 126 al. 2 LIFD ne peut pas «En droit suisse, les actes de participation d’une banque suisse ou de ses employés à des délits fiscaux commis par des clients envers les autorités fiscales étrangères ne constituent pas des actes pénalement punissables.» être sanctionné sur la base de l’article 174 LIFD, car l’article 191 LIFD ne contient pas de disposition correspondant à celle de l’article 192 al. 2 LIFD [39]. Il s’agit d’un principe général applicable en matière pénale selon lequel l’accusé peut gar der le silence et ne pas collaborer à des mesures destinées à l’incriminer. L’article 177 LIFD prévoit une peine d’amende pour celui qui, intentionnellement, incite à une soustraction d’impôt, y prête son assistance, la commet en qualité de re présentant du contribuable ou y participe. En outre, il répond solidairement de l’impôt soustrait [40]. Des règles similaires existent en matière d’impôt cantonal et communal [41]. Par conséquent, en droit suisse, le gérant engage sa responsabi lité s’il s’implique activement et participe aux infractions fiscales commises par son client. 5. Le droit pénal suisse En droit suisse, les actes de participation d’une banque suisse ou de ses employés à des délits fiscaux commis par des clients envers les autorités fiscales étrangères ne consti tuent pas en soi des actes pénalement punissables. En effet, les autorités suisses n’ont pas vocation à assister les États étrangers dans l’application de leur droit fiscal ou le recou vrement des créances d’impôt. De plus, l’autorité judiciaire pénale suisse est en principe compétente pour la poursuite d’infractions commises sur le territoire suisse; la poursuite d’infraction commise sur territoire étranger au détriment d’étrangers demeure l’exception [42]. Le législateur et le Tribunal fédéral ont toutefois nuancé ce principe, qui ne doit pas être compris comme absolument in tangible. D’abord, le blanchiment, commis en Suisse, du pro duit d’un crime commis à l’étranger est punissable [43]. La participation à une organisation criminelle est, elle-aussi, punis sable lorsque cette organisation a commis ses crimes à l’étran ger [44]. Le Code pénal suisse réprime encore le faux dans les titres [45] ou la corruption d’agents publics étrangers [46]. Souvent, l’infraction fiscale au détriment des autorités fis cales étrangères s’accompagne d’autres actes illicites qui peuvent justifier l’ouverture d’une enquête pénale en Suisse. 6–7 | 2013 L’ e x p e r t - c o m p ta b l e s u i s s e D r o it / As s u ran c e s 6. Le blanchiment d’argent et les infractions fiscales En février 2012, le GAFI a adopté des recommandations ré visées en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Parmi celles-ci figure la vo lonté d’ériger les infractions fiscales pénales en infractions préalables au blanchiment d’argent. Le GAFI laisse les États libres de décider leurs critères, pour autant qu’ils visent les impôts directs et indirects. Actuellement, en Suisse, en ma tière d’impôts directs, les infractions fiscales ne constituent que des contraventions (passibles d’amendes) ou des délits (passibles d’emprisonnement de trois ans au plus). Or, selon l’article 305bis CP, seuls les crimes (passibles d’une peine privative de liberté de plus de trois ans) constituent des in fractions préalables au blanchiment d’argent. En droit fis cal suisse, il n’existe à l’heure actuelle qu’un seul crime, à savoir l’escroquerie fiscale qualifiée (art. 14 al. 4 DPA), plus communément appelée la contrebande douanière organi sée. Le 27 février 2013, le Conseil fédéral a approuvé deux pro jets de loi destinés à la consultation [47]. Le premier concerne la mise en œuvre des recommandations du GAFI révisées en 2012. Le deuxième vise à étendre les obligations de dili gence afin d’empêcher que les intermédiaires financiers acceptent des avoirs non fiscalisés en Suisse. Il est question d’introduire une nouvelle infraction préalable au blanchi ment d’argent sous la forme d’escroquerie fiscale qualifiée dans le domaine des impôts directs si les éléments imposables non déclarés se montent à CHF 600 000 au moins. Pour l’in termédiaire financier cette réforme pourrait être lourde de conséquences. En effet, elle implique une obligation de vérifier si les valeurs patrimoniales sont ou seront fiscalisées. En cas de soupçons de non-conformité aux règles fiscales, les inter médiaires financiers devront refuser les valeurs patrimo niales. L’obligation de communiquer les soupçons au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) s’appliquerait en cas d’infraction fiscale grave préa «Actuellement, en Suisse, en matière d’impôts directs, les infractions fiscales ne constituent que des contraventions (passibles d’amendes) ou des délits (passibles d’emprisonnement de trois ans au plus).» lable au blanchiment (art. 9 al. 1 let. a LBA). L’utilisation des dossiers LBA en matière fiscale sera ainsi clairement officialisée. 7. Conclusion Pour le gérant, ces nouvelles obligations en lien avec les avoirs non fiscalisés présentent des difficultés. L’interna tionalisation de la gestion de fortune rend l’activité com plexe, en particulier en matière fiscale et lorsque les avoirs 407 D r o it / As s u ran c e s LA RESPONSABI LITE D U GÉRANT d e fo rtu n e ne sont pas déclarés. Veiller à ce que des fonds ne proviennent pas d’un crime est une chose, veiller à ce qu’ils soient dûment fiscalisés est autrement plus ardu. La fiscalité internationale «À l’évidence, vouloir ériger le banquier en garant de la perception des impôts sans limite territoriale, c’est lui faire porter des responsabilités qui vont bien au-delà de ses compétences et de ses capacités.» est difficile à appréhender. Le gérant de fortune n’a certaine ment pas les outils de vérification suffisants pour maîtriser la fiscalité de tous les États dans lesquels ses clients ont des Notes: 1) Zaki, in: Bilan, La Suisse, le seul pays à exiger l’autodéclaration fiscale, 1er octobre 2012. 2) Loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne (LB), RS 952.0. 3) Rappo, Les fondements juridi ques actuels du secret bancaire, in: Les enjeux juri diques du secret bancaire, Les Actes de l’ILCE, Augsburger-Bucheli et Perrin (dir), Genève Zurich Bâle 2011, pp. 31 ss. 4) L’ASB avait recommandé l’abandon de cette pratique en précisant: «Nous ne pouvons accepter la proposition, présentée parfois pour éviter tout dilemme, de faire signer à l’avance à chaque client un document par lequel celui-ci délie la banque du secret bancaire. Les banques n’ont pas le droit d’exiger de leur clientèle, d’une façon générale, la renonciation à la protection du secret bancaire.»; Circulaire de l’Association suisse des banquiers du 1er février 1982 (n. 6173) à propos des relations des banques suisses avec les ÉtatsUnis et les opérations d’initiés; voir également Rappo, Le secret bancaire, sa portée dans le temps, dans l’espace et dans les groupes de sociétés, Berne 2002, p. 211 et références citées. 5) Opinion contraire: Frick, Honegger, Les groupes de sociétés face au secret bancaire, in: Les nouveaux défis au secret bancaire suisse, Lausanne Bellinzone 1996, p. 50. 6) Bernasconi, Secret bancaire et autres secrets pro fessionnels selon les nouveaux codes suisses de procédure pénale et civile, in: Les enjeux juridi ques du secret bancaire, Les Actes de l’ILCE, Augs burger-Bucheli et Perrin (dir), Genève Zurich Bâle 2011, pp. 51 ss. 7) Loi fédérale sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (LBVM), RS 954.1. 8) Loi fédérale sur la protection des données (LPD), RS 235.1. 9) Code pénal suisse (CP), RS 311.0. 10) Loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD), RS 241. 11) Aubert, Béguin, Bernasconi, Graziano-Von Burg, Schwob, Treuillaud, Le secret bancaire suisse, Berne 1995, p. 115; Rappo, Le secret bancaire, sa portée dans le temps, dans l’espace et dans les groupes de sociétés, Berne 2002, pp. 280 ss et références citées. 12) Guggenheim, Les contrats de la pratique ban 408 attaches économiques. Il existe autant de systèmes de taxa tion que d’États ou de collectivités publiques fondées à préle ver des taxes. L’assujettissement d’un contribuable dépend non seulement de son domicile, mais aussi de son lieu de sé jour, du lieu où il détient certains actifs (immeubles, établis sements stables, etc.) ou d’où proviennent certaines sources de revenus (dividendes, royalties, pensions, etc.). Il n’est pas rare que plusieurs régimes d’imposition entrent en concours, nécessitant l’application des conventions de double imposi tion, pour autant que le client puisse en bénéficier. À l’évi dence, vouloir ériger le banquier en garant de la perception des impôts sans limite territoriale, c’est lui faire porter des responsabilités qui vont bien au-delà de ses compétences et de ses capacités. Le banquier n’est pas un agent des services fiscaux. S’il est parfaitement légitime de sanctionner les comportements actifs destinés à faciliter la fraude, demander au gérant de fortune de veiller à ce que la fiscalité soit dûment appliquée est excessif et difficile à mettre en pratique. n caire suisse, 4ème éd., Genève 2000, p. 48; Aubert, Beguin, Bernasconi, Graziano-Von Burg, Schwob, Treuillaud, op. cit., p. 50. 13) ATS/Newsnet du 11 avril 2012; voir également Communication de la Finma du 22 octobre 2010, Position de la Finma à propos des risques juridiques et de réputation dans le cadre des activités financières transfrontalières. 14) ATF 134 III 59; ATF 115 II 72; Koller, Steuern und Steuerbussen als privatrechtlich relevanter Schader, ZSR 113/1994 I pp. 183 ss, spéc. p. 202. 15) Communication de la FINMA du 22 octobre 2010, op. cit. 16) LES 2007, p. 36; LES 2006, 115; GE 2011, 31 et GE 2013, 55. 17) SJ 1997 p. 377; ATF 113 II 36 c. 2c; SJ 2001 I 168 c. 2a; ATF 123 II 153, JdT 1999 IV 122; ATF du 23 juillet 2001, 4C.108/2002 c. 3 c aa et ATF du 5 juin 2007, 4C.397/2006 qui précise que l’ayant droit économique ne peut pas invoquer envers la banque le devoir de diligence et de fidé lité relatif au mandat; Rappo, Le secret bancaire, op. cit., p. 242. 18) ATF du 8 mai 2009, 4A_2/2008, c. 7.3 qui confirme que le bénéficiaire d’une procu ration bancaire ne peut plus obtenir de renseigne ment suite à la clôture du compte sur lequel une procuration lui avait été octroyée, même lorsque les informations portent sur des faits ou des actes intervenus avant la révocation. 19) Convention relative à l’obligation de diligence des banques du 7 avril 2008 (CDB 08), art. 1, ch. 2, lettre a. 20) Com munication de la Finma du 22 octobre 2010, op. cit. 21) Art. 3 al. 2 let. a, c et cbis (banques), 3f al. 1 (groupes financiers et conglomérats financiers) LB; art. 26 al. 2 et 3 de la loi fédérale sur l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (LFINMA), RS 956.1. 22) Art. 9 al. 2 de l’ordonnance sur les banques et les caisses d’épargne (OB), RS 952.02. 23) Art. 3 f LB et 14 a OB. 24) Rapport annuel 2010 de la Finma, p. 87. 25) Communication de la Finma du 22 octobre 2010, op. cit., p. 14. 26) Le Monde du 18 avril 2013, Évasion fiscale, 353 français démar chés par UBS. 27) Le Monde du 23 avril 2013, HSBC quatre ans de tergiversations autour de fichiers controversés. 28) Art. 127 al. 2 et 182 al. 3 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD), RS 642.11; Circulaire AFC du 7 mars 1995, Obligation de ren seigner, d’attester et d’informer; Auderset, À quel point le secret bancaire résiste-t-il aux procédures en matière d’impôts directs et indirects?, in: Les enjeux juridiques du secret bancaire, Les Actes de l’ILCE, Augsburger-Bucheli et Perrin (dir), Genève Zurich Bâle 2011, p. 145. 29) Art. 127 al. 1, lit. d LIFD. 30) Lettre-circulaire du 11 février 1993 de l’AFC; circulaire n° 6743 du 19 mai 1993 de l’ASB concernant l’attestation d’intégralité des banques. 31) Art. 188 al. 1, 2 et 4 Lifd; Auderset, op. cit., p. 147. 32) Art. 171 al. 1 CPP et 173 du Code de procédure pénale suisse (CPP), RS 312.0. 33) Art. 190 al. 2 LIFD. Voir également art. 175, 176, 186, 187 et 191 al. 1 LIFD. 34) Loi fédérale sur le droit pénal adminis tratif (DPA); RS 313.0. 35) Art. 191 al. 1 et 192 al. 1 LIFD. 36) Art. 192 al. 1 LIFD. 37) Art. 192 LIFD, 171 et 173 CPP applicables par renvoi de l’art. 41 DPA. 38) Art. 45 à 51 DPA. 39) Auderset, op. cit., p. 150. 40) Art. 177 al. 1 LIFD. 41) Art. 56 al. 3 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID); RS 642.14. 42) Bernasconi, La place financière suisse et la fuite de capitaux, in: Annuaire suisse de poli tique de développement, n° 19/2000, pp. 53 ss, n. 10. 43) Art. 305 al. 3 CP. 44) Art. 260ter CP. 45) Art. 251 ss CP. 46) Art. 322ter CP. 47) Avant-projet du 27 février 2013 de loi fédérale sur la mise en œuvre des recom mandations du GAFI, révisées en 2012 et de loi fé dérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier; Rapport explicatif du Départe ment des finances du 27 février 2013 concernant le projet mis en consultation, Stratégie concernant la place financière-obligations de diligence étendues pour empêcher l’acceptation de valeurs patrimo niales non fiscalisées, Révision de la loi sur le blan chiment d’argent. L’ e x p e r t - c o m p ta b l e s u i s s e 2013 | 6–7